Police administrative et police judiciaire

La distinction entre police administrative et police judiciaire

Les deux grandes branches de la police, administrative et judiciaire, sont chacune dédiées à la préservation de l’ordre public, mais leurs missions, finalités et implications juridiques diffèrent de manière significative. Cette distinction est en apparence simple, mais elle devient complexe dans certaines situations où les mêmes agents et autorités alternent entre ces deux fonctions.

  • Par exemple, un policier qui veille au respect des règles dans un espace public pour assurer la sécurité des personnes effectue une mission de police administrative, mais dès lors qu’il constate et verbalise une infraction, il passe à un rôle de police judiciaire.

I ) Police administrative et judiciaire, caractères distinctifs et complexités de la distinction

Cette distinction entre police administrative et police judiciaire est importante pour déterminer les compétences juridiques et les régimes de responsabilité applicables :

  • Police administrative : Elle se caractérise par son objectif préventif. La police administrative vise à prévenir les troubles à l’ordre public par des mesures de surveillance, de réglementation et d’intervention. Elle peut s’exercer sur des questions liées à la sécurité publique, comme le contrôle des manifestations, la régulation du trafic routier, ou la mise en place de dispositifs de sécurité dans des lieux publics. En ce sens, elle intervient avant la commission d’une infraction.
  • Police judiciaire : Cette police a un objectif répressif. Elle intervient en lien direct avec une infraction pénale, que ce soit pour constater cette infraction, rechercher les auteurs, ou rassembler des preuves. Un agent de police, lorsqu’il enquête sur un délit ou qu’il dresse un procès-verbal à la suite d’une infraction, agit en tant que police judiciaire.

Conséquences juridiques de la distinction

Cette différenciation entraîne des conséquences pratiques importantes, notamment :

  1. Compétence juridictionnelle :
    • Les opérations de police administrative relèvent du juge administratif. En cas de litige, ce sont donc les juridictions administratives qui trancheront.
    • Pour les actions de police judiciaire, le juge judiciaire est compétent, ce qui est fondé sur le principe de séparation des pouvoirs et la nécessité de réserver à la justice judiciaire l’ensemble des questions en lien avec les infractions pénales.
  2. Responsabilité en cas de dommage :
    • En matière de police administrative, plusieurs autorités, comme les collectivités territoriales et l’État, peuvent être impliquées. La responsabilité en cas de dommage sera imputée à la personne publique concernée, en fonction de la nature de la mission exercée.
    • Concernant la police judiciaire, seule la responsabilité de l’État peut être engagée, car elle est exclusivement exercée pour des actions de justice, et l’État est la personne publique en charge de cette fonction régalienne.

II) Police Administrative et Police judiciaire, des critères et des régimes juridiques distinctifs

La distinction entre police administrative et police judiciaire repose sur des critères bien définis, bien qu’elle puisse parfois être subtile et complexe à établir. Cette différenciation est essentielle car elle induit des conséquences juridiques et pratiques importantes, en particulier en termes de compétence juridictionnelle.

En résumé, la distinction entre police administrative et police judiciaire, établie en 1951, s’appuie principalement sur la finalité de l’intervention policière. Cette différenciation est importante en raison des implications contentieuses qui en découlent, notamment en termes de compétence juridictionnelle et de régime de responsabilité. La jurisprudence a su adapter cette distinction aux nombreuses hypothèses pratiques rencontrées afin de clarifier les rôles respectifs de la police administrative et de la police judiciaire.

