COURS DE PHILOSOPHIE DU DROIT (cours de droit canadien)
L’expérience humaine du droit nous pousse à nous interroger sur l’existence et le sens immédiat des liens juridiques qui nous affectent; mais aussi, nous sommes conduits à nous poser des questions qui portent au-delà des préoccupations immédiates ; nous sommes tentés de nous interroger sur le sens, la signification profonde du droit, et plus particulièrement sur les fondements du droit. Ce sont là questions philosophiques. Nous nous questionnerons d’abord sur les raisons d’être d’une philosophie du droit et les principaux problèmes qu’elle devrait aborder.
Ambiguïté de la notion et importance du droit dans nos vies
Paul Valéry dans Regards sur le monde actuel, disait: « Nous parlons facilement du droit, de l’Etat, de la race, de la propriété. Mais qu’est-ce que le droit, l’Etat, la race, la propriété? Nous le savons et ne le savons pas. » Pourtant, le droit occupe dans le monde occidental une place de premier plan, note A. Tunc: « Il est regardé comme le grand régulateur de la vie sociale. » C’est que, de fait, on a l’impression que le droit envahit l’ensemble de nos rapports sociaux. Nous sommes presque toujours dans une situation de droit: par exemple, quand je prends un taxi ou le métro, quand j’achète ou loue quelque chose, il s’agit toujours d’activités qui sont réglées par le droit. Certains vont jusqu’à parler d’une inflation du droit dans nos sociétés occidentales. Plus particulièrement en ce qui concerne notre activité économique et nos rapports fiscaux avec l’Etat. Carbonnier dira même que le droit est plus grand que les sources formelles du droit en ce sens qu’il existe des rapports de droit qui n’accèdent pas à la légalité. Par exemple certaines coutumes, certaines conventions, etc.
Paul Valery
D’autre part, le droit est plus petit, dit-il que l’ensemble des relations entre les hommes. L’amitié, l’amour, les relations familiales etc. ne sont pas nécessairement des liens juridiques. Même qu’en certains domaines, lorsqu’on en fait une question juridique, cela enlève tout aspect humain aux rapports sociaux: par exemple, quand l’enfant exige devant les tribunaux certains droits de la part de ses parents, ou vice versa. Il n’est peut-être pas souhaitable de tout ramener à une question de droit; mais il est nécessaire de connaître ses droits et leurs fondements pour éviter l’exploitation humaine et la manipulation sociale. Par exemple, a-t-on le droit de manifester pour défendre les acquis de la Révolution Tranquille, ou les aspirations d’une nation à son indépendance politique? Il conviendrait donc d’essayer de préciser la nature des liens juridiques qui sont l’objet du droit. Ce qui nous introduit à une philosophie du droit.
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Tendance à philosopher et le développement des relations internationales
A la même interrogation, Batiffol répond (in Qu’est-ce que la philosophie du droit? APD, 1962): « La raison d’être la plus immédiate d’une philosophie du droit paraît se trouver dans la tendance à philosopher qu’on ne peut récuser selon la formule séculaire qu’en philosophant. L’ironique et superbe dédain pour tout problème excédant l’exposé et la mise en ordre du droit positif qui était assez général dans les facultés de droit il y a encore une trentaine d’années a fait place à plus d’ouverture depuis la seconde guerre à des problèmes d’un autre ordre, conséquences peut-être des bouleversements politiques et économiques qui provoquent les esprits à remettre en cause ce qui paraît acquis. Le développement des relations internationales a pu aussi y aider, montrant que cette discipline était cultivée et enseignée dans beaucoup de pays. »
Le droit est à la base de tout débat sur l’homme dans nos sociétés contemporaines
Brimo, pour sa part, remarque que la philosophie du droit est enseignée dans toutes les grandes facultés de droit du monde et qu’il y a lieu de s’en réjouir car: « Cette diversité est source d’enrichissement et a donné naissance à un grand nombre de systèmes de philosophie du droit. Nous entendons par là tout système de principes que l’on établit ou que l’on suppose établi pour grouper ou expliquer un certain nombre de faits ou d’idées en partant du concept de droit ou de l’existence de systèmes juridiques. » (…) on ne peut rien comprendre aux grands systèmes philosophiques si l’on néglige la philosophie du droit, car le droit et les systèmes juridiques sont à la base de tout débat sur les rapports de l’homme et de la société.«
On peut souligner que tous les grands juristes contemporains (Ripert, Gény, – qui a renouvelé la technique d’interprétation du droit privé en partant de ses réflexions sur le donné et le construit -, etc) ont senti le besoin de compléter leur conception du droit par certaines prises de positions philosophiques. Car les deux sont liées et les changements profonds du droit viennent de la philosophie du droit. En effet, d’après Brimo, la philosophie du droit appartient au domaine du droit : » elle est le droit positif réfléchi par la pensée spéculative…toutes les grandes révolutions dans le domaine de la pensée juridique sont l’oeuvre des philosophes du droit et de l’Etat ».
Facteur d’universalité et de progrès du droit
De plus, selon Brimo, la philosophie du droit, parce qu’elle se situe au niveau le plus élevé, appelle les esprits à la convergence, et à ce titre doit être considérée comme un facteur d’universalité et de progrès du droit. Le droit comparé nous révèle cependant une diversité étonnante des conceptions du droit et de ses rapports avec la politique, la morale et la religion. Dans d’immenses communautés humaines le droit est lié non seulement à une morale, mais à une religion. Dans le monde musulman par exemple, le droit n’est qu’une face de la religion. « Celle-ci comporte d’une part une théologie qui fixe les dogmes et précise ce que le musulman doit croire; elle comporte d’autre part une partie, le shar, qui prescrit aux croyants ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire. » (R. David, Les grands systèmes de droit contemporain)
Dans la conception hindouiste et dans la conception juive, on ne voit pas les choses d’une manière différente. « Dieu est partie aux relations entre les hommes: le devoir à son égard l’emporte sur les droits de ceux-ci », note Tunc. « Si par exemple un débiteur néglige de payer sa dette, il méconnaît son devoir religieux… » Ainsi en est-il du droit africain qui est sacralisé: l’élément juridique et l’élément religieux sont indissociables. D’autre part, pouvons-nous croire que le droit puisse être indépendant de la politique? Après l’Etat gendarme, gardien des libertés de chacun, l’État providence proclame le droit de chacun à la santé, à l’éducation, au travail etc. Le droit n’est-il pas alors toujours l’instrument d’une politique? A ce sujet, Tunc note: « La politique fixe des objectifs, elle gouverne, elle « fait » de la direction. Le droit fait de l’administration quotidienne. »
Il convient aussi de noter les différentes attitudes des populations à l’égard du droit (cela étant lié à la culture propre à chaque milieu). Par exemple, dans nos pays occidentaux, nous sommes toujours soucieux de faire ce qui est conforme au droit, ce qui est permis. Mais dans le monde oriental, en Chine, au Japon, on a du mépris pour le droit. « Pour des Japonais honnêtes, écrit Y. Noda, le droit apparaît comme une chose indésirable, dont il est souhaitable de s’éloigner autant que possible ». C’est que les obligations morales, les règles religieuses sont suffisamment puissantes, sans qu’on ait besoin de recourir aux règles juridiques pour arriver à une entente. L’amitié, l’harmonie n’est pas nécessairement le fruit des procès et des tribunaux.
« La conception de ces pays (Chine, Japon,) écrit Tunc, peut paraître angélique. Il est vrai d’ailleurs que les transformations de l’époque contemporaine contraignent ces sociétés à faire une certaine place au droit. Mais si l’on constate à quel point l’idée, issue de la Déclaration de 1789, selon laquelle « tout ce qui n’est pas défendu est permis » a banni des sociétés occidentales toute considération de morale sociale, toute idée de juste prix ou de bénéfice raisonnable, et si l’on pense à toute la réglementation économique et sociale qui pallie mal cette carence, comment ne pas sentir, avec la pensée orientale, qu’une société obligée de se fonder sur le droit est une société barbare? »
Par contre, ne doit-on pas admettre que le droit peut concourir à la construction d’une société nouvelle et meilleure et qu’il serait important de bien déterminer le rôle qu’il pourrait jouer pour promouvoir plus de justice dans une société constamment corrompue par l’égoïsme individuel et collectif des hommes. On peut donc se rendre compte de l’importance d’une philosophie du droit.
L’importance de l’idée de « la fin » du droit que développe une philosophie du droit
Une dernière raison, invoquée celle-là surtout par Villey, réside dans le manque évident d’une idée précise de la fin du droit: i.e. à quoi tend l’art du juriste relativement à la politique, la morale ou l’économie? A quoi sert le droit? Il y a tellement de spécialités en ce domaine qu’on se demande parfois ce qu’il y a de fondamental: il est alors difficile de se faire une idée spécifique du droit.
On disait que l’erreur sur la fin est la pire. Le sens des mots les plus utilisés en droit (obligation, contrat, possession, propriété, droit naturel, positif, positivisme etc.) est vague, difficile à définir et des plus divers. Le sens diverge d’un pays à l’autre, et même à l’intérieur d’un même pays d’une école de pensée à l’autre. Or, cette confusion ne peut disparaître selon Villey qu’une fois connue la fin du droit.
Nécessité de justifier la méthode
Enfin, on peut ajouter que l’on omet toujours de justifier sa propre méthode de travail (souveraineté de la loi, jurisprudence etc.) La philosophie nous aide à le faire.
Les questions philosophiques concernant le droit n’ont de véritable sens que dans la mesure où nous avons des idées précises sur la science juridique, ses principales notions et ses principes fondamentaux. C’est pourquoi, avant d’aborder l’aspect proprement philosophique du droit, nous essaierons d’esquisser un portrait d’ensemble de cette institution, de ses structures, de ses divisions et de ses principes. Ensuite nous envisagerons les principaux problèmes soulevés dans et par une réflexion philosophique sur les données les plus importantes de la science juridique.
Donc, nous aborderons la question de la définition formelle du droit et de la règle de droit; ses caractères distinctifs; les grandes divisions du droit; les sources formelles du droit. Mais tout cela ne se fera qu’à la suite d’expériences juridiques qui constitueront notre point de départ pour la réflexion philosophique. Il serait intéressant d’identifier les différentes situations de droit que nous vivons; cela nous permettrait de voir plus clair dans les véritables enjeux de la philosophie du droit, i.e. la nécessité d’en rechercher la nature, les fondements réels, l’origine et le rôle.
Ces quelques notes ne sont qu’un instrument d’initiation aux données fondamentales du droit et en même temps à la philosophie du droit. Dans la dernière partie de la région du site consacrée au droit, nous présentons quelques grands courants de philosophie du droit. Nous ajoutons en annexe certains textes qui nous semblent importants. Nous avons donc conçu ces réflexions sur le droit comme un modeste instrument de travail. Nous croyons que le droit n’est pas le domaine du noir et du blanc: c’est le lieu du gris, du compromis, de l’équilibre. Cela n’est-il pas encore plus vrai quand il s’agit de philosophie du droit?
Sources
- BATIFFOL, Henri, La philosophie du droit, PUF, 1979.
- BRIMO, Albert, Les grands courants de la philosophie du droit et de l’État, 3è éd. A. Pedone, Paris, 1978
- TUNC, A., in Encyclopaedia Universalis.
- VILLEY, Michel, Philosophie du droit, Dalloz, Paris, 1979.
Quelques définitions utiles
- COUTUME : Usage implanté dans une collectivité et considéré par elle juridiquement obligatoire.
- DROIT INTERNATIONAL : Règles régissant les rapports débordant les frontières d’un État
- DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ : Règles régissant les rapports entre individus quand il y a dans ces rapports un élément étranger.
- DROIT INTERNATIONAL PUBLIC : Ensemble des règles qui régissent les relations des États eux et leur organisation sur la scène internationale.
- DROIT NATUREL Ensemble des règles de conduite humaine déduites de la nature de l’homme, telles qu’elles se révèlent dans les inc1inaisons foncières de cette nature, sous le contrôle de la raison, indépendamment de toute intervention d’un législateur.
- DROIT PERSONNEL : Droit d’exiger d’une personne l’accomplissement d’un fait.
- DROIT POSITIF : L’ensemble des règles régissant la conduite humaine sur un territoire donné, à un moment donné, et imposées avec efficience, par le pouvoir social.
- DROIT PRIVÉ : Relation des individus entre eux, placés sur un pied d’égalité juridique, à l’abri de toute ingérence d’une autorité publique.
- DROIT PUBLIC : Règles régissant les rapports de droit dans lesquels l’État apparaît en tant que représentant de la puissance publique, accomplit sa mission comme organe du gouvernement, maintient l’ordre, organise les service public et lève les impôts.
- JURISPRUDENCE : L’ensemble des décisions rendues par les tribunaux.
- ORDRE PUBLIC : Règles éthiques, imprégnées de la morale chrétienne traditionnelle, à un moment donné de l’évolution sociale.
- PATRIMOINE : L’ensemble des biens (et dettes) et des droits appréciables en argent appartenant à une personne.
- RÈGLE DE DROIT : Une règle sociale obligatoire, établie par l’autorité publique, permanente et générale dans son application, et dont l’observation est sanctionnée par la force.
DÉFINIR LE DROIT
Comment définir le droit? Pour répondre à cette question, il faut envisager le droit sous deux aspects:
En tant que phénomène juridique; c’est le point de vue du juriste. On se demande qu’est-ce que la règle de droit? Quelles sont ses caractéristiques?
En tant que phénomène humain social; c’est le point de vue du philosophe. On se demande quel est son rapport avec la justice, la politique, l’économique et comment se distingue-t-il de ces phénomènes ?
Enfin, dans une 3è partie nous abordons la question philosophique des fondements du caractère coercitif du droit.
