Organisation et compétence de la justice administrative

Organisation, compétence et histoire des juridictions administratives.

Le droit administratif régit les rapports entre l’administration et les administrés. La justice administrative est principalement assurée par le juge administratif, mais il existe des cas où le juge judiciaire peut intervenir, notamment lorsque les droits fondamentaux sont en jeu. Nous examinerons ici les juridictions administratives d’aujourd’hui, ainsi que leur histoire et leurs spécificités.

En résumé, les juridictions administratives se composent des tribunaux administratifs, compétents en première instance, des cours administratives d’appel, juges de second degré, et du Conseil d’État, juridiction suprême et organe consultatif. Les juridictions spécialisées, comme la Cour des comptes, interviennent sur des contentieux spécifiques. Leur organisation garantit un traitement adapté des affaires administratives, avec des recours hiérarchiques clairement définis et des fonctions consultatives.

 

Les juridictions administratives en France

Aspect Tribunaux administratifs Cours administratives d’appel Conseil d’État Juridictions spécialisées
Rôle principal Juridictions de première instance pour les litiges administratifs. Juridictions de second degré, révisant les décisions des tribunaux. Juridiction suprême, juge de cassation et d’appel, organe consultatif. Traitement de contentieux techniques ou spécifiques.
Compétences Litiges en fiscalité, marchés publics, excès de pouvoir, etc. Contentieux en urbanisme, fiscalité, fonction publique, etc. Cassation, appels limités, litiges nationaux spécifiques. Comptes publics, discipline professionnelle, aide sociale.
Décisions rendues Jugements. Arrêts. Arrêts de sous-section, de section ou d’assemblée. Rapports, recommandations ou décisions juridictionnelles.
Voies de recours Appel devant les CAA, sauf en premier et dernier ressort. Cassation devant le Conseil d’État. Aucun appel, recours en cassation uniquement pour cassation. Cassation ou appel principalement devant le Conseil d’État.
Organisation Répartition territoriale par ressort géographique. Neuf cours couvrant plusieurs tribunaux administratifs. Formations contentieuses : sous-sections, sections, assemblées. Régionalisation (Cour des comptes et chambres associées).
Particularité Compétence générale en contentieux administratif. Créées pour alléger le Conseil d’État en 1987. Aussi organe consultatif pour le gouvernement. Expertise renforcée, membres souvent non-magistrats.

Chapitre 1. Les juridictions administratives aujourd’hui.

Les juridictions administratives se divisent en juridictions générales et juridictions spécialisées.

  1. Les juridictions administratives générales : Elles traitent la majorité des contentieux administratifs.

    • Comprennent trois niveaux :
      • Les tribunaux administratifs (TA) :Juridictions de droit commun en première instance, compétentes pour la plupart des litiges entre l’administration et les administrés.
      • Les cours administratives d’appel (CAA) :Juridictions de second degré, créées en 1987 pour désengorger le Conseil d’État. Elles examinent les appels formés contre les jugements des TA.
      • Le Conseil d’État :Juge suprême de l’ordre administratif, intervenant en cassation, en appel dans certains cas, et en premier et dernier ressort pour des litiges d’importance nationale.
  2. Les juridictions administratives spécialisées : Créées pour traiter des contentieux spécifiques, elles disposent de compétences limitées.

  • Exemples : La Cour des comptes : Juridiction financière contrôlant les comptes publics.

 

&1. Les juridictions administratives générales.

Tandis que les tribunaux administratifs constituent les juridictions de droit commun en première instance, les cours administratives d’appel assurent une révision approfondie des litiges. Le Conseil d’État assure l’uniformité de la jurisprudence administrative en France, grâce à son rôle de juge de cassation.

A) Les Tribunaux administratifs.

Les tribunaux administratifs (TA), créés en 1953, ont remplacé les conseils de préfecture pour devenir les juridictions de droit commun en matière administrative. Leur création visait principalement à désengorger le Conseil d’État, qui, jusqu’alors, cumulait les fonctions de juge de premier ressort, d’appel et de cassation.

