Les origines de la notion d’État

Les premières figures de l’Etat : des origines au constitutionnalisme

Le philosophe Foucault avait classé les différents types d’Etat en fonction des modes de « gouvernementabilité ». On retrouve cette question du choix dans deux exemples emblématiques, la France révolutionnaire et les Etats unis insurgés. Dans ces révolutions atlantiques au 18e siècle, on va aboutir à des choix et modes d’organisation de l’Eta différents. Sieyès dans son opuscule Qu’est-ce que le Tiers-Etat, il va considérer que la France, est composée de nations, de statuts mais qu’elle n’est pas encore un ordre particulier. Ce sont les révolutionnaires qui vont mettre en place des modes d’organisation, une nation unique ouvrant la nationalité.

Quelles sont les fonctions qu’on assigne à l’Etat ? Ces fonctions (Etat gendarme, etc) sont toujours le produit d’idéologies dominantes, par exemple, à partir de l’idéologie libérale. Ex ; la vague de l’idéologie nationale va créer des nations Etat au 19e siècle, on va nationaliser des Etats pour en faire des structures au service d’une nation. On peut aussi transformer un Etat pour l’accorder à une idéologie politique particulière (nazisme, communisme). On va pouvoir confronter aussi ce concept d’Etat à une autre idéologie dominante, de quoi il peut résulter une nouvelle forme d’Etat.

La première préfiguration de l’Etat c’est l’Etat de justice, on va essayer de comprendre ce pivot de l’Etat de justice et ensuite toutes les diversifications de la vision et de la notion d’Etat.

Même si l’Etat n’est pas encore né sous l’Antiquité, on peut y trouver des éléments qui permettent de comprendre pourquoi il y a des bases culturelles communes en Europe, mais on ne peut employer le mot Etat. Le fait pour autant que certains s’en servent et la preuve du lien qui existe.

L’influence hébraïque:

Il y a deux éléments importants que l’on va retrouver dans la tradition hébraïque, il existe une source juridique importante le Décalogue qui est l’autre nom des Dix Commandements. On retrouve également le modèle du prince justicier, notamment à travers le mythe du Roi Salomon. Cette référence à la Bible a été importante, et un jurisconsulte parfait devait connaitre ses sources à l’origine, il devait comprendre le grec, le latin et l’hébreu. Tel que Budet, Dumoulin, Pujas et bien sûr Bodin, tous parlaient ces trois langues. Budet va préconiser la création d’un collège pour la recherche et notamment la réflexion, le Collège de France qui existe depuis 1530 et il donnait ses leçons dans les trois langues précitées. Le dernier grand de cette école était le Doyen Carbonnier, il connaissait d’autres langues utiles.

L’attachement à l’hébreu est l’attachement au Décalogue contenu dans le Deutéronome. Ce passage raconte la remise des tables de la Loi, le Deutéronome est le Ve Livre de la Bible Hébraïque, la Torah. Dans ce Deutéronome, se trouvent les derniers discours de Moïse avant de parvenir à la Terre promise et avant sa mort. Dans ce passage important, se trouvera la sortie d’Egypte du peuple hébreu prisonnier de Pharaon, qui connaitra l’exode et se conduit par le prophète Moïse. Il s’arrêtera au Mont Sinaï dans lequel il obtiendra les Tables de la Loi qui seront conservées dans l’Arche de l’Alliance, placées dans le Saint des Saints construit par le Roi Salomon. Cette Arche d’Alliance est sensée contenir les Tables de la Loi que Dieu a remises à Moïse. Ces Tables de la Loi vont poser des interdictions, elles consistent à énumérer ce qu’il ne faut pas faire, et ce qu’il faut faire, Dieu interdit, mais n’oblige à rien. La conclusion qui ressort de cette analyse c’est que la liberté de l’Homme reste première, donc ces grands interdits visent surtout à empêcher de commettre des violences privant autrui de sa liberté. Cette tradition sera relue notamment au 16e et 17e siècle, et notamment la relecture de Spinoza sur la place de la liberté de l’Homme à partir de laquelle il va construire l’Etat des hébreux qui serait un Etat de justice. Dans l’interprétation que fait Spinoza, le Deutéronome affirme la primauté du droit et de la justice come fondement de l’organisation dans le pays de Yahvé. Spinoza interprète cette exigence de justice comme une requête adressée à tous, au juste comme aux justiciables. « Justice tu chercheras », le justiciable ne doit pas corrompre son juge notamment par des cadeaux, et le Deutéronome prévoit aussi la sortie du droit des anciens vers un droit plus large qui pourrait être un droit régalien.