Sources:
- Aubert, J.L., Introduction au droit, Que sais-je?, PUF, Paris 1981.
- MURE, Georges, Le droit phénomène social, (1979) R.D.U.S.
- DABIN, J., Encyclopaedia Universalis, vol.5
- VILLEY, Michel, Philosophie du droit, Dalloz, Paris 1978
Kant dans ses « Principes métaphysiques de la doctrine du droit« , établit une distinction que suivra plus tard Hegel
On peut se poser deux sortes de questions au sujet du droit:
- quid juris? i.e. quelle est dans tel ou tel procès la solution de droit? quelle règle, quelle loi s’applique dans ce cas précis? Qu’est-ce qui est de droit?
- quid jus? i.e. qu’est-ce que le droit?
Selon Kant, c’est la science juridique qui permet de répondre à la première question. On se demande quelle loi s’applique. La seconde relève de la philosophie. Que signifie le terme droit, comment le définir, qu’est la justice, l’idée de droit, etc. Cette distinction est d’autant plus utile que le terme droit est employé dans plusieurs acceptions dont voici les principales:
- a.avoir un droit: ce qui est exigible; je travaille j’ai droit à un salaire;
- b.avoir le droit de: la permission de faire ou de ne pas faire;
- avoir eu droit à: avoir subi: v.g. j’ai eu droit à un mauvais traitement, ou à un traitement de faveur;
- de quel droit? : en vertu de quelle autorité?
- payer des droits: des redevances, sommes perçues;
- à bon droit: de façon juste et légitime;
- droits acquis: l’état de fait (convention coll).
On peut aussi prendre le mot droit dans un sens subjectif: il signifie alors les prérogatives personnelles conférées aux citoyens qui peuvent en vertu de cela faire quelque chose ou exiger des autres…v.g. qu’on respecte ma dignité, mon honneur, ma renommée… Dans un sens objectif il est l’ensemble des règles qui permettent le fonctionnement normal correct de l’état social. Dans ce sens, il existe deux positions relevant de l’étymologie du terme droit:
les uns (penseurs, philosophes) font dériver la racine latine « jus » de justitia; ils ont tendance à rapprocher le droit de la morale et à parler de droit naturel.
D’autres prennent comme racine de droit « directum », dérivé de dirigere (diriger) et « jus » dérivé de « jussus », « jubere », ordonner. On met ici l’accent sur l’autorité et l’aspect social du droit.
« Entre ces acceptions diverses, écrit Dabin, existent évidemment des liens, ce qui explique les chevauchements de terminologie. C’est ainsi que le droit subjectif, en tant que dérivé du droit objectif, se situe logiquement dans le prolongement de celui-ci; que le droit positif ne peut être envisagé en dehors de toute référence à la justice; que le juriste doit prendre attitude devant le problème du droit naturel… Il n’en est pas moins vrai que le domaine de la « juridicité », et, par conséquent le champ d’investigation propre au juriste, est le droit positif (existant ou considéré dans son essence) et que, pour la science juridique, le droit, sans autre qualificatif, est d’abord le droit positif. »
A- Le droit selon les juristes
Les juristes, de façon générale, définissent le droit en définissant la règle de droit:
La règle de droit est une règle sociale, établie par l’autorité publique, permanente et générale dans son application, et dont l’observation est sanctionnée par la force.
Caractère social
Le droit vise l’organisation correcte de la société. Ne pas confondre le droit avec d’autres règles sociales relevant par exemple de l’usage (qui n’est pas imposé mais spontané), de la morale ou de l’éthique. Le droit ne vise pas le perfectionnement de la personne, de l’individu. C’est un lien qui vient du fait qu’on est « sociétaire », membre de la société. La règle de droit cherche des solutions justes dans l’organisation de la société. Elle cherche des solutions pratiques. Donc fait des compromis. (Summa justitia pessima injustitia, la plus grande justice est la pire injustice).
On peut suivre une règle de droit sans suivre la morale. On peut arriver à du droit injuste. (C’était légal mais illégitime)
v.g. le rapatriement de la Constitution Canadienne en 1982 était légal (parce que non prévu par la loi, donc permis) mais non légitime.
v.g. une opinion juridique… genre: « t’as le droit mais… »
Caractère obligatoire
Les citoyens reconnaissent à la règle de droit un caractère obligatoire, comme nécessaire au maintien de la vie sociétaire. En fait, l’impératif du droit est catégorique comme la morale. Il n’est pas conditionnel, même s’il dépend des conditions reconnues et déterminées par la loi. Une fois ces conditions posées, il est obligatoire. v.g. Si le contrat existe, il doit être respecté. Il indique aux membres du groupe (gouvernés et gouvernants) ce qui est à faire ou à ne pas faire, ce qui est permis ou licite, ce qui est attribué comme pouvoir aux uns et aux autres. Cet impératif qui lie au for externe (devant l’Etat et ses tribunaux) lie-t-il aussi au for interne? (devant la conscience) Il est clair qu’il faut répondre affirmativement si la loi coïncide avec la loi morale. Sinon ?
« Mais il faut aller plus loin et admettre, en principe, écrit Dabin, l’obligation de conscience même vis-à-vis de règles portées par la seule loi civile, en vertu de cette considération qu’il est dans la nature de l’homme de faire partie de la société politique et, par conséquent, d’observer les règles édictées par elle en accomplissement de sa fin humaine de bien public. »
Caractère étatique
La règle doit être formulée par l’organe étatique compétent. L’organisme qui en a le pouvoir à l’intérieur de la dite société (profane, religieuse, etc.).
Caractère permanent
Elle demeure jusqu’à son abrogation ou son remplacement.
Caractère général
Cela ne signifie pas un droit en tous points uniforme, ce qui serai absurde. La règle s’applique à une catégorie ouverte de personnes; non à un individu ou des individus déterminés in concreto. (L’exception serait l’adoption d’un bill privé). La règle de droit lie tout le monde.
Caractère sanctionnable
Son observation est sanctionnée par la force (on ne peut en dire autant de la politesse ou de la morale) Ce caractère fait partie de l’essence du droit. La force, mise au service du droit, c’est la force publique (c’est la police, le huissier): nul ne peut se faire justice soi-même eut-il pour lui le bon droit. (Par contre le policier ne peut battre, corriger, venger etc)
D’autre part, si l’obéissance à la loi dépendait du bon vouloir des citoyens, l’ordre sociétaire serait mis en péril. Donc, le droit est un ordre de contrainte; mais ce n’est pas la force qui fait le droit:
« De ce point de vue, écrit Dabin, ce qui fait le droit, c’est l’ordre du souverain, auquel la force prête seulement son appui. »
La contrainte publique revêt un caractère matériel frappant le récalcitrant dans sa personne ou ses biens. Ceci ne doit pas être laissé à l’opinion publique, car alors la règle serait désarmée et sans aucune force. Au-delà de ces caractéristiques du droit que reconnaissent aisément les juristes, il faudrait ajouter qu’un esprit anime l’ensemble de ces règles (les règles sont systématiques): c’est encore Dabin qui écrit:
« (…) Or, ces problèmes donnent naissance à un ensemble de dispositions agencées suivant un « esprit » qui est le principe animateur et fédérateur de l’institution envisagée. Par exemple les règles du mariage sont déduites de la conception philosophico-juridique que le législateur se fait du mariage au regard des époux, des enfants à naître et de la société tout entière. Entre les règles ainsi articulées existe une gradation dont la clé est fournie par la finalité de l’institution…etc. »
B- Droit-morale-justice
Comparaison entre le droit, la morale et les moeurs
Dabin indique une série de traits qui distinguent le droit de la morale:
La morale dépasse le cadre sociétaire. L’homme a des devoirs à l’égard de Dieu, à l’égard de sa propre personne et à l’égard des autres hommes pris individuellement auxquels il doit la justice et l’entraide. Or, le droit n’a pas la charge de ces devoirs à moins qu’ils aient une incidence défavorable pour la société. (v.g. certaines obligations naturelles)
La morale gouverne aussi les intentions et les vouloirs: ce que le droit ne peut connaître à moins qu’ils ne soient extériorisés dans des actes ou des omissions observables. Le domaine du droit est donc beaucoup moins étendu que celui de la morale.
D’autre part, contrairement à la morale, sont assujettis à la règle de droit les groupements, personnes morales.
Le principe inspirateur de la morale se trouve dans la conscience humaine guidée par la vertu morale de prudence. Au contraire le droit est du dehors, imposé par l’autorité compétente.
Si la morale a ses sanctions, elle n’a pas de moyens de contrainte. L’exécution forcée d’un précepte moral lui enlèverait toute valeur. D’autre part, les mœurs considérées comme des convenances en usage dans une société donnée, sont différentes car elles n’entraînent pas d’obligation à moins que la loi ou la jurisprudence ne le spécifie: il ne s’agit plus alors de simple convenance, mais de droit.
La règle de droit et la justice
Le point de vue d’Aristote à ce sujet (nous y reviendrons plus loin) est fort intéressant et probablement juste. La justice particulière ( non pas générale qui, elle, est synonyme de sainteté, de perfection) est la fin de la règle de droit. L’égalité recherchée par la justice est géométrique en matière de distribution, et arithmétique en matière d’échanges de biens. Elle est en plus complétée par l’équité. Au fond le rôle du droit c’est de réaliser la justice particulière: rendre à chacun selon son dû (suum cuique tribuere) tel est l’idéal de justice que tend à réaliser le droit même dans ses compromis. Tout autre est le point de vue exprimé par G. Mure qui rappelle le caractère relatif de la justice.
« Presque toutes les révolutions qui ont changé la face des peuples ont été faites pour consacrer ou établir l’égalité » écrivait Tocqueville et Charles O’Connor, candidat à la présidence des E.U. en 1859, proclamait très sérieusement:
« L’institution de l’esclavage est juste, bienveillante, licite et convenable ». Tout dernièrement en Chine on a tiré sur la jeunesse désarmée. Ce qui signifie que la réalité sociale est interprétée différemment selon les lieux, les époques et les idéologies. La justice des uns, note Mure, est l’injustice des autres. Mais même le droit injuste est du droit et doit être étudié et compris dans son espèce logique, écrit Delvecchio cité par Mure. On comprend mieux ainsi que le droit peut varier selon les systèmes nationaux.
C- Les fondements du caractère coercitif du droit.
L’un des problèmes fondamentaux de la philosophie du droit consiste à se demander d’où procède le caractère contraignant de la règle de droit. Certains proposent la loi naturelle et d’autre croient que cela s’explique par son aspect social.
Les théories du droit naturel
On définit le droit naturel comme « un corps supérieur de règles idéales qui s’imposent à l’autorité publique lorsqu’elle fixe le contenu du droit positif, i.e. les règles applicables à une société et à un moment donné ». On considère que l’autorité de la règle de droit vient de cette autorité supérieure du droit naturel. Ainsi, le sujet de droit pourrait résister à la loi injuste (contraire au droit naturel) parce qu’une telle loi manquerait de fondement. C’est ce qu’exprimait Antigone de Sophocle:
« …je ne croyais pas les édits, qui ne viennent que d’un mortel, assez forts pour enfreindre les lois suprêmes, les lois non écrites des dieux: ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier, mais toujours qu’elles vivent et nul n’en connaît l’origine ».
Cette conception est celle du thomisme et du néothomisme. Pour Thomas d’Aquin(1225-1274) le droit naturel est distinct du droit divin sans lui être étranger. Il peut être découvert par la raison car il découle de la considération de la nature de l’homme et la nature des choses. D’où à la fois stabilité et souplesse. Certains accordent même un certain caractère d’universalisme et d’immutabilité au droit naturel. (École du doit naturel du XVIIe s.). Des juristes comme Gény tenant du droit naturel immuable le réduit à quelques principes sommaires; d’autres comme Stammler, admettent un droit naturel à contenu variable, une espèce d’idéal commun des peuples.
Le droit et le fait social
Au fond les théories suivantes récusent la théorie du droit naturel:
le positivisme juridique qui présente plusieurs variantes. L’idée principale est que la règle de droit est un donné qui s’impose en tant que tel: la règle s’impose parce qu’elle est la règle. Pour les uns le droit n’est pas une idée logique, mais une idée de force. « Tout droit dans le monde a dû être acquis par le combat » (Ihéring, Le combat pour le droit) ce qui justifie que la règle de droit s’impose à tous. Selon Kelsen: la valeur du droit positif est indépendante de toute norme de justice; chaque règle doit être conforme à la règle supérieure: l’arrêté au décret, le décret à la loi et la loi à la Constitution dont l’autorité est admise par hypothèse. « C’est aussi, écrit Aubert l’État qui se trouve érigé en source première de la règle de droit: c’est l’État qui fonde son caractère contraignant. » Ce qui signifie que la règle vaut par elle-même excluant tout autre valeur. Système fermé, fait social autonome.
Ce positivisme juridique se distingue du positivisme sociologique (, Duguit) qui voit dans le droit un produit de la société:
« Toute règle de droit — comme toute institution juridique (État, Parlement, service public, mariage, adoption, etc. — est fondée sur l’interdépendance des hommes vivant dans la société considérée, et plus précisément sur la norme de solidarité sociale qui découle de cette interdépendance. » (Aubert). Donc, c’est l’adhésion du plus grand nombre à la norme édictée, et le sentiment de sa nécessité, qui établissent l’autorité de la règle de droit. La solidarité sociale est à la fois la source et la finalité de la règle de droit. Donc, on admet la légitimité d’un jugement de valeur sur le droit, contrairement au positivisme juridique.
