La liberté religieuse et la laïcité en France

Histoire de la liberté religieuse, de la laïcité et des relations État-église en France

Le texte explore l’évolution des relations entre pouvoirs spirituels et temporels à travers plusieurs périodes historiques et contextes juridiques en France. La première partie évoque le principe de laïcité et de la liberté religieuse en France. Puis il y aura plusieurs parties consacrées à l’histoire des relations tumultueuses entre l’État et l’église. En deuxième partie, la théorie des deux glaives met en lumière l’affrontement historique entre la suprématie spirituelle, incarnée par l’Église, et la prédominance temporelle des souverains civils, une tension symbolisée par des épisodes tels que l’opposition entre Boniface VIII et Philippe le Bel. Cette rivalité a conduit à des modèles variés, depuis la séparation stricte des pouvoirs jusqu’à leur coexistence sous diverses formes.

En France, cette dynamique trouve une originalité particulière, mêlant un héritage religieux important – « fille aînée de l’Église » – et une tradition laïque forte issue de la Révolution française. Ce paradoxe est illustré par des débats tels que l’accès tardif au droit de vote des femmes ou les restrictions imposées aux associations religieuses.

Le Concordat de 1801, sous Napoléon, marque une tentative de pacification en intégrant les cultes dans l’organisation étatique, mais ses limites apparaissent avec la montée de l’anticléricalisme et l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905. Celle-ci inscrit la neutralité de l’État tout en respectant les libertés religieuses, même si des exceptions subsistent, notamment en Alsace-Moselle.

Malgré cette séparation, une forme de cohabitation persiste : financement des aumôneries, entretien des édifices religieux ou débats sur la visibilité religieuse. Aujourd’hui, la gestion de la diversité religieuse pose de nouveaux défis, comme le financement des mosquées et les mesures récentes contre le séparatisme, témoignant d’une laïcité en constante adaptation.

I) La mise en œuvre de la liberté religieuse et de la laïcité en France

A. La liberté religieuse dans la vie quotidienne

  1. La liberté de porter des signes religieux :
    • Dans l’espace public :
      • Depuis la loi de 2010, la dissimulation du visage est interdite dans les lieux publics, incluant le port du niqab ou de la burqa. Cette interdiction vise à garantir la sécurité et à préserver les principes de laïcité. Cependant, le port de signes religieux, comme le voile simple, reste autorisé dans l’espace public, sauf circonstances exceptionnelles liées à l’ordre public.
      • Les plages et piscines sont des espaces où les pratiques religieuses, comme le port du burkini, ont suscité des débats. En 2016, le Conseil d’État a annulé plusieurs arrêtés municipaux interdisant le burkini, estimant qu’ils portaient atteinte à la liberté individuelle.
    • Dans les établissements scolaires et universitaires :
      • La loi de 2004 interdit le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques pour préserver la neutralité. Les universités, en revanche, restent des espaces où la liberté religieuse est généralement respectée.
  2. Les restrictions alimentaires :
    • La consommation alimentaire est un marqueur de certaines pratiques religieuses (halal, casher). En France, l’abattage rituel est permis sous conditions strictes, notamment pour les musulmans et les juifs, bien que certains pays européens, comme la Norvège, aient interdit cette pratique.
    • La question des cantines scolaires reste controversée. La jurisprudence ne reconnaît pas d’obligation de proposer des menus adaptés aux restrictions religieuses, mais des solutions pragmatiques sont souvent adoptées localement.
  3. Les manifestations religieuses :
    • Les crèches dans les espaces publics font débat. Depuis 2016, le Conseil d’État a précisé que les crèches peuvent être autorisées si elles revêtent un caractère culturel ou festif, mais non prosélyte.
    • Les sonneries des cloches des églises continuent d’exister, mais elles doivent respecter des règles spécifiques en fonction de leur usage (civile ou religieuse).

