Pouvoir législatif royal et rôle de justicier attaché à qualité de roi

La réalisation royale du volontarisme juridique.

Volontarisme prêté à Dieu va progressivement être repris par légistes (juristes) autour des rois de la fin du Moyen-âge au profit de ces rois. Droit = ce que le roi veut (dans esprit de ces légistes). Juristes de la fin du Moyen-âge ne s’appuient pas sur théories mais sur d’autres types d’arguments -> argument extrait du droit romain (empereur romain disposait d’un pouvoir législatif, normatif et roi de France est comme un empereur en son royaume -> chaque roi territorial a autant de pouvoirs que l’empereur en avait à l’époque romaine ce qui permet de justifier pouvoir législatif royal. Empereur pouvait faire constitution impériale qui était à l’époque une loi -> J. Boutillier La Somme rurale, coutumier rédigé en 1395 « le roi de France qui est empereur en son royaume peut faire ordonnance qui vaille loi ordonnée et constituée toute constitution [ici signification comme en droit romain]). Œuvre de longue haleine qui se fait à grand renfort de doctrines grâce aux écrits, à la pensée…

  • &1. La théorisation du pouvoir normatif royal par les légistes.

Légistes vont s’appuyer pour développer idée d’un pouvoir législatif royal sur rôle de juge/justicier attaché à qualité de roi. En tant que gardien et protecteur du royaume, roi doit rendre justice. Mais 2 manières :

  •  Trancher différents (régler questions entre particuliers) -> conception de Saint Louis.
  •  Servir son royaume par de bonnes lois.

Jusqu’au 13ème siècle, roi = trop faible pour qu’il puisse édicter normes législatives qui s’imposent à tout le royaume. Légistes essayent de trouver occasions/hypothèses dans lesquelles pouvoir législatif royal peut s’appliquer.

Utilité publique en cause -> roi doit pouvoir intervenir par voie normative. En réalité, idée ici reprise = présente dans philo scholastique et droit romain. Finalité = bien commun/commun profit. Roi ne peut pas intervenir par voie législative quand il veut car pouvoir législatif = pouvoir extraordinaire soumis à des conditions.

Conception de J. Bodin qui considère que pouvoir législatif pas soumis à condition mais résulte de la volonté du roi (idée du 16ème siècle). Notion de bien commun a conséquences concrètes relativement limitées.

Pour l’essentiel, roi intervient au niveau législatif lorsque le royaume est en danger/péril : possibilité de lever une armée pour aller combattre, de lever des impôts par voir normative royale,…

Œuvre essentiellement doctrinale car construction intellectuelle.

A) Philippe de Beaumanoir & pouvoir normatif royal.

Beaumanoir = bailli (haut fonctionnaire proche du roi) qui écrit dans les années 1280 un coutumier de la région de Beauvais (Les Coutumes de Beauvaisis) qui ne se contente pas de reprendre les coutumes mais inclut des considérations générales sur normes de droit et en particulier sur possibilités pour roi d’adopter normes générales. Coutumier assez proche/représentatif de l’idée qu’on se fait du pouvoir législatif au 13ème siècle. Quelles sont conditions dans lesquelles roi peut adopter lois ? Beaumanoir dit que le roi à un pouvoir législatif soumis à 2 conditions :

  •  Conditions de forme : loi du roi (établissement pour Beaumanoir) doit être adoptée par Gd Conseil -> roi tenu de consulter conseillers (ministres, entourages proches, grands seigneurs du royaume, grands ecclésiastiques…). Loi résulte d’un consensus -> volonté royale est avisée, construite à l’issue d’un processus de délibération.
  •  Conditions de fond : commun profit (bien commun) doit être objet de la loi. Etablissement doit être pris pour « raisonnable cause » c’est-à-dire que raison pour laquelle loi doit être adoptée par construction intellectuelle qui se traduit par préambules des ordonnances. Parmi ces « raisonnables causes », il y a idée de Beaumanoir que roi doit respecter bonnes mœurs. Lois du roi doivent être appliquées strictement dans ensemble du royaume et si certains seigneurs s’abstiennent dans territoires d’appliquer lois royales, ils doivent être exposés à des amendes. Loi du roi ne peut pas avoir d’effet rétroactif (principe issu du droit pénal.

Conditions du pouvoir normatif royal toutefois assoupli lorsque royaume = en péril.

En temps de guerre ou lorsqu’une guerre est probable ou même en temps de famines/d’épidémies, conditions assouplies -> roi peut adopter normes de portée générale en urgence. Consultation du Grand conseil risquerait d’être trop lente et roi peut prendre dispositions de sa propre initiative –> condition du commun profit réalisée en cas d’urgence.

B) Recours au droit romain.

Théoriciens/légistes féodaux puisent dans droit romain formules/adages qui vont pouvoir servir cause du pouvoir royal -> droit romain = vénéré pour son autorité et pouvoir utiliser droit romain = utile car roi = empereur en son royaume.

Ce qui plaît au roi/prince a force de loi -> résultat d’un processus qui a abouti à un consensus (« car tel est notre bon plaisir » mis à la fin des textes de loi au 16ème siècle).

Le prince est délié des lois -> prince peut être auteur de la loi donc n’en dépend pas. Idée très souvent reprise mais pas beaucoup commentée car pas bien comprise.

Formules peuvent se retrouver dans textes (Fontaine Conseil à un ami, Jeustice et plet…).

Au 13ème siècle, idée = roi est soumis à droit qui existe par coutume, droit canonique ou encore par droit romain. Dès 13ème siècle, en théorie, pouvoir législatif royal ne sera développé véritablement qu’au 16ème siècle.