1. Rôle et compétences

Les tribunaux administratifs sont compétents pour statuer sur la quasi-totalité des litiges en droit administratif, à l’exception de ceux expressément attribués par la loi à d’autres juridictions.

  • Contentieux attribués aux tribunaux administratifs :

    • Recours pour excès de pouvoir contre les décisions administratives (exemple : annulation d’un permis de construire).
    • Contentieux des marchés publics.
    • Litiges en matière de fiscalité directe locale.
    • Indemnisation des dommages causés par des actes administratifs ou des services publics.
  • Compétences exclues :

    • Certains litiges d’envergure nationale ou difficilement rattachables à un territoire spécifique, comme les recours contre des décrets, relèvent directement du Conseil d’État.
    • Les affaires relevant de juridictions administratives spécialisées (comme les juridictions financières ou disciplinaires).
2. Organisation et fonctionnement

Les tribunaux administratifs fonctionnent comme des juridictions de premier ressort dans la majorité des affaires administratives.

  • Répartition territoriale :

    • Chaque TA est compétent dans un ressort géographique déterminé. En principe, le tribunal compétent est celui du lieu où se situe le siège de l’autorité administrative ayant pris la décision litigieuse.
  • Nature des décisions rendues :

    • Contrairement au Conseil d’État, qui rend des arrêts, les TA rendent des jugements.
3. Voies de recours

Les décisions des tribunaux administratifs peuvent faire l’objet d’un appel devant les cours administratives d’appel (CAA), sauf dans des cas exceptionnels où les jugements sont rendus en premier et dernier ressort.

  • Appel obligatoire devant les CAA :
    • La création des CAA en 1987 a permis de déléguer l’examen des appels, auparavant directement traités par le Conseil d’État.
  • Cas de premier et dernier ressort :
    • Dans certaines affaires d’importance locale ou particulière (comme les litiges électoraux municipaux), le TA statue sans possibilité d’appel, mais un recours en cassation devant le Conseil d’État demeure possible.
4. Recrutement des juges

Les juges des tribunaux administratifs, appelés magistrats administratifs, proviennent principalement de plusieurs filières :

  • Concours de l’ENA (désormais remplacée par l’Institut national du service public, INSP).
  • Concours complémentaires pour des professionnels expérimentés.
  • Détachements issus d’autres fonctions publiques.
  • Tour extérieur, permettant à des profils issus du secteur privé ou d’administrations publiques d’accéder à la magistrature administrative.

 

B) Les cours administratives d’appel.

Les cours administratives d’appel (CAA), créées par la loi du 31 décembre 1987, sont les juridictions de second degré dans l’ordre administratif. Elles ont été instaurées pour alléger la charge du Conseil d’État, qui était jusque-là la seule juridiction compétente pour traiter les appels des décisions des tribunaux administratifs.

1. Rôle et compétences

Les CAA sont les juges d’appel pour les décisions rendues par les tribunaux administratifs.

  • Compétences générales :Révision des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs (contentieux fiscal, urbanisme, fonction publique, marchés publics, etc.).
  • Cas où le Conseil d’État reste compétent en appel : Certains litiges spécifiques restent du ressort du Conseil d’État, par exemple en matière de contentieux électoraux nationaux ou d’actes réglementaires de portée générale.
2. Organisation et fonctionnement
  • Répartition territoriale :
    • Il existe actuellement 9 cours administratives d’appel en France métropolitaine et outre-mer, chacune couvrant plusieurs tribunaux administratifs dans leur ressort géographique.
  • Nature des décisions rendues :
    • Contrairement aux jugements des TA, les CAA rendent des arrêts, traduisant leur rôle de juridiction de second degré.
3. Voies de recours

Les décisions des CAA peuvent être contestées devant le Conseil d’État, mais uniquement par un recours en cassation, limité à des questions de droit.

