Les présomptions et preuves en matière de filiation

Les dispositions générales sur la filiation

La filiation est le lien juridique qui unit un enfant à ses parents, établissant des droits et des obligations réciproques. La filiation repose sur un cadre juridique équilibré entre présomptions légales et preuves scientifiques. La maternité, prouvée par l’accouchement, est une certitude, mais la paternité nécessite des moyens complémentaires.

  • Les présomptions légales, comme celles relatives à la conception (300ᵉ au 180ᵉ jour avant la naissance) et la possession d’état (tractatus, fama, nomen), facilitent l’établissement du lien de filiation en l’absence de preuves directes.
  • Avec l’avènement des empreintes génétiques, la preuve judiciaire de filiation est devenue quasi certaine, bien que l’expertise biologique reste strictement encadrée par le principe d’inviolabilité du corps humain. Les actes de naissance et la reconnaissance volontaire demeurent des preuves essentielles, renforçant la sécurité juridique des liens familiaux. La jurisprudence et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) soutiennent l’accès à ces moyens modernes pour protéger les droits de l’enfant à connaître ses origines tout en préservant la stabilité des relations familiales. Ces mécanismes combinent avancées scientifiques et tradition juridique pour un droit de filiation équitable.

 

Section 1 : Les présomptions relatives à la filiation

En matière de filiation, la maternité se prouve directement par l’accouchement, mais la paternité est plus complexe à établir. Le droit a mis en place des présomptions, outils techniques permettant de faciliter la preuve en l’absence de certitude directe. Bien que les progrès scientifiques, tels que les tests ADN, rendent possible une preuve certaine de la paternité, la loi continue de privilégier des moyens indirects, tels que les présomptions et la possession d’état.

Ces deux grandes catégories de présomptions incluent celles relatives à la conception, qui pallient les impossibilités pratiques, et celles fondées sur la possession d’état, qui établissent une filiation par l’apparence et les comportements. Ces mécanismes juridiques garantissent un équilibre entre les avancées scientifiques et la stabilité des relations familiales, tout en protégeant les droits des enfants. La loi valorise ainsi la recherche de vérité biologique sans négliger l’importance des liens sociaux et familiaux.

I) Les présomptions relatives à la conception

Lorsque la date de conception est essentielle pour établir la filiation, le Code civil pose deux présomptions :

1. La période légale de conception (article 311, alinéa 1)

  • La loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du 300ᵉ au 180ᵉ jour inclusivement avant la date de naissance.
  • Cette présomption repose sur la durée normale d’une grossesse.
  • Réfragabilité :
    • La présomption peut être contestée par une preuve contraire (par exemple, une preuve d’impossibilité physique de relations intimes).

2. La date précise de conception (article 311, alinéa 2)

  • La loi présume que la conception a eu lieu à un moment quelconque pendant cette période, en fonction de l’intérêt de l’enfant.
  • Cette souplesse permet d’ajuster la présomption à des situations spécifiques.
  • Réfragabilité :
    • Cette présomption peut également être renversée par des preuves contraires.

3. Limitation des présomptions

  • Bien que les présomptions soient réfragables, elles restent un outil utile pour pallier les incertitudes en matière de filiation, notamment en l’absence de preuves directes ou biologiques.

II) La possession d’état

La possession d’état est une situation apparente dans laquelle une personne se comporte comme ayant un état (par exemple, celui d’un enfant ou d’un parent) et est considérée par son entourage comme l’ayant, même si ce lien n’est pas juridiquement établi.

Elle repose sur la réunion suffisante de faits et gestes indiquant un rapport de filiation ou de parenté, conférant ainsi une apparence de filiation. La possession d’état constitue une présomption légale relative à la filiation, déduite d’une situation visible et cohérente.

A) Éléments constitutifs

L’article 311-1 du Code civil définit la possession d’état comme la réunion de faits suffisants révélant le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.
Ces faits sont regroupés en trois notions principales : tractatus, fama, nomen, issues du droit canonique.

1. Tractatus : la conduite parentale et filiale

Le tractatus (traitement mutuel) désigne le comportement des parties, c’est-à-dire :

  • Parents apparents : Ils se comportent comme les parents de l’enfant, en :
    • Prenant en charge son éducation ;
    • Veillant à son entretien ;
    • L’aidant à s’installer dans la vie.
  • Enfant : Il se comporte comme l’enfant des parents, en les considérant comme tels.

L’article 311-1 en donne une définition détaillée :

  1. L’enfant est traité par ses parents apparents comme leur enfant, et il les traite comme ses parents.
  2. Les parents ont pourvu à son éducation, entretien et installation.
2. Fama : la reconnaissance sociale

La fama correspond à l’image sociale de la filiation, résultant de la reconnaissance par l’entourage, la famille et l’autorité publique.

