Les nullités pendant la période suspecte

Les nullités de la période suspecte (redressement judiciaire)

En droit des entreprises en difficulté, la période suspecte est une période de temps qui commence lorsqu’un redressement judiciaire est prononcé et qui se termine lorsque l’entreprise en difficulté est liquidée ou lorsque son redressement est achevé. Pendant cette période, les contrats conclus par l’entreprise peuvent être annulés par le juge si les créanciers de l’entreprise peuvent démontrer que ces contrats ont été conclus de mauvaise foi et ont causé un préjudice à leurs intérêts. Cependant, les contrats essentiels à la continuation de l’activité de l’entreprise ne peuvent pas être annulés.

La période qui s’ouvre et qui s’écoule entre la date de Cessation de paiements et la date du Journal Officiel du Redressement Judiciaire, est dite période suspecte (PS). Pendant cette période le débiteur a pu augmenter son insolvabilité en accomplissant des actes frauduleux, avec le concours de ses créanciers, et d’une manière globale on va considérer qu’il a pu tenter de faire échapper certains biens à la procédure. L’égalité entre les différents créanciers justifie donc que certains actes soient remis en cause.

Une modification a été faite par loi de 2005 quant aux actes concernés. En effet avant cette loi étaient visés les actes accomplis par le débiteur. La loi a modifié la terminologie, désormais sont visés par une possible remise en cause les actes intervenus depuis la Cessation de paiements. Il est désormais possible de faire annuler des actes accomplis depuis la Cessation de paiements non seulement par le débiteur, mais également par des tiers.

Deux types de nullité sont prévues par L632-1 du Code de Commerce, tout d’abord des nullités de droit (I) puis des nullités facultatives qui sont elles laissées à l’appréciation du Tribunal qui pourra ou non les prononcer (II).

I- Les nullités de droit

L631-2 du Code de Commerce énumère un certains nombre d’actes qui sont nuls de plein droit s’ils sont intervenus depuis la date de Cessation de paiements. Sont visés :

