Les présidents de la Vème République

Les présidents de la Vème République

Ici une liste des présidents de la Cinquième République française et leurs contributions aux institutions :

Plan du cours :

  1. Charles de Gaulle (1959-1969)

    • Création et renforcement des institutions : Père fondateur de la Cinquième République, il a instauré une Constitution visant à renforcer les pouvoirs exécutifs, particulièrement ceux du Président, pour assurer la stabilité.
    • Réforme de l’élection présidentielle : En 1962, il instaure l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, augmentant ainsi la légitimité de la fonction présidentielle.
    • Encadrement de l’indépendance de la France : Il met en place une politique de souveraineté nationale, marquée par l’indépendance militaire et la sortie du commandement intégré de l’OTAN.
  2. Georges Pompidou (1969-1974)

    • Modernisation économique : Son mandat est marqué par une modernisation de l’économie française, qui influence également l’administration des institutions pour mieux répondre aux défis industriels et financiers.
    • Renforcement du rôle de l’État dans l’économie : Avec un modèle d’intervention étatique, il influence la gestion des grandes entreprises publiques et l’organisation administrative.
  3. Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981)

    • Rajeunissement et libéralisation des institutions : Il introduit des réformes pour moderniser les institutions, telles que l’abaissement de la majorité civile de 21 à 18 ans et la réforme du divorce par consentement mutuel.
    • Renforcement des droits et libertés individuelles : Il instaure des avancées sociétales importantes, comme la légalisation de l’avortement et la libéralisation de l’information, influençant la relation entre citoyens et institutions.
  4. François Mitterrand (1981-1995)

    • Développement de la décentralisation : Les lois Defferre de 1982 mettent en place une forte décentralisation, transférant des compétences de l’État central aux collectivités locales, ce qui modifie le paysage institutionnel français.
    • Réformes constitutionnelles : Il modifie la Constitution pour introduire la notion de cohabitation et accroître le contrôle démocratique du gouvernement.
    • Abolition de la peine de mort : En 1981, une réforme majeure marque la France en abolissant la peine de mort, renforçant l’engagement de l’État envers les droits humains.
  5. Jacques Chirac (1995-2007)

    • Réduction du mandat présidentiel : En 2000, il fait adopter le quinquennat, réduisant le mandat présidentiel de 7 à 5 ans pour mieux synchroniser les élections présidentielles et législatives.
    • Renforcement de la cohabitation : Il doit gouverner avec des premiers ministres de l’opposition, renforçant la pratique de la cohabitation comme un élément de l’équilibre institutionnel.
  6. Nicolas Sarkozy (2007-2012)

    • Réforme constitutionnelle de 2008 : Cette réforme vise à moderniser les institutions en limitant le nombre de mandats présidentiels à deux consécutifs et en renforçant les pouvoirs du Parlement.
    • Rééquilibrage des pouvoirs : Il promeut un rôle plus actif du Parlement et introduit des mécanismes de contrôle, tels que la question prioritaire de constitutionnalité, qui permet aux citoyens de contester des lois contraires à la Constitution.
  7. François Hollande (2012-2017)

    • Réduction du rôle du Président dans le Conseil constitutionnel : Il décide de renoncer à siéger au Conseil constitutionnel à la fin de son mandat, ce qui amorce une évolution sur le statut des anciens présidents dans les institutions.
    • Réformes pour la transparence de la vie politique : Il introduit des lois pour renforcer la transparence financière des élus et lutter contre les conflits d’intérêts dans la sphère publique.
  8. Emmanuel Macron (2017-présent)

    • Réformes institutionnelles et projets de modernisation : Bien que certaines réformes (réduction du nombre de parlementaires, réforme du Conseil économique, social et environnemental) aient été freinées, Macron a proposé des changements pour adapter les institutions aux nouveaux défis politiques.
    • Transformation des pratiques démocratiques : Il lance des initiatives comme le Grand Débat National et la Convention citoyenne pour le climat, promouvant une démocratie participative et expérimentant une interaction directe entre le pouvoir exécutif et les citoyens.

 

I) La présidence du général de Gaulle

L’accession de Charles de Gaulle à la présidence en 1958 marque un tournant décisif pour la France. Confronté à une crise institutionnelle profonde, de Gaulle propose un nouveau cadre politique et constitutionnel qui redéfinit la structure du pouvoir en France. Cette présidence initiale de la Vᵉ République sera marquée par un renforcement de l’autorité présidentielle et une vision centralisée de la gouvernance, ancrée dans le gaullisme.

1. La refonte de l’État : une Constitution pour un régime présidentiel fort

L’instauration de la Vᵉ République : un retour au pouvoir exécutif
En 1958, de Gaulle prend la tête d’un pays secoué par l’instabilité politique et la guerre d’Algérie. Il répond en proposant une nouvelle Constitution, adoptée par référendum le 28 septembre 1958. Celle-ci accorde un rôle prédominant au président de la République, renforçant sa capacité à assurer la stabilité de l’État et à arbitrer les grandes orientations politiques.

  • Le renforcement des pouvoirs présidentiels
    La nouvelle Constitution consacre le président comme chef suprême de l’exécutif, lui conférant des pouvoirs significatifs, notamment par l’article 16, qui lui permet de prendre les pleins pouvoirs en cas de crise. Le président devient le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect de la Constitution.

  • Le rôle de Premier ministre redéfini
    Bien que la fonction de Premier ministre soit maintenue, son rôle est subordonné à celui du président. De Gaulle nomme Michel Debré en 1959, qui sera le premier Premier ministre sous la Vᵉ République. Ce poste, bien qu’importante dans la gestion courante des affaires de l’État, est limité dans sa capacité d’initiative face à un président fort.

Une légitimité renouvelée par le suffrage universel
En 1962, de Gaulle entreprend une réforme majeure : l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Cette réforme, adoptée par référendum, renforce considérablement la légitimité du président, en ancrant son autorité dans la volonté populaire. La présidence devient ainsi la clé de voûte des institutions de la Vᵉ République, avec un président élu par le peuple et soutenu par une majorité parlementaire qui reflète ses orientations.

2. La politique gaullienne : affirmation de l’indépendance nationale et de la centralité présidentielle

Une politique étrangère souveraine et indépendante
De Gaulle est un fervent défenseur de l’indépendance de la France sur la scène internationale. Sa politique étrangère se caractérise par une volonté de préserver l’autonomie de la France vis-à-vis des superpuissances, notamment les États-Unis et l’URSS.

