Louis XVI, le dernier roi absolu face à la Révolution

Louis XVI (1754 – 1793) 

          D’ordinaire, les personnages historiques ont une forte personnalité. Cependant, ce n’est pas le cas de Louis XVI (1754-1793). Il est néanmoins un personnage historique essentiel : il a été le dernier des monarques absolus (I), il a été le roi de la Révolution (II), et cette Révolution par un régicide a voulu à travers lui tuer en France l’idée même de royauté (III).

 

  1.  I – Le dernier monarque absolu 

          Louis XVI n’aurait pas dû régner : ses frères sont morts prématurément. À l’âge de 11 ans, il se retrouve dauphin. Orphelin de mère à 12 ans, marié à 15 ans à Marie Antoinette, il succède à son grand-père Louis XV en 1774, à l’âge de 19 ans. Sa formation a contribué à son traditionalisme, mais elle ne lui a pas insufflé l’autorité nécessaire à la fonction.

 

          A / La formation d’un dauphin 

Il est timide et maladroit. Mal aimé : après la mort de son frère aîné, le gouverneur a toujours fait le reproche à Louis d’être moins doué que son frère. Louis a reçu une éducation soignée, il a un goût pour la lecture, est d’une intelligence moyenne mais plus cultivé que beaucoup de rois. Cependant en matière politique, le mal-être lui fait adopter un mélange de traditionalisme et de philosophie molle.

 

Il ne pouvait pas avoir le goût du pouvoir, le sens de l’autorité. Or, il n’y a pas de monarque sans autorité. Le message des Lumières saque cette autorité. Louis XVI aurait préféré ne pas avoir à régner ; il monte sur le trône à contrecœur à 19 ans, trop jeune, et affolé par ses responsabilités.

 

          B / Le roi de la tradition 

N’ayant pas été élevé dans les principes absolutistes, Louis XVI est un roi traditionaliste :

 

  •      Il favorise trop sa noblesse, et par là même la « réaction nobiliaire » ou « préjugé nobiliaire » : moyen pour la noblesse française de surmonter ses doutes existentiels (attitude de réaction, de raideur).
  •      Sous Louis XV, les Parlements bloquaient les réformes en multipliant les remontrances et refus d’enregistrement. ≠ En 1771, le Chancelier Maupeou remplace les parlements par des magistrats fonctionnarisés, rétribués par l’État. Cette rationalisation de la justice a été applaudie vigoureusement (notamment par Voltaire), mais aussi violemment dénoncée par l’ancienne magistrature. Une fois monté sur le trône, en novembre 1774 Louis XVI écarte Maupeou et rétablit les Parlements pour conserver l’amour de ses sujets. Ce retour à la tradition va interdire toute réforme en profondeur.
  •      Louis XVI avait conscience de sa dignité en tant que Capétien (dynastie de huit siècles) : il se fait sacrer à Reims selon les rites traditionnels le 11 juin 1775.

 

Néanmoins, chez Louis XVI le traditionalisme est associé à un certain progressisme (≈ générosité humanitaire) : il n’adopte bien sûr pas toutes les Lumières, mais n’est cependant pas complètement hostile à des réformes.

 

          C / Le « despotisme de la faiblesse »          (expression de François Bluche)

Les Français n’apprécient pas les longs règnes. À la mort d’un vieux roi, on se réjouissait de l’avènement de son successeur jeune. = Enthousiasme réel à l’arrivée de Louis XVI, jusqu’en 1791, malgré l’impopularité de Marie-Antoinette.

 

Les contradictions de Louis XVI se traduisent par une alternance de fermeté conjoncturelle et de faiblesse structurelle, qui favorisent les intrigues à la Cour. Le roi désire certaines réformes, mais n’en prend pas les moyens. Velléitaire, il ne cesse d’hésiter entre le sursaut d’autorité (sursaut tardif et toujours maladroit) et le renoncement (l’abandon, le maintien voire le renforcement des situations acquises…).

 

Son schéma théorique de gouvernement serait quasi-cyclique :

 

  • ·         un ministre projette une réforme,
  • ·         ce projet de réforme suscite l’opposition des privilégiés, donc des Parlements qui sont les protecteurs des privilèges,
  • ·         le roi soutient son ministre avec toutes les apparences de la fermeté, jusqu’à procéder parfois à un enregistrement forcé,
  • ·         le Parlement en appelle à l’opinion,
  • ·         lever de bouclier contre le ministre,
  • ·         le roi s’incline et renvoie le ministre,
  • ·         un nouveau ministre est contraint à son tour d’envisager une réforme, → le cycle reprend.

 

Louis XVI ne sait pas exercer son « métier de roi » (formule de Louis XIV) ; il ne fait que pratiquer le « despotisme de la faiblesse ».

 

  1.  II – Le roi de la Révolution (1789 – 1792) 

          Louis XVI admettait l’idée d’une représentation de la nation et d’une égalité plus nature, tempérée par la Providence. Mais il lui aurait fallu un caractère plus solide pour affronter la tempête de la Révolution. De 1789 à 1792, il sera toujours dépassé par les événements.

 

Par delà ce constat, l’attitude de Louis XVI a donné lieu a deux thèses contrastées : la thèse de la trahison et celle de la sainteté (A). En dehors de cette alternative caricaturale, il y a une place pour une vision plus complexe des choses (B).

 

          A / Un traître ou un saint ? 

