Naissance des libertés publiques (Rousseau, Locke, Montesquieu…)

Les précurseurs des libertés fondamentales

L’idée de libertés fondamentales trouve ses racines bien avant le XVIIIᵉ siècle. Le cheminement vers leur reconnaissance s’appuie sur des contributions variées de penseurs, juristes et philosophes, issus de différentes époques et courants intellectuels. Ces précurseurs ont alimenté une réflexion autour du droit naturel, du contrat social, de la séparation des pouvoirs et du rôle de l’État dans la préservation des droits individuels.

I. L’absolutisme royal comme prélude paradoxal

L’absolutisme royal, bien que souvent perçu comme antithétique aux libertés, a joué un rôle de modernisation en réduisant le morcellement féodal. En unifiant les situations juridiques au sein d’États centralisés, il a préparé le terrain pour l’idée d’égalité devant la loi. Sans cette homogénéisation, les revendications du XVIIIᵉ siècle auraient été plus difficiles à articuler.

a) L’unification juridique et la centralisation du pouvoir

L’absolutisme royal, bien qu’antinomique des libertés individuelles, a joué un rôle déterminant dans leur émergence. En luttant contre le système féodal, il a contribué à l’unification des situations juridiques et à la construction d’un État centralisé. Cette homogénéisation a facilité l’affirmation de l’égalité devant la loi, pierre angulaire des droits fondamentaux.

b) Le rôle des Lumières

Cette centralisation a été accompagnée par l’émergence de thèmes universels comme :

  • Le droit naturel, qui dissocie les droits de l’homme des cadres religieux.
  • Le contrat social, qui légitime l’autorité politique par le consentement des individus.
  • La séparation des pouvoirs, destinée à limiter les abus du pouvoir absolu.

Ces thèmes dominent trois œuvres majeures des Lumières :

  • L’Esprit des lois (Montesquieu).
  • Le Contrat social (Rousseau).
  • L’Encyclopédie (Diderot et d’Alembert).

II. Les thèmes fondateurs : droit naturel, contrat social et séparation des pouvoirs

a) Le droit naturel : une base pour la laïcisation du droit

  • Le droit naturel affirme l’existence de droits fondamentaux inhérents à la nature humaine, indépendamment des lois positives.

La définition et l’influence du droit naturel

Le droit naturel postule l’existence de droits fondamentaux inhérents à l’homme, indépendants des lois positives ou religieuses. Il constitue une base intellectuelle pour la laïcisation du droit et l’universalisation des droits humains.

Les premières applications du droit naturel

  • Grotius : Il utilise la notion de droit naturel pour justifier le pouvoir absolu (Louis XIII), soulignant l’ambivalence de ce concept.
  • Pufendorf : Il s’en sert pour légitimer la domination de la Hollande sur les mers, montrant que le droit naturel peut être instrumentalisé à des fins politiques.
La propriété comme droit fondamental

Le droit naturel nourrit l’essor du capitalisme en consacrant la propriété privée comme un droit fondamental. Cette idée influencera directement les révolutions anglaise, américaine et française.

 

b) Le contrat social : une arme contre le droit divin

Le contrat social repose sur l’idée qu’une société se forme par un accord volontaire entre les individus, marquant la transition de l’état de nature à l’état de société.

Une rupture avec la souveraineté de droit divin

Le contrat social est une arme intellectuelle qui remet en cause la souveraineté de droit divin. Il repose sur l’idée qu’une société se forme par un accord volontaire entre individus, marquant la transition de l’état de nature à l’état civil.

Deux interprétations du contrat social

  • Vision pessimiste : Thomas Hobbes (Le Léviathan, 1651).
    Hobbes analyse l’état de nature comme un lieu de chaos et de violence (« L’homme est un loup pour l’homme »). Pour garantir sa sécurité, l’homme accepte de céder ses droits à un État autoritaire, renonçant même à sa liberté de pensée. Cette vision privilégie la sûreté au détriment des libertés.

  • Vision optimiste : John Locke (Traité sur le gouvernement civil, 1690).
    Locke voit l’état de nature comme un cadre pacifique, mais incomplet. L’homme y consent au contrat social pour préserver ses droits fondamentaux : liberté, propriété et bonheur. Pour Locke, l’État a une fonction utilitariste : il doit assurer la prospérité et le bien-être de ses citoyens.

    • Cette vision influence directement les révolutions américaine et française. Toutefois, les marxistes critiquent Locke pour son rôle dans la défense des intérêts bourgeois.