L’approche marxiste est différente. La règle est un produit de la société mais elle est au service de la classe dirigeante dont elle sert les intérêts et protège les privilèges. L’aspect coercitif de la loi se situe dans la logique de la lutte des classes et de l’existence d’une classe dominante. « Mais cela même démontre que le droit n’est pas dans la nature des choses sociales; il n’est que le produit d’un certain type de société: celle où existe un affrontement de classe. Par suite, s’il ne saurait disparaître déjà dans la phase de transition vers le communisme, phase socialiste, parce qu’il doit alors assurer l’éducation de chacun (…) et défendre l’ordre nouveau, en revanche l’avènement du communisme, société véritablement sans classe, emporte l’extinction du phénomène juridique. » (Aubert) voir le Manifeste du parti communiste.
L’ORIGINE DU DROIT
Nous envisageons cette question de l’origine du droit de deux façons
D’un point de vue historique on peut se demander d’où vient le droit québécois? Nous retraçons les principales étapes de la formation de ce droit à travers l’histoire.
D’un point de vue formel, on cherchera à déterminer les sources du droit: dans la pratique juridique on peut affirmer qu’elles sont au nombre de quatre: la loi, la coutume, la jurisprudence et la doctrine. Il existe plusieurs théories concernant les sources formelles du droit et différentes conceptions de chacune de ces sources.
Sources
- VILLEY, Michel, Philosophie du droit, Dalloz, Paris, 1978.
- BELLEAU, C.,
- L’HEUREUX, J.,
- TREMBLAY, G.G., Introduction au droit et à la méthodologie,
- Recueil de textes, Laval,1986-87
- ISSALYS, Pierre, Méthode du droit et législation, Laval, 1988
Au Québec, nous sommes dans un système de droit écrit à sources multiples. En raison de notre histoire on peut noter deux sources vraiment différentes: celle d’avant la conquête de 1760 et celle qui a suivi cet événement.
La souche française
Du Xè au XVIe s. la France était régie par des coutumes qui variaient selon les lieux. Dans le Sud, ce fut, surtout à partir du XIIè s. le droit romain écrit; dans le Nord c’était des coutumes non écrites, du droit oral.
En 1453, une ordonnance royale (Montil-les-Tours) ordonna la rédaction officielle des coutumes.
La rédaction des coutumes se fit au XVIe s et la Coutume de Paris qui reçut son application au Canada, fut publiée en 1510.
Notre code de procédure remonte à une ordonnance de 1667 (code Louis) Mais plusieurs ordonnances, jusqu’en 1760 sont à la source de plusieurs principes de notre code civil. (Testaments, donations, substitutions etc.)
A partir du Traité de Paris (1763) apparaît la source anglaise de notre droit.
En 1857 on commença une codification des lois et de la procédure en matières civiles ; la première fut mise en vigueur en 1866. Jusqu’alors les sources de notre droit civil avaient été la coutume de Paris, le droit romain et la série d’ordonnances des rois de France. En 1866 on adopta le code civil d’inspiration napoléonienne.
Mais le droit public et le droit criminel étaient le droit anglais, comme c’est encore le cas aujourd’hui, pour garder le contrôle. Les autres dates et événements qui ont marqué notre droit se retrouvent dans les textes constitutionnels:
- 1867 : Acte de l’Amérique du Nord Britannique;
- 1931 : Statut de Westminster;
- 1949 : abolition définitive de tout recours au conseil privé de Londres;
- 1982 : loi constitutionnelle de 1982.
Conclusion de cette première partie
Le droit québécois plonge ses racines dans le droit romain, les coutumes françaises, les ordonnances des rois de France, le code Napoléon; on peut ajouter à ces différents ingrédients l’influence du droit canonique (cf l’article de M. J.-L. Baudouin au 16è congrès de lDEF 1983) et celle de la common law anglaise.
Nous sommes passés d’un régime de droit mixte à un régime de droit écrit, par opposition aux pays de la common law. Dans la pratique il y a d’ailleurs convergence des deux systèmes…
Au sujet de l’influence du droit romain, il faut retenir que la science du droit est une invention romaine comme la philosophie est une invention des Grecs. Michel Villey écrit: « il est aussi déraisonnable pour un juriste occidental de mépriser le droit romain qu’à un philosophe de rougir de la philosophie des Grecs. C’est avoir honte de sa mère. »
Entre autres éléments nous devons au droit romain la classification des personnes, la notion de personne morale, les sociétés, la description des choses corporelles et incorporelles, la notion de patrimoine, biens meubles et immeubles, les obligations, les règles de définition et de conditions des contrats (dol, violence etc.)
Indirectement le droit canon a influencé le code civil vis à vis certaines règles de droit:
- v.g. le contrat doit être conclu et exécuté de bonne foi;
- v.g. la volonté humaine de conclure un engagement n’a pas besoin d’être coulée dans un formalisme contraignant;
- v.g. la foi jurée, le serment, la parole donnée suffisent à créer une obligation contractuelle sans qu’il soit besoin de formuler l’entente;
- v.g. non servandi fidem: fides non est servanda; à celui qui n’est pas de bonne foi on n’est pas obligé de faire confiance.
- v.g. l’obligation de réparer le tort injustement ou illégalement causé à autrui. Etc.
La LOI
C’est une règle de droit énoncée dans un texte par l’autorité compétente : le Parlement canadien ou à Québec l’Assemblée Nationale — remarque: en matière de droit civil la juridiction est provinciale bien que les faillites, les banques et les droits d’auteurs relèvent d’Ottawa). Suivant certaines formalités d’adoption ces lois deviennent des règles générales et obligatoires. Elles créent un droit nouveau. Ainsi en est-il de la Charte enchâssée dans la Constitution canadienne ( ceci protège contre des lois qui seraient discriminatoires). rem: il peut arriver que la loi soit privée, comme les cas de divorce autrefois.
L’adoption doit passer par trois lectures et être sanctionnée par le Lt Gouverneur. Elle entre en vigueur 30 jours après son adoption à moins d’indication contraire. Les lois s’appliquent pour l’avenir; mais le législateur peut passer des lois rétroactives (fiscalité). Enfin, la loi est territoriale. rem: il existe différentes sortes de lois:
Les lois constitutionnelles (qui ne sont pas toutes écrites) mais qui constituent la charte fondamentale de l’État. Ici, le contrôle se fait par les tribunaux.
Les codes: ce sont des lois qui n’ont pas une valeur supérieure à la constitution, mais qui ont pour objectif de légiférer dans un domaine vaste; c’est une législation d’ensemble. v.g. le code civil, le code criminel, le code de la route.
Les chartes: une loi qualifiée ainsi revêt une importance presque constitutionnelle: v.g. la charte de la langue française; la charte des droits fédérale enchâssée dans la Constitution
On peut ajouter à cela les actes réglementaires, une législation déléguée …(rem: lois et règlements ont même valeur)
La coutume
La pratique a créé des règles de droit. C’est l’usage implanté dans une collectivité et considéré par elle comme obligatoire.
Elle suppose une répétition spontanée d’une certaine conduite
Il faut que l’opinion commune soit persuadée que la pratique était juridiquement obligatoire.
v.g. Dans le chef lieu il y avait une foire par mois. On y faisait des échanges. La vache est tombée malade deux jours après l’achat. On s’entend graduellement pour une règle pour ce cas… ça devient une coutume. Même chose en d’autres domaines… rem: Il faut prouver la coutume. Son existence n’est pas toujours certaine. Le juge doit l’évaluer, se convaincre qu’elle existe en plus de juger du fait.
La coutume meurt par désuétude si elle n’est pas appliquée pendant un certain temps. C’était la source la plus importante au moyen-âge. v.g. la Coutume de Paris (abolie en 1855). « Si une vente de bien est faite par un tiers dans la période d’un an, un membre de la famille avait droit de la racheter au même prix » On préférait préserver la famille plutôt que de favoriser les transactions économiques. Qu’en reste-t-il au Québec? Certains textes de loi le précisent…
La jurisprudence
C’est l’ensemble des jugements rendus par les tribunaux. Comment cet ensemble peut-il devenir source de droit? Certains pensaient que la seule source de droit était la loi. Ce qui n’est pas réaliste. Car les lois ne peuvent penser à tout. Les jugements expliquent les textes. Les juges ont un rôle créateur de droit reconnu par le code civil (art.11 et 12 et 13)
On reconnaît certains principes de jurisprudence:
- Premier principe: le juge a un rôle de créateur de droit, parce qu’il est tenu de rendre jugement, de clarifier ce qui est obscur et de compléter la loi et avoir recours à des principes généraux.
- Deuxième principe: les juges ne peuvent se prononcer de façon générale: ils doivent s’en tenir au litige devant eux.
Le juge ne peut se prononcer ultra petita, i.e. sur quelque chose qui n’est pas partie du litige.
Le juge fait oeuvre d’interprétation et doit exposer les motifs du jugement.
rem: En Angleterre, les tribunaux se sont sentis responsables de juger comme les autres tribunaux. C’est devenu une règle de droit, la source première du droit.
rem: ce rôle de juge créateur de droit pouvait bien fonctionner quand l’appareil d’État était plus petit. Aujourd’hui, (surtout avec la Charte des droits fédérale) on laisse aux juges la responsabilité qui souvent devrait être celle de l’État…
La doctrine
Ce que l’on appelle la doctrine est l’ensemble des textes écrits par des juristes commentant les règles de droit; v.g. livres, articles de revue. Est-ce une source de droit? Oui dans la mesure où ça influence les juges et les législateurs. C’est donc indirectement une source de droit, mais ça ne crée pas de droit. Ces quatre sources du droit, si elles répondent assez bien aux exigences immédiates les plus courantes, (i.e. d’un point de vue tout à fait pragmatique) comportent des limites et des insuffisances qui nous poussent à chercher des sources plus lointaines, des sources ultimes du droit.
En effet quand les juges ont à trancher des litiges concernant par exemple la Charte des droit du fédéral, étant donné l’imprécision et la faiblesse de la loi, ils doivent l’interpréter en faisant appel à leur propre conception de la loi, de la justice, de la réalité sociale etc. Il en va de même pour le législateur qui doit savoir le véritable rôle des lois, i.e. au fond les fins de la loi, ses rapports avec la justice et le droit naturel, ou toute autre considération éclairant le sens de la loi en tant que telle.
C’est pourquoi il existe plusieurs théories philosophiques sur les sources du droit et plus particulièrement sur la nature des lois. C’est ce qu’il conviendrait d’envisager maintenant.
Quelques théories sur les sources du droit
Le système du positivisme légaliste: c’est la doctrine du Contrat social. Ce contrat social serait le résultat du consentement d’individus naturellement libres: de là le monopole des lois étatiques dont la « jurisprudence » n’est que l’application. Il s’agit comme on peut s’en rendre compte de l’héritage de la philosophie politique anglaise du XVIIe s. (Locke) et française (, XVIIIe .)
Selon une deuxième tendance, la source du droit serait la Raison, une raison universelle, commune à tous les hommes, d’où serait tiré le contenu des lois.
Une troisième position est celle du positivisme scientifique. Il rejette les thèses rationaliste et métaphysique de l’école du droit naturel, et le mythe du Contrat social. Dans cet esprit, les textes du droit positif seront ceux qu’impose la coutume (Savigny) ou la force du pouvoir en place, ou les lois reconnues par le groupe social. Alors le législateur se règle sur l’opinion commune. Ce qui revient à dire qu’au-dessus des textes, il faut placer les faits sociaux. Quant au juge, il suit son intuition, ses instincts, ses préjugés de classe.
Enfin une autre tendance fait du droit une technique, un instrument de contrôle social, inventé en vue du bien-être des particuliers ou du groupe. C’était déjà l’idée de Bentham et de l’utilitarisme anglais. Cf. Villey, p.17 ss, 2è vol.
Présentation
Les différentes branches du droit s’articulent autour de deux axes qui mettent en cause des notions importantes
a)il y a l’axe de l’Etat national et de la communauté internationale
- b) et l’axe du bien public et du bien des particuliers.
Au cours de ce chapitre nous allons esquisser la classification habituelle des branches du droit en soulignant leurs particularités quant aux problèmes des règles de droit, des sources et de la nature des lois.
Sources :
- DABIN, J., Encyclopaedia Universalis, vol.5
- VILLEY, Michel, Philosophie du droit, 2è vol. Dalloz, Paris
- ROUSSEAU,Charles, Droit Intern. Public, Précis Deloze.
- REUTER, Paul, Collection Thémis
1- Définition: le droit international public est l’ensemble des règles qui régissent les rapports
des différents sujets de la société Internationale.
- a) les règles sont des normes créatrices d’obligations. Il existe un consensus des nations à ce sujet.
- b) les sujets, ce sont les Etats, les organisations internationales comme l’ONU et ses institutions.
Il existe des cours internationales: CPJI à l’époque de la S.D.N. et la CIJ de l’ONU; cette cour est consultative. Mais elles sont contraignantes dans la mesure où les Etats y font appel librement.
L’ONU est un sujet, car elle détient une personnalité internationale.
2- Particularités:
- a) Il y a trois caractéristiques propres à la société internationale:
a)il n’y a pas de législateur;
b)la Justice est volontaire;
c)il y a peu de sanctions.
Dans la société Internationale l’État fait le droit à sa mesure et est enclin à le respecter. Mais si le gouvernement d’un Etat change, cela peut être différent.
- b) l’État crée des règles de droit parce que le droit répond à des nécessités sociales; car la loi tient son applicabilité à son adéquation aux besoins.
Par exemple, À l’ONU, on peut parler d’une approche politique avec tout ce que cela implique d’échanges, de diplomatie , car il s’agit d’une organisation politique. Par contre, des institutions comme l’OACI répondent à des besoins plus facilement identifiables. On aura donc ici une approche plus pragmatique. Il faut remarquer que ce n’est pas la sanction qui crée l’obligation. On pourrait penser que le droit international public n’est pas un droit véritable en raison de l’absence de sanction efficace. (Il sera intéressant, à ce sujet, de voir ce qu’il adviendra des accusations portées par la juge L.Arbour de la CIJ, suite aux événements qui se sont passés au Kosovo dernièrement.)
