Prescription de l’action publique et autres causes d’extinction

La prescription de l’action publique et autres causes d’extinction

Pour mettre en mouvement des poursuites, il faut que l’action publique existe. On s’interroge donc sur les causes d’extinction de l’action publique. À partir de quand l’action publique prend naissance ? Si on la définit comme le pouvoir de s’adresser à une juridiction répressive pour qu’elle se prononce sur la pertinence de la présomption d’innocence, cette possibilité apparaît dès qu’une infraction est commise. Cette action publique est menacée de toutes parts car on a plusieurs causes d’extinction de l’action publique, la plupart étant visées par l’article 6 du Code de Procédure Pénale.

Chapitre 1. Présentation générale des causes d’extinction de l’action publique

En raison de l’autonomie en principe de l’action civile et de l’action publique, les causes d’extinction de l’action publique devraient être des causes qui lui sont propres. En dépit de cela, il arrive que l’extinction de l’action publique s’explique par une extinction préalable de l’action civile.

Section 1 : L’extinction de l’action publique consécutive à l’extinction de l’action civile

C’est une situation exceptionnelle car les deux actions sont en principe autonomes l’une envers l’autre. On s’attendrait de plus à ce que l’action civile soit dépendante de l’action publique. Le mécanisme de la dépendance fonctionne pourtant dans le sens inverse. Dans quelques cas qui ne sont pas nombreux, cela arrive. Il arrive que, même si cela est rare, une infraction ne peut être poursuivie qu’à la condition que la victime ait au préalable porté plainte. Cela est pourtant indifférent en principe.

Lorsque le ministère public ne peut poursuivre une infraction que par plainte de la victime, l’article 6 du Code de Procédure Pénale précise quesi la victime retire sa plainte, cela retire l’actionpublique. Cela ne joue qu’en présence d’infractions particulières comme en matière d’atteinte à la vie privée (car c’est de la vie privée de la victime dont il est question), de diffamation ou d’injures.

On a une deuxième atténuation, relative à la citation directe. Si la partie civile ne se présente pas à l’audience, elle est présumée se désister de son action civile, ce qui amène au fait que l’action publique n’est pas déclenchée sauf si le ministère public la déclenche.

En dehors de ces hypothèses, la disparition de l’action civile n’a aucune conséquence

Section 2 : Les causes d’extinction de l’action publique

L’article 6 vise un grand nombre d’hypothèses dans lesquelles l’action publique est éteinte.On a les situations où l’extinction se fait pour des raisons de fond et pour des raisons procédurales.

  • 1. L’extinction de l’action publique pour des raisons de fond

On étudie deux cas particuliers : l’amnistie réelle et l’amnistie personnelle . L’amnistie réelle efface le caractère délictueux de l’acte avec un aspect plus ou moins fictif de cet effacement. À partir du moment où l’acte est censé n’avoir jamais été délictueux, il ne peut pas faire l’objet de poursuites. L’amnistie réelle éteint donc l’action publique.

On peut faire un parallèle entre cette amnistie réelle et l’abrogation de la loi pénale. C’est l’hypothèse dans laquelle le législateur vient dire qu’un comportement incriminé ne l’est plus. P.ex, en 1975, le législateur décide que l’adultère n’est plus une faute pénale mais civile. Ces faits qui étaient incriminés sous la loi ancienne ne sont plus d’action publique. Le fond n’est plus délictueux.

  • 2. L’extinction de l’action publique pour des raisons procédurales

Il est difficile ici de procéder autrement que par une énumération de certaines causes d’extinction qui tiennent à la procédure.

Il faut d’abord évoquer l’hypothèse de la « transaction sur l’action publique ». Cette transaction est reconnue à certaines administrations qui peuvent être des autorités de poursuites pour la défense des intérêts particuliers dont elles ont la charge, comme l’administration douanière, fiscale etc. De la même manière qu’elles ont parfois le pouvoir de déclencher l’action publique pour des infractions particulières, en concurrence au ministère public, il est reconnu à ces administrations le pouvoir de transiger sur l’action publique.

Une transaction est un accord fait de concessions réciproques. La transaction repose sur un aveu de culpabilité. En échange de cet aveu, l’administration propose l’exécution d’une obligation – souvent le versement d’une somme – qui pourra éteindre l’action publique. C’est le mécanisme de la transaction sur l’action publique, mécanisme longtemps exceptionnel mais qui tend à se multiplier actuellement, car on y voit une manière de désengorger les juridictions répressives. Si bien que ce pouvoir qui était réservé à quelques administrations tend à se reprendre, p.ex transféré au maire pour certaines infractions, à la HALDE en matière de discrimination entre autres.

