Histoire du droit d’auteur

LE DROIT D’AUTEUR : NAISSANCE, ÉVOLUTION ET ACTUALITÉ

     Le droit d’auteur est né au 18e siècle. La première œuvre couverte par le droit d’auteur fut la «Statute of Anne» en 1710. L’auteur de l’œuvre jouissait alors d’un monopole de 14 ans renouvelable une fois. En France, c’est à l’instigation de Beaumarchais, que le 9 décembre 1780 les droits des auteurs dramatiques sont fixés à 5 ans par un arrêt du Conseil d’Etat.

     Progressivement les droits seront allongés pour atteindre dans la plupart des États signataires de la Convention de Berne, une durée de protection minimale de cinquante ans post mortem. En Europe, les législations sont harmonisées depuis le 1er juillet 1995, date d’entrée en vigueur de la directive européenne 93/98/CE, qui fixe notamment la durée de protection à 70 ans post mortem.

Première idée :

Juridiquement un patrimoine est formé de meubles et d’immeubles corporels (=des biens que l’on peut toucher) ou incorporels. Autrefois les fortunes étaient essentiellement immobilières. Mais le 19ème siècle, et plus encore le 20ème siècle ont vu grandir en importance les meubles incorporels. Les actions de sociétés et les obligations sont les témoins de nouvelles de fortunes bâties sur l’incorporel. Le 21ème siècle semble voir devoir voir triompher, au sein de la famille des meubles incorporels, la propriété intellectuelle. 

 

 

Celle-ci est fondée sur l’idée d’un monopole conféré par les Etats aux créateurs afin de les inciter à créer de nouvelles choses avec leur esprit. Mais quelles choses ?

 

Deux paquets distincts sont à faire au sein de la propriété intellectuelle. D’une part les droits incorporels qui sont regroupés au sein de la propriété industrielle, laquelle se décompose, pour l’essentiel, en brevets (pour les inventions techniques), marques, dessins et modèles. D’autre part, ceux qui sont regroupés au sein de la propriété littéraire et artistique (=PLA), qui confèrent un droit moral plus important qu’en propriété industrielle, et qui comprend le droit d’auteur, les droits voisins et des droits sui generis.

 

Le droit d’auteur est défini en droit français à l’article L 111-1 CPI (=code de la propriété intellectuelle) : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral, ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ».

 

C’est une propriété particulière en raison, d’une part de son caractère réglementé dans le détail par le CPI, d’autre part en raison du caractère immatériel du droit qui en autorise la duplication à l’infini, ce qui, côté négatif, favorise certes la contrefaçon, mais aussi, côté positif, l’enrichissement des auteurs  ; en effet, si on ne peu  vendre qu’une fois un bien corporel (le vendeur ne peut vendre qu’une fois sa maison), on peut vendre dix fois son texte original, ce qui occasionnera une concurrence entre les cessionnaires des droits  (je peux céder mon roman à dix éditeurs différents) ; pour l’éviter on comprend que l’acheteur professionnel de droits exige le plus souvent la cession à titre exclusif.

 

  1. II) Le passé :

 

(Voir L Pfister, Histoire du droit d’auteur, thèse, Strasbourg, 1999).

C’est par la littérature que va s’imposer en premier le droit d’auteur

  • Le Moyen Age n’est pas favorable à l’éclosion de la Propriété littéraire et artistique :
  • la création est divine et pas terrestre. L’auteur s’efface derrière Dieu
  • l’individu est moins important que la collectivité à laquelle il appartient
  • l’imprimerie n’existant pas encore les écrivains sont avant tout des copistes, tels les moines rédigeant les incunables
  • Dès le 16ème les éditeurs, pour amortir leurs frais d’investissement dans les techniques d’imprimerie, se voient reconnaître un privilège royal qui leur assure un droit exclusif contre rétribution ; c’est un moyen pour le roi de surveiller les publications

 

Les auteurs sont plus mal traités car ils ont sous la dépendance des acteurs : on dit que c’est « l’acteur qui fait l’auteur ». Mais peu à peu les privilèges concernent aussi les auteurs ; l’individualisme du 18ème favorise l’émergence d’un droit exclusif de l’auteur dans les 1ères décisions de justice ; en 1777 le Conseil du roi distingue le droit d’auteur du droit de l’éditeur. Le privilège bascule alors des éditeurs aux auteurs et l’idée d’un droit d’auteur est admise à la veille de la Révolution de 1789. Mais celle-ci supprime les privilèges.

