Naissance et histoire du droit administratif français

La formation du droit administratif

Le droit administratif est le droit applicable à l’administration.

L’expression droit administratif est relativement récente. Cette expression du 19ème siècle désigne une discipline juridique. Avant, on parlait de droit public, « jus publicum » en droit romain. L’ancien droit public se divise en droit administratif et droit constitutionnel.

Un droit récent :

  • La Révolution a instauré la séparation des autorités administratives et judiciaires
  • o les juges ne peuvent troubler les opérations des corps administratifs
  • o séparation des pouvoirs

avec pour conséquence la mise en place d’un administrateur-juge

  • En 1799, création d’un Conseil d’Etat
  • En 1872, le Conseil d’Etat se voit reconnaître le pouvoir de juger les litiges administratifs
  • En 1889, le Conseil d’Etat devenait le juge de droit commun de l’ensemble du contentieux du droit administratif

Un droit jurisprudentiel :

  • L’arrêt Blanco de 1873 a posé le principe de règles différentes de celles du droit privé
  • Fin XIXème et début XXème: bases du droit administratif sur la base de la protection des droits des administrés
  • Les sources législatives et réglementaires du droit législatif sont relativement rares : nécessité d’une codification du droit administratif
  • Jurisprudence -> arrêts des juges administratifs relativement disparates
  • Codification et problème d’une réglementation trop précise
  • Prolifération des normes législatives et réglementaires
  • Jurisprudence instable, codification délicate, production normative anarchique

Il y a une double formation du droit administratif, avec un objet qui se développe :

  • Formation jurisprudentielle
  • Formation doctrinale.

Au cours du 19ème siècle, se développe la juridiction ou la jurisprudence administrative avec la règle et la discipline administrative.

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I ) La formation jurisprudentielle du droit administratif

A) Les origines révolutionnaires du droit administratif

La loi des 16 et 24 août 1790 (document en ligne)

L’article 13 de la loi est le plus intéressant : « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées ». Il faut assurer la séparation des fonctions judiciaires. On ne peut pas confier 2 fonctions distinctes à un même organe. Les fonctions administratives ne peuvent pas être confiées à un organe judiciaire.

« Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.» Cette obligation a du être répétée dans la loi Fructidor an III. Il y a un problème de délimitation entre droit privé et droit pénal.

Il y a ici un principe de séparation des fonctions administratives et judiciaires. Juger et administrer sont 2 fonctions différentes. « Juger l’administration c’est encore administré ». Le juge administratif serait donc un co-administrateur.

Cette loi n’est pas une loi de naissance de l’administration, elle n’institue pas une juridiction administrative. La Révolution ne crée pas l’administration. Les administrateurs règlent les conflits eux-mêmes, à cette époque. Les corps administratifs jugent, l’administration règlent ses affaires elle-même. Les litiges relatifs aux contributions indirectes restent dans la compétence judiciaire, ce qui montre quelques approximations dans cette loi.

B) Le moment napoléonien

La Constitution du 22 Frimaire an VIII dispose « sous la direction des consuls un Conseil d’État est chargé de rédiger les lois et les règlements d’administration publics et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ».

La loi de Pluviôse an VIII introduit les préfets, les conseils de préfecture qui sont eux aussi chargés d’apporter au préfet quelques conseils juridiques, mais de régler les problèmes administratifs en matière départementale.

L’article 52 met en place un principe fondamental : la dualité des fonctions du Conseil d’État :

  • Mission contentieuse
  • Mission consultative.

La Cour européenne des Droits de l’Homme a incité le Luxembourg à mettre un terme à la dualité des fonctions du Conseil d’État.

Le Conseil d’État donne, aux litiges qui lui sont soumis, une solution, mais ces décisions ne sont, à l’époque, pas revêtues de l’autorité de chose jugée. Il s’agit d’un avis rendu aux consuls ou à l’empereur. Le chef de l’exécutif accepte ou non cet avis. La justice du Conseil d’État ressemble à la Justice de l’Ancien Régime, avec les lits de Justice. La justice est retenue dans la main de l’empereur et ce système perdure jusqu’en 1872.