3-Les sources du droit international.
Un tour d’horizon historique nous permettra de voir comment se pose la question des sources du droit international publique.
Ce droit est récent puisqu’il suppose l’existence d’États et de relations entre États.
- a) avant le 16è s:
Avant la naissance et la réalité du concept d’État nation au 16è s. il n’y a que des embryons de droit international. La Chine antique, les anciens empires perses ont réalisé quelques traités, en particulier l’un en 1292 avant J.C.
La Grèce et ses Cités pratiquaient une forme de droit international par ses traités de paix, de commerce et d’ententes sur des Institutions consulaires. Le Consul prend fait et cause pour sa Cité dans une autre Cité. Une société des nations (Amphictyonie a existé à l’époque de Delphes considérée comme centre de la terre. Les cités grecques avaient des relations avec le reste du monde qu’elles considéraient comme des barbares.
Les Romains ont pris la relève, renversés par les barbares vers le 5è s.
Au XI et au XI s. l’Église cherche à fédérer le monde. Il y avait alors confusion des pouvoirs matériels (temporels) et spirituels. Le Pape était l’arbitre. Des bulles ont établi des droits; Il y avait des sanctions (excommunications), les Croisades étaient des entreprises d’armées internationales. Il y eut des Conventions de démilitarisation: l’Église interdit l’usage de l’arbalète.
- b) au 16è s.
apparaissent les premières règles de droit International:
- création de l’État sous la responsabilité du roi;
- l’État est Justifié par le concept de souveraineté;
- les États sont Juxtaposés et les relations minimales.
- Selon Suarez, le droit international est du droit naturel d’inspiration divine.
- Grotius (Hugo de Groth) pasteur protestant hollandais peut être considéré comme le père du droit International qu’il fait reposer sur le droit naturel, i.e. la raison humaine, la morale. C’est un droit positif ( celui que l’on constate) et volontaire (ce sont les rois qui font les lois, mais soumis à la morale).
C’est ce droit qui se développe jusqu’à l’époque moderne et au 19è s. on est positiviste et volontariste. v.g. Triepel (allemand) et Anzilotti (Italien). Cela jusqu’au premier grand conflit mondial.
- C) En 1919, pour Wilson (Président des E.-U.) il suffisait de mettre sur pied un organisme international pour qu’il n’y ait plus de conflit. Ce fut la Société des Nations.
Elle n’a pas de pouvoir. N’adopte que des recommandations. N’a jamais été universelle. Elle comptait entre 40 et 60 nations membres.
Le Sénat américain a refusé le pacte qui était ajouté au Traité de Versailles.
- D) Après 1930, cet organisme a périclité jusqu’à devenir totalement inefficace.
Pendant ce temps, la doctrine a évolué. On est positiviste, mais non volontariste: on devient plutôt objectiviste.
Après le 2è conflit mondial, on croyait que c’était le dernier et on avait foi en une organisation universelle: l’ONU.
on lui a demandé de s’occuper de l’économie et des droits de l’homme. on lui a donné les compétences requises. l’ONU est devenue et est restée universelle. Elle est passée de 51 à 185 États. (La Suisse ne fait pas partie de l’ONU).
Donc, on peut dire que le droit international est universel et d’origine récente. On reconnaît qu’il existe des règles.
Conclusions sur le droit international public.
Le droit International public est une matière spécifique. Les règles ne sont pas toujours suivies, mais … on peut dire qui c’est une branche importante du droit.
- a) sur le plan économique:
Quand les États ont pris conscience de l’importance des matières contenues sous les mers, ils ont été obligés d’établir des règles. Il en fut ainsi dans plusieurs domaines où se manifestèrent des besoins et des réalités économiques. Une foule de traités bilatéraux ou multilatéraux frappent les produits; le GATT, accord général sur les échanges et le commerce lie une centaine de pays. C’est une institution internationale.
Une structure internationale s’élabore sur le plan économique. l’ONU est une plate-forme pour le TIERS-MONDE; elle regroupe actuellement 185 États pays.
Par les traités on effectue des transferts de technologie. Par la Convention de Montego Bay, sur les droit de la mer, les grands fonds marins sont le patrimoine commun de l’humanité.
- b) le progrès social passe par le développement du droit international.
v.g. le terrorisme. Le nombre de détournements d’avion a diminué considérablement en raison d’un traité international. Il faudrait que tous les états signent pour que cela soit encore plus efficace.
- c) le progrès culturel passe aussi par le droit international; sur le respect des droits de la personne il existe deux traités: 1948 sur les droits de l’homme, un pacte sur les droits civils classiques etc. rem: les pays d’Amérique latine demeurent en dehors de ces pactes. Malgré tout le droit international est utile même pour un pays respectueux des droits …
- d) utile aussi pour enrayer la guerre: nécessités d’ententes ou traités ou institutions internationales. cf. Art 43, chap.7 ONU: d’après sa charte, la guerre est impossible. Mais ça prendrait une armée internationale pour vraiment assurer la sécurité collective. C’est arrivée une fois en Corée en 1955. Actuellement, les casques bleus sont envoyés comme tampons.
Le droit international public est un droit Jeune: il fait appel à l’histoire, la géographie (le plateau continental est devenu un concept Juridique) Il fait appel à la politique: ses auteurs basent leur interprétation sur la puissance soit militaire (Raymond Aron) soit économique (Servan-Schreiber défi américain).
En droit, l’État est défini par sa souveraineté quelle que soit sa puissance ou sa population.
Enfin, soulignons que ce droit correspond à des préoccupations actuelles: v.g. le statut de l’espace, le traité sur la lune (1979) patrimoine commun de l’Humanité; le statut de l’Antarctique (1959) sera modifié en 1991; utilisation de l’espace; espionnage. Etc.
On peut aussi signaler les aspects négatifs suivants: la société internationale confond le gouvernant et le gouverné.
L’État fait et applique le droit international; De plus, le droit interne est plus rapide pour solutionner des problèmes;
Ajoutons que le droit international n’est pas toujours adapté; car parfois il n’existe pas sur un tel domaine (v.g. les accidents pétroliers depuis 1969–aujourd’hui il existe quelques règles);
Il a des lacunes; v.g. les multinationales. Il n’y a pas de règles à ce sujet. La pollution Etc. Parfois le droit international a pris les devants: v.g. le Traité de 1972 sur les lancements de satellites.
rem: depuis une dizaine d’années le droit international a subi plusieurs transformations qui feront l’objet d’un prochain article. Il sera question de la mondialisation, de la transformation de certains organismes et surtout de l’apparition de questions nouvelles comme celle des guerres préventives, des assassinats politiques, des attaques meurtrières pour raison de simples soupçons. (Palestine,Afghanistan,Iraq etc.)
Enfin, soulignons que les sources de ce droit sont difficiles à trouver.
Quelles sont les sources de la règle de droit internationale?
1- sources matérielles: le contexte social à l’origine d’une loi: v.g. le traité sur le terrorisme;
2- sources formelles: les techniques d’élaboration de la règle de droit, les sources formelles sont indiquées dans la charte de l’ONU à l’art. 38;
- a) la première: ce sont les conventions internationales (les traités);
- b) la seconde: la coutume;
- c) la 3è: les principes généraux du droit;
- d) la 4è: les décisions judiciaires;
- e) la 5è: la doctrine; (comme moyens auxiliaires)
- f) la 6è: l’équité.
Existe-t-il une hiérarchie des sources?
S’il y a contradiction dans les sources, cette énumération de l’art. 38 comporte une hiérarchie, mais les deux premières sont sur un pied d’égalité.
Est-ce que l’art. 38 épuise les sources?
Non. Car on peut parler du Conseil de Sécurité (embryon de législation internationale); OACI les actes des organisations internationales. L’article 38 date de 1919 et ces organisations internationales n’existaient pas alors.
Enfin, les prises de positions unilatérales d’un État: v.g. au sujet de l’Arctique, le Canada a pris position et seuls les États-Unis se sont opposés; ça signifie que les autres acceptent la position
Le droit constitutionnel
Présentation _
A- Avant d’aborder la question du droit constitutionnel, il serait utile d’apporter quelques précisions sur la classification de la règle de droit. Nous avons distingué le droit interne du droit externe; l’autre axe de classification est aussi important: la distinction entre droit public et droit privé.
B- Il sera question du droit national public:
1- le droit constitutionnel,
2- le droit pénal,
3- le droit administratif
et des principes qui les sous-tendent. Nous essaierons d’en faire une critique au fur et à mesure qu’on pourra les décrire.
Sources
TREMBLAY, André, et WOEHRLING, José, Droit constitutionnel; recueil de jurisprudence, Montréal, Ed.Thémis, 1987-88
BRUN, Henri, et TREMBLAY, Guy, Droit constitutionnel, éd. Y. Blais, Cowansville, 1982
A- Quelques précisions utiles
La classification est un procédé utile qui se fait tout naturellement par les règles elles-mêmes. Au fond il s’agit d’organiser le droit parce que c’est ainsi .
1- Le droit privé est l’ensemble des règles qui portent sur les rapports des citoyens entre eux: famille, mariage, filiation, adoption, nom, rapports concernant les biens, ventes, locations, achats, donations, contrats, droit commercial etc.
2- Le droit public porte sur les rapports de l’Etat avec les individus: règles constitutionnelles, fonctionnement de l’Etat, règles administratives, l’appareil et les individus à qui l’Etat confie des pouvoirs, fonctionnaires. Les législations financières du gouvernement. L’impôt. Etc.
3- L’ensemble du droit pénal: un crime est un accroc à la paix du roi (tout ce qui est criminel). Ce ne sont pas les citoyens qui poursuivent mais les procureurs; les jugements sont ceux de la reine contre un tel.
4- Le droit de procédures civiles: c’est l’organisation des tribunaux; du droit public.
La division pure entre droit public et droit privé admet de plus en plus une zone grise. v.g. le médecin (l’Etat intervient dans son bureau). Toutes les situations où l’Etat intervient: pharmacien etc.
Dans ce domaine, on parle de la Judge Made Law. Depuis l’adoption de la charte des droits fédérale, ceci existe davantage.
5- Le droit national: ensemble des règles de droit régissant les rapports à l’intérieur de l’Etat.
6- Le droit international: les rapports débordant les frontières.
7- Le droit national privé s’applique à l’intérieur entre les individus.
8- Le droit international privé: entre les individus, mais avec un élément étranger:
Alors il s’agit de voir si le juge a juridiction; si oui, le juge doit qualifier son litige. Est-ce un litige concernant le statut, un contrat, une procédure, la nature d’un bien? Après cela, il faut chercher dans le droit du Québec la règle de rattachement qui va lui dire lequel des droits appliquer.
rem: quand on parle de droit national nous canadiens, la Constitution sépare les juridictions, car les lois sont territoriales. Si bien que en matière de droit civil, entre Québécois et Ontariens, il y a là un problème de droit international privé. Mais un problème de droit pénal est du droit national.
B- Le droit national public
1- Le droit constitutionnel
Définition: ensemble des règles qui régissent le fonctionnement et la structure de l’Etat et de ses rapports avec les individus.
rem: au Canada, tout le droit constitutionnel n’est pas dans la Constitution. Il existe 31 lois constitutionnelles dont à peine 2 sont connues (1867 et 1982) De plus, il faut ajouter ce qui est en dehors des lois constitutionnelles: les conventions constitutionnelles, la jurisprudence, les arrêts des tribunaux, les lois, la common law.
Notion de constitution:
- a) notion matérielle: ce sont les règles qui définissent l’Etat, qui créent les organes et précisent leur fonctionnement et leur mission;
- b) les règles qui organisent les relations des organes entre eux (séparation des pouvoirs);
- c) les règles qui régissent les relations entre l’Etat et les particuliers (droits fondamentaux, libertés publiques);
au fond ces règles règlementent l’attribution, l’exercice et la limitation du pouvoir politique. Ces règles sont constitutionnelles par nature.
- d) notion formelle: il s’agit ici de la valeur juridique prépondérante de ses règles.
1- Une constitution est souple ou rigide :
- a) souple: il s’agit des constitutions dont le contenu peut être révisé ou abrogé par le pouvoir législatif ordinaire; v.g. Angleterre et Israël
- b) rigide: dont le contenu ne peut être abrogé que par une procédure spéciale (procédure de révision ou d’amendement); v.f. France, E.-Unis.
Juridiquement, la rigidité confère une supériorité hiérarchique sur les autres règles de droit; politiquement elle protège les droits fondamentaux des citoyens contre les atteintes des législateurs.
- c) Certaines constitutions sont mixtes: certaines de leurs dispositions sont rigides, les autres souples. v.g. le Canada
2- de caractère coutumier ou écrit
Les constitutions écrites sont celles qui sont inscrites dans un document ou un ensemble cohérent de documents, qui permet leur identification. V.g. La Constitution américaine de 1787 ; la Constitution française de 1958. Elles sont souvent modifiées par l’usage et par la coutume qui viennent adapter le texte à la réalité changeante.
Les constitutions coutumières sont celles qui sont formées progressivement par la pratique et qui sont composées pour l’essentiel de règles non-écrites (coutumes, usages, conventions). v.g. Angleterre.
rem: il n’y a que les règles formellement constitutionnelles (i.e. rigides) qui jouissent d’une supériorité hiérarchique, et seules par conséquent, elles donnent lieu au contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois.
3- Quels sont les grands principes du droit constitutionnel canadien?
