Causes de la Révolution : la contestation de l’opinion publique

Les formes modernes de contestation qui vont aboutir à la Révolution.

  • L’apparition d’une notion moderne « d’opinion publique ».

L’Opinion Publique c’est l’ensemble des attitudes d’esprits dominants dans une société donnée. L’opinion publique résulte de l’agrégation des opinions individuelles; et pour en déterminer le contenu, les instituts d’opinion procèdent par sondages, c’est-à-dire en interrogeant un groupe de personnes qui reflètent la composition de la population. La société est trop morcelée à l’époque entre les trois ordres.

En 1789, on va néanmoins pouvoir déterminer avec précision l’opinion des français grâce à un instrument auquel on n’a jamais eu recours depuis, les cahiers de doléance pour les Etats Généraux de 1789.

—> L’opinion publique au sens le + général, c’est l’ensemble des attitudes d’esprit dominantes dans une société donnée. Elle n’existait pas traditionnellement sous l’Ancien Régime et ceci en raison du grand cloisonnement d’esprit qu’on trouve entre les groupes sociaux (la noblesse ne pense pas la même chose que les paysans) et entre les régions (on ne pense pas la même chose en Bretagne et en Provence, de même entre ville et campagne). Mais selon plusieurs historiens récents, apparaît au 18e siècle dans les milieux cultivés (élite

s), une certaine idée dans laquelle on peut voir une première forme d’opinion publique. Cette opinion publique cependant est très particulière. Au 18e siècle, l’opinion publique (le terme n’existe pas) est conçue comme le produit d’un débat d’idées entre personnes cultivées. Ce débat est un débat rationnel de ce qu’on considère l’opinion publique comme l’opinion de la Raison. Comme la Raison, l’opinion à une valeur universelle et de ce fait elle constitue, pense-t-on, une sorte de tribunal suprême (tribunal de la Raison) au dessus des opinions particulières y compris l’opinion du roi et de ses ministres.

=>Le gouvernement royal devrait être orienté par la Raison c’est à dire l’opinion publique.

—> L’opinion publique ainsi comprise s’oppose à 2 choses:

Aux opinions populaires car elles sont le produit de la rumeur et n’ont rien de rationnel. Elles sont instables c’est à dire tout le contraire de l’opinion publique.

=>Or, la propagation des rumeurs joue un grand rôle dans l’état d’esprit des milieux populaires (1789 = La Grande Peur).

Aux caractères secrets et arbitraires (irrationnels) des décisions du gouvernement royal. Le gouvernement considère le secret de ces délibérations comme l’une des conditions de son pouvoir.

=>Comment cette opinion publique très abstraite peut se manifester concrètement.

  • L’expression de l’opinion publique

—> L’opinion publique se forme à la fois par la parole et par l’écrit. Par la parole, l’opinion publique se forme dans les lieux où se rencontrent les élites cultivées c’est à dire où ils échangent leurs idées et débattent:

Les salons parisiens (tenus par des femmes de la haute société) dans lesquels se rencontrent des écrivains, des artistes, des magistrats, des financiers …

Les sociétés de pensées notamment les académies provinciales où se rencontrent des personnes cultivées, généralement dans de grandes villes.

Les loges de la franc-maçonnerie et les clubs politiques (inspirés de la GB)

=>L’opinion ne dispose que d’une liberté précaire et de moyens d’expression réduits, la presse n’existe quasiment pas et la censure exerce un contrôle tatillon. Les ouvrages doivent obtenir les privilèges du roi et le clergé est vigilant.

