L’escroquerie en droit pénal sénégalais

L’escroquerie en droit pénal sénégalais

Selon le Code pénal sénégalais, l’escroquerie est définie comme le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs, des marchandises ou à fournir un service.

 

SECTION I : LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE L’ESCROQUERIE EN DROIT PÉNAL SENEGALAIS

L’art 379 du Code Pénal donne une définition de l’escroquerie en mettant l’accent sur le fait qu’elle consiste à utiliser sciemment un moyen frauduleux pour se faire remettre certaines choses par le possesseur. Pour que cette infraction soit donc réalisée, il faut que le prévenu use de certains moyens en vue d’obtenir un résultat au détriment d’une personne et qu’il soit animé d’un état d’esprit frauduleux.

 

SOUS -SECTION I: L’UTILISATION DE MOYENS FRAUDULEUX

Il est nécessaire d’avoir employé certains procédés. Ce n’est pas le fait d’avoir obtenu de quelqu’un la remise de tout ou d’une partie de sa fortune qui fait tomber sous le coup de la loi, mais c’est surtout le fait d’avoir obtenu cette remise par l’utilisation de procédés jugés intolérables qui peuvent consister soit de l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité soit l’usage d’une manœuvre frauduleuse.

 

Paragraphe 1 : L’usage d’un faux nom où d’une fausse qualité

A / L’usage d’un faux nom

Il consiste à se prévaloir irrégulièrement du nom patronymique d’un tiers ou d’un nom parfaitement imaginairemais qui sonne bien pour impressionner la victime et cet usage doit être la cause déterminante de la remise. La jurisprudence considère que l’usage d’un faux nom peut être étendu à l’usage d’un faux prénom destiné à créer la confusion par homonymie ou encore d’un pseudonyme

B / L’usage d’une fausse qualité

C’est un mensonge sur la profession, les titres, les diplômes et l’état civil. Comme dans l’usage du faux nom, on exige deux conditions qui sont l’accompagnement de la prise de la fausse qualité chez l’agent pénal d’actes positifs mais aussi, il faut que l’usage de cette fausse qualité soit déterminant dans la remise effectuée par la victime. Par exemple, commet une escroquerie, l’employé licencié qui se dit encore au service de son employeur et se fait remettre à ce titre des fonds et objets par les clients de ce dernier.

L’individu ne tombe cependant sur le coup de la loi que s’il prend une part active dans la réalisation de ce délit. En revanche, il n’ya pas escroquerie lorsque l’individu prétend être créancier, propriétaire ou capable civiquement. Le mensonge sur les droits que l’on prétend avoir n’est pas en effet une fausse qualité au titre de l’article 379 C P. Par exemple, l’individu qui pour faire croire à sa solvabilité fait état de créances imaginaires qu’il aurait contre les tiers ne commet pas une escroquerie. De même, le mineur qui prétend être majeur pour pouvoir conclure un contrat ne peut pas être poursuivi pour escroquerie…

En droit pénal, le mensonge sur les droits n’est répréhensible au titre de l’escroquerie que si est accompagné d’un élément extérieur qui lui donne force et crédibilité par exemple la présentation d’une fausse pièce.

Paragraphe 2 : L’emploi de manœuvres frauduleuses

C’est le moyen le plus fréquemment utilisé. La jurisprudence s’est efforcée de préciser le concours de cette notion en mettant l’accent sur le fait qu’il s’agit d’artifices de mise en scène ou d’une orchestration ayant un but précis. Le principe est que le simple mensonge même écrit est insuffisant pour faire tomber l’agent pénal sous le coup de la loi. Il faut qu’il soit accompagné de manœuvres frauduleuses c a d d’éléments extérieurs destinés à lui donner force crédible. Par ailleurs, la manœuvre doit consister à une action positive et non à une abstention

A / Les manifestations

1 – La machination ou mise en scène

C’est une combinaison de tous les moyens propres à tromper la victime et à confirmer le mensonge par de nombreux indices comme par exemple des bureaux somptueux occupés par des personnes pour faire croire à l’existence d’une entreprise importante

2 – Les faux documents

Leur production constitue le moyen le plus simple pour justifier l’exactitude des allégations mensongères. Exemple : il ya escroquerie lorsqu’un individu produit des factures de complaisance pour se faire rembourser les frais de mission. De même, il y’a escroquerie lorsqu’une personne présente des livres de comptes erronés afin d’obtenir la majoration du prix de vente des fonds de commerce.L’escroc habile peut utiliser des documents réels et indiscutables dans la forme mais qui relatent des faits inexacts.La production de faits ou de documents inexacts ne constitue cependant une manœuvre frauduleuse que si l’écrit vrai ou faux vient appuyer un mensonge en lui apportant le soutien d’une confirmation extérieure et non s’il constitue seulement son mode d’expression.