  • Les actes à titre gratuit, plus précisément les actes translatifs de propriété mobilière ou immobilière. Toutes les libéralités sont visées à partir du moment où elles ont amoindri l’actif de l’Entreprise et ce, peu importe la forme de la libéralité. Il s’agira, par exemple d’une donation par acte authentique, mais également un don manuel, on considère qu’il peut s’agir également d’une remise de dette. Echappe à cette nullité les contrats d’assurance vie, la preuve de l’existence de cette libéralité peut être rapportée par tout moyen. Il n’y aura pas libéralité et nullité si l’acte prévoit une contrepartie. Ainsi la CA de Paris 29 novembre 2011, a pu considérer que l’acte de cession des droits comportait une contrepartie en vertu de laquelle le cessionnaire s’engageait à procéder à une remise en l’état d’un établissement hôtelier, l’acte de cession n’a donc pas été annulé.
  • Les contrats commutatifs déséquilibrés: L 632-1 du Code de Commerce vise en effet tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent de façon notable celles de l’autre partie. Il peut par exemple s’agir d’une vente à un prix inférieur à la valeur réelle du bien. Il peut également s’agir d’un partage déséquilibré à la suite d’un divorce ou de changement de régime matrimoniale. Cour d’Appel de Paris 6 octobre 2006: la conclusion d’un Contrat de travail de directeur commercial, conclu pendant la Période Suspecte, le salaire avait été fixé était de 60 000 frs pendant la Période Suspecte, pour les 4 premiers mois puis 120 000 frs, le commercial bénéficiant également d’une voiture de fonction. Le contrat prévoyait également qu’en cas de licenciement une indemnité forfaitaire égal à 2 ans de rémunération, la Cour d’Appel en a déduit logiquement le caractère déséquilibré des obligations mises à la charge de la société.
  • Plus récemment la Chambre Commerciale le 3 mai 2011 a considéré qu’un contrat d’accord à une société est déséquilibré lorsque les parties reçoivent les mêmes droits sociaux en contrepartie d’apport d’une valeur totalement différente. A chaque fois que cette conclusion de contrat sera faite pendant la Période Suspecte, ce contrat pourra être annulé de plein droit.
  • Le paiement de dettes non échues: L632-1 du Code de Commerce prévoit la nullité de tout paiement quelqu’en soit le mode, pour des dettes non échues à la date du paiement. Est visé le paiement avant terme, car il révèle l’intention du débiteur d’avantager un créancier et de le faire échapper à l’interdiction des paiements.
  • Le paiement non communément admis dans les relations d’affaire: il s’agit de tout paiement pour des dettes échues fait autrement qu’en espèce, effet de commerce ou virement. L’idée est que le mode de paiement utilisé par le débiteur sera annulé dès lors qu’il ne constituera pas un mode de paiement communément admis dans les relations d’affaire. Exemple de paiement annulé : la dation en paiement par laquelle le créancier va recevoir une chose différente de celle contractuellement prévue. L’hypothèse vise également la remise d’une chose par le créancier, à la base des espèces initialement prévues. Peuvent être également visée les résolutions amiables entrainant la restitution d’un bien au créancier. La compensation : interviendrait entre le débiteur placé en Redressement Judiciaire, et l’un de ses créanciers, la Chambre Commerciale s’est ainsi prononcée le 13 février 2007, dans l’hypothèse ou la compensation est intervenue par la vente de tous les véhicules de la société débitrice à son créancier en compensation des dettes contractées. Pour la Cour de cassation l’opération diminuait de façon importante l’actif du débiteur en vu de payer 1 seul de ses créanciers, pour la totalité de sa créance, avant l’ouverture de la procédure collective, l’opération a donc été annulée.
  • Chambre Commerciale 26 septembre 2006: la Cour de cassation a considéré que le prêt de restructuration d’une dette accordé par une banque à une société débitrice ne pouvait être assimilée comme un paiement anormal et n’encourt alors pas la nullité prévue par l’article L 632-1 du Code de Commerce.
  • Les dépôts et consignations: le Code vise la nullité de tout dépôt et de toute consignation de sommes, effectué en application de l’article 2350 du Code Civil c’est à dire à titre de garantie, et ce à défaut d’une décision de justice ayant chose de force jugée. Par l’effet de la consignation ces sommes sont spécialement affectées au créancier qui devient titulaire d’un privilège. Cette consignation ne sera valable que si elle est effectuée en exécution d’une décision de justice ayant acquis chose de force jugée avant la Cessation de paiements.
  • Les mesures conservatoires: est frappé de nullité L632-1 toute mesure conservatoire à moins que l’inscription ou que l’acte de saisie ne soit antérieur à la date de Cessation de paiements, sont visées principalement les saisies conservatoires qui rendent indisponibles les biens saisis. Par contre échappent à la nullité les avis à tiers détenteur délivrés par le Trésors Public ainsi que les Saisies Ventes qui ne sont pas des mesures conservatoires.
  • La constitution de sûretés en garantie de dette antérieure sont ainsi frappées de nullité toute hypothèque conventionnelle, judiciaire, nantissement ou gage constitués sur les biens du débiteur pour des dettes antérieurement contractées. Se trouve ici sanctionné le décalage entre la naissance de la dette et la constitution de la sûreté qui va avantager le créancier. On préserve ainsi l’égalité des créanciers en évitant qu’un créancier chirographaire obtienne une garantie sur l’actif de son débiteur. La date à prendre en considération est la date de la constitution de la sûreté et non la date de sa publication.
  • Les opérations sur les options de souscription ou d’achat d’action: ce cas a été expressément introduit dans L632-1 du Code de Commerce par loi de 2005, est ainsi nulle si elle est intervenue pendant la Période Suspecte toute autorisation levée et revente d’option définie à L225-177 du Code de Commerce. Sont en réalité visées les options de souscription ou d’achat d’action par les salariés dans les Sociétés Anonymes qui vont par ce biais constituer une forme de rémunération complémentaire. L’idée est d’éviter que le débiteur n’organise une spéculation ou un profit sur les titres de la société en difficulté.
  • La fiducie: la loi de 2007 a rajouté à l’article L 632-1 une nullité de plein droit, concernant tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire. L’idée est d’éviter que la fiducie permette au débiteur de transférer des biens ou des droits en Période Suspecte pour les faire échapper aux créanciers du constituants. L’Ordonnance de 2008 a quelque peu assouplie la règle, désormais seule la fiducie intervenue en garantie d’une dette antérieurement contractée tombe sous le coup de la nullité de la Période Suspecte.

II- Les nullités facultatives de la Période Suspecte

Certaines opérations qui échappent aux nullités de plein droit, vont néanmoins pouvoir être annulées par le Tribunal, si ceux qui ont contractés avec le débiteur avaient connaissance de la Cessation de paiements.

L’article L 632-2 du Code de commerce qui prévoit les nullités facultatives est applicable si deux conditions sont réunies :