  • Cercles sociaux impliqués :
    • Famille : Les proches reconnaissent l’enfant comme membre de la famille.
    • Société : La relation parent-enfant est visible et acceptée dans la communauté.
    • Autorité publique : L’État reconnaît l’enfant comme appartenant à une famille, par des actes officiels ou d’autres manifestations publiques.
3. Nomen : le port du nom familial

Le nomen est le fait que l’enfant porte le nom des parents ou de la famille à laquelle il est rattaché.

  • Cette notion a perdu de son importance et arrive aujourd’hui en dernier, car :
    • Le nomen seul ne suffit plus à établir la possession d’état.
    • La souplesse des règles modernes sur les noms ne reflète plus systématiquement un lien de filiation.

 

B) La réunion suffisante de faits

L’article 308 du Code civil précise que la possession d’état repose sur un faisceau d’indices :

  • Évaluation globale : Il suffit qu’un nombre suffisant de faits convergent pour établir une possession d’état probante.
  • Contrôle de la Cour de cassation :
    • La Cour exerce une vigilance stricte sur les juges du fond.
    • Elle censure les décisions ne s’appuyant pas sur une réunion d’éléments probants, tels que ceux énumérés dans l’article 311-1.

C) Les qualités de la possession d’état

Conformément à l’article 311-2 du Code civil, la possession d’état doit remplir quatre qualités essentielles : continue, paisible, publique et non équivoque. Ces qualités garantissent la solidité et la crédibilité de la possession d’état en tant que preuve de filiation.

1. La possession d’état continue

La continuité de la possession d’état implique :

  • Une certaine durée :

    • Des comportements isolés ou passagers ne suffisent pas à établir une possession d’état.
    • Elle peut exister dès la naissance de l’enfant, voire pendant la grossesse de la mère.
  • Indépendance de la communauté de vie :

    • La communauté de vie entre l’enfant et les parents est un support naturel de la possession d’état, mais elle n’est pas indispensable.
    • Exemples :
      • Un enfant placé chez un autre parent peut toujours bénéficier d’une possession d’état envers son parent biologique s’il entretient des relations suivies avec celui-ci.
      • Une femme enceinte peut manifester des comportements révélant une possession d’état par anticipation (pendant la grossesse).
  • Conflits de possession d’état :

    • Si deux possessions d’état entrent en conflit, la possession actuelle a souvent la priorité.
    • Toutefois, si la possession actuelle résulte d’une fraude ou de la violence, l’ancienne possession d’état peut reprendre sa place.
2. Une possession d’état paisible, publique et non équivoque
  • Paisible :

    • La possession d’état doit être exempte de vices : elle ne peut découler d’une situation obtenue par fraude, violence ou contrainte.
    • Exemples de vices :
      • Violence pour obtenir la garde de l’enfant.
      • Fraude visant à contourner les règles de filiation.
  • Publique :

    • La possession d’état doit être notoire et connue de tous.
    • Cet aspect public, souvent désigné sous le terme de fama, signifie que l’entourage et la société reconnaissent le lien entre l’enfant et ses parents.
  • Non équivoque :

    • La situation ne doit laisser place à aucune ambiguïté.
    • Exemples de situations équivoques :
      • Un enfant ayant une double possession d’état (reconnu comme enfant par deux hommes différents).
      • Un parent prétendu qui ignore l’existence de l’enfant.

D) Preuve de la Possession d’état

  • Établissement hors litige :

    • En l’absence de conflit, la possession d’état peut être prouvée par un acte de notoriété, délivré par un juge d’instance.
    • L’acte de notoriété constitue une preuve formelle jusqu’à preuve contraire.
  • Contestation de l’acte de notoriété :

    • L’article 335 du Code civil permet à toute personne ayant un intérêt légitime de contester la filiation établie par possession d’état.
    • Le délai pour contester l’acte est de 10 ans à compter de sa délivrance.

E) Rôle de la Possession d’état

La possession d’état remplit une fonction probatoire essentielle :

  • Elle constitue une présomption de filiation.
  • Celui qui bénéficie d’une possession d’état n’a pas besoin de recourir à une action judiciaire pour établir son lien de filiation.
  • Cette présomption simplifie l’établissement de la filiation et renforce la stabilité juridique des relations familiales.

Résumé : Grâce à la réunion de comportements, de reconnaissance sociale et de l’usage du nom familial, elle crée une présomption légale puissante, mais réfragable. Son rôle est essentiel pour établir une filiation conforme à la réalité socio-affective, même en l’absence de preuves biologiques. La Cour de cassation veille à son application rigoureuse pour garantir sa fiabilité juridique.