On a un autre mécanisme, qui est la cure de désintoxication en matière de toxicomanie. Si le délinquant, qui est surtout un malade, accepte de se soumettre à une « injonction thérapeutique », l’action publique n’est pas exercée.

On trouve encore une autre hypothèse qui est le versement d’une amende forfaitaire. Cela concerne essentiellement les contraventions ou du moins certaines d’entre elles. On a la possibilité, lorsque l’on constate la commission d’une contravention, de verser à l’agent verbalisateur, une amende forfaitaire qui éteint l’action publique.

On a aussi le cas du décès du délinquant, qui éteint l’action publique . On ne va pas poursuivre le délinquant par-delà la mort. Pour les personnes morales, on a l’extinction de l’action publique contre une personne morale dissoute.

Lorsqu’une décision est rendue sur l’action publique et qu’elle devient définitive, car on a laissé expirer les délais de recours, cette action publique est éteinte. La chose jugée est donc une cause d’extinction de l’action publique.

Chapitre 2. La prescription de l’action publique

Le mécanisme de la prescription est un mécanisme général que l’on retrouve dans toutes les matières juridiques. C’est un mécanisme qui a deux aspects : l’écoulement du temps qui fait acquérir un droit que l’on n’avait pas (prescription acquisitive) ou qui fait perdre un droit (prescription extinctive ). La prescription de l’action publique est évidemment une prescription extinctive.

C’est l’idée que, une infraction ayant été commise, l’action publique naît mais que l’on a un certain délai pour l’exercer au -delà duquel l’action est prescrite et donc éteinte. On peut trouver des fondements à cette règle, qui sont plus ou moins convaincants. C’est la raison pour laquelle cette règle est souvent inconnue des droits étrangers comme le Common Law.

C’est une règle que la jurisprudence considère comme d’ordre public, règle au respect de laquelle le juge doit veiller. L’effet de cette règle est donc radical et il est donc important de connaître les conditions de cette prescription. S’agissant des infractions qui se prescrivent, le principe est que toutes relèvent de ce mécanisme, sauf exception, comme les crimes contre l’humanité. Cette exception mise à part, cette règle est de portée générale.

La vraie question est donc de savoir comment ces règles se prescrivent.

Section 1 : Le point de départ du délai de prescription

S’agissant du point de départ, la règle est simple : la prescription court du jour où l’infraction a été commise ou du jour où elle a été tentée. Cela est la règle de principe à laquelle on trouve des exceptions :

  • S’agissant d’une infraction commise à l’encontre d’un mineur, le point de départ est reporté au jour de sa majorité, l’idée étant que durant sa minorité, il y a des risques qu’il ne réagisse pas aux infractions dont il est victime.

  • Il arrive parfois que, pour une même infraction, le point de départ de la prescription soit variable. C’est le cas en matière de banqueroute. Si on laisse de côté ces curiosités, on retient néanmoins la règle générale.

Ce point de départ va être commun à tous ceux qui ont participé à l’infraction, en quelque qualité que ce soit : auteur, coauteur, complice. Cela se fait en dépit du fait que le complice ait été associé à l’acte principal avant la commission de l’infraction. La question devient alors essentiellement une question de droit pénal. Quel est alors le jour de la commission de l’infraction ? La réponse va varier selon le fait que l’infraction est instantanée ou continue. Le point de départ pour le recel, par exemple, est le jour où ce recel va cesser. On est donc renvoyé à des analyses de droit pénal.

Il ne suffit pas d’avoir déterminé le point de départ du délai de prescription, il faut en outre s’interroger sur ce que va être l’écoulement de ce délai.

Section 2 : L’écoulement du délai de prescription

L’écoulement du délai soulève deux questions différentes : sa durée mais aussi son cours. Ce cours du délai peut en effet être interrompu ou suspendu.

  • 1. La durée du délai

En ce qui concerne la durée du délai, c’est une des illustrations de l’intérêt de la classification des infractions. En matière de crime, la durée est de 10 ans, alors qu’elle est de 3 ans en matière de délit et de 1 an pour une contravention.

Ce sont les délais de droit commun, qui peuvent être modifiés. Dans le sens del’allongement, il arrive que pour certaines formes de criminalité, la durée du délai soit allongée. C’est ainsi qu’en matière de stupéfiants et s’agissant des délits, la durée du délai de l’action publique est de 20 ans . S’agissant des crimes en cette matière, la durée de prescription est de 30 ans. Cela est équivalent en matière de terrorisme.

Parfois, les délais sont plus courts. En matière électorale, on a 6 mois après l’ouvrage des urnes, pour saisir la juridiction. En matière de presse, le délit est de 3 mois.