L’épisode du Jugement de Salomon se trouvant dans le 1er Livre des Rois ; Salomon v devenir le symbole de ce Roi justicier. Yvon Le Gal, historien Nantais, a beaucoup travaillé sur l’image de Salomon dans les écrits juridique, on le retrouve chez Bossuet, les Monarchomaques, etc. Les réflexions sur la justice de Salomon se retrouvent dans la justice du Roi qui se déplaçait pour régler des affaires. Ce modèle va être influent parce qu’on va considérer que le roi représente l’autorité de la loi, mais qu’il n’a pas d’autorité complète, il y aurait une forme de transcendance.

Spinoza va partir dans une conception très différente que les autres, il va trouver chez Moïse deux figures, le prophète et le Roi. Ces deux rôles ne doivent pas être mélangés, il va en tirer une conséquence celle de l’autonomie du politique par rapport à la religion.

L’influence grecque:

En Grèce apparait la notion de débat publique, de démocratie, de loi. Ces notions sont liées les unes aux autres, et chez les grecs l’attachement à la loi est viscéral. Le premier historien, Hérodote va commencer son travail sur le passage de la guerre qui a opposé les cités grecques à l’Empire Perse. Le passage des 300 spartiates et des Thermophiles. « si les grecs sont libres, ils ne sont pas libres en tout, ils ont un maitre la loi, qu’ils redoutent encore bien plus que tes sujets ne te craignent ». Deux conceptions du monde s’affrontent, l’attachement à la loi, face à un système que les grecs considèrent comme despotique. Pour les grecs ce qui fondent l’attachement à la Polis, le respect de la loi c’est la condition du bien vivre. Les apports majeurs

La polis; a priori ne ressemble pas du tout à l’Etat moderne, Hansen va souligner qu’il existe dans la conception que se font les grecs de la polis de nombreux points annonciateurs de l’Etat contemporain qu’on vit aujourd’hui, plus que de l’Etat du 16e – 17e siècle. Il fait ressortir deux critères, celui de la communauté de citoyens, et de territoires qui est une donnée spatial. « Une polis est une communauté de citoyens en vue de la Constitution » Aristote. Il considère que toute cité est une sorte de communauté et que toute communauté est constituée d’une sorte d’un certain bien, c’est la communauté politique par excellence. Ce qui est fondamental pour Hansen c’est que la polis grecque va être attachée au droit et à la loi, et cet attachement est un concept qui est très contemporain.

