La prévention des difficultés de l’entreprise en droit marocain

La prévention des difficultés de l’entreprise en droit marocain

Les procédés préventifs visent à permettre la détection des difficultés de l’entreprise et leur traitement avant leur aggravation afin de donner toute leur chance aux efforts de sortie de crise. Ils reposent sur un dépistage précoce des problèmes qui perturbent ou risque de perturber la continuité de l’exploitation de l’entreprise. Ils concrétisent une vision proactive du droit commercial teinté par le pragmatisme économique puisqu’il s’agit d’intervenir avant même la cessation de paiement, c’est à dire avant que les créanciers ne soient confrontés à l’insolvabilité de leurs débiteurs.

L’amélioration significative et constante du droit d’information au sein de l’entreprise marocaine, grâce à la réforme comptable et l’aménagement d’un droit à l’information conséquent, confère à la prévention des difficultés, des moyens concrets qui peuvent être efficaces s’ils sont utilisés au bon moment. Il est important de dire à cet égard que la réforme du droit commercial et du droit de sociétés, ont permis d’édifier un véritable droit moderne de l’information dont le but est d’assurer l’efficacité et la coordination de divers circuits d’information existant dans l’entreprise afin de faciliter la détection des difficultés.

Les procédés préventifs se déroulent à travers trois mallions d’une chaine unique. Ils débutent par la prévention interne à travers d’alerte donnée par le commissaire aux comptes aux associés. Ils peuvent débutés par l’intervention du juge commercial, c’est la prévention externe. Enfin, ils ont pour objet d’aménager un accord entre les créanciers et l’entreprise en difficultés (règlement amiable).

Section 1 : la prévention interne

A. Le déclenchement de l’alerte

Le processus de la prévention interne repose sur le mécanisme d’alerte destinée à attirer l’intention des dirigeants sociaux sur la situation préoccupante de l’entreprise. L’objectif dans un premier temps sera de provoquer une discussion interne à l’entreprise, afin de prendre la mesure la plus exacte possible de difficultés rencontrées ou sur le point de survenir et de proposer, à la suite de cette discussion, les solutions les plus appropriés pour les résoudre. L’article 546 du code de commerce précise à cet égard que «le commissaire aux comptes, si l’en existe, ou tout associé dans la société, informe le chef de l’entreprise des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise». Il en résulte que le législateur confère le mécanisme d’alerte à deux acteurs essentiels : le commissaire des comptes et les associés. Le commissaire aux comptes constitue la personne la plus adaptée pour déceler les difficultés, les analyser et projeter leur impact sur l’avenir de la société.

Organe obligatoire dans les sociétés anonymes et dans certaines sociétés commerciales (SCA, SARL réalisant un chiffre d’affaire annuel de plus de 50000 DH HT, le commissaire aux comptes est chargé de s’assurer que les comptes sociaux sont sincères, réguliers et cohérents. Cette mission fondamentale dans le processus de contrôle interne confère au commissaire aux comptes une position essentielle très proche de l’information comptable et financière, elle le place au cœur de la boite noire de l’entreprise. Après le dirigeant de l’entreprise, c’est le commissaire aux comptes qui, en toute logique, est le mieux placé pour avoir connaissance des problèmes qui compromettent, ou risque de compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise. C’est ce qui explique que la loi lui confère non seulement un droit d’alerte, mais un devoir d’alerte. Néanmoins, l’article 166 de la loi 17/95 sur les SA interdit au commissaire aux comptes toute immixtion (ingérence) dans la gestion, c’est à dire que le commissaire aux comptes ne doit pas juger l’opportunité des décisions prises par les dirigeants, ni la qualité globale de sa gestion dans la mesure où le commissaire aux comptes est un contrôleur et non un gestionnaire, ni un conseiller. Il ne doit apprécier, que la régularité et la sincérité des opérations comptables, et se conformer à un devoir de réserve. Il peut tout au plus, donner un avis sur l’organisation de l’entreprise sur le plan de la gestion comptable et financière. Les faits qui justifient une réaction du commissaire doivent être de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise.

La continuité de l’exploitation de l’entreprise est un concept comptable et non juridique qui suscite auprès des auteurs de nombreuses interrogations. Les instances professionnelles (ordre des experts comptables) ont donné des interprétations approfondies à ce concept, en observant des faits qui manifestent le risque pour l’entreprise de ne pas poursuivre son activité. Il peut s’agir :

– Des faits fondés sur la situation financière de l’entreprise, par exemple : une situation nette négative, fond de roulement dégradé, abus de crédits à court terme, situation de rupture de crédit.

– Des événements portant sur la situation patrimoniale de l’entreprise, par exemple : constitution d’hypothèque sur l’ensemble de l’actif de l’entreprise, des ventes d’éléments de l’actif pour financer des crédits de court terme.