  • Recours en cassation : Le Conseil d’État examine les éventuelles erreurs de droit commises par la CAA, sans réexaminer les faits.
  • Exemple : arrêt du Conseil d’État en cassation : Dans une affaire de marché public, une erreur d’interprétation des textes réglementaires par une CAA peut conduire à une annulation de son arrêt.

 

C) Le Conseil d’État.

Le Conseil d’État, créé en l’an VIII (1799), est une institution centrale du système juridictionnel français, à la fois organe consultatif du gouvernement et juridiction suprême de l’ordre administratif. Depuis ses origines, son rôle a évolué, passant d’une fonction purement consultative à une fonction contentieuse prédominante. Aujourd’hui, il incarne à la fois le garant de la justice administrative et un conseiller essentiel des pouvoirs publics.

 

1) L’organisation des formations contentieuses.

Les formations contentieuses du Conseil d’État ont pour fonction de rendre la justice administrative et sont structurées selon l’importance et la complexité des affaires.

Les différentes formations :

  1. Sous-sections contentieuses : Ce sont les formations de base où siègent des juges pour examiner la majorité des affaires.Les litiges courants sont jugés par une seule sous-section.
  2. Sous-sections réunies : Lorsque l’affaire revêt une importance particulière, plusieurs sous-sections peuvent être réunies pour statuer conjointement.
  3. Formation de section : Une affaire présentant un enjeu majeur ou une question de principe peut être portée devant une formation solennelle, appelée la section. Les décisions rendues dans ce cadre sont qualifiées d’arrêts de section.
  4. Assemblée du contentieux : La formation la plus solennelle du Conseil d’État. Elle intervient pour les affaires d’une importance exceptionnelle, soulevant des questions de principe fondamentales. Les décisions rendues sont appelées arrêts d’assemblée.

Classification des arrêts :

  • Arrêt ordinaire (sous-section),
  • Arrêt de section,
  • Arrêt d’assemblée.

 

2) La compétence en matière de contentieux.

Le Conseil d’État intervient à plusieurs titres dans l’ordre juridictionnel administratif : juge de cassation, juge d’appel dans certains cas, juge de premier et dernier ressort, et organe consultatif pour les juridictions administratives inférieures.

a) Le Conseil d’État comme juge de cassation

Le Conseil d’État est principalement une juridiction de cassation, examinant les décisions rendues par les cours administratives d’appel (CAA) et, dans certains cas, par les tribunaux administratifs (TA).

  • Portée du recours en cassation :

    • Le recours en cassation est un principe général, comme établi par l’arrêt d’Aillières (7 février 1947), qui garantit que toute décision juridictionnelle peut faire l’objet d’un recours, sauf si la loi l’écarte explicitement.
    • Le Conseil d’État interprète de manière restrictive les textes limitant ce droit pour préserver le contrôle juridictionnel.
  • Décisions spéciales :

    • Le Conseil d’État est également compétent pour les décisions rendues par des juridictions administratives spécialisées (exemple : juridictions disciplinaires ou professionnelles).

b) Le Conseil d’État comme juge d’appel

Bien que l’appel relève normalement des cours administratives d’appel, le Conseil d’État conserve une compétence d’appel dans des cas limités, notamment :

  • Les contentieux relatifs aux élections municipales et cantonales.
  • Les litiges pour lesquels une loi spécifique attribue cette compétence au Conseil d’État.

c) Le Conseil d’État comme juge de premier et dernier ressort

Pour certains litiges d’une importance particulière, le Conseil d’État intervient directement en tant que juge de premier et dernier ressort.

  • Exemples de litiges :

    • Recours contre les décrets du président de la République ou du Premier ministre.
    • Contentieux relatifs au recrutement ou à la discipline dans la fonction publique d’État.
  • Particularités :

    • Les décisions rendues dans ces cas ne peuvent pas faire l’objet d’un appel ou d’un recours en cassation.
    • Le Conseil d’État applique de manière restrictive cette compétence pour éviter de se substituer aux tribunaux administratifs.

d) Les avis contentieux du Conseil d’État

Depuis 1987, les juridictions administratives inférieures (tribunaux administratifs et cours administratives d’appel) peuvent solliciter des avis contentieux du Conseil d’État sur des questions complexes.

