Napoléon III, dernier empereur des français

Napoléon III (1808 – 1873)

Napoléon III a été longtemps traîné dans la boue par les historiens républicains, qui ne lui ont jamais pardonné le coup d’État de 1851. Le grand public reste souvent sur cette image noircie. Aujourd’hui, certains auteurs ont décidé de réhabiliter Napoléon III et se sont trouvés dans l’excès inverse, ne lui trouvant que des vertus.

 

  1. I – Le conspirateur

La jeunesse de Louis Napoléon Bonaparte (A) ne le prédestinait pas nécessairement au métier de conspirateur, dans l’exercice duquel s’entremêlent étroitement l’action et la doctrine (B).

 

A / La jeunesse

Charles Louis Napoléon Bonaparte est né en 1808, fils d’un frère cadet de Napoléon, Louis Bonaparte, roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais (fille de Joséphine). Louis-Napoléon a six ans en 1814, début de l’exil ; sa mère et lui se fixent en Suisse en 1817. Enfant intéressant, sensible, généreux, d’une intelligence assez solide quoique lente. Culture très moderne pour l’époque, axée sur l’enseignement des mathématiques et des langues vivantes (il maîtrise le français, l’italien, l’allemand, l’anglais). Il ne fera pas étalage de sa culture, et beaucoup de ses contemporains prendront sa timidité pour de la bêtise.

 

Sa culture est une culture de gauche ; de 1820 à 1827, Louis-Napoléon Bonaparte est confié à un précepteur sévère : Philippe le Bas, fils d’un député jacobin à la Convention nationale + sa mère la reine Hortense a insufflé à son fils la conviction qu’un Bonaparte devait avoir un destin national, mais à la condition expresse d’obtenir l’adhésion du peuple : « le peuple qui donne a le droit d’ôter ». → Toute puissance leur vient de la volonté populaire.

 

B / L’action et la doctrine

 

  1. L’action

En 1830 (à 22 ans), il accueille la Révolution avec enthousiasme. Mais la déception est immédiate : la monarchie de Juillet confirme la loi d’exil des Bonaparte votée sous la Restauration. Louis-Napoléon n’est pas encore bien placé dans l’ordre de succession des Bonaparte ; il vient en cinquième position, après son cousin Napoléon II roi de Rome (fils de Napoléon et Marie-Louise d’Autriche), Joseph Bonaparte (frère aîné de Napoléon), Louis Bonaparte (père de Napoléon), Napoléon Louis (frère aîné de Napoléon III). Après la mort de Napoléon II en 1832, les choses vont changer. Dès lors, il va faire cavalier seul, quitte à être désavoué formellement par sa famille.

 

En 1830-31, son frère aîné et lui-même participent à des menées révolutionnaires. Son frère meurt en mars 1831, et en avril la reine Hortense se rend à Paris avec son fils Louis-Napoléon. Le gouvernement de Louis-Philippe serait prêt à laisser rentrer Louis-Napoléon en France, à condition qu’il change de nom et cesse de s’appeler Bonaparte = refus brutal.

 

Il prend contact avec des républicains et « aventuriers » qui l’ont fort mal informé ; Louis-Napoléon est alors persuadé que le peuple français et l’armée sont bonapartistes, parce qu’il confond le bonapartisme moribond et la légende napoléonienne en plein essor, encouragée officiellement par le gouvernement de Louis-Philippe. Cette confusion entre le bonapartisme et la légende explique en grande partie l’obstination de Louis-Napoléon à persévérer dans la voie de la conspiration, alors qu’il n’a pas de moyen ni de soutien bien sérieux.

 

Dès 1831, premier complot contre la monarchie de Juillet, affaire étouffée par le gouvernement.

 

En 1836, Louis-Napoléon essaie de soulever la garnison de Strasbourg mais échoue et se voit expulsé vers l’Amérique.

En 1840, troisième complot : Louis-Napoléon venu d’Angleterre débarque à Boulogne sur Mer : la monarchie de Juillet voit rouge, Louis-Napoléon est traduit devant la Chambre des Pairs qui le condamne à la prison à vie au fort de Ham (Picardie), d’où il s’évade pour retourner en Angleterre.

 

  1. La doctrine

Durant sa jeunesse, il a dévoré avec passion le Mémorial de Sainte-Hélène. Ainsi, il croit à la mission des Bonaparte en tant que consolidateurs de la Révolution, mais aussi au principe des nationalités (empire rassembleur mais autoritaire, qui permettrait une libéralisation ultérieure). = Il confond ce qui est calcul de Napoléon forgeant sa légende avec la réalité.

 

À la différence de son oncle, Louis-Napoléon se passionne pour les questions économiques et sociales. Ainsi, il va orienter le bonapartisme dans le sens nouveau et original d’une philanthropie socialisante, dans l’esprit du XIXe siècle.

