Libertés fondamentales et droit pénal : (procès, garde à vue, détention provisoire, contrôle d’identité..)
La régularité du procès pénal et les garanties procédurales associées sont au cœur de l’État de droit. En France, ces principes trouvent leur fondement dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), qui consacre des droits essentiels tels que la légalité des délits et des peines, la présomption d’innocence et la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères. À l’échelle internationale, la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) vient renforcer ces garanties en assurant un droit à un procès équitable, une justice impartiale et l’interdiction des privations arbitraires de liberté.
Cependant, des problématiques subsistent, notamment sur le recours à la détention provisoire, les conditions de garde à vue, ou encore les procédures spéciales en matière de terrorisme. L’évolution législative et jurisprudentielle met en lumière les efforts constants pour concilier la lutte contre l’insécurité et le respect des droits fondamentaux, tout en répondant aux critiques liées à l’utilisation de ces mesures exceptionnelles.
I) La régularité du procès pénal
La régularité du procès pénal repose sur le respect des droits fondamentaux, notamment ceux garantis par la DDHC et la CEDH.
- Le droit des libertés
- Les sources nationales du droit des libertés fondamentales
- Les sources internationales des libertés fondamentales
- Le droit à la vie face à l’avortement et à l’euthanasie
- La liberté de conscience : définition, sources, limites
- La liberté d’aller et venir
- Les libertés face à la procédure pénale (garde à vue, détention…)
A) Les principes fondamentaux de procédure pénale
La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 établit trois principes essentiels à la régularité du procès pénal :
- Légalité des délits et des peines (article 8) : Aucun acte ne peut être sanctionné s’il n’est défini par la loi.
- Non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère (article 8).
- Présomption d’innocence (article 9).
Ces principes, élevés au rang constitutionnel par le Conseil constitutionnel, sont également renforcés par les articles 5, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). Ces derniers garantissent un procès équitable, l’indépendance et l’impartialité des juges, et interdisent la privation arbitraire de liberté.
B) Jurisprudences marquantes : contrôle des droits des détenus
L’arrêt CEDH, Ramirez Sanches c. France (27 janvier 2005) met en lumière les limites du traitement des détenus :
- Faits : Carlos, dit « le Chacal », maintenu à l’isolement en raison de sa dangerosité, a contesté devant la CEDH l’absence de recours contre cette mesure.
- Décision : Condamnation de la France pour violation de l’article 13 (absence de voie de recours effective). La Cour a néanmoins considéré que l’isolement n’atteignait pas le seuil de traitement inhumain ou dégradant (article 3).
C) Procédures spéciales : terrorisme
La loi du 9 septembre 1986 a introduit des cours d’assises spéciales composées uniquement de magistrats professionnels pour juger les affaires de terrorisme. Cette mesure vise à renforcer l’impartialité et la résistance aux pressions.
- Décision du Conseil constitutionnel (3 septembre 1986) : Les cours spéciales sont conformes à la Constitution, car composées de magistrats qualifiés.
- Loi du 23 janvier 2006 : Précision que les cours d’assises pour mineurs, dans les cas de terrorisme, sont également composées uniquement de juges professionnels.
II) La détention provisoire
La détention provisoire est une mesure exceptionnelle de privation de liberté avant jugement, visant à garantir le bon déroulement de la procédure pénale tout en respectant la présomption d’innocence. Bien qu’encadrée juridiquement, elle reste largement débattue en raison de son usage excessif et des conditions souvent dégradantes de détention.
1. Définition de la détention provisoire
La détention provisoire est régie par l’article 144 du Code de procédure pénale (CPP), qui en limite l’usage aux cas où elle est absolument nécessaire. Ses objectifs incluent :
- La préservation des preuves ou l’évitement de la concertation entre l’accusé et d’autres parties.
- La protection des témoins et des victimes contre des pressions.
- La prévention de récidives et le maintien de l’accusé à disposition de la justice.
- La préservation de l’ordre public dans les affaires graves.