3 – L’intervention d’un tiers

Celle qui appuie le mensonge de l’escroc est constitutive d’une manœuvre frauduleuse comme par exemple le témoignage d’une personne qui confirme une déclaration d’accident fictif. L’intervention d’un tiers est constitutive d’une manœuvre frauduleuse même si le tiers est de bonne foi et ne se rend pas compte du rôle qu’on lui fait jouer ; s’il est de mauvaise foi, il sera poursuivi comme complice de l’escroc… Par ailleurs, la manœuvre n’est constitutive de l’escroquerie qu’à la condition que l’intervention du tiers soit provoquée par l’escroc et que ce tiers conserve une certaine liberté d’action. Ainsi, les préposés ou mandataires de l’escroc n’ont pas la qualité de tiers sauf si lui-même est de mauvaise foi… En outre, il y’a manœuvre frauduleuse même si le tiers est demeuré passif, dés lors que sa présence a pu déterminer le consentement de la victime.

4 – Les applications particulières

a) L’escroquerie à la publicité:

Quel est le sort des ventes conclues en utilisant des allégations mensongères ? Si la publicité se traduit par un mensonge verbal ou écrit émanant du vendeur lui-même, il n’ya pas escroquerie.Par contre, si elle s’appuie sur de faux documents, attestations, certificats de tiers réels ou imaginaires, il y’a manœuvre frauduleuse.

b) L’escroquerie au jugement:

Le jugement est un titre exécutoire. La loi n’ayant pas défini avec précision les objets de nature à être remis, la jurisprudence a considéré qu’un jugement peut faire l’objet d’une escroquerie car celui-ci referme une obligation ou une décharge. Dans cette forme d’escroquerie, un plaideur produit des pièces ou documents falsifiés, altérés et destinés à inspirer la crainte de perdre le procès à son adversaire ou encore à surprendre le juge afin d’obtenir une décision favorable. Toute présentation en justice de fausses pièces se trouve donc être assimilée à une manœuvre frauduleuse constitutive au moins en cas d’échec de tentative d’escroquerie.

c) L’escroquerie à l’assurance:

Elle peut revêtir soit une forme matérielle soit intellectuelle. L’escroquerie est à tendance intellectuelle lorsqu’une personne s’assure contre un risque qui est déjà réalisé et va par la suite demander une indemnité en déclarant à son assureur un accident imaginaire. Souvent, il y’a bien accident, mais l’escroc présente les faits de façon mensongère et pour donner crédibilité à ses allégations, il dépose une plainte au commissariat de police où il présente un acte accompli par un expert…En revanche, il y’a escroquerie à tendance matérielle lorsque l’assuré provoque frauduleusement la réalisation du risque.

d) L’escroquerie à la charité:

C’est le comportement d’un individu qui emploie des manœuvres frauduleuses pour confirmer le mensonge sur son état de misère. Exemple : Simulation d’une infirmité qui est une circonstance de la mendicité (article 245 Code Pénal alinéa 5).Elle est aussi le comportement de véritables organismes qui se prétendent charitables afin de collecter des fonds dont la majeure partie sera détournée par ses dirigeants.

B / Le but des manœuvres frauduleuses

Elles ne suffisent pas à elles mêmes pour retenir la qualification d’escroquerie. Il faut que celui qui les utilise poursuive l’un des objectifs suivants : persuasion de l’existence d’une fausse entreprise ou d’un crédit imaginaire, faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou de tout autre événement chimérique

1 – L’existence d’une fausse entreprise

Cet exemple s’applique à toute affaire et à toute exploitation commerciale. Il peut s’agir d’une entreprise industrielle et commerciale dont l’activité est fictive. Exemple : des individus installent des bureaux dans des immeubles luxueux, choisissent un nom commercial, encaissent les premiers fonds avec lesquels ils disparaissent dès lors qu’ils se sentent découverts.

Elle peut aussi concerner une entreprise réelle mais dont la situation est faussement présentée. Exemple : Il y’a escroquerie lorsque les dirigeants sociaux produisent un faux bilan en vue de provoquer une baisse des actions et de permettre à d’autres individus d’acquérir celles-ci à moindre coût.

2 – Faire croire à un pouvoir où un crédit imaginaire

L’escroc essaie de persuader sa victime qu’il possède une influence, une situation, une fortune qui en réalité n’existe pas afin de se faire remettre quelque chose. Si le crédit est vrai, il y a trafic d’influence, sinon il y’a escroquerie.

3 – Faire naître ou espérer un événement chimérique

D’une manière générale, l’événement chimérique se trouve dans l’objet irréalisable au moment où sont pratiquées les manœuvres destinées à persuader du contraire. Le but difficile à atteindre ou l’échec d’une opération réalisable pour quelque cause que ce soit ne suffit pas à transformer le projet en événement chimérique. Exemple : financement d’une expédition lointaine parfaitement illusoire ou encore faire naître l’espérance d’une guérison par des signes ou paroles mystérieuses.

