Cours de Procédure Pénale

PROCÉDURE PÉNALE

  La procédure pénale est l’ensemble des règles qui organisent le processus de répression d’une infraction. Elle fait le lien entre l’infraction et la peine, par le biais de phases intermédiaires et nécessaires portant sur la constatation des infractions, le rassemblement des preuves, la poursuite des auteurs, et leur jugement par la juridiction compétente.

INTRODUCTION

Chapitre 1. Les sources de la procédure pénale

l s’agit de voir quelles sont les sources historiques de la procédure pénale pour voir quelles sont ses sources formelles actuellement.

 

Section 1 : Sources historiques

 On peut distinguer deux grandes étapes au sein de cette évolution, en commençant par l’époque des origines pour arriver à l’époque contemporaine.

  • 1. Les origines

Si l’on remonte à l’antiquité, on voit une époque où le procès pénal est conçu essentiellement comme l’instrument d’une vengeance privée. Le procès pénal est l’occasion pour la victime de se venger de son agresseur. A cette conception archaïque, s’est progressivement substituée une autre analyse lorsque l’on a compris que l’intérêt général était en cause. Dès lors, ce procès va être différent, notamment avec le droit de déclencher des poursuites à l’encontre de l’auteur de l’infraction qui n’est plus réservé à la victime. Ce droit est accordé à tout citoyen. C’est le système de l’action populaire.

C’est le système connu à l’époque de la république romaine. Tout citoyen pouvait déclencher des poursuites. Par la suite, ce droit de déclencher des poursuites a été confié à un magistrat qui est le représentant de la société, présent pour la défense de l’ordre public. Il apparaît à l’époque du bas empire romain. Il s’agit de l’ancêtre du ministère public.

Si l’on arrive directement au Moyen-âge, il faut évoquer l’ordonnance sur la procédure criminelle, enregistrée par le Parlement de Paris le 26 août 1670 à l’initiative de Colbert. Il est intéressant, en voyant cette ordonnance, de voir apparaître l’idée qu’une procédure pénale doit être divisée en plusieurs phases. Il s’agit d’une part, de la phase de l’information, au cours de laquelle la police réunit les preuves de l’infraction. Vient alors la phase de l’instruction au cours de laquelle on prépare le dossier de l’affaire, puis intervient une troisième phase de jugement, au cours de laquelle une juridiction de jugement se prononce sur la culpabilité ou non de la personne mise en cause.

Cette division était moderne car elle existe toujours. Intervient alors la période révolutionnaire qui va amener de nombreux changements, sous l’influence du modèle britannique. Ils ont voulu transposer ce modèle en France. C’est l’époque à laquelle l’action populaire est restaurée. En matière criminelle, on transpose en France le système du jury populaire, plus précisément un système voyant deux jurys successifs : un jury d’action durant la phase de l’instruction qui détermine si les charges sont suffisantes. Un autre jury de jugement, composé de jurés, intervient au stade du jugement.

Ce système qui a voulu transposer en France un système étranger a mal fonctionné. Sous le Directoire, d’autres modifications sont apparues. Au regard du système actuel, deux de ces modifications méritent d’être signalées : le juge d’instruction est créé et le fait que le ministère public est chargé de déclencher des poursuites, rejetant alors l’idée d’action populaire.

Intervient alors en 1808 le Code d’instruction criminelle mis en vigueur en 1811. Il est mis en vigueur en même temps que le Code pénal de 1810. Ce Code d’instruction criminel se révèle comme étant un Code plus autoritaire qui se débarrasse de certaines expériences antérieures, comme le jury d’accusation, qui est remplacé par une juridiction dite de la « Chambre des mises en accusation » qui deviendra ultérieurement la chambre d’accusation puis la chambre d’instruction. On confirme que la mise en mouvement des poursuites, c’est-à-dire l’action publique, est réservée par principe au ministère public, représentant des intérêts de la société.

Dans ce Code d’instruction criminelle, on voit la consécration de principes toujours utilisés aujourd’hui, comme le principe de l’unité de la justice civile et pénale. Ce principe signifie que ce sont les mêmes juridictions qui statuent en matière civile et pénale. On trouve aussi le principe de la séparation des fonctions de poursuites, d’instruction et de jugement. Le Code d’instruction criminelle définit en effet ces trois phases de la procédure, dans le prolongement de l’ordonnance de Colbert. On trouve la phase des poursuites, la phase de l’instruction puis la phase du jugement. Ces trois fonctions sont séparées en étant confiées, chacune, à une autorité différente. L’idée étant (Cambacérès) que s’il y a une séparation des pouvoirs, il faut une séparation des fonctions. Il en va ainsi en matière de procédure pénale, comme en matière constitutionnelle, de prendre en compte le principe de séparation des pouvoirs en matière des libertés.

Le troisième principe était celui de la collégialité des juridictions. Il y a une sorte de répulsion à l’encontre des juridictions formées d’un juge unique. On affiche une faveur marquée pour la collégialité, les juridictions étant composées de magistrats professionnels.

Par la suite, l’évolution historique s’est faite dans un sens sans cesse plus libéral même si l’évolution fut lente. Il faut marquer la loi Constans du 8 décembre 1897. C’est avec cette loi que l’inculpé se voit reconnaître le droit d’être assisté d’un avocat. Cette évolution libérale a bénéficié à la victime – la partie civile – puisqu’on a trouvé un accroissement des droits de cette partie civile concomitant avec l’accroissement des droits de l’inculpé.

  • 2. L’époque contemporaine

 Elle s’inaugure avec le Code de procédure pénale en 1958. Il transforme peu la matière, mais est d’une philosophie plus libérale. Le souci est celui de mieux protéger les libertés individuelles conformément à la tradition républicaine. « Mieux vaut cent coupables en liberté qu’un seul innocent en prison ». Témoigne de cette volonté libérale, la réglementation de la garde à vue, qui bien qu’existant, n’était pas réglementée. De même, la détention préventive est devenue la détention provisoire, mieux encadrée, en 1970.

Vint alors la guerre d’Algérie. Cet épisode historique a eu pour conséquences que certains responsables ont estimé que le modèle de 1958 était trop libéral. Il y a donc eu un évident durcissement du Code de procédure pénale avec un recul des droits de la défense. Depuis cette époque, les réformes n’ont pas cessées allant tantôt dans le sens de la rigueur, tantôt dans le sens d’un libéralisme.

Par exemple, depuis la réforme de la détention provisoire en 1970, sont intervenues plus de 20 réformes. On a aussi trouvé des réformes en cascade s’agissant des contrôles et vérification d’identité. Il est question, aujourd’hui de supprimer le juge d’instruction, puisque celui- ci a envoyé en prison des élus. Notre époque est hésitante sur un modèle de procédure, les réformes ayant suivi, en général, des élections législatives, pour défaire et refaire ce que l’ancienne majorité avait fait alors que des réponses devraient s’imposer.

En dépit de ces oscillations perpétuelles, il reste depuis 1958 la possibilité de faire apparaitre le sens général d’une évolution.    

Cette tendance est le renforcement du caractère contradictoire de la procédure notamment au stade de l’instruction. Cela signifie que l’on a la possibilité de rapporter des preuves et des arguments et de les discuter. On trouve aussi un accroissement des droits des parties civiles. Ne sont pourtant pas épuisées les manifestations principales de cette évolution. Un autre pan de ces évolutions s’explique autrement. Nombre de ces réformes ont voulu répondre à l’engorgement du système judiciaire. Les magistrats et le budget de la justice sont insuffisants. Furent donc multipliées les réformes pour une justice expéditive, à petit prix, pour le bas peuple. Ceci donne des procédures de jugement simplifié, une procédure de trois minutes pour envoyer quelqu’un en prison, le « plaider-coupable ». Ces procédures sont gravissimes puisqu’elles se font au détriment des droits de la défense du fait du manque de magistrat.

Cette évolution du système procédural a été accentuée par l’influence de textes internationaux et par l’influence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDHLF). Elle a en effet eu une forte influence, de concert avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), sur le système procédural et a provoqué des réformes. Cela attire la question des sources de la procédure pénale.

Section 2 : Les sources formelles de la procédure pénale

 1. Les sources nationales

 Textes

  •     Selon la hiérarchie des normes, il convient de commencer par la Constitution qui est une des sources contenant quelques règles qui intéressent la procédure pénale. On trouve par exemple la manière de juger pour infraction pénale les ministres et secrétaires d’État suivant les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions. On trouve ensuite indépendamment de la Constitution, le Conseil Constitutionnel qui a joué son rôle en ce qu’il est chargé de contrôler la conformité
  • la Constitution des textes législatifs qui lui sont soumis. Le Conseil est intervenu à plusieurs reprises sur des textes concernant la procédure pénale.
  •      Après la constitution, il faut évoquer la loi et les textes assimilables. Au terme de l’article 34 de la Constitution, la procédure pénale est du domaine de la loi et non du règlement autonome. Parmi ces lois, il faut mettre au premier plan les lois codifiées et donc notamment le Code de procédure pénale. Mais on peut aussi se référer au Code de l’Organisation judiciaire ou le Code militaire, mais aussi le Code des douanes, le livre des procédures fiscales etc.

Les règles de procédure pénale peuvent aussi résulter de textes assimilables à la loi, comme les textes pris par le Président en période de crise, selon l’article 16 de la Constitution. Au moment de la guerre d’Algérie, le président a créé des juridictions d’exception en matière pénale. De même, par référendum, selon l’article 11 de la Constitution, on pourrait avoir une modification de la procédure pénale. De plus, les ordonnances par lesquelles le parlement délègue ses pouvoirs au gouvernement, sont aussi une source de la procédure pénale.

  •     Vient ensuite le règlement. Si la procédure pénale est du domaine de la loi, elle doit souvent faire l’objet de décrets d’application simple ou pris en conseil d’État. Il y a alors, dans le Code de procédure pénale (CPP), une partie règlementaire aux articles R1 et suivants ainsi que D1 et suivants.

–     Il faut aussi évoquer, en quatrième lieu, les principes généraux de la procédure pénale. Les juridictions françaises invoquent en effet régulièrement des principes généraux de la procédure. C’est le moyen pour la jurisprudence de consacrer des règles qui ne sont pas formulées par les textes. La plupart du temps, la jurisprudence dégage ces principes généraux à partir de textes de portée limitée. Sur le fondement de ces textes, elle s’autorise à déduire un principe général de procédure pénale

Ainsi, on trouve dans le Code de Procédure Pénale une série de dispositions qui, dans des cas particuliers, prévoyaient des solutions pour protéger les droits de la défense. Cette expression de « droits de la défense » n’est toutefois pas utilisée. La jurisprudence a pourtant dégagé le principe des droits de la défense, qui avait vocation à régir la procédure pénale dans son ensemble. La jurisprudence a souvent consacré ce principe des droits de la défense au bénéfice des personnes poursuivies, conformément à la tradition libérale. L’inverse serait beaucoup plus inquiétant, a fortiori en cas de contradiction avec un texte formel, ce que la jurisprudence a pu faire. Aujourd’hui, la part reconnue aux principes généraux est vouée à diminuer voire à disparaître, par l’effet de deux types de texte.

Depuis une réforme de 2000, le Code de procédure pénale dispose d’un article préliminaire qui consacre un certain nombre de grands principes de la procédure pénale comme la présomption d’innocence, le double degré de juridiction etc. De sorte que certaines des solutions antérieures de la jurisprudence justifiées par un principe général pourront désormais l’être par le visa de cet article. De la même manière, certaines décisions peuvent être assises sur l’article 6 – du droit à un procès équitable – de la Convention européenne des droits de l’Homme.

 

Régime juridique des textes

Une fois cet inventaire fait des sources nationales, il est possible de conclure quant aux principes régissant les lois procédurales. Elles appartiennent à la catégorie des lois de forme, de procédure, par opposition aux lois de fond. Ces lois de procédure, puisque lois de forme, obéissent parfois à un régime juridique qui n’est pas calquable aux lois de fond.

Les lois de procédures sont de trois types en fonction de leur objet. Il y a d’abord les lois d’organisation judiciaire qui instituent les juridictions répressives et organisent leur fonctionnement. Vient ensuite une deuxième catégorie, des lois de compétence qui précisent la compétence des juridictions. Enfin, interviennent les lois processuelles, concernant l’activité de ces juridictions en précisant comment se déroulent devant elles, les procès.

Parfois, en présence de certaines règles, on hésite quant à la qualification de loi procédurale ou de loi de fond. Quid des règles régissant la preuve en matière pénale ? Ceci est discuté. Autre exemple, la prescription de l’action publique est elle une règle de procédure ou de fond ? Reste qu’en dehors de ces cas particuliers, la distinction est généralement assez simple à effectuer.

Il est important de distinguer ces deux types de lois car les lois procédurales ont un régime juridique qui peut différer de celui applicable aux lois de fond. Notre système pénal est d’inspiration libérale et donc certaines règles applicables s’expliquent par le souci de protéger les intérêts de la personne poursuivie. Ce parti pris, favorable à la personne poursuivie, ne se retrouve pas toujours pour les lois de procédure – en témoigne la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

Les lois de procédure qui, certaines, menacent les libertés individuelles, ont aussi un tout autre aspect. Certaines apparaissent comme des règles purement techniques, en quelque sorte neutres vis-à-vis de la personne poursuivie, si bien qu’en leur présence le critère de l’intérêt de la personne poursuivie n’a plus lieu d’être. En ce cas, le régime juridique sera déterminé en fonction du bon fonctionnement de la justice pénale.

La question de l’application dans le temps des règles de procédure est ainsi à étudier. La règle en cas de conflit de loi procédurale dans le temps est celle de l’application immédiate de la loi nouvelle aux procédures en cours. Les actes de procédure accomplis dans le cadre de la loi ancienne ne sont pas mis en cause, mais il faut appliquer la loi nouvelle si elle survient durant le procès, sans se poser la question de savoir si elle est plus ou moins favorable aux intérêts de la personne poursuivie.

2. Les sources supranationales

Il faut compter avec tous les traités bilatéraux, et internationaux. On pense notamment à la CESDH, ratifiée par la France en 1974, à laquelle se sont ajoutés des protocoles additionnels. À l’avenir il faudra aussi compter avec le droit de l’Union Européenne, qui va avoir une influence bien plus grande avec le traité de Lisbonne, son objectif étant d’opérer un rapprochement entre les procédures pénales des différents États membres, d’améliorer la coopération policière et judiciaire, notamment pour les formes de criminalité transfrontalière. En l’état actuel de ce Traité, le Parlement et le Conseil peuvent désormais, par voie de directives, établir des « règles minimales » concernant p.ex les droits des personnes poursuivies ou des victimes.

La Convention européenne des droits de l’Homme est partie prenante de notre droit national, en sorte que les juridictions françaises vont en appliquer les articles à l’occasion de la procédure pénale française, mais l’originalité est également l’instauration d’une juridiction supranationale.

  • A) L’application de la convention par les juridictions de droit interne

 Les règles concerneront les droits des personnes et des procédures. Deux des articles de la CESDH touchent directement la procédure pénale : les articles 5 et 6

  •   Article 5 , paragraphe 1: le droit à la sûreté et la présomption d’innocence et en tirent un certain nombre de conséquences.
  •   Paragraphe 2 : On trouve ainsi, le droit pour une personne d’être informée des raisons de son arrestation.
  •   Paragraphe 3 : On trouve aussi le droit pour une personne privée d’être traduite devant un magistrat qui pourra apprécier la légalité de cette traduction.
  •   Paragraphe 4 : On trouve aussi le principe d’un délai raisonnable de procès.
  •   Article 6 paragraphe 1 : On a aussi le droit à un procès équitable, public ; le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial ; le droit de préparer sa défense, le droit d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge ou à décharge ; le droit d’être assisté par un interprète.

L’ensemble de ces dispositions, ayant un lien immédiat avec la procédure pénale, est d’application directe dans l’ordre juridique interne, donc ces droits doivent être appliqués par les juridictions françaises, la CESDH ayant été ratifiée. Le Code de procédure pénale prévoit des délais. La question qui se pose alors au juge français sera de savoir si ces délais prévus par la loi, respectent la durée raisonnable d’un procès pénal tel qu’exigée par la CESDH. Il s’agit de savoir si ces règles de procédures sont conformes à l’obligation d’un tribunal impartial et équitable. Principe de hiérarchie oblige, la Convention l’emporte sur une loi interne incompatible.

Cette applicabilité directe se traduit par une sorte de confrontation entre les solutions posées par le code de procédure pénale et les grands droits affirmés par la convention européenne des droits de l’Homme. À cette occasion, le juge sera dans la nécessité de dire si les dispositions du code de procédure pénale satisfont ou non les exigences de la convention. Cette confrontation permanente a été l’occasion pour la jurisprudence française d’avoir des positions évolutives.

À l’origine, la jurisprudence française a été hostile à la CESDH, et acceptait difficilement l’incompatibilité avec la loi interne. De sorte que généralement elle affirmait qu’il y avait conformité. Mais la jurisprudence a évolué car la Cour européenne qui contrôle ce respect a été amenée à condamner régulièrement la France, en affirmant que telle disposition du Code pénal ne respectait pas la convention. La Chambre criminelle, petit à petit, en est venue à la conclusion que tel ou tel article n’était pas conforme à la convention.

Il y avait une jurisprudence traditionnelle qui permettait à une juridiction répressive, de condamner une personne en y ajoutant des circonstances aggravantes. Si elle était poursuivie pour vol et condamnée pour vol, les juges pouvaient faire état du fait que ce vol était aggravé par des circonstances aggravantes au moment du prononcé du jugement. Les personnes condamnées se plaignaient du fait qu’elles ne puissent en contester l’existence. La Cour de cassation affirmait que c’était sans importance, jusqu’à ce que la Cour européenne considère le contraire. La Chambre criminelle a ainsi opéré un revirement, donc il n’est plus possible, au moment du délibéré, de prononcer une circonstance aggravante.

De même que la position traditionnelle de la jurisprudence française était que le juge était le seul à pouvoir affirmer qu’un témoin soit entendu. La Chambre criminelle a du prendre en considération le droit pour la personne poursuivie d’obtenir sa confrontation avec un témoin à charge, et donc de combattre les déclarations du témoin. Il y a donc une influence grandissante de la convention.

Cette question a perdu une partie de son actualité. En effet, le législateur français fait en sorte, assez régulièrement, que cette confrontation entre droit interne et droit commun, ne soit plus possible. Le législateur peut préférer la voie selon laquelle, puisqu’un article vaut des condamnations régulières, il va changer l’article par une réforme législative plutôt que de s’en tenir à des revirements jurisprudentiels.

L’article préliminaire du Code de Procédure Pénale reprend simplement, dans cet esprit, le contenu des articles 5 et 6 de la CESDHLF. Désormais, les juges ont l’instrument pour calquer la procédure pénale française sur le modèle de la convention. Reste alors à voir le contrôle européen du respect de cette convention.

  • B. Le contrôle européen du respect de cette convention

Le système, jusqu’en 1998, qui présidait ce contrôle, était complexe puisqu’il était effectué par trois organes différents. On trouvait la Commission européenne des droits de l’Homme dont la fonction était de parvenir à un accord amiable entre les parties, c’est-à-dire p.ex, un justiciable français condamné par une juridiction française et estimant qu’il y avait contradiction, en vain, avec la convention devant les juridictions nationales. Le rôle de la commission était alors d’obtenir un accord amiable entre le plaideur et le gouvernement français. On trouvait également le Comité des ministres chargé d’exécuter les décisions de la Cour EDH. La Cour étant le seul organe juridictionnel des trois mais ne siégeant pas de manière permanente.

Par la multiplication des organes, le contrôle du respect de la convention a résulté en une procédure lourde consécutive d’un engorgement de la CEDH. La CEDH mettait donc longtemps à statuer et ne respectait pas elle-même le délai raisonnable de la procédure qu’elle reprochait aux pays membres. La nécessité est alors apparue de modifier le fonctionnement, par le protocole n°11 entré en vigueur en 1998. Ce protocole a cherché à simplifier cette procédure pour la rendre plus efficace. La Commission a été supprimée et le conseil des ministres vérifie simplement les arrêts de la Cour qui est devenue une juridiction permanente pour faire face à l’importance du contentieux.

La CEDH est donc l’unique organe contrôlant le respect de la convention. Elle est composée de juges qui représentent les États membres du Conseil de l’Europe. Elle peut  être saisie de deux manières : soit par un État signataire pour régler des affaires interétatiques, soit par une « requête individuelle » émanant d’une personne physique, d’un groupe particulier ou d’une organisation non gouvernementale. L’auteur de cette requête prétend alors d’avoir été victime d’une violation de la convention. En principe, pour que cette saisine puisse intervenir, il faut que toutes les voies de recours interne aient été épuisées, donc que le justiciable français ait interjeté appel, se soit pourvu en cassation en prétendant à chaque fois qu’il y ait irrespect de la Convention.

La Cour peut siéger en trois types de formations différentes. On trouve d’abord les comités, les chambres et la Grande chambre. La Cour se divise en plusieurs chambres, chacune dotée d’un comité. Ce comité a en quelque sorte un rôle de filtre des recours adressés à la chambre, qu’il peut déclarer irrecevables pour éviter de réunir inutilement la chambre entière. Si le recours est reçu, la chambre va se prononcer sur le fond de l’affaire, tout en ayant la possibilité d’entériner un accord amiable qui serait intervenu entre les parties. Il existe ensuite la Grande chambre composée de plus de juges, dont la saisine peut intervenir dans deux cas : lorsqu’une chambre s’est dessaisie en sa faveur ou lorsque l’affaire pose une question grave relative à l’interprétation de la convention ou de l’un de ses protocoles ou si la solution à venir peut amener la Cour à se contredire par rapport à un arrêt antérieur.

La Grande chambre peut aussi être saisie, dans un délai de trois mois suivant l’arrêt rendu par une chambre, par toute partie qui peut réclamer le renvoi de l’affaire devant elle. Un collège de juges acceptera ou non ce renvoi qui n’est possible que si l’affaire pose une question grave ou une question grave de caractère général. Cette formule désigne l’hypothèse où la solution à venir pourrait avoir des conséquences lourdes sur le droit national d’un des États signataires.

Exemple de débat : l’arrêt Medvedyev. Dans certaines procédures en France, il est prévu que quelqu’un soit arrêté et qu’il soit présenté au procureur de la République. La question est de savoir s’il est un magistrat, une autorité judiciaire au sens de la convention. Dans une première décision, la France a été condamnée au motif que le procureur de la république n’est pas une autorité judiciaire mais seulement un représentant du ministère public, donc de l’administration. Il y a attente d’une décision de la Grande Chambre, afin de voir si la décision sera confirmée.

CEDH, 29 mars 2010, Medvedyev c/ France, n° 3394/03 : Dans un arrêt du 29 mars 2010, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que seules les autorités dont l’indépendance est garantie peuvent être qualifiées d’autorité judiciaire. Ce qui conduit indirectement à se demander si les procureurs de la République français sont des autorités judiciaires au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.

