Quels sont les droits et les libertés des fonctionnaires ?
Bien que le fonctionnaire soit avant tout un citoyen, avec les droits inhérents à cette condition, sa situation est unique en raison de son statut statutaire et réglementaire. Cela inclut un cadre très structuré pour sa carrière, qui influence considérablement ses droits et obligations.
- Nécessité d’équilibre : Le droit de la fonction publique a pour mission d’assurer un équilibre entre les droits du fonctionnaire en tant que citoyen et les obligations particulières qui lui sont imposées. Ces obligations sont liées à sa mission spécifique de servir l’intérêt général. Ce rôle particulier justifie certaines restrictions en matière de libertés et de droits.
- Progression des droits et libertés : Depuis le 19ème siècle, les droits et libertés des citoyens, y compris ceux des fonctionnaires, ont régulièrement progressé. Cette évolution reflète une prise de conscience et une valorisation accrue des droits individuels dans la société.
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Bénéfice des libertés publiques : Les fonctionnaires bénéficient de la plupart des libertés publiques reconnues à tous les citoyens. De plus, ils jouissent également de droits spécifiques liés à leur statut de fonctionnaire. Ces droits sont conçus pour être en adéquation avec les responsabilités uniques qu’ils assument au sein de l’administration publique.
Liberté d’opinion et d’expression syndicale
- Contexte historique du 19ème siècle : À l’origine, au 19ème siècle, les fonctionnaires étaient soumis à un régime très restrictif en matière de libertés publiques. Il était alors considéré que les spécificités de leur mission justifiaient une limitation de l’exercice de leurs libertés comparé aux citoyens ordinaires. M. Hauriou, un juriste influent, les qualifiait de « citoyens spéciaux », soulignant ainsi leur statut distinct.
- Évolution avec le statut de 1946 : L’adoption du grand statut de 1946 a marqué un tournant significatif. Sous l’influence du Conseil d’État et d’une vision plus progressiste de la fonction publique, le régime applicable aux fonctionnaires s’est rapproché de celui des citoyens ordinaires. Cette évolution a notamment vu la reconnaissance et l’élargissement des libertés d’opinion et d’expression, syndicale, et du droit de grève pour les fonctionnaires.
- Restrictions actuelles : Malgré cette évolution, les libertés publiques des fonctionnaires connaissent encore aujourd’hui certaines restrictions importantes. Ces limitations, telles que le devoir de réserve, l’obligation de neutralité, et certaines restrictions spécifiques concernant le droit de grève et la liberté syndicale, sont justifiées par la nature de leurs missions et le besoin d’assurer la continuité et l’impartialité du service public.
§1 — les libertés d’opinion et d’expression
En France, les fonctionnaires bénéficient d’une large liberté d’opinion et d’expression. Cette liberté est proche de celle accordée aux autres citoyens, mais elle comporte certaines spécificités liées à leur statut de fonctionnaire.
- Droit de la fonction publique
- Les devoirs du fonctionnaire : dignité, loyauté, impartialité, neutralité
- Les obligations du fonctionnaire (servir, obéissance, probité…)
- Ttraitement et pension du fonctionnaire (droits pécuniaires)
- Le droit à la protection du fonctionnaire
- Le droit de grève des fonctionnaires
- Libertés d’expression et syndicale des fonctionnaires
- Libertés similaires mais non identiques : Bien que les fonctionnaires jouissent de libertés fondamentales similaires à celles des autres citoyens, ces libertés ne sont pas tout à fait identiques. Leur statut particulier au sein de l’administration publique implique certaines restrictions, principalement liées au besoin de préserver la neutralité, l’impartialité et l’efficacité du service public.
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Limites dans le mode d’expression : Les fonctionnaires sont quelque peu limités quant à la manière d’exprimer leur liberté. Par exemple, ils sont soumis à des obligations telles que le devoir de réserve et le principe de neutralité lorsqu’ils sont en service. Ces restrictions visent à garantir que l’exercice de leurs fonctions ne soit pas influencé par leurs opinions personnelles et que la confiance du public envers l’administration soit préservée.
A. La liberté d’opinion
La garantie de la liberté d’opinion pour les fonctionnaires assure la protection des droits individuels et la prévention des discriminations basées sur les convictions personnelles. Cette disposition contribue à maintenir un environnement professionnel impartial et respectueux des diversités idéologiques et religieuses.
- Principe de liberté absolue : Les fonctionnaires jouissent d’une liberté absolue concernant leurs opinions politiques, philosophiques, syndicales et religieuses. Ils ont le droit de penser librement et d’avoir leurs propres convictions.