Le placement en détention doit être précédé par des mesures alternatives, comme le contrôle judiciaire, sauf si celles-ci s’avèrent insuffisantes.
2. Évolutions législatives de la détention provisoire
Depuis les années 1970, plusieurs lois ont été adoptées pour renforcer les garanties procédurales et limiter les abus :
- Loi du 17 juillet 1970 : Insiste sur le caractère exceptionnel de la détention provisoire.
- Loi de 1984 : Prévoit un système de décision collégiale pour la détention, qui n’a jamais été appliqué.
- Loi de 1993 : Introduit le système de référé liberté, permettant à l’accusé de contester la décision du juge d’instruction.
- Loi de 2000 sur la présomption d’innocence : Création du Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Désormais, le juge d’instruction propose la mesure, mais le JLD décide, renforçant le contrôle judiciaire.
3. Alternatives et réformes Récentes
Des alternatives à la détention provisoire ont été développées pour en limiter l’usage excessif :
- Bracelet électronique : Devenu une option privilégiée depuis 2019 pour éviter l’incarcération.
- Réexamens périodiques : L’article 145-1 du CPP impose des évaluations régulières pour justifier la prolongation de la détention.
4. Problématiques et critiques
Surpopulation Carcérale : En 2023, la France comptait environ 72 000 détenus pour 60 000 places opérationnelles, avec un taux de surpopulation de 144 % dans les maisons d’arrêt. La détention provisoire représente près de 30 % des détenus, souvent pour des infractions mineures.
Conditions de Détention : Arrêt J.M.B. c. France (CEDH, 2020) : La France a été condamnée pour des conditions indignes, mettant en lumière l’insuffisance des espaces, l’accès limité aux soins et l’absence de programmes de réinsertion pour les détenus provisoires.
Responsabilité des Juges : Les juges préfèrent souvent recourir à la détention provisoire pour éviter d’être tenus responsables si un individu en liberté commet une infraction.
5. Indemnisation des détentions abusives
En cas d’abus ou d’erreur, une compensation financière est possible, bien que jugée souvent insuffisante, comme dans l’affaire Outreau. Des victimes d’erreurs judiciaires y ont reçu des indemnisations, mais celles-ci ne suffisent pas toujours à compenser les préjudices subis.
6. Mesures correctives
- Plan de modernisation carcérale (2023) :
- Construction de nouvelles prisons pour réduire la surpopulation.
- Amélioration des infrastructures existantes pour répondre aux standards européens.
III) La garde à vue
La garde à vue (GAV), codifiée à l’article 63 du Code de procédure pénale (CPP), permet aux forces de l’ordre de retenir temporairement une personne dans leurs locaux lorsqu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction. Elle est un outil essentiel pour le déroulement des enquêtes, mais son usage soulève des préoccupations en matière de respect des droits fondamentaux, notamment le principe de présomption d’innocence.
Conditions de mise en œuvre de la garde à vue
Pour qu’une garde à vue soit ordonnée, il doit exister des raisons plausibles de soupçonner la personne d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Cette mesure doit être nécessaire au bon déroulement de l’enquête, par exemple pour préserver des preuves ou prévenir des concertations frauduleuses entre complices.
L’officier de police judiciaire (OPJ), chargé de l’exécution de la GAV, doit informer sans délai le procureur de la République, qui exerce un contrôle constant sur le déroulement de la mesure. La durée initiale de la garde à vue est de 24 heures, renouvelable une fois sur autorisation d’un magistrat, pour un total de 48 heures.
Pour certaines infractions graves, comme le terrorisme ou le trafic de stupéfiants, la GAV peut être prolongée :
- 96 heures dans le cadre du terrorisme ou du trafic de stupéfiants.
- 144 heures (6 jours) en cas d’actes terroristes lorsque la situation l’exige, conformément aux lois adoptées depuis 2015.
Droits de la personne gardée à vue
La personne placée en garde à vue bénéficie de droits fondamentaux, qui lui sont notifiés dans une langue qu’elle comprend, au plus tard dans les 3 premières heures. Ces droits incluent :
- Informer un proche (membre de la famille ou employeur).