B. La laïcité dans le cadre du travail

  1. La laïcité dans les services publics :
    • Les agents publics sont soumis à une stricte obligation de neutralité religieuse. Ils ne peuvent porter de signes religieux visibles dans l’exercice de leurs fonctions.
    • Les débats sur les accompagnants scolaires (parents voilés participant aux sorties scolaires) reflètent les tensions entre neutralité et liberté individuelle. Une circulaire de 2021 précise que les parents accompagnateurs ne sont pas soumis à la neutralité, mais des ajustements peuvent être faits selon les contextes locaux.
  2. La liberté religieuse dans les entreprises privées :
    • Les employeurs peuvent limiter la manifestation de croyances religieuses si cela nuit au bon fonctionnement de l’entreprise. Par exemple :
      • Dans l’arrêt Baby Loup (2014), la Cour de cassation a validé le licenciement d’une salariée portant un voile, en raison d’un règlement intérieur imposant la neutralité.
    • En 2017, la CJUE a précisé que l’interdiction de porter des signes religieux dans une entreprise privée doit être inscrite dans un règlement interne, motivé par des exigences professionnelles.
  3. Les entreprises de tendance :
    • Certaines entreprises, comme les écoles confessionnelles ou les associations cultuelles, peuvent imposer des obligations spécifiques liées à leur identité religieuse. Par exemple, le TA de Nantes (1982) a validé un règlement intérieur d’une école catholique imposant un respect strict de la doctrine religieuse.

C. Le financement des cultes

  1. Subventions interdites :
    • En vertu de la loi de 1905, les collectivités ne peuvent financer directement les cultes. Les associations cultuelles ne sont pas éligibles à des subventions publiques.
  2. Subventions obligatoires :
    • Les aumôneries dans les établissements publics, comme les prisons ou les hôpitaux, doivent être financées pour garantir le libre exercice des cultes. Ces aumôneries sont des salariés de l’État.
  3. Subventions autorisées :
    • Les financements publics peuvent être accordés à des édifices religieux à usage mixte (cultuel et culturel). Par exemple :
      • En 2011, le Conseil d’État a validé des subventions pour l’installation d’un orgue dans une église de Trélazé, car cet orgue avait également un usage culturel.
      • De même, la ville de Lyon a pu financer un ascenseur pour permettre l’accès à la basilique de Fourvière aux personnes à mobilité réduite.

D. Les enjeux contemporains de la liberté religieuse

  1. Les débats récents sur le financement des mosquées :
    • Le manque de lieux de culte musulmans en France est une problématique récurrente. Le financement de ces lieux par des fonds étrangers soulève des interrogations sur la souveraineté nationale et la transparence des financements.
    • La loi de 2021 sur le séparatisme a introduit des mesures pour limiter les financements étrangers des cultes et renforcer le contrôle sur les associations cultuelles.
  2. La lutte contre le séparatisme :
    • Cette loi vise à garantir que les pratiques religieuses respectent les valeurs républicaines. Elle prévoit notamment des sanctions pour les associations ou les lieux de culte qui prônent des discours contraires à la laïcité ou aux droits fondamentaux.
  3. Les tensions autour de la visibilité religieuse :
    • Le débat sur les crèches dans les mairies, les processions religieuses ou les prières de rue illustre les défis posés par la cohabitation entre convictions religieuses et neutralité de l’espace public. Ces pratiques sont tolérées si elles respectent l’ordre public et le principe de neutralité.

II) Histoire de la relation entre l’église et l’Etat : La théorie des deux glaives

Ces deux visions antagonistes, celle de la suprématie spirituelle et celle de la prédominance temporelle, ont façonné les relations entre les Églises et les États à travers l’histoire. Si les équilibres varient selon les époques et les contextes nationaux, elles demeurent des références pour comprendre les défis liés à l’articulation entre religion et politique, que ce soit au Moyen Âge ou dans le cadre des démocraties modernes.

A. La théorie des deux glaives : la suprématie du pouvoir spirituel

La théorie des deux glaives, élaborée à partir d’interprétations bibliques et théologiques, postule une hiérarchie entre deux pouvoirs : le pouvoir spirituel, incarné par l’Église, et le pouvoir temporel, représenté par les souverains civils. Selon cette conception, le pouvoir spirituel est supérieur et légitime à encadrer ou orienter les décisions du pouvoir temporel. Ce modèle repose sur l’idée que le bien spirituel, visant au salut des âmes, prévaut sur les considérations matérielles ou politiques.