—> D’autre part, il n’y a guère de communication entre ces groupes sans compter la distance qui interpose un gd obstacle car ils n’ont pas l’occasion de prendre conscience de l’identité de leurs aspirations. Ce sera l’une des nouveautés de la révolution que de donner naissance à une opinion nationale. Le cloisonnement définit cette opinion comme il affectait déjà les corps organisés. Entre cette opinion qui se cherche encore et ces institutions, il n’y a guère de rencontres. Les parlements cependant dans leur opposition aux ministres du roi vont disposer du soutien de l’opinion et tirent de leur popularité leur capacité de résistance. L’opinion publique est déjà une force latente et reconnue. A plusieurs reprises avant 1789, sous le règne de Louis XVI, le gouvernement royal en reconnaît l’existence et lui confère une sorte de légitimité implicite en s’adressant à elle et en paraissant vouloir disputer sa sympathie à ses adversaires. Ce faisant il lui donne occasion de se compter et de s’exprimer et la décision de convoquer les Etats généraux n’est que l’ultime épisode d’une série d’initiatives qui mettent l’opinion en branle et suscitent une vie politique nouvelle.

=>Crise prérévolutionnaire qui est une étape importante du passage de l’Ancien régime à la Révolution.

  • Le contenu de la contestation

—> Déjà Turgot puis Necker avaient pris appui sur l’opinion pour vaincre les résistances à leur politique.

—> C’était jouer un jeu contraire à l’esprit de la monarchie absolue que la faire juge des désaccords.

—> L’initiative de Necker de rendre public le Compte rendu au Roi était doublement révolutionnaire car elle invitait l’opinion à s’immiscer dans les rapports politiques et divulguait pour la 1ère fois le budget du royaume, conviant chacun à apprécier l’opportunité des dépenses et l’équité des impositions.

=>La vie politique exige la publicité et le secret qui enveloppait jusqu’alors les décisions en l’interdisant.

—> En outre, la discussion sur le budget est appelée à tenir une place primordiale dans les débats politiques.

Elle se retrouve à l’origine des régimes libéraux et au principe de l’évolution vers les monarchies parlementaires, un siècle et demie plus tôt la GB en a donné un exemple. Le lien qui associe régulièrement la naissance de la vie politique aux discussions sur le montant des impôts et le mode de répartition des charges fiscales s’explique aisément car l’impôt est une obligation contraignante à laquelle les peuples ne se résignent pas volontiers, et dans les sociétés d’Ancien Régime c’est souvent le seul aspect par lequel l’Etat manifeste son existence aux populations. Ces remarques s’appliquent davantage encore aux développements que la vie politique prend avec la crise prérévolutionnaire qui s’ouvre à partir de 1787.

—> On en sait les causes:

  • L’une est purement financière car les emprunts contractés pour la guerre d’Amérique ont aggravé le déséquilibre d’un budget chroniquement déficitaire, la monarchie n’ayant jamais réussi à se donner les finances de sa grande politique : des ressources nouvelles sont indispensables.

Le pouvoir royal n’ose pas les prélever d’autorité car il doute de son droit et implicitement il reconnaît le pouvoir de l’opinion publique et cherche son consentement.

=>Ce n’est pas la dernière fois qu’un pouvoir en quête de légitimité demandera à l’opinion publique la force qui lui échappe, ce recours est déjà une révolution en soi. Sollicitant tour à tour diverses représentations de l’opinion, la monarchie va lui donner l’occasion de s’organiser et susciter une vie politique moderne dont la naissance va prendre 2 ans, du début de 1787 au début de mai 1789.

Ø L’Assemblée des Notables

—> Calonne convoque une Assemblée des Notables c’est à dire de privilégiés, composée par le pouvoir, étroitement attachée à ses intérêts de classe privilégiée. De fait, vue dans l’éclairage rétrospectif des assemblées révolutionnaires, elle apparaît réactionnaire. Ainsi considérée, l’Assemblée des Notables a une valeur représentative faible mais elle a eu égard à la conception de la société d’Ancien Régime fondée sur la notion d’ordre et sur la hiérarchie de corps différenciés, elle n’est donc pas négligeable. Elle est composée de 144 membres représentants tous les éléments de la noblesse (14 prélats, 36 nobles de race, 33 parlementaires, 13 intendants et conseillers d’Etat) et comprennent aussi des représentants des états provinciaux et des municipalités. C’est un raccourci de l’ancienne France dans la mesure où on y retrouve des délégués de tous ces corps qui composaient la société politique et qui entretenaient la vie politique.