 

De plus, il publie ses idées, notamment des Rêveries politiques, brochure teintée de jacobinisme en 1832. En 1839, il publie également Des idées napoléoniennes, ouvrage dans lequel il revoit et corrige le Mémorial de Sainte-Hélène et le remet à l’ordre du jour. On retrouve d’ailleurs la formule que selon lui, l’idée napoléonienne est « sociale, industrielle, commerciale, humanitaire ».

 

En prison, il reçoit la visite du socialiste Louis Blanc, et continue de publier des écrits d’inspiration éclectique : à la fois libérale en économie (partisan du libre échange) et socialiste (influence de plusieurs courants socialistes). En 1844, il publie en prison Extinction du paupérisme: dans cet ouvrage, il s’agit de fournir du travail aux prolétaires en les regroupant dans des colonies agricoles organisées par l’État sur des terres en friche.

 

À la fin de sa captivité, il peut apparaître comme un démocrate d’une gauche très modérée, et ce démocrate souhaiterait pouvoir s’allier aux républicains, mais se heurte aussitôt à leur méfiance. En effet, depuis 1846 (date de son évasion + de la mort de son père), Louis-Napoléon est l’aîné des Bonaparte, ce qui le prédispose dans son esprit à devenir le chef de l’État.

 

  1. II – L’homme d’État

L’homme n’a pas vraiment changé entre 1848 et 1870. Néanmoins, par commodité, nous distinguerons chronologiquement le président de la République (A) et l’empereur (B).

 

A / Le président de la Seconde République

En février 1848, à l’annonce de la révolution parisienne, Louis-Napoléon est ravi : il quitte l’Angleterre pour venir à Paris, puis repart aussitôt à la demande de Lamartine.

 

Il recueille des voix aux élections constituantes, puis est élu aux élections complémentaires le 4 juin député de Paris ainsi que dans trois autres départements. On entend crier à Paris « Bonaparte président » voire même « Napoléon empereur ». Ces cris contribuent à renforcer la méfiance de l’Assemblée constituante. Le 12 juin, l’Assemblée lui interdit de rentrer à France et ordonne même son arrestation au cas où il déciderait de rentrer en France. Mais le lendemain, elle se ravise et proclame l’élection de Louis-Napoléon. Toutefois, Louis-Napoléon Bonaparte démissionne de lui-même, mais se représente en septembre et se voit alors réélu avec plus de voix, gagnant un département de plus qu’en juin : il siège à l’Assemblée constituante le 25 septembre 1848.

 

Dans les assemblées d’autrefois, il fallait être bon orateur (on croyait que c’était l’indice presque exclusif de l’intelligence). Dès lors, de ce très mauvais orateur qu’est Louis-Napoléon, Adolphe Thiers va dire : « C’est un crétin que l’on mènera ». Louis-Napoléon est donc à l’arrière-plan des débats sur la Constitution de 1848. Beaucoup de députés s’inquiètent à l’idée que le peuple puisse choisir comme président un membre d’une famille ayant régné sur la France, mais l’élection au SUD l’emporte le 9 octobre. Le 11 octobre, l’assemblée supprime la loi d’exil des Bonaparte. Louis-Napoléon Bonaparte est élu avec les 3/4 des voix.

 

Cela s’explique par le fait qu’il a bénéficié des effets de la légende napoléonienne, de son simple nom (ce nom est alors le plus connu en France), de sa position tout à fait claire au-dessus des partis, qui lui a permis de recueillir des voix parmi tous les partis.

 

L’Assemblée élue en 1849 est monarchiste, et a orienté très vite la République dans la voie du conservatisme, alimentée par la peur Rouge. De son côté, Louis-Napoléon Bonaparte président de la République attend son heure prudemment. Sa force réside dans sa légitimité populaire et du prestige de son nom : il s’appuie sur l’opinion, auprès de laquelle il se pose comme un recours nécessaire contre deux dangers : le péril monarchiste / le péril rouge. Le coup d’État du 2 décembre 1851 est dirigé contre l’Assemblée monarchiste.

 

Cependant, il n’avait pas prévu les résistances républicaines : répression méthodique plus ou moins brutale selon les régions. Louis-Napoléon Bonaparte va devoir attendre les résultats du plébiscite des 20 et 21 décembre pour que s’atténue un peu son remord d’avoir fait verser le sang lors de la répression. En vertu de ce plébiscite qui lui déléguait le pouvoir constituant, il promulgue une nouvelle Constitution : la Constitution du 14 janvier 1852, largement inspirée de la vieille Constitution de l’an VIII, avec une présidence tout à fait dominatrice.

 

Il ne reste plus qu’à changer le titre du chef de l’État et la durée de ses fonctions. Ce sera l’objet d’une second plébiscite de novembre 1852 qui rétablit l’empire le 2 décembre : Louis-Napoléon président de la République devient Napoléon III, empereur des Français.

