La méthode conflictualiste : critique, contestation

CONTESTATION ET AMÉNAGEMENT DE LA MÉTHODE CONFLICTUALISTE

La méthode conflictualiste est l’approche dominante en droit international privé pour résoudre les conflits de lois. Elle consiste à identifier quelle est la loi applicable à une situation internationale en utilisant des règles de conflit de lois, également appelées règles de rattachement. C’est la méthode du droit commun, car il est applicable en l’absence de normes matérielles. La méthode conflictualiste consiste à régler le conflit de lois en faisant trancher le litige par le droit national qui présente les liens les plus étroits avec l’affaire

Les règles de conflit de lois sont des règles juridiques qui établissent une connexion entre un fait ou une situation internationale et le droit qui doit être appliqué à cette situation. Par exemple, la règle de conflit de lois française en matière de contrats internationaux peut être que le contrat sera régi par la loi du pays où le contrat a été conclu.

La méthode conflictualiste repose donc sur une analyse de la situation internationale en question, afin de déterminer les éléments de rattachement pertinents et d’appliquer la règle de conflit de lois appropriée. Cette méthode permet de régler les conflits de lois de manière cohérente et prévisible, en évitant des situations où une même situation internationale pourrait être soumise à des lois différentes selon le pays où elle se trouve.

Section I – Critiques de la méthode conflictualiste

On a reproché à la méthode conflictualiste un caractère trop abstrait de la règle de conflit.

Autre raison de ce mouvement de contestation : les auteurs reconnaissent des solutions pragmatiques sur lesquelles on va déboucher.

Autre critique : c’est le refus du système conflictualiste d’évaluer les lois en présence.

La contestation vient du fait qu’il y a un système avec des contenus idéologiques différents qui s’affrontent.

La contestation est venue des États Unis : ils raisonnent en termes de cas, de catégories, avec une approche du droit différente de celle des pays continentaux. L’idée de souveraineté n’avait pas la même connotation pour les pays Européens que pour les États appartenant aux États unis.

Les contestations qui sont nées se sont appuyées sur toutes les imperfections du système conflictualiste.

 

SECTION II : La contestation américaine

  • 1 : Le contenu

Idée principale : le conflit de loi ne peut pas être un combat entre deux ou plusieurs points de rattachement abstraits. Il ne peut s’agir de désigner de façon automatique grâce à un critère abstrait désigné à l’avance sans tenir compte du contenu des droits concernés. Les auteurs Américains considèrent que le conflit de lois est le résultat d’un antagonisme, d’une divergence entre des lois matérielles qui se disputent le rapport concret à régir.

En définitif, c’est l’intérêt étatique qui dans chaque espèce doit délimiter l’application du droit de chaque Etat. La notion de politique législative (« Policy ») est au centre de la démarche.

C’est la démarche poursuivie par Currie. Ses écrits datent pour le premier de 1963. Ils ont eu un impact très important. Il part de l’idée que la question qui domine le droit international privé est celle de connaître l’État qui a un intérêt étatique à revendiquer dans l’espèce. Le Tribunal qui est saisi devra examiner dans chaque espèce la policy exprimée par la loi étrangère, et se poser la question de savoir si la loi étrangère a intérêt à appliquer cette politique législative.

En même temps, il nous dit que cette recherche n’a de sens que si la loi du for n’a pas sa propre politique législative a défendre.

Currie fera prévaloir la politique législative du for dans un conflit positif où la loi du for n’est pas concernée.

Au fur et à mesure de ses écrits, il va tenter de limiter ce caractère excessif : « il faudra déterminer avec modération ce qu’on entend par la politique législative ».

 

D’autres auteurs dont Von Mehren (Américain) veulent faire une hiérarchisation entre les politiques législatives : « on doit passer par la détermination des rattachements qui lien une collectivité et un acte considéré ».

 

Currie va considérer qu’il faut modérer : il trouve une modération dans la Constitution  Américaine elle-même (caractère dérisoire de cette référence à la constitution américaine).

 

Un autre américain (Cavers) a une démarche différente du système conflictuel : il mène une analyse casuelle qui met l’accent sur le résultat obtenu. Il part de la constatation que la règle de conflit ne laisse aucune place à l’intérêt des parties, et il en déduit que la justice n’y trouve pas son compte, car la règle de conflit s’occupe de la méthode mais pas des solutions. Pour lui, à chaque espèce, il faut rechercher le résultat souhaitable.