- Consulter un médecin.
- Bénéficier de l’assistance d’un avocat dès la première heure, sauf exceptions.
- Droit au silence, pour ne pas s’auto-incriminer.
Depuis la réforme de 2011, influencée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (arrêt Salduz c. Turquie, 2008), l’assistance d’un avocat est obligatoire dès la première heure de garde à vue. L’avocat peut également être présent lors des auditions, sauf dans des cas exceptionnels (par exemple, à la 48ᵉ ou 72ᵉ heure pour les affaires de terrorisme ou de trafic de stupéfiants).
Garanties procédurales sur la garde à vue
Un procès-verbal (PV) doit être tenu par l’OPJ pour retracer toutes les étapes de la garde à vue : notification des droits, auditions, interventions médicales, etc. Ce document est essentiel pour garantir la traçabilité et la légalité de la mesure.
À l’issue de la garde à vue, plusieurs issues sont possibles :
- La personne peut être remise en liberté.
- Elle peut être présentée à un juge, par exemple dans le cadre d’une comparution immédiate ou d’un placement sous contrôle judiciaire.
Critiques et évolutions récentes sur la garde à vue
Malgré les garanties procédurales, la garde à vue est parfois critiquée :
- Conditions matérielles : Les locaux de garde à vue sont régulièrement jugés inadaptés, et des décisions récentes, comme l’arrêt J.M.B. c. France (2020), ont condamné la France pour des conditions indignes de détention.
- Prolongations excessives : Les délais prolongés, bien que nécessaires dans certains cas (terrorisme), sont parfois perçus comme une atteinte aux droits fondamentaux.
Pour répondre à ces critiques, des réformes récentes ont été introduites :
- Les droits des personnes vulnérables (mineurs, personnes en situation de handicap) ont été renforcés, avec des protocoles spécifiques adaptés à leurs besoins.
- Les caméras-piétons, désormais obligatoires lors des interventions policières, contribuent à prévenir les abus.
IV) Les contrôles d’identités
1) Contrôles d’identité
A) Dans le cadre d’opérations de police judiciaire
Les contrôles d’identité peuvent être réalisés par un officier de police judiciaire (OPJ) lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons objectives de penser qu’une personne :
- A commis une infraction.
- A été témoin d’une infraction.
Ces contrôles peuvent également être effectués sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans des lieux et pour une durée spécifiquement déterminés, afin de rechercher des personnes susceptibles d’avoir commis des infractions.
B) Dans le cadre d’opérations de police administrative
Les contrôles d’identité à caractère préventif permettent de vérifier l’identité de toute personne, indépendamment de son comportement, lorsque cela est nécessaire pour prévenir une atteinte à l’ordre public ou à la sécurité des personnes et des biens.
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Ces mesures sont encadrées par la décision du Conseil constitutionnel du 5 août 1993, qui interdit tout contrôle généralisé ou systématique. Chaque contrôle doit être justifié par des circonstances particulières.
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Dans les zones frontalières, les contrôles peuvent être réalisés dans un rayon de 20 km des frontières terrestres avec d’autres États membres de l’espace Schengen, ainsi que dans les ports, aéroports, et aires de stationnement.
Garanties offertes à la personne contrôlée
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Responsabilité et supervision : Les contrôles sont réalisés sous la supervision d’un OPJ, qui agit sous le contrôle du procureur de la République.
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Droits de la personne contrôlée : Si la personne ne peut prouver son identité sur place, elle peut être conduite dans les locaux de la police pour vérification. La personne a le droit de prévenir un proche et doit être mise en mesure de prouver son identité par tous moyens.
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Durée limitée : La procédure ne peut excéder 4 heures. À l’issue, si l’identité est vérifiée, la personne doit être libérée.
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Traçabilité : Un procès-verbal (PV) doit être établi pour chaque contrôle, et les données enregistrées doivent être détruites après 6 mois.
