Le système plébiscitaire bonapartiste sous le Second Empire
Le Second Empire est le régime politique instauré le lorsque Louis-Napoléon Bonaparte, alors président de la République française, devient Napoléon III, empereur des Français, un an après son coup d’État du 2 décembre 1851. Ce régime politique succède à la Deuxième République.
Le Second Empire est marqué par l’utilisation du « plébiscite« . Le plébiscite permet à l’Empereur d’établir un lien direct avec le peuple, il est chargé d’exprimer la souveraineté du peuple, en soumettant par voie de suffrages « toute modification aux bases fondamentales de la Constitution » (article 32 du texte constitutionnel). Ce socle est énuméré en cinq points : chef d’État responsable, ministres dépendant du pouvoir exécutif, Conseil d’État préparant les lois, Corps législatif discutant et votant les lois, Sénat en pouvoir pondérateur et gardien des libertés publiques. Ces principes forment l’ossature de la constitution, intouchable à moins d’un plébiscite. (extrait issu du site : https://www.napoleon.org/enseignants/documents/les-plebiscites-la-difficile-entree-dans-la-democratie-cours/)
Les républicains français du XIXe et historiens ont donné au mot « plébiscite » son sens dans la langue française. Sans doute avaient-ils de bonnes raisons politiques ; toutefois, les juristes ne doivent pas les faire siennes.
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Même avec le recul du temps, les républicains n’ont jamais oublié que Louis-Napoléon Bonaparte avait tué la seconde République, moyennant le plébiscite des 21 et 22 novembre 1852. = Le plébiscite avait été en quelque sorte l’arme du crime, son arme pseudo-juridique selon les républicains.
De nos jours, on trouve des définitions basiques du plébiscite, mais inopérantes car trop réductrices voire caricaturales. À la différence du référendum, censé porter sur un texte (de préférence assez long pour éviter les simplifications abusives, mais pas trop afin d’être accessibles aux citoyens moyens), le plébiscite porterait sur un homme, même si en apparence il porte sur un texte ; le texte sert simplement de prétexte. Dès lors, le plébiscite poserait une question biaisée, à double sens ; il serait entaché de dictature, de pouvoir personnel (≠ le référendum peut être jugé compatible avec les libertés démocratiques). Alors que le référendum présente des résultats chiffrés dignes de confiance, donc susceptibles d’analyse scientifique électorale, le plébiscite serait souvent truqué, ce qui rendrait inutile une exploitation scientifique des résultats.
La mauvaise foi politique et politicienne peut s’en mêler : plébiscite = référendum que l’on veut discréditer. À l’époque du général De Gaulle, ses opposants avaient trouvé une formule : « Non au référendum-plébiscite ! »
Mais au milieu du XIXe siècle, le mot vient de surgir, il faut donc le prendre dans un sens plus technique : le plébiscite est alors une décision de nature constituante adoptée par le peuple (par oui ou par non) à l’appel du chef de l’État = « le peuple français veut ».
Or là, le peuple français veut le maintien de LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, et lui délègue les pouvoirs nécessaires pour faire ou établir une constitution sur les bases proposées dans sa proclamation du 2 décembre.
Le président LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE bénéficie donc d’un pouvoir délégué, mais limité par ses bases :
- un chef nommé pour 10 ans
- des ministres dépendants du pouvoir exécutif seul
- un corps législatif nommé par le SU
- un Sénat gardien de la Constitution.
En novembre 1852, passage à l’empire, l’une des bases de la Constitution est modifiée : la présidence pour 10 ans fait place à l’hérédité dynastique. Ainsi, le peuple français veut le rétablissement de la dignité impériale.
En 1851 et 1852, le mot « plébiscite » ne désigne que la décision populaire et bien évidemment le texte qui contient cette décision. = Ce mot ne désigne pas encore la procédure de vocation (qui est alors qualifiée d’appel au peuple). C’est donc en réponse à cet appel au peuple que le peuple vote sur un projet de plébiscite, dont le texte ne devient plébiscite que du fait de son adoption par le peuple.
C’est seulement à la fin du Second empire que le mot « plébiscite » en viendra à désigner aussi la procédure même de l’appel au peuple.