—> La réunion de l’Assemblée les met soudain en rapport, leur donne un point de convergence et les saisit des problèmes généraux du pays et à travers ces délibérations qui durent 3 mois (du 22 fév. au 25 mai 1787) on assiste à la naissance de la vie parlementaire. Elle présente d’emblée les caractéristiques du comportement de toute assemblée c’est à dire que non contente de rejeter les projets que Calonne attendait qu’elle approuve, elle passe à la contre-offensive en interpellant les ministres et pour peu on pourrait dire que fonctionne déjà la responsabilité parlementaire telle que la dégagera seulement la pratique du 19e siècle. Le roi reconnaît indirectement la nécessité pratique et politique de s’assurer le concours de l’opinion. Celle-ci confère toute la force à l’opposition des parlements auxquels le pouvoir recourt après l’échec devant l’Assemblée des Notables.

Ø L’opposition des parlements

—> C’est le second temps du processus qui transfère peu à peu le pouvoir réel de la monarchie à l’opinion.

—> La résistance des parlements bloque pendant près de 15 mois l’action gouvernementale en 1787- 1788.

—> Eux aussi appellent des jugements sans indulgence pour leur aveuglement à défendre leurs privilèges, leur absence de sens politique mais ont joué un rôle déterminant dans la naissance d’une vie politique moderne. On sait que depuis longtemps les parlements avaient des prétentions à jouer ce rôle car ils entendaient, à l’occasion de l’enregistrement des Edits royaux, formuler des remontrances. Leurs prétentions se fondaient sur un corps doctrinal que leur interprétation des textes avait élaboré. La monarchie n’avait jamais admis la légitimité de ces revendications mais une fin de non-recevoir absolue.

=>Dans ses périodes de force et d’autorité, elle imposait sa volonté à ses officiers et dans les moments où sa volonté défaillait, elle en était réduite à composer avec eux.

—> En 1787, forts de la sympathie de l’opinion, les parlements opposent aux ministres du Roi – la personne du souverain étant laissée au-dessus de ces péripéties – une résistance opiniâtre en faisant échec à tous les projets de réforme. L’opinion ne s’arrête pas au caractère nettement réactionnaire de cette opposition et elle ne veut voir que la défense des principes et l’affirmation qu’il existe au-dessus de la volonté royale une constitution. Elle a le sentiment qu’avec leurs libertés les parlements défendent les libertés de tous.

=>Cet épisode, décisif pour le processus dont sortira bientôt la Révolution, est important aussi pour ses conséquences sur la vie politique française.

—> C’est l’origine du courant qui identifie la liberté aux institutions parlementaires et voit dans l’existence et la souveraineté des assemblées le garant des libertés individuelles et le rempart du droit. Nombre de ces parlementaires ou de leurs partisans se retrouveront aux Etats généraux et ils y apporteront leur tour d’esprit, leurs inclinations, leur formation juridique et professionnelle.

=>Ils ne sont pas étrangers à l’un des traits les plus constants de notre vie politique c’est à dire son juridisme.

=>De la fronde parlementaire à la «République des avocats» les juristes ont introduit dans les usages parlementaires et les débats politiques leur disposition d’esprit et leurs habitudes professionnelles.

—> Au printemps 1788, la tension entre ministère et parlement de Paris atteint un pt extrême. Craignant non sans raison un coup de force, celui-ci prend les devants et adopte, toutes chambres réunies, un texte solennel, à la fois manifeste et programme, dans une déclaration du 3 mai 1788 qui condense la pensée de l’opposition parlementaire. Même absolue, la monarchie n’est pas au-dessus des lois. La nation existe en dehors du Roi, un dialogue est possible et leurs rapports doivent être réglés. C’est notamment le droit de la nation d’«accorder librement les subsides par l’organe des Etats généraux régulièrement convoqués et composés». Mot d’ordre qui va cristalliser l’opposition et les aspirations.