A) Critère de distinction fondé sur la finalité de l’intervention

La différenciation entre les activités de police administrative et police judiciaire repose principalement sur la finalité de l’intervention. Ce critère finaliste, affirmé en 1951 par la jurisprudence, oriente l’analyse selon l’objectif poursuivi par l’opération de police en question :

  • Police administrative : Son objectif est préventif. Elle vise à éviter les troubles à l’ordre public avant qu’ils ne surviennent. Par exemple, la surveillance dans les lieux publics, les contrôles routiers ou la mise en place de périmètres de sécurité sont des mesures préventives. L’intervention n’a pas pour but de constater une infraction particulière, mais de maintenir un ordre général.
  • Police judiciaire : Son rôle est répressif et elle agit principalement dans le cadre de la constatation des infractions et de l’engagement des poursuites. Une opération relève donc de la police judiciaire si elle est liée à une infraction pénale spécifique, que cette infraction soit réelle, imminente, ou même seulement soupçonnée.

Les décisions du Conseil d’État dans les affaires Consorts Baud (11 mai 1951) et du Tribunal des conflits dans l’affaire Dame Noualek (7 juin 1951) sont fondamentales pour cette distinction. Ces arrêts ont établi que la nature de l’opération dépend de son lien avec une infraction pénale déterminée. Si l’action de la police est directement liée à une infraction, alors elle est qualifiée d’opération de police judiciaire. En revanche, si l’intervention a pour but de préserver l’ordre public sans lien direct avec une infraction, elle relève de la police administrative.

Pour mieux comprendre, il est nécessaire d’examiner trois hypothèses possibles :

  • Infraction imminente : Dans les cas où une infraction semble imminente et que les agents de police agissent pour en empêcher la réalisation, l’opération est assimilée à une action de police judiciaire. Par exemple, la poursuite d’un suspect sur le point de commettre un vol est une intervention de police judiciaire, car elle est directement liée à une infraction spécifique (Tribunal des conflits, 27 juin 1955, Dame Barbier).
  • Infraction éventuelle : Même lorsqu’une infraction est seulement présumée, le lien avec celle-ci entraîne la qualification d’opération de police judiciaire. Dans l’affaire Volbrecht (Conseil d’État, 19 mai 1982), la poursuite par les gendarmes d’un individu suspecté a été jugée une opération de police judiciaire, bien qu’il n’ait pas été établi que l’infraction avait effectivement eu lieu.
  • Infraction non avérée : Enfin, si l’autorité policière croit à l’existence d’une infraction et intervient en conséquence, l’action est qualifiée de police judiciaire, même si l’infraction n’a pas lieu. Par exemple, l’ordre de mise en fourrière d’un véhicule suspecté de stationnement illégal mais en réalité correctement garé constitue une opération de police judiciaire (Conseil d’État, 18 mars 1981, Consorts Ferrand).

B) Régimes juridiques distincts

Cette distinction entraîne également des conséquences contentieuses importantes :

  • Compétence juridictionnelle : La police administrative et la police judiciaire relèvent de compétences judiciaires distinctes. Les actions de la police administrative relèvent de la compétence des juridictions administratives, tandis que les actions de police judiciaire relèvent de la compétence des juridictions judiciaires. Cette différenciation se base sur le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Ainsi, les opérations de police judiciaire, en lien direct avec des infractions, sont confiées aux juges judiciaires, conformément à la jurisprudence « Préfet de la Guyane » (Tribunal des conflits, 27 novembre 1952).
  • Régime de responsabilité : Les deux types de police sont soumis à des régimes juridiques différents. La police administrative est généralement exercée par une pluralité d’autorités (l’État, les collectivités territoriales), ce qui signifie que la responsabilité peut incomber à plusieurs niveaux de l’administration. En cas de dommages causés par une activité de police administrative, la responsabilité sera donc attribuée à la personne publique concernée. En revanche, la police judiciaire est une activité exclusive de l’État, ce qui signifie que les dommages survenus en lien avec ces opérations relèvent exclusivement de la responsabilité de l’État en tant que garant de la fonction régalienne de justice.