  • &2. La modestie de l’œuvre législative.

1ère loi purement française (issue d’un roi français) = ordonnance de 1155 dans laquelle Louis VII ordonne paix pour 10 ans (ordonne que seigneurs féodaux s’abstiennent de se faire la guerre pendant 10 ans). Manière dont le texte est présenté -> Louis VII se fonde sur ses conseillers (barons) qui ont souhaité cette paix et qui ont juré individuellement qu’ils observeront cette paix & la feront observer. Après cette ordonnance de 1155, éclipse du pouvoir législatif royal -> plus aucune norme issue du roi.

Il faut attendre 1223 avec ordonnance dans laquelle Louis VIII impose normes aux barons présents lors de l’adoption de cette norme mais aussi aux barons absents -> acheminement progressif vers norme de portée générale.

En 1230, ordonnance de Saint Louis concernant statut des Juifs -> chaque baron dans son propre domaine (et roi dans domaine royal) fera observer ordonnance mais si un des barons n’obéit pas, le roi, avec aide des autres, le forcera à obéir à la loi. Roi essaie de formuler normes générales mais elles ne peuvent être appliquées que par bon vouloir des seigneurs. Au 13ème siècle, nombre et portée des lois royales = extrêmement limitées. A 14ème siècle, pouvoir législatif royal existe en théorie mais lois = rares et tout à fait exceptionnelles -> roi n’a aucun moyen de faire exécuter lois qu’il a décidées.

Entre 13ème et 14ème siècle, problème de la monarchie = pratique -> comment faire connaître et appliquer loi si grands féodaux s’y opposent ? Pouvoir législatif royal = pourtant reconnu.

A) Affirmation d’un pouvoir discrétionnaire.

Avant de légiférer, roi recueille avis des conseillers… en qualité de seigneur, il est maître dans son domaine mais pour royaume, il ne peut faire appliquer loi, que si féodaux acceptent. Majorité des vassaux consent à appliquer loi mais loi = exécutoire (doit s’appliquer à tout le royaume). Vassaux contre loi, qui étaient absents du grand conseil sont néanmoins tenus par volonté royale qui s’affirme peu à peu -> on quitte un lien de suzeraineté pour aller vers un lien de souveraineté.

B) Conseil de juristes.

Dans 1ère moitié du 13ème siècle, ceux qui consentent à législation royale = seigneurs féodaux. Sous règne de Philippe le Bel, roi prend habitude de ne plus solliciter avis de ses barons mais seulement des plus importants. Mais apparaissent de nouveaux conseillers : juristes/légistes -> conseillers juridiques du roi (gens instruits qui connaissent parfaitement droit romain, coutumes et qui sont des hauts fonctionnaires). Juristes ne représentent pas seigneuries mais ils sont là pour attester de la qualité législative de la loi. On ne met plus accent sur respect espéré de la loi mais sur sa qualité juridique. Qualité technique de la loi va progressivement prévaloir.

C ) La diplomatique ancienne.

On parle ici de la science des diplômes (actes délivrés par chancellerie royale qui comporte un sceau) -> prouve authenticité des actes royaux. Loi ou texte législatif = petite minorité des textes délivrés par chancellerie royale.

  •  Diplômes qui ont pour destinataire une ou un petit groupe de personnes -> concession de privilèges la plupart du temps, ordres de la chancellerie donnés aux baillis, sénéchaux…, dons/libéralités (bien/droit) du roi, lettres de grâce…

Assez loin du pouvoir législatif comme on l’entend aujourd’hui -> pas de portée générale/impersonnelles. Textes sont envoyés à leurs destinataires sous forme de lettres. A partir du règne de Philippe le Bel, lettres de + en + nombreuses. Textes toujours faits au moins en 2 exemplaires (1 pour destinataire, 1 pour chancellerie).

  • Textes qui s’adressent à grand nombre de personnes (totalité des sujets du royaume parfois) -> régionaux principalement. Stabilimentum du roi ou ordinatio (ordonnance). La plupart de ces textes sont rédigés en latin ou dans un mélange latin-français. Textes = élaborés sous ctrl du Chancelier (ministre de la Justice du roi au Moyen-âge et sous AR) et Chancelier = gardien de l’authenticité des actes (Garde des Sceaux). Formules apparaissent de manière récurrente et, en général, plus le texte = important, plus conseil = élargi -> «par grand avis et mûre délibération…», «eu sur cela notre conseil…». Quand loi a portée générale, texte envoyé au parlement de Paris (+ haute juridiction du royaume au MA). Juges lisent loi (1er Président) en la commentant et texte = enregistré dans registre du parlement.

Textes diffusés par Chancellerie comportent souvent préambule dans lequel roi se justifie d’intervenir par voie législative car ce sont des cas de nécessité absolue (guerre,…).

D) Objet des 1ères lois du roi.

Question de droit privé = régie par coutume et non par loi. Donc au Moyen-âge, pas de loi sur relation interpersonnelles. Droit de famille régi par droit canonique -> pas régi par législation royale. Rien en matière de droit privé, de droit de la famille… Législation porte sur ce qui touche ordre public au sens large -> bon ordre du royaume vis-à-vis de ses voisins (guerre, levées militaires, fiscalité, logement des soldats, questions de droit pénal [criminalité],…). Progressivement, législation royale va porter sur procédure (manière de conduire procès, de ramener preuve devant tribunaux…) -> en 1260, loi qui interdit duel judiciaire qui consiste à opposer 2 personnes lors d’un procès qui se combattent et celui qui gagne combat gagne aussi procès. Loi peut porter aussi sur organisation administrative du royaume -> lois sur baillis, sénéchaux et périmètres de leurs interventions.