On pourrait ramener à cinq (5) les principes du droit constitutionnel canadien:
- a) le principe de la suprématie de la Constitution et le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. Ce principe est indiqué dans la loi de 1865. Mais il repose surtout sur le fait que le pays est une fédération. Le principe fédéral exige un arbitre.
- b) le principe de la séparation des pouvoirs. La théorie de la séparation des pouvoirs se retrouve chez Montesquieu qui compare la constitution britannique et la constitution française et conclut à la supériorité de la première en raison de :
1- la rationalisation du travail
2- et la limitation du pouvoir étatique
en partageant le pouvoir, celui-ci est moins menaçant pour le citoyen.
La confusion du pouvoir est très dangereuse ( pouvoir législatif et pouvoir exécutif) qui se retrouvent dans la même personne dans la monarchie française. Il faut distinguer différentes fonctions dans l’Etat. C’est un principe plutôt philosophique que juridique.
Il existe deux grands modèles: le système parlementaire et le système présidentiel.
- c) Nous nous arrêterons davantage sur le troisième principe du droit constitutionnel canadien: le principe de la primauté du droit (que nous retrouverons dans le droit administratif).
Que signifie ce principe?
—Cela signifie que tous les actes de l’Etat doivent se fonder sur une règle de droit connue d’avance.
Dans l’Etat qui respecte ce principe tout doit se faire sur la base du droit: ce n’est pas laissé à l’arbitraire. C’est le principe le plus élémentaire; il doit être connu d’avance par le citoyen.
—Cela signifie aussi que l’ensemble des organes infra-parlementaires ne peut agir qu’en conformité aux lois. Et cela peut être vérifié par les tribunaux.
— cette conformité est vérifiée par les tribunaux de droit commun qui peuvent déclarer illégal un acte contraire à la Constitution ou au Parlement (Angleterre). Le contrôle judiciaire c’est la conformité des lois par rapport à la constitution; la conformité des actes de l’administration par rapport aux lois. Le contrôle de la constitutionnalité est garanti par la Constitution: il ne peut être ni abrogé ni amendé.
- d) la souveraineté du Parlement: le Parlement peut tout faire par simple loi, y compris changer la constitution. Ce principe s’applique de façon partielle au Canada, à cause du partage des compétences et de la constitution en partie rigide.
- e) enfin, on peut ajouter la protection constitutionnelle des droits fondamentaux soit par la charte implicite (le préambule de la loi de 1867) ou par la charte des droits et libertés de 1982.
2- Droit administratif
Voici quelques grands principes généraux du droit public qui s’appliquent à la fonction d’administrer par opposition à celle de gouverner (légiférer).
Rappelons que le droit administratif est l’ensemble des règles régissant l’organisation et le fonctionnement des institutions gouvernementales et administratives.
Les principes:
1- Rule of law: c’est le principe de la légalité (issu de la jurisprudence anglaise)
Il s’applique dans une société où le pouvoir s’exerce conformément au droit et non sous le signe de l’arbitraire. C’est là toute la philosophie du droit canadien et anglais.
L’organisation et le fonctionnement des institutions gouvernementales sont soumis au contrôle judiciaire qui découle de cette règle.
Toute l’organisation est basée sur des principes qui permettent de prévoir…Les principes doivent être connus, qui vont inspirer les fonctionnaires. Tout cela s’est développé lentement.
Par exemple, on sait sur quels principes le CRTC va se baser pour octroyer un permis. Il ne doit pas y avoir de pouvoir discrétionnaire.
Par exemple, attribuer au chef des pompiers le pouvoir de fermer les établissements et de déterminer les normes…
2- deuxième principe:
Il existe deux principes de justice naturelle dont doit tenir compte le pouvoir quasi-judiciaire…
rem: le pouvoir quasi-judiciaire est celui qui s’exerce d’une façon quasi-judiciaire: v.g. la régie du logement où l’on procède à des auditions avant de porter une décision….Or, les tribunaux ordinaires ont des règles très précises. Non les organismes quasi-judiciaires. C’est pourquoi les tribunaux ont créé et développé des règles pour donner aux fonctionnaires des règles à suivre.
- a) audi alteram partem: il faut entendre l’autre partie
C’est le droit de se faire entendre, le droit à une défense pleine et entière, impartiale et sans préjugé.
Comment s’applique cette règle?
— il y a obligation de donner un avis avant l’audition
— l’heure, date, local, ce sur quoi va porter le litige, connaître les griefs (« accusation »)
— avoir l’occasion de faire valoir ses droits
— obligation de communiquer le dossier
— droit au contre-interrogatoire
— droit d’ajournement: v.g. besoin de temps pour avoir les éléments de défense non disponibles actuellement. etc.
— droit aux audiences publiques. Il faut que la justice ait l’air d’être rendue.
- b) nemo judex in sua causa: Nul n’est juge dans sa propre cause. Il faut éviter les craintes raisonnables de préjugés: conflit d’intérêt d’argent, de parenté, de relation d’affaires etc.
v.g. le commissaire qui siège en appel à sa propre cause ou décision…
— Etre juge et partie: le comportement antérieur (opinion) si on doit rendre décision dans le domaine…
Lorsqu’il y a manquement à ces principes, il y a excès de juridiction. Alors le système judiciaire va se mettre en branle pour que justice soit faite. Généralement on demande de recommencer. Techniquement, ça se fera par une évocation à la cour supérieure. Or, le législateur a toujours voulu restreindre cela, car c’est plus long et plus couteux.
3- Le droit pénal
Sources : COTE-HARPER, Gisèle, MANGANAS, Antoine D., Droit pénal canadien, éd. Yvon Blais inc., Cowansville, 1984
Définition: « le droit pénal est une branche du droit public qui vise à réprimer certains comportements prohibés par la loi dans une société donnée en imposant une sentence et ce, à la suite d’une procédure spécifique. »
Le terme droit pénal englobe à la fois le crime et la peine. Mais il réfère davantage à la peine, alors que le droit criminel réfère au crime.
Le domaine du droit pénal varie d’un pays à l’autre. Il s’agit toujours de réprimer certains comportements, mais selon les conceptions morales d’un pays, les valeurs et les objectifs que poursuivent les Etats.
En droit soviétique:
« (… est considéré comme infraction l’acte socialement dangereux (action ou omission) prévu par la loi pénale, et portant atteinte au régime social et politique soviétique, au système d’économie socialiste, à la propriété socialiste, à la personne, aux droits politiques, au droit au travail, à la propriété personnelle et aux droits des citoyens, ainsi que tout autre acte socialement dangereux portant atteinte à l’ordre légal socialiste et prévu par la loi pénale. »
Il s’agit donc de protéger avant tout, en droit soviétique l’état et la société. En droit anglo-saxon, le common law s’attache en premier lieu à l’individu et à la protection de ses droits. Question d’accent probablement car la law and order and good government a aussi priorité dans la Constitution canadienne, lorsqu’il s’agit du fédéral.
D’autre part, le système judiciaire chinois lui aussi donne une priorité à la protection des intérêts collectifs sur les droits individuels tout au long du processus pénal. »Le procès n’a pas pour fonction de déterminer la culpabilité ou l’innocence du prévenu, mais d’éduquer le public en exposant et en condamnant un comportement nuisible à la société. Cette fonction éducative s’exerce à deux niveaux: en premier lieu, l’accusé « apprend pourquoi son acte était blâmable et en second lieu, le peuple « apprend » comment s’exerce la justice pénale en Chine. »
On voit que le droit pénal soviétique et le droit pénal chinois sont très différents du droit pénal des pays occidentaux où l’intervention judiciaire doit rester limitée pour ne pas porter inutilement atteinte aux libertés civiques, tout en assurant le respect des valeurs protégées par la loi.
« Il faut admettre que le droit pénal a subi à travers les temps l’évolution sociale, économique et culturelle dans différents pays. Parallèlement à l’évolution du droit pénal, d’autres sciences se développent telles que la criminologie, la science pénitentiaire et la criminalistique ».
Quelques remarques sur les principes du droit criminel.
- Au civil: il s’agit de déterminer la responsabilité et le dédommagement (idée de compensation)
- Au criminel: il s’agit de déterminer la culpabilité; si elle existe il y aura sanction punitive et exemplaire. (idée de punition et de dissuasion)
Le procès est intenté par le procureur qui accuse quelqu’un d’une infraction.
La seconde étape, on enregistre un plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité.
S’il y a non-culpabilité la couronne doit présenter sa preuve et le fardeau de la preuve est de prouver hors de tout doute raisonnable.
La défense: son fardeau de preuve consistera à créer un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.
Quand il y a procès devant jury, les jurés vont apprécier les faits; le juge va apprécier le droit.
L’accusé n’est pas obligé de comparaître comme témoin, ni le conjoint, ni les enfants en bas-âge.
Un principe important: la présomption d’innocence.
Une personne qui a gagné au civil (preuve prépondérante) ne gagnera pas nécessairement au criminel (hors de tout doute).
Les grands courants de pensée de la philosophie du droit
Nous essaierons au cours de ce chapitre d’esquisser les grandes lignes des courants de pensée qui ont marqué l’évolution de la philosophie du droit. Il faut se rappeler que toute catégorisation est un peu une trahison, mais cela est indispensable pour essayer de comprendre l’essentiel de la diversité de pensées.
Nous verrons 3 courants qui nous semblent importants:
- 1-Le courant rationaliste illustré surtout par Thomas d’Aquin(1226-1274)
- 2-Le courant volontariste et naturaliste représenté principalement par Grotius(1583-1645)et J.-J. J. Rousseau (1712-1778)
- 3-Le courant humaniste, avec Charles de Montesquieu (1689-1755)
rem: rappelons que nous avons étudié plus haut les courants du positivisme juridique et du marxisme.
(Il s’agira bien sûr de résumer à grands traits ces philosophies … )
Sources
- BRIMO,Albert,Les grands courants de la philosophie du droit et de l’État, Ed. A. Pedone , Paris 1978
- VILLEY, Michel, Philosophie du droit, Dalloz, Paris 2 vol.
A- Le courant rationaliste
Thomas d’Aquin (1226-1274)
La philosophie thomiste du droit et de l’Etat occupe une place exceptionnelle dans toute l’histoire de la philosophie du droit et de l’Etat et conserve encore aujourd’hui selon Brimo et Villey toute son actualité.
1-Notion de droit
La conception du droit et de l’État de St.Thomas s’inscrit dans le cadre d’une théologie morale où il cherche à déterminer la nature de l’homme et de sa fin. Sa perspective est non seulement philosophique mais théologique, i.e. enracinée dans la Révélation et la Grâce. Mais il a le souci de construire une philosophie fondée sur la raison.
Chaque être a une nature qui est intérieure (essence) et une fin qui est sa nature réalisée. La loi naturelle c’est la mise en rapport de la nature avec sa fin: elle assure la présence de la forme.
Selon Thomas, le principe premier de l’agir humain c’est la raison, qui est la règle et la mesure des actes humains. Car l’homme ne peut agir en être intelligent sans la conduite de la raison. D’autre part, la rèqle des actes humains c’est la loi.
Donc la loi se trouve dans la raison: elle est une ordonnance de la raison.
« La raison humaine comme telle n’est pas règle, écrit-il. Ce sont les principes qui lui sont inculqués qui jouent le rôle de règle et de mesures générales par rapport à toutes les actions qu’elle-même a fonction de mesurer et régler. »
Brimo s’exprime de la façon suivante:
« Au sommet de l’échelle mystique, Saint Thomas place la lex aeterna, la loi éternelle. « La loi éternelle est le gouvernement du monde par la raison divine. La raison, dont la règle est le droit de la nature, est la raison divine. » (Somme) La lex aeterna est immanente à la raison divine, l’image même de cette raison, elle exprime de la manière la plus parfaite l’idée de volonté divine présente dans l’intelligence du monde.. »
« Au-dessous, Saint Thomas place la lex naturalis, qui correspond dans l’échelle mystique à la raison spéculative (ratio spéculativa), dont les fonctions sont definitio, enunciatio, syllogismus vel argumentatio, « la loi naturelle est la participation des créatures douées de raison à la loi éternelle ». Cette loi naturelle, étant donné la doctrine du péché originel et la chute de l’homme, ne peut être qu’une image imparfaite de la lex aeterna, mais elle est accessible à l’homme par la raison spéculative; elle représente dans la philosophie thomiste le point de convergence entre la raison divine et la liberté rationnelle. Elle subit simplement l’action de cette inclination naturelle qui est au rentre de toute construction thomiste, « en elle se réalise une participation de la raison éternelle s’exprimant sous forme d’inclination naturelle à des fins dues ».Cette volonté de St Thomas de ramener le problème de la loi naturelle au plan des fondements du droit, est très apparente dans la distinction qu’il établit entre la loi naturelle primaire et la loi naturelle secondaire. Seule la loi naturelle primaire présente un caractère d’immutabilité, mais elle se ramène à un seul principe, qu’il faut faire le bien et éviter le mal, « la nature raisonnable, du fait qu’elle connaît les notions universelles de bien et de l’être, implique un ordre immédiat au principe universel de l’être.
« La loi naturelle secondaire est faite de règles qui varient avec les pays, car si la justice doit s’observer universellement, la détermination des choses qui sont justes par institution divine ou humaine varie nécessairement selon les états différents de l’homme. »…les principes communs de la loi naturelle ne peuvent être apploiqués selon un mode universel à tous, en raison de la grande variété des choses humaines. De là provient la divesité des législations chez divers peuples. »
(…) la lex humana est l’oeuvre de la raison humaine élaborant les règles pratiques de vie individuelle et sociale, elle constitue à proprement parler le droit positif la loi est une prescription de la raison, se rapportant au bien général faite par celui qui gouverne la communauté, et promulguée. »
Le contenu du droit chez Saint Thomas
Le contenu est déterminé par la raison spéculative et la raison pratique dans leur contact avec le réel et la vie, c’est-à-dire, avec la nature des choses; cela rapproche le thomisme des juristes modernes qui ont pris conscience, à travers l’historicisme et l’existentialisme de l’importance de ce facteur « nature des choses » dont ils ont fait la base de leur construction.