L’espèce concernait neuf membres d’équipage d’un cargo, le Winner, immatriculé au Cambodge intercepté par la marine française en haute mer, au large des îles du Cap -Vert. Ce navire transportait des quantités importantes de drogue vouées à être distribuées sur les côtes européennes. Les membres d’équipage arrêtés furent consignés à bord sous la surveillance de militaires français jusqu’à l’arrivée à Brest où ils furent placés en garde à vue, avant d’être présentés le jour même à des juges d’instruction. Certains des protagonistes furent condamnés en France et la Cour européenne des droits de l’homme fut saisie de cette affaire. Les requérants alléguaient avoir été victimes d’une privation arbitraire de liberté après l’arraisonnement de leur navire par les autorités françaises et se plaignaient de ne pas avoir été « aussitôt » traduits devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires comme l’impose l’article 5 § 3 de la Convention.

Pour rejeter cet argument, la CEDH affirme tout d’abord que « le magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties, ce qui exclut notamment qu’il puisse agir par la suite contre le requérant dans la procédure pénale, à l’instar du ministère public, et il doit avoir le pouvoir d’ordonner l’élargissement, après avoir   entendu la personne et contrôlé la légalité et la justification de l’arrestation et de la détention ». Cependant, les membres d’équipage ne pouvaient être traduits devant un juge d’instruction qu’une fois en France : or à leur arrivée sur le sol national, ils ont rencontré, le jour même, un juge d’instruction. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

Si la Cour arrive à la conclusion qu’il a eu violation de la convention ou de l’un de ses protocoles additionnels, elle va condamner l’État fautif à verser au demandeur, une « satisfaction équitable ». Cette satisfaction équitable peut prendre la forme de dommages-intérêts. Parfois, la CEDH considère que la condamnation de l’État fautif est une satisfaction morale dont le justiciable peut se contenter. Cela ne remet pas en cause de l’autorité de la chose jugée par la juridiction interne. L’arrêt rendu par la juridiction interne, couverte par l’autorité de la chose jugée, sera exécutée en dépit de la condamnation par la CEDH.

Cette position de principe doit néanmoins être nuancée en droit et en fait :

  •     En droit, et s’agissant de la France, l’intéressé déclaré coupable et qui a obtenu gain de cause devant la CEDH, peut demander le réexamen de son affaire par une juridiction nationale. Autrement dit, la France a introduit une voie de recours particulière qui permet, lorsque la France a été condamnée pour violation à un article de la convention par la CEDH, que l’affaire soit examinée à nouveau par une juridiction interne. Cette nouvelle décision aura alors la force de l’autorité de la chose jugée. S’il y a alors une relaxe, l’intéressé pourra obtenir une indemnisation.
  •    En fait, lorsqu’un État est condamné par la CEDH, il est enclin à réformer son système juridique et il est poussé à réformer son système de procédure pénale. On prendra un exemple historique. Durant des années, ont eu lieu des écoutes téléphoniques sans aucun texte réglementant cette pratique. Depuis des années, des universitaires disent que cela était inadmissible en absence de tout texte autorisant cela. Suite à une condamnation, les articles 100 (« En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement, le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle. ») et suivants du Code de procédure pénale ont légalisé ces écoutes. Voici un exemple de l’influence d’une condamnation à Strasbourg.

 

Chapitre 2. Le rôle de la procédure pénale

Section 1 : Présentation générale

 Sur un plan général, les règles de la procédure pénale ont finalement un objectif simple à définir. Elle sert à condamner les coupables et à déterminer les innocents comme tels. On a souvent dit du Code de Procédure Pénale qu’il était le « Code des honnêtes gens » contrairement au Code pénal qui serait le « Code des malfaiteurs ». Si l’objectif est simple à définir, il est plus dur à appliquer. Pour condamner les coupables, il faut un système autoritaire alors qu’il faut un système libéral pour les innocents.

Pour répondre à cette difficulté et parvenir à trouver cet équilibre, l’histoire montre que l’on a inventé deux grands types de systèmes procéduraux. L’un est le système accusatoire, l’autre le système inquisitoire. Ces deux systèmes s’opposent l’un l’autre mais il convient d’opérer une synthèse pour aboutir à un système de philosophie mixte.

  • 1. Le système accusatoire

 Ici, on a un duel entre l’auteur de l’infraction et la victime, devant un juge qui est un acteur effacé, un observateur neutre qui se contente d’orienter le duel en cas de difficulté. À l’échelle de l’Histoire, c’est le système le plus ancien, apparu dans des sociétés où l’on n’avait pas encore compris que l’intérêt en jeu est celui de la société entière, lorsqu’une infraction est commise. C’est évidemment un système protecteur des droits de l’accusé, car souvent, la victime n’a pas les moyens d’apporter la preuve de ce qu’elle prétend.

Ce système existe encore aujourd’hui. C’est le modèle anglo-saxon. Ce système procédural est né avec l’Antiquité, en Grèce et à Rome. Par conséquent, il en tire certains caractères. Il est principalement oral, car les civilisations antiques se basent surtout sur la parole et non l’écrit. La procédure est contradictoire : la victime accuse, la personne poursuivie se défend. Elle est publique car, à Athènes, les procès sont les programmes télévisés du temps. C’est un show à l’américaine avant l’heure.

L’accusé est ensuite jugé par ses pairs. Les juridictions sont collégiales et il n’y a pas de recours possible, puisque la chose est jugée définitivement. Les intérêts de la société ne sont pourtant pas bien défendus dans cette procédure car il n’y a pas de représentant de la victime. Cela a évolué, puisque l’on trouve maintenant une sorte de ministère public aux États-Unis.

  • 2. Le système inquisitoire

 Il est l’antithèse du précédent, et manifeste un souci de lutter efficacement contre la criminalité. Cet intérêt général est un but au bout du procès, on lui donne donc un représentant : l’équivalent d’un ministère public. Pour des raisons historiques, ces procédures inquisitoires ont de nombreux caractères.

Étant né dans des sociétés plus évoluées où l’on a compris que la criminalité n’est pas une affaire privée, mais celle de tous, cette procédure inquisitoire est secrète et n’est pas contradictoire pendant toute une partie de son déroulement. La procédure est écrite, ce qui permet l’exercice des voies de recours. La procédure est divisée en plusieurs phases. L’une prépare la phase de jugement, et l’autre est une phase de jugement. Le juge est très actif dans le procès, notamment dans la recherche des preuves. Un système de cette nature est menacé d’un péril : celui de n’être guerre soucieux des droits de la défense. La tentation de parvenir à un système mixte est donc forte.

  • 3. Les systèmes mixtes

Ces systèmes mixtes se caractérisent par la division de la procédure en plusieurs étapes. On a donc la possibilité d’user alternativement des principes accusatoires ou inquisitoires.

Face à l’accusation, on optera pour les principes inquisitoires alors que la phase de jugement est accusatoire.

De même, dans ces systèmes, on conférera un rôle important au ministère public, mais on pourra reconnaître également une participation active de la victime qui pourra déclencher une poursuite concurremment au ministère public.

 

Section 2 : La procédure pénale française

La procédure française appartient à la grande famille des procédures mixtes. Il est facile de faire apparaître des influences inquisitoires et des influences accusatoires. Historiquement, cette procédure a connu une évolution qui s’est faite dans le sens d’un accroissement constant du caractère accusatoire. C’est une tendance ancienne. La loi  Constans de 1897 permet en effet à l’accusé d’être assisté d’un avocat. Cette tendance a été accélérée par la CESDHLF.

  • 1. Les influences de la procédure inquisitoire

 À l’origine, notre procédure pénale était d’esprit autoritaire, inspiré par Napoléon Ier. Le Code d’instruction criminelle était donc le reflet d’une forte influence du modèle inquisitoire. On y trouve en effet une procédure divisée en plusieurs phases.

On a la phase des poursuites, la phase d’instruction puis la phase de jugement. On trouve tout de même le souci d’éviter qu’il y ait une atteinte excessive aux libertés individuelles. Par conséquent, on trouve une autorité propre pour chacune de ces phases. L’idée étant que chacune des autorités contrôle les autres. Il y a donc une phase de poursuite sous l’égide du ministère public, avec un rôle actif de la police, qui décide de poursuivre ou non pour les faits de l’infraction, puis une phase d’instruction avec des autorités d’instruction (le juge d’instruction et la chambre de mise en instruction) et une phase de jugement qui se charge de juger l’infraction.

Cette procédure a connu ensuite une évolution, ne serait-ce qu’à cause des réformes de la phase des poursuites et de l’instruction. S’agissant de la première, les droits du suspect ont été sans cesse renforcés. On a règlementé la garde à vue. S’agissant de l’instruction, il n’est plus possible de soutenir que cette instruction est copie conforme d’un modèle inquisitoire ou qu’elle est secrète et non contradictoire. Les droits de la défense ont été considérablement renforcés durant l’instruction. La personne mise en examen a accès au dossier et peut apporter la contradiction en permanence, de la sorte que cette procédure n’est pas non plus contradictoire.

Ce simple relâchement du modèle inquisitoire est une sorte de relâche du modèle inquisitoire sur notre système procédural.

  • 2. L’influence du modèle accusatoire

Une de ses manifestations se trouve dans le principe de l’unité de la justice civile et pénale, suivant lequel les mêmes juridictions statuent en matière civile comme en matière pénale. Durant la phase de jugement, la procédure a toujours été orale, publique et contradictoire. En outre, ce qui manifeste l’influence du système accusatoire, c’est le rôle développé de la victime. Elle a, dans notre système procédural, beaucoup plus de droit que l’on ne lui en reconnaît en général à l’étranger.

La victime a depuis toujours des prérogatives renforcées : elle peut déclencher l’action publique, y compris contre la volonté du ministère public. Elle sera ensuite présente devant la juridiction pénale pour y faire valoir ses droits, on dit alors qu’elle se porte partie civile. Elle peut exercer l’action civile au pénal, et peut donc demander réparation du préjudice causé au juge pénal. Nous sommes un des rares pays qui accorde cette prérogative à la victime.

Cette évolution qui est donc ancienne, a été accentuée par l’influence de la CESDH et donc par l’influence des arrêts de la Cour EDH. Cette influence est telle que le modèle accusatoire tente à devenir aujourd’hui prédominant. Il s’agit d’un modèle accusatoire qui, selon le professeur Conte, imposé par la Convention et la Cour EDH, n’a plus les garde-fous qu’il a eu durant longtemps par le système inquisitoire et mixte. On se trouve ici de plus en plus dans un système accusatoire, ce qui modifie le système procédural.

L’objet du procès pénal en sort insidieusement modifié. Antérieurement, dans notre modèle traditionnel mixte, le procès pénal servait à découvrir la vérité dans le respect des droits de la défense – position équilibrée. Le modèle procédural qui se met en place est très différent, sur le schéma anglo-saxon. Il ne s’agit plus maintenant de découvrir la vérité, mais que le procès soit équitable , sans savoir si le vainqueur est celui qui a tord à l’issue du procès. La question est de savoir si les droits de chacun ont été respectés . C’est une révolution culturelle qui s’opère avec le silence complice de toute une partie de la doctrine.

Il faut se référer au procès O.J. Simpson. Simpson est connu pour avoir été accusé d’avoir assassiné son ex-épouse et le compagnon de celle-ci en 1994 et pour avoir été acquitté en 1995 à la suite d’un long procès très controversé et très médiatisé. En France, l’acquitté ne peut plus être poursuivi au civil. Cela n’est pas le cas aux USA. Il a été condamné à des amendes énormes au civil. C’est ce système que l’on tente d’imposer au niveau européen.

Les années 20 « Nous commencerons par leur vendre nos films et nous leur vendrons du coca cola ».

PREMIÈRE PARTIE : LES ACTEURS DU PROCÈS PÉNAL

Si l’on évoque les acteurs d’une procédure, on pense immédiatement à ceux qui sont partie à cette procédure. S’agissant d’une procédure pénale, on pense au ministère public que l’on appelle souvent la partie publique même s’il n’est pas acquis que cette définition de partie soit judicieuse, et l’on pense aussi aux parties privées, soit la personne poursuivie et la partie civile.

Il convient de dire qu’une partie est l’adversaire d’une autre. Il convient ainsi de désigner le ministère public comme l’adversaire de l’accusé/prévenu etc. Le ministère public n’est pourtant l’adversaire de personne, étant simplement soucieux de découvrir la vérité : aussi bien d’obtenir la condamnation du coupable que d’obtenir la proclamation de son innocence s’il l’estime. Il souhaite uniquement la condamnation du coupable ou la relaxe de l’innocent. Le ministère public est partie au procès pénal, mais une partie particulière. Le réduire à la figure d’un adversaire est une conception réductive. Il est de plus en plus conçu comme une partie adversaire de l’accusé.

Parmi ces acteurs, on trouve aussi les juridictions. Elles ne sont pas simplement des arbitres passifs du litige. Elles interviennent activement et sont même des organes actifs de la procédure. À côté de ces parties et organes, figurent ceux qui les assistent et que l’on pourrait ainsi appeler des auxiliaires de la procédure. Les acteurs du procès pénal sont donc les organes de la procédure, mais aussi les parties et les auxiliaires des uns et des autres.

Première sous-partie : Les organes de la procédure

Il s’agit des différentes juridictions pénales. Il faudrait donc envisager la nomenclature de ces organes de procédure. Nous n’en avons néanmoins pas le temps et cela est un exercice stupide. Ici, nous préciserons le cadre général dans lequel ces juridictions s’insèrent et précisément évoquer le principe de l’unité de la justice civile et de la justice pénale.

Depuis le Code d’instruction criminelle, le principe d’unité judiciaire est établi comme clé de voûte de la procédure judiciaire. C’est un principe, dont la signification est complexe, voulant instaurer des liens organiques entre la justice civile et pénale. Ces liens organiques sont un phénomène second par rapport à un autre phénomène premier : cette volonté d’ouvrir le prétoire pénal aux victimes, pour qu’elles puissent intervenir devant les juridictions répressives avec les liens que cela suppose entre l’action civile et pénale.

Cela suppose alors que l’on s’intéresse aux liens organiques entre les deux justices puis les liens entre l’action civile et l’action publique.

Chapitre 1. Les liens organiques entre les deux justices

Ce lien organique s’exprime à travers leurs juridictions. Il y a en effet unité des juridictions civile et répressive, qui se prolonge en quelque sorte par l’existence d’un personnel judiciaire commun : une unité des magistrats.

Section 1 : l’unité des juridictions civiles et répressives

Cette unité résulte du fait que ces juridictions appartiennent d’abord à un même ordre de juridiction et par le fait qu’il y a parfois identité des juridictions civiles et répressives. Les juridictions répressives appartiennent à l’ordre judiciaire et non administratif de juridiction alors même que certains auteurs s’efforcent d’établir que le droit pénal serait rattaché au droit public.

Il en résulte que les juridictions répressives comme les juridictions civiles sont placées comme les autres, sous le contrôle unique et commun de la Cour de cassation. Lorsque, dans une procédure pénale, un pourvoi est formé, il l’est devant la chambre criminelle. En outre, les liens entre ces deux justices sont renforcés par l’identité des juridictions civiles et répressives. Ce sont les mêmes magistrats, sous des appellations différentes, qui statuent alternativement en matière civile et pénale donc ce sont les mêmes juridictions. Le juge de proximité statue ainsi aussi bien en matière civile qu’en matière pénale. Le juge d’instance est à la fois tribunal d’instance et tribunal de police. Le tribunal de grande instance est à la fois tribunal de grande instance et tribunal correctionnel. La Cour d’appel est tantôt une juridiction civile et tantôt une juridiction répressive.

On pourrait prolonger cette identité avec les juridictions d’instruction. La chambre d’instruction est une émanation de la Cour d’appel. Le juge d’instruction est lui-même rattaché au tribunal de grande instance. Même la Cour d’assises qui peut être vue comme une juridiction exclusivement répressive, est une émanation de la Cour d’appel qui lui fournit son président et parfois des assesseurs. Son unité se reflète dans l’organisation du ministère public. Le procureur de la république et le procureur général s’occupent de procès aussi bien civils que répressifs. Au fond, seule la présence de jurés qui ne statuent pas sur l’action civile, contredit ce principe de l’unité.

À cette unité des juridictions elles-mêmes, s’ajoute l’unité des magistrats.

 Section 2 : L’unité des magistrats

 Ils sont non pas des fonctionnaires mais des agents publics. Le statut de la magistrature est spécial, il est destiné à garantir leur indépendance. Ce statut est porté par une ordonnance du 22 décembre 1958 (Ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature). Ces magistrats sont tous formés par l’École nationale de la magistrature (l’ENM), avec pour mission, d’assurer la cohérence du corps dont on peut se demander si elle n’est pas menacée par la multiplication des concours d’auditeurs de justice, permettant à des non juristes de devenir magistrats.

Au cours de leur carrière, les magistrats sont appelés à exercer toutes les fonctions judiciaires. Ils peuvent exercer leurs fonctions au siège ou au parquet, dans des juridictions civiles ou pénales. Pourtant, des voix s’élèvent alors, pour qu’entre ces deux corps, on trouve une frontière nettement délimitée, tant le comportement de certains membres du parquet laisse à se demander s’ils sont véritablement des juges. Certains magistrats du siège veulent ainsi que l’on distingue définitivement les deux.

Malgré cette unité voulue du corps de la magistrature, avec l’apparition d’une spécialisation croissante de fonctions, il existe des magistrats spécialisés en matière économique et financière pour l’instruction et le jugement. Indépendamment de cette unité de justice, le principe de cette unité avait pour conséquence, d’autres types de liens.

 

Chapitre 2. Les liens entre l’action civile et l’action publique

 Cette unité des justices se manifeste par la possibilité reconnue pour les parties civiles d’être présentes dans le procès pénal. C’est une spécificité par rapport aux systèmes étrangers. Sans doute la présentation est illogique. Puisqu’elles peuvent être présentes au procès pénal, on a voulu cette unité de la justice civile et pénale. On permet à la personne victime d’une infraction, de demander réparation non pas à son juge naturel, mais à la juridiction répressive. On dit que la partie civile peut exercer l’action civile au civil mais aussi au pénal.

Des juridictions répressives auront ainsi à se prononcer sur des questions purement civiles, comme les dommages et intérêts. Il est évident que cette présence et l’exercice de l’action civile devant les juridictions répressives, engendre une dépendance de l’action civile à l’action publique, exercée par le ministère public. Dans un procès pénal, on a la possibilité de la coexistence de ces deux actions. L’action publique est donc principale et l’action civile est alors accessoire.

Par l’effet de la primauté du juge répressif, cette dépendance de l’action civile à l’égard de l’action publique se manifeste par une subordination du civil au pénal. L’action civile est subordonnée à l’action publique. On veut ainsi dire que la décision sur l’action publique a une primauté naturelle, une supériorité naturelle par rapport à l’action civile. On explique cette supériorité de l’action publique, par le fait qu’un juge répressif a des moyens d’investigation plus importants qu’un juge civil ; les chances d’obtenir la vérité en sortent donc supérieures. On l’explique également par le principe de la liberté de la preuve devant les juridictions répressives, dont on escompte qu’il permettra plus facilement de découvrir la vérité, que le principe de hiérarchie des preuves au civil.

Comment se manifeste alors cette supériorité ? On en trouve une illustration. Lorsque l’action civile est exercée devant les juridictions civiles – ce qui est la solution naturelle –, le juge civil sera saisi de cette action civile mais ne pourra pas statuer immédiatement. Si en effet, parallèlement, une juridiction pénale a été saisie de l’action publique pour les mêmes faits, le juge civil devra surseoir à statuer en l’attente de son homologue pénal. Cela est posé à l’article 4 alinéa 2 du Code de Procédure Pénale.

Ce sursis à statuer existe car la primauté dont il est question se traduit par le fait que la chose jugée au pénal a autorité au civil. Ce principe est celui de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil. On comprend ainsi que ce sursis à statuer est la condition du respect de cette autorité. En revanche, la réciproque n’est pas vraie. Ce qui est décidé au civil n’a aucune autorité au pénal. Ce qu’un juge civil décide au civil ne s’impose nullement au juge pénal, puisque la primauté est celle du pénal sur le civil. C’est une question techniquement ardue que celle de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ou au criminel sur le civil, signifie que ce qui a été jugé par le juge répressif, s’impose aux juges civils lorsqu’ils statueront au civil. C’est un principe parfois contesté, alors que ses arguments sont solides. Cela s’explique d’abord par le principe de la primauté du juge répressif sur le civil ; le fait que le premier dispose de moyens que n’a pas le second. Ensuite, cette primauté s’explique aussi par le souci de ménager l’image de la justice. Si l’on n’accepte pas ce principe, si l’on permettait à un juge civil de contredire ce qu’aurait dit un juge pénal, l’image de la justice n’en sortirait pas grandie.

Ce principe de l’autorité de la chose jugée devrait donc être vu comme un principe d’ordre public. Curieusement, la jurisprudence considère qu’il est d’intérêt privé, en sorte qu’il n’appartient pas au juge d’en assurer le respect. C’est aux parties qui allèguent le non respect de ce principe, de le demander.

Ce principe, comment fonctionne-t-il ? Il a des conditions d’application relativement étroites, qui tiennent à la décision pénale et à la décision civile. S’agissant de la décision pénale, si les conditions d’application sont étroites, c’est parce que le principe ne s’applique que pour certaines décisions pénales ; il n’y a pas systématiquement autorité de la chose jugée. Cela va dépendre de l’origine de la décision et de son contenu, étant entendu bien sûr, que l’on raisonne par définition sur une décision qui est définitive, irrévocable.

Quant à l’origine, l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ne s’attache qu’aux décisions rendues par une juridiction pénale de jugement. Cela signifie qu’il n’y a rien d’équivalent pour les décisions rendues par les juridictions d’instruction – pourtant pénales –, en sorte qu’une juridiction civile peut consacrer une solution incompatible avec celle d’une juridiction d’instruction pénale.

À cela s’ajoute que certaines décisions pénales, en raison des conditions dans lesquelles elles sont intervenues, ne s’appliqueront pas au civil. On peut penser aux procédures pénales simplifiées, aux décisions pénales intervenues sans respecter le principe du contradictoire. La personne poursuivie ne peut pas se défendre. On parle de la procédure dite de « l’ordonnance pénale ». Cette ordonnance pénale a longtemps été réservée à la matière des contraventions. Puis l’asphyxie des procédures a été telle qu’on l’a étendu à certains délits. L’ordonnance pénale est tellement hors des normes habituelles qu’elle n’a pas autorité au civil.

S’agissant de la décision pénale, indépendamment de son origine, le principe de l’autorité de la chose jugée dépend également du contenu de la décision pénale.