  • Retrait de l’OTAN en 1966
    En 1966, de Gaulle décide de retirer la France du commandement intégré de l’OTAN, affirmant ainsi sa volonté d’autonomie en matière de défense. Ce retrait symbolise la volonté de la France de se tenir à l’écart des alliances contraignantes, tout en maintenant des liens diplomatiques avec les autres puissances occidentales.

  • Développement de la force de dissuasion nucléaire
    La présidence de de Gaulle est marquée par la mise en place de la force de frappe nucléaire française, visant à garantir une défense indépendante de toute tutelle étrangère. Ce programme incarne la politique d’indépendance nationale et la volonté d’assurer à la France une puissance militaire autonome.

Une politique intérieure de modernisation et d’affirmation de l’autorité de l’État
Sur le plan intérieur, de Gaulle mène une politique de modernisation de l’économie française et de réaffirmation de l’autorité étatique.

  • Des réformes économiques et sociales
    Dans les années 1960, la France connaît une forte croissance économique. De Gaulle soutient le développement des infrastructures, modernise l’industrie et le secteur agricole, et amorce l’urbanisation des territoires. Cette politique vise à affirmer la puissance économique française, renforçant ainsi la position du pays sur la scène internationale.

  • Les tensions de Mai 68
    La crise de Mai 68 constitue un moment charnière dans la présidence de de Gaulle. Le mouvement de contestation étudiante et les grèves ouvrières mettent en cause son modèle de gouvernance centralisée. En réponse, de Gaulle dissout l’Assemblée nationale et appelle à des élections législatives, qu’il remporte, renforçant ainsi la légitimité de son pouvoir. Toutefois, cette crise révèle des failles dans le modèle autoritaire de la présidence gaullienne, face aux revendications d’une société en pleine mutation.

3. Une fin de mandat marquée par la continuité et l’appel au peuple

Le référendum de 1969 : l’ultime recours au soutien populaire
Fidèle à sa conception du pouvoir, de Gaulle organise en 1969 un référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation. Ce scrutin, bien que portant sur des questions institutionnelles, est perçu comme un test de confiance pour le président. Le « non » l’emportant, de Gaulle choisit de se retirer de la vie politique, respectant sa vision d’une présidence légitimée par le peuple.

Conclusion : Un héritage durable et un modèle présidentiel affirmé
La présidence de Charles de Gaulle a instauré les bases du régime de la Vᵉ République, centrée sur un président fort, élu au suffrage universel, et garant des intérêts de la nation. Sa politique étrangère indépendante, ses réformes économiques et sa vision centralisée du pouvoir laissent une empreinte durable dans les institutions françaises. De Gaulle incarne une présidence puissante, marquée par le pragmatisme et la volonté de s’affranchir des influences étrangères, un modèle qui continue d’influencer le fonctionnement de la République française.

 

II) La présidence de G. Pompidou : une ère de continuité et de pouvoir renforcé

Georges Pompidou accède à la présidence en 1969 dans des conditions favorables. La majorité parlementaire, acquise lors des élections de 1968 après les événements de Mai 68, est solidement ancrée dans le camp présidentiel et offre à Pompidou un soutien stable.

Une majorité initialement favorable

  • Dès son entrée en fonction, Pompidou désigne Jacques Chaban-Delmas comme Premier ministre. Chaban-Delmas, dans un discours de 1969 sur la « nouvelle société », propose une vision réformatrice, prônant une modernisation sociale de la France.
  • Cette orientation, jugée trop progressiste par Pompidou, entraîne des tensions. Bien que soutenu par un vote de confiance de 368 voix contre 96 au Parlement, Chaban-Delmas est poussé à la démission par Pompidou.

Un retour aux principes gaulliens avec Pierre Messmer

  • Pompidou choisit alors Pierre Messmer comme successeur. Messmer incarne un retour à une stricte interprétation gaullienne du pouvoir, où le président est perçu comme le garant des intérêts de la nation.
  • À l’approche des élections législatives de mars 1973, Pompidou rappelle aux électeurs son droit de dissolution de l’Assemblée nationale en cas de désaccord. Il met en avant sa capacité à faire appel directement au peuple, soulignant ainsi la primauté du soutien populaire pour gouverner.

Une présidence marquée par la continuité et la maladie

  • Pompidou parvient à consolider une majorité en 1973 et continue d’incarner un président fort et pragmatique.
  • Cependant, sa santé se détériore, et il meurt en 1974, conduisant la France à une élection présidentielle anticipée.

Cette présidence, bien que brève, est marquée par un renforcement du pouvoir exécutif et une vision plus centralisée de l’autorité présidentielle. Pompidou a non seulement maintenu l’héritage gaullien, mais il a aussi posé les bases d’un modèle de présidence où le chef de l’État s’affirme comme l’ultime responsable de l’ordre social et politique.

 

III) La présidence de VGE : entre innovation et fragilité politique

La présidence de Valéry Giscard d’Estaing (VGE), débutée en 1974, se caractérise par une majorité parlementaire théoriquement alignée avec le président, mais qui demeure marquée par des divisions internes. Giscard, élu à l’issue d’une élection serrée avec seulement 50,5 % des suffrages, est confronté à un défi majeur : parvenir à unifier et « giscardiser » une majorité parlementaire composée en grande partie de gaullistes, malgré les tensions internes et l’héritage du gaullisme.

Un contexte d’élection difficile et une majorité parlementaire fragile

  • Giscard arrive au pouvoir après une élection marquée par la fragmentation des héritiers du gaullisme. Jacques Chaban-Delmas, initialement candidat des gaullistes, perd le soutien d’une partie de son camp, notamment sous l’influence de Jacques Chirac et de 32 députés UDR qui rejoignent Giscard.
  • Cette victoire serrée incite Giscard à faire preuve de prudence. Contrairement aux attentes, il renonce à dissoudre l’Assemblée nationale, préférant éviter une potentielle victoire de la gauche, à l’époque très mobilisée.

Tentatives de gouverner sans pouvoir « giscardiser » la majorité

  • Le présidentialisme personnalisé de Giscard marque un éloignement du gaullisme : là où le présidentialisme de De Gaulle s’appuyait sur une forte autorité, Giscard adopte un style plus personnel et technocratique.
  • Jacques Chirac, son Premier ministre de 1974 à 1976, déclare alors : « Le président doit donner des directives à l’action quotidienne du gouvernement. » Toutefois, en 1976, il démissionne en écrivant à Giscard : « Je ne dispose pas des moyens nécessaires pour assumer mes fonctions de Premier ministre. » Dès lors, Chirac prépare son propre avenir politique et devient un concurrent de Giscard pour l’élection présidentielle de 1981.