  • il faut l’accomplissement d’un acte en période suspecte c’est à dire que l’acte doit être accompli à compté de la date de cessation des paiements.
  • Deux catégories d’actes sont principalement visés par le texte : il s’agit du paiement volontaire pour des dettes échues à compté de la date de cessation des paiements et ce quelque soit la cause, l’objet ou le procédé utilisé par le débiteur. Sont également visés les actes à titre onéreux accompli depuis la cessation des paiements. Cette formule très large vise en réalité tout types d’actes notamment des achats, des ventes et de manière général tous les actes de commerce qui auraient pu être accompli.
  • La connaissance par le créancier payé de la cessation des paiements. Cette connaissance doit être précise, personnelle et elle doit existée au moment où l’acte est réalisé. La Chambre commercial, 29 mai 2001 a considéré que la loi n’exige pas la preuve de la mauvaise foi de ceux qui ont traité avec le débiteur.
  • Cour d’Appel 25 mars 2008 —> était contesté le versement d’un salaire au gérant salarié d’une société, dans la mesure où ce gérant salarié avait une parfaite connaissance de l’état de cessation des paiements de la société.
  • CA Versailles, 24 mai 2012 —> était concerné l’épouse associée du débiteur qui avait accompli un certains nombre d’actes après la cessation des paiements, actes pour lesquelles la cour a retenu que l’épouse associé ne pouvait pas connaître l’état de cessation des paiements.
  • Cette connaissance peut être prouvée par tout moyen, la charge de la preuve incombant au mandataire judiciaire et cette preuve sera facilitée en présence de relation familiale ou en présence de relation d’affaire. Si cette preuve de la connaissance par le créancier n’est pas rapportée, la nullité sur le fondement de l’article L 632-2 ne peut pas être prononcée.
  • Par ailleurs la loi du 26 juillet 2005 a crée un nouveau cas de nullité facultative. En effet l’alinéa 2 de l’article L 632-2 prévoit que tout avis à tiers détenteur, toute saisi attribution ou toute opposition peut être annulée sous la double condition que l’acte soit pratiqué par le créancier après la cessation des paiements et que ce créancier avait bien connaissance de cette état de cessation des paiements. En réalité, les voies d’exécution citées par l’article permettent le paiement du créancier poursuivant et ce contre le gré du débiteur.
  • La saisie d’attribution est la saisie qui va porter sur des sommes que détient un tiers pour les comptes d’un débiteur, et le plus souvent ce tiers est un établissement bancaire. L’avis à un tiers détenteur procède de la même démarche, sauf que la mesure est prévue au bénéfice du trésor public.
  • L’opposition permet à un créancier de se joindre à une saisie vente déjà pratiquée sur les biens du débiteur afin de participer à la distribution des derniers. Par contre échappent à cette nullité, les paiements qui seraient fait à la suite d’une mesure d’exécution forcée intervenue avant la date de cessation des paiements.

L’action en nullité des actes accomplis pendant la période suspecte peut être intentée par l’administrateur, le mandataire judiciaire voire encore par le commissaire à l’exécution du plan. Par contre sont exclus du bénéfice de l’action, les créanciers, le juge commissaire ou encore le débiteur lui même.

La loi ne prévoit aucun délai pour exercer l’action en nullité. On considère que l’action en nullité peut être exercée tant que les mandataires judiciaires sont en fonction. Si elle est prononcée, la nullité anéantie l’acte, ce qui va permettre de reconstituer par ce procédé l’actif du débiteur. Plus précisément, les sommes récupérées par le mandataire suite à l’annulation de l’acte peuvent être affectées à la continuation de l’exploitation ou à l’apurement du passif à travers le plan.

Pour les tiers concerné la nullité leur est opposable et ils doivent restituer le bien ou le paiement reçu. Si une restitution en nature est impossible, la jurisprudence exige le remboursement d’une somme d’argent équivalente à la valeur du bien reçu.

Ces différentes nullité n’excluent pas la possibilité pour un créancier d’exercer l’action paulienne si l’acte critiqué a été commis en dehors de la période suspecte ou si il a été effectué depuis la cessation des paiements mais n’entre pas dans l’énumération légale de l’article L 632-1 et -2.

Si l’action paulienne est exercée par un seul créancier elle ne profitera qu’à lui. Si par contre elle est exercée par le mandataire le résultat sera collectif, tous les créanciers pourront en bénéficier. L’action aboutira si la preuve de la fraude est rapportée.

 

 

—> L’ordonnance du 12 mars 2014 créé un nouveau cas de nullité en période suspecte, c’est la nullité d’une déclaration notarié d’insaisissabilité. Jusqu’au 1er juillet, un débiteur peut encore, déclarer quelques jours avant la procédure collective, insaisissable, un ou plusieurs immeubles. Ce ne sera plus le cas, puisque encourt la nullité la déclaration d’insaisissabilité constituée pendant la période suspecte.

 

Ce qui est visé par la nullité c’est la déclaration elle-même et pas la publicité. Ça veut dire qu’une déclaration d’insaisissabilité qui aurait été constituée avant la période suspecte pourrait être publiée. Mais pendant : elle sera entachée de nullité.

 

—> Dans le prolongement de la décision du Conseil Constitutionnel, l’ordonnance supprime le déclenchement de la procédure de redressement judiciaire sur saisine d’office.

En réalité, l’idée a été de remplacer la saisine d’office par une saisine du tribunal à l’initiative du parquet. Le nouvel L631-3-1 du Code de commerce énonce que lorsqu’il est porté à la connaissance du tribunal, des éléments faisant apparaître que le débiteur est en état de cessation des paiements, le président en informe le Ministère Public par une note (et plus le tribunal) exposant les faits de nature à saisine du tribunal. De plus, le président ne peut pas siéger, à peine de nullité du jugement, dans la formation de jugement, si le Ministère Public demande l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’égard du débiteur concerné par la note.

L’ordonnance supprime également diverses possibilités de saisines d’office, comme en matière d’extension d’une procédure de sauvegarde, art L621-2 ou en cas d’échec de la procédure de conciliation, art L631-4.