De plus, bien sûr ce mot remonte à la république romaine. Toutefois, il ne faut pas accorder trop d’importance à cet emprunt de vocabulaire. En effet, en 1852 le plébiscite n’a absolument rien de romain. La prédilection bonapartiste repose sur deux confusions majeures :
- l’une commise par Louis-Napoléon Bonaparte lui-même : Louis-Napoléon Bonaparte demande au peuple de voter un plébiscite. Or dans l’antique république romaine, les plébiscites étaient des règles particulières que se donnait la plèbe romaine, qui n’était qu’une fraction du peuple romain. Ainsi, le peuple quant à lui votait les lois (et non pas des plébiscites).
- l’autre répandue par l’opinion bonapartiste en général : dans la doctrine bonapartiste la plus rudimentaire, le plébiscite consiste à confier le pouvoir suprême à une sorte de césar, d’où l’expression de césarisme démocratique. Cependant, cela n’a jamais été le cas à Rome.
Le seul point commun qu’on peut trouver entre les plébiscites de Louis-Napoléon Bonaparte et les plébiscites romains est la réponse par oui ou non posée par un gouvernant.
Mais les bonapartistes autoritaires de l’époque, le plébiscite ne doit être utilisé que pour confier le pouvoir, ou régler une question dynastique imprévue. En dehors de ces deux cas, il est inutile d’y recourir.
- I – Le changement de régime
Le système plébiscitaire inauguré en 1851 était toutefois autrement plus subtile, car il ne se limitait pas au plébiscite stricto sensus.
Le coup d’État opéré le 2 décembre 1851 par Louis-Napoléon Bonaparte comporte trois mesures majeures :
- la dissolution de l’Assemblée nationale législative, à majorité monarchiste, élue depuis mai 1849
- le rétablissement du suffrage universel, qui avait été restreint par une loi du 31 mai 1850, votée par cette même assemblée
- l’annonce d’un prochain appel au peuple, destiné à prolonger le mandat du président de la République et à lui déléguer un pouvoir constituant.
Mais le tout, même limité à ces trois éléments essentiels, revient à renverser purement et simplement la Constitution de la 2nde République. L’interprétation est très différente chez les victimes du coup d’État (A) et chez les vainqueurs du coup d’État.
A / Le point de vue républicain
Pour la plus grande partie des hommes politiques de l’époque, et pour la quasi-totalité des juristes d’aujourd’hui, la Constitution de 1848 ne saurait être ainsi renversée par un aventurier, que ses partisans appellent maintenant non plus le président, mais le « prince président » voire même le « prince » tout court (titre à la résonance fort peu républicaine). Louis-Napoléon est à la fois un parjure et un traître.
LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE ne tirait pas son pouvoir de son élection populaire, mais de la Constitution du 4 novembre 1848 qui confiait à son article 43 « le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président de la République ». Aux yeux des républicains, LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE a violé son serment de « rester fidèle à la République ». En effet, il ne pouvait pas suspendre la Constitution, et encore moins l’anéantir.
La trahison du président de la République est caractérisée, notamment à l’article 68 : « Toute mesure par laquelle le président de la République dissout l’Assemblée nationale (…) est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance. » Pour les yeux d’un juriste d’aujourd’hui, cette position des républicains de 1851 consistant à voir à la fois un parjure et un traître est inattaquable : elle repose exclusivement sur une lecture fidèle de la Constitution de 1848.
L’ex-président de la république étant un parjure et un traître, il ne dispose plus d’aucun pouvoir légal. Cette interprétation a une conséquence logique : le plébiscite des 20-21 décembre 1851, organisé contre la Constitution par un factieux désormais sans mandat, est nul. Il n’y a même pas besoin d’invoquer d’éventuelles fraudes électorales pour invoquer cette nullité. De plus, cette nullité affectera de même le second plébiscite en novembre 1852 : le second empire est donc une sorte de régime de fait, qui n’a pas de véritable existence juridique.
B / Le point de vue louis-napoléonien
Dans une proclamation au peuple français publiée le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte déclare aux Français : « La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d’affaiblir d’avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle. »
Louis-Napoléon ne songe pas à nier l’inconstitutionnalité de son coup d’État. Il replace cette inconstitutionnalité, ainsi que le coup d’État, dans la ligne de la volonté du peuple. Selon lui, son élection à la présidence de la République avait été en son temps une prise de position du peuple contre la Constitution. À en croire LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, cette Constitution n’était qu’une sorte de machine de guerre destinée à lui nuire ; de même, selon lui le peuple souverain l’a bien compris. = Alors même que le peuple avait déjà choisi pour chef LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, il a manifesté son rejet de la Constitution.