Il nous dit : il faut dans chaque espèce analyser les faits concrets, puis comparer le résultat auquel on parvient en appliquant la loi étrangère présumée compétente, et le résultat de l’application de la loi du for.

 

La démarche au départ ne rejette pas le système conflictuel, la règle de conflit, mais on va s’en servir pour désigner les lois susceptibles de s’appliquer.

Il mène une analyse casuistique : la règle de conflit est trop rigide, il faut d’avantage observer les faits.

Le point d’orgue de la construction de Cavers, c’est l’idée d’une justice due aux parties, appréciée à chaque cas d’espèce.

Il va mettre en place des ghildes de préférence qui seront élaborées pour faciliter la tâche du juge dans sa recherche de la justice. Il le fait en examinant chaque politique législative de chaque pays en concurrence.

Il y a six ghildes (quatre en matière délictuelle et deux en matière contractuelle). À partir du moment où Cavers parle de ghilde de préférence, il se rapproche du système conflictuel, il va vers l’abstraction et il retrouve des principes abstraits et préalables.

Mais il va donner naissance au mouvement des critères alternatifs : il n’y aura pas un seul critère, mais plusieurs qui donneront compétence à une loi.

La grande difficulté est de savoir ce qu’on entend par justice, et la justice est-elle la même de partout ?

Il faut tenter d’unifier tous les problèmes d’origine délictuelle dans le monde (dont les accidents de la circulation).

 

Arrêts :

            -« Kilberg » : Un homme achète un billet d’avion à New York, et il se rend dans le Massachusetts où l’avion s’écrasera. L’État de New York a la même règle de conflit qu’en Europe, mais le Massachusetts a une règle de conflit différente.

La Cour de New York saisie refuse d’appliquer la règle de conflit de New York et veut appliquer celle du Massachusetts. Cependant, Monsieur Kilberg est un habitant de l’État de New York, le tribunal doit donc statuer et assurer une réparation intégrale non prévue par la loi du Massachusetts.

Le raisonnement qui a été suivi en l’espèce, c’est que le lieu de départ et les conséquences économiques de l’accident vont se rattacher à l’État de New York. Or, le lieu de l’accident (en l’occurrence, le Massachusetts) n’est dû qu’à un cas fortuit. Il y a donc plus de points de contacts avec New York (aussi bien qualitativement que quantitativement).

 

            -« Bahcok/ Jackson » : Mme Bahcok habite à New York, tout comme Monsieur Jackson, elle prend place dans la voiture de ce dernier, et va passer avec lui un week end au Canada. Il faut précise qu’elle est passagère bénévole dans la voiture. Ces personnes arrivent à Ontario, et ont un accident de voiture : devant les tribunaux de New York, Mme Bahcok demande réparation des préjudices.

Le Tribunal mène une analyse en terme de politique législative des États de New York et d’Ontario : on compare les intérêts en présence. Par exemple, New York veut une réparation intégrale, et Ontario préfère une collusion possible entre le conducteur et sa passagère.

On s’interroge ensuite sur les points de contact des deux individus avec l’État de New-York et d’Ontario. En l’espèce, c’est la loi de New York qui devra être appliquée.

 

Cette pensée Américaine, même si elle n’a pas abouti, a posé des interrogations fondamentales.

Ce mouvement a eu une influence bénéfique sur le système conflictualiste.

Référence à la notion de justice : le juge doit se prononcer en faveur d’un résultat juste et convenable.

L’idée de justice ne peut être détachée de l’idée de sécurité et de prévision des parties.

 

Cavers a voulu cela avec ses Ghildes de préférence.

Autre réflexion américaine : l’analyse ponctuelle : la méthode prétend au-delà de toute règle trouver la solution appropriée à chaque cas d’espèce. => Le mouvement Américain a été obsédé par le problème de la responsabilité délictuelle.

En réalité, nous avons vu que dans le système conflictuel, on a aussi cette méthode casuistique.

 

Avis de la prof : ce que le mouvement Américain a amené de plus : c’est l’influence qu’ils ont eu pour mettre en place des critères alternatifs.

Par exemple : la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de véhicules terrestres à moteur : elle a retenu la loi du pays d’immatriculation en plus du critère habituel (critère alternatif).

