Les pratiques anticoncurrentielles en droit sénégalais OHADA

Les pratiques anticoncurrentielles (Droit OHADA – Droit sénégalais)

Elles sont nombreuses et peuvent parfois se verser dans les pratiques anticoncurrentielles collectives dès lors qu’elles sont le résultat d’une concertation entre plusieurs acteurs économiques. Il s’agit de la non transparence des conditions de vente, du refus de vente et de prestation de service, des ventes subordonnées, des pratiques discriminatoires, des prix imposés que nous allons appréhender successivement.

 

On distingue :

  • I- L’exigence de la transparence des conditions de vente

Le défaut de communication des conditions de vente peut empêcher la connaissance des pratiques discriminatoires. Ainsi, tout producteur, grossiste, importateur ou prestataire de services est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de services qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions de vente (délais de règlement, rabais, ristournes…etc.). il doit également remettre à toute personne qui en fait la demande un exemplaire des conventions qu’il propose habituellement à ses clients.

En outre, si un distributeur se fait rémunérer par ses fournisseurs un service spécifique, cet accord doit être passé par écrit.

  • II- L’interdiction du refus de vente et de prestation de service

A l’origine, il s’agissait d’un délit lié au marché noir et destiné à protéger le consommateur. Cette protection dans un cadre pénal subsiste, même si elle ne se fonde plus dans une situation de pénurie. Mais, une nouvelle application avait été trouvée au refus de vente dans les relations entre producteurs, grossistes et revendeurs. Dans ce cadre, le refus de vente a été dépénalisé ; il ne s’agit plus désormais que d’une faute civile engageant la responsabilité de son auteur.

  • a) Les faits sanctionnés

Il est en effet interdit à tout producteur, commerçant, industriel, isolé ou en groupe, de refuser de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes des prestations de service lorsque ces demandes ne présentent aucun caractère anormal, qu’elles émanent de demandeurs présentant la garantie technique, commerciale ou de solvabilité nécessaire et que la vente de produits ou la prestation de service n’est pas interdit par les lois et règlements[51].

Pour les contrats d’exclusivité de vente, même à l’intérieur de la zone d’exclusivité, le fournisseur demeure tenu de vendre ses produits à tous les commerçants possédant les moyens et la qualification technique indispensables à une parfaite commercialisation des produits concernés[52].

Le contrat d’exclusivité ne constitue une justification du refus de vente que s’il est loyalement exécuté par les parties dans le respect des conditions énumérées plus haut et relativement aux seuls produits énumérés par le décret de 1970[53].

Par exemple, en ce qui concerne le contrat de concession, ce qui est interdit c’est le refus de vente opposé par le concédant à des distributeurs extérieurs à son réseau en raison des liens contractuels l’unissant à ses concessionnaires.

Le fait reproché est donc le refus de satisfaire aux demandes des acheteurs de produits ou aux demandes de prestations de service (absence de réponse, refus pur et simple, proposition d’une prestation différente…) comme par exemple la vente d’un produit dans un emballage différent et sans sa marque. L’hypothèse la plus fréquente de refus sanctionnés consiste dans le fait de ne pas satisfaire la demande du client dans les conditions auxquelles le produit est habituellement vendu, et qu’il est censé connaître, puisque le vendeur est tenu de lui communiquer les barèmes. Mais, il est vrai que cette vision extensive du refus de vente rapproche celui-ci des pratiques discriminatoires.

Toutefois, l’interdiction ne concerne pas le refus à des personnes liées au réseau et dont le contrat a été résilié.