Autrement dit, si l’on suit ce raisonnement, l’élection présidentielle de 1848 aurait été un acte souverain de désaveu de la Constitution. = En traduisant une volonté souveraine d’abrogation de la Constitution de 1848, l’élection présidentielle aurait eu la valeur sans postérité d’une sorte de référendum des constituants.
Cette interprétation de LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE est particulièrement hardie, mais elle peut trouver un assez large écho dans le public de l’époque. En effet, les électeurs viennent de découvrir le SU et ignorent tout des subtilités juridiques. Ainsi, quand ils élisent quelqu’un, ils peuvent croire de bonne foi conférer à cette personne directement un pouvoir. Les électeurs du milieu XIX ème siècle sont incapable de faire une quelconque distinction entre les deux façons possibles d’exercer le droit de suffrage : en matière de souveraineté / en matière élective (en vertu de la Constitution).
Si LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE nage à l’évidence dans l’inconstitutionnalité, il faut noter que celle-ci est effacée les 20-21 décembre 1851 par 7,5 millions de « oui » contre 740 000 « non ». Le peuple souverain absout le crime du président et lui délègue le gros du pouvoir constituant. En droit, dès lors que le souverain s’est prononcé, que le peuple constituant a tranché, on est dans l’irréversible.
Aux vues des résultats triomphaux du plébiscite, LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE a déclaré : « Je n’étais sorti de la légalité que pour rentrer dans le droit. Plus de 7 millions de suffrages viennent de m’absoudre. » En disant cela, LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE ne joue pas sur les mots contrairement à ce que continuent de croire beaucoup d’historiens. En effet, la légalité qu’évoque ici Louis-Napoléon est la légalité de la Constitution. La volonté du peuple y était étrangère : non seulement parce que les constituants de 1848 ne l’ont pas soumise au référendum, mais aussi parce que ce même peuple est censé avoir déjà rejeté la Constitution en élisant LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE président de la République.
Au delà de cette simple légalité d’apparence, il y a donc le droit : le seul vrai droit, c’est le droit que veut le peuple souverain. En vertu de ce plébiscite, Louis-Napoléon Bonaparte va pouvoir promulguer la Constitution du 14 janvier 1852. Il va transformer le mandat décennal en dignité impériale = naissance du second empire, proclamé officiellement le 2 décembre 1852. Cette date est extrêmement symbolique car il s’agit là d’un triple anniversaire : sacre et couronnement de Napoléon Ier en 1804 / bataille d’Austerlitz en 1805 / l’anniversaire du coup d’État.
- II – De la théorie à la pratique
Napoléon III a voulu ancrer la légitimité napoléonienne dans la légitimité du peuple. Cet ancrage a été envisagé d’abord en théorie (A), avant d’être pratiqué de manière originale sous le Second empire (B).
A / 1832 : l’ébauche d’une théorie
En 1832, Louis-Napoléon a 24 ans lorsqu’il publie sa première broche : Rêveries politiques. Ce texte politique contient un projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et une constitution. Dans le premier, Louis-Napoléon a repris à son compte certains article de la Déclaration montagnarde de l’an I, en les recopiant, notamment l’article 21 sur la nécessité des secours publics : « Les secours publics sont une dette sacrée, la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en leur procurant les moyens d’exister s’ils ne peuvent travailler ». Il reprend également l’article 25 sur la souveraineté du peuple, mais aussi le démocratique article 28 concernant le droit que doit conserver le peuple de changer de constitution ou de la modifier à tout moment : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ».
Ces Rêveries politiques teintées de jacobinisme, contiennent aussi un élément démocratique qui innove par rapport au Premier empire, qui tendait à une sorte de confiscation de la souveraineté par Napoléon au détriment du peuple.
En ce cas, le neveu entend pour l’avenir soumettre chaque succession au trône impérial à un appel au peuple. Cette formule politique et juridique a sa logique, ainsi qu’un mérite évident : par ce moyen de plébiscite à chaque succession, Louis-Napoléon s’efforce imparfaitement de résoudre la contradiction lancinante entre la souveraineté du peuple et l’hérédité dynastique. Louis-Napoléon, par sa formule inédite, établit entre ces deux notions une combinaison rationnelle : à la mort d’un empereur, la loi de succession pourra désigner un candidat à l’empire, mais seulement un candidat = simple proposition, mais seul le peuple souverain disposera. Ainsi, une fois par règne, un contact serait maintenu avec la volonté du peuple.
