L’interdiction des entraves non tarifaires en UE

L’interdiction des entraves non tarifaires

Les articles 34 et 35 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) établissent des règles fondamentales pour le marché intérieur de l’Union Européenne (UE). Ces articles visent à prohiber les obstacles qui entravent la libre circulation des marchandises au sein de l’UE. En particulier, ces règles interdisent :

  • Les restrictions quantitatives, qui comprennent les systèmes de quotas et de contingentement. Ceux-ci limitent la quantité d’un produit pouvant être importée ou exportée.
  • Les mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitaires. Bien que cette notion ne soit pas explicitement définie dans le traité, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a élaboré une définition fonctionnelle. Cela englobe une variété de réglementations nationales qui, même en l’absence de discrimination ouverte sur la base de la nationalité, peuvent néanmoins entraver la libre circulation des marchandises. Cette interprétation permet d’englober diverses mesures indirectes pouvant affecter le commerce intracommunautaire.

1. La notion de mesure d’effet équivalent

La Commission européenne a défini le concept de mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives pour clarifier quelles pratiques pourraient être concernées. Cette clarification a été initialement effectuée dans une directive datant du 22 décembre 1969, laquelle a établi deux principales catégories de mesures d’effet équivalent :

  • Première catégorie : Ce sont les mesures qui s’appliquent spécifiquement aux produits importés et qui ont pour conséquence de compliquer ou d’augmenter le coût de la mise sur le marché des produits sur le territoire de l’État d’importation. Par exemple :
    • L’exigence d’un certificat d’origine pour qu’un produit puisse être importé dans un pays.
  • Deuxième catégorie : Ce sont les mesures qui s’appliquent de manière indistincte tant aux produits nationaux qu’aux produits importés, mais qui produisent un effet restrictif, notamment en imposant des exigences disproportionnées aux importateurs. Un exemple en est :
    • La mise en œuvre de contrôles sanitaires à la fois dans le pays producteur et dans le pays importateur.

Il est important de noter que depuis la directive de 1969, le cadre réglementaire a évolué et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a continué de préciser cette notion. En particulier, l’arrêt « Dassonville » (1974) et l’arrêt « Cassis de Dijon » (1979) ont été fondamentaux dans la définition et l’application de cette notion. L’arrêt « Dassonville » a établi une définition large des mesures ayant un effet équivalent à des restrictions quantitatives, couvrant toutes les règles commerciales susceptibles d’entraver, directement ou indirectement, réellement ou potentiellement, le commerce intra-communautaire.

En outre, la jurisprudence postérieure a continué à affiner l’approche de l’UE en matière de mesures non tarifaires. Les principes établis ont été intégrés dans le droit secondaire de l’UE, notamment dans le Règlement (UE) 2019/515 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 sur la reconnaissance mutuelle des marchandises commercialisées légalement dans un autre État membre.

Il convient également de mentionner que la notion de mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives est maintenant inscrite dans le contexte du marché unique de l’UE, avec des règles spécifiques pour certaines marchandises comme celles couvertes par le Règlement sur la Surveillance du Marché et la Conformité des Produits (2019/1020) qui visent à garantir que les produits disponibles sur le marché de l’UE respectent les réglementations applicables.

Cette définition de la Commission a été confirmée par la CJUE qui est, quant à elle, venue définir la notion de mesure d’effet équivalent. Trois arrêts très importants ont permis l’identification de cette notion :

a) Arrêt Dassonville (11 juillet 1974) : Cet arrêt est un jalon fondamental dans l’interprétation de l’article 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), qui traite des obstacles quantitatifs au commerce au sein de l’UE. Dans cet arrêt, la CJUE a établi une définition large des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives : «Constitue une mesure d’effet équivalent toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire« .

      • Premièrement, cette définition implique une réglementation normative, englobant des lois, des règlements, et selon une interprétation extensive de la CJUE, même des pratiques administratives.
      • Deuxièmement, il est requis que la réglementation soit issue de l’État. La notion d’État ici est interprétée de manière large pour inclure toutes les entités publiques.
      • Troisièmement, la réglementation doit concerner un objet commercial. Elle doit s’appliquer non seulement aux conditions de vente, mais aussi à toutes les étapes en amont du processus de commercialisation, comme les exigences de contenu, de fabrication des produits, ou les contrôles sanitaires.
      • Quatrièmement, pour ce qui est du critère de l’entrave, la mesure doit représenter une entrave tant directe qu’indirecte, actuelle ou potentielle, à la libre circulation des marchandises.

b) Arrêt du 20 février 1979, arrêt Cassis de Dijon : Dans cet arrêt historique, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) fut saisie d’une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l’Union d’une réglementation nationale qui interdisait la vente de boissons alcooliques en dessous d’un certain degré d’alcool, au nom de la protection du consommateur. L’enjeu principal résidait dans le fait que la réglementation visait spécifiquement l’alcool de cassis de Dijon pour sa faible teneur en alcool.