Section 2 : Les preuves de la filiation

A) Preuve préconstituée : Le titre

Le titre est une preuve formelle et préconstituée de la filiation, consistant en un acte authentique établi par un officier public ou une autorité compétente. Il peut s’agir de l’acte de naissance ou d’un acte de reconnaissance.

1. L’acte de naissance

L’acte de naissance constitue une preuve essentielle de la filiation. Il peut établir à la fois la maternité et, dans certaines conditions, la paternité.

a) Acte de naissance et preuve de la maternité

La preuve de la maternité repose sur deux éléments :

  1. L’accouchement : La mère doit être identifiée comme celle qui a mis l’enfant au monde.
  2. L’identité de l’enfant : La personne doit être prouvée comme étant celle dont la naissance est rapportée dans l’acte.

Caractéristiques de l’acte de naissance concernant la maternité :

  • Nom de la mère :
    • Si le nom de la mère figure dans l’acte de naissance, il constitue une preuve de l’accouchement à la date mentionnée.
    • Cependant, cette preuve n’est pas irréfragable, car l’officier d’état civil n’a pas personnellement constaté l’accouchement.
  • Supposition d’enfant :
    • La fraude consistant à attribuer la maternité à une femme qui n’a pas accouché est possible. Elle peut être contestée par une action en justice.
  • Difficultés liées à l’identité :
    • L’acte de naissance ne prouve pas automatiquement que l’enfant revendiquant cet état est bien celui dont la naissance est rapportée. En cas de contestation, des témoignages ou autres preuves peuvent être requis.

Évolution législative :

  • Avant l’ordonnance de 2005, une distinction existait entre filiation en mariage et hors mariage.
    • En mariage : L’acte de naissance suffisait à établir la maternité.
    • Hors mariage : Une démarche particulière ou la possession d’état (PE) était nécessaire.
  • L’article 311-5 du Code civil, issu de l’ordonnance de 2005, unifie ces situations :
    • Désormais, la filiation maternelle est établie par la désignation de la mère dans l’acte de naissance, quelle que soit la situation matrimoniale.
b) Acte de naissance et preuve de la paternité

La paternité est plus complexe à établir à partir de l’acte de naissance.

Cas des parents mariés :

  • Si l’enfant est né de parents mariés, la présomption de paternité (« pater is est« ) s’applique automatiquement (article 312 du Code civil) :
    • Le mari de la mère est présumé être le père, ce qui établit la filiation paternelle.
  • Exception : Si le nom du mari n’apparaît pas dans l’acte de naissance ou si la présomption de paternité est écartée, l’enfant est privé de possession d’état (PE) à l’égard du mari. La filiation devra être établie par une autre voie (ex. : reconnaissance ou action en justice).

Cas des parents non mariés :

  • L’acte de naissance ne constitue pas une preuve suffisante de la paternité.
  • Si le nom du père prétendu est mentionné, cela constitue uniquement un indice qui pourra être utilisé dans une action judiciaire.
  • Pour les enfants nés hors mariage, le titre de paternité est principalement la reconnaissance.

2. La reconnaissance

a) Définition et nature

La reconnaissance est un acte volontaire par lequel un homme ou une femme déclare être le parent biologique d’un enfant. Elle constitue un titre de filiation lorsque :

  • Elle est réalisée par acte authentique (état civil, acte notarié, ou aveu judiciaire).
  • Elle est inscrite dans les registres de l’état civil.
b) Modalités de la reconnaissance
  1. Reconnaissance prénatale : Elle peut être effectuée avant la naissance de l’enfant. Elle est particulièrement utile dans les cas de couples non mariés.

  2. Reconnaissance postnatale : Elle peut intervenir à tout moment après la naissance, tant que la filiation n’est pas déjà établie à l’égard d’un tiers.

  3. Aveu judiciaire : Lors d’une procédure, un parent peut reconnaître sa paternité ou maternité devant le juge.

c) Effets juridiques
  • La reconnaissance crée un lien de filiation, même en l’absence de lien biologique.
  • Elle est difficilement contestable, sauf en cas de fraude ou de reconnaissance de complaisance.

En résumé, le titre de filiation, qu’il s’agisse de l’acte de naissance ou de la reconnaissance, constitue une preuve essentielle en matière de filiation. L’acte de naissance établit la maternité de manière quasi automatique, tandis que la reconnaissance est le principal outil pour établir la paternité en dehors du mariage. Ces mécanismes garantissent la sécurité juridique et protègent les droits de l’enfant tout en respectant les évolutions sociales et législatives.