L’ère Raymond Barre : expertise économique et limites politiques

  • Giscard nomme Raymond Barre pour succéder à Chirac, saluant en lui « le meilleur économiste de France ». Barre, sans appartenance partisane claire, incarne l’expertise économique dans une période de crises économiques.
  • Les élections législatives de 1978 révèlent cependant la persistance d’un régime marqué par une lecture orléaniste du pouvoir, où le président dépend fortement des élections intermédiaires pour légitimer son autorité.

Un président en quête d’équilibre entre autonomie et respect des institutions

  • Robert Badinter souligne dès 1976 que chaque consultation électorale engage le sort personnel du président, illustrant la précarité de la situation de Giscard. Il observe que la cohabitation entre un président et une majorité d’opposition reste une hypothèse de politique-fiction, car elle remet en question la stabilité du régime présidentiel de la Ve République.
  • Giscard abandonne ainsi la pratique instaurée par Pompidou de « chantage à la démission » pour obtenir une majorité parlementaire. Il reconnaît, non sans amertume, que même s’il souhaite s’opposer à certaines politiques, la Constitution ne lui accorde pas les moyens pour contraindre le gouvernement.

Conclusion : La présidence de Valéry Giscard d’Estaing représente une période de transition entre l’héritage gaullien et un modèle plus personnalisé de présidence. Cependant, sa tentative de redéfinir le pouvoir présidentiel se heurte aux limites d’une majorité divisée, tandis que la montée de Jacques Chirac et la perspective des élections de 1981 illustrent les défis d’un présidentialisme qui doit constamment se légitimer face aux consultations populaires

 

IV) Les présidences Mitterrand : entre présidentialisme et adaptation parlementaire

Les deux mandats de François Mitterrand, de 1981 à 1995, marquent une période cruciale pour la Vᵉ République, caractérisée par une reconfiguration des rapports entre la présidence et le parlement. En traversant quatre configurations politiques différentes, dont deux cohabitations inédites, Mitterrand adapte la pratique du pouvoir en tenant compte des impératifs de l’époque. Cette phase de transformations institutionnelles met en lumière les tensions et les complémentarités entre le présidentialisme gaullien et l’évolution vers un parlementarisme accru.

1. La présidence de François Mitterrand : renforcement et adaptation du présidentialisme sous la Vᵉ République

A. Un présidentialisme socialiste affirmé (1981-1986)

L’élection de François Mitterrand en 1981 marque un tournant historique pour la Vᵉ République : pour la première fois, un président de gauche prend le pouvoir, bouleversant ainsi l’équilibre politique établi. Cette alternance politique, symbolisée par la victoire des socialistes et l’arrivée de Mitterrand à l’Élysée, inaugure une nouvelle forme de présidentialisme, inspirée des pratiques gaulliennes mais réorientée vers un programme socialiste ambitieux.

  • Dissolution de l’Assemblée nationale et nouvelle majorité : Dès sa prise de fonction, Mitterrand dissout l’Assemblée nationale en vertu de l’article 12 de la Constitution. Cette initiative permet l’élection d’une majorité socialiste qui soutient pleinement ses réformes. Les élections législatives qui suivent offrent ainsi au Parti socialiste les deux tiers des sièges, garantissant une adhésion massive aux initiatives présidentielles et une capacité d’action sans précédent.
  • Un président législateur : François Mitterrand affirme son rôle dans la conduite de la politique nationale en présentant un programme ambitieux, notamment les « 110 propositions pour la France », qu’il décrit comme une charte de transformation sociale. Dans ce contexte, le Premier ministre se voit cantonné à un rôle d’exécutant, chargé d’appliquer les décisions présidentielles sous la forme de décrets et de projets de loi soumis au Parlement.
    • Le Premier ministre, Pierre Mauroy, n’a donc pas un rôle de chef du gouvernement dans le sens traditionnel ; il est avant tout l’instrument de la mise en œuvre des réformes décidées par le président. Il traduit en actes les choix présidentiels sans les initier, agissant comme un « fusible » entre le président et le Parlement.
    • Cette répartition des rôles s’illustre dans la déclaration de Mitterrand selon laquelle « le changement que j’ai proposé au pays […] est désormais la charte de votre action législative », soulignant ainsi la prééminence de la présidence dans la définition des orientations politiques.
  • Un renforcement de l’unité du pouvoir gouvernemental : Cette période est également marquée par l’affirmation de l’unité du pouvoir gouvernemental autour de la présidence. Contrairement à une tradition parlementaire où le gouvernement pourrait se voir attribuer une part plus importante de l’initiative politique, Mitterrand centralise la prise de décision, concentrant le pouvoir entre ses mains.

Cette première phase de présidence témoigne d’un présidentialisme affirmé où Mitterrand adapte l’héritage gaullien aux objectifs socialistes, utilisant le cadre constitutionnel pour instaurer une forme de gouvernance quasi-unilatérale, mais légitimée par le soutien populaire et parlementaire.

B. La cohabitation : une reconfiguration des pouvoirs sous contrainte (1986-1988, puis 1993-1995)

L’émergence de la cohabitation en 1986 constitue un événement majeur pour la Vᵉ République, inaugurant une situation politique inédite dans laquelle un président de gauche doit coexister avec une majorité parlementaire de droite. Ce fait politique, imprévu par les rédacteurs de la Constitution, bouleverse le fonctionnement traditionnel des institutions et oblige le président à redéfinir son rôle.

  • Une distribution des compétences formalisée entre le président et le Premier ministre : La cohabitation impose une répartition pragmatique des pouvoirs entre le président et le Premier ministre. Mitterrand conserve ce que l’on appelle le « domaine réservé » du chef de l’État (politique étrangère et défense nationale), tandis que le Premier ministre, Jacques Chirac, est responsable de la politique intérieure et économique.
    • Cette situation conduit à une double direction de l’État, dans laquelle chaque partie se doit de respecter les frontières de son domaine d’action. Le président demeure, par exemple, l’autorité suprême en matière de défense, tandis que le Premier ministre contrôle les affaires économiques et sociales.
    • Ce partage des compétences s’opère dans un cadre constitutionnel qui ne prévoit pas explicitement les modalités de cette répartition, mais qui permet, par la souplesse des articles 5, 19 et 20, d’assurer une gouvernance concertée malgré des divergences idéologiques.
  • Un compromis institutionnel fragile : La cohabitation exige des concessions réciproques et crée des tensions susceptibles de dégénérer en crise institutionnelle. La constitution de 1958, conçue pour garantir une gouvernance unifiée, se retrouve mise à l’épreuve par cette situation paradoxale où coexistent deux majorités politiques antagonistes.
    • Les gaullistes, en particulier, résistent à cette cohabitation, la considérant comme un reniement de la lecture originelle du titre II de la Constitution, qui privilégie une autorité présidentielle incontestée.
    • Toutefois, Mitterrand choisit d’accepter cette cohabitation, privilégiant une interprétation souple de la Constitution qui permet une coexistence pacifique entre deux visions politiques. En 1993, il renouvelle cette expérience avec la seconde cohabitation, illustrant une fois de plus l’adaptabilité du régime à des configurations politiques imprévues.