Il faut savoir en effet que ce n’est pas le contenu entier qui va s’imposer aux juridictions civiles, mais une partie seulement de ce jugement. Cette autorité s’attache uniquement aux constatations effectuées par le juge pénal « de façon certaine et qui sont le soutien nécessaire de sa décision sur l’action publique ». Cela signifie qu’un juge civil peut contredire ce qui a été affirmé par son homologue répressif si ce qui a été affirmé s’exprime sur le mode du doute, ou ce qui n’apparaît pas avoir été indispensable, « le soutien nécessaire de sa décision sur l’action publique ». S’impose donc au juge civil tout ce qui a été jugé sur le mode de la certitude et non du doute, quant aux faits matériels, qu’il s’agisse de l’existence de ce fait ou de sa qualification. S’impose aussi ce qui a été jugé quant à la culpabilité ou l’innocence de la personne poursuivie.

Supposons qu’un juge pénal soit saisi pour une question d’abus de confiance. Ainsi, une banque accuse un de ses employés d’avoir détourné de l’argent remis par sa clientèle. Au cours des poursuites, le juge affirme que ces sommes prétendument détournées n’ont jamais été remises au préposé de la banque. Se faisant, le juge répressif rend une décision de relaxe. Cette affirmation, selon laquelle il n’y a jamais eu de remise, est le soutien nécessaire de sa décision, car la remise est une des composantes de l’abus de confiance. À partir de cet instant, puisque la juridiction pénale est de jugement, l’affirmation qu’il n’y a jamais eu de remise, qui est le soutien nécessaire de l’action publique, s’impose au juge civil. Le juge civil devra refuser la réparation demandée par la banque.

De la même manière, un employeur accuse un de ses salariés de vol. Le juge pénal relaxe l’accusé car il n’y aurait selon le juge, jamais eu de vol. Cette affirmation s’impose alors au juge civil, et plus précisément ici, à un conseil de prud’hommes, que l’employeur aurait saisi à l’occasion d’une procédure de licenciement pour vol. Le juge civil ne pourra pas dire que ce licenciement est justifié par le vol puisqu’il n’y a pas eu de vol selon le juge répressif.

On trouve des conditions à envisager au regard de la décision du juge civil, qui peut être lié par des conclusions pénales.

L’idée fondamentale est que le juge civil se voit interdire de contredire ce que le juge répressif a jugé. C’est un principe qui apparaît étendu car cette interdiction vaut pour l’action civile, la demande de réparation posée par la victime de l’infraction, mais aussi pour les « actions à fin civile ».

Par exemple, à supposer que l’infraction dont le juge pénal est saisi est celle de « coups et blessures volontaires » – atteintes intentionnelles à l’intégrité physique d’autrui – ; à la suite de ces coups et blessures, s’agissant de la victime, on peut envisager deux réactions. Vu le préjudice, elle veut des dommages et intérêts. Cette demande de réparation est l’action civile. Il se trouve que celle qui a été battue est la femme de l’auteur des coups. On parle alors de « violences faites aux femmes ». Elle peut donc demander le divorce, ce qui ne constitue pas une action civile en l’espèce, mais une action à fin civile, car l’action est civile, mais ne répare pas le dommage causé.

En vertu du principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, la décision du juge pénal sur les coups et blessures envers la femme du condamné s’imposera au juge civil pour l’action civile et l’action à fin civile. Si le juge pénal avait conclu à une absence de violences sur la femme, le juge civil n’aurait pu prononcer le divorce pour violences conjugales, cela contredirait la décision pénale.

Pendant longtemps, la principale illustration de ce principe a tenu à ce que l’on appelait « l’identité des fautes civiles et pénales ». Il existe aussi bien en droit civil que pénal, deux types de fautes : la faute intentionnelle et la faute d’imprudence. Les articles 1382 et 1383 du Code civil parlent des délits et des quasi-délits. Le premier suppose une faute intentionnelle et le second suppose un dommage causé non intentionnellement. L’identité des fautes civiles et pénales suppose que la faute pénale intentionnelle et la faute civile intentionnelle sont les mêmes. Les fautes pénales d’imprudence et les fautes civiles d’imprudence sont aussi les mêmes. Lorsqu’un juge pénal affirmait une faute pénale intentionnelle, cela imposait au juge civil de conclure à une faute civile intentionnelle. Les définitions et leur contenu sont les identiques.

Ce principe, s’il n’a pas disparu, a été partiellement remis en question par une réforme de 2000. Cette réforme a, à son terme, lorsqu’une personne était poursuivie au pénal pour une infraction d’imprudence, a été relaxée au motif qu’elle n’a pas commis la faute d’imprudence, permis de ne plus interdire au juge civil de conclure à la possibilité d’une faute civile d’imprudence.

Deuxième sous-partie : Les parties à la procédure

 On trouve les parties à l’action publique et les parties à l’action civile.

Livre premier : Les parties à l’action publique

 L’action publique est définie à l’article 1 du Code de Procédure Pénale. C’est une action en justice, mais pas n’importe laquelle. C’est celle qui a pour objet l’application d’une peine, peine qui par définition, sera prononcée au nom de la société ; le droit pénal étant d’intérêt général. Puisque le droit pénal est d’intérêt général, l’action est publique. Elle appartient à tous, même si cette action publique ne peut pas être exercée par n’importe quel citoyen, sur le mode de l’action populaire. En France, l’exercice de l’action publique est réservée à certaines personnes, et met aux prises deux catégories de parties : les demandeurs à l’action publique qui agissent au nom de la société, et les défendeurs à l’action publique.

Chapitre 1. Les demandeurs à l’action publique

 À la suite d’une longue évolution historique est apparue l’idée d’avoir un magistrat spécialisé, qui, au nom des intérêts de la société, va jouer le rôle d’accusateur public. Il va exercer l’accusation. Aujourd’hui, ce rôle est défendu par le ministère public. Il faut alors préciser qu’il n’est pas l’unique demandeur à l’action publique, puisque cette qualité de demandeur à l’action publique est accordée parfois aux agents de certaines administrations. Il faut en effet savoir que certaines administrations, p.ex des douanes, contributions indirectes, etc. peuvent jouer un rôle à certains égards comparables au ministère public. On parle de « ministère public aux petits pieds ».

Au sein de la magistrature, les membres du parquet constituent un corps particulier, que l’on peut synthétiser en disant qu’ils sont des magistrats et non des juges, alors que pour l’homme de la rue, le journaliste, ou l’étudiant de L2, les deux termes sont synonymes. Ils ne jugent rien, ne disent pas le droit, ne tranchent aucun litige, et sont chargés de défendre l’intérêt général. Ils le font en tant qu’agents du pouvoir exécutif. Ce n’est pas pour rien que l’on parle des officiers du ministère public. Un peu comme à l’armée.

Cette protection de la société constitue l’objet premier du procès pénal. Cela confère au ministère public la qualité de partie principale au procès. L’action publique est ainsi l’objet premier du procès pénal. Depuis le traité de Lisbonne, on trouve le projet de former un parquet européen qui serait compétent devant les juridictions de tous les États membres de l’Union Européenne pour la criminalité tenant lieu aux intérêts de l’UE, soit une criminalité transfrontalière.

En tant que corps de magistrats, le parquet connaît une organisation particulière adaptée à sa fonction elle-même. Il s’agit alors de la concevoir en commençant par son organisation.

 

Section 1 : L’organisation du ministère public

 On parle aussi de « parquet » et de « parquetiers » dont l’origine est discutée. Cela viendrait de l’époque où les membres du ministère public étaient sur le parquet de la salle d’audience et non sur une estrade comme aujourd’hui, comme les avocats de la défense. Les différents membres du parquet sont considérés comme n’ayant pas d’existence propre. Ils se fondent dans le principe de l’unité du ministère public, et ces magistrats sont soumis à un statut particulier adapté à leur situation.

Sous-section 1 : L’unité du ministère public

 On a l’effet conjugué de deux règles : l’indivisibilité du parquet et celle de la subordination hiérarchique. C’est par ce cumul que l’on parvient au résultat de l’unité de ce corps.

  • 1. L’indivisibilité du ministère public

 Par cette idée d’indivisibilité des membres du parquet, on veut dire qu’ils sont interchangeables entre eux. On dit que le parquet a « une tête commune mais plusieurs bras ». Au cours d’un même procès, le représentant à l’audience peut changer. Les juges, au contraire, doivent prendre part à tous les débats d’une même affaire.

  • 2. La subordination hiérarchique du ministère public

 On dit, sur cette subordination hiérarchique, de nombreuses choses. Il faut donc voir le mécanisme de cette subordination et ses limites.

 

a) Le mécanisme de la subordination hiérarchique

 L’organisation du parquet en tant que corps de magistrats particuliers, est une organisation elle-même particulière, puisqu’elle est pyramidale. Cette pyramide doit permettre la diffusion d’instruction du sommet vers la base. Les membres du parquet dépendent de cette hiérarchie, alors que des juges ne dépendent que de leur bon sens et non d’ordres.

Cette pyramide comprend, au sommet, le ministre de la justice qui n’appartient pas au parquet mais qui a autorité sur ses membres, conformément à l’ordonnance du 22 décembre 1958. Par l’effet d’une coutume, le parquet général près la cour de cassation est devenu indépendant du garde des sceaux, malgré l’ordonnance.

Cette présence du ministre de la justice au sommet de la pyramide, lui confère quelques pouvoirs. D’un point de vue général, il lui incombe de déterminer la politique générale d’action publique de la nation . Ceci est en application de l’article 30 du Code de Procédure Pénale. Le garde des sceaux dira qu’il invite les membres du parquet à faire preuve d’attention vis-à-vis de telle ou telle forme de criminalité.

Le garde des sceaux peut donc lancer la politique criminelle qu’il souhaite. Ensuite, il a un pouvoir direct sur les membres des parquets généraux. En effet, au stade des juridictions du premier degré, on trouve le parquet avec le procureur de la République, alors qu’en appel, on trouve le parquet général avec le procureur général. Le garde des sceaux a une autorité directe sur les parquets généraux, autorité qui se manifeste par la possibilité d’adresser des instructions aux parquets généraux.

Il peut enjoindre au parquet général de déclencher des poursuites dans une affaire ou enjoindre au parquet général de faire engager des poursuites par le procureur de la république dans une affaire. Cela signifie que le garde des sceaux ne peut enjoindre un classement de l’affaire. Des injonctions de cette sorte doivent être écrites d’où le fait que toute injonction verbale est prohibée. L’écrit doit figurer dans le dossier de l’affaire.

Cela signifie que ce pouvoir s’étend indirectement au procureur de la république, par l’intermédiaire des procureurs généraux. En effet, si le garde des sceaux a autorité sur le parquet général, il a indirectement autorité sur les parquets de la République, les procureurs généraux ayant sur les procureurs de la République les mêmes pouvoirs que le garde des sceaux a sur eux, conformément à l’article 36 du Code de procédure pénale. Les procureurs de la république ont d’ailleurs autorité sur les membres de leur parquet, par exemple les substituts. (Article 36 « Le procureur général peut enjoindre aux procureurs de la République, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le procureur général juge opportunes. »)

Cette subordination postule l’obéissance. En effet, l’article 33 le dit : la subordination hiérarchique implique l’obéissance du subordonné à son supérieur. Tout manquement à cette obéissance par un membre du parquet, peut constituer une faute disciplinaire justifiant que l’on engage la responsabilité disciplinaire dudit magistrat. En un mot comme en cent, cette organisation particulière a pour conséquences qu’il n’y a aucune indépendance du parquet à l’égard du pouvoir politique.

Cela pose le problème suivant : la Constitution fait de l’autorité judiciaire la gardienne des libertés individuelles à son article 66. En parallèle, l’article 5 de la CESDH subordonne les atteintes à la liberté d’aller et de venir, à un contrôle effectué sur la légalité de cette arrestation par une autorité judiciaire. Au regard de la Constitution comme à celui du CESDH, se pose le problème de savoir ce qu’est une autorité judiciaire.

La question s’est donc posé de savoir si un parquetier est une autorité judiciaire au sens de l’article 66 ou au sens de la CESDH. Les réponses du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne sont opposées : le premier a jugé qu’un procureur de la république appartient à l’autorité judiciaire et qu’une loi peut donc lui attribuer le rôle de protéger des libertés individuelles. La CEDH est d’un avis radicalement opposé, car elle considère qu’une autorité judiciaire s’entend d’un magistrat indépendant du pouvoir politique. Elle l’a jugé, pour le ministère public de plusieurs pays et récemment dans L’arrêt Medvedyev c/ France du 29 mars 2010.

Il en résulte un problème non réglé : tous les textes du Code de Procédure Pénale qui prévoient une atteinte aux libertés individuelles et qui soumettent cette atteinte au contrôle du seul procureur de la république, sont menacés un jour ou l’autre, d’être jugés en contradiction avec les exigences de la CESDH. Par exemple, dans l’actuel débat sur la garde à vue, la règle est qu’elle est soumise au contrôle du procureur de la république. Au regard de la CESDH et son interprétation par la CEDH, cet état de fait est inconventionnel.

 La subordination hiérarchique n’est toutefois pas totale, on y trouve des limites.

 b) Limites

 Ce principe de la subordination hiérarchique n’est pas absolu. Cela se manifeste aussi bien dans les rapports de parquet à parquet qu’au sein d’un même parquet.

 

1) De parquets à parquets

 Concernant les rapports entre un procureur général et un procureur de la république, on a une subordination équivalente à celle du garde des sceaux sur le premier. On trouve toutefois des limites car un procureur de la république est chef de son parquet. En cette qualité de chef de parquet, il retire un pouvoir propre, qui n’appartient qu’à lui et qu’il n’a pas reçu par délégation de ses supérieurs.

Ainsi, si un procureur de la république refuse de suivre les instructions d’un procureur général, ce dernier ne peut se substituer au premier et prendre la décision à sa place, car le procureur de la république est chef de son parquet et a un pouvoir propre. Les actes d’un procureur de la république en sa qualité de chef de parquet, sont valables même s’ils sont en contradiction avec les instructions reçues. Les réquisitions d’un procureur de la république ne sont pas nulles si elles ne sont pas conformes aux instructions reçues. Ceci constitue une limite importante à cette subordination.

2) Au sein d’un même parquet

 Au sein d’un même parquet, concernant l’obéissance accordée par un substitut à un procureur de la république, la subordination hiérarchique se manifeste de manière plus rigoureuse. Par exemple, si un substitut est rebelle aux instructions de son procureur, ce dernier peut se substituer à lui et prendre la décision à sa place. Même alors, on a une limite à la subordination. En effet, « la plume est serve mais la parole est libre », principe qui signifie que dans ses écrits, un substitut doit être fidèle aux directives données par le procureur général dans une affaire particulière, il doit le faire. Mais, dans ses réquisitions verbales, tout membre du ministère public peut exprimer son opinion personnelle. S’il le fait, ce n’est pas une faute et n’engage pas sa responsabilité disciplinaire.

Si ce n’était que cela, on pourrait discuter le principe de cet adage. Pourtant, cela est consacré à l’article 33 du Code de Procédure Pénale (« Il développe librement les observations orales qu’il croit convenables au bien de la justice. »), qui ménage cette liberté de parole aux membres du parquet et qui les délie du devoir d’obéissance.

Même si la presse se prend à dire le contraire, même un membre du parquet a une part d’indépendance dans ses fonctions. Tout le monde connaît des moments historiques où des parquetiers ont pris cette liberté. Ces membres du parquet l’ont payé de leur avancement.

 

Sous-section 2 : Le statut des membres du ministère public

 Ce statut est le reflet de la particularité même du rôle du ministère public. Le pouvoir disciplinaire est exercé sur les membres du parquet par le ministre de la justice qui se prononce après avis d’une formation spéciale du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), compétente pour la discipline des magistrats du parquet, présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Le ministre de la justice n’est pas lié par cet avis. Rien ne l’empêche donc de prendre une sanction plus sévère que celle proposée par cette formation spéciale.

Quant à leur avancement, les membres du parquet relèvent, comme les magistrats du siège, d’une instance que l’on appelle la commission d’avancement qui est chargée de dresser un tableau d’avancement et des listes d’aptitudes aux fonctions.

 Reste alors à préciser quelle est la fonction du ministère public.

 Section 2 : La fonction du ministère public

 C’est une autorité de poursuite. À ce titre et conformément à l’article 31 du Code de Procédure Pénale, il exerce l’action publique, il est le demandeur à cette action, et requiert des juges l’application de la loi. En tant qu’autorité de poursuite, le ministère public dirige la police judiciaire selon l’article 12 du Code de Procédure Pénale. À l’autre extrémité, il doit assurer l’exécution des décisions de justice.

En tant qu’il est chargé d’exécuter l’action publique, il doit être représenté devant toute juridiction répressive. Dans l’exercice de cette mission, il bénéficie d’une totale indépendance. Autrement dit, on peut synthétiser la fonction du parquet en disant qu’il est une autorité de poursuite indépendante, et est partie intégrante des juridictions répressives. Ces deux fonctions sont singulières et contradictoires car le parquet est ainsi partie et juge.

 

Sous-section 1 : Le ministère public autorité de poursuite indépendante

Le parquet est placé sous l’autorité du garde des sceaux, directement ou indirectement. Le parquet n’en est pas moins indépendant. En effet, sous réserve de la subordination hiérarchique, cette indépendance signifie qu’il décide librement des poursuites et ne doit aucun compte des décisions qu’il prend. On peut alors dire la liberté de décision du ministère public, totale.

  • 1. La liberté de décision du ministère public

 Cette liberté de décision désigne la situation suivante : si procureur de la république est informé de la commission d’une infraction par une plainte ou un procès-verbal (PV), il apprécie librement s’il convient de poursuivre ou non cette l’infraction. Ceci résulte d’un principe fondamental de l’opportunité des poursuites, affirmé par l’article 40 du Code de Procédure Pénale.

Ce principe signifie que, lorsqu’une infraction a été commise, le procureur de la république ne poursuit que s’il le juge opportun.

Cette liberté dans le déclenchement des poursuites se prolonge au stade de l’exercice des poursuites. Cela signifie qu’il est seul juge de la façon dont il va conduire l’accusation. Ainsi, il est parfaitement possible qu’un procureur de la république déclenche des poursuites car il pense être en présence du coupable, mais qu’au cours de la procédure, il change d’avis. Libre à lui dans ce cas, devant la juridiction de jugement, de demander la relaxe ou l’acquittement de la personne poursuivie. Le parquet n’est pas l’adversaire de la personne poursuivie, mais est l’ami de la vérité.

Pour maintenir ce principe d’indépendance, le ministère public est parfaitement indépendant à l’égard des juges comme à l’égard des parties privées. À l’égard des juges, il n’appartient pas selon la séparation des autorités, aux autorités de jugement, de porter une appréciation sur la façon dont le ministère public exerce les poursuites. P.ex : une juridiction de jugement ne peut enjoindre un parquetier de déclencher les poursuites ou de  lui délivrer un blâme à l’audience. De la même manière, il est indépendant à l’égard des parties privées. Par exemple, la partie civile ne peut contraindre le ministère public à déclencher des poursuites, étant donné qu’elle peut le faire elle -même.

Inversement, le ministère public peut déclencher des poursuites car il le juge opportun quand bien même la partie civile refuserait de porter plainte ou retirerait sa plainte. L’attitude de la victime n’a aucune incidence sur le pouvoir du parquet qui peut déclencher des poursuites comme il le désire.

 Il faut accompagner la liberté de l’irresponsabilité du ministère public.

  • 2. L’irresponsabilité du ministère public

C’est une garantie de cette liberté qui leur est reconnue que cette irresponsabilité des membres du ministère public, qui ne peuvent voir leur responsabilité engagée à la manière dont ils exercent leurs fonctions. Ainsi, on se trouve dans une situation selon laquelle on ne peut reprocher à un membre du ministère public, d’avoir commis une diffamation ou une injure dans les réquisitions écrites ou verbales qu’il a tenu. En effet, lorsqu’il accuse, il ne fait qu’exercer sa fonction.

On trouve une seule atténuation à cette irresponsabilité : lorsque l’on peut imputer aux membres du parquet une faute personnelle, intentionnelle, c’est-à-dire de sa part. Dans ce cas, la victime de cette faute personnelle peut en demander réparation, selon une procédure particulière. La victime exercera l’action contre l’État, devant les juridictions de l’ordre judiciaire, l’État exercera alors une action récursoire à l’encontre du magistrat fautif.

Sous-section 2 : Le ministère public représenté devant toutes les juridictions

C’est une règle sans exception que celle selon laquelle le ministère public doit être représenté devant toute juridiction répressive. On pourrait dire que cette règle s’explique suffisamment car le ministère public est partie principale au procès. Ce n’est pourtant pas ainsi que l’on explique cette règle. En effet, la jurisprudence l’explique en disant que le parquet est partie intégrante et nécessaire des juridictions répressives. Il est ainsi une composante à part entière de la juridiction.

Cela lui confère une position singulièrement ambiguë. Il est des deux côtés des barrières, faisant partie de la juridiction et étant demandeur devant elle. Il y a là une situation inexplicable qui est peut-être à l’origine de bien des difficultés.

Quelle que soit la pertinence de ces explications, s’agissant des juridictions de jugement, toute décision rendue par elle doit expressément constater la présence du parquet, à défaut de quoi la juridiction ne serait pas régulièrement composée. De ce que le ministère public est donc partie intégrante de la juridiction, il en résulte que sa compétence est calquée sur celle de la juridiction à laquelle il appartient, en tout cas au niveau territorial.

Le procureur de la république compétent est celui du lieu de l’infraction ; celui de la résidence de la personne soupçonnée ; celui du lieu d’arrestation de la personne ou bien encore celui de son lieu de détention, s’il est détenu pour une autre infraction . Pour les personnes morales, la compétence est faite par référence au lieu de l’infraction ou à la localisation de leur siège. Selon l’article 43 du Code de Procédure Pénale, tous ces procureurs ont une égale vocation à être compétents.

Comme le parquet est partie intégrante de la juridiction, il y aura un représentant devant chacune des juridictions répressives. P.ex : devant le tribunal de police ou la juridiction de proximité, le représentant est le procureur de la république ou le commissaire de police. Devant le tribunal correctionnel, le parquet est celui du tribunal de grande instance formé par le procureur de la république avec un ou plusieurs substituts et parfois des procureurs adjoints. Devant la cour d’appel, le procureur général assure le rôle du ministère public avec les avocats généraux et les substituts généraux. Près la Cour de cassation, on trouve un procureur général, des premiers avocats généraux et des avocats généraux.

Chapitre 2. Les défendeurs à l’action publique

 Ces défendeurs à l’action publique posent la question de les déterminer. Il conviendra ensuite de présenter leurs qualités.

