Nature et origine de l’État : contrat social ou État de nature

L’ORIGINE DE L’ÉTAT 

       L’organisation du pouvoir politique sous la forme de l’Etat est un phénomène récent dont l’apparition est située au XVe siècle ; par conséquent, l’Etat est le résultat d’un long processus évolutif d’institutionnalisation du pouvoir qui s’est produit à des moments différents selon les sociétés et les contraintes externes auxquelles l’Etat à du faire face.

Si l’Etat est le résultat d’un long processus, rien ne permet pour autant de dire que ce processus soit achevé.

Au centre de ce processus, il y a l’homme car sa condition humaine veut que cet homme soit à la fois un être individuel et un être ensemble :

  • – Un être individuel : soif de la liberté et être autonome.
  • –  Un être ensemble : par nature, il vit en société et c’est dans la société qu’il se réalise.

 

=> Les premières formes de sociétés humaines correspondaient à une petite structure : famille, clan, tribu…

La recherche d’origine de l’Etat : c’est l’origine du pouvoir. Une société soumise à un pouvoir n’est pas un Etat.

Certains auteurs pensent que l’Etat est un produit de la volonté humaine, mais d’autres pensent qu’il provient d’une évolution naturelle.

 

 

&1. L’État phénomène volontaire ou les théories du contrat social

Les théories du contrat social, développées aux XVIIe et XVIIIe siècles par des penseurs comme Hobbes, Locke et Rousseau, reposent sur une idée centrale : l’État résulte d’un accord librement consenti entre les individus, visant à organiser la société et à garantir des droits fondamentaux. Ces théories se fondent sur la transition entre un hypothétique état de nature et l’établissement d’un contrat social pour créer une société régie par des lois.

Malgré des divergences significatives, ces auteurs partagent une conception commune selon laquelle l’association volontaire des hommes constitue la base du pouvoir étatique, même si leurs finalités et leurs modalités diffèrent.

L’état de nature

Dans Du contrat social, Jean-Jacques Rousseau décrit l’état de nature comme une situation où les hommes vivent isolés, libres et égaux. Cet état initial, bien que pacifique, évolue négativement avec l’apparition des inégalités :

  • L’accumulation de richesses et l’appropriation des terres marquent la fin de l’égalité naturelle, entraînant une distinction entre les riches et les pauvres.
  • Les inégalités sociales conduisent à des rapports de domination : entre gouvernants et gouvernés, maîtres et esclaves.
  • Rousseau considère que cette transformation engendre une société injuste, régie par une « loi de la jungle », où la liberté originelle disparaît au profit de la soumission.

Pour remédier à cet état d’injustice, il devient nécessaire de construire un ordre social fondé sur des principes équitables, par le biais d’un contrat social.

Le contrat social selon Rousseau

Rousseau se distingue par sa quête d’une société juste et légitime, où les individus, tout en perdant leur liberté naturelle, gagnent une liberté civile supérieure. Son contrat social repose sur plusieurs principes essentiels :

  1. L’aliénation au profit de la communauté :
    Chaque individu accepte de mettre en commun sa personne, ses biens et sa liberté, non pas au bénéfice d’un souverain ou d’un groupe particulier, mais au profit de la communauté tout entière. Cela donne naissance à un corps social collectif : l’État.

  2. La volonté générale :
    L’État est gouverné par la volonté générale, qui ne se réduit pas à une simple addition des intérêts individuels. Cette volonté collective exprime ce qui est bon pour l’ensemble de la société et s’impose comme un guide pour tous.

  3. Liberté et égalité :
    En adhérant au contrat social, les individus ne renoncent pas réellement à leur liberté, car ils obéissent à des lois qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer. Cette liberté civile, encadrée par les lois, est supérieure à la liberté égoïste de l’état de nature, car elle garantit l’égalité et le bien commun.

Rousseau insiste sur le fait que cette théorie repose sur une hypothèse, non sur des faits historiques concrets. Ce modèle idéal de société trouve sa légitimité dans le consensus des individus sur la nécessité de s’unir sous une autorité commune, ayant pour objectifs la paix, la sécurité et le bonheur collectif.

Les divergences avec Hobbes et Locke

Si Rousseau place le collectif au cœur du contrat social, Hobbes et Locke adoptent des approches distinctes :

  1. Hobbes et le Léviathan :

    • Dans Le Léviathan, Hobbes décrit un état de nature marqué par la peur et le conflit, où la vie est « solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte ».
    • Pour lui, le contrat social repose sur une soumission volontaire des individus à un pouvoir absolu, incarné par un souverain, afin d’éviter le chaos.
    • Contrairement à Rousseau, Hobbes accorde peu de place à la liberté individuelle dans le cadre du contrat.
  2. Locke et les droits naturels :

    • Locke, dans Deux traités du gouvernement, adopte une vision plus libérale. L’état de nature, bien que pacifique, manque d’un pouvoir commun pour protéger les droits naturels (vie, liberté, propriété).
    • Le contrat social, selon Locke, établit un gouvernement limité, chargé de protéger ces droits fondamentaux tout en respectant la souveraineté des citoyens.
    • Locke accorde aux individus la possibilité de révoquer les gouvernants si ces derniers violent le contrat, instaurant ainsi une forme de contrôle démocratique.