Cette première cohabitation (1986-1988) puis la seconde (1993-1995) permettent ainsi une réinterprétation de la Constitution, où le régime présidentialiste gaullien évolue pour intégrer des pratiques parlementaires plus affirmées. La période de cohabitation témoigne de la capacité des institutions de la Vᵉ République à absorber et à transformer des dynamiques politiques divergentes, ouvrant la voie à une conception élargie de la fonction présidentielle en temps de partage du pouvoir.

 

II. La présidence de François Mitterrand : vers une redéfinition du présidentialisme et un renforcement du parlementarisme

A. La seconde présidence (1988-1993) : affirmation du rôle parlementaire et adaptation du présidentialisme

Réélu en 1988, François Mitterrand entame son second mandat dans un contexte de continuité et d’adaptation des institutions. Bien que la majorité présidentielle et parlementaire coïncide, l’accent est davantage mis sur un fonctionnement institutionnel proche du parlementarisme classique.

  • Un équilibre renforcé entre le président et le Premier ministre : En choisissant Michel Rocard comme Premier ministre, Mitterrand montre une volonté d’accorder au chef du gouvernement un rôle plus substantiel dans la gestion des affaires publiques. Rocard, connu pour son pragmatisme et son sens du compromis, s’implique particulièrement dans la gestion des crises économiques et sociales, en traitant des questions budgétaires et en initiant de nombreuses réformes administratives et financières.

    • Mitterrand accorde une certaine autonomie à Rocard, reconnaissant ainsi l’importance d’un chef de gouvernement fort dans un contexte de majorité parlementaire partagée. Cela traduit une forme de parlementarisme assaini, où la présidence ne cherche pas systématiquement à contrôler les décisions gouvernementales mais respecte davantage l’espace de responsabilité du Premier ministre.
    • Malgré cette relative autonomie, Mitterrand conserve la prééminence présidentielle dans les orientations de la politique nationale et maintient son pouvoir de dissolution, illustré par la dissolution de l’Assemblée nationale en 1988. Cependant, il laisse une marge de manœuvre significative à Rocard pour gérer les affaires courantes, surtout en matière économique.
  • Un exécutif plus en phase avec les attentes sociales : Le second septennat de Mitterrand est marqué par une prise en compte accrue des attentes populaires et des enjeux économiques du moment. Les gouvernements successifs, y compris ceux de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy, tentent de répondre aux défis sociaux et économiques par des réformes adaptées, malgré une majorité parlementaire plus hétérogène.

    • La dissolution de 1988 ne permet pas au Parti socialiste d’obtenir la majorité absolue, et le gouvernement Rocard doit s’appuyer sur des alliances, notamment avec le groupe communiste et le groupe centriste. Cela force le président à accepter un style de gouvernance plus parlementaire, où les compromis et les négociations deviennent nécessaires.
    • Le mandat de Bérégovoy, dernier Premier ministre de Mitterrand, met en lumière cette interaction entre présidentialisme et parlementarisme. Malgré l’absence d’une majorité socialiste forte, Bérégovoy continue de gérer les crises économiques et financières, avec une attention accrue à la modernisation de l’économie et aux questions sociales.

Ce second mandat marque donc un tournant vers un équilibre des pouvoirs plus respectueux des pratiques parlementaires, où la figure du Premier ministre joue un rôle de premier plan tout en restant sous la direction politique du président.

B. La présidence Mitterrand et la cohabitation : une reconfiguration des rôles institutionnels (1993-1995)

La seconde cohabitation (1993-1995), bien que plus courte, consolide le modèle de répartition des pouvoirs déjà établi lors de la première cohabitation (1986-1988). Cependant, elle met en exergue des questions fondamentales sur l’adaptation du présidentialisme face à une majorité parlementaire opposée.

  • Une réaffirmation des compétences partagées et du « domaine réservé » : La cohabitation avec Édouard Balladur comme Premier ministre implique une stricte répartition des rôles, notamment en ce qui concerne les affaires étrangères et la défense nationale, domaines où Mitterrand conserve une prééminence. Néanmoins, Balladur dirige la politique intérieure avec une liberté accrue, assumant pleinement la responsabilité de l’exécutif devant une Assemblée nationale majoritairement de droite.

    • Cette période révèle les limites d’une lecture gaullienne stricte de la Constitution, où l’autorité présidentielle est théoriquement incontestée. La cohabitation prouve que le régime peut fonctionner sans crise majeure, même si des tensions surgissent lorsque les domaines de compétence se chevauchent.
    • Les deux chefs de l’exécutif doivent, pour éviter les conflits, se consulter régulièrement, surtout lorsque les décisions concernent les « domaines réservés » du président. Cela confère à la cohabitation un aspect diplomatique inédit, où le respect des compétences de chacun assure la stabilité institutionnelle.
  • Un parlementarisme renouvelé et une maturation du système constitutionnel : La cohabitation de 1993-1995 illustre l’évolution de la Vᵉ République vers une forme de gouvernance plus parlementaire, où le Premier ministre dirige de manière effective la politique nationale avec le soutien de la majorité parlementaire. Cette situation confirme la capacité du régime à s’adapter aux changements politiques sans nécessiter de modifications constitutionnelles.

    • La dualité de pouvoir favorise une nouvelle lecture de la Constitution, où l’autonomie du Premier ministre est renforcée, tout en respectant les attributions du président en matière de politique étrangère et de défense. Cette expérience de cohabitation prouve également la capacité des institutions françaises à s’adapter aux exigences démocratiques modernes, où l’équilibre entre le président et le Premier ministre devient essentiel.
    • Enfin, cette cohabitation contribue à une dédramatisation des relations entre les différentes branches de l’exécutif et du législatif. L’électorat français, en acceptant de voter pour des majorités distinctes au Parlement et à la présidence, montre une compréhension de la maturité démocratique du régime.