  • Conditions pour demander un avis :

    1. La question doit porter sur une problématique de droit nouvelle.
    2. Elle doit soulever une difficulté sérieuse.
    3. La question doit revenir fréquemment dans le contentieux.
  • Différence entre avis contentieux et avis administratifs :

    • Les avis contentieux sont demandés par des juridictions, tandis que les avis administratifs sont sollicités par des autorités politiques ou administratives.
    • Les avis contentieux sont rendus par les formations contentieuses du Conseil d’État, alors que les avis administratifs sont rendus par les formations administratives.
  • Impact des avis contentieux :

    • Les juridictions ne sont pas obligées de suivre l’avis du Conseil d’État, mais ces avis permettent d’accélérer les procédures et de clarifier rapidement des points de droit.
    • Exemple : Un avis contentieux de 2017 a permis de trancher rapidement une question relative à l’application des règles sur le droit d’asile.
3) Le rôle consultatif du Conseil d’État

En plus de sa fonction juridictionnelle, le Conseil d’État exerce un rôle consultatif majeur en droit administratif. Il conseille le gouvernement sur les projets de loi et les projets de décret.

  • Fonctions consultatives récentes :
    • Avis sur la gestion de la crise sanitaire liée à la COVID-19, notamment sur la constitutionnalité des mesures prises (confinements, pass sanitaire).
    • Conseils sur les réformes institutionnelles ou environnementales, comme les projets de loi sur la transition énergétique.

&2. Les juridictions spécialisées.

Les juridictions spécialisées occupent une place particulière dans le système judiciaire administratif. Elles se voient attribuer des contentieux spécifiques, souvent techniques, nécessitant une expertise approfondie. Leur rôle vise aussi à désengorger les juridictions administratives de droit commun, tout en impliquant les citoyens ou des professionnels dans le processus de justice.

1. Caractéristiques générales des juridictions spécialisées

  • Compétence spécifique : Ces juridictions traitent des domaines nécessitant une connaissance ou une expertise particulière, comme les finances publiques, la discipline professionnelle ou la gestion sociale.
  • Participation citoyenne ou professionnelle : Leur composition inclut souvent des non-magistrats, comme des professionnels ou des citoyens, renforçant ainsi la proximité avec les affaires traitées.
  • Rapports avec les juridictions administratives : Les décisions de ces juridictions spécialisées peuvent être contestées en appel ou en cassation, principalement devant le Conseil d’État. Leur fonctionnement illustre la distinction parfois floue entre organes administratifs et juridictions administratives.

2. Les principales juridictions spécialisées

a) La Cour des comptes
  • Compétences : La Cour des comptes contrôle la régularité des comptes publics et évalue la gestion des finances publiques.

    • Elle est saisie d’office, même en l’absence de litige, pour vérifier les comptes des comptables publics.
    • Elle peut également émettre des recommandations et rapports publics sur la gestion des administrations publiques.
  • Hiérarchie juridictionnelle :

    • Ses arrêts sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’État en cas de contentieux.
    • En matière de discipline budgétaire, elle travaille en collaboration avec la Cour de discipline budgétaire et financière (voir ci-dessous).
  •  Récemment, la Cour des comptes a joué un rôle central dans l’évaluation des politiques publiques, notamment sur la gestion de la crise sanitaire ou la transition énergétique.

b) Les chambres régionales et territoriales des comptes
  • Compétences : Ces juridictions sont les équivalents régionaux de la Cour des comptes. Elles examinent les comptes des collectivités territoriales décentralisées (communes, départements, régions) et de leurs établissements publics.