Cette vision a été mise en avant par le pape Boniface VIII dans sa célèbre bulle Unam Sanctam (1302). Ce texte affirme de manière explicite la suprématie de l’Église catholique et du pape sur tous les souverains. À travers cette bulle, Boniface VIII tente de soumettre Philippe le Bel, roi de France, en proclamant que tout pouvoir temporel doit se subordonner à l’autorité spirituelle.

Cependant, la réponse de Philippe le Bel, farouche défenseur de l’indépendance royale, illustre une résistance historique des pouvoirs temporels à cette théorie. Cet affrontement aboutira à des événements marquants comme l’arrestation brutale du pape par les émissaires royaux en 1303, symbolisant une défiance des souverains vis-à-vis de cette doctrine.

Dans un contexte contemporain, bien que la séparation entre les pouvoirs spirituel et temporel soit inscrite dans le droit de nombreux États, des tensions similaires émergent parfois dans certains pays où des autorités religieuses tentent d’intervenir dans la sphère politique. On peut citer l’influence de figures religieuses sur des décisions politiques en Pologne, ou encore la place controversée de la charia dans certains pays à majorité musulmane.

B. La théorie de la prééminence du pouvoir temporel

À l’opposé, une autre école de pensée défend la suprématie du pouvoir temporel sur le spirituel. Cette vision affirme que l’autorité civile détient la responsabilité ultime de gouverner sans interférence des institutions religieuses. Dans ce cadre, l’Église doit se cantonner à son rôle spirituel et ne pas s’immiscer dans les affaires de l’État.

Cette théorie s’incarne dans la symbolique du clerc et du chevalier, figures respectivement des pouvoirs spirituel et temporel. Dans cette confrontation métaphorique, le chevalier, représentant le pouvoir civil et la souveraineté étatique, finit par l’emporter, affirmant ainsi la prédominance du pouvoir séculier.

Des exemples historiques notables viennent renforcer cette idée. En Angleterre, Henri VIII, lors de la Réforme anglaise, s’affranchit de l’autorité du pape en établissant l’Église anglicane. Ce mouvement marque un tournant dans les rapports entre les deux pouvoirs en Europe, illustrant un rejet de l’hégémonie spirituelle au profit de l’indépendance nationale.

Aujourd’hui, la prééminence du pouvoir temporel est un principe largement admis dans les démocraties modernes, comme le montre le modèle français de laïcité, où l’État se présente comme neutre vis-à-vis des religions, tout en maintenant une stricte séparation entre la sphère publique et les institutions religieuses. Cependant, dans des contextes où les institutions religieuses exercent une forte influence culturelle, ce principe est parfois remis en question.

III) L’originalité de la situation française

A. Une contradiction fondatrice : entre fille aînée de l’Église et fille aînée de la République

La France se distingue par une double filiation historique qui illustre une contradiction apparente. Elle est à la fois « fille aînée de l’Église », en raison de son rôle historique dans l’expansion du christianisme, et « fille aînée de la République », incarnant les valeurs de la Révolution française, souvent opposées aux institutions religieuses.

  1. La France comme fille aînée de l’Église :
    • Cet héritage trouve ses racines dans des événements symboliques comme la consécration de la France à la Vierge Marie par Louis XIII en 1638. Ne parvenant pas à obtenir un héritier, le roi prie pour une intervention divine et, à la naissance de son fils (futur Louis XIV), il déclare la France protégée par la Vierge. Ce geste affirme la place centrale de la religion catholique dans l’identité nationale.
    • Cet ancrage religieux est encore perceptible dans certains symboles contemporains. Par exemple, de nombreuses fêtes nationales ou régionales continuent de s’appuyer sur des traditions religieuses, malgré la séparation entre l’État et les cultes instaurée en 1905.
  2. La France comme fille aînée de la République :
    • À l’inverse, la Révolution française a marqué une rupture décisive avec la domination religieuse. Le 8 mai 1906, lors de débats à l’Assemblée nationale sur la création d’un ministère du travail et de la prévoyance sociale, l’idée que la République devait rompre avec les dogmes religieux a été affirmée.
    • La France s’est ainsi imposée comme un pays à l’avant-garde des idéaux laïques, malgré les résistances religieuses, illustrant un basculement progressif vers une société émancipée des tutelles ecclésiastiques.