La raison de l’homme ne lui indique que des directions. Ce que Saint Thomas appelle la raison droite n’est pas comme le pense Kelsen, la découverte certaine et précise d’un ordre du bien, ou du juste. C’est l’harmonie avec la nature; ce qui est très différent. Ce n’est pas un automatisme. Cet ordre juridique de Thomas se conçoit par rapport à l’inclination vers la justice qui se trouve innée en l’homme et par rapport à sa fin naturelle. La justice est conçue comme un idéal. Seule l’idée de justice a une existence véritable. Le droit positif n’est qu’une copie qui ressemble au modèle. Le droit positif n’a qu’une existence apparente. La justice ne vise pas le transitoire, mais l’éternel, afin d’y contempler la forme, le type parfait. Dans cette recherche de la justice, l’homme est aidé par la droite raison.
Le penchant à la justice a besoin d’être aidé par la Prudence. L’homme a des penchants au bien, mais le souci de perfectionner sa personnalité, mûrir ses jugements, réaliser un équilibre harmonieux dans l’existence individuelle ou sociale ne s’impose pas d’emblée, il faut y ajouter la syndérèse. (Brimo) La prudence construit le droit en partant des principes universels et des actions singulières.
1‑ Grotius (1583‑1645)
Avec Grotius apparaît une façon nouvelle d’envisager le droit. On ne cherche plus à définir le droit en soi dans une perspective ontologique. Désormais on le définit comme la faculté d’avoir ou de faire quelque chose qui résulte du pouvoir sur soi(liberté), sur autrui, ou sur les choses. Cela devient un des moyens pour l’homme d’organiser la société et de dominer la nature pour la mettre à son service. Le droit est une création volontaire, guidée par l’instinct de sociabilité.
Cette pensée est bien illustrée par le credo nouveau: « pacta sunt servanda » : Il faut respecter les ententes, les contrats. Ce principe devient le fondement de toute vie juridique et sociale, nationale et internationale.
Bien qu’il admette l’existence du droit naturel qui est un « dictatum rectae rationis » il nie toute référence à la 1oi éternelle, contrairement à Saint Thomas d’Aquin. Grotius sépare le droit du la théologie comme Machiavel sépare la morale de la politique.
Dans son livre « De mare liberum » il affirme sa croyance en un droit de la nature « qui est également la mère de tous, dont l’emprise s’étend sur ceux qui commandent aux nations … Il
Pour Grotius,la nature c’est essentiellement la nature humaine. « La mère du droit naturel est la nature même qui nous porterait encore à rechercher le commerce de nos semblables quand bien même nous n’aurions besoin de rien ». C’est la nature de l’homme qui devient le principe fondamental du droit naturel et ce qui caractérise l’homme c’est d’abord la sociabilité;qui est contraire à la raison est contraire au droit naturel. « Le droit naturel est un décret de la raison droite indiquant que tel acte est valable ou non… »
« Cette conception se définit essentiellement en ce qu’elle fait de l’individu une fin en soi; c’est désormais la volonté individuelle qui est considérée comme l’élément fondamental du droit, et le meilleur moyen de rechercher « le juste »,, car l’individu veut et sait ce qui est conforme à ses intérêts. Les solutions juridiques doivent d’abord être recherchées par un rattachement à la volonté individuelle. 1,1autonomie de la volonté est l’âme de tout le système Juridique. L’instrument essentiel et idéal de la réalisation du droit, c’est le contrat, car « qui dit contractuel, dit juste ». (Brimo, p.88)
2‑ Jean‑Jacques Rousseau (1712‑1778)
Du 16è au 18è s., pendant toute la période de la Renaissance, toute la culture occidentale est en profonde mutation. Révolution copernicienne, développement des sciences, contestation radicale de la philosophie d’Aristote; au fond, la société change profondément, mais la structure politique demeure la même. .Il faut trouver des principes nouveaux de légitimité politique, de pouvoir et de droit. Ce fut principalement Rousseau qui apporta ces idées (pas tout à fait nouvelles en réalité, puisque Epicure, le premier, formula une théorie du contrat social liée à l’état de nature à l’époque d’Alexandre le Grand): l’idée d’état de nature et de contrat social à l’origine de la société.
Les réflexions de Rousseau partent de l’homme naturel, i.e. non‑enqaqé dans les liens de la société civile. C’est un état pré‑social, une « véritable jeunesse du monde », « l’état naturel à l’espèce humaine ».
« Avec la vie sociale commencent, pour Rousseau, le droit et la moralité. Il ne peut y avoir droit et moralité que là où il y a des règles universelles ; il n’y a pas de règle universelle là où n’existe pas de volonté générale. L’individu ne renonce à lui comme être sensible que pour s’affirmer comme raisonnable et moral. Par la volonté générale, il y a dépassement de l’homme qui devient un être nouveau. » (Brimo)
Pour Rousseau, la volonté générale n’a en vue que le bien commun, elle est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique :
« On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours: jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe et c’est alors qu’il paraît vouloir ce qui
est mal. Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale; celle-ci ne regarde qu’à l’intérêt commun, l’autre regarde à l’intérêt privé et n’est qu’une somme de volontés particulières ».(Contrat social).
« La volonté générale trouve son expression dans la loi… »
L’égalité juridique est la condition nécessaire de l’intégration de l’individu à la société
BECCARIA
Cesare Beccaria jouit, en 1766, d’une notoriété certaine auprès de l’élite intellectuelle européenne. Deux ans auparavant, ce jeune Milanais réussissait dans son traité Dei Delitti e delle pene (« Des délits & des peines ») à synthétiser les critiques (parfois anciennes) dirigées contre un système pénal périmé & proposait en quelques pages un nouvel ordre juridique en rupture avec la tradition médiévale.
La critique de Beccaria, centrée sur les aspects de la procédure criminelle devenus les plus étrangers à la mentalité du XVIIIe siècle, frappe d’autant plus juste qu’elle suscite l’émotion du public.
Sont ainsi dénoncés le recours à la torture comme moyen d’instruction, la cruauté disproportionnée des châtiments à commencer par la peine capitale, l’arbitraire des juges dans la détermination des peines, l’inégalité de traitement des condamnés selon leur rang social, etc. |
Ces critiques ne sont pas neuves – dans les Caractères, La Bruyère définissait déjà la question comme « une invention merveilleuse & tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible & sauver un coupable qui est né robuste » -, mais elles prennent ici plus de poids car Beccaria se réclame d’une logique radicalement nouvelle.
En effet, la rupture opérée par Beccaria consiste en une laïcisation du droit pénal qu’il revendique dès son introduction : le droit de punir doit être envisagé abstraction faite de toute considération religieuse ou morale, & ne peut se fonder que sur la seule utilité sociale.
De ces prémisses découlent un certain nombre de principes que reprendront vingt-cinq ans plus tard les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme & du citoyen : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » (art. 5) ; « Nul ne peut être arrêté, accusé ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, & selon les formes qu’elle a prescrites » (art. 7) ; « La loi ne doit établir que des peines strictement & évidemment nécessaires, & nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie & promulguée antérieurement au délit, & légalement appliquée » (art. 8) ; « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne sera pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » (art. 9)
Ce sont les principes mêmes qui constituent les fondements théoriques du droit pénal moderne. |
Beccaria n’est cependant pas toujours un visionnaire inspiré. Des délits & des peines est l’œuvre d’un homme encore jeune & dépourvu d’expérience en matière judiciaire, non exempt d’une certaine rigidité intellectuelle.
Tout à son acharnement à dénoncer l’arbitraire judiciaire, il préconise la mise en œuvre d’un système de peines fixes, ne laissant aucune marge d’appréciation au juge & garantissant une stricte égalité entre les condamnés, ainsi que l’abolition du droit de grâce, autre manifestation de l’arbitraire.
En France, ces préconisations furent intégralement reprises par les Constituants de 1789, pour être abandonnées dès le début du Consulat car elles s’étaient vite avérées impraticables. Il fallut cependant attendre la loi du 28 avril 1832 pour que l’application des circonstances atténuantes soit généralisée à l’ensemble des infractions prévues par le Code pénal, inaugurant ainsi une tendance ininterrompue à l’individualisation des peines.
Le postulat de l’utilité sociale, fondement unique du droit de punir, ne semble pas non plus inciter Beccaria à se préoccuper outre mesure de la réhabilitation des condamnés. Certains passages pourraient même laisser croire qu’il attribue encore à la peine une fonction de dissuasion (justifiant le maintien de peines corporelles autres que la peine de mort, mais sans préciser lesquelles) plus que de rééducation du condamné.
Il est facile de juger les insuffisances d’une œuvre avec le recul du temps.
En 1764, Beccaria était en avance sur son siècle : ainsi que le lui écrivait Voltaire le 30 mai 1768, « les juges du chevalier de La Barre (…) ont puni d’une mort épouvantable, précédée de la torture, ce qui ne méritait que six mois de prison. Ils ont commis un crime juridique ».
Dénoncer de tels crimes & proposer des réformes qui empêchent qu’ils ne se reproduisent, tel est le combat que menèrent, chacun à leur manière, Beccaria & Voltaire. C’était pour l’époque un objectif ambitieux. |
Charles de Montesquieu (1689‑1755)
Juriste,homme de lettres, philosophe,figure principale de la philosophie des Lumières, rédacteur de l’Encyclopédie,il exercera une influence considérable sur la pensée de son époque. Il fut le premier à mettre en évidence la relativité du droit, le premier à faire du droit comparé. Ses oeuvres principales: Les lettres Persanes et L’esprit des lois
A la base de la philosophie de Montesquieu se trouve sa conception de la liberté politique:
« Ce mot de liberté dans la politique ne signifie pas, à beaucoup près, ce que les orateurs et les poètes lui font signifier. Ce mot n’exprime proprement qu’un rapport et ne peut servir à distinguer différentes sortes de gouvernements: car l’état populaire est la liberté des personnes pauvres et faibles et la servitude des personnes riches et puissantes; et la monarchie est la liberté des grands et la servitude des petits ( … ) Ainsi, quand, dans une guerre civile, on dit qu’on combat pour la liberté, ce n’est pas cela: le Peuple combat pour la domination sur les grands et les Grands combattent pour la domination sur le Peuple. Un peuple libre n’est pas celui qui a une telle ou une telle forme de gouvernement: c’est celui qui jouit de la forme de gouvernement établi par la loi (…) De là il faut conclure que la liberté politique concerne les monarchies modérées comme les républiques, et n’est pas plus éloignée du trône que d’un Sénat; et tout homme est libre qui a un juste sujet de croire que la fureur d’un seul ou de plusieurs ne lui ôteront pas la vie ou la propriété de ses biens. »
Montesquieu recherche les causes morales et physiques qui agissent sur le formation du droit et de l’État. Pour lui, les causes morales; (superstructure diraient les marxistes contemporains) sont plus déterminantes que les physiques (infrastructure) mais elles ont aussi une action nécessaire. Ainsi, les trois sortes de gouvernements se fondent:
- a) le despotisme sur la crainte;
- b) la monarchie sur l’honneur;
- c) le régime démocratique sur la vertu.
Il doit y avoir un équilibre entre les pouvoirs obtenu par un contrôle. Le pouvoir exécutif participe du législatif par la faculté d’empêcher (v.g. veto présidentiel). Réciproquement il appartient au législatif de vérifier de quelle manière les lois qu’il a faites ont été exécutées.
« C’est chez Montesquieu que nous rencontrons une conception de la science juridique et de la science politique qui se rapproche le plus des préoccupations de nos humanistes. Il est parvenu de très bonne heure (…) à une définition du droit et de sa méthode dominée par un humanisme très en avance sur son temps (…)et à la formulation d’une théorie des équilibres constitutionnels, source de la sûreté et des libertés garanties par la loi ».
Selon Montesquieu, la loi n’est pas seulement un commandement, mais elle a un fondement plus profond: « les lois sont des rapports nécessaires qui résultent de la nature des choses ». « Plusieurs choses gouvernent les hommes: le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les moeurs, les manières, d’où il se forme un esprit général qui en résulte. »
Dans le domaine du gouvernement cette nature des choses « c’est ce qui le fait être tel, son principe, la passion qui le fait agir, considération qui débouche sur sa célèbre théorie des trois gouvernements. Quant à la nature des choses du pouvoir, elle est incluse dans la nature humaine, dans le fait que tout homme qui possède du pouvoir est porté à en abuser, ce qui explique et justifie son souci des équilibres constitutionnels. »
On ne peut faire preuve de plus d’humanisme, note Brimo, dans l’analyse du phénomène juridique et étatique.
Si la loi résulte de la nature des choses, selon Montesquieu, elle est aussi la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine ».
Rapport entre loi et droit et les fondements du droit
Dans ce chapitre, nous abordons d’un point de vue philosophique deux questions importantes:
- a) celle des rapports entre la loi et le droit
- b) et celle des fondements du droit
Sources
- Battifol Henri, « La Philosophie du droit », P.U.F
- Meynard Léon, » La connaissance et l’action » Belin, Paris
- Foulquié Paul, « L’action », Editions de l’Ecole, Par
A- Rapports entre loi et droit
Loi et droits positifs
D’un point de vue juridique, comme nous l’avons déjà constaté, la loi écrite, i.e. édictée par le législateur, constitue l’une des sources du droit, de même que les lois non écrites comme la coutume, ensemble de règles non écrites, admises comme obligatoires. C’est ce que nous appelons le droit positif par opposition à un droit qui serait antérieur au droit précisé par le législateur. Le droit positif est constitué par l’ensemble de ces règles. Mais on peut se demander sur quoi se fonde la loi qui émane du pouvoir législatif.