On a vu naître une sorte d’attraction des auteurs vers ces deux pôles extrêmes. À gauche, les historiens républicains et marxistes ont fait de Louis XVI un traître à la nation. À droite, les auteurs contre-révolutionnaires étaient gênés par les contradictions du personnage : ils avaient en effet à choisir entre l’idée moralement fâcheuse d’un Louis XVI qui aurait joué un double-jeu, et celle où Louis XVI aurait eu une position de faiblesse. = Sainteté du roi martyre de la royauté, voire de la foi chrétienne.       Ces deux thèses, quoique simplistes, ont encore aujourd’hui leurs adeptes.

 

          B / Une attitude complexe 

Un couple d’auteurs, Paul et Pierrette Girault de Coursac, ont publié en 1982 des ouvrages dans lesquels ils dépassent cette alternative et choisissent une troisième voie : celle de dire que Louis XVI aurait joué le jeu du public de la Révolution.

 

Louis XVI a prêté serment à la nation, à la Constitution de 1791 ; cependant, il devait être conscient du caractère forcé, conjoncturel, des serments révolutionnaires qu’on lui imposait. Il ne pouvait donc pas oublier les promesses prononcées à Reims le jour de son sacre. Pour autant, il ne rejetait pas nécessairement toute la Révolution. Par conséquent, peut-être a-t-il cru pouvoir renouer avec la vraie tradition nationale et royale en conciliant une image paternelle du monarque avec le droit des Français à la parole. Il n’est pas exclu qu’il se soit cru autorisé à mélanger deux conceptions inconciliables de la souveraineté : une part prépondérante de souveraineté royale, mais aussi une part de souveraineté nationale (adoptée dès le 17 juin 1789).

 

Dans cette éventuelle volonté de synthèse, il y avait beaucoup de naïveté, un très faible sens de l’opportunité politique, et une méconnaissance du droit public de la monarchie. En effet, dans la perspective de Louis, monarque d’ancien régime soumis aux lois fondamentales du royaume, la loi de l’indisponibilité de la Couronne imposait au roi de France de transmettre la couronne intacte (= dotée de toutes ses prérogatives, y compris de souveraineté) à son successeur désigné par les lois fondamentales. La sanction de toutes ses erreurs sera redoutable et très disproportionnée.

  1.  III – Le régicide (1793) 

          On parle souvent du procès de Louis XVI, mais ce procès n’en a pas été un (A) : la mort du roi a été conçue comme un acte politique fondateur (B).

 

          A / Un simulacre de procès 

Après la chute de la royauté en 1792, la Convention nationale est déclarée et élue pour adopter une nouvelle Constitution. Cette assemblée comptait moins de juristes que l’Assemblée constituante. Un procès pouvait calmer les scrupules éventuels des quelques députés juristes.

 

La situation à l’époque du procès de Louis XVI est frappante : tiraillement entre les Girondins et les Montagnards. Tandis que les républicains modérés (la « Plaine ») et un certain nombre de députés girondins se perdaient, les Montagnards ne se posaient pas de questions : selon eux, « cet homme doit régner ou mourir » (formule de Saint-Just).

 

La défense de Louis XVI était paralysée : on lui posait des questions confuses ou ambivalentes, on lui présentait les pièces à conviction sans lui laisser le loisir de les examiner, on écartait toutes les pièces à décharge… Aucun chef d’accusation n’était vraiment solide. S’il s’était agi d’un procès selon la philosophie pénale des Lumières et de la Révolution, sur les points obscurs le doute aurait dû profiter à l’accusé. Avec le recul du temps, en termes judiciaires Louis XVI aurait dû être considéré comme innocent (pas assez de preuves contre lui). Cependant, Robespierre et Saint-Just avaient vu juste : les formes judiciaires étaient artificielles, et dissimulaient en réalité un acte politique ; il fallait moins juger le roi que le tuer pour former la République.

 

          B / Un acte fondateur 

La mort de Louis XVI (ou Louis Capet) sur l’échafaud était censée contribuer à la fondation de la République. En la personne de Louis XVI, on tuait plusieurs personnes, à savoir le roi constitutionnel de 1791 et le monarque absolu d’avant 1789, mais au fond une seule personne, celle du roi discrédité (on l’a empêché de se raser afin qu’il offre une image dépréciée de la royauté, Marie-Antoinette est guillotinée après avoir été accusée d’inceste, le dauphin est détruit en prison et meurt en 1795…).

 

Pour les Montagnards, la proclamation de la République n’était qu’une formule, ne créait pas la République : la mort du tyran était un préalable indispensable à une régénération du pays à la Terreur qui une fois acquise, permettrait de fonder la véritable République. Pour les Jacobins, la fondation de la République ne serait complète que lorsque le peuple serait débarrassé de tous ses ennemis.

 

          → On peut interpréter le régicide en terme de succès ou d’échec. Dans l’immédiat, on peut dire que ce régicide est un succès, = défi lancé à la République à l’Europe monarchique entière. À ce défi, l’Europe des rois répond par une coalition qui va échouer contre la France.

 

À moyen terme, le succès est discutable ; en effet, la République française va se transformer en empire, puis le roi revient en 1814, le régicide n’a donc pas empêché la restauration des Bourbons. Le bref retour de la République en 1848 et l’instauration durable de la République après 1870 ne doivent pas grand-chose à la mise à mort de Louis XVI.

 

Cependant, à très long terme il n’est pas exclu que le régicide ait été un succès ; en arrière-plan, il porte l’idée de tyrannie et de trahison royale. Il est vrai que le regard porté sur la royauté par la majorité des Français est resté encore aujourd’hui globalement négatif.

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