  • Hiérarchie juridictionnelle :

    • Appel : Les décisions des chambres régionales peuvent être contestées devant la Cour des comptes.
    • Cassation : Les litiges en cassation sont portés devant le Conseil d’État.
  • Rôle renforcé :
    Ces chambres contribuent au contrôle de l’utilisation des fonds publics par les collectivités locales, notamment en matière de subventions et d’investissements locaux.

c) La Cour de discipline budgétaire et financière
  • Fonctions :

    • Elle est chargée de sanctionner les manquements graves aux règles budgétaires et financières des agents publics ou élus, en lien avec la Cour des comptes.
    • Les sanctions sont de nature financière (amendes).
  • Organisation :

    • Elle statue en premier et dernier ressort.
    • Cassation : Un recours est possible devant le Conseil d’État.
  • Exemples de litiges :

    • Détournement de fonds publics.
    • Gestion irrégulière de crédits budgétaires.
d) Les organes disciplinaires et les ordres professionnels
  • Structure hybride : Ces instances cumulent des fonctions administratives, privées et juridictionnelles.Lorsqu’elles statuent sur des fautes professionnelles (abus, fraudes, manquements), elles agissent en tant que juridictions administratives.
  • Composition : Les membres des ordres professionnels (avocats, médecins, experts-comptables, etc.) jugent leurs pairs, offrant une expertise interne au domaine concerné.
  • Hiérarchie juridictionnelle : Les décisions peuvent faire l’objet d’un appel et, en dernier ressort, d’un recours en cassation devant le Conseil d’État.
  • Exemple : Conseil national de l’Ordre des médecins : En cas de manquement déontologique, les sections disciplinaires de l’ordre peuvent suspendre ou radier un professionnel de santé.
e) Les sections disciplinaires des universités
  • Composition : Ces sections incluent des enseignants et des étudiants, permettant une approche représentative et collégiale.
  • Compétences : Elles examinent les fautes disciplinaires commises par les étudiants ou le personnel universitaire (plagiat, fraude aux examens, etc.).
  • Hiérarchie juridictionnelle : Les décisions peuvent être contestées devant le Conseil d’État.
f) La commission centrale d’aide sociale
  • Compétences : Elle traite des litiges relatifs à l’aide sociale, notamment concernant les personnes handicapées, les travailleurs mutilés ou les prestations sociales.
  • Fonctionnement : Cette commission agit comme juridiction administrative spécialisée.

3. Une frontière floue entre administration et juridiction

Il n’est pas toujours aisé de distinguer un organe administratif d’une juridiction administrative, notamment dans le cas des juridictions spécialisées.

  • Exemple des actes administratifs individuels : Certains actes peuvent relever d’un traitement juridictionnel ou administratif selon leur nature et l’organe qui les adopte. Le Conseil d’État a précisé que les actes des organes disciplinaires, bien qu’émanant d’une administration, sont souvent qualifiés d’actes juridictionnels.
  • Recours : En cas de doute, une décision administrative individuelle peut être contestée devant un tribunal administratif, tandis qu’une décision juridictionnelle peut être portée en appel ou en cassation.

 

Chapitre 2. Les origines historiques et les fondements actuels.

Contrairement à la France, les pays anglo-saxons n’ont pas de juridiction administrative distincte. Les litiges impliquant l’administration sont traités par les juridictions ordinaires.

  • Critiques historiques en France :
    Certains ont vu dans l’existence de la juridiction administrative un privilège pour l’administration, soupçonnant les juges administratifs de partialité.
  • Réponse actuelle :
    La jurisprudence administrative démontre que le juge administratif ne favorise pas l’administration, mais cherche à équilibrer ses prérogatives avec la protection des citoyens.

 

&1. Les origines historiques.

La juridiction administrative française trouve ses racines dans une tradition de séparation entre les autorités administratives et judiciaires, théorisée notamment par Montesquieu. Cette séparation repose sur l’idée que l’administration, en tant qu’émanation du pouvoir exécutif, ne doit pas être contrôlée par le juge judiciaire, afin d’éviter une interférence perçue comme une atteinte à l’autonomie du pouvoir exécutif.

Les premiers éléments sous l’Ancien Régime
  • Les intendants du roi :
    Sous l’Ancien Régime, les intendants du roi exerçaient des fonctions judiciaires en matière administrative. Cependant, leurs décisions entraient fréquemment en conflit avec les parlements (cours de justice ordinaires), qui estimaient pouvoir juger les affaires administratives.