2) Fouilles
A) Fouilles de personnes
- La fouille est assimilée à une perquisition, et ne peut avoir lieu qu’en vertu d’une ordonnance émise par un magistrat du siège.
- Cependant les policiers peuvent réaliser des palpations de sécurité pour vérifier l’absence d’armes ou d’objets dangereux. Cela a été confirmé par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 28 juin 1978.
B) Fouilles de véhicules
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Cadre légal :
- La loi du 15 novembre 2001 permet les fouilles de véhicules sur la voie publique sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans le cadre de la lutte contre :
- Le terrorisme.
- Les trafics de stupéfiants.
- Les atteintes graves à la sécurité des personnes et des biens.
- Une fouille peut également être justifiée lorsqu’un conducteur ou passager est suspecté d’être l’auteur ou le complice d’un délit flagrant.
- La loi du 15 novembre 2001 permet les fouilles de véhicules sur la voie publique sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans le cadre de la lutte contre :
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Conditions pratiques : La fouille nécessite l’accord du conducteur. Si cet accord est refusé, une autorisation du procureur doit être obtenue dans un délai de 30 minutes, par tous moyens (téléphone, télégramme…).
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Jurisprudence et restrictions : La jurisprudence du Conseil constitutionnel a annulé des lois antérieures autorisant des fouilles sans cadre précis, jugeant cela contraire à la Constitution. Aujourd’hui, les fouilles doivent respecter des critères stricts pour éviter tout abus.
V) Le droit à la sécurité
La loi du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne, a marqué une évolution majeure en affirmant, dans son article 1er, que « la sécurité est un droit fondamental » et un devoir pour l’État. Cette reconnaissance a inscrit la sécurité comme une priorité dans le cadre des droits et libertés, en l’associant aux exigences de la société contemporaine.
Avant cette loi, le droit à la sécurité était déjà évoqué par Lionel Jospin, alors Premier ministre, qui soulignait son importance pour garantir l’égalité entre les citoyens. En effet, il soutenait que l’insécurité touchait particulièrement les populations vulnérables, ce qui renforçait les inégalités sociales. Ainsi, la sécurité a été présentée non seulement comme une condition nécessaire à l’exercice des libertés, mais également comme un élément essentiel de justice sociale.
Traditionnellement, le droit opposable était celui de la sûreté, consacré depuis la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (article 7), qui protège les individus contre les abus de l’État, notamment les arrestations et poursuites arbitraires. Ce droit, visant à préserver la tranquillité d’esprit des citoyens, comme l’évoquait Montesquieu, garantissait que nul ne puisse subir des traitements injustes ou attentatoires.
La loi de 2001 a introduit une nouveauté en élargissant le cadre de la protection. Elle a conféré au droit à la sécurité une dimension positive, orientée vers la protection des citoyens face aux menaces extérieures (criminalité, terrorisme, violence). Si la sûreté protège contre les abus de l’État, la sécurité vise à prévenir les atteintes des tiers à l’intégrité des citoyens. Ces deux notions, bien que distinctes, poursuivent un objectif commun : garantir une égale liberté des individus dans une société ordonnée.
En outre, cette loi a renforcé les droits des victimes d’atteintes à la sécurité, en leur offrant une assistance judiciaire et un accompagnement renforcé. Ce rattachement entre sécurité et égalité a permis de mieux intégrer le principe d’équité dans les politiques publiques, en assurant une prise en charge adaptée des victimes, quel que soit leur statut ou leur milieu social.
Enfin, l’élévation de la sécurité en droit fondamental (dont la nature reste débattue quant à sa valeur constitutionnelle ou législative) reflète une adaptation des droits aux enjeux contemporains. La sécurité n’est plus seulement une garantie passive, mais une exigence active que l’État doit promouvoir pour protéger l’ensemble de ses citoyens. Cette articulation entre sûreté et sécurité ancre ces notions dans un cadre cohérent visant à préserver la liberté et la dignité des individus.