B. Des droits accordés tardivement en raison des tensions religieuses

L’originalité française réside aussi dans le décalage temporel de l’octroi de certains droits fondamentaux, en raison des tensions entre religion et République.

  1. Le droit de vote des femmes : une avancée retardée :
    • La France a accordé le droit de vote aux femmes en 1944, soit bien après des pays comme la Turquie (1930) ou la Nouvelle-Zélande (1893). Ce retard est principalement dû à l’opposition de la gauche républicaine, qui craignait que les femmes, jugées plus religieuses et conservatrices, votent pour des partis de droite proches de l’Église catholique.
    • Ce préjugé a longtemps freiné l’évolution démocratique, même si, aujourd’hui, la participation féminine en politique illustre un véritable tournant dans les valeurs républicaines.
  2. La liberté d’association et la méfiance envers le clergé régulier :
    • La loi de 1901, qui garantit la liberté d’association, a été un tournant pour les droits civiques en France. Cependant, cette loi excluait explicitement les congrégations religieuses, alimentant une tension persistante entre les institutions religieuses et l’État.
    • Cette exclusion reflète une peur républicaine que le clergé régulier, souvent perçu comme soumis à Rome, puisse s’organiser en associations influentes et contrer les projets laïques de l’État. Ce verrou a marqué durablement les relations entre l’Église catholique et les autorités françaises.
  3. Exemples contemporains :
    • Ces tensions historiques continuent de se manifester, notamment dans les débats sur la place des religions dans l’espace public, comme le port des signes religieux à l’école (loi de 2004). Par ailleurs, la gestion des congrégations religieuses reste un sujet sensible, notamment avec l’émergence de nouvelles communautés spirituelles.
    • Plus récemment, la loi « séparatisme » de 2021, visant à lutter contre l’islamisme radical, a renforcé le contrôle de l’État sur les associations religieuses, illustrant une continuité dans la méfiance vis-à-vis des organisations perçues comme non conformes aux principes républicains.

IV) Une forme de paix religieuse : Le Concordat (1804-1901)

A. L’adoption du Concordat

  1. Un contexte de tensions et de rupture religieuse :
    • À la fin du XVIIIe siècle, la France traverse une période tumultueuse marquée par la Révolution française et la montée de l’anticléricalisme. La Révolution avait aboli les privilèges de l’Église et nationalisé ses biens, créant un fossé profond entre les autorités religieuses et l’État.
    • Les tensions atteignent leur paroxysme pendant la période de la Terreur, où de nombreuses persécutions religieuses ont lieu, alimentant un climat de défiance mutuelle entre les citoyens croyants et le gouvernement révolutionnaire.
  2. L’arrivée de Napoléon et la recherche de stabilité :
    • Napoléon Bonaparte, en quête de légitimité politique et désireux de pacifier la société française, conclut en 1801 le Concordat avec le pape Pie VII, officiellement mis en œuvre en 1804. Ce traité vise à rétablir des relations apaisées entre l’État et l’Église catholique, tout en plaçant les cultes sous le contrôle étroit de l’État.
    • Le tombeau de Napoléon, lieu symbolique de l’héritage bonapartiste, rappelle l’importance de ce Concordat dans la réorganisation de la société française et la réconciliation religieuse après les conflits révolutionnaires.
  3. Un compromis entre l’État et les religions :
    • Le Concordat établit un cadre où la religion catholique est reconnue comme « la religion de la majorité des Français », mais l’État conserve une autorité significative sur son fonctionnement. Par exemple, la nomination des évêques est soumise à l’approbation du chef de l’État, renforçant ainsi le contrôle politique sur les institutions religieuses.
    • Outre le catholicisme, le Concordat reconnaît également trois autres cultes : le protestantisme réformé, le protestantisme luthérien (église d’Augsbourg) et le judaïsme. Cette reconnaissance pluraliste reflète une volonté d’intégration des minorités religieuses.