      • La CJUE a jugé qu’une réglementation indistinctement applicable — c’est-à-dire s’appliquant de manière égale aux produits importés et nationaux — pouvait néanmoins être considérée comme une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative si elle entravait le commerce intra-communautaire.
      • Dans cet arrêt, la CJUE a déterminé que la réglementation en question constituait bien une telle mesure. Ce jugement a notablement élargi la portée de la notion de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, un concept qui avait été déjà ébauché dans l’arrêt Dassonville.
      • Depuis cette jurisprudence, la CJUE a clarifié que sont susceptibles d’être analysées comme des restrictions les réglementations qui sont:
        • Formellement discriminatoires.
        • Indistinctement applicables mais qui ont un effet discriminatoire en pratique.
    • Les implications de cet arrêt ont été vastes, entraînant la réévaluation de nombreuses réglementations nationales qui furent jugées contraires aux articles 34 et 35 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), qui interdit les restrictions quantitatives à l’importation et toutes les mesures d’effet équivalent entre les États membres.
    • Plus récemment, la jurisprudence de la CJUE a continué d’évoluer en matière de libre circulation des marchandises, mais les principes établis dans l’arrêt Cassis de Dijon restent un fondement crucial pour l’interprétation de ces règles. Il convient de noter que la législation et les décisions subséquentes peuvent avoir introduit des nuances supplémentaires ou adapté le droit européen aux nouvelles réalités du marché intérieur.

c) Arrêt Keck et Mithouard (24 novembre 1993) : La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a marqué un tournant partiel dans sa jurisprudence concernant les mesures nationales susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres. La décision portait sur une réglementation française qui interdisait la revente à perte.

    • Distinction entre deux types de réglementation :
      • Réglementations sur les caractéristiques des marchandises :
        • Ces réglementations traitent des aspects tels que l’identification, la forme, la composition, le poids, la présentation, l’étiquetage et le conditionnement des marchandises.
        • La jurisprudence Dassonville est maintenue pour ces réglementations : elles sont considérées comme des entraves potentielles au commerce intra-UE si elles sont susceptibles d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres.
      • Réglementations sur les modalités de vente :
        • C’est en ce qui concerne ces réglementations que la CJUE a opéré un revirement partiel.
        • Ces mesures ne sont pas considérées comme contraires à l’article 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, si deux conditions cumulatives sont remplies :
          • La réglementation doit être indistinctement applicable à tous les opérateurs économiques opérant sur le territoire national.
          • Elle doit affecter de manière non discriminatoire la commercialisation des produits nationaux et ceux en provenance d’autres États membres, tant en droit qu’en fait.

Arrêt Keck et Mithouard : Pourquoi ce revirement de jurisprudence ?

      • Première justification : La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a observé que les opérateurs économiques utilisaient de manière croissante l’article 34 du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne) pour contester diverses réglementations nationales. Ces contestations sont fondées sur le principe que toute mesure ayant un effet restrictif sur leur liberté commerciale serait contraire au droit de l’Union.
      • Deuxième justification : Le revirement jurisprudentiel opéré par l’arrêt Keck et Mithouard est intervenu après la ratification du Traité de Maastricht en 1992, qui a introduit le principe de subsidiarité dans le droit de l’UE. Ce principe vise à limiter l’intervention de l’Union dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, en reconnaissant que certaines actions sont mieux gérées au niveau national. Cette évolution a généré une pression des États membres pour protéger leurs réglementations nationales contre une application trop extensive du droit de l’UE qui pourrait les invalider.
      • Troisième justification : La jurisprudence antérieure de la CJUE en matière de modalités de vente était jugée incohérente. L’arrêt Keck a tenté de clarifier ce point en distinguant entre les mesures ayant un effet direct sur les marchandises et celles qui concernent simplement les modalités de vente.

Critiques de la jurisprudence :