Autre exemple : la convention de 1973 sur la responsabilité des produits : il y a là aussi des critères alternatifs : la loi du lieu du domicile, la loi du domicile de la victime, la loi du domicile du fabricant du produit, et la loi du lieu d’acquisition du produit.

La contestation américaine a enrichi la discussion sur le système conflictuel et a montré que les reproches faits à ce système étaient outranciers. Cela a aussi montré que le mouvement américain n’était pas assez globalisant, ne répondait pas à tous les besoins du droit international privé. Mais cette contestation a permis d’améliorer le système conflictuel.

 

  • 2 : Les aménagements apportés au système conflictuel

 La doctrine a tenu compte des critiques apportées. C’est ce qui fait qu’il va y avoir une réaction en doctrine et en jurisprudence.

 

                        A-/ En ce qui concerne la théorie générale

 Il fallait concilier la protection individuelle des personnes avec la souveraineté des États. Il faut donc arriver à une harmonisation des solutions. Actuellement, la doctrine la plus en vogue en France est celle de Batifol qui va dans le sens d’une coordination des systèmes.

Cette harmonisation peut et se fait de différentes façons :

            -Il y a de plus en plus de conventions internationales en droit international privé qui viennent unifier les solutions. C’est dans les secteurs les plus difficiles à résoudre que ces conventions vont intervenir (exemple : l’adoption internationale).

            -Il y a très souvent une vision comparatiste qui est faite : on va essayer de voir quelles sont les différentes solutions apportées par le système.

            -Par l’uniformisation des règles de conflit : le droit international privé confronté au marché va uniformiser les règles de conflit qui vont alors être les mêmes dans un plus grand nombre de pays.

 

Cet effort de réflexion va avoir des impacts concrets :

On va prendre en compte les liens entre les différentes questions juridiques. En effet, on va donner de plus en plus de la place à des termes et des situations tels que la litispendance, la connexité et les questions préalables.

La litispendance : c’est la possibilité pour un tribunal français de ne pas accepter sa saisine et pour dire : « il y a un tribunal étranger saisi avant moi, je doit donc attendre la décision de ce tribunal ». Ainsi, le tribunal français se dessaisi au profit d’un tribunal étranger.

La connexité : quand des affaires sont en connexion entre elles, mais devant des tribunaux différents (français et étrangers), le tribunal français peut attendre que le tribunal étranger qui a d’abord été saisi statue.

Dans un premier temps, la jurisprudence était hostile à la litis pendence et à la connexité. Puis, dans un arrêt du 26 novembre 1994, la Cour de cassation est venue consacrer la jurisprudence : « l’exception de litispendance peut être reçue devant le juge français en vertu du droit commun français en raison d’une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent ».

            Questions préalables : en cas d’interrogation sur les compétences, on pose la question réglée par une règle de conflit à la juridiction étrangère. Cela permet donc une harmonisation des systèmes. Cette question a le plus de lien avec ce droit étranger.

Cette théorie a surtout été développée par Lagarde. Chaque système a sa place, à une solution.

 

On prend de plus en plus en compte l’ordre public étranger (ce n’est pas logique dans notre système). Or, la jurisprudence française et étrangère (Allemande et Anglaise), les conventions internationales prennent en compte l’ordre public étranger, elles prennent donc en compte la politique législative étrangère.

La Cour de cassation en France, a admis dans des arrêts du 25 janvier 1966 et du 25 octobre 1989 la prise en compte de cet ordre public étranger.

La Convention de Rome (en matière contractuelle) a consacré dans ses articles 5-1 et 6-1 cette prise en compte de l’ordre public étranger pour protéger les salariés où on retient l’application des règles impératives du lieu de résidence du salarié (Article 5-1).

Et on protège les consommateurs, et on prend en compte la règle d’application impérative du domicile du consommateur (article 6-1).

Convention de la Haye du 14 mars 1968 : on prend en compte les faits bruts pour retenir la loi applicable.

C’est l’introduction de la qualification « lege cause » qui permet de prendre en compte le droit étranger.

 

                        B-/ Également en ce qui concerne l’élaboration de la règle de conflit

 Le reproche principal fait à la règle de conflit, c’est son caractère dogmatique et rigide. On va donc opérer un assouplissement à cette règle de conflit de différentes façons (sur le modèle Américain).