En somme, la seconde cohabitation et la fin de la présidence de François Mitterrand illustrent une Vᵉ République en pleine évolution, où le présidentialisme originel gaullien est repensé pour s’adapter aux réalités politiques. La période 1988-1995 reflète ainsi une phase de transition, dans laquelle le parlementarisme est renforcé et le rôle du président évolue pour s’ajuster aux nouvelles attentes institutionnelles et aux changements dans le paysage politique français.

V)  Les présidences Chirac (95-02 et 02-07

Les mandats présidentiels de Jacques Chirac ont été marqués par des événements institutionnels et politiques majeurs, notamment la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997 et la mise en place du quinquennat. Chirac incarne des paradoxes politiques : il est à la fois le dernier président à exercer un septennat et le premier à inaugurer un mandat de cinq ans. Il évolue dans un contexte de transformation profonde des institutions françaises, avec des réformes significatives et une cohabitation qui influencera les relations entre la présidence et le parlement.

1. Un septennat marqué par une dissolution inattendue (1995-2002)

  • Une élection et un mandat aux multiples paradoxes
    Élu président en 1995, Jacques Chirac s’appuie sur une solide majorité parlementaire acquise dès 1993. Pourtant, en 1997, contre toute attente, il décide de dissoudre l’Assemblée nationale, un acte qui sera qualifié de « dissolution à la Chirac », car elle ne répond ni à une crise ni à une alternance. Contrairement à ce qu’il avait annoncé pendant sa campagne, cette dissolution s’avérera risquée.

  • La surprise d’une victoire de la gauche
    Cette dissolution inattendue donne lieu à une surprise politique : la gauche, menée par Lionel Jospin, remporte les élections législatives. Jacques Chirac se voit contraint de nommer Lionel Jospin Premier ministre le 2 juin 1997, ouvrant ainsi une période de cohabitation qui durera cinq ans, la plus longue de la Vᵉ République.

  • Une réorganisation institutionnelle et la cohabitation
    Avec Jospin à Matignon, les observateurs parlent d’un retour à la lettre de la Constitution : le Premier ministre, soutenu par sa majorité parlementaire, affirme davantage son autonomie vis-à-vis du président. Le gouvernement se forge une légitimité propre et cherche à maintenir l’unité de sa majorité plurielle (socialistes, communistes, Verts), tandis que le président assume une posture plus en retrait, concentrant ses interventions dans les domaines qui relèvent de ses prérogatives régaliennes.

2. Le second mandat : le quinquennat et les réformes constitutionnelles (2002-2007)

  • L’instauration du quinquennat
    Le débat sur la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans connaît une avancée significative au printemps 2000. À l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing, ancien président, le projet de quinquennat est adopté et soutenu par Chirac, qui officialise cette réforme en juin 2000. Le quinquennat devient ainsi une réalité, synchronisant le mandat présidentiel avec le calendrier électoral des législatives pour réduire le risque de cohabitation.

  • Réélection et continuité républicaine
    Jacques Chirac est réélu en 2002 avec 82 % des suffrages exprimés, bénéficiant d’un large soutien face à l’extrême droite. Ce score lui permet d’entamer un second mandat plus stable politiquement. En effet, avec une majorité parlementaire alignée, le président dispose d’une base solide pour mener à bien son programme et éviter de nouvelles périodes de cohabitation.

  • Réformes constitutionnelles et environnement
    Chirac lance d’importantes révisions constitutionnelles durant ce second mandat. En mars 2005, une réforme introduit dans la Constitution un article portant sur les droits et devoirs environnementaux, officialisant l’importance de la Charte de l’environnement. La même année, Chirac lance un référendum sur le traité établissant une Constitution européenne. Cependant, ce référendum voit la victoire du « non », marquant un recul dans l’intégration européenne voulue par le président.

  • Révision sur la Nouvelle-Calédonie
    En 2007, une nouvelle révision constitutionnelle est introduite, consacrant le statut particulier de la Nouvelle-Calédonie, dans un souci de reconnaissance et de stabilité des accords de Matignon et de Nouméa. Cette réforme confirme l’engagement de l’État dans le respect des particularités des collectivités d’outre-mer.

Conclusion : Les présidences de Jacques Chirac marquent une époque de transitions et de réformes qui ont durablement transformé les institutions de la Vᵉ République. Le passage du septennat au quinquennat et les réformes constitutionnelles témoignent d’une volonté d’adapter le système politique aux réalités contemporaines.

VI) La présidence Sarkozy

L’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence en 2007 marque une nouvelle ère dans l’évolution des institutions de la Vᵉ République. Souhaitant insuffler un élan de modernisation et de rééquilibrage au sein du système politique français, Sarkozy initie une série de réformes dont les effets se feront sentir bien au-delà de son mandat. Sa présidence sera en effet marquée par la révision constitutionnelle de 2008, souvent qualifiée de « Constitution Sarkozy ». Cette réforme se distingue par son ampleur, son contenu innovant et ses modalités d’adoption, et soulève la question d’une possible mutation du régime politique de la France.

Une révision constitutionnelle ambitieuse et inédite

En 2007, Nicolas Sarkozy met en place un comité de réflexion chargé de proposer des réformes pour moderniser les institutions de la République. Sous la présidence de l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, ce comité soumet une série de recommandations visant à rééquilibrer les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, ainsi qu’à renforcer les droits des citoyens.

  • La révision de 2008 : une ampleur et une portée inégalées
    Contrairement aux révisions ponctuelles effectuées depuis 1958, celle de 2008 touche des domaines variés et a un impact structurel. Adoptée après d’âpres débats, elle est approuvée à une faible majorité des trois cinquièmes, ce qui témoigne de sa portée et de sa dimension controversée. En effet, la réforme introduit des changements importants dans la séparation des pouvoirs et dans les droits des citoyens.

  • Les principales innovations de la réforme Sarkozy
    La révision de 2008 met en œuvre plusieurs nouveautés au sein des institutions françaises :

    • La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), qui permet à tout citoyen de contester la constitutionnalité d’une loi en vigueur lors d’un procès. Cette innovation introduit un contrôle de constitutionnalité a posteriori, renforçant ainsi la capacité des citoyens à défendre leurs droits.
    • La création du Défenseur des droits, une autorité indépendante qui veille au respect des droits et libertés et peut être saisie par les citoyens pour intervenir dans des situations impliquant des administrations publiques ou des services privés.
    • La suppression du droit de grâce collective pour le président, un pouvoir perçu comme anachronique et contradictoire avec l’égalité devant la loi.
    • Le droit pour le président de la République de s’adresser directement au Congrès (réunion des deux chambres à Versailles), une possibilité nouvelle qui confère au chef de l’État un accès direct aux représentants élus pour expliquer et défendre sa politique.