Le législateur n’agit certes pas par caprice, mais plutôt selon certaines exigences qu’il est conscient d’être obligé de satisfaire. Il existe donc un double plan du domaine législatif ou juridique:d’une part, ce que nous nommons droit positif qui repose sur les lois positives écrites ou non écrites;d’autre part, il faut bien trouver un fondement à ces lois et à ces droits dits positifs: nous parlerons alors de loi et de droit naturels.
On entend par le terme « naturel » ce qui est indépendant de l’homme, ce qui n’est pas le produit de l’esprit. Par exemple, il existe des forces naturelles comme le vent ou l’eau, et d’autres forces comme l’énergie nucléaire, l’électricité, etc. qui sont l’oeuvre de l’homme. Comme l’écrit P. Foulquié:
« Nous pouvons donc caractériser la loi naturelle et le droit naturel comme antérieurs à l’activité législatrice de l’homme et indépendants d’elle. Ils découlent de la nature même des choses: étant donné ce que sont les choses, ils ne peuvent être autrement. Ils s’imposeraient à tout esprit comprenant bien cette nature; mais comme elle reste mystérieuse et sujette à discussion, les lois naturelles manquent de la positivité des lois positives; ce ne sont pas des données de fait, mais des conceptions de l’esprit. »
En théorie on pourrait bien dire qu’une loi positive contraire à la nature des choses ( v. g. au bien commun) serait injuste, contraire au droit non positif mais à un droit supérieur et antérieur à toute loi humaine, i.e. au droit naturel.Dans la pratique juridique, on voit bien la part de contingence et d’arbitraire inévitable en ce qui concerne les détails des règlements et des procédures dans la construction et l’application de la loi.Il est naturel que tout groupement humain soit sous l’autorité d’un chef ayant les pouvoirs nécessaires pour décider des mesures utiles au bien commun.En ce sens Montesquieu écrivait:
« Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » Au fond, ceux qui ont le pouvoir cherchent toujours à justifier le bien fondé de leurs décisions législatives en faisant appel à la raison et aux exigences d’un droit supérieur. En ce sens aussi, une charte des droits ne fait qu’expliciter ce que l’on considère comme des droits naturels préexistants. Cela s’entend bien quand on songe que: « la loi naturelle ou le droit naturel se réduisent à quelques principes généraux comme: il doit y avoir de l’ordre dans la société humaine, le mode d’appropriation des biens matériels doit favoriser le bien commun … C’est à la législation positive de déterminer la manière de répondre à ces exigences naturelles. » Foulquié
B- Le fondement du droit
Si nous cherchons à répondre à la question de l’origine du droit non pas au sens historique, mais au sens de source, il y a trois réponses possibles:
- a) le droit se fonde sur la force;
- b) le droit se fonde sur l’utilité;
- c) le droit se fonde sur l’idéal de justice.
1) La théorie dite réaliste
Plusieurs philosophes depuis les sophistes de l’époque de Socrate jusqu’à, Nietzsche en passant par Machiavel ont cru que le droit avait sa source dans la force. Il existe une loi du plus fort et un droit du plus fort. Les représentants les plus reconnus de cette position sont Hobbes et Hegel.
Hobbes pense que les hommes à l’état de nature se croient le droit de tout faire; ils luttent ainsi les uns Thomas Hobbes (1588-1679)
contre les autres dans une guerre sans merci et sans fin. Dans ces conditions le seul moyen de réaliser la paix consiste à se mettre au service du plus fort qui lui, peut imposer sa paix. Ainsi les hommes, abdiquent ils en faveur du plus fort leurs droits individuels pour recevoir en retour sa protection. Voilà l’origine et le fondement du pouvoir politique. Le maître fait la loi. Est bon ce qu’il déclare être bon et mauvais ce qu’il juge être mauvais.
Hobbes se fait ainsi le théoricien du despotisme et l’absolutisme: la force crée le droit. Ce qui fait la justice c’est la loi positive.
Cette théorie est partagée par Hegel. Voici comment L Meynard la résume:
Friedrich Hegel (1770-1831)
« D’après sa philosophie de l’histoire, le devenir de l’humanité est la réalisation progressive de son essence, de l’idée qui lui est immanente. Cette idée s’incarne à chaque grande époque dans une nation privilégiée qui a pour mission de la manifester. Or la puissance est le signe même de cette élection. Au lieu d’être le contraire du droit, la force en est une expression évidente. Une nation appelée à dominer le monde n’a pas à légitimer son impérialisme, les autres peuples n’ont aucun droit à revendiquer en face d’elle. Ce serait enrayer le mouvement par lequel le peuple le plus fort réalise, en vertu de sa force, une étape de la dialectique historique, du progrès de l’esprit dans le monde. Ainsi le triomphe de la force est fondé en droit, la force est sacrée et c’est elle qui fait le droit ou la justice.
2) L’utilitarisme
Peut on fonder le droit sur les exigences et les nécessités de la vie sociale? C’est l’opinion des philosophes Stuart Mill et Herbert Spencer. Selon ce principe: est bon ce qui est utile; ce qui signifie que c’est l’intérêt social qui est la source droit. Les hommes renoncent à l’exercice anarchique de 1eur liberté pour régler leurs rapports de sorte qu’ils puissent bénéficier de l’ordre et de la sécurité sociale.
John Stuart Mill (1806-1873)
On pourrait rapprocher de cet utilitarisme la position de Rousseau pour qui la société repose sur un contrat libre, réfléchi et réciproque des hommes qui la composent. Cependant, pour Rousseau, ce contrat social est plutôt considéré comme une garantie des droits mais ceux ci, on le sait déjà, reposent sur la nature régie par la raison.
Notons aussi que la théorie de Durkheim sur l’origine du droit diffère aussi de l’utilitarisme de Mill et Herbert Spencer (1820-1903)
Spencer. En effet, pour Durkheim, c’est la société qui est la source de la morale, des valeurs, de l’idéal qui ne se réduit pas à l’utilitarisme et à l’intérêt collectif
3) La théorie humaniste
Cette théorie considère qu’il y a dans l’essence humaine une nature inférieure gouvernée par les instincts et une nature supérieure gouvernée par la raison et les inclinations idéales. En ce sens, on parle de droit idéal inspiré par un Idéal de justice et de dignité humaine. Ainsi par exemple, Platon range la justice en soi (comme un modèle) au rang des essences éternelles; le droit positif n’en est alors que la copie changeante et multiple; ce droit positif subit les fluctuations du devenir historique et s’actualise diversement selon les conditions sociales et culturelles. Rappelons ici la position de Montesquieu pour qui les rapports d’équité préexistent aux lois positives.
« Avant qu’il y eut des lois faites il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu’il n’y a rien de juste ni d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eut tracé le cercle, tous les rayons n’étaient pas égaux. »
On peut donc dire avec Meynard: » du droit naturel ou idéal au droit positif, la différence est celle du rationnel à l’empirique, de l’intelligible au sensible, de l’éternel au temporel, de l’absolu au relatif. »
Ajoutons que naturel signifie ici le contraire de conventionnel, d’arbitraire, d’artificiel. S’il est vrai, par exemple,que Rousseau considère que les conventions constituent la base de l’autorité légitime parmi les hommes, encore faut il que ces conventions soient établies en fonction des lois fondamentales de la nature humaine » l’état de nature étant chez l’homme non pas la forme primitive sous laquelle l’humanité se manifeste à l’origine des temps, mais l’ensemble des caractères spécifiques attachés à l’essence humaine « .
» Retrouver le droit naturel, c’est déterminer e qui est juste et raisonnable pour l’homme considéré dans son essence même et c’est du même coup s’appuyer sur les sentiments les plus profonds et les plus puissants du cœur humain. «
Il s’agit, on s’en rend compte, d’une théorie métaphysique que l’on retrouve chez tous les auteurs humanistes : Grotius,Montesquieu,Kant,Rousseau. De plus, on la retrouve exprimée dans toutes les chartes des droits de l’homme de 1776 à 1948
La loi face à la modernité
Le chapitre précédent nous présentait un aperçu des principales approches traditionnelles de la philosophie du droit. Mais des problèmes nouveaux ont surgi à notre époque, qui nous invitent à repenser ces points de vue dans des contextes historiques différents.Le présent chapitre nous invite à faire porter notre réflexion sur:
- a) l’existence et le fondement de la loi;
- b) la loi dans son exercice.
Source Georges Burdeau, in Encyclopaedia Universalis, art. LOI
L’auteur fait remarquer tout d’abord que le terme « loi » recouvre’ une réalité ambiguë et d’une grande complexité existentielle et historique.En effet, d’un point de vue juridique la loi est sans doute le produit d’une situation historique donnée, mais elle est aussi un projet car elle anticipe sur l’avenir: la règle va changer la société.
Burdeau parle de « l’organicité qui existe entre d’une part la vie sociale tissée de relations familiales et économiques, et d’autre part l’Etat et la raison ». Dès qu’un Etat national se donne des lois, c’est qu’il veut orienter son évolution, devenir autre que ce qu’il est; il prend conscience de sa propre volonté d’être et de devenir. Et c’est cela qui fait problème. Car tant pour l’individu que pour l’Etat, il y a toujours une distance entre le résultat et le projet. C’est la combat de l’homme avec la nature et avec autrui « pour parvenir à ses fins, pour mieux vivre, dans plus de justice ». De même pour la société. On recherche la justice et la paix, mais cela est impossible sans opposition des uns aux autres, d’une société à une autre. D’où violence.Or, la loi s’efforce de mettre de la raison dans cette violence. « Nier que la violence existe ou supposer qu’on puisse vivre hors d’elle, est le meilleur moyen d’en être victime. Mieux vaut lui faire face et tout mettre en œuvre pour la discipliner. »
Platon disait que le discours, le dialogue, fait surgir la violence et est en même temps le moyen de la dépasser. Que faire quand la loi n’est plus apte à régler le problème? Tyrannie? Barbarie? Innocence au-delà du bien et du mal? (Nietzsche) La seule réponse possible n’est-elle pas de faire des lois, c’est-à-dire être raisonnable?
A- EXISTENCE ET FONDEMENT DE LA LOI
1- Place de la loi dans les systèmes de droit
Dans les systèmes de droit latino germaniques la loi constitue la principale source de droit. Elle prime sur la coutume, la jurisprudence et la doctrine, Cette primauté de la loi s’explique par le fait qu’elle appartient au domaine du « devoir être » et non à celui de « l’être »; elle a donc besoin d’être explicitée clairement afin de faire disparaître l’incertitude. Et puisqu’elle exprime un choix en vue du bien commun, elle a un caractère de rationalité.
« La supériorité de la loi procède de la confiance dans la raison qu’elle incarne et dont on attend qu’elle découvre et formule les exigences de la justice «
D’autant plus que ces systèmes juridiques se sont développés historiquement dans des pays de droit écrit, où les juristes cherchaient la solution des litiges dans la volonté du législateur. On sait que dans les systèmes anglo-saxons on accorde moins d’importance à la loi. La common law et l’equity relèvent d’un droit jurisprudentiel élaboré dans les cours de justice.
« De fait, jusqu’à une époque récente, on pouvait dire qu’aux yeux des Anglais la loi n’était pas un mode d’expression normal du droit, qu’elle était une pièce étrangère dans l’ordonnancement juridique britannique. » R. David, Les Grands Systèmes de droit contemporains, 1964.
Comme dans tous les pays occidentaux le développement de l’État Providence après la guerre a permis une prolifération des lois qui, si elles ont altéré le visage de la société (puisqu’elles visaient à créer une société nouvelle) n’a pas modifié le système juridique. La primauté appartient encore à ce complexe de règles, de précédents, d’usages et d’interprétations qui constitue le droit anglais lequel est devenu touffu parcequ’à coté de l’ordre, on a toujours voulu faire une place à la liberté individuelle. Dans les Etats socialistes, cette liberté ne préexiste pas: elle est le fruit de la libération de l’homme. Donc la loi a d’abord servi à la libération des travailleurs; avant la libération elle est une arme plutôt qu’une source de droit; après la libération elle reprend sa primauté comme source de droit. De plus, la distinction entre droit public et droit privé disparaît: il n’existe plus qu’un droit public. Les lois sont impératives.
2- Loi naturelle et loi positive
Quelle que soit la place qu’occupe la loi dans les systèmes juridiques;, elle est toujours l’oeuvre d’une autorité souveraine. La question essentielle est donc la suivante: le pouvoir en place est-il libre d’ériger en loi les règles qu’il juge à propos? C’est le débat entre Antigone et Créon: y a t-il un impératif supérieur à la loi des hommes? Ce problème important met en cause le fondement du droit, la nature de l’homme et l’autonomie du pouvoir politique.
Avant le XXè siècle on admettait que la loi se fondait sur des principes supérieurs au législateur. Par exemple, on croyait qu’un décret de la Providence fixait l’ordonnancement des règles et que le législateur devait s’en inspirer. (Conception de la loi naturelle chez Bossuet) Pour d’autres, les préceptes ne viennent pas de la Révélation mais de l’agencement de l’univers physique et moral. C’est dans cet esprit que Montesquieu proposait sa célèbre définition:
« les lois sont des rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ».