Section 1 : La détermination des défendeurs à l’action publique

 Selon l’article 1 du Code de Procédure Pénale, l’action publique est l’action pour l’application des peines mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. Si l’action publique est ainsi définie, alors à l’évidence, on voit contre qui elle est dirigée : contre le délinquant. Il est donc par vocation le défendeur à l’action publique. Il est d’ailleurs le seul défendeur concevable à l’action publique eu égard au principe de la personnalité des peines. Toutes les personnes physiques sont à même d’avoir la qualité de défendeur à l’action publique, et sont à même de répondre à l’accusation d’avoir commis une infraction, à ceci près que certaines d’entre elles sont protégées par des immunités procédurales. Une personne peut ne pas faire l’objet de poursuites car faisant l’objet d’une immunité.

S’agissant des personnes morales, il a fallu instaurer des règles particulières pour la procédure comme pour le fond. Lorsqu’une personne morale est poursuivie, l’action publique est exercée contre elle à travers la personne de son représentant légal, étant entendu que la personne morale peut être représentée à la procédure par un mandataire de justice dans l’hypothèse où les poursuites seraient dirigées contre le représentant de la personne morale et contre la personne morale elle-même. Il pourrait alors être délicat que le représentant soit en même temps celui qui représente la personne morale dans la procédure.

Reste que le ministère public doit poursuivre uniquement les personnes qu’il pense être les auteurs, coauteurs ou complices d’une infraction. Toutes les personnes concernées ne seront toutefois pas représentées et parties à l’action publique. Il faut différencier le suspect et la partie à l’action publique dit défendeur à l’action publique.

Il y a en effet plusieurs stades durant la procédure pénale. Au cours de ces stades successifs, la qualité de la personne va évoluer. Par exemple, au cours d’une enquête policière, lorsqu’aucune poursuite n’a été déclenchée, la personne soupçonnée n’est pas une partie, elle est uniquement un suspect. Ce suspect pourra ensuite, si l’action publique est déclenchée, devenir partie à l’action publique, plus précisément défendeur.

Ce passage d’une qualité à l’autre s’opère au moment où les faits poursuivis vont être officiellement imputés à cette personne. Par exemple, au stade d’une instruction, le suspect va devenir partie à la procédure à l’instant où il sera mis en examen . La mise en examen est en effet le moment de la procédure où un juge d’instruction accuse officiellement une personne d’être l’auteur ou le complice des faits incriminés.

Au stade du jugement, cette personne à laquelle on imputera officiellement la commission des faits, sera un prévenu – devant une juridiction de proximité, un tribunal de police ou un tribunal correctionnel. Elle sera un accusé devant une cour d’assises. Elle n’y comparaît qu’après avoir été mise en accusation, lui donnant la qualité d’accusé, de défendeur à l’action publique en matière de crime.

En revanche, au stade de l’enquête policière, il n’y a pas de lien d’instance, de procédure, de parties. Le suspect n’est partie à rien. Ça ne signifie pas qu’il n’a aucun droit. Il n’a pas les droits d’une partie, n’en étant pas une, mais il a un certain nombre de droits que l’on rattache à la catégorie des droits du citoyen. Il a donc, au cours d’une garde à vue, le droit de faire contacter certains proches ou d’avoir un examen médical. Ce suspect est en plus de cela, couvert par la présomption d’innocence.

Aucune autre personne ne peut être défendeur à l’action publique. Par exemple, ses héritiers éventuels, après son décès, ne peuvent se retrouver devant la juridiction répressive en cas d’action publique car la responsabilité pénale est personnelle. En effet, le décès de la personne poursuivie éteint l’action publique. De même, les personnes « civilement responsables du fait d’autrui », ne sont pas des défendeurs à l’action publique. On peut penser aux parents du fait de leur enfant mineur. Ils échappent à toute condamnation pénale, mais peuvent être civilement condamnées.

La personne civilement responsable, comme le commettant ou le parent, à la suite des poursuites exercées contre un enfant mineur, est exclue du prétoire pénal mais elle peut être présente devant la juridiction répressive.

Section 2 : Les qualités du défendeur à l’action publique

 Il semble, a priori, qu’une personne ne peut se voir dans la position d’un défendeur à l’action publique, que sous deux conditions :

  • Il semble qu’il faille qu’elle soit identifiée, puisque l’on ne peut imputer une action à un inconnu.
  • Il faut aussi que cette personne soit à même de se défendre elle-même aux accusations que l’on lui porte.

Ces deux qualités sont-elles réellement requises ? Il paraît évident que l’on ne peut poursuivre un inconnu. Il faut apporter des précisions. S’agissant de l’instruction, elle peut justement avoir pour objet d’identifier l’auteur de l’infraction. Même au stade du jugement, il est arrivé que l’on poursuivre un individu dont on n’avait pas réussi à déterminer l’identité. On reconnaît l’hypothèse de l’instruction contre X, ou « contre personne non dénommée », (Art. 80, Code de Procédure Pénale).

Cette condition donnant à la capacité de se défendre par soi-même est-elle vérifiée ? Dès l’instant que la personne poursuivie est de ceux dont la responsabilité pénale peut être engagée, elle est présumée avoir les aptitudes pour se défendre contre les accusations que l’on porte contre elle. Dès lors que l’on est majeur et défendeur à l’action publique, il est présumé que l’on est capable, que l’on a les aptitudes utiles pour se défendre. Un mineur âgé de plus de 13 ans est présumé capable d’assurer sa propre défense, mais cette présomption ne peut jouer de manière totalement abstraite.

Pourtant, le législateur a parfois prévu une assistance renforcée. Ainsi, lorsque c’est un mineur qui est poursuivi, l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit l’assistance obligatoire du mineur par un avocat. S’agissant maintenant des majeurs défendeurs à l’action publique, il est évident que certains posent une difficulté, ceux dont le Code civil dit qu’ils bénéficient d’une mesure de protection juridique. Ces personnes sont des personnes qui, au regard de leurs intérêts civils, sont considérés comme inaptes à gérer leurs intérêts. Ainsi, si elles ne sont capables de gérer des questions patrimoniales, elles ne peuvent le faire contre des accusations pénales.

Des règles particulières ont du ainsi être instaurées pour organiser là aussi, une assistance minimale, sur le modèle du mineur. Plus précisément, ceux que le droit civil appelle les « majeurs protégés », vont devoir être assistés dans la procédure pénale, par un curateur ou un tuteur, par exemple. Ces personnes étant en mesure de prendre connaissance de la procédure dans les mêmes conditions que l’intéressé lui-même. En outre, et comme pour les mineurs, l’assistance pour ces majeurs protégés, est obligatoire.

 Il a fallu une condamnation par la CEDH pour prendre des mesures de cette nature.

 Livre deuxième : Les parties à l’action civile

L’action civile n’est pas, au fond, de l’essence du procès pénal. L’action civile apparaît alors comme étant seulement l’accessoire possible de ce principal qu’est l’action publique. L’action civile a pour objectif d’effacer les conséquences de la commission de l’infraction par les victimes, et de les effacer par des mesures qui ne sont ni des peines ni des mesures de sûreté, par des mesures réparatrices comme des dommages et intérêts.

Le demandeur à l’action civile est la partie civile. Le modèle de cette partie est la victime de l’infraction. La partie civile ne se limite pourtant pas à ce cas. Cette partie civile a la possibilité d’être présente devant la juridiction répressive. Cette présence n’a pu être acquise que par dérogation aux règles ordinaires de la compétence, le juge naturel de l’action civile étant le juge civil. Il y a donc dans la possibilité d’exercer l’action civile au pénal, la manifestation d’une règle exceptionnelle. À ce titre, et comme toute exception, elle est d’interprétation stricte. Disant cela, on ne fait que reprendre un principe de portée générale valant pour tout principe : toute exception est d’interprétation stricte. Cette logique juridique est renforcée par une mesure politique.

On retrouve cet aspect politique dans le cas suivant. La partie civile a, pour l’instant, le pouvoir de déclencher l’action publique au même titre que le ministère public. À l’évidence, ce pouvoir de déclencher l’action publique, de désigner publiquement quelqu’un comme étant l’auteur ou le complice d’une infraction est grave. Dans un État de droit, il n’est pas de plus grave que ce pouvoir. En effet, ce pouvoir qui peut présenter des vertus du côté des victimes, présente des inconvénients quant à ceux qui sont accusés. Le risque d’une atteinte aux libertés individuelles pour tous ceux qui risquent d’être injustement mis en cause par des initiatives intempestives est immense.

En conséquence de quoi, pour des raisons politiques, il ne faut accorder la qualité de partie civile qu’aux personnes qui le méritent, à un petit nombre. En effet, plus on reconnaît la qualité de partie civile à un nombre étendu d’individus, plus on permet à un nombre important de personnes de déclencher l’action publique. Cela impose politiquement que l’on ait une conception restrictive de la partie civile. Cette nécessaire conception restrictive de partie civile est à comprendre et assimiler car il s’agit d’une solution incomprise et souvent critiquée par des gens qui n’ont pas saisi cela, comme les civilistes qui critiquent la procédure pénale qui aurait une conception trop étroite de la partie civile.

Ce débat se retrouve quant aux demandeurs à l’action civile. Les difficultés sont plus simples concernant les défendeurs à l’action civile.

Titre 1. Les demandeurs à l’action civile

Evoquer cette question, c’est se tourner vers un article important du Code de Procédure Pénale. Il s’agit de l’article 2 qui définit l’action civile exercée par les demandeurs comme « une action en réparation du dommage causé par une infraction, celle dont le juge est saisi ». Cette action civile, l’article 2 la réserve à un certain nombre de demandeurs qu’il désigne de la formule suivante : elle peut être exercée par la personne qui a « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ».

C’est une définition importante, mais dont il faut souligner qu’elle est, dans une large mesure imparfaite, puisqu’est désignée uniquement une certaine catégorie de demandeurs à l’action civile. Il désigne ainsi la victime de l’infraction, en tant que partie civile. Il existe en effet des parties civiles qui ne sont pas les victimes, et qui se retrouvent donc à la tête d’une action civile différente de celle dont parle l’article 2.

Il faut donc comprendre que les termes de « partie civile » et de « victime » ne sont pas synonymes. Il faut donc voir le cas où la victime est partie civile et le cas où la partie civile n’est pas victime.

Chapitre 1. La victime partie civile

Il est bien vrai qu’aux différentes parties civiles existantes, il faut attacher la priorité à la victime. La détermination des demandeurs à l’action civile renvoie à savoir qui est victime de l’infraction dont le juge est saisi. Cette notion de victime se retrouve aussi en procédure civile. Dans cette discipline, la notion de victime est simple que l’on détermine par simple référence au caractère du préjudice. On dit qu’il faut invoquer un dommage qui doit être actuel, direct, personnel et certain. Dès lors il y a ipso facto la qualité de victime.

On ne peut pas raisonner avec cette simplicité en procédure pénale. Il n’est pas acceptable de raisonner aussi simplement. Lorsque la victime veut demander au juge réparation du dommage qu’elle invoque, il n’est pas certain qu’elle désire seulement obtenir réparation de son dommage. Elle veut aussi, et parfois c’est même son objectif unique, déclencher l’action publique ; déclencher les poursuites contre l’auteur de l’infraction. Lorsque ce déclenchement a déjà eu lieu, elle peut vouloir se joindre à l’accusation, au ministère public, pour l’aider dans son travail.

Il s’agit de prétentions qui vont au-delà de la vulgaire question de savoir à combien s’élèveront les dommages et intérêts. Cette prétention n’est pas admissible d’emblée. Il n’y a rien de plus dangereux que de déclencher l’action publique pour les libertés individuelles. La position traditionnelle de la procédure a donc toujours été restrictive De ce fait, notre procédure a toujours considéré qu’elle n’était admissible que si le demandeur à l’action civile, la victime, poursuit un intérêt privé correspondant très exactement à l’intérêt général . On a ainsi toujours veillé à ce que la demande de la partie civile vienne épouser les contours de l’action civile. Si cette condition est remplie, la victime participera à la défense de l’intérêt général, en même temps que son intérêt privé.

A l’inverse, dès l’instant qu’un particulier va prétendre se prévaloir devant le juge répressif, d’un intérêt qui ne coïncide pas totalement et exactement à l’intérêt général, sa présence dans le procès pénal n’a plus aucune justification. Il y aurait là un facteur de désordre venant parasiter l’exercice normal de l’action publique. On ne refuserait pas que la réparation du dommage serait impossible, mais pas devant le juge répressif.

À l’inverse et en conséquence, dès lors qu’un particulier va prétendre se prévaloir d’un intérêt légitime mais ne coïncidant pas totalement avec celui poursuivi par le ministère public, à l’intérêt général, sa présence dans le procès pénal n’a plus de justification. Il y aurait là un facteur de désordre venant parasiter l’exercice normal de l’action publique. Si on l’exclut du prétoire pénal, on ne la prive pas cependant de sa réparation, mais elle doit la réclamer au juge civil. La qualité de victime en procédure pénale doit être étroitement appréciée au regard de ce qu’elle est en procédure civile. On retient alors l’appréciation de la qualité de victime, puis son intérêt à agir.

Il restera enfin quelques mots à dire quant à la qualité que doit avoir cette victime pour exercer l’action civile, puisque la qualité s’apprécie au jour où la personne agit.

 

Section 1 : La qualité de victime

On est dans l’hypothèse où une infraction a été commise. Elle s’apprécie au jour où la personne agit et non à la date à laquelle l’infraction dont elle se plaint a été commise. Lorsqu’une infraction a été commise, des personnes en souffrent. Au regard de la notion de victime en matière civile, il n’y a qu’un nombre limité de personnes qui ont  vraiment la qualité de victime. Il n’y a donc que peu de personnes qui vont pouvoir exercer l’action civile devant les juridictions pénales en greffant l’action civile à l’action publique.

Cette personne est celle qui a personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. On voit donc apparaître l’allusion à la nécessité que le dommage doit avoir deux caractères : il doit être direct et personnel.

Il y a une difficulté quant à la détermination de la qualité de victime. Il n’est pas certain que cette qualification soit la même devant les juridictions de jugement et d’instruction. L’indice de cette possibilité est le fait qu’à côté de l’article 2, il existe une disposition spécifique qui vise la partie civile, l’article 85, qui dispose que « toute personne qui se prétend lésée par l’infraction », peut se constituer partie civile. Il y aurait là une conception de la victime, de la partie civile, nettement moins exigeante qu’à l’article 2.

Au fond, à la réflexion, cette différence apparaît justifiée. En effet, on ne peut pas exiger au stade de l’instruction et donc du doute que la victime établisse avec certitude que le dommage dont elle se plaint, comporte tous les caractères de l’article 2. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs que de poser une telle exigence.

Lorsque la recevabilité se pose à l’instruction, il faut donc des critères plus souples que celui de l’article 2. Un motif qui revient : pour qu’une constitution de partie civile soit recevable, il suffit « que les circonstances sur lesquelles s’appuie la plainte permettent au juge d’instruction d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué et sa relation directe avec l’infraction ».

Le mot important est « possible » : on n’exige donc pas une certitude, on ne réclame pas à la victime qu’elle établisse bien qu’elle a souffert du dommage causé par l’infraction. On se contente d’une possibilité, car on est à un stade de la procédure qui permet le doute. La victime peut invoquer des textes différents. Il serait judicieux que l’on invoque l’article 85. Il y a des arrêts en ce sens, mais peu nombreux. La Cour de cassation rend en général ses décisions au visa de l’article 2 du Code de Procédure Pénale, comme s’il avait une portée générale et valait indifféremment au stade de l’instruction et du jugement. Certains arrêts sont enfin rendus au double visa des articles 2 et 85.

Cela revient à dire qu’il y a un article général définissant la victime, précisé par l’article 85. En matière de visa, la Cour est donc très inconstante. S’agissant des textes visés, la solution est certaine : on est plus réceptif à la notion de victime au stade de l’instruction.

Cette appréciation de la qualité de victime va donc pouvoir varier au cours de la procédure. On peut donc envisager qu’un juge d’instruction définisse une personne comme victime car il n’y a qu’une possibilité. La procédure venant à progresser, cette appréciation initiale va être infirmée. On dit donc que, même si c’était possible, la personne n’était pas la victime de l’infraction. La Cour de cassation en a alors tiré la conséquence que la décision rendue sur la recevabilité de l’action civile n’a pas autorité de la chose jugée devant la juridiction de jugement (si prise devant l’instruction).

 

Sous-section 1 : La notion de dommage direct

Selon l’article 2 du Code de Procédure Pénale, la victime est la personne ayant directement souffert du dommage causé par l’infraction. Ce dommage direct signifie un lien de causalité entre l’infraction dont le juge est saisi, et le dommage de la victime. Cela signifie que n’a pas la qualité de victime, toute personne ayant subi un dommage mais un dommage qui n’a pas de lien direct avec l’infraction. Bien sûr, cette question de savoir l’existence d’un lien de causalité, dépend du choix que l’on fera d’une théorie de la causalité. Plus l’on optera pour une théorie acceptant facilement un lien de causalité, plus le nombre de ceux pouvant demander la qualité de victime sera étendu.

À la vérité, cette question du choix de la théorie de la causalité n’est pas propre à la procédure pénale et existe aussi en procédure civile. Il y a par exemple une théorie que l’on dit qu’elle est compréhensible, c’est celle de l’équivalence des conditions. Une autre est plus restrictive, c’est celle de la causalité adéquate.

 Au fond, on peut passer vite sur ce débat car il n’a pas de réponse ferme et que la question ne doit pas se poser ainsi en procédure pénale. Même les théories les plus restrictives ne suffiront pas à effectuer le tri nécessaire, car il faut que la notion de victime soit étroitement considérée du fait des libertés individuelles. La théorie de la causalité adéquate voit un événement comme cause d’un risque, car selon le cours naturel des choses, l’évènement avait pour nature d’avoir des conséquences.

 La théorie de la causalité adéquate estime que c’est le cas lorsque l’événement était de nature à avoir cette conséquence (événement cause d’un risque). Si l’on fait application de cette théorie en matière pénale, et que l’on pose cela concernant un vol, selon le cours naturel des choses, il est normal par exemple que la commission de ce vol lèse non seulement le propriétaire de l’objet soustrait mais aussi ses créanciers. Le préjudice leur paraît directement relié à la commission du vol.

 Ainsi, des violences involontaires affectent la victime et son employeur. Puisque cette évidence était postulée par le cours normal des choses, l’employeur se retrouve directement lié par l’infraction de blessures par imprudence.

 Dans les deux cas, la personne volée et ses créanciers, la personne blessée et son employeur, pourront soutenir, même en application d’une théorie de la causalité adéquate, que le préjudice qu’ils subissent, a bien été directement causé par l’infraction dont le juge est saisi. A fortiori, si ces personnes vont demander réparation, ils l’obtiendront : il faut prouver que le dommage a été directement causé. Pour la procédure pénale, cela fait trop de monde, car on ne peut admettre que le créancier d’une personne volée se déclare victime. Le critère essentiel est celui du caractère personnel ou non personnel du dommage.

Sous-section 2 : La notion de dommage personnel

 C’est une discussion délicate et difficile sur laquelle la jurisprudence a beaucoup évolué. Philippe Conte a un avis qui n’est partagé par personne. On commencera par exposer la notion pour voir son application.

  • 1. Un exposé de la notion de dommage personnel

 Cette notion n’est pas propre à la procédure pénale, car on invoquait aussi au civil un dommage direct et personnel. Dans les deux disciplines, on y invoque ce caractère. Pourtant, le même mot n’a pas la même signification.

  • En matière civile, dire qu’un dommage doit être personnel pour demander réparation, c’est formuler une évidence. Il faut exiger du demandeur qu’il établisse que le dommage est le sien.
  • En procédure pénale, les choses sont différentes. On parle de dommage personnel alors que cela ne se retrouve pas dans l’article 2 du Code de Procédure Pénale. Il dit qu’il faut avoir « personnellement souffert ». C’est par facilité de langage que l’on résume cela par la formule selon laquelle le dommage doit être personnel.

Il y a ici une perte de sens. Si l’on pose la difficulté dans les termes imposés par l’article 2, elle apparaît de manière différente qu’en matière civile. Il faut se demander qui en a personnellement souffert. Un vol a été commis. S’agissant du dommage, un grand nombre de personnes peuvent aspirer à la qualité de victime, mais qui en a personnellement souffert ? Le volé. Quant des blessures sont commises, seul le blessé en a souffert.

La notion de dommage personnel a été consacrée par un arrêt de Cassation en Assemblée Plénière en 1979. Cela montre que la question était débattue et que les juges du fond n’étaient pas maîtres de cette notion de dommage personnel. Il est dit que, par exemple, dans des poursuites de blessures par imprudence, la personne ayant souffert de l’infraction est le blessé, et personne d’autre.

Cass. Ass. Plén., 12 janvier 1979, Salva, n° 77-90.911 : Le droit d’exercer l’action civile devant les juridictions répressives, dont l’un des effets éventuels est la mise en mouvement de l’action publique, n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par l’infraction . Il s’ensuit que la personne, qui n’a pas été personnellement blessée et victime du délit défini par les articles 319 et 320 du Code pénal, n’est pas recevable à saisir la juridiction répressive d’une demande de dommages-intérêts, même si elle est fondée à obtenir devant les tribunaux civils réparation du dommage résultant pour elle de la faute commise par l’auteur de ce délit.

Cette approche a un mérite car elle est fidèle à la lettre des textes. De plus, en prenant la difficulté de cette manière, on arrive bien au résultat recherché. Il y a une totale correspondance entre ce que la victime a souffert et ce que la société a elle-même souffert. L’intérêt privé de la victime correspond très exactement à l’intérêt général et à la valeur que la société veut protéger lorsqu’elle incrimine les blessures par imprudence.

Le dommage invoqué par la victime correspond exactement au résultat de l’infraction considéré. Le dommage subi par la victime apparaît comme l’image à l’échelle réduite, du dommage subi par la société. En quelque sorte, le préjudice invoqué par la victime est le dommage du préjudice social. Si l’assemblée plénière a bien posé le problème en ces termes, cette décision est restée isolée. Elle a considéré que la victime était bien celui qui a personnellement souffert du dommage causé par l’infraction dans cet arrêt mais pas dans tous les autres.

Les autres arrêts ne se prononcent pas dans les mêmes termes. Ils rejoignent l’assemblée plénière, mais donnent une motivation différente. Là où l’assemblée plénière dit que les autres que le blessé n’ont pas souffert des blessures, les autres décisions concluent que les autres que le blessé n’ont pas subi un dommage direct par rapport à l’infraction de blessure. Ces autres arrêts raisonnent donc sur une différence de terminologie.

Quelle que soit cette différence de terminologie, on arrive bien à une notion restrictive de victime en matière pénale. Plus précisément on limite cette qualité de victime à la personne qui, faisant valoir son intérêt personnel, va du même coup participer à la défense d’un intérêt général car son intérêt personnel correspond très exactement à l’intérêt social. Si on admet cette présence, c’est parce que l’on sait qu’elle ne perturbera en rien l’action publique, car cette action civile converge avec l’action publique.