Une nouvelle dynamique politique et juridique pour la Vᵉ République

Les réformes initiées par Sarkozy marquent un tournant dans la pratique du pouvoir sous la Vᵉ République. En redéfinissant les rôles respectifs des institutions, elles renforcent l’idée d’une démocratie plus participative, tout en accentuant l’importance de la Constitution comme socle des droits et libertés.

  • La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) : un pas vers le contrôle citoyen
    Avec la création de la QPC, le Conseil constitutionnel devient un acteur de la protection des droits accessible à tout citoyen, dès lors que la constitutionnalité d’une loi est mise en cause dans une affaire en cours. Ce mécanisme introduit une dimension nouvelle dans le contrôle de constitutionnalité, en donnant aux justiciables un droit direct d’action, à l’instar de ce qui existe dans d’autres démocraties européennes. La QPC est saluée comme une avancée majeure vers une justice plus accessible et proactive.

  • Le Défenseur des droits : un pilier pour la défense des libertés
    Inspirée d’initiatives étrangères, la création du Défenseur des droits vise à renforcer la protection des citoyens face aux abus de pouvoir ou aux discriminations. Cet organe indépendant, fusionnant plusieurs autorités préexistantes, est doté de pouvoirs étendus pour intervenir dans des litiges touchant aux droits individuels, ce qui marque un tournant vers un modèle plus protecteur pour les droits fondamentaux.

Les innovations introduites par la révision de 2008 questionnent les fondements mêmes de la Vᵉ République

  • Un régime politique révisé, mais pas transformé
    Bien que certains aient évoqué une « nouvelle Constitution », la réforme de Sarkozy s’inscrit dans la continuité de la Vᵉ République en préservant la primauté du président de la République. Toutefois, les modifications introduites – notamment l’accès élargi au Conseil constitutionnel et l’accroissement des pouvoirs du Parlement – révèlent un souci de rééquilibrage des pouvoirs qui tend à rapprocher la France d’un régime moins hyper-présidentiel.

  • Un élargissement du champ parlementaire et du débat public
    La réforme de 2008 introduit des mesures visant à renforcer le Parlement dans sa capacité de contrôle, en particulier par l’instauration d’un droit d’information renforcé et de nouvelles modalités de questionnement des politiques publiques. Cette volonté de rééquilibrer les pouvoirs, bien que limitée, représente une réponse partielle aux critiques de l’hyper-présidentialisation du régime.

 

VII) La présidence de François Hollande

L’élection de François Hollande en 2012 marque le retour de la gauche au pouvoir après une décennie de présidences de droite. Ce mandat, exercé dans un contexte économique et social difficile, se distingue par des réformes importantes, mais également par des défis majeurs qui affectent sa popularité et sa capacité à imposer son agenda politique.

Un mandat réformateur dans un contexte économique difficile

L’un des aspects marquants de la présidence de François Hollande est sa volonté de réformer en profondeur certains domaines de la société française, notamment les droits civiques et sociaux. Cependant, il se heurte rapidement aux contraintes économiques de l’époque et à la pression des marchés financiers.

  • Le mariage pour tous (2013) : une réforme emblématique
    Hollande concrétise une promesse de campagne forte en adoptant la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, promulguée le 18 mai 2013. Cette réforme, symbolique pour les droits civiques en France, suscite un vif débat dans la société et entraîne des manifestations de grande ampleur. En dépit de l’opposition, cette mesure marque un tournant pour les droits des LGBTQ+ en France, en inscrivant le mariage pour tous dans la loi et en mettant la France au rang des pays pionniers dans la reconnaissance des droits des minorités.

  • Le pacte de responsabilité et de solidarité (2014)
    Confronté à une économie en difficulté, Hollande lance le pacte de responsabilité et de solidarité, qui vise à alléger les charges des entreprises pour stimuler l’emploi. En contrepartie, les entreprises s’engagent à créer des emplois. Ce plan, bien accueilli par le patronat mais critiqué par une partie de la gauche, montre la volonté du président de s’adapter aux contraintes économiques, au risque de perdre le soutien de sa base électorale traditionnelle.

  • Les défis économiques et l’inversion de la courbe du chômage
    Hollande se fixe un objectif ambitieux : inverser la courbe du chômage. Cependant, cet engagement se révèle difficile à tenir dans un contexte de stagnation économique en Europe et de mondialisation accrue. Bien que des dispositifs comme les emplois d’avenir et les contrats de génération soient instaurés pour soutenir l’emploi des jeunes, le taux de chômage reste élevé, affectant la popularité du président.

Une présidence marquée par des crises sécuritaires et des décisions politiques controversées

La présidence de François Hollande est également marquée par de graves crises sécuritaires, avec une vague d’attentats terroristes sans précédent qui place la France en état d’urgence et modifie les priorités du mandat.

  • Les attentats terroristes et la réponse sécuritaire
    En janvier 2015, les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, suivis par ceux de novembre 2015 au Bataclan et dans les rues de Paris, plongent la France dans la terreur. Hollande réagit en instaurant l’état d’urgence, renforçant les pouvoirs des forces de sécurité. Ce contexte sécuritaire pousse le président à proposer une révision constitutionnelle, visant notamment à inscrire l’état d’urgence dans la Constitution et à instaurer la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme. Toutefois, cette dernière proposition se heurte à des oppositions vives, tant à gauche qu’à droite, et finit par être abandonnée, illustrant les difficultés de Hollande à rassembler un consensus sur les questions sécuritaires.

  • La loi Travail (2016) et les contestations sociales
    En 2016, la loi Travail, dite loi El Khomri, vise à assouplir le droit du travail pour faciliter les embauches et rendre le marché du travail plus flexible. Cette réforme, soutenue par le patronat, est perçue comme une atteinte aux acquis sociaux par les syndicats et une grande partie de la gauche. Les mobilisations massives dans les rues, symbolisées par le mouvement Nuit Debout, et le recours au 49-3 (procédure législative permettant de faire passer une loi sans vote) pour faire adopter le texte, accentuent les divisions au sein de la majorité et isolent le président, lui coûtant une partie de son électorat.

Une présidence en quête de modernisation institutionnelle et de réforme de la vie publique

Hollande entreprend plusieurs initiatives visant à moderniser les institutions de la République et à restaurer la confiance des citoyens dans la vie publique.

  • La transparence et l’exemplarité
    Dès le début de son mandat, Hollande place son quinquennat sous le signe de la transparence et de l’exemplarité. La loi de 2013 sur la transparence de la vie publique impose aux élus de déclarer leur patrimoine et leurs intérêts, dans un contexte où la défiance envers les responsables politiques est croissante. Cette initiative, renforcée par la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, vise à moraliser la vie politique et à restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions.