Le Conseil d’État n’exerce qu’une justice retenue dans la main de l’exécutif, il ne s’agit pas d’un réel organe juridictionnel, c’est un organe spécialisé, dans la mission qui est celle de conseiller le chef de l’exécutif dans sa fonction de juridiction administrative.

La justice administrative va naître progressivement lorsqu’on aura supprimé la justice d’autonomie. Les corps administratifs s’autonomisent et se juridictionnalisent. Le processus de juridictionnalisation est lent et progressif avec l’obtention d’un certain niveau d’indépendance.

En principe, et sauf exception législative, le Conseil d’État est compétent pour statuer en appel, sur les décisions rendues en conseil de préfecture ou en conseil des ministres.

schéma du ministre juge

  • Conseil d’État
  • Ministre
  • Conseil de préfecture
  • loi

C) Le moment républicain

  • a) La justice déléguée

Le 24 mai 1872, on supprime le roi. L’article 9 affirme « le Conseil d’État statue souverainement sur les recours en matière contentieuse et sur les demandes en excès de pouvoir ».

Le système évolue : le Conseil d’État, de manière prétorienne dans un arrêt de 1889 ou arrêt Cadot, affirme qu’il peut être saisi lorsque le conseil de préfecture n’a pas été saisi. Les conseils de préfecture sont remplacés par les tribunaux administratifs le 30 septembre 1953. Les tribunaux administratifs ont une compétence de droit commun en première instance. La loi du 31 décembre 1987 instaure les Cours administratives d’appel. Toutes ces cours obéissent au principe de dualité des fonctions.

On a ajouté une juridiction spéciale paritaire pour trancher s’il s’agit d’une affaire judiciaire ou administrative : le tribunal des conflits.

Actualisation du schéma du ministre juge

  • CONSEIL D’ÉTAT
  • COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL
  • TRIBUNAL ADMINISTRATIF
  • LOI
  • b) Le tribunal des conflits

Le tribunal des conflits rend ses premières décisions le 8 février 1973 avec l’arrêt Blanco.

Agnès a été renversée par un wagonnet d’une manufacture de tabac de l’État. Elle a dû se faire amputer. Il s’agit de mettre en jeu la responsabilité de l’État. Qui doit réparer le dommage ? Le père d’Agnès saisit le juge civil. Le préfet affirme qu’il s’agit d’une procédure administrative. Le juge civil y est opposé. Le conflit est porté devant le tribunal des conflits qui donne raison au préfet, et à son arrêté de conflit. Ces arrêts se réfèrent aux arrêts Blanco des 16 et 24 août 1790. Le juge judiciaire et le juge administratif sont distincts : les juges judiciaires, civils et pénaux ne doivent pas troubler les opérations des corps administratifs. Il faut déterminer ce qu’est une opération des corps administratifs par interprétation d’une loi : il faut trouver des critères généraux. Le critère organique ne fonctionne pas toujours : privé ne veut pas toujours dire judiciaire et public ne veut pas toujours dire administratif.

Dans les motifs de l’arrêt : « la responsabilité qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public ne peut être réglé par les principes établis dans le Code civil ».

Cette responsabilité n’est ni générale ni absolue. C’est une responsabilité spéciale qui varie selon les besoins des services et la volonté de concilier les droits de l’État avec les droits privés.

L’intérêt général prévaut sur les intérêts privés.

La différence entre droit privé et droit public se trouve dans la différence entre les rapports relatifs aux intérêts.