L’action civile ne peut contrarier l’action publique, c’est pour cela que l’on admet la présence de la partie civile. L’action civile est l’accessoire de l’action publique. Si d’aventure, la demande d’une personne prétendant défendre ses intérêts privés devant le juge répressif, présentait le risque que l’on perde l’action publique pour d’autres arguments, il faudrait la bannir du tribunal.

  • 2. Les applications de la notion de dommage personnel

Cette manière d’analyser le dommage personnel renvoie de façon inévitable à la notion de résultat dans l’infraction. La victime est ici celle dont le préjudice qu’elle invoque correspond très exactement au résultat de l’infraction. On a pourtant vu que la notion de résultat était très obscure. Vouloir calquer la notion de victime, notion procédurale, sur la notion de résultat, représente un travail difficile. Il est vrai que dans certaines hypothèses, la qualification de la victime ne présentera pas de difficulté.

Supposons des poursuites pour entrave à la liberté du travail. L’employeur perd du chiffre d’affaire. Ce dommage est directement relié à l’infraction mais l’employeur en a-t-il directement souffert ? Non. Ce sont ses salariés. C’est pourquoi la Cour de cassation estime que la constitution de partie civile est recevable pour les salariés mais pas pour l’employeur. Mais les arrêts diront qu’il n’a pas directement souffert de l’infraction et non personnellement. Il doit aller voir le juge civil.

Supposons une escroquerie à la charité. Lorsqu’un escroc prétend collecter des fonds pour des nécessiteux, il peut arriver qu’une association caritative veuille déclencher des poursuites contre cet escroc. En effet les collecteurs de cette association se font refouler lors des collectes postérieures, et le chiffre d’affaires de l’association baisse. Cette constitution de partie civile est-elle concevable ici ? Non, car il y a bien une baisse du CA due à l’escroquerie. Pourtant cette association n’a pas été escroquée elle-même.

Il est parfois difficile de mettre ce raisonnement en application, car les appréciations sont plus délicates. On connaît tous l’infraction de publicité mensongère qui s’appelait « publicité trompeuse » et est devenue « pratique commerciale trompeuse ». C’est actuellement une infraction pénale réprimée par le Code de la consommation. On pense directement au consommateur auquel s’adressait cette publicité, qui a été trompé. La jurisprudence ne dit pas le contraire. Est-ce qu’un concurrent de celui qui s’est livré à cette publicité mensongère peut se constituer partie civile ? Il n’a pas subi personnellement de dommage, mais il dit que son CA a baissé à cause de cela. C’est un préjudice indirect, mais la Cour de cassation a jugé que la constitution de partie civile de ce concurrent était recevable alors même que ce concurrent n’en avait pas personnellement souffert.

La jurisprudence accepte aussi de prendre en compte les circonstances aggravantes de l’infraction. Voici un vol effectué à la poste par des hommes porteurs d’armes qui avaient menacé le personnel. Le juge est saisi de vol aggravé par l’usage d’armes et de violences. La personne morale à savoir la poste a été victime. Les employés se sont constitués partie civile, ce qui a été reçu par le juge. Or ils n’ont pas souffert du vol, mais ils ont souffert de ce vol si on y inclut les circonstances aggravantes. C’est le signe que la cour de cassation accepte de tenir compte aussi des circonstances aggravantes pour définir qui peut se constituer partie civile.

On trouve donc des solutions un peu divinatoires, quant à savoir quel est le résultat d’une infraction donnée et si la victime dépend de ce résultat. À cela s’ajoute que dans cette politique jurisprudentielle, il n’y a pas que des considérations techniques. Dans la considération de ceux qui peuvent se dire victime, il y a parfois à la clé des considérations politiques.

On trouve l’exemple de l’infraction d’abus de biens sociaux, qui se rapproche de l’abus de confiance. On retient que cela consiste à détourner une partie du patrimoine d’une société à son profit, par un dirigeant de cette entreprise. On se demande qui peut se constituer partie civile dans un tel cas. Étant celui ou ceux qui ont personnellement souffert de cette infraction, ici c’est à l’évidence la société. La question s’est posé de savoir si l’on pouvait accorder cette qualité de victime aux associés. La Cour de cassation a longtemps répondu de façon positive. C’était une solution discutable. Subitement, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence pour déclarer cette constitution de partie civile irrecevable.

Certains ont vu dans ce revirement une considération politique, car des hommes politiques avaient été condamnés pour recel de bien détournés par abus de bien sociaux. La classe politique s’en est alors émue, et a voulu modifier la définition d’abus de biens sociaux. Ce projet est passé à la trappe, mais la Chambre criminelle a opéré le revirement à ce moment. Curieuse coïncidence. Empêcher les associés de se constituer partie civile évite la mise en place d’une telle infraction.

 Le débat concernant le résultat de l’infraction est ainsi difficile, car on trouve des considérations contingentes.

La plus célèbre des illustrations se trouve dans une notion souvent contestée en doctrine qui est « l’infraction d’intérêt général ». La Cour de cassation a considéré qu’il y avait des infractions d’intérêt général. Expression malencontreuse car on pourrait dire que toute infraction est, par nature, d’intérêt général. On comprend ici bien l’idée qu’il y aurait des infractions dont le résultat est tel que personne, parmi les citoyens, ne peut soutenir en avoir personnellement souffert. La définition donnée par le Code pénal de ces infractions est telle qu’il est exclu qu’un préjudice individuel ne puisse jamais correspondre au résultat de cette infraction.

Puisque personne parmi les citoyens ne peut soutenir avoir souffert de cette infraction, le déclenchement de l’action publique deviendra le monopole du ministère public. C’est l’illustration la plus épurée de la notion de dommage personnel. La Cour de cassation en a jugé ainsi pour les infractions douanières – un seul particulier ne peut prétendre en avoir souffert puisque la victime est le Trésor public – ou l’atteinte au secret de la défense nationale ou encore le discrédit d’une décision juridictionnelle etc.

Section 2 : L’intérêt à agir de la victime

Cette victime, qui a personnellement souffert du dommage, peut exercer l’action civile, qui est une action en réparation. Cette action est nécessairement sous-tendue par un intérêt. « L’intérêt est la mesure de l’action ». Cela pose la question de savoir quel est l’intérêt dont la victime se prévaut lorsqu’elle prétend agir devant une juridiction répressive. Cela pose le fondement de l’action civile et son objet.

Sous-section 1 : Le fondement de l’action civile

L’article 2 du Code de Procédure Pénale définit l’action civile comme une action en réparation du dommage directement causé par l’infraction. Il s’agit donc d’une action en responsabilité civile. Plus précisément, lorsque la victime exerce l’action civile, elle veut voir mise en jeu la responsabilité civile de l’auteur de l’infraction, à son égard. Il s’agit d’une action en responsabilité délictuelle et non pas contractuelle, selon le droit civil.

Il s’agit ici uniquement d’un fait juridique entrainant une responsabilité de nature délictuelle. S’agissant des textes qui fondent l’action civile, il s’agit des articles 1382 et 1383 du Code civil. Le premier est l’article qui permet d’engager la responsabilité civile d’une faute civile intentionnelle alors que l’autre permet d’engager la responsabilité civile d’une faute d’imprudence.

Lorsque la victime d’une infraction exerce l’action civile, elle se base sur l’un de ces deux articles. Il en résulte que, le fondement de l’action civile étant celui-là, la victime de l’infraction ne peut se prévaloir des règles d’une autre responsabilité comme la responsabilité contractuelle ou civile détachée de la faute. On a en effet plusieurs régimes de la responsabilité civile. On trouve la responsabilité pour faute, du fait des choses etc.

La victime ne peut-elle pas exercer au pénal des actions de nature civile ? Ne peut-elle pas exercer les actions « à fins civiles » ? C’est un exemple déjà pris : si l’on parle de coups et blessures intentionnelles envers une femme, par son mari, elle peut demander réparation des violences devant la juridiction pénale, sur le fondement de l’article 1382. Elle ne peut néanmoins pas exercer devant la juridiction civile, une action « à fin civile » comme le divorce.

Parfois, il arrive que l’action civile ait une assise plus étendue que 1382 et 1383. Cette extension peut être donnée par la jurisprudence. Il existe un texte propre à l’hypothèse des accidents de la circulation par une loi de 1985 engageant la responsabilité civile du conducteur d’un véhicule impliqué dans un accident, la fondant autrement que sur la faute. La jurisprudence aurait du estimer que le juge répressif ne pouvait pas connaître de la réparation de ce cas, car il n’y a pas de faute dans cette loi. La chambre criminelle a admis que la victime d’un accident de la circulation puisse exercer une action civile devant le juge répressif en invoquant les principes de la loi de 1985 alors que cette loi est détachée de la faute.

L’élargissement de l’action civile peut résulter d’une initiative du législateur. Par exemple, il a parfois consacré lui -même la compétence du tribunal répressif pour allouer une réparation alors même qu’il n’y a pas de responsabilité pénale. Autrement dit, avec une décision de relaxe ou d’acquittement, l’action civile devrait disparaître, mais le législateur peut maintenir la compétence pour statuer sur l’action civile.

La loi peut aussi accepter que le tribunal répressif soit saisi pour des demandes d’actions à fins civiles, qui ne sont pas des actions en réparation. Ainsi, il existe des infractions en matière de chèques. Le tribunal correctionnel ne devrait être compétent que pour allouer réparation au préjudice subi par la victime. Le Code monétaire et financier peut ordonner à l’auteur de l’infraction de payer la créance à l’origine de l’émission du chèque délictueux. Cela n’est pas la réparation d’un dommage, mais le législateur en a décidé ainsi.

Dès que l’on connaît le fondement de l’action civile, on comprend mieux l’objet de la demande formée par la victime.

Sous-section 2 : L’objet de la demande

 Cet objet est facile à déterminer. Puisque l’action civile est une demande civile de réparation d’un dommage subi, elle a pour objet d’accorder la réparation du préjudice subi par la victime, conformément à l’article 2 du Code de Procédure Pénale.

 De cette solution naturelle, la jurisprudence a admis qu’il fallait s’éloigner. Elle a accepté la recevabilité d’une demande de la victime, demande dont il est avéré qu’elle ne pourra lui procurer réparation. La question est alors de savoir pourquoi la victime qui ne peut obtenir réparation, est présente. Elle veut participer à l’accusation. C’est un autre objet possible de l’action civile : participer à l’accusation.

  • 1. La réparation

 C’est l’objet naturel de l’action civile. Puisqu’il s’agit d’une action en réparation civile, elle a pour objet de donner à la victime réparation du dommage causé par l’infraction. On exigera alors simplement que le dommage présente les caractères requis en droit civil : un dommage certain, direct et personnel. La partie civile ne peut ainsi pas obtenir réparation du préjudice fiscal causé par l’infraction, puisque le fisc a une logique différente. Il s’agit en effet d’une répercussion trop indirecte.

Le juge répressif est compétent pour indemniser tous les préjudices résultant des faits objets de la poursuite. Il s’agit de l’article 3 du Code de Procédure Pénale (« L’action civile peut être exercée en même temps que l’action publique et devant la même juridiction. Elle sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite »).

Il faut s’attarder quelques instants avec cet article 3 pour comprendre son articulation avec l’article 2 c’est un raisonnement à double détente.

—    On se pose ainsi la question de la qualité. La personne a-t-elle la qualité de victime ? Cela dépend de l’article 2. Si elle n’a pas la qualité, elle est irrecevable devant le juge répressif. Si elle l’a, se pose la question de savoir de quel type de   préjudice elle peut obtenir réparation.

  • Cette deuxième question est alors de savoir de quel type de préjudice elle peut obtenir réparation. Ceci est une question seconde. C’est là qu’intervient l’article 3 : elle peut obtenir réparation de tous les chefs de préjudices « corporels, matériels ou moraux ».

Supposons des blessures par imprudence : qui a la qualité pour agir ? Celui qui a personnellement souffert du dommage : le blessé. Ce blessé, de quel type va-t-il obtenir réparation ? De tous les préjudices dont il a souffert : un préjudice corporel, matériel correspondant aux salaires perdus. Il ne faut pas considérer que si l’infraction est une atteinte à l’intégrité physique, il n’y aurait que préjudice corporel

En procédure civile, on exige souvent de la victime qu’elle se prévale d’une atteinte à un intérêt légitime. Cela permet au juge civil de refuser l’indemnisation à des gens qu’il estimerait ne pas être dans une situation légitime. C’est une jurisprudence qui voyait des chambres civiles refuser l’indemnisation à une concubine car sa position n’était pas légitime.

La chambre criminelle a toujours eu une position originale concernant l’intérêt légitime. C’est là encore, une position « politique ». Si l’on dit en effet que l’on va avoir de la légitimité de l’intérêt, une conception étroite, le nombre de ceux qui vont pouvoir déclencher des poursuites va être réduit.

  • 2. La participation à l’accusation

Si l’on faisait application stricte de l’article 2 du Code de Procédure Pénale le raisonnement à effectuer serait le suivant : puisque l’action civile vise à obtenir réparation, si la victime ne peut pas obtenir réparation, elle ne devrait pas pouvoir avoir accès au prétoire pénal. En effet, elle n’a aucun intérêt à agir. Qui n’a pas d’intérêt n’a pas d’action.

Cela est un bon raisonnement, mais la jurisprudence s’en fout. Elle permet en effet à une victime qui ne pourra pas obtenir réparation, d’être présente devant le juge répressif. Il faut alors croire que cette présence correspond à un intérêt suffisant, qui n’est donc pas d’obtenir réparation. En sa qualité de victime soigneusement contrôlée, elle a intérêt à l’accusation. Plus précisément, elle a intérêt à déclencher l’action publique, ou à s’y joindre si elle est déjà déclenchée . La Cour de cassation a ainsi affirmé qu’une victime pouvait être présente devant une juridiction répressive dans le seul souci de « corroborer l’action publique ». Pour décrire ce phénomène d’une victime présente devant le juge répressif alors qu’elle sait qu’elle ne pourra obtenir réparation, on parle de la « dissociation de l’action civile », c’est-à-dire qu’elle se dissocie de son objet habituel qu’est la réparation.

Cette dissociation peut se produire dans des hypothèses différentes :

  • On trouve celle où, de toute façon, la victime ne peut obtenir réparation du tribunal répressif. Elle ne peut pas en obtenir réparation car ce tribunal répressif est incompétent pour la lui allouer. L’auteur de cette infraction serait un fonctionnaire en sorte que l’ordre de juridiction compétent pour réparer les fautes de ce fonctionnaire est le tribunal administratif. Cela concerne une faute « non détachable de la fonction ». La réparation des dommage causés en ce cas relèvent exclusivement de la compétence des juridictions administratives. Idem pour les accidents du travail : le prétoire pénal est incompétent pour allouer la réparation – juridictions de sécurité sociale.
  • Il peut aussi arriver que la victime ne veuille pas demander la réparation. La chambre criminelle considère cela possible, car la victime peut, par cette qualité, se constituer partie civile.
  • On trouve un troisième cas plus délicat, qui est celui où la victime prétend agir devant le tribunal répressif alors que le dommage subi a déjà été réparé. 

Par exemple, cette victime a pu obtenir indemnisation de l’infraction, par son assureur. Il n’y a ainsi plus de préjudice lorsqu’elle se présente devant le tribunal répressif. La Cour de cassation estime que la victime doit pouvoir agir devant la juridiction répressive. On franchit donc un pallier supplémentaire. Dans les hypothèses précédentes, il restait le principe d’un droit à réparation ; ici le principe a purement et simplement disparu, le dommage ayant été déjà indemnisé.

Ce phénomène de dissociation de l’action civile est important. En effet, si la partie civile ne peut obtenir réparation, ce phénomène de dissociation ne lui ferme pas, pour autant, la porte du tribunal pénal. Comment expliquer pourtant cette dissociation de l’action civile ? Cette action civile aurait une double nature. Elle aurait une nature réparatrice et aussi une nature répressive, la victime voulant participer à l’accusation.

Il faut comprendre, quelle que soit l’explication du phénomène, que l’on est en présence d’une solution jurisprudentielle capitale. C’est une solution, politiquement, d’une extrême importance. En effet, cela évite que certaines personnes bénéficient d’une immunité de fait, certaines qu’elles seraient de pouvoir commettre une infraction sans être poursuivie.

Voici une infraction commise par un fonctionnaire dans le cadre d’une campagne électorale. On a donc des candidats, dont un qui n’appartient pas à la majorité, qui envoie des tracts par la poste. Le préfet l’apprend et ordonne au receveur des postes de ne pas distribuer les tracts. Le candidat dont les tracts ont été retenus invoque l’infraction pénale, et va poursuivre le préfet et le receveur des postes. Peut-on poursuivre en sachant que l’on ne pourra obtenir réparation, car il y a non détachabilité des fonctions ? Le candidat se constitue partie civile, mais la juridiction pénale lui refuse de se constituer partie civile. Le seul pouvant déclencher l’action publique dans ce cas serait ainsi le ministère public, qui devrait poursuivre le préfet ayant certainement agi sur ordre du ministre. Si l’on entérine cette solution, il y aura absence de poursuites. Le ministère public ne le fera pas pour des raisons politiques, étant sous le contrôle hiérarchique du ministère de la justice. Ceci signifierait la fin de l’État de droit et que certaines personnes pourraient commettre des infractions en sachant que le parquet ne poursuivrait pas les poursuites.

Dans cette affaire en 1953, la chambre criminelle a sauvé l’État républicain en disant que la victime, malgré le fait qu’elle ne puisse pas obtenir réparation, peut se constituer partie civile et déclencher les poursuites. Il n’y a donc pas monopole du parquet dans le déclenchement de telles poursuites.

Si l’on définit l’action civile comme une réparation, il peut y avoir des cas où il n’y a pas de réparation. Certains auteurs ont dit qu’il y aurait « constitution de partie civile sans action civile ».

Section 3 : La capacité à agir de la victime

 La capacité s’apprécie au moment de l’introduction de l’action et non à la date de la commission de l’infraction. La procédure pénale va, ici aussi, faire application des règles du droit civil et notamment du droit des incapacités. Par exemple, si la victime est un mineur, ses représentants légaux le représenteront. S’agissant des incapables protégés, on fera application des règles de droit des incapacités tel qu’elles existent dans le Code civil.

Que se passe-t-il si les parents du mineur sont à l’origine de l’infraction ? Il est possible pour éviter un conflit d’intérêt, de désigner un représentant spécifique de la victime en désignant un administrateur ad hoc.

 
Chapitre 2. Les parties civiles non victimes

 

Il existe des hypothèses dans lesquelles des personnes vont se retrouver partie civile alors qu’elles ne sont pas concernées par l’article 2 du Code de Procédure Pénale. Ce sont donc des parties civiles non victimes. Parmi elles se trouvent des parties civiles qui ont une forte spécificité car elles défendent un intérêt collectif : des personnes morales . Il s’agit ensuite de voir le cas des autres.

Section 1 : Les parties civiles défendant un intérêt collectif

C’est la question de l’action civile exercée par une personne morale de droit privé ou de droit public. C’est une question délicate, de telle sorte qu’on expose les données de la difficulté pour voir la résolution par le droit.

  • 1. Les difficultés

S’agissant des données de la difficulté, il faut d’abord soigneusement distinguer des hypothèses différentes. Il est certain qu’une personne morale est parfois victime d’une infraction, comme une personne physique. La jurisprudence accepte qu’une personne morale soit victime d’une infraction alors qu’elle représente uniquement des intérêts moraux. C’est le cas dans l’hypothèse de diffamation.

Il se peut que cette personne morale agisse devant une juridiction répressive non pour défendre ses intérêts, mais pour représenter la victime. Cette personne morale se retrouve devant le juge répressif, un peu dans la situation d’un mandataire, comme si elle représentait et défendait ses intérêts devant la victime. On parle de « mandat ad litem ». Par exemple, le Code du travail autorise à un employé de se faire représenter par un syndicat. Il en est de même pour les associations de consommateurs. En ce cas, il n’y a pas de difficulté particulière.

Il faut se placer dans un troisième cas pour avoir une difficulté. Il s’agit, pour une personne morale, de défendre un intérêt collectif, qu’elle prétend incarner, comme un syndicat professionnel représente l’intérêt de la profession qu’il défend. Cela pose un problème car cet intérêt collectif est un intermédiaire entre l’intérêt général et l’intérêt individuel. Le risque possible serait que, sous couvert de cette protection de l’intérêt collectif, cette personne morale se substitue au ministère public dans la défense de l’intérêt général, ou se substitue à la victime dans son intérêt particulier.

Le problème prend une acuité particulière. Si l’on accorde à une personne morale d’être partie civile devant une juridiction répressive, on lui accorde de participer à l’accusation ou de lancer l’action publique, qui est une prérogative dangereuse pour les libertés individuelles. En présence de cette difficulté, la jurisprudence a admis qu’il fallait que cet intérêt collectif que la personne morale prétend incarner, soit un intérêt autonome, distinct de l’intérêt général et de l’intérêt de la victime.

On considère alors qu’un syndicat professionnel est l’incarnation d’un intérêt collectif autonome, l’intérêt de la profession ne se confondant pas avec un intérêt particulier, ni général. L’affirmation devient plus délicate lorsque l’on est en présence d’une association, ou du moins d’une association fondée pour défendre une cause d’intérêt public. Imaginons une association de lutte contre la toxicomanie ou de défense des victimes du proxénétisme etc. L’intérêt collectif dont se prévaut l’association est en réalité l’intérêt général. C’est l’intérêt général qu’elle prétend incarner, mais personne ne doit le confisquer à son profit et il a le ministère public comme défenseur.

Classiquement, on dit que le problème ne se pose pas de la même façon pour des syndicats professionnels et des associations. Si l’on est devant un intérêt collectif autonome, tous les problèmes ne sont pas surmontés. Ledit problème est que l’on ne voit pas pourquoi ce syndicat serait dispensé de respecter les conditions posées à la recevabilité de l’action civile. On ne voit pas au nom de quoi il serait dispensé d’établir en quoi il a été personnellement victime d’une infraction.

Sans doute ce raisonnement est-il tentant, mais l’on conçoit que poser le problème ainsi c’est le rendre insoluble. Il est difficile de juger du caractère personnel du dommage dès lors que ce caractère personnel est appréciable en référence à un intérêt collectif qui n’est pas propre au syndicat considéré. Les exigences de l’article 2 sont vouées à porter à faux.