– Des faits fondés sur l’exploitation elle-même, exemple : rotation trop long du stock, pénurie de matières premières indispensables, départ des cadres sans remplacement, une sous activité durable de l’entreprise.

– Des événements résultant de l’environnement de l’entreprise, par exemple : perte d’un marché, d’une licence ou brevet, relation défectueuse avec un fournisseur important

– Des faits de nature juridique, par exemple : le report renouvelé d’échéance, non paiement des dettes, difficultés avec l’administration fiscale.

Encore faut-il que ces événements soient de nature suffisamment grave pour affecter la continuité de l’exploitation et que le risque soit susceptible de se réaliser dans un avenir proche et prévisible. Il en résulte que l’appréciation du commissaire aux comptes doit être proactive, c’est à dire qu’il y a anticipation des conséquences d’événements produits, ou se risquant de se produire. Pour autant la réaction du commissaire aux comptes ne doit pas être alarmiste, c’est une nuance importante. Aussi, on estime, qu’un processus d’alerte ne peut se justifier par exemple en cas d’insuffisances, du budget de recherche de développement, ou encore d’une transmission d’entreprise insuffisamment préparée, et ce, à cause de leur caractère trop imposable ou lointain. Le manuel marocain des normes de l’audite comptable aide les commissaires aux comptes en définissant un certains nombres de critères dans ce sens.

Le commissaire aux comptes dispose d’un délai de 8 jours à compter de l’événement justifiant l’alerte. En ce qui concerne les conditions de forme, l’alerte doit être donnée par lettre recommandée avec accusé de réception adressé au dirigeant de l’entreprise, l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour redresser la situation.

B. Les suites de l’alerte

Les suites de l’alerte dépendent de la réaction du dirigeant et des autres organes sociaux. Plusieurs scénarios sont envisageables:

1. Si le chef de l’entreprise arrive à prendre les mesures nécessaires au redressement dans les 15 jours suivant le déclenchement de l’alerte, le processus s’arrête à ce niveau.

2. Si le chef de l’entreprise n’arrive pas à déclencher une sortie de crise, ou ses pouvoirs ne sont pas assez suffisant de le faire, il est tenu de convoquer les organes de l’administration compétents (conseil d’administration, le directoire, les commandités) à fin qu’ils délibèrent et qu’ils puissent adoptés les mesures propres au redressement.

3. Le processus d’alerte peut déboucher sur une troisième phase celle de la délibération de l’assemblé générale des actionnaires, dans l’hypothèse où le conseil d’administration n’arrive pas à mettre en place des solutions de sortie de crise (article 546-al 2). Il faut observer que la loi n’exige pas la convocation d’une assemblée spéciale, il suffira d’intégrer à l’ordre du jour de la plus prochaine assemblée un point relatif aux difficultés constatées. C’est une position critiquable du législateur dont la mesure où il ne permet pas de tenir compte de l’urgence de la situation et de la rapidité de la réaction qu’elle exige.

4. Si l’assemblée d’actionnaires ne réussit pas à prendre une décision permettant le redressement de la situation, ou si les mesures prises sont insuffisantes pour résoudre les difficultés posées de sorte que la continuité de l’exploitation demeure compromise, il y a lieu de passer à la procédure de prévention externe.

Section 2 : la prévention externe

En pratique, l’alerte préventive demeure très souvent d’un effet utopique en raison de l’optimisme exagéré ou de l’acharnement illusoire des dirigeants d’entreprise en une amélioration future. Pour éviter le pire, les articles 548 à 559 du code de commerce organisent une procédure judiciaire de prévention en vue de surmonter la crise par une dissipation de la difficulté ou la réalisation d’un règlement amiable entre l’entreprise et ses partenaires. En sommes la loi organise une prévention judiciairement assistée et un règlement amiable judiciairement homologué.

 

La prévention externe se caractérise également, comme la prévention interne, par sa nature non contentieuse. En effet elle constitue une procédure judiciaire dénuée des pouvoirs contentieux du juge, de dire le droit et de prononcer des sanctions. La loi en attribue la compétence à une autorité publique, le président du tribunal de commerce qui la mènera de manière confidentielle de sorte que le crédit de l’entreprise ne soit pas diminué. Elle relève exclusivement des attributions du président du tribunal de commerce. Ni le tribunal de commerce ni le tribunal de première instance, en tant que juridiction, ne peuvent l’appliquer.

Elle se caractérise ensuite par sa conception nuancée prévoyant d’une part, une variante solennelle de la prévention interne à travers une procédure d’arrangement exercée par un mandataire spécial ou ad hoc, et d’autre part, une procédure légèrement plus complexe tendant à la conclusion d’un règlement amiable. Mais le président saisi demeure libre de donner une suite plus sévère a l’affaire s’il estime que la difficulté est déjà consistante, dépasse la phase de la prévention et nécessite par conséquent un véritable redressement ou même une liquidation judiciaire.