« Dès lors, au terme des lois ci-dessus visées (août 1790), l’autorité administrative est seule compétente ». La compétence suit le fond : lors d’une affaire, pour déterminer la compétence, je dois me poser la question du droit applicable. On peut conclure alors soit au droit administratif soit au droit privé. L’opération première du juriste est l’analyse de l’affaire. Parfois, l’État se place au même niveau que les intérêts privés, c’est alors le droit civil qui s’applique dans un litige entre l’État et le particulier. Il faut voir si est en cause une opération administrative. La nature de l’opération est déterminante.

Si le but poursuivi est d’intérêt général, on le qualifie de service public. Il s’agit donc d’un rapport de droit public. Comment la personne publique poursuit-elle se but ? Quels sont les moyens ? La personne publique impose sa volonté: la relation est d’ordre public. Lors de l’utilisation de moyens ordinaires : la relation est d’ordre privé.

On notera le nom de Maurice Hauriou et celui de Léon Duguit qui sont de grands juristes de droit public

c) La production jurisprudentielle du droit administratif (droit prétorien)

Le droit administratif est une succession de législation particulière. Il faut des principes structurants, un Code administratif. Il faut une cohérence d’ensemble avec tant de principes disparates. Le juge administratif a produit progressivement ce droit. L’office du juge dans cette harmonisation du droit administratif est toujours important.

Ne faudrait-il pas codifier la procédure que doivent suivre les administrations ? On n’y arrive pas, le législateur mettrait la main sur un domaine général et se substituerait au travail d’administration du juge.

II ) La formation doctrinale du droit administratif

A) Évolution générale

À partir de cette époque, la production jurisprudentielle du Conseil d’État devient importante et demande à être systématisé.

Dans les facultés de l’Ancien Régime, le droit civil est maître, les études de Droit sont presque exclusivement consacrées à l’étude du droit civil. Il y a dans les universités de l’Empire du 16ème siècle, une discipline qui s’appelait jus publicum. C’est la montée en puissance de l’État moderne qui entraîne un intérêt scientifique pour l’étude des activités et des conditions d’exercice de la puissance étatique. Il faut rationaliser, régler les activités administratives de cet État. Il se développe une science dite de la police dont le principal auteur français est Nicolas Delamare. Cette science est l’ancêtre à la fois du droit administratif parce qu’il y a des aspects juridiques, mais aussi une partie descriptive, c’est aujourd’hui la science administrative. C’est l’art de procurer une vie commode et facile aux sujets du roi.

La Révolution et le 19ème siècle font passé l’État moderne de l’État police à l’État de droit (doctrine libérale de Benjamin Constant).

Le système social et politique repose sur une distinction fondamentale : le bonheur des citoyens est leur affaire privée. Il y a donc une séparation entre la sphère publique et la sphère privée. Le droit public est le droit des affaires publiques, mais ça ne touche plus au bonheur des citoyens. Dès le début du 19ème siècle se développe alors le droit public. Un cours de droit public vers 1820 était une petite introduction aux principes de la Charte de 1814 et un examen des lois administratives. Le grand Théophile Ducrocq sous le Second Empire donnait des cours de droit administratif. On notera également Édouard Laferrière avec son traité de la juridiction administrative et des recours contentieux de 1887 en 2 volumes. Avant le droit administratif, le droit n’était que chaos.

B) La grande querelle fondatrice du droit administratif français

Il faut trouver le rapport de droit qui s’applique entre l’État et le particulier. Soit on analyse les moyens de l’État : ces moyens ne sont pas ceux des personnes privées car ils sont exorbitants et on reconnaît la puissance publique donc il faut appliquer le droit spécial.

C) La réception par le Conseil d’État des doctrines

Il faut que le Conseil d’État tranche s’il faut analyser les fins ou les moyens.

  • Première adhésion aux thèses du service public

Derrière ces thèses, il y a des enjeux et des thèses politiques très fortes. Cette doctrine politique est transposée en doctrine du service public.

Adhésion aux thèses de l’école du service public

Il faut retenir les GAJA (grands arrêts de la justice administrative) pour étayer les devoirs.