B. Le régime du Concordat

  1. Les principes fondamentaux du Concordat :
    • Le Concordat repose sur 39 articles, régissant l’organisation et le financement des cultes reconnus :
      • Les cultes sont considérés comme des services publics, les ministres des cultes devenant des fonctionnaires rémunérés par l’État.
      • Les lieux de culte sont mis à la disposition des communautés religieuses, mais restent la propriété de l’État ou des communes.
  2. Les réalisations bonapartistes :
    • Le Concordat s’inscrit dans une politique de réorganisation globale menée par Napoléon, incluant les réformes militaires et administratives. Il offre une stabilité institutionnelle et met fin aux conflits religieux qui avaient marqué la Révolution.
  3. Les critiques et les dérives :
    • Au fil du temps, des critiques émergent sur le Concordat, jugé trop favorable à l’Église catholique. Cette situation alimente le mécontentement des Républicains, qui dénoncent le coût financier des cultes et la persistance de l’influence religieuse dans la sphère publique.
    • À l’approche de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, le Concordat est parfois surnommé le « Discordat », soulignant son caractère problématique dans une société de plus en plus sécularisée.
  4. Une exception contemporaine : l’Alsace-Moselle :
    • Bien que le Concordat soit abrogé en 1905, il reste en vigueur dans certaines régions comme l’Alsace-Moselle, annexées par l’Allemagne au moment de la séparation. Ces territoires continuent aujourd’hui à bénéficier d’un régime particulier, où les ministres des cultes des quatre religions reconnues sont toujours rémunérés par l’État.
    • Ce régime spécifique suscite des débats récurrents sur la compatibilité avec le principe de laïcité, mais il demeure un héritage culturel fort.

C. L’évolution et les répercussions du Concordat

  1. Un modèle pour d’autres pays ? :
    • Le Concordat français a inspiré d’autres accords similaires entre le Vatican et divers États, notamment en Italie ou en Espagne, où des formes de coopération entre l’Église et l’État subsistent.
  2. Les limites du modèle concordataire :
    • L’une des principales critiques adressées au Concordat est l’idée qu’il consacre une inégalité entre les religions. Certaines confessions, comme l’islam, qui n’étaient pas reconnues à l’époque, n’ont pas bénéficié de ce cadre juridique. Cette situation alimente aujourd’hui des tensions sur la représentativité des cultes et leur financement.
  3. Exemples récents d’interrogations sur le Concordat :
    • Les débats sur la représentativité des religions en France, comme la création du Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003, illustrent les défis posés par l’intégration des cultes qui n’étaient pas pris en compte par le Concordat.
    • La loi contre le séparatisme adoptée en 2021 vise à renforcer le contrôle de l’État sur les financements étrangers des cultes, témoignant des préoccupations contemporaines en matière de régulation religieuse.

V) La séparation des Églises et de l’État

A. La route vers la séparation

  1. Un contexte de lutte entre République et Église :
    • La période précédant la loi de 1905 est marquée par une lutte acharnée entre les Républicains et l’Église catholique. Les Républicains, souvent anticléricaux, s’opposent à un système concordataire qu’ils considèrent comme un vestige monarchique.
    • L’Église catholique est, à cette époque, divisée en deux groupes :
      • Le clergé séculier, qui agit dans les paroisses.
      • Le clergé régulier, composé des congrégations religieuses.
    • Cette opposition culmine avec des mesures anticléricales marquantes, comme les décrets de 1880, qui expulsent plusieurs congrégations religieuses, notamment enseignantes, hors de France.
  2. La remise en cause du Concordat :
    • Le Concordat de 1801 devient progressivement insoutenable pour les Républicains. D’une part, le financement des cultes pèse sur le budget public, et d’autre part, l’influence de l’Église sur la vie publique est perçue comme une menace pour la neutralité de l’État.
    • L’idée de nationaliser les biens du clergé refait surface, alimentant un climat de tension entre les défenseurs de l’Église et les partisans d’une République laïque.
  3. Des événements marquants amplifiant la séparation :
    • L’affaire Dreyfus (1894-1906) joue un rôle catalyseur, exacerbant l’anticléricalisme au sein des milieux républicains. L’attitude de l’Église, qui soutient majoritairement la culpabilité de Dreyfus, renforce l’opposition des Républicains.
    • La loi de 1901 sur la liberté d’association exclut les congrégations religieuses, marquant un pas important vers la séparation.