Les théories du contrat social aujourd’hui

Les idées de Rousseau, Hobbes et Locke continuent d’influencer les réflexions modernes sur l’État et la société. Cependant, plusieurs critiques s’élèvent quant à leur pertinence dans les sociétés contemporaines :

  • La vision de Rousseau, basée sur une volonté générale unanime, semble difficilement réalisable dans des sociétés pluralistes et multiculturelles.
  • Les États modernes ne garantissent pas toujours l’équité et la liberté promises par ces théories. Les inégalités économiques, les discriminations et les crises démocratiques soulignent les limites des modèles idéaux proposés.
  • Les théories de Hobbes, avec leur insistance sur un pouvoir central fort, trouvent un écho dans les débats sur les États autoritaires ou les mesures d’urgence prises dans des contextes de crise.

En somme, bien que les théories du contrat social aient posé des bases solides pour comprendre l’origine et la légitimité de l’État, elles demeurent des modèles abstraits, insuffisants pour expliquer pleinement les dynamiques complexes des sociétés modernes.

 

 

&2. L’État phénomène naturel ou théorie socio-historique

L’État, selon une approche socio-historique, n’est pas le fruit d’une volonté délibérée et consciente des hommes, mais le résultat d’un processus graduel imposé par les circonstances sociales, politiques et économiques. Cette perspective, influencée par des penseurs comme Aristote, met en lumière le rôle de l’histoire dans l’émergence et la structuration des institutions étatiques.

Une organisation sociale qui s’impose naturellement

D’après Aristote, l’État naît de la nécessité d’organiser la vie en société pour assurer l’ordre et la stabilité. Ce processus, loin d’être intentionnel, repose sur l’instinct social des êtres humains : les hommes forment des communautés pour répondre à leurs besoins et se protéger contre le chaos.

Historiquement, ces communautés évoluent vers une organisation plus complexe :

  • Un individu ou un groupe assume la responsabilité de maintenir l’ordre et de diriger la société.
  • Cette organisation établit une distinction entre les gouvernants et les gouvernés, marquant une étape essentielle dans la formation de structures étatiques.
  • Cette dynamique atteint son apogée avec l’émergence de l’État, qui centralise l’autorité et instaure un cadre administratif permanent.

L’État, dans cette optique, apparaît comme le stade ultime d’une évolution sociale spontanée, où la domination politique s’institutionnalise pour devenir durable.

Les premières manifestations de l’État

Selon Jean-Jacques Rousseau, les premières formes étatiques se sont manifestées entre le VIe et le IVe siècle avant J.-C., notamment dans les cités grecques telles qu’Athènes et Sparte. Ces cités-États étaient des entités politiques embryonnaires, caractérisées par :

  • Une souveraineté territoriale, limitée mais bien définie.
  • Des institutions rudimentaires, chargées de l’administration et de la justice.
  • Une hiérarchie sociale, marquant une distinction claire entre citoyens, non-citoyens, esclaves et étrangers.

Ces premières formes d’État n’étaient pas exemptes d’instabilité : les luttes internes pour le pouvoir et les rivalités externes limitaient leur pérennité. Cependant, elles posaient les fondations des concepts modernes de souveraineté, de citoyenneté et de participation politique.

L’État par la conquête et la violence

En parallèle de cette évolution naturelle, la violence et la conquête jouent un rôle central dans l’apparition de nombreux États. L’histoire montre que plusieurs entités politiques ont émergé non pas par un consensus social, mais par des actes de domination ou des bouleversements majeurs :

  1. La conquête militaire :
    Des États puissants se sont formés grâce à l’expansion territoriale et à la soumission des peuples conquis. Par exemple :

    • Les conquêtes d’Alexandre le Grand ont permis la formation d’un vaste empire, bien que temporaire.
    • L’Empire romain s’est développé à travers des siècles de guerre et d’annexions successives.
  2. La dislocation d’États préexistants :
    La chute d’un empire ou d’un État centralisé peut donner naissance à de nouvelles entités politiques. Par exemple :

    • L’effondrement de l’Empire romain d’Occident au Ve siècle a conduit à la formation des royaumes médiévaux en Europe.
    • La fragmentation de l’Empire ottoman au XXe siècle a vu naître plusieurs États modernes au Moyen-Orient et dans les Balkans.
  3. Les révolutions et les ruptures historiques :

    • Les révolutions américaine (1776) et française (1789) ont créé des États nouveaux ou profondément réformés, en rupture avec l’ordre monarchique précédent.
    • La décolonisation du XXe siècle a donné naissance à des États indépendants, souvent dans un contexte de violence ou de négociations tendues.

Un processus sans modèle unique

Contrairement à une vision linéaire ou universelle, l’apparition de l’État ne suit pas un modèle uniforme. Elle est influencée par des contextes historiques, culturels et géographiques variés. Quelques exemples illustrent cette diversité :

  • En France, l’État moderne s’est formé progressivement, à travers la centralisation monarchique et les révolutions qui ont suivi.
  • En Allemagne, l’unification en 1871 marque un processus tardif, basé sur une volonté politique et militaire sous l’égide de la Prusse.
  • En Afrique et en Asie, de nombreux États issus de la décolonisation se sont constitués sur des frontières arbitraires, définies par les puissances coloniales, ce qui a souvent conduit à des conflits internes.