  • L’arrêt du 6 février 1903 de Saône et Loire : le département donne une prime à la destruction des vipères. Or, M. Terrier a détruit un certain grand nombre de vipères qu’on lui refuse la prime. La Conseil d’État se demande s’il est compétent. Il y a compétence de la juridiction administrative et l’arrêt est extrêmement laconique. Le problème de l’arrêt mentionné n’est pas « la compétence du tribunal administratif », il faut un « mais » avec des moyens, des concepts juridiques. Le commissaire du gouvernement n’est pas là pour faire valoir le point de vue du gouvernement sur l’affaire, il donne sur l’affaire dont est saisi le Conseil d’État des conclusions soit des opinions motivées (il raisonne juridiquement, quelle théorie faut-il appliquer ?). Le commissaire du gouvernement Romieu dit « tout ce qui concerne des services publics, proprement dit, généraux ou locaux constitue une opération administrative ». Pourquoi ? Cela concerne l’organisation du service public.

Remarques :

Ce n’est pas parce que le commissaire du gouvernement avance une théorie que le Conseil d’État suit cette théorie.

Romieu a dit « Il faut toutefois réserver une hypothèse, en matière de service public oui le droit administratif s’applique, le juge administratif est compétent, sauf si l’administration doit être réputée agir dans les mêmes conditions qu’un particulier et se trouve soumise aux mêmes règles et aux mêmes juridictions ».

In fine, la question la plus importante est comment agit l’administration : comme un particulier ou comme puissance publique.

  • L’arrêt Thérond du 4 mars 1910 a trait au contrat. Il s’agissait de supprimer les chiens errants, le contrat lie la ville de Montpellier et M. Théron. Les parties à un contrat administratif ne sont pas à égalité. Le Conseil d’État dit ce contrat, parce qu’il a eu pour but d’assurer un service public, impose qu’on lui applique le droit administratif.
  • L’arrêt Feutry du tribunal des conflits de 1908 : un fou s’échappe d’un hôpital psychiatrique (public) et met le feu à une botte de paille de M. Feutri. C’est une responsabilité administrative parce que c’est un mauvais fonctionnement d’une institution chargée d’assurer le service public.
  • L’arrêt du 31 juillet 1912 : granit des Vosges : c’est un marché entre la ville de Lille et un fournisseur de pavés, c’est donc un contrat de livraison de fournitures. Ce contrat a pour but de permettre l’exécution d’une mission de service public. Le Conseil d’État conclue qu’il n’est pas compétent parce que, d’après les conclusions Blum, ce marché a été passé selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers. Ce contrat comporte des clauses exorbitantes du droit commun c’est-à-dire de droit privé donc il doit sortir du droit privé et va attérir dans le droit administratif. Cette jurisprudence est complétée par une autre.
  • L’arrêt du 22 janvier 1921 portant affaire du BAC DELOKA. Celui-ci coule à pic entraînant la mort de quelques indigènes et de 4 véhicules de la société. Il s’agit donc de la responsabilité contractuelle. Le tribunal des conflits statut en faveur du juge judiciaire. Le Conseil d’État affirme que ce service public est géré dans les mêmes conditions qu’un service public. Il y a donc des services publics de droit privé.
  • Dans 2 arrêts de 1956 : Verdun et Grimouard, le Conseil d’État a dit qu’il s’agissait de contrats, un contrat est administratif et est soumis à un régime administratif s’il est passé par au moins une personne publique et soit il est public car on trouve des clauses exorbitantes de droit commun doit car il poursuit directement une finalité de service public.

Devant une situation juridique, lorsqu’il faut l’analyser pour savoir s’il s’agit de droit public ou de droit privé il faut combiner :

  • Les moyens utilisés
  • La finalité.

Il faudra combiner ces 2 critères et parfois les 2 sont associés. Les critères jouent de manière soit cumulative soit de manière alternative.