 

SOUS SECTION II : LE RESULTAT DE L’ESCROQUERIE : LA REMISE D’UNE CHOSE

Paragraphe1 : La remise

Elle consiste en une tradition c’est-à-dire le fait de se faire remettre quelque chose. C’est un acte positif. Dès lors, il n’ya pas escroquerie si le fait constitue une abstention. Exemple : Quelqu’un est disposé à faire quelque chose, pour l’en dissuader vous lui racontez une histoire et il s’abstient. Il n’ya pas escroquerie. La remise de l’escroquerie se distingue matériellement de celle du vol. Il n’ya pas, en effet, appréhension directe de la chose par l’auteur mais une remise volontaire par la victime. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que la remise soit faite directement entre les mains de l’auteur. Elle peut très bien s’opérer par l’intermédiaire d’un tiers peu importe qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi.En outre, l’escroquerie suppose que les manœuvres ont été accomplis antérieurement à la remise. Cependant, la jurisprudence retient qu’il y a escroquerie lorsque les manœuvres pratiquées postérieurement ont eu pour but d’obtenir la continuité des remises antérieures

 

Paragraphe 2 : La chose objet de la remise

La remise doit porter sur une chose ayant une valeur pécuniaire, patrimoniale. Cette disposition figure dans l’art 379 al 1 qui parle de la fortune d’autrui. La chose objet de la remise peut se présenter sous plusieurs formes :

Des fonds c’est-à-dire sommes d’argent liquides ou sous forme d’effets de commerce, chèques ou virements bancaires etc.

Des obligations, dispositions, billets ou promessesc’est-à-dire tous les actes d’où peut résulter un lien de droit à l’aide duquel on peut porter atteinte à la fortune d’autrui. Ex : le bail, la promesse de vente etc.

Des meubles: Il s’agit d’objets mobiliers quelconques susceptibles d’une appropriation individuelle.

Des quittances où décharges c’est-à-dire des actes qui donnent faussement à un créancier l’illusion d’avoir reçu son dû. Ex : le fait d’introduire une rondelle métallique sans valeur dans un parcmètre afin d’obtenir gratuitement le stationnement.

En définitive, la remise doit porter sur une chose corporelle. C’est cela qui a amené la jurisprudence à hésiter à retenir l’escroquerie lorsque les actes tendent seulement à obtenir la remise de services. En droit français comme sénégalais, il est permis de rejeter la qualification d’escroquerie car la remise ne présente pas un aspect matériel et le bien convoité n’a pas un aspect corporel. Exemple: se faire transporter gratuitement ne constitue pas une escroquerie. Le fait de pénétrer gratuitement dans une salle de spectacle en usurpant une qualité ne tombe pas aussi sous le coup de l’article 379 du Code Pénal.

 

Paragraphe 3 : Le préjudice

Suivant les termes de l’article 379, le délit n’est réalisé que si l’agent pénal a escroqué ou tenté d’escroquer tout ou partie de la fortune d’autrui. On peut tirer de ce texte que l’escroquerie suppose un préjudice. Cependant, l’exigence de cette condition mérite d’être bien comprise. Le préjudice résulte en effet de la seule appropriation par l’escroc contre le gré du propriétaire des fonds ou objets convoités. Il est donc constitué du fait que la remise ait été obtenue par des procédés qui ont privé la victime de son libre consentement, peu importe cependant que l’escroc ait pu tirer profit des sommes ou objets remis par la victime. Ainsi, il y’a escroquerie lorsqu’une personne utilise des manœuvres frauduleuses et arrive à se faire consentir la vente d’un objet alors même qu’elle en paie le prix et que celui-ci corresponde à la valeur réelle de la chose. Commet également une escroquerie le démarcheur qui par des moyens frauduleux obtient la signature d’une police d’assurance alors même que celle-ci serait favorable à la partie qui en devient malgré elle bénéficiaire.

 

Paragraphe 4 : L’intention coupable

Bien que l’article 379 ne mentionne pas expressément les caractères intentionnels du délit, il est admis que l’escroquerie est un délit intentionnel c’est-à-dire suppose une faute intentionnelle. On ne peut pas se contenter d’une simple imprudence ou négligence. Il appartient à la partie demanderesse de prouver cette intention coupable. Cette condition est établie lorsque l’auteur de l’infraction a eu la volonté d’obtenir la remise de la chose par des moyens qu’il savait frauduleux.Ainsi, la répression ne peut être retenue si le prévenu est de bonne foi. Il en va ainsi lorsque l’individu croit de bonne foi que l’entreprise crée par lui était sérieuse même si le résultat a fait apparaître le mal fondé de ses espérances.Dans tous les cas, lorsque l’intention est établie, l’article 379 est applicable quelque soit le mobile du délinquant. Ainsi par exemple, il ya escroquerie même si l’escroc a agi et aidé une œuvre charitable et même renfloué une société en faillite. De même, l’escroquerie est établie si le créancier utilise des manœuvres frauduleuses pour se faire payer la somme qui lui est due.Enfin, l’acquéreur d’une chose tombe aussi sous le coup de la loi lorsqu’il utilise des moyens frauduleux pour se faire restituer par son vendeur la partie du prix qui lui était indue.

SECTION II : LE REGIME JURIDIQUE DE L’ESCROQUERIE EN DROIT PÉNAL SENEGALAIS

La répression de l’escroquerie au Sénégal