  • b) Les faits justificatifs admis

Les faits justificatifs du refus de vente permettant d’échapper à la condamnation relèvent de deux catégories :

  • Les faits justificatifs spécifiques :
  • lorsque la demande présente un caractère anormal : commande trop faible ou trop importante (achat de quelques kilos de cire dans une vente à l’essai), exigences exorbitantes de l’acheteur, demande de produits ne correspondant pas à son secteur d’activité ou à son niveau de compétence technique, refus d’accorder des garanties de paiement (exemple : refus d’accepter une réserve de propriété), commande faite par assignation alors qu’il n’y avait pas eu refus du vendeur, commande ne respectant pas les délais. Par ailleurs, la demande doit être présumée anormale lorsque, par exemple, l’acheteur ne respecte pas les délais de paiement convenus dans des commandes antérieures.
  • Lorsque la demande est faite de mauvaise foi (exemple : achat fait pour dénigrer le produit ou pour pratiquer un « prix d’appel »)

  • Les faits justificatifs d’ententes et de positions dominantes :
  • le refus peut se justifier par un texte. Il s’agira le plus souvent de textes de vente interdisant ou réglementant la vente de produits, par exemple ceux réservant la vente de produits pharmaceutiques aux pharmaciens.
  • Mais, surtout, le refus sera justifié s’il n’élimine pas la concurrence pas la concurrence et s’il favorise le progrès économique. Ce fait justificatif concerne surtout les réseaux de distribution sélective ou exclusive. L’organisateur du réseau estime que celui-ci est un juste motif de refus de vente : engagé par un contrat, il ne pourrait satisfaire la demande de tiers sans violer le contrat (la marchandise étant « juridiquement » indisponible). Mais, c’est faire peu de cas du principe de l’effet relatif des conventions et du caractère d’ordre public du droit de la concurrence. En abandonnant toute référence aux usages commerciaux et en considérant le réseau comme une entente (ce qu’il est effectivement), le législateur impose au juge la technique du bilan. Le refus de vente ne serait justifié que si le réseau lui-même peut être justifié (conditions d’entrée dans le réseau non discriminatoires, mode de distribution justifié par les produits en cause et l’intérêt des consommateurs. Le contrôle du juge est facilité par le fait que la décision de refus d’agrément du distributeur doit nécessairement être motivée. C’est à celui qui invoquera la licéité du refus de vente d’en rapporter la preuve.

  • III- L’interdiction des ventes subordonnées

Les ventes subordonnées sont encore appelées ventes liées ou ventes jumelées. Mais le terme « subordonnées » comporte l’idée que le lien est imposé à l’acheteur, en position de faiblesse. A l’origine l’interdiction des ventes subordonnées avait encore pour objectif la volonté de lutter contre les pratiques du marché noir, et d’empêcher que soit contournée la réglementation des prix (en imposant à l’acheteur de prendre, en même temps que le produit rare qu’il souhaitait, un produit sans valeur, démodé ou obsolète, le vendeur gonflait artificiellement ses prix en même temps qu’il dégonflait ses stocks).

Aujourd’hui, il s’agit d’un délit civil considéré comme une pratique restrictive de concurrence ; ce qui explique que les faits soient interprétés avec plus de souplesse et qu’il soit tenu compte de la nature des produits et des liens contractuels unissant le distributeur au vendeur[54].

  • IV- Les pratiques discriminatoires

La distinction entre pratique discriminatoire et refus de vente n’est guère aisée en ce sens que le refus de vente est par essence discriminatoire puisqu’on ne voit pas de distributeur refuser ses produits à tous les acheteurs ; par ailleurs, une pratique discriminatoire peut être sciemment utilisée par le distributeur pour empêcher la conclusion du contrat de vente notamment en exigeant des garanties exorbitantes pour écarter le demandeur. La distinction est d’autant plus difficile que les conditions de poursuite et les sanctions sont identiques. Il faut en outre rappeler que ces pratiques discriminatoires, dès lors qu’elles sont collectives, peuvent être qualifiées d’ententes ou d’abus de position dominante.

Le rapprochement des deux notions n’occulte pas leurs différences qui justifient l’autonomie du délit civil que constitue la pratique discriminatoire. D’abord, est considéré comme victime tout partenaire économique ; ensuite, la pratique peut être sanctionnée même après la conclusion du contrat (notamment lorsque le cocontractant aura accepté les conditions de vente et qu’il s’apercevra, après coup, qu’il a été victime d’une discrimination) alors que, par hypothèse, le refus de vente a empêché la réalisation du contrat.