Invention de la politique et invention du débat public; pour Aristote l’Homme est avant tout un animal politique, l’Homme est défini comme un vivant doué de Logos, et le logos pour Aristote come pour tout grec, c’est la parole et l’intelligence rationnelle. L’Homme est un animal politique doué de Logos (Raison et capacité à discourir), ainsi l’organisation de la politique va passer par la confrontation des paroles autour d’une vérité première qui doit être fondé sur la raison. Cette idée, va se substituer à la confrontation physique et la parole va devenir l’outil politique par excellence, qui va donner naissance à des écoles de paroles (école des Sophistes, etc.) qui vont faire de la cité un lieu où l’on peut débattre « à tout argument s’oppose un autre argument » c’est la naissance du contradictoire. Cette parole sera à l’origine de la création du concept de démocratie. Solon grand législateur d’Athènes, modèle pour de nombreux juristes de la Renaissance et des Lumières, mais également Cristhène aussi va redistribuer de manière abstraite les richesses et les territoires dans la polis. Des écoles d’experts de la parole verront le jour : l’école des sophistes, et l’école des philosophes. Les sophistes seront des «sophoï» qui signifie « sage, sagesse ». Les sophistes sont chez les grecs des spécialistes du discours, des spécialistes de l’éloquence, parfois même des spécialistes judiciaires. Ces sophistes vendent leur syllogisme à des clients pour soutenir des causes dans des procès, ils vendent aussi leurs conseils à des hommes politiques, et on va les appeler des «entraineurs politiques». L’exemple Damon D’Oeé qui était sophiste entraineur politique de Périclès, il s’est livré à des expérimentations pour voir quels arguments ont un impact sur les citoyens, il a expérimenté le pouvoir de la musique sur les citoyens lorsqu’il y avait des manifestations. Certaines musiques pouvaient-elles intimider ou mettre en confiance ? un jour que le musicien de Damon demanda à d’autres musiciens de jouer des airs martiaux lors de fêtes, et dans le contraire il joua des airs très joyeux dans des endroits austères, et à partir de là, il observait quel impact cela avait sur les citoyens ; «si tu veux corrompre la cité commence par la musique». Ces sophistes, ont aussi des très commun avec les juristes, ce seront généralement eux qui seront les plaideurs de l’époque. L’un des plus célèbres d’entre eux, c’était Protagoras qui se considérait comme un expert en droit et dès le 5e siècle av. JC il demandait à être payé pour ses conseils, et expertises notamment judiciaires. Avec Goras, il est le premier à inventer les honoraires. On est dans une culture juridique qui va faire de la parole, de l’art de manier le discours un élément fondamental. Le sophiste s’engageait à être payé à condition de gagner son procès. Autour de cette école sophistique, se créait la rhétorique. La rhétorique c’est l’art de convaincre et de séduire avec les paroles. Cette technique du discours va devenir omniprésente dans les champs juridique et politique. De nouvelle méthode apparaissent, notamment la méthode philosophique différente de la méthode sophistique. Dans l’école philosophique on va rechercher le vrai, le juste. Ces deux écoles vont structurer des approches antagonistes de la parole (efficacité / vérité et justesse) ces deux discours ne coïncident pas et sont souvent parfois en opposition. Le point commun dans ces deux techniques, qui est qu’à tout argument s’oppose un autre argument et qu’on peut discuter des problèmes politiques, on n’est pas prisonnier, on peut à travers la parole et l’échange, rechercher des solutions nouvelles. On va appeler cela la dialectique, cette méthode du dialogue en public vient de plusieurs termes qui signifient « trier, hiérarchiser les arguments » en fonction de leurs degré de vérité et de leur discutabilité. Cette méthode se retrouvera au Moyen-Âge, dans cette tradition occidentale qui s’inspire de la tradition grecque il est possible de discuter des meilleures formes possibles politiquement. Cette naissance du politique sera déterminante pour la suite.

La création de l’espace public dans la ville (la boulée chez les grecs, le forum chez les romains) ; on retrouve cet espace, dans ce que l’on appelle l’agora. A Rome, le forum sera organisé autour des rostres. Cet espace public est un espace ouvert, exposé aux yeux des citoyens, qui sera aux origines de « l’espace public ». la communauté politique se rassemble autour d’un centre, pour parler politique. On créera également des assemblées politiques comme l’ekklesia, la boulée, l’aéropage.

L’égalité; on crée le concept d’isonomie, ce concept fait référence à l’égalité devant la loi. Les réformes apportées visent à intégrer l’égalité de tous devant la loi. Les conséquences de ce concept son assez simples, tout d’abord chacun aura vocation à participer à la vie politique et aura des responsabilités politiques. Toute affaire concernant l’assemblée sera débattue en public. On mettra en place également le vote individuel, qui place chaque citoyen en situation de responsable politique. Et tous ceux qui sont investis d’un pouvoir dans la cité, pour un année ou plus, doivent automatiquement rendre des comptes aux autres citoyens et subir le jugement de leurs concitoyens.

Tous ces éléments, constituent une égale participation de tous à la vie de la polis. Chacun, même s’il existe des inégalités parmi les citoyens dans la polis, par rapport à la loi, tout le monde est dans un rapport d’égalité.