Jean-Jacques Rousseau : la volonté générale

Rousseau (Du contrat social, 1762) adopte une approche plus collectiviste. Pour lui :

  • La volonté générale, expression de l’intérêt commun, doit primer sur les intérêts individuels.
  • La loi, issue de cette volonté générale, est la seule source légitime des décisions sociales.
    Cependant, Rousseau introduit un germe de totalitarisme : quiconque s’oppose à la volonté générale doit y être contraint pour son propre bien. Cette vision radicale a marqué la Révolution française et inspiré des régimes autoritaires.

 

c) La séparation des pouvoirs : le contre-pouvoir de Montesquieu

Une analyse des systèmes politiques

Dans L’Esprit des lois (1748), Montesquieu s’inspire du système britannique pour proposer une théorie de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Son but est de limiter l’abus de pouvoir, qu’il considère comme inhérent à la nature humaine (« Tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser »).

Le pouvoir judiciaire : un rôle clé

Montesquieu met en lumière l’importance du pouvoir judiciaire, qu’il considère comme le garant des libertés. Sa théorie influencera directement la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

Une préférence pour le régime représentatif

Contrairement à Rousseau, Montesquieu soutient le modèle britannique de régime représentatif, préférant la délégation des décisions à des représentants élus plutôt qu’un mandat impératif.

III. L’esprit de 1789 : une synthèse des Lumières

L’esprit de 1789 incarne une rupture politique et intellectuelle majeure, dont l’influence s’est propagée en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Ce mouvement, nourri par les Lumières et les révolutions précédentes, traduit une quête d’égalité, de liberté et de rationalité. Cependant, il reste marqué par les limites sociales et économiques de son époque.

1. Une révolution portée par une culture bourgeoise

  • La domination bourgeoise :
    L’esprit de 1789 est celui d’une bourgeoisie montante, animée par une quête de pouvoir économique et politique. Cette classe, qui domine également militairement à travers des institutions comme la Garde nationale, impose ses idéaux dans les structures du nouvel État.

  • La loi assimilée à la Raison :
    Dans cet esprit, la loi devient l’expression de la raison humaine universelle, censée gouverner tous les peuples. Ce principe de rationalité, profondément ancré dans la pensée des Lumières, établit la loi comme un fondement objectif et universel de la société.

2. Les valeurs fondatrices de l’esprit de 1789

a) La vertu

  • La vertu est une valeur centrale, souvent invoquée par les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC). Elle incarne une exigence de rigueur morale et de courage, nécessaire pour garantir la stabilité et l’efficacité des institutions nouvelles.

b) Le bonheur

  • Le bonheur, inspiré par la nature et l’image idéalisée du bon sauvage, devient une finalité politique. Cette notion influence non seulement la Révolution française, mais également les premières institutions des États-Unis, avec une inscription explicite dans la Déclaration d’indépendance américaine (1776).

c) L’utilité

  • La notion d’utilité, issue de la pensée économique et philosophique, joue un rôle clé dans l’esprit de 1789. Inspiré par Jeremy Bentham, ce concept affirme que toute institution ou organisation sociale doit être évaluée en fonction de sa capacité à préserver la propriété, garantir les libertés et améliorer le bien-être collectif.

d) L’égalité

  • L’égalité, bien qu’affichée comme un principe fondamental, reste limitée dans son application. Elle est perçue comme un idéal potentiel plutôt qu’une réalité immédiate.

    « Le peuple ne doit pas être confondu avec la populace. »
    Cette vision traduit une méfiance envers les classes populaires, jugées inaptes à participer pleinement à la vie politique, notamment par le refus d’un suffrage universel.

3. Une société marquée par les tensions anthropologiques

a) Deux conceptions de l’homme

  • Les Lumières opposent deux visions de l’être humain :
    • L’homme rationnel : capable de gouverner sa vie et sa société à travers la raison.
    • L’homme instinctif : un animal dominé par des besoins primaires (nourriture, reproduction).
      Ces tensions traversent les débats philosophiques et politiques de l’époque, influençant la définition des droits et devoirs des citoyens.

b) L’égalité et la hiérarchie sociale

  • Bien que l’esprit de 1789 prône une égalité de principe, il établit des distinctions sociales implicites. Le suffrage censitaire, par exemple, exclut les classes jugées incapables d’exercer un jugement éclairé, limitant ainsi l’accès aux droits politiques.

En résumé, l’idée de libertés fondamentales s’est construite progressivement, à travers des réflexions sur le droit naturel, le contrat social et la séparation des pouvoirs. Si des penseurs comme Hobbes, Locke, Rousseau ou Montesquieu ont apporté des contributions théoriques essentielles, c’est l’esprit de 1789, marqué par une synthèse des Lumières et des aspirations bourgeoises, qui a traduit ces idées en principes juridiques et politiques concrets.

Laisser un commentaire