 

B / L’empereur

La personnalité de Napoléon III est assez complexe, se résume en un surnom qu’on lui confère : « le sphinx ». Personnage aux multiples facettes, Napoléon III est à la fois démocrate (1), autoritaire (2), social (3) et libéral (4).

 

  • L’empereur démocrate
  • La reine Hortense et Philippe le Bas (son précepteur) avaient inculqué à Napoléon III des principes quasi-jacobins. En 1851, le président a résisté à tous ceux qui lui dénonçaient les dangers du SU. Si Louis-Napoléon Bonaparte rétablit le SU lors du coup d’État, c’est par conviction. Bien sûr, il a une conception plébiscitaire du vote universel, va considérer sous le Second empire que les élections législatives ont aussi la valeur d’une refondation périodique de l’empire par le peuple souverain. À sa façon, Louis-Napoléon Bonaparte est plus démocrate que beaucoup de républicains de son époque.
  • L’empereur autoritaire
  • De 1852 à 1859, l’empereur est autoritaire. Les préfets surveillent de très près les activités de la vie politique afin de la réduire au strict minimum : la presse est muselée, toute opposition est neutralisée.

 

  • L’empereur social

La prospérité économique du Second empire n’a pas profité seulement aux industriels, banquiers, etc, mais à tous, notamment aux paysans (large majorité de la population). Du côté des villes, l’époque est celle de l’urbanisme haussmannien ; si l’on accepte de ne pas voir que cet aspect, Napoléon III n’a pas perdu de vue le sort des plus défavorisés.

 

Après 1860, lorsqu’il voit un certain nombre d’industriels se détourner de lui, il prend contact de son propre chef avec l’ouvrier Tolain, avec qui le contact s’établit facilement. En 1862, il patronne l’envoi de 200 ouvriers envoyés à Londres pour y étudier les syndicats britanniques (interdits en France). Dans cet esprit d’ouverture est votée la loi du 25 mai 1864, votée contre l’avis des patrons, qui autorise la grève.

 

  • Les syndicats quant à eux restent clandestins, mais on les tolère lorsqu’ils se bornent à la pure activité syndicale, sans faire de politique. Cette politique aurait pu réussir sur le papier, sans la création de l’Internationale des travailleurs en 1864. Napoléon III ne peut pas s’accommoder de cela : le courant marxiste va accroître son influence.

 

  • L’empereur libéral

Napoléon III est libéral en économie, cf le Traité de libre-échange conclu avec le Royaume-Uni en 1860. Cependant, il va se montrer également libéral en politique, dès les années 1860-61, et se confirme en 1867. Cette évolution libérale de l’empereur tient à de multiples raisons :

 

  • sa santé est de plus en plus déclinante
  • déceptions de Napoléon III en politique extérieure et intérieure
  • pression des oppositions soutenues
  • apparition d’un tiers parti qui regroupe les libéraux non-bonapartistes et les républicains ralliés…

 

Mais il ne faut pas oublier sa propre conviction ancienne, celle qui remonte à sa lecture du Mémorial de Sainte-Hélène, que l’autorité était nécessaire pour un temps mais devait déboucher sur la liberté.

 

Napoléon III est allé au bout de sa logique en matière parlementaire puisqu’en 1867, le droit d’interpellation est rétabli (= ancêtre de la motion de censure), en matière de liberté de la presse et de réunion en 1868.

 

La victoire électorale des républicains en 1869 accélère le processus. C’est alors Émile Olivier et non pas l’empereur qui forme le ministère, ce qui semble annoncer une réforme vers le parlementarisme. Les diverses réformes constitutionnelles libérales sont soumises à un plébiscite qui remporte un grand succès (82% des suffrages exprimés). Napoléon, très malade à l’époque, peut croire que l’empire est définitivement assis et que son fils lui succédera paisiblement.

 

→ Napoléon III a été pris au piège du principe des nationalités. Il avait été le parrain de la récente unité italienne (1860). Ainsi, il ne s’est pas opposé à la construction de l’unité allemande, qui va se faire autour de la Prusse, que Bismarck veut achever en abaissant la France : il a provoqué habilement la France, qui déclare la guerre le 19 juillet 1870.

 

Napoléon III est fait prisonnier à Sedan le 2 septembre 1870. Le 4 septembre à Paris, des républicains proclament la déchéance de l’empereur et la République. Napoléon III une fois libéré se rendra en exil en Angleterre où il mourra en 1873, = époque où le bonapartisme connaît en France un renouveau éphémère, avant de basculer à droite, renonçant à sa vocation de rassemblement national, ce qui le perdra.

 

Curieusement, aux obsèques de Napoléon III en Angleterre on voit arriver une petite délégation d’anciens communards de 1871, qui viennent rendre hommage à l’empereur, probablement à l’empereur social.