 

  •     2 lois de 1791 (pour les auteurs dramatiques), puis de 1793 (musiciens et autres types d’auteur) reconnaissent des monopoles.

 

Elles ne sont pas codifiées en 1804

  •    Au 19ème siècle une loi de 1866 porte à 50 ans le droit exclusif de l’auteur ; la jurisprudence crée ex nihilo le droit moral (comme les autres droits de la personnalité).

 

C’est l’occasion de préciser une distinction fondamentale en droit d’auteur, celle entre droit moral et droit patrimonial.

 

– Le droit patrimonial c’est la finance, ce que l’auteur peut espérer gagner du fait de l’exploitation de son œuvre par des éditeurs ou d’autres entreprises. Il est la conséquence du monopole, du droit exclusif que le législateur accorde à l’auteur sur son œuvre, cela afin de promouvoir la création artistique. Le droit patrimonial est cessible et il est fréquent que l’auteur le transfère, moyennant rémunération de son œuvre, à une entreprise qui l’exploitera sur le marché.

 

– Le droit moral, au contraire, n’est pas cessible et reste attaché à son auteur, quand bien même la finance eût été transmise : c’est le « lien juridiquement protégé, unissant le créateur à son œuvre et lui conférant des prérogatives souveraines à l’égard des usagers, l’œuvre fût-elle entrée dans le circuit économique » (Gautier, Propriété littéraire et artistique, Litec, 3ème ed, 1999, n°119). Le droit moral est la résultante d’une conception subjectiviste : l’œuvre, même séparée de son auteur, ne se détache jamais complètement de lui. Elle est son émanation, son « bébé » sur lequel il aura toujours un droit de regard, quand bien même l’œuvre corporelle créée et les droits sur cette œuvre auraient été cédés.

 

  • Le 20ème est aussi fertile en évolutions. Le droit d’auteur est structuré dans la grande loi du 11 mars 1957. Les interprètes en sont oubliés ; d’où un groupe de pression qui aboutit en 1985 à la loi sur les droits voisins et la reconnaissance d’autres intervenants : sociétés de télévision, producteurs de phonogrammes.

 

En 1992 les lois relatives au droit d’auteur sont codifiées dans un code de la propriété intellectuelle (=Code de Propriété Intellectuelle).

 

En 1997 une loi a porté la durée des droits patrimoniaux de 50 ans à 70 ans.

 

Les traités internationaux de l’OMC et de l’AMI font l’objet d’âpres négociations en raison des enjeux de la société de communication du 21ème siècle.

 

En 2006 on a transposé (loi du 1er août 2006) la directive européenne droit d’auteur et société de l’information, ce qui a permis de gérer la question du téléchargement et de réformer différentes autres questions sans relation avec la société de l’information (ex dévolution des droits d’auteur pour les œuvres créées par les fonctionnaires). Mais cette loi DAVSI est tellement critiquée en ce qui concerne le téléchargement illicite qu’un projet de loi de réforme, dit DAVSI 2, est déjà en chantier.

 

En 2007 on a modifié les règles applicables à la contrefaçon.

 

Le droit communautaire se mêle de plus en plus du droit d’auteur 

  • La CJCE proclame sa compatibilité avec le principe de la liberté de circulation des marchandises et des services
  • Les directives européennes relatives au droit d’auteur ou à internet se multiplient

 

III)         Les tendances actuelles :

Diverses tendances lourdes affectent le droit d’auteur.