Cette action reconnue au syndicat est à distinguer de l’action civile pure. Cette action syndicale ne peut pas être construite comme l’action civile pure. Lorsqu’un syndicat agit en justice, il le fait en représentation de la véritable victime qu’est la profession. Il n’est pas personnellement touché par l’infraction. Il n’est touché que par l’intermédiaire de l’intérêt collectif qu’il représente et défend. Il faut que l’action syndicale soit consacrée par un texte spécifique. Si un texte de cette nature existe, par lequel le législateur viendrait reconnaître au syndicat le droit d’agir, on comprendrait que le législateur accorde à ces syndicats un privilège qui consiste à agir en matière pénale alors que ledit syndicat n’est pas victime, et donc de déclencher l’action publique sans disposer de cette qualité de victime. Ce privilège de concurrencer le ministère public sans avoir la qualité pour le faire a conduit certains auteurs à penser que c’est une action publique camouflée.

  • 2. Les solutions du droit positif

Il s’agit ici de distinguer la question de l’action des syndicats et celle de l’action des associations.

a) La solution de l’action des syndicats et des ordres professionnels

On y associe des groupes comparables comme les ordres professionnels. La loi leur reconnaît le droit d’agir devant les juridictions répressives. La loi avait été devancée par une décision de la Cour de cassation rendue « en chambres réunies » en 1913 (qui a perdu de son importance). La loi reconnaît aux syndicats professionnels le droit « devant toutes les juridictions, [d’]exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent. » (Article L.2132-3 du Code du travail).

Ils peuvent exercer l’action syndicale même si le dommage subi par la profession n’est qu’une répercussion de l’infraction. Si un salarié est blessé à cause, par exemple, d’une corde mal attachée ou un échafaudage mal construit, le salarié et le syndicat pourront agir, puisqu’il y a une atteinte à la sécurité de la profession, que des règles de sécurité veulent protéger.

Mais dans d’autres hypothèses, a été déclarée irrecevable l’action d’un syndicat de l’administration fiscale pour des dégradations à un immeuble, que des contribuables avaient entendu détruire. Il fut jugé que le préjudice était trop indirect pour que soit accepté l’action civile. Idem, Il est aussi admis que dans le cas d’abus de biens sociaux, soit refusé la recevabilité d’un syndicat représentant la société car l’atteinte à l’intérêt collectif ne se distingue pas de l’intérêt des salariés de l’entreprise, l’intérêt du syndicat n’étant pas autonome. Est également irrecevable l’action d’un syndicat de chauffeurs de taxi après assassinat d’un chauffeur.

Lorsque le rapport entre l’infraction et l’intérêt collectif est immédiat, comme lors de l’entrave à la réunion au comité d’entreprise, on admet que l’action syndicale est immédiatement recevable. Si une personne exerce illégalement une profession, on estime que l’action syndicale de la profession intéressée est recevable.

C’est la même chose pour les ordres représentant une profession comme l’ordre des avocats ou des médecins. En théorie, leur action n’est recevable que dans les conditions de l’art 2 du Code de Procédure Pénale. Il y a pourtant le même sentiment de jurisprudence que des syndicats professionnels, avec une acceptation ou un refus de la constitution de partie civile, selon le bon vouloir de la chambre criminelle.

b) Le cas des associations

L’intérêt collectif dont ces associations se prétendent l’incarnation, peut se confondre avec l’intérêt général. Lorsque le cas se présente, la jurisprudence écarte l’action de ces associations car personne ne peut s’approprier l’intérêt général et se constituer ministère public. Pour autant, les difficultés ne sont pas écartées.

Comme elle l’a fait pour les syndicats, la loi est intervenue pour reconnaître aux associations, la possibilité d’agir en cas d’infraction. Cela est ancien pour les associations antialcooliques, ou les fédérations départementales de chasse et de pêche. Les associations de protection de l’environnement se sont aussi vu reconnaître ce pouvoir pour les infractions au code de l’urbanisme notamment.

Comme tout ceci est très politique, on a l’explication de l’invraisemblable série d’articles 2 (de l’article 2 à l’article 2 -21) du Code de procédure pénale, à cause de lobbys qui veulent le droit d’exercer l’action civile. Cela concerne les associations de lutte contre l’enfance en danger ou encore la défense contre les agressions sexuelles etc. En elles-mêmes, ces investitures officielles ne devraient pas modifier les exigences habituelles de l’article 2 du Code de Procédure Pénale. Mais assez souvent, ces mêmes textes donnent à la recevabilité de l’action de ces associations, des conditions beaucoup plus généreuses. Par exemple, le législateur peut indiquer les infractions pour lesquelles l’association envisagée peut se constituer partie civile.

Le législateur peut aussi poser des conditions tenant à la légitimité de ces associations. Il faudrait ainsi un label ou une certaine ancienneté ou qu’elles soient agrées…

 

Section 2 : Les autres parties civiles non victimes

En application de l’article 2, les personnes qui n’ont pas personnellement souffert de l’infraction, ne peuvent pas exercer l’action civile au pénal. Ce principe peut être écarté au profit de deux catégories : les victimes par ricochet et les cessionnaires de l’action civile.

  • 1. Le cas des victimes par ricochet

Cette notion n’est pas propre à la procédure pénale. Ce sont les victimes qui subissent un préjudice par répercussion d’un préjudice premier subi par quelqu’un d’autre. L’exemple type est le cas d’un préjudice d’affection. Si une personne est grièvement blessée dans un accident de la circulation, par ricochet, ce dommage engendre un préjudice d’affection à sa femme et ses enfants.

En réalité, il y a plusieurs types de victimes par ricochet et de situations dans lesquelles une personne va souffrir d’une situation dont souffre originellement un tiers. Il peut y avoir les proches de la victime, mais aussi d’autres. On pense notamment aux créanciers d’une personne volée. On peut distinguer le cas des proches et des créanciers.

  a) Les créanciers

 Ils sont en général écartés du prétoire pénal car ils n’ont pas souffert directement du dommage causé par l’infraction. Ils ne remplissent pas les conditions de l’article 2.

 b) Les proches de la victime

 Les solutions dans ce cas ont évolué. Un arrêt a été rendu à propos d’une victime par ricochet. Un homme était devenu tétraplégique à vie, et les enfants ainsi que la femme souffraient de ne pouvoir jouir d’une vie familiale normale. Le mari avait agi contre l’auteur de l’infraction. C’est à propos de la femme et des enfants que l’assemblée plénière a déclaré en 1979 , l’action civile irrecevable puisqu’elle était introduite par d’autres que la victime . Il s’agissait de dire qu’ils n’étaient pas victimes de l’infraction selon l’article 2, et qu’il fallait s’adresser à la juridiction civile.

Le 9 février 1989, la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré, à propos des proches de la victime, un revirement de jurisprudence. Elle est venue dire que l’action de l’épouse était recevable, dans cette hypothèse . Ce revirement s’est effectué sous le double visa de l’article 2 et 3 du Code de Procédure Pénale, procédant d’une erreur d’analyse radicale. Pour rendre l’action civile de l’épouse recevable, la Cour fait observer que l’article 3 du Code de Procédure Pénale autorise le juge pénal à réparer tous les préjudices, tant matériels que moraux. L’article 3 n’a pas ce rôle. Il faut d’abord voir si le demandeur a la qualité puis regarder comment appliquer. Or la cour fait l’inverse, puisque elle analyse dans un premier temps le préjudice moral de l’article 3 afin de déclarer la demanderesse victime (article 2). Cet article 3 est pourtant là pour résoudre l’étendue de la réparation et non la question de la qualité.

La Cour de cassation a, depuis cette date persisté dans ses erreurs de raisonnement. Elle a donc admis la recevabilité de la constitution de partie civile par les proches de la victime à des infractions diverses. On a un sentiment désagréable d’une jurisprudence totalement erratique, sans fil conducteur, puisqu’elle dit parfois que les proches sont recevables, parfois le contraire sans définir en vertu de quel critère. Les proches peuvent donc déclencher l’action.

Qu’est-ce qu’un proche de la victime… ? Ce sont les termes de la Cour de cassation, mais que cela signifie-t-il pour un juriste ? L’enfant, la femme, le cousin, l’ami ? Aucune définition n’est clairement dégagée.

 

  • 2. Les cessionnaires de l’action civile

 Ce sont ceux à qui est cédée la capacité, par un mécanisme juridique ou un autre, à exercer l’action civile. On trouve par exemple les héritiers de la victime . Ils peuvent se prévaloir d’être des victimes par ricochet, mais sont vus comme personnes succédant au défunt, ils sont son continuateur. Il en résulte une transmission du patrimoine du défunt à son héritier, qui est donc un cessionnaire p.ex d’une action civile.

Les droits de l’héritier sont, par principe, calqués sur ceux qui appartenaient à son auteur, au défunt. On veut dire qu’ils sont calqués s’agissant de l’étendue de la réparation. Cette question a été résolue, de savoir si l’héritier pouvait demander réparation de tous les préjudices du défunt, alors que ces préjudices ont été personnels. La question a longtemps été débattue de savoir si l’héritier pouvait arguer de tous les préjudices subis par le défunt, y compris ceux très personnels, p.ex le pretium doloris, c’est-à-dire la douleur que le défunt aurait subie.

Aujourd’hui, l’héritier peut exercer l’action civile pour tous les chefs de préjudice que le défunt aurait pu invoquer. Les droits de l’héritier ne sont toutefois pas intégralement calqués sur ceux du défunt. Si ce dernier était victime de l’infraction, il avait le pouvoir de déclencher l’action publique, de son vivant. La question est de savoir si ce pouvoir se transmet à l’héritier. Il y a eu des hésitations jurisprudentielles.

Récemment, la Chambre criminelle dont la position a été confirmée par l’assemblée plénière le 9 mai 2008, a opéré un revirement de jurisprudence. Elle considère que l’héritier ne peut déclencher lui-même l’action publique si le défunt ne l’avait pas fait de son vivant. C’est donc une prérogative qui ne se transmet pas. L’héritier ne peut alors que se joindre aux poursuites préalablement déclenchées par le défunt de son vivant ou par le ministère public.

On peut aussi envisager le cas des autres cessionnaires de l’action civile. Les positions de la jurisprudence sont fermes, et n’ont jamais beaucoup varié. Pour les autres cessionnaires, elle considère que si le droit à réparation leur est transmis, la qualité de partie civile ne l’est pas. Ces cessionnaires de l’action civile ne peuvent ainsi pas l’exercer devant la juridiction pénale, mais sont renvoyés devant la juridiction civile. On pense alors aux créanciers subrogés, suite à un paiement avec subrogation : une personne paye une dette à une autre. Elle se subroge alors à ce créancier. L’ayant payé, elle se retrouve dans la situation où était le créancier lui-même. Cette personne qui aurait p.ex désintéressé la victime ne peut exercer l’action civile au pénal.

On peut envisager que la victime d’une infraction bénéficie d’une assurance, l’assureur l’indemnisant. Cet assureur sera alors subrogé dans ses droits. Sur intervention du législateur en 1983, l’assureur pourra se retrouver devant les juridictions répressives. L’assureur de la victime, subrogé dans ses droits, peut exceptionnellement, par intervention d’un texte particulier, intervenir devant cette juridiction. Cela signifie qu’il agit par voie d’intervention et ne peut déclencher l’action publique, alors qu’il peut y prendre part. Il peut réciproquement être mis en cause, concernant les homicides ou les blessures par imprudence.

Titre 2. Les défendeurs à l’action civile

 Au nombre de ces défendeurs, figure le délinquant lui- même, auquel s’adresse prioritairement cette demande de réparation. Il faut alors retenir d’autres personnes, car en dehors de ce délinquant, on peut avoir un grand nombre d’individus pouvant répondre à la demande de réparation formulée par la partie civile.

On peut ainsi procéder à un effort de classification, avec deux catégories : les garants du délinquant et ses éventuels héritiers. Ils peuvent alors être présents devant le juge pénal. Cela présente un avantage pour la partie civile, qui peut concentrer ses demandes dans un même procès.

Chapitre 1. Les garants du délinquant

 Évoquer les garants du délinquant, c’est nécessairement se tourner vers la responsabilité civile. En effet, elle connaît bien l’hypothèse où une personne va être civilement responsable du dommage causé à une autre. Ce sont ces personnes civilement responsables que l’on verra, pour voir ensuite les autres garants.

 Section 1 : Les personnes civilement responsables du délinquant

 On dit d’une personne qu’elle est civilement responsable d’une autre quand elle sera civilement tenue de réparer le dommage causé par l’autre. Le Code civil connaît plusieurs hypothèses de cette nature comme les parents quant à leur enfant mineur, le commettant, l’artisan etc. Toutes ces personnes que le droit civil désigne comme responsables, peuvent   donc être responsables d’un fait dommageable. Il est possible que ces personnes civilement responsables soient présentes devant les juridictions répressives. Le Code de Procédure Pénale consacre cette possibilité notamment en reconnaissant à la partie civile la possibilité de citer ces personnes devant les juridictions répressives, aux côtés du délinquant . Étant entendu que la personne civilement responsable a possibilité d’intervenir elle-même volontairement dans l’instance pénale pour faire valoir sa défense.

En effet, la personne civilement responsable peut intervenir volontairement dans l’instance pénale pour faire valoir sa défense, et pour tenter d’échapper à la réparation du dommage causé par le délinquant dont elle répond. Cette présence doit être soigneusement circonscrite. La personne civilement responsable n’est pas partie au stade de l’instruction. Elle n’apparaît qu’au stade du jugement. Elle va donc, si elle est citée, avoir la possibilité de faire valoir sa défense, de tenter d’échapper à la responsabilité du fait d’autrui, de se soustraire à l’obligation de réparer les conséquences dommageables de l’infraction.

Les personnes civilement responsables peuvent contester l’existence de la faute pénale en disant que celui dont ils répondent n’a commis aucune infraction. Ils peuvent aussi contester le fait que les conditions de leur responsabilité soient réunies.

Ces personnes étant parties à la procédure, peuvent exercer un droit de recours comme un appel. Si elles sont parties, elles ne sont parties à la procédure que s’agissant de l’action civile et non de l’action publique. Lorsqu’elles exercent les droits de recours, l’exercice de ces droits n’a aucune incidence sur l’action publique.

Section 2 : Les autres garants du fait du délinquant

 Il existe des personnes dans la position d’un garant, qui vont être exposées à réparer les conséquences du dommage causé, sans avoir pourtant la qualité de personne civilement responsable. Il s’agit principalement de l’assureur et l’administration elle-même.

  • 1. L’assureur

 S’agissant de l’assureur du prévenu, la même réforme a permis que soit assurée la présence de l’assureur du délinquant devant la juridiction civile. Il peut être présent parce qu’il a été mis en cause (p.ex par la victime, soucieuse d’avoir un garant solvable devant elle) ou parce qu’il est intervenu de lui-même dans la procédure pour faire valoir sa propre défense.

Là encore, cette présence n’est envisageable que devant les juridictions de jugement. L’avantage de sa présence au procès pénal, volontaire ou contrainte, est que la décision rendue sur l’action civile, va lui être opposable. Ici encore, comme pour l’assureur de la victime, l’assureur de la personne poursuivie est une solution exceptionnelle qui n’est possible que par rapport à des infractions précises comme un homicide ou des blessures par imprudence.

Il reste que cet assureur du prévenu, de la personne poursuivie, va être défendeur à l’action civile. Le Code de Procédure Pénale – pour faire simple –, décide que les droits de l’assureur du prévenu sont les mêmes que ceux de la personne civilement responsable. Il peut tenter d’échapper à son obligation de garantie en disant que son client n’est pas pénalement responsable ou que la garantie ne peut pas jouer selon le contrat.

  • 2. L’administration

 Pour que cette situation se présente, il faut supposer qu’une infraction a été commise par un fonctionnaire. Il se trouve que, sous certaines conditions, l’administration est garante des conséquences dommageable des fautes de ses propres agents. Cela peut être le cas lorsque la faute de l’agent est pénale

 Lorsqu’une infraction a été commise par un fonctionnaire, on se pose des questions.

  • Qui va être tenu d’indemniser la victime : le fonctionnaire ou son administration ? Il faut donc déterminer le débiteur de l’infraction.
  • Vient alors la question de l’ordre de juridiction compétent pour allouer cette réparation : l’ordre judiciaire ou administratif ?

a) Le débiteur de la réparation

 Le fonctionnaire, lorsqu’il cause un dommage à autrui, peut être tenu de réparer lui-même les conséquences de sa faute. Cela n’arrive que parfois. Il n’est tenu que de réparer les conséquences de ses fautes personnelles « détachables de ses fonctions ». On veut suggérer ici que le fonctionnaire peut commettre des fautes qui n’ont plus de lien avec l’exercice de ses fonctions. Il doit alors en répondre personnellement.

Cela est par opposition à des « fautes de service ». On oppose ainsi les fautes personnelles aux fautes de service. Ces dernières engagent la responsabilité de l’administration qui est garante des fautes de ses propres agents. Le tout est alors de savoir à quelle catégorie de faute appartient la faute pénale.

Il serait tentant de penser qu’une faute pénale a vocation à être une faute personnelle donc détachable des fonctions. Cela n’est pas la position du tribunal des conflits. Depuis l’arrêt Thépaz, il considère qu’une faute pénale n’est pas une faute détachable des fonctions dans tous les cas.

Tribunal des conflits, 14 janvier 1935, Thépaz, n° 00820 : Considérant que, dans les conditions où il s’est présenté, le fait imputable à ce militaire, dans l’accomplissement d’un service commandé, n’est pas constitutif d’une faute se détachant de l’exercice de ses fonctions ; que, d’autre part, la circonstance que ce fait a été poursuivi devant la juridiction correctionnelle en vertu des dispositions du nouveau Code de justice militaire sur la compétence, et puni par application de l’article 320 du Code pénal, ne saurait, en ce qui concerne les réparations pécuniaires, eu égard aux conditions dans lesquelles il a été commis, justifier la compétence de l’autorité judiciaire, saisie d’une poursuite civile exercée accessoirement à l’action publique.

Il peut y avoir une faute de service alors qu’il y a infraction pénale.

Pour qu’une faute pénale soit détachable des fonctions et que l’administration ne soit pas garante, il faut que cette faute « révèle d’un manquement volontaire inexcusable à des obligations d’ordre professionnel et d’ordre déontologique ». Ça n’est qu’à la condition que la faute pénale corresponde à cette définition, qu’elle est détachable des fonctions. La faute détachable des fonctions n’est alors pas nécessairement une faute intentionnelle, car on parle aussi de faute inexcusable qui peut être non intentionnelle.

Par cette formule, on peut tirer la conséquence que la faute détachable des fonctions n’est pas nécessairement une faute intentionnelle, puisque Thépaz vise aussi une faute inexcusable, qui peut être involontaire. Cette solution, quelle que soit la portée exacte de cette formule, est avantageuse pour les victimes. En admettant qu’une faute pénale puisse être une faute de service, la jurisprudence offre à la victime, l’administration comme garant, dont on est sûr de la solvabilité.

b) L’ordre de juridiction compétent

 Lorsque la faute pénale du fonctionnaire est une faute de service, non détachable de l’exercice de ses fonctions, l’appréciation de la responsabilité de l’administration relève exclusivement des juridictions de l’ordre administratif. L’administration ne peut alors se retrouver défenderesse devant une juridiction répressive.

La victime de l’infraction commise par un fonctionnaire, infraction dont l’administration va être le garant, ne peut donc pas attendre du juge répressif la réparation du dommage causé par le fonctionnaire. La juridiction judiciaire est incompétente. La victime peut néanmoins se constituer partie civile au pénal pour déclencher l’action publique.

  • 3. Les héritiers du délinquant

 On retrouve ici la même règle du droit successoral que les héritiers de la victime. Ils sont les continuateurs de la personne du défunt. Ils sont tenus de ses dettes s’ils acceptent la succession. Ils peuvent alors se retrouver dans la position de défendeur à l’action civile intentée contre le défunt.

Le délinquant étant par hypothèse décédé, l’action publique est éteinte. La situation normale verra ces héritiers défendeurs à l’action civile uniquement devant les juridictions civiles. Ils ne peuvent déclencher l’action publique si le défunt ne l’a pas fait de son vivant. Il y a une seule atténuation : l’action civile peut avoir été exercée au pénal contre le défunt, de son vivant. En cours de procédure, voilà que le délinquant décède. La juridiction pénale ne statue plus sur l’action publique, mais sur l’action civile pour laquelle elle a été initialement saisie.

Ici, les héritiers du délinquant pourront être défendeurs à l’action civile contre une juridiction pénale, demandée initialement contre le défunt.

Troisième sous-partie : Les auxiliaires de la procédure

 On continue donc sur les acteurs du procès pénal. Il s’agit d’évoquer ici après les organes et les parties à la procédure, ceux qui sont leurs auxiliaires. On pourrait, là aussi, distinguer deux catégories d’auxiliaires : ceux de la justice et ceux des parties. Cela permet d’évoquer rapidement les uns et les autres. Il faudra alors se concentrer sur la police judiciaire.

S’agissant des auxiliaires des parties, il faut insister sur l’avocat qui apporte son secours aux parties. Leur ministère est en principe facultatif en matière pénale, pour la personne poursuivie comme pour la partie civile. Elles ont la liberté de demander cette assistance qui ne leur est pas imposée. Il y a des exceptions à ce principe, et la présence d’un défenseur peut être obligatoire comme au stade de l’instruction lorsque la personne mise en examen est un mineur. De même, au stade du jugement, la présence d’un défenseur à côté de l’accusé est obligatoire. Le code de procédure pénale n’impose pas que le défenseur soit un avocat. L’accusé peut demander l’assistance d’un parent ou d’un ami et donc pas nécessairement d’un professionnel de la défense.

S’agissant des auxiliaires du juge, ils sont également divers. On trouve les greffiers, mais aussi d’autres comme les médiateurs ou encore les délégués du procureur de la république qui interviennent lors de la procédure de composition pénale.

Figurent aussi les experts, parmi les auxiliaires du juge. Il faut évoquer aussi et surtout la police judiciaire, compte tenu de son rôle. Plus exactement, la police judiciaire apparaît comme un auxiliaire du ministère public au stade des poursuites, ou du juge d’instruction au stade de l’instruction. Elle est plus rarement un auxiliaire des juridictions de jugement.

 

Titre 1. La police judiciaire auxiliaire du ministère public

 En tant qu’auxiliaire, la police judiciaire seconde le ministère public de deux manières différentes.

  • D’une part, en aval, à l’issue des poursuites, elle aide le ministère public à assurer l’exécution des condamnations prononcées. Le Code de Procédure Pénale précise que le ministère public doit assurer l’exécution des sentences pénales, et qu’il a le droit de requérir pour cela, l’assistance de la force publique.
  • D’autre part, en amont, la police judiciaire est chargée d’informer les autorités de poursuite, de la commission des infractions, afin que ces autorités publiques puissent en pleine connaissance de cause décider du sort qu’il faut réserver à l’action publique.

La police judiciaire est donc l’informateur par excellence du ministère public. C’est son rôle principal, étant observé qu’elle partage ce rôle avec d’autres. Les sources d’information des autorités publiques sont en effet diverses. C’est ainsi que le procureur de la république peut en effet recevoir des dénonciations, conformément au Code de Procédure Pénale, émanant de particuliers qui vont l’informer de la commission d’une infraction. Cette dénonciation dont la plainte est finalement un cas particulier, car elle est une dénonciation qui émane non pas d’un tiers, mais d’une personne qui se prétend victime de l’infraction.