=>L’Assemblée des Notables avait, elle aussi, suggéré la convocation des Etats généraux

Ø L’agitation en province

—> La crise prérévolutionnaire est dès lors entrée dans sa 3e phase car à l’audacieuse déclaration du 3 mai, les ministres ont riposté simultanément par des sanctions et une réforme judiciaire qui bouleverse l’organisation traditionnelle de la justice et retire du parlement le contrôle des édits royaux. Mais l’agitation se développe, le parlement en étant désormais plus le prétexte que le sujet. Après le 3 mai, c’est la province qui relance le mouvement et les cours de province adressent à Versailles protestations sur protestations ; les états deviennent aussi des foyers d’opposition ouverte. Dans la plupart des provinces qui ont conservé leurs assemblées provinciales éclatent des émeutes notamment à Toulouse, à Dijon, à Pau, à Grenoble (journée des Tuiles le 7 juin 1788), à Rennes.

=>Aussi peut-on parler pour la 1ère fois d’une sorte de vie politique à la dimension nationale

—> En Dauphiné, l’agitation aboutit à une initiative révolutionnaire et positive et le 21 juillet 1788 se tient chez l’industriel Périer, à Vizille, une assemblée provinciale qui préfigure les Etats généraux où les 3 ordres y sont en effet représentés et, innovation remarquable, le Tiers y dispose, comme aux futurs Etats généraux de la nation, d’une représentation double de celle de chacun des ordres privilégiés. Cette assemblée, qui n’a aucun caractère régulier, convoque des états provinciaux et se prononce elle aussi pour la réunion des Etats généraux.

=>C’est devenu le mot d’ordre de tous les corps : le retour à cette pratique de l’ancienne monarchie

=>L’agitation, l’opposition ont trouvé leur point de ralliement

—> La crise prérévolutionnaire a eu pour 1er effet de ranimer tous les corps que la monarchie absolue avait réduits au silence et à l’inaction et à la faveur de la crise de l’autorité royale, ils espèrent recouvrer une part de leurs anciennes attributions. Leurs revendications ne sont pas dépourvues d’arrière-pensées intéressées car ils souhaitent prendre leur revanche sur la monarchie administrative et leur agitation est tenue pour un réveil de la Fronde. Mais le contexte a trop changé depuis et l’opinion attend autre chose même si elle raisonne par référence au passé et si ses aspirations se condensent momentanément dans la restauration d’une institution de l’ancienne monarchie, la réunion des Etats généraux ne pourra manquer de développer des conséquences nouvelles. En attendant, leur convocation apparaît comme le remède à tous les maux qui accablent le corps politique et l’opinion lui prête un pouvoir quasi magique car elle doit rétablir instantanément l’entente entre le roi et la nation, à laquelle a trop longtemps fait obstacle la mauvaise volonté des conseillers et des ministres du souverain.

=>C’est le 1er exemple dans la vie politique moderne du pouvoir des mythes sur l’opinion publique.

Ø La convocation de Etats généraux

—> A cette pression convergente de tous, les corps traditionnels et de la puissance moderne de l’opinion, le pouvoir ne pourra résister longtemps et dès le mois de novembre 1787, il avait envisagé la possibilité de convoquer les Etats généraux. Au printemps 1788, Loménie de Brienne, qui a remplacé Calonne après l’échec de l’Assemblée des Notables, promet de les réunir au terme d’une période de 5 ans mais l’échéance est trop éloignée et le mouvement se précipite car le 5 juillet 1788 un arrêt a prescrit une enquête dans les archives sur les conditions de la dernière convocation des Etats généraux en 1614.

=>Le 8 août 1788, un nouvel arrêt du Conseil convoque les Etats généraux pour le 1er mai 1789.

=>Les oppositions ont obtenu gain de cause et la monarchie a cédé

—> C’est l’aboutissement de la crise qui dure depuis près de 2 ans et c’est aussi le point de départ d’une autre épreuve de force car la vie politique a maintenant trouvé un point autour duquel se développer. Dès la décision du roi connue et notifiée, elle se tourne vers les futurs Etats généraux. Elle va être dominée pendant des mois par la préparation de la 1ère élection générale de notre histoire.