 

  1. a) Tendance à la réification (droit réel) :

 1)   Analyse classique :

L’analyse dualiste peut être transposée aux droits voisins. Elle signifie que l’on doit distinguer deux éléments (l’un moral, l’autre patrimonial) dans le droit d’auteur.

 

Le droit moral est un droit de la personnalité : la cour de cassation l’a réaffirmé récemment, c’est-à-dire un droit subjectif qui ne s’exerce pas contre autrui mais qui concerne la personne même du sujet. L’art L 121-1 al.3 en fait un droit perpétuel et inaliénable.

 

Le droit patrimonial est considéré comme un droit de propriété, car opposable erga omnes. Certains textes parlent au demeurant d’un droit de propriété. Mais c’est un droit de propriété particulier, puisqu’il est provisoire et incorporel ; de plus le droit exclusif est raboté par la théorie de l’épuisement des droits. Beaucoup d’auteurs sont d’accord avec cette qualification ; d’autres la critiquent, mais ce débat n’a pas grand intérêt puisque le régime juridique est connu, les règles étant définies par la loi.

 

Dans ce droit de propriété il faut bien distinguer deux choses. D’une part l’œuvre artistique corporelle, d’autre part le droit d’auteur incorporel sur cette œuvre. Ces deux propriétés sont distinctes et indépendantes l’une de l’autre (cf l’article L 111-3 du Code de Propriété Intellectuelle)

 

La dualité implique que l’auteur et le cessionnaire de la finance gardent, ici encore, un droit de maîtrise sur l’oeuvre. Autrement dit ce n’est pas parce que vous êtes propriétaire de la sculpture, du papier sur lequel est écrit du scénario, que vous pouvez les exploiter (ce droit appartient au titulaire des droits patrimoniaux) ou les transformer à votre guise (droit moral de l’auteur : par ex il a été jugé que la remise du corpus à un tiers n’emporte pas divulgation de l’œuvre : Civ 1ère 29 nov 2005, Légipresse 2006.I.8) ; de même, commander un dessin pour une publicité ne donne pas le droit au commanditaire (celui qui passe commande) de l’exploiter comme on veut : seule l’utilisation, telle qu’elle est prévue au contrat, est autorisée.

 

2)   Analyse de l’école de Montpellier :

Le droit d’auteur est un droit de propriété dont le droit moral n’est qu’un avatar secondaire (Raynard, Droit d’auteur et conflits de lois, Litec, 1990). Le débat est politique. Si ce n’est qu’un droit réel on tend vers le copyright. Il est aussi juridique : s’il n’y a plus de droit moral les règles de conflits de lois en droit international privé sont modifiés. Il est encore stratégique : débarrassé du droit moral, le titulaire des droits pécuniaires peut plus librement exploiter l’œuvre et la modifier.

 

Et il est vrai que l’évolution du droit montre que la patrimonialisation du droit d’auteur fait des progrès.

    • le droit sui generis des bases de données ne comporte pas de droit moral ; le logiciel et les droits voisins ne comportent quant à eux que des moignons de droit moral
    • recul du droit moral dans la pratique. Il avait été jugé (TGI Paris 29 juin 1988, D 1989, Som 298, obs Hassler) que l’insertion du logo d’une chaîne de télévision sur un film cinématographique en cours de diffusion constituait une atteinte au droit moral. Pourtant cette pratique perdure. Pourquoi ? Parce que les auteurs préfèrent autoriser les télévisions à insérer leur logo plutôt que renoncer à l’argent que ces diffusions rapportent.
    • le droit moral a moins de sens pour les droits à finalité économique comme le logiciel
    • pour de nombreux auteurs il est nécessaire d’admettre un recul droit moral en vue des exploitations sur internet (il s’agirait d’admettre par exemple que la numérisation n’est pas un manque de respect à l’œuvre en dépit de la perte de qualité qu’elle pourrait engendrer).
    • l’aspect patrimonial prend de plus en plus d’importance : ce que l’on veut c’est permettre plus facilement l’exploitation des œuvres :

