Les universalités en droit des biens :
Les universalités désignent en droit des biens un ensemble d’éléments, considérés comme un tout et soumis à un régime juridique particulier. Cette notion recouvre à la fois les universalités de droit (notamment le patrimoine) et les universalités de fait (comme un fonds d’exploitation, une bibliothèque, un portefeuille de valeurs mobilières, etc.). Il importe de distinguer ces différentes formes d’universalités, car elles n’obéissent pas aux mêmes objectifs ni aux mêmes mécanismes. L’universalité n’est pas un simple agrégat de biens : elle a vocation à constituer un bien unitaire où chaque élément, bien que conservant son individualité, se trouve coordonné avec les autres pour former un ensemble fonctionnel et cohérent.
I. Notion générale de l’universalité : de la complexité à l’unité
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La complexité d’un bien composé
- L’universalité est un complexe de biens : un bien qui englobe plusieurs éléments, chacun pouvant également être qualifié de « bien » isolément. Le point central est que l’on peut agir sur l’ensemble global (par exemple, le vendre ou le donner en garantie) sans pour autant se priver de la possibilité d’agir individuellement sur chaque composant.
- L’exemple du fonds (fonds de commerce, fonds artisanal, fonds libéral) illustre bien cette idée : chacun des éléments constitutifs du fonds (clientèle, nom commercial, droit au bail, matériel, etc.) demeure un bien, mais l’ensemble forme également un bien autonome, régi par des règles propres (cession, nantissement, etc.).
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Un régime juridique propre
- L’universalité, en tant que bien complexe, jouit d’un régime homogène : lorsque l’on traite l’universalité dans sa globalité, on applique un acte juridique unique (par exemple une vente), ce qui économise les formalités. À l’inverse, rien n’interdit d’aliéner seulement un des éléments si la loi ou les parties le permettent.
- Cette approche « globale » fédère des éléments qui, pris isolément, n’auraient pas la même valeur ni la même efficacité. Dans une universalité, ces composants sont liés par une fonction commune (économique, patrimoniale, technique). Néanmoins, si la fusion des biens devient trop poussée (qu’ils deviennent inséparables matériellement ou juridiquement), on peut alors quitter la logique d’universalité pour celle d’un unique bien « simple ».
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Exemple : la bibliothèque personnelle
- Vendre livre après livre représenterait de multiples contrats successifs. En la traitant comme un ensemble (vente en bloc), la bibliothèque devient un bien global, et la transaction s’effectue par un unique contrat.
II. L’universalité de droit : le patrimoine
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Définition et fonction
- L’universalité de droit, par excellence, est le patrimoine. Selon la théorie classique (Aubry et Rau), le patrimoine est l’ensemble des biens (actifs) et des dettes (passif) d’une personne, qui sert de garantie à ses créanciers. L’article 2284 du Code civil (ex-articles 2092 et 2093) rappelle ainsi que « quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ».
- Historiquement, on disait que la personne répondait de ses dettes « sur sa propre personne ». Avec l’évolution du droit, ce sont désormais les biens de la personne qui garantissent le paiement.
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Caractéristiques
- L’universalité de droit se définit par la fongibilité des biens (tout bien qui entre dans le patrimoine subit immédiatement les mêmes règles que les biens déjà présents) et la subrogation réelle (lorsqu’un bien sort, il peut être remplacé par un autre).
- Seuls les biens saisissables intègrent véritablement la partie « patrimoniale » au sens strict. Les biens insaisissables (par exemple, certains biens indispensables à la vie courante ou le corps humain protégé par l’article 16-1 du Code civil) conservent un régime extra-patrimonial.
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Règles classiques et évolutions
- Toute personne a un patrimoine : le simple fait d’être sujet de droit (personne physique ou personne morale) entraîne l’existence d’un patrimoine.
- Seules les personnes ont un patrimoine : un animal, bien que « être vivant doué de sensibilité » (article 515-14 du Code civil), n’a pas de patrimoine propre.
- Unicité du patrimoine : une seule personne ne peut, en principe, avoir qu’un seul patrimoine.
- Cette unicité est néanmoins modulée par certains mécanismes modernes (ex. la fiducie, régie par les articles 2011 et suivants du Code civil, permet de séparer certains biens du patrimoine du constituant, créant une sorte de « sous-patrimoine » géré par le fiduciaire). De plus, l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) ou la communauté de biens dans le mariage sont autant de signes de la remise en cause (au moins partielle) du dogme de l’unicité.