 

B) La preuve judiciaire de la filiation

1. Évolution historique

a) Situation initiale : incertitudes et méfiances
  • Dans le passé, il était impossible d’avoir une certitude scientifique quant à la paternité.
  • Le droit s’appuyait sur des indices circonstanciels pour établir la filiation, mais cette méthode manquait de précision.
  • Craintes associées aux procès en filiation :
    • Peur des scandales familiaux.
    • Souci de protéger la stabilité des familles.
    • En conséquence, le Code civil originel ne prévoyait pas d’actions en recherche de paternité naturelle.
b) L’avènement des preuves scientifiques
  • Les premières avancées scientifiques se fondaient sur l’examen comparé des sangs.
    • Cet examen ne pouvait pas établir une paternité, mais il permettait d’écarter un lien de filiation en cas d’incompatibilité sanguine.
    • La jurisprudence avait reconnu très tôt que cette incompatibilité constituait une preuve certaine de l’absence de lien de filiation.
  • Avec les progrès de la génétique, les tests d’empreintes génétiques ont progressivement remplacé les analyses sanguines, permettant d’établir avec une quasi-certitude la paternité biologique.

2. Cadre juridique actuel

a) Identification génétique : article 16-11 du Code civil

  • L’identification d’une personne par ses empreintes génétiques est strictement encadrée :
    1. Elle ne peut être réalisée que dans le cadre d’une mesure d’enquête ou d’instruction ordonnée lors d’une procédure judiciaire.
    2. Une expertise génétique doit être autorisée par un juge et ne peut être effectuée à des fins personnelles.

b) Principe d’inviolabilité du corps humain

  • La prise de sang ou le prélèvement de tissus nécessaires pour l’expertise biologique ne peuvent être imposés à une personne, conformément au principe de l’inviolabilité du corps humain (article 16-11 du Code civil).

c) Refus de se soumettre à une expertise biologique

  • Un refus n’est pas illégal, mais il peut avoir des conséquences judiciaires :
    • Le tribunal peut considérer ce refus comme un indice défavorable, suggérant que la personne tente de dissimuler sa paternité.
    • Ainsi, le juge peut fonder sa décision sur les autres éléments de preuve présents au dossier.

d) Expertise post mortem

  • L’article 16-11 alinéa 2 prévoit qu’une identification génétique après le décès de l’intéressé est en principe interdite, sauf si celui-ci a donné son consentement de son vivant.

3. Jurisprudence et pratique judiciaire

a) L’expertise biologique est de droit

  • La jurisprudence reconnaît que l’expertise biologique est un droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder (arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, 28 mars 2000).

b) Définition des motifs légitimes

  • La Cour de cassation a progressivement réduit l’interprétation des motifs légitimes, favorisant l’utilisation des expertises biologiques :
    • Motifs acceptés :
      • Impossibilité physique ou matérielle de réaliser l’expertise.
      • Refus fondé sur des circonstances exceptionnelles (par exemple, pour des raisons éthiques ou religieuses).
    • Motifs refusés :
      • Simple respect du principe d’inviolabilité du corps humain, s’il n’est pas justifié par des circonstances spécifiques.
      • Présence d’une possession d’état conforme au titre de naissance.
      • Conflits d’intérêts financiers sans lien direct avec la filiation.

c) Influence de la CEDH

  • La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) joue un rôle majeur dans l’évolution des pratiques :
    • Article 8 de la CEDH : Proclame le droit de chacun à une vie familiale, qui inclut le droit de connaître ses origines.
    • La CEDH encourage les juridictions nationales, dont la Cour de cassation française, à élargir les possibilités de recours à l’expertise biologique pour garantir ce droit.

4. Conséquences de l’évolution

  • Certitude scientifique accrue :
    • L’empreinte génétique permet désormais de confirmer ou d’infirmer un lien de filiation avec une quasi-certitude.
  • Réduction des litiges et incertitudes :
    • L’expertise génétique apporte une solution définitive dans la plupart des affaires de filiation.
  • Respect des droits fondamentaux :
    • L’encadrement légal garantit un équilibre entre la recherche de la vérité et le respect de l’intégrité physique des individus.

En résumé, la preuve judiciaire de la filiation repose aujourd’hui sur des bases scientifiques solides, principalement les empreintes génétiques. Encadrées par l’article 16-11 du Code civil, ces expertises s’inscrivent dans une évolution favorisant la certitude biologique tout en respectant les principes d’inviolabilité du corps humain et les droits fondamentaux de la personne. La jurisprudence et la CEDH jouent un rôle crucial dans l’interprétation de ces règles, renforçant le droit à connaître ses origines et à établir un lien familial véridique.

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