      • Première critique : Bien que la CJUE ait précisé la distinction entre les réglementations affectant les marchandises et celles touchant les conditions de vente, elle a été critiquée pour ne pas avoir donné de lignes directrices claires sur ce qui constitue exactement une « modalité de vente ».
      • Deuxième critique : Certains règlements nationaux ne semblent s’inscrire dans aucune des catégories définies par l’arrêt Keck (ni conditions des marchandises ni modalités de vente), ce qui entraîne une incertitude juridique quant à leur compatibilité avec le droit de l’Union.
      • Troisième critique : La pratique de la CJUE montre une certaine inconstance dans l’application de la jurisprudence Keck. Il existe des arrêts qui l’appliquent strictement, tandis que d’autres semblent revenir à une évaluation basée uniquement sur l’effet restrictif d’une mesure, ce qui pourrait être interprété comme un abandon partiel de la logique de Keck.
    • Arrêt du 13 janvier 2000 : Dans cet arrêt, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) était saisie d’une réglementation autrichienne qui imposait comme condition pour la vente ambulante de produits alimentaires, la nécessité pour les vendeurs d’avoir également un établissement fixe dans la circonscription administrative où ils souhaitaient vendre. La CJUE a qualifié cette réglementation de modalité de vente, s’appuyant sur la jurisprudence Keck. Toutefois, elle a constaté que, bien que la réglementation semble s’appliquer de la même manière aux produits importés et aux produits nationaux, elle induit un effet restrictif. Il serait nécessaire de vérifier si, depuis cet arrêt, des modifications législatives ou des arrêts subséquents ont influencé l’interprétation de telles réglementations au sein de l’Union Européenne.
    • Arrêt du 8 décembre 2001 : Un règlement suédois, interdisant les publicités pour les boissons alcoolisées, était en examen. La CJUE a reconnu la publicité comme une modalité de vente et s’est alignée sur la jurisprudence Keck, indiquant que la réglementation s’appliquait de manière égale aux produits nationaux et importés. Néanmoins, la Cour a jugé que cette réglementation constituait une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, car elle imposait un inconvénient plus significatif sur les produits importés. Depuis lors, il faudrait considérer toute nouvelle jurisprudence ou directive européenne concernant la publicité des boissons alcooliques qui pourrait avoir une incidence sur l’interprétation de telles mesures restrictives.
    • Arrêt du 23 février 2006 A-Punkt Schmuckhandels GmbH contre Claudia Schmidt : Cet arrêt portait sur une réglementation autrichienne interdisant la vente par démarchage à domicile de bijoux. La CJUE a évalué cette réglementation à l’aune de la jurisprudence Keck, recherchant explicitement si elle était discriminatoire en droit ou en fait. Il convient de vérifier si des développements législatifs ultérieurs ou des décisions de justice ont affiné l’approche de la Cour concernant les interdictions de vente par démarchage et leur conformité avec le droit de l’UE.
    • Arrêt Fra.bo (CJUE, 12 juillet 2012, C-171/11) : Cet arrêt a confirmé que les certifications techniques nationales qui ne sont pas nécessaires pour garantir des exigences essentielles et qui limitent la commercialisation de produits provenant d’autres États membres peuvent constituer des mesures d’effet équivalent.
  • Article 35 et ses interdictions: L’article 35 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) proscrit toute restriction quantitative à l’exportation ainsi que toutes mesures ayant un effet équivalent à ces restrictions.
  • Interprétation originelle de la CJUE: À l’origine, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) avait adopté une interprétation plus étroite de cet article par rapport à celle de l’article 34 TFUE, avec un jugement clef rendu dans l’affaire Groenveld le 8 novembre 1979.
  • Conditions pour la qualification de mesure d’effet équivalent:
    • 1ère condition: La réglementation concernée doit restreindre de manière spécifique les flux d’importation.
    • 2ème condition: Elle doit créer une discrimination dans le traitement entre le commerce interne d’un État et son commerce externe.
    • 3ème condition: Cette réglementation doit bénéficier à la production nationale au détriment de celle d’autres États membres.
  • Évolution de la jurisprudence de la CJUE: Dans un arrêt postérieur, daté du 16 décembre 2009, connu sous le nom d’arrêt Lodewijk, la CJUE a assoupli son interprétation. Elle a reconnu qu’une réglementation peut être considérée comme une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives si, dans la pratique, elle affecte plus les exportations des produits nationaux d’un État membre que l’accès des produits des autres États membres au marché de cet État. Auparavant, la Cour ne reconnaissait que les entraves établies juridiquement, élargissant ainsi la définition d’obstacle au commerce.

2. Le champ d’application des entraves tarifaires

  • Élément d’extranéité requis: La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) nécessite qu’une réglementation ait le potentiel d’affecter le commerce entre États membres pour qu’une entrave tarifaire soit envisagée. Les situations purement internes, où ce potentiel n’existe pas, sont exclues.

  • Interprétation restreinte des situations internes: La CJUE adopte une approche restrictive en ce qui concerne ce qu’elle considère comme une situation purement interne, souvent en faveur d’une plus grande intégration du marché intérieur.
  • Cas de jurisprudence – Affaire Pistre (7 mai 1997): Dans cette affaire, la CJUE a été interrogée sur des poursuites pénales contre des ressortissants français pour l’étiquetage trompeur de produits. Malgré l’argument de la France concernant la nature interne de l’affaire, la CJUE a conclu que la législation nationale pouvait affecter la libre circulation des marchandises et a jugé que la réglementation était contraire à l’article 34 du TFUE, anciennement appelé l’article 28 du Traité instituant la Communauté Européenne.
  • Interprétation large de l’origine étatique: La CJUE reconnaît que non seulement les États, mais aussi les collectivités territoriales et les personnes publiques, peuvent être à l’origine de mesures équivalentes à des restrictions quantitatives. En outre, même des organismes de droit privé peuvent être concernés si l’on établit qu’ils agissent sous le contrôle d’entités publiques.
  • Notion étendue de mesure d’effet équivalent: La notion de mesure ayant un effet équivalent à des restrictions quantitatives est largement interprétée par la CJUE. Toutefois, cette interprétation n’est pas absolue.
  • Justifications possibles pour les États membres: Le TFUE et la jurisprudence de la CJUE admettent que les États membres puissent justifier des réglementations qui entravent les échanges par des raisons d’intérêt général. Cela permet une certaine flexibilité et la possibilité de pondérer les différentes valeurs en jeu, telles que la protection des consommateurs, la santé publique ou l’environnement.