  • Réforme territoriale (2015)
    Dans le cadre de la modernisation de l’État, Hollande initie une réforme territoriale qui réduit le nombre de régions de 22 à 13, avec pour objectif de réaliser des économies d’échelle et de renforcer l’efficacité des régions. Bien que cette réorganisation des territoires rencontre des critiques, notamment quant au manque de concertation locale, elle symbolise la volonté de rationaliser le fonctionnement administratif de la France.

  • Échec à réformer le Conseil économique, social et environnemental (CESE)
    Hollande envisage également de réformer le CESE pour en faire un lieu de débat citoyen et de consultation. Toutefois, malgré des tentatives de rendre cette institution plus représentative et plus proche des citoyens, le projet n’aboutit pas, illustrant les limites de son mandat en matière de réforme institutionnelle.

Bilan et fin de mandat

Le mandat de François Hollande s’achève dans un contexte difficile. Les crises économiques, sociales et sécuritaires qui ont jalonné sa présidence, ainsi que les difficultés à réaliser certaines de ses réformes, érodent sa popularité et le conduisent à renoncer à se présenter pour un second mandat en 2017.

  • Une popularité en berne
    La popularité de Hollande connaît une chute rapide, en partie à cause de la perception d’une politique hésitante et de compromis jugés trop centristes par son électorat de gauche. Les critiques internes au Parti socialiste et la montée de figures dissidentes, comme Emmanuel Macron, affaiblissent davantage sa position et l’empêchent de rassembler autour de sa candidature.

  • Le choix de renoncer à un second mandat
    En décembre 2016, François Hollande annonce qu’il ne se représentera pas en 2017, une première pour un président sortant sous la Vᵉ République. Ce renoncement traduit les difficultés et la désillusion ressenties au sein de sa propre famille politique, ainsi que sa volonté d’éviter une défaite prévisible.

VIII) Les présidences Macron

L’accession d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017 marque un tournant pour la France. Élu à l’âge de 39 ans, le plus jeune président de la Vᵉ République, il se présente comme un président réformateur, porteur d’une vision européenne forte et d’une volonté de moderniser en profondeur les institutions et l’économie françaises. En 2022, il est réélu pour un second mandat, poursuivant son projet de transformation, mais il se retrouve face à une montée des défis sociaux et politiques.

Premier mandat (2017-2022) : un programme de réformes entre succès et contestations

Le premier mandat d’Emmanuel Macron est marqué par une volonté de réforme économique, sociale et institutionnelle, visant à insuffler plus de dynamisme et de compétitivité à l’économie française. Cependant, plusieurs de ces réformes suscitent des oppositions massives et des mouvements de contestation.

  • Réformes économiques et sociales : assouplir le droit du travail et soutenir l’entrepreneuriat

    • Dès son arrivée au pouvoir, Macron fait voter les ordonnances réformant le Code du travail, visant à donner plus de flexibilité aux entreprises et à encourager l’embauche. Cette réforme facilite les négociations d’entreprise, réduit les contraintes des instances représentatives du personnel et assouplit les procédures de licenciement. Accueillie favorablement par le patronat, cette réforme est toutefois critiquée par les syndicats pour ses répercussions sur la sécurité des salariés.
    • En 2019, le gouvernement lance la réforme de l’assurance-chômage, avec des règles plus strictes pour réduire les coûts et encourager le retour à l’emploi. Bien que cette mesure s’inscrive dans une logique de responsabilisation, elle provoque des critiques et soulève la question de l’équilibre entre incitation et sécurité sociale.
  • Le mouvement des Gilets Jaunes : une révolte sociale inédite

    • Le mouvement des Gilets Jaunes éclate à la fin de 2018 en réponse à une augmentation prévue des taxes sur les carburants, vue comme injuste par une grande partie de la population, notamment rurale. Rapidement, les revendications s’élargissent aux questions de pouvoir d’achat, d’injustice sociale et de représentation politique.
    • Face à cette crise, Macron engage un grand débat national en 2019, une consultation publique visant à recueillir les doléances des citoyens dans plusieurs domaines (fiscalité, écologie, démocratie et organisation de l’État). Cette initiative, bien que saluée pour son ouverture, peine à apaiser durablement les tensions.
  • La réforme des retraites et les mobilisations sociales

    • En 2020, Macron lance un projet de réforme des retraites visant à créer un système universel par points, remplaçant les multiples régimes existants. Perçue comme nécessaire pour garantir la viabilité financière du système, cette réforme suscite de vives oppositions et des grèves massives.
    • La réforme est finalement suspendue en raison de la crise sanitaire de la Covid-19, mais elle continue de représenter un enjeu clé pour le second mandat de Macron.
  • Crise sanitaire de la Covid-19 : un défi inédit pour le gouvernement

    • La pandémie de Covid-19 place la présidence de Macron face à une crise sanitaire et économique sans précédent. Le gouvernement déploie des mesures d’urgence pour soutenir l’économie, notamment grâce au dispositif d’activité partielle et à des prêts garantis par l’État pour les entreprises.
    • Macron adopte une approche de gestion centralisée de la crise, allant jusqu’à imposer des confinements stricts et des couvre-feux pour limiter la propagation du virus. Par la suite, la campagne de vaccination massive et l’introduction du pass sanitaire et du pass vaccinal suscitent des débats intenses, mais permettent de limiter l’impact sanitaire de la pandémie.

Second mandat (2022-) : une volonté de transformation malgré un contexte politique et social tendu

Réélu en 2022, Macron entame son second mandat avec des priorités claires, notamment la réforme des retraites et le renforcement de la souveraineté énergétique et industrielle. Cependant, l’absence de majorité absolue au Parlement rend la gouvernance plus complexe et multiplie les tensions politiques et sociales.