II) Les difficultés propres à la distinction entre la police administrative et la police judiciaire

Bien que la différence entre police administrative et police judiciaire semble claire dans son principe, cette distinction se complique dans la pratique, notamment à cause du manque de différenciation organique entre les autorités chargées de ces missions. Les mêmes agents, souvent, peuvent être impliqués dans les deux types d’opérations. Par exemple, un même policier peut patrouiller pour prévenir les infractions (police administrative) et ensuite être amené à arrêter un suspect après la commission d’un crime (police judiciaire). Ces situations exigent des critères de distinction précis et souples.

Exemple :

  • une opération de police administrative peut se transformer en opération de police judiciaire si une infraction est constatée en cours d’intervention.
  • Inversement, une opération de police judiciaire peut conduire à la mise en œuvre de mesures de police administrative, par exemple pour prévenir de nouveaux troubles après une infraction.

1. La nature hybride des missions

La distinction repose avant tout sur la finalité de l’intervention, qui, en pratique, n’est pas toujours aisée à déterminer. Lorsqu’une mission mêle prévention et répression, on parle d’opérations mixtes. Prenons l’exemple d’une patrouille de nuit au cours de laquelle des agents surveillent un quartier pour empêcher des délits tout en cherchant activement des suspects signalés : cette patrouille peut être à la fois administrative et judiciaire. C’est dans ce cadre que le juge doit définir à quel moment une activité spécifique prend la forme d’une police administrative ou judiciaire. Ce point a été illustré dans l’arrêt Mademoiselle Morvan du 29 octobre 1990, où le Tribunal des conflits a conclu que la nature du dommage relevait de la police judiciaire, car il s’était produit lors de la phase d’interception.

2. Transformation de la nature des opérations dans le temps

Certaines opérations peuvent changer de nature en cours d’exécution, conduisant à deux situations distinctes :

  • Transformation d’une opération de police judiciaire en police administrative : Lorsqu’un véhicule est mis en fourrière suite à une infraction de stationnement, l’enlèvement du véhicule constitue une mesure de police judiciaire. Cependant, une fois le véhicule placé en fourrière, la mission de gardiennage et de surveillance devient une mesure de police administrative. Les éventuels dommages survenant après cette phase relèvent alors du juge administratif.
  • Transformation d’une opération de police administrative en police judiciaire : Inversement, une action administrative peut devenir judiciaire si elle débouche sur une situation infractionnelle. Dans l’affaire Demoiselle Motsch (5 décembre 1977), des policiers effectuant un contrôle d’identité ont poursuivi un véhicule suspect refusant le barrage, ce qui a impliqué des infractions graves au Code de la route. Le Tribunal des conflits a jugé que le passage en force du conducteur transformait l’opération en police judiciaire, en raison des infractions multiples survenues lors de la poursuite.

3. Difficulté d’application du critère finaliste

Il existe des situations où le critère finaliste ne permet pas de trancher clairement entre les deux types de police. Dans ces cas, le juge peut recourir à la règle selon laquelle le préjudice doit être examiné dans le cadre de l’opération où il trouve essentiellement son origine. C’est le cas dans l’arrêt Société Le Profil du 12 juin 1978, où une société a poursuivi l’État pour des failles de protection lors d’un transfert de fonds sous escorte policière. Des voleurs avaient réussi à s’emparer de la mallette. Le Tribunal des conflits a décidé que le dommage devait être attribué à la police administrative, en raison des manquements liés à la mission de surveillance initiale.

4. Les implications juridiques

Les implications juridiques de ces distinctions et transformations sont significatives. Elles déterminent :

  • La compétence juridictionnelle : les juridictions administratives pour la police administrative, les juridictions judiciaires pour la police judiciaire.
  • La responsabilité de l’autorité publique : si un dommage survient lors d’une mission de police administrative, les collectivités locales ou l’État peuvent être tenus responsables, tandis que l’État seul est responsable pour les missions de police judiciaire.

Ainsi, bien que la distinction repose en théorie sur des critères simples, sa mise en pratique exige une analyse fine des faits, et la capacité du juge à identifier le moment précis où la nature de la mission peut se transformer.