Cette dénonciation a un rôle très important pour l’information du procureur de la république. Il ne faut pas la confondre avec la délation qui est la dénonciation pour des motifs vils. La dénonciation est noble. C’est un devoir civil mais aussi juridique. L’article 10 du Code civil fait obligation à chacun de collaborer avec la justice, comme en dénonçant les infractions dont on a connaissance. (« Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts. » Article 10, Code civil).

En matière pénale plus spécialement, plusieurs textes obligent à dénoncer les infractions. L’article 40 du Code de Procédure Pénale oblige tout officier public, tout fonctionnaire qui a connaissance d’une infraction dans l’exercice de ses fonctions, de la dénoncer au procureur de la république. Plus largement, en qualité de citoyen, on a l’obligation de dénoncer au procureur des infractions dont on a connaissance. Par exemple, il faut dénoncer des crimes lorsqu’il est encore possible d’en prévenir les effets, sous peine d’infraction pénale. Il faut aussi dénoncer des infractions qui s’exercent à l’encontre des mineurs ou des personnes vulnérables.

Certains professionnels, dans l’exercice de leur profession, doivent dénoncer des infractions dont ils ont connaissance. Le commissaire aux comptes peut, s’il découvre des infractions, les dénoncer, et doit d’ailleurs le faire à défaut de quoi il se rend coupable d’une infraction.

Le phénomène est donc naturel et pas critiquable, même s’il pose des difficultés procédurales. On en trouve essentiellement deux : celle qui tient à la dénonciation anonyme. Peut-on y apporter une importance quelconque ? La CEDH a considéré qu’une dénonciation de cette nature était incontrôlable. Elle a donc jugé qu’aucune condamnation ne peut intervenir si elle prétend se fonder sur une dénonciation anonyme. Le législateur français a intégré cela en organisant une procédure particulière permettant à un témoin de garder l’anonymat. L’article 706 -57 du Code de Procédure Pénale prévoit cette procédure. Là encore, conformément aux leçons du Code de Procédure Pénale, aucune condamnation ne peut intervenir si elle se fonde exclusivement sur un témoignage anonyme.

On se pose ensuite la question de la moralité du dénonciateur. Certains sont payés. C’est parfois officiellement reconnu par les textes. D’autres sont les « repentis » : ils parlent et obtiennent une certaine impunité. Le Code de Procédure Pénale accepte alors parfaitement que l’on puisse payer un dénonciateur par divers moyens.

L’informateur de premier rang est alors la police judiciaire. Le ministère public reçoit communication des procès verbaux et des rapports qui sont dressés par la police judiciaire. C’est à travers ces documents écrits que l’information va circuler de la police judiciaire vers le parquet, d’où l’importance décisive des enquêtes de police, ce qui nous amène à exposer l’organisation de la police judiciaire et ses opérations.

 

Sous-titre 1. L’organisation de la police judiciaire

L’expression de police judiciaire fait partie des notions rendue inutilement complexe par le fait qu’une même expression désigne plusieurs réalités juridiques différentes. Cette même expression désigne plusieurs vérités juridiques. En effet, la police judiciaire désigne une fonction à laquelle correspondent des opérations de police judiciaire. On désigne aussi des organes qui se composent des différents membres de la police judiciaire.

Ici, lorsque l’on va évoquer la police judiciaire en tant qu’informatrice par excellence, on va essentiellement s’attacher aux organes de police judiciaire et aux membres qui la composent, qui participent à l’organisation de la police judiciaire.

Ce qui complique les choses, c’est qu’il n’y a pas de coïncidence totale entre les actes qui relèvent de la fonction de police judiciaire et la qualité des personnes qui les accomplissent. Un acte de police judiciaire peut alors être accompli par une personne qui n’appartient pas à la police judiciaire. On n’a ainsi pas de correspondance entre la fonction et l’organe.

Certains magistrats ne sont ainsi pas membres de la police judiciaire. Ils avaient cette qualité, mais en ont conservé les prérogatives. C’est le cas notamment du procureur de la république. Il a l’ensemble des pouvoirs d’un officier de police judiciaire. Il dirige ainsi l’activité de la police judiciaire étant entendu qu’il n’en est pas membre. Puisqu’il a tous les pouvoirs de cette police judiciaire, il peut recevoir les plaintes et les dénonciations comme le peut un officier de police judiciaire lui -même qui peut procéder ou faire procéder à tous les actes nécessaires à la poursuite ou la recherche des infractions. Il peut aussi requérir l’usage de la force publique.

C’est aussi le cas du juge d’instruction. S’il n’a plus la qualité d’officier de police judiciaire que lui reconnaissait le Code d’instruction criminelle, il en a tous les pouvoirs. Il peut donc recevoir les plaintes et dénonciations. Il peut ainsi diriger l’activité de la police judiciaire au stade de l’instruction par l’intermédiaire d’une « commission rogatoire ». Il peut aussi requérir la force publique de la même manière.

Il résulte de cette césure entre les pouvoirs de police judiciaire et une qualité que les titulaires de ce pouvoir n’ont pas, le constat suivant : la police judiciaire n’agit jamais de façon autonome. Le Code de Procédure Pénale dit que la police judiciaire est placée sous la direction du procureur de la république, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction. En cas d’ouverture d’une instruction, elle exécute les ordres du juge d’instruction.

Autrement dit, dans un État de droit, la police est aux ordres de la magistrature. Elle n’est qu’une exécutante et n’a aucune autonomie. Si d’aventure un officier de police judiciaire refusait d’exécuter les ordres d’un procureur ou d’un juge d’instruction, il serait suspendu, révoqué et expulsé de la police, car sinon on ne serait plus dans un État de droit.

Chapitre 1. Les organes de la police judiciaire

La police judiciaire se compose de deux corps : la police nationale et la gendarmerie nationale, auxquels il faut ajouter les polices municipales. On trouve un essor considérable de ces polices municipales. La police nationale relève du ministre de l’intérieur alors que pendant longtemps, la gendarmerie a relevé du ministère de la défense, y compris lorsqu’elle accomplissait des missions civiles, de police judiciaire.

Par l’effet d’une réforme récente, d’août 2009, dans sa fonction de police judiciaire, la gendarmerie relève désormais du ministère de l’intérieur. Si la gendarmerie a vocation à intervenir plutôt dans les zones rurales, lorsqu’un magistrat veut confier une mission, il choisit librement de le faire à la police ou la gendarmerie.

Chapitre 2. Les membres de la police judiciaire

C’est ici qu’on vérifie l’ambigüité de la police judiciaire. Les membres de la police judiciaire n’appartiennent pas nécessairement à la police ou la gendarmerie nationale. Le Code de Procédure Pénale identifie plusieurs types de membres de la police judiciaire. On a les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, et enfin ceux que le Code de Procédure Pénale appelle « fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire ».

 

Section 1 : Les officiers de Police Judiciaire

En réalité, on a au sein de ces officiers, deux catégories : ceux de plein exercice, c’est-

à-dire compétents pour assurer l’ensemble des missions confiées aux officiers de police judiciaire, contrairement aux officiers n’ayant compétence que pour certains actes. On ne parlera ici que des premiers.

Ceux qui ont cette qualité sont visés par l’article 16 du Code de Procédure Pénale pour confier les qualités à un nombre croissant de personnes. Parmi cette énumération, on trouve :

  • maire d’une commune et ses adjoints,
  • les officiers de la gendarmerie
  • les commissaires de police.

Viennent ensuite, d’une part, les agents de police judiciaire, dont la liste, donnée par l’article 20 du Code de Procédure Pénale comprend entre autres les gendarmes n’ayant pas la qualité d’officier de police judiciaire et les membres de la police nationale ;

D’autre part, les agents de police judiciaire adjoints dont l’article 21 comprend par exemple les agents de la police municipale.

Fonctionnaires et agents de certaines administrations chargés de fonctions de police judiciaire : il y a un nombre croissant d’agents recevant certaines compétences de police judiciaire, pour constater des infractions qui lèsent les intérêts dont leur administration ont la charge. P.ex les administrations des eaux et forêts ; les gardes champêtres ; les agents … (répression des fraudes, douane, police des chemins de fer).

S’agissant de la compétence, on peut envisager les règles ordinaires de compétence, avant de voir les règles dérogatoires de compétence. S’agissant des règles ordinaires de compétence, il faut commencer la compétence matérielle.

Section 2 : Les règles ordinaires de compétence

  • 1. La compétence matérielle de l’officier de police judiciaire

Il a des pouvoirs policiers mais aussi des pouvoirs d’instruction.

 Actes policiers : Les officiers de police judiciaire visés par l’article 16 assurent l’intégralité des missions confiées aux officiers de police judiciaire de plein exercice. Ils sont chargés de constater les infractions, d’en identifier les auteurs et d’en rassembler les preuves. Ils reçoivent les plaintes et dénonciations, procèdent aux enquêtes de polices – préliminaire ou de flagrance – et peuvent requérir l’appui de la force publique. Ils doivent dans l’exercice de ces fonctions, informer le procureur de la république des infractions dont ils ont connaissance et faire parvenir les procès verbaux.

Lorsqu’une instruction a été ouverte, ils peuvent se voir déléguer des actes d’instruction par les juridictions d’instruction, au terme d’une « commission rogatoire ». Cela résulte de l’article 14 du Code de Procédure Pénale (« Elle [police judiciaire] est chargée, suivant les distinctions établies au présent titre, de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs tant qu’une information n’est pas ouverte. Lorsqu’une information est ouverte, elle exécute les délégations des juridictions d’instruction et défère à leurs réquisitions. »).

La compétence matérielle de l’agent de police judiciaire est de seconder les officiers de police judiciaire dans l’exercice de leur mission. Selon l’article 20 du Code de Procédure Pénale, ils sont privés du pouvoir de décider d’une garde à vue. Les adjoints de l’article 21 secondent aussi les officiers de police judiciaire avec moins de pouvoirs que les agents de police judiciaire.

  • 2. La compétence territoriale de la police judiciaire

Chacun des membres de la police judiciaire a des limites territoriales pour exercer ses prérogatives. Par exemple, un groupement de gendarmerie a compétence sur un département. C’est à propos de cette compétence territoriale qu’il y a parfois des règles dérogatoires. Il se peut en effet que la compétence territoriale soit étendue.

Cette extension de compétence intervient tantôt à l’initiative du ministère public, tantôt à l’initiative de l’officier de police judiciaire lui-même . Parfois, c’est sur réquisition du ministère public que la compétence territoriale va être étendue. C’est ainsi qu’à l’occasion d’une enquête policière, le procureur de la république peut conférer à un officier de police judiciaire compétence sur tout le territoire national. La même possibilité existe lorsqu’un officier de police judiciaire exécute une commission rogatoire émanant d’un juge d’instruction.

Un officier de police judiciaire peut se transporter dans les ressorts limitrophes du tribunal de grande instance auquel il est rattaché. De la même manière, s’il s’agit d’une enquête relative à la criminalité organisée, l’officier de police judiciaire reçoit des pouvoirs particuliers. Au titre de cette criminalité, il peut étendre sa compétence à tout le territoire national sauf si le procureur de la république s’y oppose.

C’est l’occasion d’indiquer ce qu’est la criminalité organisée. Il y a dans le système procédural actuel, une procédure pénale qui est très différente selon le type de criminalité auquel dont on a à faire. On a ainsi des règles de procédure particulières notamment vis-à-vis de la criminalité organisée. Le législateur, lorsqu’il s’agit d’un concept criminologique et non juridique, a renoncé à définir la criminalité organisée. Il s’est limité à définir des infractions dont il estime qu’elles appartiennent à la criminalité organisée. Elles figurent à l’article 706-73 du Code de Procédure Pénale. On pense notamment aux infractions commises avec la circonstance aggravante de la bande organisée mais également meurtre, au vol, à la destruction de biens, ou encore le trafic de stupéfiants non commis en bande organisée.

 

Sous-titre 2. Les opérations de la police judiciaire

Ces opérations sont très diverses, mais on peut procéder là encore, pour clarifier les choses, à des regroupements. Il existe ainsi deux types d’enquêtes : celle de flagrance et l’enquête préliminaire. On trouve d’autres opérations qui sont les contrôles et vérification d’identité.

 

Chapitre 1. Les contrôles et vérifications d’identité

 Cette question est évidemment une question d’un enjeu majeur pour la protection des libertés individuelles. Depuis que ces opérations ont été légalisées en 1981, on a eu une multitude de réformes. Ces contrôles et vérifications d’identité ont pour objet d’établir l’identité d’une personne puisque toute personne sur le territoire doit être en mesure de justifier de son identité. Ces contrôles d’identité s’effectuent tantôt sur réquisition du procureur de la république, tantôt sur la seule initiative de l’officier de police judiciaire.

Les contrôles d’identité sur requête du parquet sont de plusieurs types. Un procureur peut requérir d’un officier de police judiciaire que dans une période et un lieu déterminé, il contrôle systématiquement l’identité des personnes qu’il interpelle. Cela a été légalisé dans des « aires de criminalité ».

Ces contrôles sont de deux types : des contrôles d’identité se rattachant à une phase de police administrative et d’autres qui se rattachent à une phase de police judiciaire. L’officier de police judiciaire peut faire un contrôle de sa propre initiative pour prévenir une atteinte à l’ordre public, comme durant une manifestation. Il peut aussi contrôler de sa propre initiative, l’identité de toute personne s’il a une raison plausible de penser que cette personne a commis ou s’apprête à commettre une infraction.

Si la personne parvient à décliner son identité, pas de problème, le contrôle s’achève. Si elle n’y parvient pas, il y a un échec du contrôle, et il y a une possibilité de mesure pour une vérification d’identité prévue à l’article 78-3 du Code de Procédure Pénale. La vérification d’identité, parce que le contrôle a été un échec, rend possible pour l’officier de police judiciaire de retenir l’intéressé pour établir cette identité – donc atteinte à la liberté d’aller-et-venir, pour établir cette identité.

La personne soumise à cette vérification d’identité bénéficie de garanties. Elles ne sont pas nombreuses : le droit de faire prévenir le procureur de la république ou faire prévenir une personne de son choix. Cette retenue de l’intéressé, pour établir l’identité, n’est possible que le temps strictement nécessaire à l’établissement de l’identité et ne peut excéder 4h à compter du début du contrôle.

Il est possible, en cas de soupçon, qu’une vérification d’identité se prolonge par une mesure de garde à vue. Cela signifie alors qu’elle ne sera prononcée que parce qu’une enquête policière aura été ouverte.

Chapitre 2. L’enquête de flagrance

L’enquête de flagrance, dans sa conception traditionnelle, a toujours été soulignée car elle confère de grands pouvoirs à la police judiciaire. Ces pouvoirs, étant très forts, ils sont dangereux pour les libertés individuelles. Cela rend essentiel de savoir à quelle condition une procédure peut être ouverte.

Section 1 : L’ouverture de l’enquête de flagrance

L’officier de police judiciaire ne peut pas ouvrir une enquête de flagrance comme il l’entend. Il ne le peut qu’en respectant les conditions posées par la loi ; conditions de deux types : il faut qu’il existe une infraction présentant un caractère particulier : qu’elle soit flagrante. La flagrance de l’infraction dépend des circonstances dans lesquelles elle a été constatée. Il faut que l’infraction soit flagrante, et qu’elle ait eu une gravité minimale.

Sous-section 1 : Une infraction flagrante

Cette flagrance se découvre à l’article 53 du Code de Procédure Pénale. La lecture de cet article laisse déconcerté car il n’est pas rédigé sur le « modèle français ». En effet, le droit français aime les définitions générales et abstraites. Ici, l’article 53 ne contient pas de définition de l’infraction flagrante : il énumère les cas dans lesquels l’infraction est flagrante. Cela soulève un problème : la définition serait diablement utile.

On peut donner cette définition de flagrance par l’article 53, et sur la question de savoir s’il n’y a pas de définition générale.

  • 1. Les cas de flagrance

La forme inhabituelle de l’article 53 s’explique par une tradition. Il recueille les cas de flagrance du Code de l’instruction criminelle qui contenait une énumération tirant son origine du droit romain.

  • Il y a flagrance lorsque l’infraction se commet actuellement. Autrement dit, en se promenant dans la rue, on assiste à une scène d’assassinat.
  • On a aussi le cas où l’infraction vient de se commettre : on voit ainsi une personne qui tombe dans nos bras, en train de mourir, un poignard dans le dos.
  • On a aussi l’hypothèse où, dans un temps très voisin de l’action, la personne est poursuivie par la clameur publique. Autrement dit, en se promenant, des personnes hurlent « À L’ASSASSIN ! »
  • Le quatrième cas désigne celui où, dans un temps voisin de l’infraction, une personne est trouvée en possession d’objet ou a des traces d’indices qui laissent penser qu’elle a participé à l’infraction. Par exemple, les policiers effectuent un contrôle banal sur un véhicule, et aperçoivent des bijoux en vrac sur le siège arrière.

Ce sont les quatre cas de flagrance de l’article 53. Il faut alors tenter de dégager une notion de flagrance.

  • 2. La notion de flagrance

L’énumération est ancienne, et on aurait pu espérer élaborer une notion qui fasse l’unanimité. Pourtant, il y a encore des débats sur cette notion. Il faut alors exposer cette notion, pour vérifier la façon dont la jurisprudence en fait ou non application.

a) L’exposé de la notion

 Selon l’énumération de l’article 53, on voit que par-delà la diversité des quatre cas de flagrance, on trouve des constantes de l’un à l’autre, des composantes que l’on retrouve toujours. On a une composante temporelle et une composante matérielle . Chacune de ces deux composantes, unissant leurs efforts pour que l’existence de l’infraction apparaisse comme une évidence. L’infraction flagrante, dans les quatre cas de l’article 53, est une infraction évidente, manifeste.

1) La composante temporelle

 La composante temporelle apparaît clairement pour chacun des quatre cas. Il y a flagrance car, au moment où l’infraction est constatée, elle est en train de se commettre, ou a été commise il y a très peu de temps. Le Code d’instruction criminelle disait « dans un temps voisin de l’action », alors que le Code de Procédure Pénale dit « dans un temps très voisin de l’action ». Le laps de temps doit ainsi être le plus court possible. Comment expliquer cette référence à cette composante temporelle ? Plus le temps s’écoule entre le moment où l’infraction est commise et le moment où l’on la constate, plus le risque de commettre des erreurs est grand.

Quand la situation est encore fraîche, les risques d’erreur sont minimes. Puisqu’il y a peu de risques d’erreur, on peut donner des pouvoirs importants aux policiers. Cela pose la question de l’appréciation de la durée. Pour l’infraction qui se commet actuellement, il n’y a pas d’appréciation, mais pour celle dans un temps très voisin, les indications du Code de Procédure Pénale sont relativement vagues.

On a simplement des directives sur lesquelles tout le monde s’accorde. On pense que pour l’infraction qui vient de se commettre, il n’y a eu tout au plus que 24h d’écoulées. Le temps très voisin de l’action signifie 48h. Ce ne sont que des indications puisque la Cour de cassation a jugé que l’appréciation de cette composante temporelle était une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.

2) La composante matérielle

c résulte de ces cas de flagrance que l’infraction flagrante, indépendamment du laps de temps, frappe les sens. L’étymologie est alors éclairante : Flagrare signifie Brûler.

Elle s’adresse ainsi aux sens qui l’ont constaté directement, l’ont vu directement ou indirectement ou par « l’ouïe » ou parce qu’ils ont découvert des traces ou des objets qui laissent penser qu’elle a été commise. Cette infraction est alors évidente, on n’a pas de doute sur sa réalité. Il est alors normal de confier des pouvoirs importants à la police, qui ne risque pas de les utiliser par erreur.

C’est en effet à cela que se ramène l’originalité de l’infraction flagrante et donc de l’enquête du même nom. Les deux composantes que l’on vient de voir doivent être réunies, car elles sont cumulatives. En effet, il faut la réunion des deux pour que l’infraction soit certaine, pour qu’elle brûle. Cela signifie, contrairement à l’enquête préliminaire, que parce que l’infraction est flagrante, on peut ouvrir une enquête de flagrance. Autrement dit, le point de départ de l’enquête est la constatation de l’infraction. L’infraction flagrante est déjà constatée, parce qu’elle est évidente et manifeste.

L’objectif de l’enquête de flagrance est alors modeste. Il ne s’agit pas de dire que l’infraction a été commise, car cela est déjà constaté. Il s’agit uniquement de réunir les preuves de l’infraction avant qu’elles ne disparaissent. Des pouvoirs policiers peuvent alors être importants car l’infraction est certaine et car l’objectif est peu ambitieux.

Il résulte de ce constat que si l’infraction est clandestine, occulte, qui ne se voit pas, qui ne frappe pas les sens, elle ne peut pas être flagrante. Il faut en effet, pour qu’il y ait flagrance, la réunion de la composante temporelle et matérielle. Supposons une infraction clandestine qui ne se voit pas mais se déroule actuellement. Il y a la composante temporelle, mais pas celle matérielle. Elle n’est donc pas flagrante, donc pas d’enquête. Car en cas d’infraction actuelle mais occulte, si on ouvre une telle enquête et qu’à son occasion on a recours à une perquisition pour faire apparaître l’infraction, il y a détournement de procédure : on se sert de la procédure pour révéler que l’enquête était flagrance. Les pouvoirs conférés seraient alors injustifiés.

 L’important est de voir si la jurisprudence distingue bien deux composantes et si elle exige, pour qu’il y ait flagrance, la réunion des deux

b) Application par la jurisprudence

 La jurisprudence, à juste titre dans ce débat doctrinal, a soutenu que la flagrance exige la réunion des deux composantes. Elle considère ainsi que, même si une infraction se commet actuellement, mais de manière clandestine, elle n’est pas flagrante. Le premier cas de flagrance pour elle, suppose la composante temporelle, mais aussi la composante matérielle.

Elle a pris parti à travers l’affaire Isnard en 1953, qui a fixé la jurisprudence jusqu’à nos jours. Isnard est un individu qui prend des paris clandestins sur des courses de chevaux. Il est très connu des policiers car c’est un multirécidiviste. Un jour, des policiers appartenant

  • la brigade des jeux le voient sur un champ de course et l’observent. Ils le voient régulièrement approché par des parieurs, et il semble qu’il encaisse des paris. L’un des policiers l’approche et l’interpelle. Ils le fouillent et découvrent des fiches de paris clandestins. Ils triomphent en disant que l’enquête de flagrance est ouverte. Il est cité et poursuivi. L’avocat d’Isnard plaide la nullité de toute la procédure, en disant qu’il n’y a pas de flagrance car la composante matérielle manque, et ce était appelé flagrance avait servi pour faire apparaître l’infraction et la constater. La Cour de cassation a alors donné raison
  • l’avocat d’Isnard, car même si les paris clandestins étaient en train de se commettre, les policiers n’ont rien vu. « Il n’y avait aucun indice apparent d’un comportement délictueux ».