 

1.Le recours à des rattachements multiples

 Il s’agit en l’espèce de critères de rattachement alternatifs.

Comme la doctrine Américaine le conseille, il faut prendre en compte les résultats obtenus. On va donc regarder si dans la validation de l’acte, c’est une solution raisonnable. On ne va pas consacrer de critères cumulatifs qui ferment les solutions et rendent plus de solutions invalides.

On privilégie les critères alternatifs (qu’on retient en fonction de la solution juste à retenir).

 

Les modèles ont été adoptés par la Convention de la Haye du 5 octobre 1961 : on retient quatre critères possibles en matière de dispositions testamentaires :

            -Le lieu où le testateur a déposé ;

            -Le lieu du domicile du défunt ;

            -Le lieu de la résidence habituelle (distinction faite ici entre résidence habituelle et domicile) ;

            -Le lieu de la situation de l’immeuble en présence d’une succession immobilière.

Mais, tous les juges n’obtiendront pas le même résultat, car tous les juges n’utiliseront pas les mêmes critères alternatifs, car tous n’ont pas la même vision de la solution idéale, bien que les faits ne soient pas strictement les mêmes.

De même, la Convention de la Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable aux accidents de la circulation prévoit elle aussi trois critères alternatifs :

            -Le lieu de situation du dommage ;

            -Le lieu de résidence quand il y a dommage ;

            -La loi de l’assurance.

Le droit Français a aussi réagi dans ce sens en inscrivant dans la loi la même démarche : dans certains domaines, le législateur français a prévu des critères alternatifs.

Par exemple : article 311-16 du code civil : cet article règle le problème de la légitimation lorsqu’au jour où l’union a été célébrée, cette conséquence est admise : soit par la loi régissant les effets du mariage, soit par la loi personnelle des époux, soit encore par la loi personnelle des enfants.

Autre exemple : l’article 311-17 du code civil (en matière de reconnaissance volontaire de paternité) : c’est la loi personnelle de son auteur ou la loi personnelle de l’enfant. Cette loi date de 1972.

En matière de jurisprudence, on a aussi dans la forme des actes la même démarche : la règle qui s’est imposée est la règle de la loi du lieu où l’acte a été passé (locus regit actum). À ce sujet, on trouve une jurisprudence importante dans un arrêt du 31 janvier 1967 (revue critique 1969, page 292) qui a été ensuite confirmée dans un arrêt du 10 décembre 1974. Selon cette jurisprudence, trois critères peuvent être retenus : la loi du lieu de l’élaboration de l’acte, la loi du fond (celle qui régit au fond le contrat), et la nationalité de l’auteur de l’acte.

 

  1. La prise en compte du résultat

Dans la convention de Rome de 1980, on va chercher la loi qui va protéger le mieux le salarié ou le consommateur.

De façon générale, dans la jurisprudence que nous avons vue, on s’est rendu compte qu’on regardait dans la solution définitivement retenue.

 

  1. La spécialisation des règles de conflit

 De plus en plus, on va surtout dans les conventions internationales faire coller la règle de conflit aux situations, et en particulier, on va d’avantage avoir des règles de conflit qui prennent en compte aussi bien la résidence habituelle que le domicile. On parlera de spécialisation avec ces règles de conflit qui vont spécialiser chaque situation.

 

                        C-/ Le développement des règles matérielles

 On voit surtout apparaître dans le commerce international des règles matérielles qui vont directement donner une solution sans passer par une règle de conflit. C’est la méthode directe.

Par exemple, avec la jurisprudence « messagerie maritime » : on décide que la clause « or » est valable comme référence dans les contrats internationaux. Quand on formule ainsi, on ne fait pas référence à une règle de conflit ou à une loi internationale. C’est donc une solution directe.

De même, en matière d’arbitrage, il y a une règle en la matière : la clause compromissoire est valable dans les contrats internationaux.

 

Conclusion du chapitre : la règle de conflit a été vivifiée par cette crise, mais elle en est sortie victorieuse, car sous l’effet d’une réflexion législative, jurisprudentielle ou doctrinale, il faut faire évoluer cette règle de conflit.

La contestation restait dans le moule conflictualiste.

Ce n’est pas le cas de la deuxième vague de contestation.