B. L’adoption de la loi de séparation

  1. Une adoption marquée par des tensions violentes :
    • Le débat sur la séparation s’articule autour de deux projets majeurs :
      • Le projet d’Émile Combes, figure emblématique de l’anticléricalisme, propose une séparation stricte où les cultes seraient étroitement contrôlés par l’État. Il prévoit notamment l’interdiction des cultes étrangers, une nationalisation des édifices religieux et des restrictions sur les associations cultuelles.
      • Ce projet échoue en 1904 à cause de l’affaire des fiches, un scandale impliquant un système de fichage des militaires selon leurs croyances religieuses, dévoilé à l’Assemblée nationale. Ce scandale discrédite Combes et entraîne l’abandon de son projet.
      • Le projet d’Aristide Briand, plus modéré, aboutit à une loi qui garantit la liberté de conscience tout en séparant clairement l’Église de l’État. Ce projet est adopté en 1905, après des débats parlementaires parmi les plus longs de la IIIe République.
  2. Les principes fondamentaux de la loi de 1905 :
    • L’article 1 affirme : « La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. »
    • L’article 2 stipule : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Cela signifie que les ministres du culte ne sont plus payés par l’État, et les cultes doivent désormais s’organiser et se financer de manière autonome.
    • Les édifices religieux construits avant 1905 deviennent la propriété des communes, mais restent affectés à leur usage cultuel tant qu’ils en ont besoin.
  3. Les réactions et les résistances à la loi :
    • La loi de 1905 suscite de vives résistances, notamment de l’Église catholique. Le Vatican menace d’excommunier les députés ayant voté la loi, tandis que certains évêques encouragent la désobéissance.
    • Les tensions atteignent leur apogée lors de l’inventaire des biens religieux (1906), où des affrontements éclatent entre les forces de l’ordre et les fidèles. Cet épisode révèle l’intensité du conflit entre la République et l’Église.
  4. L’impact sur les autres cultes :
    • La séparation affecte aussi les autres religions reconnues par le Concordat (protestantisme et judaïsme). Ces cultes doivent également se réorganiser sous forme d’associations cultuelles, selon les nouvelles exigences de la loi.
  5. Les compromis nécessaires pour apaiser les tensions :
    • Pour surmonter les oppositions catholiques, des négociations aboutissent à des ajustements. En 1924, un accord entre le Vatican et la France introduit la possibilité pour les catholiques de former des associations diocésaines, permettant de préserver la hiérarchie ecclésiastique.

C. Une loi aux conséquences durables

  1. Un modèle de laïcité française :
    • La loi de 1905 devient un pilier du modèle républicain français, garantissant la neutralité de l’État vis-à-vis des religions. Elle est régulièrement invoquée dans les débats sur la place des religions dans l’espace public.
  2. Des exceptions et des adaptations :
    • Certaines régions, comme l’Alsace-Moselle, conservent le régime concordataire en raison de leur rattachement tardif à la France. Ces territoires continuent à rémunérer les ministres des cultes reconnus, ce qui suscite des débats récurrents sur la compatibilité avec la laïcité.
  3. Un exemple récent : la loi contre le séparatisme (2021) :
    • La loi du 24 août 2021 vise à renforcer le cadre posé par la loi de 1905, en imposant un contrôle plus strict des financements étrangers des cultes et en luttant contre les dérives communautaristes. Cette loi illustre l’actualité de la question de la séparation des Églises et de l’État dans le contexte contemporain.