III. L’universalité de fait : un regroupement de biens à fonction économique
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Définition et finalité
- Contrairement au patrimoine (universalité de droit ayant un rôle de garantie générale), l’universalité de fait désigne un ensemble de biens que leur propriétaire réunit dans un but déterminé (exploitation, investissement, spéculation), sans qu’il s’agisse de garantir le paiement d’un passif global.
- Les composants de cette universalité demeurent des biens distincts, mais le regroupement leur confère une cohérence économique.
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Exemples
- Fonds d’exploitation ou fonds de commerce : il rassemble la clientèle, la marque, le droit au bail, l’enseigne, le matériel, etc. ; chacun de ces éléments peut subsister individuellement, mais leur combinaison forme un bien unique et cessible en bloc (vente du fonds).
- Portefeuille de valeurs mobilières : la Cour de cassation (1re civ., 12 novembre 1998) l’a qualifié d’universalité de fait. Chaque titre est un bien individuel, mais l’ensemble constitue un actif financier global qu’on peut céder ou nantir comme un tout (sous réserve du respect des règles propres à la cession de titres).
- Troupeau : traditionnellement présenté comme un exemple d’universalité de fait (ensemble d’animaux considérés globalement).
- Bibliothèque, base de données : l’unité de l’ensemble repose sur la réunion de documents ou d’informations.
- Régime de communauté entre époux : la communauté légale (articles 1400 et suivants du Code civil) peut être considérée en partie comme une universalité de fait, même si elle présente aussi des traits d’universalité de droit (puisqu’elle est gérée et garantie pour les dettes du ménage).
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Caractéristiques juridiques
- L’universalité de fait ne poursuit pas la finalité de garantie générale. Son rôle est davantage économique ou utilitaire.
- À la différence du patrimoine, on peut y voir plusieurs « universalités de fait » chez un même propriétaire (par exemple un fonds de commerce et un portefeuille de titres, gérés séparément).
IV. Avantages juridiques et limites de la notion d’universalité
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Regroupement et facilité de transaction
- L’action sur l’universalité globalise les actes : vendre ou donner en garantie un ensemble de biens d’un seul tenant est plus simple que multiplier les cessions séparées. Cela réduit les formalités administratives, notariales ou fiscales (même s’il peut exister des obligations déclaratives spécifiques).
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Maintien de l’individualité des composants
- Chaque bien inclus dans l’universalité conserve son statut propre. On peut donc, si on le souhaite, en retirer un élément ou, au contraire, ajouter un élément supplémentaire (exemple : on peut céder l’enseigne d’un fonds de commerce séparément, si la loi et les parties le permettent).
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Risques et confusion
- Lorsque l’universalité est trop marquée (les éléments deviennent inséparables juridiquement), on peut basculer dans un véritable bien unique, ce qui peut rendre sa gestion plus complexe ou l’aliénation plus délicate (risque de requalification).
- Dans le cas du patrimoine, les créanciers ont en principe accès à tous les biens. Toutefois, les mécanismes de fiducie, de création de sociétés, ou de patrimoine d’affectation (EIRL) morcellent ce principe d’unicité et peuvent fragiliser la protection des créanciers (sauf dispositions antifraude).
V. Synthèse
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Universalité de droit (le patrimoine) :
- Constitue l’archétype de l’universalité. Regroupe les actifs et passifs d’une personne, garantissant les créanciers.
- Principes fondateurs (unicité, incessibilité partielle) remis en cause par des dispositifs modernes (fiducie, EIRL, sociétés unipersonnelles) qui permettent de créer des masses de biens distinctes.
- Les articles 2011 et suivants du Code civil instaurent la fiducie, introduite par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007. Elle est devenue un outil pour séparer certains biens du patrimoine du constituant, montrant l’atténuation du dogme de l’unicité.
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Universalité de fait :
- Englobent différents ensembles de biens réunis par une finalité économique ou utilitaire (fonds de commerce, portefeuille de valeurs mobilières, etc.).
- Souvent cédés en bloc pour plus d’efficacité et de simplicité, notamment dans un cadre professionnel ou patrimonial.
- Le Code civil ne prévoit pas de régime général exhaustif pour toutes les universalités de fait, mais la jurisprudence et la doctrine en reconnaissent la nature (un ensemble d’éléments autonomes, cessibles en bloc, faisant l’objet d’un usage commun).