  • 2. Le cours du délai

Ce délai de prescription peut être, pour certaines raisons, interrompu ou suspendu. Lorsqu’un délai est interrompu, sa durée n’est pas remise en cause. Dans les faits, l’interruption va amener à allonger cette durée. Il est donc important de connaître les causes d’interruption et de suspension du délai.

  1. L’interruption du délai
  • Les conditions de l’interruption

En toute matière, le cours du délai de prescription peut être interrompu, selon l’article 7 du Code de Procédure Pénale,par tout acte régulier de poursuites ou d’instruction. « Régulier » signifiequ’un acte de poursuite et d’instruction nul ne peut engendrer cette interruption, car ce qui est nul n’a pas d’effet.

Qu’entend-on par acte de poursuite ou d’instruction ? Cette expression est utilisée sans être définie par le Code de Procédure Pénale. La jurisprudence a alors tenté de la définir. La jurisprudence considère que les actes de poursuite sont les actes qui tendent à la mise en mouvement de l’action publique et à son exercice et qui traduisent la volonté de poursuivre son auteur. Une citation directe est donc un acte de poursuite.

Quant aux actes d’instruction, la jurisprudence admet que ce sont des actes qui visent à constater une infraction et à en définir les auteurs. Cet acte est interruptif de la prescription, et regroupe les actes de l’instruction, mais aussi les actes policiers accomplis au cours d’enquête de police.

En réalité, au fil des années, la jurisprudence n’a même plus pris la peine de distinguer entre la catégorie des actes de poursuite et celle des actes d’instruction. Aujourd’hui, il arrive de dire d’un acte donné qu’il appartient à la catégorie des « actes de poursuite et d’instruction ».

Ce qui est important dans cette définition, c’est le fait que la jurisprudence, pour savoir si un acte est interruptif, ne raisonne pas sur la nature mais sur la finalité de l’acte, puisque c’est un acte qui manifeste la volonté de poursuivre, ou qui vise à découvrir une infraction et à en identifier les auteurs. C’est un critère finaliste qui a pour conséquence que la jurisprudence considère comme interruptifs tous les actes qui manifestent la volonté de leur auteur, de poursuivre.

Le législateur, dans certains cas, considère que des actes sont interruptifs de la prescription alors qu’ils ne correspondent pas à des actes montrant une volonté de poursuivre. Cela se rapporte à des actes qui manifestent la volonté de ne pas poursuivre. Cela est le cas de la composition pénale qui ne donne pas lieu à des poursuites, mais qui permet d’interrompre la prescription. De même, s’agissant des mesures de transaction sur l’action publique, le législateur considère souvent qu’elles interrompent la prescription de l’action publique.

La politique de la jurisprudence est opportuniste. Les juges sont hostiles à l’extinction de l’action publique. On a donc accepté, pour interrompre de délai, les actes de police.

Dans d’autres hypothèses, on a donc un critère organique : puisqu’un acte émane d’un organe, il est interruptif de la prescription quelle que soit sa finalité. On a donc une contradiction au sein de la jurisprudence. Ainsi, toutes les décisions rendues par un juge sont interruptifs de la prescription de l’action publique. Cela concerne donc par exemple toutes les ordonnances d’un juge d’instruction, et même une ordonnance de non-lieu, alors qu’elle manifeste la volonté de ne pas rechercher la responsabilité pénale de la personne.

Il est d’autant plus important d’illustrer ces exemples : la jurisprudence va considérer que tous les PV dressés par la police judiciaire au cours des enquêtes de police, sont des actes interruptifs de la prescription. Quand elle prenait encore le soin de distinguer entre les actes de poursuite et d’instruction, elle considérait qu’ils étaient des actes d’instruction.

Elle considère les PV de certaines administrations les actes émanant des douanes comme interruptifs. De même, l’est aussi un réquisitoire du parquet. Supposons un réquisitoire de refus d’informer : c’est interruptif de la prescription. Cela concerne aussi la délivrance d’une commission rogatoire par le juge d’instruction. On trouve aussi toutes les ordonnances du juge d’instruction, tous les jugements, tous les arrêts. Tous ces actes sont interruptifs de la prescription, quelle qu’en soit la finalité. L’exercice des voies de recours est aussi interruptif, même si ce recours est intenté par le mis en examen, l’accusé ou le prévenu. Cette solution est pourtant scandaleuse.

Parfois, cet effet interruptif est conditionnel. Lorsqu’une victime porte plainte avec constitution de partie civile, on peut lui demander de consigner une somme. Avec ce mécanisme de constitution de partie civile, la jurisprudence est arrivée à l’effet interruptif suivant : la plainte avec constitution de partie civile interrompt la prescription au jour de son dépôt uniquement si la somme est consignée.