  • L’édit de 1641 :
    Pour mettre fin à ces conflits, l’édit de Saint-Germain-en-Laye (1641) interdit aux parlements de juger les affaires d’État. Les parlements ne pouvaient statuer que sur des litiges entre particuliers, posant ainsi les bases de la séparation des compétences judiciaires et administratives.

La Révolution française et l’administration-juge
  • Contexte révolutionnaire :
    Les révolutionnaires, méfiants envers les parlements jugés hostiles à leurs réformes, ont renforcé la séparation des autorités administratives et judiciaires.

  • La loi des 16 et 24 août 1790 :
    Cette loi établit le principe de séparation des pouvoirs et interdit au juge judiciaire de statuer sur les litiges impliquant l’administration. Le décret du 16 fructidor an III (1795) réaffirme cette interdiction.

  • L’administration-juge :

    • Pendant cette période, les litiges administratifs locaux étaient jugés par l’administration locale.
    • Les affaires nationales relevaient des ministres, une pratique connue sous le nom de justice retenue.
Les réformes du XIXᵉ siècle
  • Création du Conseil d’État (1799) :
    Sous le Consulat, la constitution de l’an VIII établit le Conseil d’État, successeur du Conseil du Roi. Ce dernier avait pour rôle de rédiger les projets de loi et de résoudre les difficultés administratives sous la direction des consuls.

  • Commission du contentieux (1806) :
    Une commission au sein du Conseil d’État est créée pour donner des avis sur les litiges administratifs. Cette commission marque les prémices d’une juridiction administrative distincte.

  • La loi du 24 mai 1872 :
    Cette loi confère au Conseil d’État la capacité de statuer en tant qu’autorité indépendante, mettant fin à la justice retenue (où l’exécutif tranchait en dernier ressort) et établissant la justice déléguée.

  • L’arrêt Cadot (13 décembre 1889) :
    Cet arrêt met fin à la pratique du ministre-juge. Le Conseil d’État devient une juridiction administrative à part entière, compétente pour traiter directement les litiges administratifs.

 

&2. Les fondements actuels de la juridiction administrative.

La juridiction administrative repose aujourd’hui sur des fondements solides, qui garantissent à la fois la protection des citoyens face à l’administration et l’autonomie de cette dernière dans l’exercice de ses fonctions.

Un équilibre entre protection du citoyen et efficacité administrative
  • Défense des droits des citoyens :
    Le juge administratif joue un rôle clé dans la limitation des excès de l’administration. Sa jurisprudence a progressivement établi des principes destinés à protéger les administrés.

    • Exemple : Le recours pour excès de pouvoir (REP) :
      • Le REP permet à tout citoyen de contester une décision administrative unilatérale qui lui semble illégale.
      • Ce recours est peu formaliste, accessible sans avocat, et constitue un instrument puissant contre l’arbitraire administratif.
  • Reconnaissance des droits des agents publics :
    Les agents de la fonction publique peuvent également contester les décisions administratives qui les léseraient.

  • Un droit administratif distinct :
    La juridiction administrative a contribué au développement d’un droit original, distinct du droit privé, pour répondre aux besoins spécifiques de l’administration et des citoyens.

La spécialisation des juges administratifs

L’existence d’une juridiction administrative se justifie par la nécessité d’avoir des juges spécialisés capables de traiter des litiges impliquant :

  • Des règles de droit public complexes,
  • Le déséquilibre structurel entre une administration puissante et un citoyen souvent en position de faiblesse.
Un fondement constitutionnel
  • La dualité juridictionnelle (ordre judiciaire et ordre administratif) est inscrite dans la tradition juridique française et consacrée au niveau constitutionnel.
  • Article 61-1 de la Constitution :
    Avec la réforme de 2008, la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet aux juridictions administratives, comme le Conseil d’État, de transmettre une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

 

Isa Germain

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