Néanmoins, la contradiction interne du bonapartisme n’est pas entièrement résolue. Bien sûr, le contact est rétabli avec la souveraineté du peuple, mais ce contact reste très imparfait, car l’appel au peuple en cas de succession ne serait pas constituant ; il serait simplement électif. Il n’y aurait donc eu une véritable réconciliation seulement si à l’occasion de chaque succession impériale, il s’était agi pour le peuple français de refonder ou de rejeter l’empire.
Dans le projet de Louis-Napoléon, on est loin de là : en cas de vote populaire négatif, ce sont les Chambres qui auraient été chargées de proposer au peuple un autre candidat à l’empire.
Les rêveries politiques et cette formule de LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE en 1832 vont être oubliées par la suite. Par exemple, on n’en trouve aucune trace dans son ouvrage Des idées napoléoniennes (1839). Ce silence ultérieur conduit à s’interroger : cette règle inventée par un jeune homme trop enthousiaste a-t-elle été abandonnée par le même homme, une fois parvenu à maturité ? (car vue comme inopportune, dangereuse car fragilisant l’empire à l’excès…) Au contraire, cette même règle était-elle supposée acquise ?
Il est impossible de répondre à cette double question. Avant comme pendant la IInde République, on ne pouvait pas savoir quelles étaient les intentions précises de LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE dans la matière.
B / La pratique du Second empire
Ce régime naît de deux plébiscites constituants par lesquels le peuple français a approuvé l’établissement d’un nouveau régime : régime encore républicain en 1851, mais qui devient impérial à la fin de cette même année. Par la suite, sous le Second empire, on trouvera des réformes de la Constitution, mais qui se feront par sénatus-consulte ; LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE n’aura plus recours au plébiscite, sauf le 8 mai 1870.
Les historiens politistes ont souvent noté le paradoxe qui aurait consisté pour Napoléon III à affronter si tard cette épreuve du plébiscite, épreuve considérée par eux comme autoritaire, pour faire ratifier par le peuple des réformes libérales voire parlementaires. En réalité, si l’on regarde d’un peu plus près, on ne tarde pas à faire trois constats :
- L’empire de 1870 est incontestablement un empire libéralisé, mais pas encore un régime parlementaire ; il n’est que « pré-parlementaire ». En outre, il demeure profondément plébiscitaire. En effet, à l’avenir toute réforme de la Constitution devra faire l’objet d’un plébiscite ; l’empereur ne pourra plus faire réviser la Constitution par sénatus-consulte.
- Un certain nombre de changements constitutionnels étaient intervenus, et affaiblissaient les bases de 1851 : la nature du Sénat, qui perdait son pouvoir constituant dérivé pour devenir une Chambre haute presque banale. Or, les cinq bases de 1851 étaient du ressort exclusif du peuple, avaient échappé à la délégation du pouvoir constituant. Il fallait donc bien recourir au peuple constituant pour ratifier ces réformes constitutionnelles.
- Il n’y avait aucun paradoxe à tenter l’aventure à ce moment précis du règne de Napoléon III. En effet, depuis 1852 on voyait se présenter aux élections législatives deux catégories de candidats : les candidats ordinaires / les candidats « officiels ». La candidature de ces derniers était patronnée par le gouvernement, par les préfets et les différentes branches de l’administration impériale. Outre ce soutien appuyé, ils bénéficiaient de « l’affiche blanche », réservée aux seules annonces légales.
En apparence, les choix effectués par les électeurs lors des législatives étaient bien effectués en réalité par la Constitution ; ce n’était donc pas de véritables actes de souveraineté constituante. Toutefois, tout le monde s’accorde à reconnaître le caractère plébiscitaire du second empire.
Mais l’adjectif « plébiscitaire » n’est pas seulement péjoratif, il doit avoir un contenu : en effet, on peut le qualifier de « plébiscitaire » car les élections ne sont pas de simples choix des députés. De plus, le grand public de l’époque ne pouvait pas bien faire la distinction entre les deux façons d’utiliser le suffrage universel, d’où la confusion entre l’acte de souveraineté et l’acte technique d’élection. Cette conception était indéfendable en droit républicain, mais celle-ci a cessé d’être indéfendable dans un régime plébiscitaire où le chef de l’État peut faire appel au peuple à tout moment. En effet, dans le régime plébiscitaire le suffrage a toujours quelque chose de souverain, donc de constituant.