  • Une gouvernance sans majorité absolue : les défis d’un Parlement divisé

    • Lors des élections législatives de 2022, le parti de Macron, Renaissance, perd la majorité absolue à l’Assemblée nationale. Cette situation force le gouvernement à composer avec les autres partis pour faire voter ses projets, une première sous la Vᵉ République pour un président élu sans cohabitation.
    • Le gouvernement dirigé par la Première ministre Élisabeth Borne doit recourir à des stratégies de compromis ou, en dernier recours, au 49.3, qui permet d’adopter un texte sans vote, pour faire passer les réformes clés. Cette utilisation répétée du 49.3, notamment pour la réforme des retraites, soulève des critiques et renforce les tensions avec l’opposition.
  • La relance de la réforme des retraites

    • En 2023, Macron relance le projet de réforme des retraites, visant à repousser progressivement l’âge de départ à la retraite à 64 ans et à allonger la durée de cotisation. Cette mesure, justifiée par le gouvernement pour assurer l’équilibre financier du système, rencontre une opposition massive dans la société.
    • De grandes manifestations, appuyées par les syndicats, révèlent l’ampleur de la résistance à cette réforme. Malgré les contestations et le mécontentement populaire, la réforme est adoptée, renforçant l’image d’un président déterminé à appliquer son programme, mais parfois perçu comme sourd aux revendications sociales.
  • La politique environnementale : entre ambitions et contraintes

    • Conscient de l’urgence climatique, Macron fait de la transition écologique un pilier de son second mandat. Il annonce des mesures ambitieuses pour réduire l’empreinte carbone de la France, notamment en relançant la production d’énergie nucléaire et en développant les énergies renouvelables.
    • En parallèle, il lance des programmes pour soutenir la rénovation énergétique des bâtiments et réduire la dépendance de la France aux énergies fossiles. Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures se heurte à des contraintes budgétaires et techniques, et les résultats peinent à satisfaire les attentes des écologistes.
  • La guerre en Ukraine et la politique européenne de défense

    • La guerre en Ukraine, débutée en 2022 avec l’invasion russe, place la présidence de Macron face à un défi géopolitique majeur. Macron soutient fermement l’Ukraine, participe aux sanctions contre la Russie et plaide pour le renforcement de la défense européenne. Cette crise met en lumière sa volonté d’une Europe plus souveraine et stratégique.
    • En matière de défense nationale, il annonce un accroissement du budget militaire pour renforcer les capacités de la France dans un contexte mondial de tensions accrues, confirmant ainsi sa vision d’une Europe de la défense autonome mais alliée aux États-Unis dans l’OTAN.

Un bilan contrasté : réformes, résistances et ambitions européennes

Les mandats d’Emmanuel Macron reflètent un engagement en faveur de la modernisation économique et institutionnelle de la France, avec des réformes importantes dans le domaine social et des efforts pour renforcer la position de la France au sein de l’Europe. Cependant, ces réformes se heurtent souvent à une opposition forte, et la perception d’une gouvernance jugée autoritaire par certains segments de la population laisse une trace dans son bilan.

  • Les réussites : un président réformateur et pro-européen

    • Macron reste fidèle à son engagement en faveur de l’Europe et de la souveraineté française au sein de celle-ci. Sa vision européenne se traduit par une politique extérieure proactive et un engagement pour le renforcement des liens entre les pays de l’UE.
    • Sur le plan intérieur, ses réformes économiques visent à renforcer l’attractivité de la France pour les investisseurs et à dynamiser le marché de l’emploi. Les efforts pour moderniser l’administration, avec la simplification des démarches administratives et la digitalisation, contribuent également à cette vision réformatrice.
  • Les limites : un exercice du pouvoir jugé parfois trop autoritaire

    • Le recours fréquent au 49.3 pour faire adopter des réformes, notamment la réforme des retraites, est critiqué comme étant contraire à une gouvernance ouverte et participative. Ce mode d’action suscite des tensions avec l’opposition parlementaire et renforce la défiance d’une partie de la population.
    • La gestion des crises, qu’elles soient sociales ou sanitaires, met en lumière les difficultés à instaurer un dialogue social apaisé. Les mouvements sociaux, des Gilets Jaunes aux récentes manifestations contre la réforme des retraites, illustrent un climat de tension persistant, qui nuit à l’image de consensus que Macron avait initialement voulu incarner.
  • En 2024, la France a connu une nouvelle cohabitation. Suite à la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Emmanuel Macron en juin 2024, des élections législatives anticipées ont eu lieu. Ces élections ont conduit à une majorité parlementaire opposée au président, entraînant la nomination d’un Premier ministre qui n’est pas membre du parti « Renaissance ».

 

Conclusion :

La cohabitation est une configuration politique particulière de la Vᵉ République, caractérisée par la coexistence d’un président et d’une majorité parlementaire de bords politiques opposés. Bien qu’elle ait initialement été perçue comme une situation exceptionnelle, elle est devenue un aspect notable de la vie politique française, renforçant la flexibilité du système institutionnel.

De la rareté à la normalisation de la cohabitation

  • Un mécanisme devenu fréquent sous la Vᵉ République
    Au début de la Vᵉ République, la cohabitation était jugée marginale, considérée comme une parenthèse rare et exceptionnelle. Cependant, les années 1986-2002, marquées par trois périodes de cohabitation (1986-1988, 1993-1995, et 1997-2002), ont fait évoluer cette perception. La cohabitation a démontré sa capacité à stabiliser le régime, en ne remettant pas en cause les principes de la Constitution, mais en rapprochant au contraire les citoyens des institutions. Certains observateurs affirment même qu’elle a renforcé la légitimité de la Vᵉ République en rapprochant son fonctionnement d’un système politique parlementaire classique, plutôt qu’en mettant en péril le présidentialisme gaullien.

  • Un équilibre institutionnel particulier en Europe
    La France est le seul régime de l’Union européenne qui alterne entre un système présidentialiste, en période d’alignement des majorités présidentielle et parlementaire, et un système plus parlementaire lors des cohabitations. Ce basculement entre deux modes de fonctionnement institutionnel souligne la singularité de la Vᵉ République, où l’adaptation aux situations politiques fluctuantes permet au pays de maintenir la stabilité de son système.

L’impact du quinquennat : cohabitation moins probable, mais toujours possible

  • Révision constitutionnelle et réduction des risques de cohabitation
    La révision constitutionnelle du 2 octobre 2000, qui a introduit le quinquennat, visait à limiter les risques de cohabitation. En alignant les mandats présidentiel et parlementaire, cette réforme a réduit la probabilité de voir émerger une majorité parlementaire différente de celle du président, renforçant ainsi la cohésion entre les pouvoirs exécutif et législatif. Néanmoins, cette modification n’exclut pas totalement le retour de la cohabitation : une dissolution de l’Assemblée, le décès, la démission ou même la destitution du président restent des éventualités pouvant engendrer cette configuration.

  • Un consensus sur le bon fonctionnement de la cohabitation
    Avant l’instauration du quinquennat, une large majorité de Français (76 %) considérait que la cohabitation fonctionnait bien, et 60 % estimaient même qu’elle était bénéfique pour le pays. Cet avis favorable montre que la cohabitation a réussi à s’imposer comme une solution politique efficace, capable de concilier des forces antagonistes sans provoquer de crise institutionnelle majeure.

 

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