- Application durant le recrutement et la carrière : Cette liberté s’applique aussi bien lors du concours administratif que tout au long de la carrière des fonctionnaires.
- Fondement constitutionnel : Ce principe a une valeur constitutionnelle, comme l’énonce l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et le préambule de la Constitution de 1946, qui stipulent que nul ne peut être lésé dans son travail en raison de ses opinions ou de ses croyances.
- Transcription dans le statut général des fonctionnaires : Le statut général des fonctionnaires de 1983 reprend ce principe en affirmant explicitement que « la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires ». De même, les statuts des militaires, y compris ceux de 1972 et de 2005, disposent de la même règle de liberté d’opinion.
- Interdiction de discrimination : Les statuts renforcent cette liberté en précisant qu’il est interdit à l’administration de mentionner les opinions et croyances des agents dans leur dossier administratif. Cette disposition fait écho au scandale des fiches en France, où les opinions politiques et religieuses des militaires étaient utilisées pour influencer leur carrière, ce qui avait conduit à un scandale majeur.
Il existe deux exceptions notables à la règle générale de liberté d’opinion des fonctionnaires :
- Emplois concernés par la mise en œuvre de la politique gouvernementale : Il s’agit des emplois supérieurs ou des postes à la discrétion du gouvernement. Dans ces cas, les fonctionnaires occupant ces positions sont souvent impliqués de manière directe dans l’application des politiques gouvernementales. De ce fait, une certaine adéquation entre leurs opinions politiques et celles du gouvernement en place peut être considérée comme nécessaire pour le bon fonctionnement de l’administration.
- Emplois fonctionnels dans la Fonction Publique Territoriale : Ces emplois sont généralement situés très proches des responsables politiques (comme un ministre ou un maire). Il est admis que le responsable politique doit pouvoir avoir confiance en ces agents, y compris sur un plan politique. Par conséquent, ces fonctionnaires ne peuvent pas jouir de la même liberté d’expression que les autres fonctionnaires en ce qui concerne leurs opinions politiques. Si ces agents manifestent des opinions politiques contraires à celles de leurs supérieurs hiérarchiques, ils risquent de perdre leur emploi.
B. La liberté d’expression
On fait la distinction entre le fonctionnaire quand il est en service et le fonctionnaire « hors service »
1. Le fonctionnaire en service
Le respect du principe de neutralité par les fonctionnaires en service est important pour assurer l’impartialité et l’équité du service public. Cela contribue à maintenir la confiance du public dans les institutions publiques, tout en reconnaissant certaines exceptions nécessaires à la liberté académique et à l’expression de la pensée critique dans l’éducation.
- Principe de neutralité du Service public : Lorsqu’un fonctionnaire est en service, il est impératif qu’il respecte le principe de neutralité. Cela signifie qu’il ne peut pas manifester ses opinions personnelles, en particulier en présence des administrés. En tant que représentant du service public, le fonctionnaire est au service de l’ensemble des citoyens et ne doit pas utiliser sa position pour exprimer ses idées personnelles.
- Exceptions pour les universitaires et les professeurs de philosophie : Le principe de stricte neutralité ne s’applique pas de manière identique aux universitaires et aux professeurs de philosophie. Pour ces professions, il est essentiel que des opinions diverses et dissidentes puissent être librement exprimées, compte tenu de la nature de leur travail académique et éducatif.
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Exigences de tolérance et d’objectivité : Bien qu’ils bénéficient d’une plus grande liberté d’expression, les universitaires et les professeurs de philosophie doivent néanmoins faire preuve de tolérance et d’objectivité dans leurs enseignements. Ils sont notamment tenus de respecter la vérité historique et scientifique. Un manquement à ces principes peut entraîner des sanctions légales, comme dans le cas d’un maître de conférences qui aurait nié l’existence des chambres à gaz devant des étudiants.
2. Le fonctionnaire « hors service » des ses fonctions
Principe général de liberté d’expression : Hors service, un fonctionnaire jouit d’une liberté d’expression plus étendue. Il peut s’engager dans un parti politique, militer, publier des écrits, ou fréquenter tout lieu de culte, dans le respect de sa liberté individuelle.