En conclusion, sur la distinction entre les deux notions, nous pouvons dire que tout refus de vente est une pratique discriminatoire, mais l’inverse n’est pas vrai.

D’une manière générale, il y a discrimination dès lors que, vis-à-vis de son partenaire, l’entreprise n’a pas respecté ses pratiques habituelles, que ce soit à son avantage ou à son désavantage dans la concurrence.

La discrimination peut porter sur le prix (en hausse ou en baisse). Plus souvent que sur les prix, elle porte sur les remises et les ristournes. Elle peut également porter sur les modalités de la vente (services annexes tels que emballage, livraison, étiquetage, coût et durée du crédit).

Mais, dans tous les cas, pour être justifiée, la pratique discriminatoire doit reposer sur des critères objectifs et non subjectifs (d’où, par exemple, le rôle des barèmes d’écart pour les variations de prix en fonction des quantités) qui doivent être communiqués aux demandeurs dans le cadre de la transparence des conditions de vente. il peut s’agir de contreparties réelles qui peuvent tenir à l’importance des quantités vendues, à la régularité des livraisons, à l’importance des services annexes fournis par le vendeur ou, au contraire, pris en charge par l’acheteur, ou encore au risque d’insolvabilité présenté par l’acheteur. Sinon on en revient aux discriminations interdites : c’est le cas de l’éditeur qui fait des remises à des grossistes mais pas à une coopérative d’étudiants qui achète pourtant des quantités équivalentes.

Celui qui invoque un fait justificatif de la discrimination doit en rapporter la preuve.

  • V- L’interdiction des prix imposés

Il s’agit d’une mesure ancienne inspirée de l’idée que la concurrence était régulée par les prix et que, s’il appartenait aux pouvoirs publics de réglementer ceux-ci, les agents économiques ne devaient pas s’imposer entre eux des contraintes de ce genre. La finalité du prix imposé pouvait cependant être louable lorsqu’elle était liée à l’image de marque du produit : vendu trop cher, il détournerait la clientèle ; pas assez cher, il discréditerait la marque (pendant un temps d’ailleurs, le prix imposé a été autorisé pour les produits de luxe).

Mais, cette pratique pouvait également permettre des marges excessives, au détriment des consommateurs et perturber la politique gouvernementale de lutte contre l’inflation. Raison pour laquelle, le droit de la concurrence est venu interdire à toute personne d’imposer, directement ou indirectement[55], un caractère minimal au prix de revente d’un produit ou d’un bien, au prix d’une prestation de service ou à une marge commerciale.

Le fait reproché est une infraction, une contravention de 5ème catégorie dont le seul fait justificatif est l’existence d’une dérogation légale. Mais, la pratique peut aussi constituer une entente, notamment quand le prix imposé est inséré dans des contrats de distribution exclusive ou sélective. Il peut donc en être ainsi lorsque l’organiseur d’un réseau de distribution intégrée impose un prix à ses franchisés ou concessionnaires selon le cas. Le distributeur doit donc garder sa liberté dans la fixation du prix du produit même s’il fait partie d’un réseau de distribution exclusive[56].

Il faut toutefois préciser que le prix conseillé n’est pas interdit mais rejoindrait la qualification de prix imposé si le conseil s’accompagne de moyens de pression[57].

 

[52] Article 4 – 3° du décret de 1970.

[53] Article 7 al 1er du décret de 1970.

[54] Précisons qu’à l’égard du consommateur, la vente subordonnée est plus facile à sanctionner.

[55] C’est le cas du fournisseur qui donnait à ses ristournes un caractère conditionnel, empêchant dès lors l’acheteur de baisser ses prix, puisqu’il aurait pu être condamné pour vente à perte

[56] Article 4 – 2° décret de 1970

[57] Comme par exemple la menace de rupture du contrat de distribution.