VI) La cohabitation des Églises et de l’État

A. L’existence de la cohabitation

  1. Une séparation juridique, mais une interaction pratique :
    • Malgré la loi de 1905 et son principe de séparation, la cohabitation entre l’État et les Églises reste une réalité tangible. Cette coexistence s’illustre par des formes d’intervention de l’État dans les affaires cultuelles, souvent justifiées par des considérations d’intérêt public.
    • Certaines pratiques, comme le financement des aumôneries dans les prisons, les hôpitaux ou les écoles, montrent que l’État joue un rôle actif dans l’organisation des cultes, particulièrement dans les lieux où les citoyens dépendent des services publics.
  2. La frontière entre public et privé :
    • Bien que la sphère religieuse relève du domaine privé, des zones de contact existent entre les deux sphères. Les édifices religieux antérieurs à 1905, par exemple, appartiennent souvent aux communes, qui ont l’obligation de les entretenir, tout en respectant leur usage cultuel.
  3. Une perméabilité justifiée par l’histoire :
    • En France, l’histoire religieuse et politique a créé une tradition de coexistence entre les deux sphères. Certaines cérémonies officielles ou symboles religieux restent ancrés dans la vie publique, comme la présence de représentants religieux lors de cérémonies d’État ou l’invitation de chefs religieux à l’Élysée.

B. Deux illustrations de la cohabitation

  1. Les fêtes nationales et la dimension religieuse :
    • La cohabitation entre l’État et les Églises s’exprime par des symboles et des événements historiques.
    • La fête nationale de Jeanne d’Arc, instituée en 1920 par la loi du 10 juillet, incarne cette coexistence. Jeanne d’Arc, à la fois héros catholique et symbole républicain, est célébrée comme une figure de réconciliation entre la République et le catholicisme.
    • Cette fête illustre aussi la capacité de la République à reconnaître des symboles religieux dans une optique patriotique.
  2. La gestion des édifices cultuels :
    • Les églises, cathédrales et autres édifices religieux construits avant 1905 sont propriété publique, mais leur usage reste dédié aux cultes. Cela crée une imbrication entre les responsabilités de l’État ou des collectivités locales et les besoins des cultes.
    • Les dépenses d’entretien et de restauration, bien qu’assumées par les communes, doivent respecter le principe de neutralité religieuse. Cependant, l’utilisation de ces édifices pour des activités culturelles permet une certaine flexibilité dans l’interprétation de la laïcité, comme l’ont montré les arrêts du Conseil d’État en 2011 concernant le financement d’un orgue ou d’un ascenseur pour la Basilique de Fourvière.
  3. Les aumôneries comme vecteur de cohabitation :
    • Les aumôneries dans les établissements publics (prisons, hôpitaux, lycées) sont des exemples concrets de la persistance d’une relation entre l’État et les cultes. En 2021, une réflexion a été relancée sur le rôle des aumôneries et leur financement, dans le cadre de la loi sur le séparatisme, pour garantir qu’elles respectent les principes républicains.

C. Les tensions et adaptations contemporaines

  1. Les enjeux du pluralisme religieux :
    • La gestion des cultes minoritaires, notamment l’islam, pose des défis spécifiques à la cohabitation. Le financement des mosquées ou la formation des imams suscitent des débats récurrents, souvent amplifiés par des préoccupations sécuritaires ou liées au financement étranger.
    • La création du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) en 2003 et la récente mise en place de la Charte des principes pour l’islam de France montrent que l’État cherche à structurer cette cohabitation.
  2. Les débats autour de la visibilité religieuse :
    • L’interdiction de certains signes religieux dans l’espace public, comme le port du voile intégral (loi de 2010), reflète une tension entre le principe de neutralité et la liberté de culte.
    • Ces débats montrent que la cohabitation reste fragile et nécessite un équilibre entre respect des convictions individuelles et préservation des principes républicains.
  3. Les adaptations locales :
    • Dans certaines régions comme l’Alsace-Moselle, le régime concordataire est toujours en vigueur, permettant la rémunération des ministres des cultes. Cette situation spécifique témoigne d’une forme d’exception dans le modèle républicain, régulièrement contestée mais justifiée par son héritage historique.