C’est la raison qui découvre ces rapports. La raison est donc le fondement des lois positives qui explicitent la nature telle que voulue par Dieu. Mais les encyclopédistes vont plus loin en affirmant que:
« la loi en général est la raison humaine en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre. »
Pour eux la raison vient en premier lieu comme fondement de la loi et « les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine ». On croyait alors que ce principe inaugurait une ère nouvelle où les hommes ne seraient plus soumis à l’arbitraire des rois et à l’empire des lois. En pratique, cette conception ne changea rien à la réalité des choses. Toutes les doctrines juridiques ont contesté la liberté des législateurs. Mais toutes aussi, comme le souligne Burdeau, ont méconnu le caractère instrumental de la loi, le caractère d’être l’instrument de réalisation d’une politique, d’être un procédé de gouvernement.
3- La loi expression de la volonté générale
Curieusement, cette conception rationaliste de la loi ne fut pas la seule à guider les auteurs de la Déclaration des droits de 1789. On s’inspira aussi de Rousseau en empruntant même ses propres termes: « la loi est l’expression de la volonté générale' » (art.6 de la Déclaration et chapitre VI du livre XI du Contrat Social). Comment dès lors concilier le ratlonalisme des auteurs de l’Encyclopédie et le Volontarisme de Rousseau?
- a) C’est lorsque les citoyens mettent de côté leurs intérêts particuliers que s’exprime la volonté générale. Selon Rousseau, il s’agit bien alors d’un impératif rationnel. Cette volonté rie peut se tromper; à moins que des factions trompent la majorité « Les suffrages ne créent pas la volonté générale dit-il; ils la constatent » car chaque homme porte en lui la volonté générale; donc cette volonté est la raison elle-même On pourrait dire que l’on pose Un filtre entre la volonté générale et la loi et ce filtre c’est la représentation.
- b) La seconde façon de concilier volonté générale et raison, c’est en attribuant la souveraineté à la Nation, une entité distincte de l’addition des individus qui la composent. Et l’organe qui parle en son nom c’est l’Assemblée (composée d’hommes éclairés, prudents, sages,) qui fait la loi. On comprend dès lors comment la loi pût acquérir une certaine sacralisation. Son fondement étant une idée abstraite qui, rejetant lez particularités, n’a donc pas d’attache avec le concret. Mais politiquement, la majesté de la loi a rejailli sur la fonction législative.
B- LA LOI DANS SON EXERCICE
1- les caractéristiques de la loi
Comme la loi est expression de la raison, elle est générale, impersonnelle et permanente comme nous l’avons déjà remarqué. Or, ces caractéristiques expriment aussi une manière de comprendre le rôle du pouvoir.
Généralité
La loi ne doit pas aller au-delà de principes universellement valables.
« L’office de la loi, disait Portalis, est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit; d’établir des principes féconds en conséquence et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. »
En étant générale, la loi doit être brève et simple. Montesquieu disait qu’elle ne doit pas être subtile pour remplir son rôle qui suppose qu’elle est aisément comprise par tous. Ainsi Rousseau disait que les grands dogmes de la religion doivent être simples. L’unité de la loi fait l’unité de la communauté. En France par exemple, la loi fut un instrument efficace d’unité nationale.
Impersonnalité des destinataires
Cette caractéristique est sans doute inspirée par des préoccupations très pratiques qui rejoignent des considérations théoriques : »Quand je dis que l’objet des lois est toujours général, écrit Rousseau, j’entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière ».
C’est la théorie: on s’adresse à l’anonymat de la nature humaine. Mais en pratique, la loi répond aussi à l’exigence d’égalité: plus de distinction de naissance, de rang, de fonction; elle fait disparaître les privilèges.
La permanence de la loi
Sans doute parce que la loi participe au « droit universel et immuable » mais surtout parce qu’elle est la garantie des droits de I’individu elle doit être stable et ne pas changer au gré des changements d ‘équipes gouvernementales. » La multiplicité des lois qui changent tous les jours se concilie difficilement avec le culte de la loi. » (Laurent, in Principes du droit civil). « L’essentiel est d’imprimer aux institutions nouvelles ce caractère de permanence et de stabilité, qui puisse leur garantir le droit de devenir anciennes. » (Portalis) « La loi n’est pas un facteur de transformation sociale:elle est l’armature d’un ordre qui se veut immuable. Elle trace les cadres juridiques à l’intérieur desquels les individus déploieront leur activité mais elle s’interdit d’orienter celle-ci. Sa généralité garantit la liberté des individus, son impersonnalité assure leur égalité. Mais cette liberté et cette égalité sont formelles: elles sont telles que les admet l’État libéral dont la conception classique de la loi a été la plus solide assise ». Burdeau
2) la loi, procédé de gouvernement
Tout en étant traditionnellement une règle de droit, la loi a toujours été l’instrument d’une politique. Même dans la société libérale qui se fie à la spontanéité des initiatives individuelles pour réaliser le bien collectif et qui normalement refuse à l’État un rôle créatif. Dans cette perspective l’État n’est qu’un gérant, un administrateur de la société. Or, le développement de l’idée de démocratie a fait évoluer cette vision: « gouverner n’est plus gérer la société existante,mais la refaire. » Or, c’est la loi qui est l’instrument privilégié pour ce faire. C’est le législateur qui a établi les bases de la good society: aujourd’hui la loi est soit une solution à un problème précis, soit un correctif de l’ordre social existant.
La loi est devenue un procédé de gouvernement. L’opinion publique presse l’État d’agir et ainsi celui-ci s’en donne-t-il les moyens légitimes, même parfois en allant à l’encontre des dispositions constitutionnelles. Burdeau croit que cette évolution de la nature de la loi était inévitable. La forme devait l’emporter sur le fond, i.e. que « l’assemblée compétente pour dire la loi s’érige en maîtresse de son contenu » … « est loi toute règle édictée en forme législative par l’autorité, i.e. le Parlement. »
3) Contingence de la loi
La loi a cessé maintenant d’être la règle générale. Parce qu’elle est créée pour répondre à des besoins particuliers précis, elle est marquée par cette nécessité. Elle a donc un caractère contingent. Elle n’est plus la règle générale, elle n’a que l’apparence de la généralité. En pratique c’est souvent par une extrapolation où on se dégage du cas particulier pour faire une règle que l’on voudrait abstraite. On est alors obligé de faire une réglementation détaillée qui n’est qu’un reflet de la complexité de situation concrète dont la loi vise à modifier les données.
C’est pourquoi la loi énonce quelques principes laissant aux Commissions, régies, organismes de réglementer les détails. Ce sont les lois-cadres (v.g. celle qui permet au Québec de faire des ententes avec d’autres pays.) Toutes ces dispositions particulières font perdre à la loi son caractère d’impersonnalité.
« Tendant à corriger l’ordre social existant, la loi doit différencier à l’infini les situations Juridiques qu’elle prévoit. Le super marché ne peut pas être traité de la même façon que le petit épicier, le statut de la propriété foncière dépend de sa taille, celui du locataire de l’âge de son logement. La loi aboutit ainsi à la juxtaposition d’un grand nombre de statuts particuliers qui diffèrent les uns des autres en fonction des conditions de fait dans lesquelles sont placés les assujettis. Chaque loi devient alors privilège ou pénalisation. »
De plus, on peut ajouter que la loi étant liée à la conjoncture n’est plus aussi permanente. Car elle n’est plus l’expression d’une raison immuable, mais des besoins et des désirs de l’homme.
Enfin, plus la vie des lois est courte, plus leur nombre grandit. Au fond, la loi annule la loi. Un texte doit corriger le précédent. D’où perte d’autorité et incertitude.
4) Le déclin de la loi
D’après Burdeau, la loi n’occupe plus aujourd’hui la place éminente qui était la sienne autrefois. Elle ne jouit plus de la même autorité, (v.g. la loi contre l’avortement…) celle de l’époque où elle incarnait les exigences de la raison et celles de la volonté populaire. Comme source de droit elle devient moins importante et aussi comme mode d’expression de l’autorité. Cela peut s’expliquer par la transformation des valeurs sociales: cette déchéance est le reflet d’un phénomène social.
« Comme source de droit, la loi a dû sa suprématie au fait qu’elle s’appliquait à un monde où l’on considérait que les règles juridiques devaient être simples, générales et peu nombreuses. Devenues instruments d’une politique, les lois doivent, de par leur objet même, être complexes, diversifiées, multiples. Or les impératifs que traduisent ces nouveaux caractères sont beaucoup mieux satisfaits par la réglementation bureaucratique que par la loi.’ La loi au fond n’est plus qu’une solution parmi d’autres, un élément d’un programme dicté par un parti. Sa force est relative à la force politique qui s1impose.
« Le déclin de la loi est un aspect de la suspicion qui frappe le droit. Celui-ci s’impose une règle qui vient de l’esprit, alors que notre monde ne tolère qu’un discipline qui émane spontanément des choses.
Les droits de l’homme
Toute organisation politique affiche aujourd’hui le souci de réaliser les droits de l’homme. Plus particulièrement depuis l’adoption à l’ONU en 1948 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont les principes devaient inspirer la politique de tous les États.
Le décalage que nous constatons entre l’intention et les résultats provient en partie de l’ambiguïté qui affecte la notion des droits de l’homme.
C’est pourquoi nous tenterons de préciser cette notion en nous arrêtant sur les deux points suivants:
- 1- La Déclaration des droits
- 2- Les droits politiques et sociaux
Sources: Burdeau, M.Prélot, P. Lavigne, in Encyclopaedia Universalis,art. Les droits de l’homme.
A- La déclaration des droits
Si l’on s’arrête à l’évolution des idées et des institutions selon G.Burdeau, on découvre deux conceptions différentes des droits.
1) Interprétation libérale, classique
La première conception retient les caractères de l’uimmutabilité et de la permanence de la nature humaine. Dans cette perspective un certain nombre de droits sont inhérents à la personne, de telle sorte qu’on ne peut leu ignorer sans altérer l’essence même de l’homme. Ces droits sont antérieurs à la législation positive et constituent de–, limites à l’action de l’État L’Etat ne peut faire obstacle à ces droits, c’est là son seul devoir.
On retrouve cet esprit dans la première Déclaration, celle de 1789, où l’on énonça les droits que l’organisation des institutions devait garantir.
2) La nouvelle notion
Cette conception devient insuffisante dès qu’on se rend compte que ces droits n’apportent rien aux individus qui ne sont pas en mesure de les exercer. C’est pourquoi graduellement s’est dégagée une notion nouvelle visant à la réalisation de ces droits.
On parle alors de « droits sociaux »: perspective nouvelle au niveau du contenu des droits et changement radical des devoirs de l’Etat.
Dans cette perspective, le droit est dit social parce que l’homme qui en est le sujet est le produit de rapports sociaux. Le fondement du droit se trouve alors dans la situation de l’homme.
De plus, le contenu du droit s’élargit: il finit par s’identifier aux besoins.
Or, pour réaliser ces droits, l’intervention des pouvoirs publics est nécessaire. Ils doivent créer les conditions nécessaires à cette fin.
« Les devoirs de l’État par rapport aux droits se trouvent alors inversés: le droit classique qui est un droit de … est satisfait dès lors que les pouvoirs publics en reconnaissent la légitimité et ne mettent pas d’entrave à son exercice; le droit social, qui est un droit à… implique que la créance qu’il énonce soit garantie par l’État qui est ainsi tenu de pourvoir à sa réalisation. » Burdeau
B- Les droits politiques et sociaux
D’après P. Lavigne la conquête des droits politiques et sociaux correspond à une évolution des structures politiques des Etats qui s’est effectuée en deux étapes.
Il y eut d’abord une phase de développement de la démocratie libérale (du 18è s. à la guerre de 1914-18) où les revendications des droit politiques se réalisèrent dans le droit positif; puis une phase de perfectionnement social de la démocratie qui aboutit à la conquête des droits sociaux.
« Tout le problème des droits politiques et sociaux se trouve donc posé en termes différents suivant les systèmes d’État et de droit: les conditions historiques du développement de chaque État, l’idéologie du régime ont de profondes incidences sur ce problème. » Lavigne
On peut dire que les démocraties libérales sont parvenues à un développement avancé des droits politiques; elles accordent une importance plus ou moins grande aux droits sociaux selon le degré d’imprégnation socialiste. D’autre part, on peut se rendre compte que le contraire se réalise dans les républiques socialistes construites sur les ruines d’États à régime féodal ou dictatorial. Il sera intéressant à ce sujet de voir comment les deux Allemagnes pourront résoudre ce problème qui se pose d’une façon extraordinaire après la destruction du mur de Berlin.
— Les droits fondamentaux
Il faut faire une distinction entre les libertés publiques les droits sociaux. « Libertés publiques » correspond à l’expression anglaise de « civil rights ». Ce sont: la sûreté, le respect de l’intimité, la liberté religieuse, la liberté d’opinion, l’égalité. Les Allemands utilisent plutôt l’expression « droits fondamentaux » qui englobent à la fois les droits politiques et les droits sociaux dans un concept d’ensemble.
— Droits publics et droits politiques
« On peut retenir de l’analyse des juristes libéraux que la notion de droits politiques englobe les droits à la participation démocratique et à l’opposition au gouvernement; il s’agit du droit à des élections libres, du droit du vote du droit à la liberté de réunion et d’expression de la pensée, du droit d’association. »
— Les droits sociaux
Or. ces droits politiques ne se réalisent pas dans les pays socialistes. En revanche, on a plutôt développé les droits sociaux: droit au travail, à la sécurité (maladies, accidents.) droit au repos et au loisir, droit à l’instruction, etc.
A la lecture des chartes canadienne et québécoise on est en mesure d’apprécier l’étendue des droits politiques et des libertés dont jouissent les citoyens canadiens et québécois. Les droits sociaux se retrouveraient dans la lecture des lois sociales qui ont commencé vers 1935 avec la loi fédérale sur la sécurité de la vieillesse, et sur toutes les autres mesures sociales qui ont été adoptées depuis au niveau provincial.