Limites à cette liberté :
- Obligation de réserve : Bien qu’elle ne soit pas explicitement mentionnée dans les textes, l’obligation de réserve est issue de la jurisprudence, notamment de l’arrêt du Conseil d’État du 11 janvier 1935 (Bouzanquet). Elle impose aux fonctionnaires, même hors service, de faire preuve de mesure et de pondération lorsqu’ils expriment publiquement leurs opinions. L’application de cette obligation varie en fonction des fonctions occupées, du niveau hiérarchique, et de la relation entre les fonctions et les propos tenus. Certains fonctionnaires, comme les magistrats ou les policiers, sont soumis à une obligation de réserve plus stricte. Par exemple, un magistrat participant à une manifestation sur la réforme des retraites ne doit pas s’exprimer publiquement sur la situation politique ou le gouvernement.
- Obligation de loyalisme : Cette obligation, établie dans les textes, signifie qu’un fonctionnaire peut critiquer le gouvernement mais ne doit pas adopter une attitude ouvertement anti-nationale, appeler à un coup d’État, ou soutenir la défaite militaire du pays. La critique de l’État est permise tant qu’elle ne bascule pas dans l’antinationalisme. Il est possible d’être en désaccord avec le gouvernement sans être contre la Nation.
Liberté d’expression accrue pour les fonctionnaires syndicaux : Le Conseil d’État, dans son arrêt du 18 mars 1956 (Boddaert), a reconnu une plus grande liberté d’expression aux fonctionnaires titulaires d’un mandat syndical.
§2 — la liberté syndicale
La reconnaissance et l’institutionnalisation de la liberté syndicale dans la fonction publique témoignent de l’importance accordée au droit des fonctionnaires de se regrouper et de défendre collectivement leurs intérêts professionnels. Le but est de favoriser le dialogue social avec les autorités gouvernementales.
- Évolution historique : Avant le statut de 1946, les fonctionnaires ne jouissaient pas de la liberté syndicale. Cependant, le préambule de la Constitution de 1946 a reconnu cette liberté, affirmant dans son alinéa 6 que « la liberté syndicale est reconnue à tout homme ». Cette reconnaissance a été confirmée par le statut de 1983.
- Droit individuel à l’adhésion syndicale : Chaque fonctionnaire a le droit individuel d’adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat, de participer activement à ses activités ou de créer un nouveau syndicat.
- Institutionnalisation du syndicalisme fonctionnaire : Depuis le statut de 1983, le syndicalisme des fonctionnaires a connu une certaine institutionnalisation. L’objectif était d’aller au-delà de la simple reconnaissance de la liberté syndicale, en accordant aux syndicats de fonctionnaires un rôle privilégié dans les discussions avec le gouvernement, à l’instar des grands syndicats du secteur privé.
- Avantages accordés aux représentants syndicaux : Le statut de 1983 reconnaît plusieurs avantages aux représentants syndicaux, tels que des autorisations d’absences pour activité syndicale, des décharges d’activités de service, et la possibilité d’utiliser des locaux dans les bâtiments administratifs.
- Taux de syndicalisation dans la fonction publique : Le taux de syndicalisation y est plus élevé que dans le secteur privé. Alors que le secteur privé compte moins de 8% de syndiqués, la fonction publique en compte 18,4%. Ce taux varie considérablement selon les administrations, avec un taux très élevé dans la police (70%) et 24% chez les enseignants.
- Existence de syndicats spécifiques : La Fédération Syndicale Unitaire (FSU) est un exemple de syndicat spécifique aux fonctionnaires. En parallèle, tous les grands syndicats nationaux ont une représentation pour les fonctionnaires.
Limites de la liberté syndicale dans la fonction publique :
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Compatibilité avec d’autres devoirs : La liberté syndicale des fonctionnaires ne les dispense pas de leurs autres devoirs professionnels. Parmi ceux-ci, le devoir d’obéissance à l’égard des supérieurs hiérarchiques reste primordial. Par exemple, une autorisation accordée pour un meeting syndical ne peut être détournée de son objet initial sans constituer un acte de désobéissance.
- Exclusions pour raisons d’ordre public : Dans certains cas, les exigences de l’ordre public justifient des restrictions à la liberté syndicale pour certaines catégories de fonctionnaires. Cela concerne notamment les préfets et sous-préfets (qui, suite à la réforme Macron de 2021, font partie du corps des administrateurs d’État) et la majorité des militaires. Les policiers bénéficient de la liberté syndicale mais sont privés du droit de grève.
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Limitation à la défense des intérêts professionnels : Les activités syndicales doivent se limiter à la défense des intérêts professionnels des membres. Ainsi, conformément à l’arrêt Etienne du 14 mars 1958, il est interdit aux syndicats de présenter un caractère politique dans leurs actions.
§3 — le droit de grève