VII) Le financement des cultes en France

A. Les subventions interdites : la rigueur du principe de séparation

  1. L’interdiction du financement direct des cultes :
    • En vertu de la loi de 1905, l’État, les collectivités locales et les communes ne peuvent accorder de subventions directes aux cultes.
    • Les associations cultuelles, spécifiquement créées pour gérer les activités religieuses, ne peuvent recevoir de financement public pour leurs activités purement cultuelles.
  2. Exceptions limitées :
    • Certains financements à visée culturelle ou sociale peuvent être assimilés à une aide indirecte, mais ils doivent respecter strictement les principes de neutralité et d’égalité.

B. Les subventions obligatoires : le rôle des aumôneries

  1. Garantir l’exercice des cultes dans les lieux publics :
    • L’article 2 alinéa 2 de la loi de 1905 prévoit que des fonds publics peuvent être alloués aux aumôneries dans des établissements tels que les prisons, les hôpitaux, les lycées et les casernes militaires.
    • Ces aumôneries assurent le libre exercice des cultes dans des contextes où les individus n’ont pas la possibilité de pratiquer leur religion autrement.
  2. Les aumôniers comme agents publics :
    • Les aumôniers sont rémunérés par l’État pour garantir cette mission de service public. Cette disposition est souvent vue comme un équilibre entre laïcité et respect des droits fondamentaux.

C. Les subventions autorisées : l’exception culturelle et sociale

  1. Les lieux de culte anciens et leur entretien :
    • Les édifices religieux construits avant 1905, nationalisés ou transférés aux collectivités locales, restent sous leur responsabilité. Par conséquent, l’État ou les communes doivent financer leur entretien et leur restauration.
    • Cela concerne principalement les églises catholiques, qui représentent une part importante du patrimoine culturel français.
  2. Activités mixtes : cultuelles et culturelles :
    • Le financement des lieux de culte est possible lorsque ces lieux remplissent une fonction mixte (cultuelle et culturelle). Exemples récents :
      • CE, 2011, Commune de Trélazé : un orgue installé dans une église pouvait être financé car il servait à la fois aux cérémonies religieuses et à des événements culturels.
      • CE, 2011, Fédération de la libre pensée : le financement d’un ascenseur dans la basilique de Fourvière pour permettre l’accès des personnes à mobilité réduite a été validé pour des raisons d’intérêt public.
  3. Le cas particulier des mosquées :
    • Le manque de lieux de culte musulmans en France a conduit à des tensions autour de leur financement. La construction des mosquées repose souvent sur des financements étrangers, ce qui a suscité des craintes sur l’influence extérieure.
    • La loi du 24 août 2021, adoptée dans le cadre de la lutte contre le séparatisme, impose une transparence accrue sur les financements des associations cultuelles et limite les apports étrangers.

D. Les enjeux contemporains liés au financement des cultes

  1. La montée des besoins religieux diversifiés :
    • Avec la diversité croissante des pratiques religieuses, des défis se posent pour garantir un équilibre entre la neutralité de l’État et la satisfaction des besoins cultuels.
    • Les revendications des communautés musulmanes pour la construction de mosquées illustrent ces tensions.
  2. La compatibilité entre laïcité et subventions :
    • Le Conseil d’État a reconnu que des financements peuvent être alloués aux activités religieuses lorsqu’elles s’inscrivent dans un cadre d’intérêt général ou culturel, tout en respectant les principes de laïcité.
    • Exemples récents :
      • CE, 2011, Communauté urbaine du Mans : une partie du financement d’un abattoir produisant de la viande halal a été validée, car il s’agissait d’une activité mixte.
  3. Les débats autour des nouvelles législations :

    • La loi de 2021 sur le séparatisme a introduit des contrôles renforcés sur les financements étrangers, visant notamment les associations cultuelles, et interdit des pratiques telles que la délivrance de certificats de virginité.
    • Ce cadre législatif vise à garantir que les pratiques religieuses respectent les valeurs républicaines, tout en s’assurant que les aides publiques restent dans les limites de la neutralité.

Laisser un commentaire