On trouve des actes n’étant pas interruptifs, comme une dénonciation faite par un tiers car elle ne révèle aucune volonté de poursuivre. C’est un acte neutre. Même chose pour la plainte de la partie civile, qui n’est qu’une forme de dénonciation. On ne fait qu’informer le parquet. C’est la différence entre la plainte et la plainte avec constitution de partie civile, qui interrompt. Les opérations d’expertise ne sont pas non plus interruptives de l’action publique. En revanche, l’acte par lequel le juge demande un expert l’est. On distingue aussi la demande de transmission d’un dossier au procureur, y compris lorsque c’est pour que le parquet poursuive, n’est pas interruptive de l’action publique.

2) Les effets de l’interruption

L’interruption de la prescription signifie que la cause de l’interruption annule le temps qui s’était écoulé et que le délai va reprendre à zéro. Supposons ainsi que nous soyons en matière de délit, deux ans depuis le délit : dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, le délai reprend. C’est un effet radical, et on comprend mieux l’hostilité de la jurisprudence à l’égard de la suppression de l’action publique, et donc de l’accroissement des actes interruptifs.

Là aussi, la jurisprudence est zélée. Elle a résolu toutes les difficultés dans le sens d’un accroissement de la répression. Si le délai n’était pas de droit commun mais plus court, le délai qui repart est-il celui plus court ou repart-on à partir du délai de droit commun ? On repart pour le délai de droit commun selon la jurisprudence . Elle ne s’écarte de cette solution que quand la loi l’en empêche, comme pour la presse, selon la loi de 1880.

Peut-on interrompre plusieurs fois le même délai ? Oui, et indéfiniment selon la jurisprudence. Cela signifie que, dans les faits et non en droit, on trouve le moyen de rendre toutes les infractions imprescriptibles, il suffit d’avoir un échéancier bien tenu.

L’effet interruptif vaut aussi pour tous les protagonistes de l’infraction. Cela vaut donc pour les auteurs, les coauteurs et les complices. Pour autant, cela vaut-il pour les complices même non identifiés dès le départ ? Oui, ils sont aussi concernés. Cela ne vaut d’ailleurs pas seulement pour l’infraction envisagée, mais aussi pour les infractions connexes ou indivisibles. Cette jurisprudence est donc dans un sens répressif.

  1. La suspension de la prescription

La suspension est envisagée de manière sporadique par l’article 6 du Code de Procédure Pénale. Il arrive que certains textes prévoient que, dans certaines hypothèses, le cours de l’action publique sera suspendu. Le cours de la prescription de l’action publique contre le président de la république vis-à-vis d’infractions commises au court de son mandat sera suspendu pendant tout son mandat.

En matière de délit, lorsqu’une victime porte plainte, elle ne peut plus se constituer immédiatement partie civile. Elle doit décomposer son initiative en deux étapes : elle porte plainte ; sa plainte est transmise au procureur de la République. La partie civile doit alors attendre de connaître la position du ministère public. Il pourra alors faire savoir qu’il ne déclenchera pas l’action publique. À ce moment là seulement, la victime peut se constituer partie civile. Si le procureur ne répond pas, la victime doit patienter trois mois avant de pouvoir se constituer partie civile. Pendant ce délai qui sépare la plainte de la partie civile et le comportement du ministère public (= déclenchement ou refus de déclencher), la prescription de l’action publique est suspendue.

La jurisprudence, sur le fondement de ces textes épars traitant de cas particuliers, s’est autorisée à généraliser le mécanisme de la suspension, et à considéré qu’elle pouvait généraliser les cas de suspension de l’action publique aux cas non prévus par les textes car le commun dénominateur des causes d’extinction est qu’il y avait toujours un obstacle aux poursuites.

Chaque fois que l’on soumet à la jurisprudence une situation dans laquelle une personne est empêchée de déclencher les poursuites, elle dit qu’il y a suspension de la prescription de l’action publique. Cela peut être un obstacle de droit ou de fait.

Par exemple, suite à un pourvoi, on attend que la Cour de cassation statue sur ce pourvoi. La procédure est longue, et la Cour a considéré qu’il y avait, dans l’attente de la décision à venir, un obstacle à l’action de la partie demanderesse. Il y a donc suspension de la prescription de l’action publique. Cela peut être un obstacle de fait, comme une catastrophe naturelle. On a pu considérer qu’il y avait suspension de la prescription le temps de retrouver un dossier perdu.

La suspension arrête le cours de la prescription aussi longtemps que l’obstacle persiste. Lorsque l’obstacle disparaît, le délai repart de là où il avait été interrompu.