Informé par le commissaire aux comptes ou le dirigeant de l’entreprise, ou lorsqu’il résulte de tout acte ou procédure que l’entreprise connaît des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation, le président convoque le chef d’entreprise pour que soit envisagée les mesures propres à corriger la situation.

Aux termes de l’article 548, l’intervention du président du tribunal de commerce ne se fonde pas, en matière de simple prévention assistée, sur une saisine au sens judiciaire, c’est-à-dire d’acte, de demande ou de requête, permettant au tribunal de connaître d’un différend et de le résoudre par un jugement. Il est simplement informé de l’existence d’une difficulté soit par le commissaire aux comptes, soit par le chef d’entreprise, soit par le fait d’une autre procédure en cours et dont le greffe notamment lui communique un acte ou une information. Le texte ne vise pas les associés et les autres dirigeants en cas de société. Il n’interdit pas cependant d’autres modalités d’intervention du président. En effet à l’occasion de l’examen de tout document notamment au cours d’une procédure quelconque, ou à l’occasion de toute procédure, il peut remarquer la manifestation des difficultés visées. Ces dernières situations peuvent être provoquées par les autres dirigeants, les associés, les salariés et les créanciers.

 

Le président informé par le commissaire aux comptes ou par une autre procédure, convoque alors le chef d’entreprise pour l’amener à trouver une solution. Les dispositions légales élargissent ainsi au maximum les situations permettant l’intervention du président du tribunal. Encore faut-il que le fonctionnement des organes judiciaires et parajudiciaires permette la découverte de ces difficultés et facilités ainsi l’intervention salvatrice de la justice. Dans ce sens, le service du greffe, dépositaire naturel des documents révélateurs des difficultés comptables, des instances en cours ou d’autre situation, est en mesure de les découvrir à temps et d’en référer au président du tribunal.

 

La réunion avec le chef d’entreprise permet au président de s’entretenir avec lui sur les causes, les éléments, l’évolution et le sort probable de la difficulté. Le magistrat peut, nonobstant toute disposition législative contraire, obtenir communication, par le commissaire aux comptes, les administrations, les organismes publics ou le représentant du personnel ou par toute autre personne, des renseignements de toute nature à lui donner une information exacte sur la situation économique et financière du débiteur. L’accès à ces renseignements permet au président de vérifier les dires du débiteur, de les compléter et de les corriger éventuellement, pour acquérir une connaissance aussi parfaite que possible de la situation de l’entreprise et lui donner la solution qui convient. Il procède alors, en fonction de l’importance de la difficulté, soit à la désignation d’un mandataire spécial dans le cadre de la prévention judiciairement assisté dans la mesure où elle présente encore un intérêt, soit au déclenchement du processus de règlement amiable demandé par requête du débiteur ou ordonné directement par le juge. Section -1- Procédure du mandataire spécial. Nous l’appelons procédure de prévention judiciaire assistée pour la distinguer à la fois de la méthode de prévention observée spontanément par l’entreprise au cours de la gestion normale, et de la procédure de prévention par le processus de règlement amiable que nous désignerons par l’expression de prévention par règlement amiable judiciairement homogène.

En pratique, malgré la généralité des termes de la loi, la difficulté traitée par ces procédures revient, dans la grande majorité des cas, a un besoin financier. L’intervention du président du tribunal permet au chef d’entreprise de trouver d’autres financements et de renégocier ses dettes. Elle assurera une assistance précieuse dans ce cadre. Quand la difficulté peut être aplanie grâce à l’aide d’un tiers a même de réduire les oppositions des partenaires habituels de l’entreprise, le Président le désigne comme « mandataire spécial » et détermine librement sa mission et le délai pour l’accomplir, (article 549 du code de commerce). Le texte ne détermine ni la nature ni de la difficulté ni le délai à impartir au mandataire chargé de la résoudre, ni la nature de la mission du mandataire. Cette souplesse s’explique par l’extrême variété des cas d’espèce et la nécessité de laisser au juge la liberté d’apprécier concrètement la mesure à prendre. Le texte se limite à exiger que la solution de ladite difficulté dépende de l’aide, de l’assistance du tiers. Seule l’évolution des faits amènera le président à réviser sa décision dans un délai plus rigoureux. Dans la vie courante, les banques sont plus interpellées par cette procédure que d’autres créanciers. Leur savoir-faire en matière de négociation et d’appréciation des difficultés financières, les prédispose aussi à jouer le rôle de mandataire spécial ou à être son interlocuteur privilégié. Leur contribution s’avère précieuse pour assister le chef d’entreprise a bien définir ses difficultés et à formuler des propositions raisonnables et négociables. L’usage très souvent tardif de cette procédure l’expose couramment a l’échec ou a révéler son inadéquation et ouvre la voie à celle du règlement amiable, plus complexe et plus coûteuse.