 

* constitution de sociétés de portefeuilles de droits ; ces sociétés achètent des droits d’auteur (un catalogues de films par exemple) pour des diffuseurs comme des chaînes de télévision

* l’art 214-1 du Code de la Propriété Intellectuelle interdit aux interprètes de s’opposer à certaines utilisations de l’œuvre (licence légale)

* importance prise par les sociétés de gestion collective ; celles-ci gèrent à la place des auteurs les droits qu’ils leur ont confiés

*multiplication des cessions légales au profit des entreprises afin de faciliter les exploitations : producteur audiovisuel, producteur d’une œuvre de commande pour la publicité. Dans la même lignée, en matière de logiciel, l’attribution des droits patrimoniaux à l’employeur montre que l’on met l’accent sur la disponibilité des droits d’exploitation au profit des entreprises

 

3)   Mais la plupart des auteurs (M Gautier, MM Lucas, Colombet) sont favorables au maintien de l’analyse duale.

  1. b) Tendance à l’éclatement :

– Cet éclatement est notamment dû aux compromis européens qui font une place à une logique de marché et au copyright, ainsi que, pour partie, aux droits voisins.

 

Ainsi le droit d’auteur protège ainsi parfois les entreprises qui ont fait des investissements : droit d’arène, logiciel, supra-conducteurs (puces), bases de données (droit sui generis), droits voisins des entreprises de communication audiovisuelle et des producteurs de phonogrammes nous rapprochent du copyright. Le droit d’auteur français n’a donc plus seulement une approche personnaliste du droit d’auteur. Il fait désormais la place à des droits qui sont d’inspiration plus économique.

 

– Le copyright a une philosophie différente du droit d’auteur. Il est fait pour protéger l’investisseur et non pas pour protéger un individu créateur. Le critère est la nouveauté plus que l’originalité + le titulaire du droit est l’entreprise et non pas la personne physique qui a créé l’œuvre + pas ou peu de droit moral et une vision purement patrimoniale du droit d’auteur + admission des licences obligatoires + les exceptions au monopole sont plus larges (fair use ou fair dealing fondé sur le principe du droit d’accès du public)

 

Le problème est que pour diverses raisons on a rangé le logiciel dans le droit d’auteur, ce qui déstabilise nos classifications, alors qu’il eût mieux valu, au nom du souci de compromis, admettre clairement qu’il s’agit de copyright et le ranger dans une catégorie à part. Il aurait mieux valu segmenter en catégories distinctes au lieu de mélanger (Sur cette question voir par exemple la thèse de M. A Lucas, La protection des créations industrielles abstraites, Libr Tehniques, 1975) le tout dans un magma peu homogène. Droit d’auteur et logiciel ont en réalité des philosophies différentes

 

– Outre les droits voisins et le droit sui generis du producteur de base de données on va poindre en jurisprudence d’autres droits sui generis en devenir : droit patrimonial à l’image, droit des éditeurs de données numérisées (on recueille pour eux une rémunération équitable), « droit d’arène » (ce droit est consacré au Brésil et vient d’être consacré par la Cour de cassation pour les organisateurs de spectacles sportifs : Com 17 mars 2004, lesquels sont déclarés propriétaires de leur spectacle) au profit des collectionneurs, organisateurs d’exposition, clubs sportifs qui prétendent être propriétaires des images sur le spectacle qu’ils organisent.

 

La loi du 15 déc 2004 a introduit la notion d’image collective des sportifs, ce qui permet, notamment aux clubs de football, de commercialiser les images de leur équipe avec un régime de contribution aux charges de la Sécurité Sociale allégé.

  1. c) Tendance à la collectivisation
  • Dans la création : de plus en plus d’œuvres créées à plusieurs
  • Dans la protection : les sociétés collectives de gestion des droits d’auteur + les licences collectives (art L 214-4 pour les producteurs et les interprètes de phonogrammes, L 311-5 pour les auteurs, les producteurs et les interprètes en matière de copie privée)

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