Lors des élections législatives du Second empire, le peuple se prononce pour ou contre l’empire lui-même. D’ailleurs, le ministre de l’intérieur précise à chaque fois qu’il s’agit d’un vote « des amis ou des ennemis de l’empire ». La pratique plus que discutable des candidatures officielles permet de tracer en toute clarté la frontière qui sépare les amis du régime impérial et ses adversaires.
Pour les dernières élections législatives du second empire (1869), le gouvernement impérial se retrouve quelque peu affaibli, harcelé par les oppositions. Ce gouvernement croit bon de renoncer de fait au système des pures candidatures officielles. Il y a encore un patronage, mais moins puissant : beaucoup arrivent à se faire élire alors qu’ils sont loin d’être de vrais bonapartistes. Le résultat (4,4 millions contre 3,3) est médiocre : pour la première fois, le gouvernement de Napoléon III ne rallie pas à lui la majorité des inscrits (seulement 42% des inscrits). On peut même se poser une question plus inquiétante : est ce qu’il y a même une véritable majorité des votants pour soutenir l’empire ? En effet, il faut tenir compte du nombre important des élus libéraux dont la loyauté bonapartiste est plus que douteuse. Un certain nombre de ces élus libéraux (que l’on compte parmi ces 4,4M) ont en effet préféré ne pas se vanter du soutien du gouvernement de peur que cela leur fasse perdre des voix !
En tout état de cause, une majorité des 4/7 est indigne d’un Bonaparte rassembleur. En effet, il ne faut pas oublier que depuis toujours, depuis ses origines consulaires, le bonapartisme se devait d’être rassembleur = vocation même du bonapartisme, qui se voulait hyper-majoritaire. Il peut donc y avoir en 1869 un doute sur la légitimité même du régime, non seulement au sein du peuple (dont la volonté n’est pas apparue avec la netteté habituelle), mais aussi dans la conscience de Napoléon III. Il n’existe qu’un moyen d’enlever ce doute : le plébiscite du 8 mai 1869.
→ Contrairement à ce qui est dit par la plupart des historiens et politistes, il n’y avait aucun paradoxe, mais au contraire une parfaite logique à recourir au plébiscite en 1870.
→ Beaucoup de bonapartistes autoritaires (dans l’ensemble piètres juristes et peu imaginatifs) étaient incapables de comprendre ce mécanisme dans son ensemble. Nous ne devons donc pas s’étonner que certains d’entre eux aient protesté en 1870 contre la décision de Napoléon III de recourir au plébiscite. Selon eux, il ne fallait surtout pas galvauder le plébiscite ; le recours à l’appel au peuple ne devait être qu’exceptionnel, que pour régler une décision dynastique nouvelle et imprévue.
Les élus bonapartistes forment le groupe parlementaire dit « de l’appel au peuple », qui va bientôt restaurer l’empire qui est tombé en 1870. Mais à la longue, les bonapartistes sont amenés à approfondir la question du plébiscite. Dans les premières années de la IIIème République, les bonapartistes (de même que les monarchistes) luttent contre les républicains qui sont en train d’acclimater la république en France. Or les bonapartistes ne veulent en aucun cas être confondus avec les monarchistes. Dès lors, ils veulent approfondir une démarche originale = en l’occurrence une démarche démocratique. C’est ainsi qu’on voit resurgir dans le discours le thème des rêveries politiques de 1832 = on voit resurgir la nécessité d’un plébiscite à chaque succession au trône.
Dans les faits, le second empire était allé beaucoup plus loin ; Napoléon III, à sa façon, a respecté l’article 28 de la Déclaration de 1793, auquel il avait souscrit dans sa jeunesse. = Le second empire est au fond le seul régime politique à avoir été refondé tous les 6 ans par une adhésion populaire implicitement constituante.
Les républiques ultérieures ont adopté la démarche inverse, en interdisant toute révision constitutionnelle remettant en cause la forme républicaine du gouvernement. Ce faisant, la République (pour d’évidentes raisons de prudence) entend bien assujettir à ses lois les générations futures.