La Cour de cassation a, par la suite, assoupli son exigence initiale. Par exemple, elle a admis qu’il y a flagrance dans l’hypothèse où, une personne se prétendant victime de l’infraction, vient la dénoncer au commissariat de police. Cette dénonciation a été considérée comme une hypothèse de flagrance. Il y a bien la composante temporelle, mais pas réellement matérielle, à moins que la dénonciation de la victime soit une extension de la clameur publique.

La Cour de cassation a aussi confondu la flagrance avec les déclarations d’un co-auteur, qui est pourtant suspect. Il n’est pas évident que celle-ci rende l’infraction manifeste, évidente, mais la cour l’a admis. De même, lorsque la dénonciation émane d’un tiers, il y a une conception trop élargie de la clameur publique.

La jurisprudence admet aussi de valider une enquête de flagrance alors même qu’il finit par être établi que l’infraction, contrairement à ce que l’on pensait, n’était pas flagrante. La jurisprudence a fait application de la théorie de l’apparence. Elle considère que, lorsqu’une enquête de flagrance a été ouverte en raison d’une infraction apparemment flagrante, l’enquête est régulière quand bien même cette apparence était trompeuse. Elle est tout de même légitime.

 

Sous-section 2 : La gravité de l’infraction

Ce qui fait la flagrance, c’est la manière dont l’infraction a été constatée. Toute infraction peut être flagrante : une contravention, un délit ou un crime. Chacune de ces infractions peut être constatée dans les circonstances de la flagrance.

L’enquête de flagrance s’accompagnant de pouvoirs policiers étendus, il a fallu limiter cette enquête à des infractions particulièrement graves. Le législateur a alors limité le domaine de la flagrance aux infractions de flagrant crime ou de flagrant délit à condition que ce délit soit puni d’une peine d’emprisonnement. Ainsi, un délit puni d’une simple amende, ou une contravention ne peuvent pas justifier l’ouverture d’une enquête de flagrance.

 Là encore, s’agissant de la gravité de l’infraction, la jurisprudence fait application de la théorie de l’apparence. On peut penser que l’infraction est grave, mais elle ne l’est en fait pas. L’apparence de gravité est suffisante, l’enquête est validée.

Section 2 : Le déroulement de l’enquête

L’enquête de flagrance est caractérisée par le fait que les policiers peuvent recourir s’il le faut, à la contrainte. Autrement dit, s’agissant des opérations qu’ils voudront effectuer durant l’enquête, comme une perquisition, dire qu’ils peuvent recourir à la contrainte signifie qu’ils n’ont pas à requérir le consentement de l’intéressé.

C’est l’intérêt de cette enquête. En effet, il y a lieu de parier que la contrainte est justifiée, car l’infraction est constatée. C’est une sorte d’état d’urgence qui résulte de la flagrance. Cela est pourtant dangereux pour les libertés individuelles dans un État de droit.

Sous-section 1 : La durée de l’enquête de flagrance

Compte tenu du caractère de la flagrance, il faut agir vite. L’enquête dure normalement

8 jours à compter de son début, avec possibilité d’une prolongation de même durée sur décision du procureur de la république lorsqu’il s’agit d’une enquête de flagrant crime ou de flagrant délit pour un délit punissable d’au moins 5 ans d’emprisonnement.

Ces investigations qui vont durer 8 ou 16 jours, doivent se succéder sans discontinuité. La cour de cassation considère que cette continuité suppose au minimum l’accomplissement d’un acte policier par jour. Si pendant 24h, aucun acte nouveau n’est fait, l’enquête doit être interrompue. Une fois que les apparences tombent, l’enquête doit être interrompue.

Sous-section 2 : Les opérations policières de flagrance

Cela pose la question de savoir qui dirige l’enquête et quelles sont ces différentes opérations.

  • §1. La direction de l’enquête de flagrance

La solution de principe est que l’enquête de flagrance sera conduite par l’officier de police judiciaire qui sera arrivé le premier sur les lieux de la constatation de l’infraction. Une fois sur les lieux, il doit avertir le procureur de la république, et procéder aux premières constatations, pour ne pas perdre de temps. Il doit veiller à la conservation des indices, saisir tout ce qui se rapporte à l’infraction, et si des suspects ont été arrêtés, l’officier de police judiciaire doit présenter ces objets aux suspects pour une éventuelle reconnaissance.

L’officier de police judiciaire peut faire appel immédiatement à ceux qui ont le rôle d’expert, pour procéder à des constatations ou des examens techniques qui ne peuvent pas être différés, comme des relevés d’empreintes. Il reste néanmoins que, malgré la présence préliminaire de l’officier de police judiciaire, l’enquête reste sous la direction du procureur (article 12 du Code de Procédure Pénale : « La police judiciaire est exercée, sous la direction du procureur de la République, par les officiers, fonctionnaires et agents désignés au présent titre. »), qui reste de libre de se rendre sur les lieux de l’enquête, et il reste libre de dessaisir automatiquement l’officier de police judiciaire pour conduire les opérations.

Il n’est pas exclu qu’un juge d’instruction se déplace sur les lieux de l’infraction, de l’enquête, ce qui rend possible l’ouverture sur place d’une instruction . L’enquête de flagrance sera abrogée, pour une instruction ouverte sur les lieux mêmes de l’infraction.

Les officier de police judiciaire agiront sous l’autorité du juge d’instruction par des commissions rogatoires.

 

§2. Les différentes opérations de l’enquête de flagrance

Ces opérations sont diverses, nombreuses. On pense notamment aux opérations qui concernent le recueillement des preuves avant qu’elles ne disparaissent, mais il y en a d’autres.

L’officier de police judiciaire doit donner à la victime, la connaissance de ses droits (obtenir réparation, se constituer comme partie civile). De même, en matière d’infraction sexuelle, l’officier de police judiciaire peut faire procéder immédiatement à des mesures de dépistage de MST. La plupart des opérations tendent pourtant à réunir les preuves de l’infraction.

C’est à propos de ces opérations que le recours à la contrainte est systématique. Ce pouvoir de contrainte provient de la liberté de l’officier de police judiciaire sous la direction du procureur. Cette liberté s’explique car il n’y a pas de risque d’erreur, puisque l’infraction est constatée. Il ne s’agit que d’en réunir les preuves. À l’initiative du libre arbitre de l’officier de police judiciaire, on trouve des exceptions. Pour certaines opérations, il peut falloir que l’officier de police judiciaire ait au préalable une autorisation du procureur de la république, voire du juge des libertés et de la détention, donc d’un magistrat du siège, concernant les décisions portant atteinte aux libertés individuelles.

Ce sont les perquisitions avec des saisies de ce que l’on aura découvert, les interceptions de communications, les auditions et un ensemble de mesures qui peuvent entrainer une restriction à la liberté d’aller et de venir comme la garde à vue.

Le régime de ces différentes opérations est aujourd’hui un régime complexe. Pendant longtemps, il n’y en a eu qu’un seul, mais les années passant, le législateur a multiplié les régimes particuliers en distinguant deux types de délinquance : la délinquance organisée et la criminalité organisée. Il y a donc aujourd’hui deux enquêtes de flagrance, banale ou pour la criminalité organisée. Cette évolution s’est faite dans le sens d’une augmentation continue des pouvoirs policiers. La contrepartie, l’alibi, a été l’instauration du juge des libertés et de la détention. C’est un alibi car on ne lui a jamais donné les moyens d’exercer un contrôle efficace.

A) Les perquisitions et saisies

 La perquisition désigne la fouille d’un lieu, effectuée pour y trouver les preuves d’une infraction dont la constatation a déjà été faite, dans le cadre d’une enquête de flagrance. Il s’agit de trouver des objets utiles à la découverte de la vérité.

Il y a des opérations qui peuvent ressembler aux perquisitions mais qui ne le sont pas. Un officier de police judiciaire qui se présente à un domicile, et qui demande la remise d’un objet, ne constitue pas une perquisition. S’il impose des scellés pour que personne ne puisse plus rentrer dans le domicile, il n’y a pas non plus de perquisition.

Cette fouille est dangereuse pour les libertés individuelles si ce lieu est un domicile. Il est donc classique de distinguer les perquisitions domiciliaires et non domiciliaires.

1) La perquisition domiciliaire

Elle est réglée par les articles 56 et suivants du Code de Procédure Pénale. Elle est réservée à un officier de police judiciaire, pouvant être secondé par un agent de police judiciaire. Mais le procureur ayant la haute main sur les enquêtes ; il pourrait pratiquer lui-même la perquisition.

Il y a une définition propre aux perquisitions domiciliaires. Il s’agit d’un lieu clos et habitable, où l’occupant peut se dire chez lui, que l’occupant y habite ou non et quelle que soit la nature de cette occupation . Un lieu en construction n’est donc pas un domicile. Un domicile secondaire est donc considéré comme tel. Peu importe que le domicile soit occupé de façon sporadique. De même, peu importe que l’occupant des lieux soit un propriétaire ou un locataire. C’est ainsi que la jurisprudence a considéré comme un domicile, une chambre d’hôtel ou un bureau professionnel.

Quelles sont alors les conditions de régularité de ces perquisitions ? On trouve des conditions s’agissant du domicile, des horaires, ainsi qu’à la présence de l’occupant.

  • a) Les conditions relatives au domicile

Tout domicile ne peut faire l’objet d’une perquisition. L’enquête de flagrance n’est pas un état d’urgence sur tout le territoire national. On ne peut perquisitionner qu’au domicile de certaines personnes : celles qui paraissent avoir participé au crime ou au délit, donc à l’infraction, ou qui paraissent détenir des pièces, des informations ou des objets relatifs aux faits. On exige que ces personnes « paraissent avoir participé au crime ou détenir des pièces, informations ou objets relatifs aux faits incriminés » (article 12 Code de Procédure Pénale), donc une simple possibilité, une éventualité n’est pas suffisante : il faut une probabilité suffisante pour que les conditions du texte soient satisfaites.

  • b) Les conditions relatives aux horaires

Il s’agit de protéger le domicile. Par conséquent, ces perquisitions ne peuvent commencer avant 6h du matin, ni avoir lieu après 21h. C’est une règle commune aux États de droit selon laquelle on n’entre pas dans le domicile des citoyens la nuit.

Ces horaires sont ceux du commencement de la perquisition. Une enquête commencée avant 21h peut néanmoins se prolonger après. À ces exigences, on trouve toutefois des exceptions. Le Code de Procédure Pénale dit que l’on peut rentrer n’importe quand dans un domicile si des réclamations sont faites de l’intérieur.

On peut perquisitionner dans des lieux publics – hôtels, dancings, lieux de spectacle, etc. lorsque l’on voit par exemple que des prostituées notoires y sont reçues habituellement, pour réunir des preuves d’infraction de proxénétisme. Les conditions d’horaire de perquisition n’ont pas non plus à être respectées pour la criminalité organisée, sur autorisation du juge de la liberté et des détentions.

  • c) La présence de l’occupant

Il faut que l’occupant des lieux soit présent, ou que, si cette présence n’est pas possible, l’officier de police judiciaire désigne deux témoins qui vont suivre les opérations, ou que soit présente une personne désignée par l’occupant. L’exigence tenant à cette condition est que l’on ne veut pas que la police découvre des objets qu’elle aurait elle-même apporté lors de la perquisition.

Si, au cours de cette fouille des lieux, on trouve des objets, des documents, des informations utiles à la découverte de la vérité, on peut procéder à des saisies, qui seront placées sous scellés. S’agissant des données informatiques, on pourra saisir physiquement les données, ou on pourra se contenter d’une copie. La loi prévoit des règles particulières lorsque les perquisitions sont effectuées dans certains lieux, comme le cabinet d’un avocat, d’un médecin, d’un notaire, d’un avoué ou d’un huissier. On peut trouver dans ces lieux des documents de nature particulière. La loi ne veut ainsi pas que la perquisition soit effectuée par un vulgaire officier de police judiciaire. Elle ne peut donc être effectuée que par un magistrat. Elle s’effectuera en présence d’un représentant de l’ordre professionnel (par exemple le bâtonnier ou son représentant).

S’agissant de l’avocat, le bâtonnier ou son représentant, peut manifester son opposition à la saisie d’une pièce. Il y a donc un conflit entre le représentant et le juge. Le juge des libertés et de la détention tranchera. On trouve un cas particulier quant aux saisies : celles qui ont trait à la correspondance de l’avocat avec son client. Cette correspondance est insaisissable, y compris ce qui serait de simples consultations, ou de simples notes d’entretien. Ceci vaut aussi pour les pièces équivalentes d’avocat à avocat. La jurisprudence a donné à cette insaisissabilité une atténuation : il pourra y avoir saisie de la correspondance entre l’avocat et son client, si elle établie la participation de l’avocat à l’infraction. Il faut éviter qu’il y ait une sorte de sanctuaire sacré dans lequel on ne peut pénétrer, à savoir le cabinet de l’avocat.

Cela a été étendu aux bureaux du Conseil de l’ordre des avocats. Plus récemment, une loi du 4 janvier 2010 est passée pour protéger le secret des sources d’un journaliste (domicile ou locaux d’une entreprise de presse). Ici encore, cela ne peut se faire que par un magistrat. En cas d’opposition entre l’intéressé et le magistrat, le juge des libertés et de la détention arbitrera le conflit.

Si, à l’occasion de la perquisition, l’officier de police judiciaire découvre des objets relatifs à une autre infraction que celle étant la raison de sa venue sur les lieux, il peut saisir les objets en question soit de sa propre autorité si ces objets se rapportent à une autre infraction flagrante ou il peut ouvrir une seconde enquête de flagrance pour saisir l’objet qu’il vient de découvrir. En revanche, si les conditions de la flagrance ne sont pas réunies, il pourrait saisir l’objet en ouvrant une enquête préliminaire, mais il lui faudra alors obtenir le consentement de l’intéressé.

Il peut enfin demander l’ouverture d’une instruction, et pratiquer la saisie de l’objet découvert au titre de cette nouvelle instruction. On parle alors d’une « enquête incidente ».

L’ensemble de ces règles est prescrit à peine de nullité. C’est une des nullités textuelles.

2) Les perquisitions non domiciliaire

Les règles précédemment étudiées ne sont pas applicables en dehors d’un domicile, notamment les conditions d’horaires ou celles tenant à la vraisemblance de la participation de l’intéressé à l’infraction, qui n’ont pas forcément besoin d’être respectées. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’on pouvait effectuer une perquisition à n’importe quelle heure dans un véhicule stationné sur la voie publique, ou dans une consigne de gare.

À cela s’ajoutent des opérations qui sont assimilées à des perquisitions. Ce sont des opérations qui n’en sont pas, mais dont la jurisprudence a décidé qu’il fallait appliquer le même régime juridique. C’est ainsi que la jurisprudence assimile la fouille corporelle à une perquisition, étant entendu que la question est particulière, puisque des textes règlementent cette opération, notamment dans le Code des douanes.

On assimile à une perquisition non domiciliaire, l’opération qui permet d’entrer dans des lieux sans faire de fouille, mais pour effectuer des « constatations oculaires ».

B) Les écoutes téléphoniques

On parlait avant d’interceptions de correspondances télé communiquées. La règle est celle selon laquelle de telles opérations sont interdites durant des enquêtes policières, seraient-ce des enquêtes de flagrance. Les textes (articles 56 du Code de Procédure Pénale) prévoyant ces enquêtes n’y font aucune allusion, de telles opérations étant donc illégales. Tout acte qui porte atteinte à une liberté individuelle, qui n’est pas expressément accepté par la loi, est interdit. Certains magistrats l’avaient oublié, et il a fallut que la Cour de cassation rappelle cette solution en assemblée plénière en 1989.

Cass. Ass. Plén., 24 novembre 1989, 89-84.439 : « Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu’ayant été avisés de ce que Christian X… se serait livré à un trafic de stupéfiants et aurait eu notamment pour client André Y…, les services de police, agissant d’initiative, ont invité Y… à téléphoner à X… en vue de prendre rendez-vous pour une livraison de drogue et ont enregistré leur entretien sur radio-cassette, puis dressé un procès-verbal de cette opération ; qu’à l’heure convenue pour le rendez-vous, les policiers ont pu ainsi pénétrer, à la suite de Y… dans le domicile de X…, interpeller les occupants et procéder à perquisition. »

Convention européenne des droits de l’Homme – Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance – Ecoutes téléphoniques – Condition – Prescription d’un juge – Commission rogatoire Selon l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il ne peut y avoir ingérence des autorités publiques dans les conversations téléphoniques que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi. Ainsi, les articles 81 et 151 du

Code de procédure pénale ne permettent qu’au juge d’instruction d’ordonner, dans certaines conditions, des écoutes et des enregistrements téléphoniques. Viole ces textes la cour d’appel qui, pour refuser de prononcer la nullité d’un procès-verbal relatant l’écoute et l’enregistrement d’une conversation téléphonique suscitée par des services de police agissant d’initiative, énonce que ceux-ci n’ont pas employé un procédé de captation de toutes les conversations téléphoniques échangées à partir du poste d’un abonné, alors qu’ils ont, sans avoir reçu d’un juge commission rogatoire à cette fin, procédé, à l’insu de cet abonné, à l’écoute de propos tenus par celui-ci sur sa ligne téléphonique.

Le législateur est néanmoins intervenu pour accepter cette opération dans le cadre de la criminalité organisée. Le texte (article 706-95 du Code de Procédure Pénale) autorise l’interception de correspondances télécommuniquées, avec une autorisation du juge des libertés et de la détention, durant 15 jours, avec possibilité d’un renouvellement. Pour autoriser l’écoute des conversations d’un avocat, il faut l’autorisation d’un bâtonnier. Il faut prévenir le président de la juridiction pour un magistrat, ou le président de l’assemblée concernée pour un parlementaire.

On peut rapprocher de cette opération une disposition de l’article 60-2 du Code de Procédure Pénale, qui suppose une autorisation du juge des libertés et de la détention. Un officier de police judiciaire peut requérir d’un opérateur de télécommunications de préserver pendant une durée maximum d’un an le contenu des informations consultées par leur client.

C) Les auditions

Selon l’article 62 du Code de Procédure Pénale, l’officier de police judiciaire peut effectuer des auditions durant une enquête de flagrance.

1) Les auditions de témoins

L’officier de police judiciaire a la possibilité de convoquer toute personne, pour entendre son témoignage, qui lui paraît susceptible de présenter des renseignements sur l’enquête. La personne peut se présenter d’elle- même, mais peut aussi être contrainte à venir comparaître avec l’autorisation du procureur de la république.

De la même manière, au cours d’une perquisition, lorsqu’elle s’effectue en présence de l’occupant, l’officier de police judiciaire peut entendre ce dernier, et de recueillir des informations sur les objets saisis, par exemple.

L’audition est soumise à certaines règles : l’ensemble des déclarations faites par le témoin doivent être consignées dans un procès verbal d’audition, puisqu’il n’y a pas de prestation préalable de serment. Cette personne, en tant que témoin, ne peut être retenue que le temps strictement nécessaire à son audition. Il faut donc lui rendre la liberté sauf à ce que l’on décide de placer cette personne en garde à vue .

2) Les auditions de victime

L’officier de police judiciaire peut recueillir les déclarations de victime. Il faut simplement évoquer le cas particulier du mineur : si l’enquête de flagrance a été ouverte à propos d’une infraction à caractère sexuel, il est possible de procéder à un enregistrement audiovisuel de la déclaration, pour que l’on évite à ce mineur de réexpliquer plusieurs fois l’infraction subie.

D) Les restrictions à la liberté d’aller et de venir

  • 1) Les arrestations

C’est un pouvoir confié au procureur de la république ou à l’officier de police judiciaire . Le premier peut délivrer un mandat particulier de recherche. Ce mandat comporte l’ordre adressé à la force publique de rechercher la personne concernée, et de la placer en garde à vue si elle est arrêtée.

Un tel mandat ne peut être délivré que s’il y a une ou plusieurs raisons plausibles de dire que cette personne est l’auteur de l’infraction. En exécution de ce mandat, la police judiciaire peut pénétrer dans un domicile à condition de respecter l’horaire. Si, au cours de l’exécution de ce mandat la personne désignée est arrêtée, l’individu sera immédiatement placée en garde à vue (article 122 du Code de Procédure Pénale).

En dehors de cette initiative du procureur, une arrestation peut se produire à l’initiative de l’officier de police judiciaire puisque l’article 61 du Code de Procédure Pénale l’autorise à interdire à toute personne se trouvant sur les lieux de l’infraction de s’éloigner de ces lieux durant la durée nécessaire à l’opération. Plus largement, chaque citoyen a la possibilité de procéder à l’arrestation de l’auteur apparent de l’infraction flagrante, avec l’obligation de conduire l’intéressé le plus rapidement possible devant un officier de police judiciaire. C’est le pouvoir d’arrestation confié à tout citoyen par l’article 73 du Code de Procédure Pénale (« Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. »).

2) La garde à vue

Ce pouvoir est réservé à l’officier de police judiciaire et non pas au simple agent de police judiciaire. C’est le pouvoir pour l’officier de police judiciaire de garder une personne à sa disposition. L’article 63 du Code de Procédure Pénale précise que la garde à vue doit être décidée « pour les nécessités de l’enquête ». Cela signifie que, en tant que cette garde à vue est une atteinte aux libertés individuelles, elle doit être nécessaire à la découverte de la vérité. Dès lors, si cette condition n’est pas remplie, la garde à vue n’est pas nécessaire et elle est illégale.

Le problème est que, la Cour de cassation – dans un arrêt insupportable –, a pris la responsabilité de dire qu’une juridiction de jugement n’a pas à apprécier la question de savoir si la garde à vue était nécessaire à l’enquête ou ne l’était pas . C’est un pouvoir qu’elle a refusé aux juridictions de jugement sans argument. Rien dans les textes ne l’autorisait à prendre la décision, l’article 56 de la Constitution précisant que le juge est garant des libertés individuelles. La Cour de cassation est donc en partie responsable de l’augmentation faramineuse du nombre de gardes à vue.

L’affaire qui lui a permis de consacrer cette solution est la suivante : deux personnes éméchées ont été interpelées en pleine nuit. Elles ont ainsi insulté les agents, et il y avait donc un outrage, en flagrance, constaté de façon évidente puisque les officier de police judiciaire avaient l’identité des personnes. Elles ont été placées en garde à vue le temps que le procureur de la république soit informé, et qu’il ordonne la remise en liberté. La juridiction de jugement a annulé toute la procédure en disant que la garde à vue n’avait répondu à aucune nécessité : l’outrage était établi, l’identité était connue, la garde à vue était inutile. La Cour de cassation a alors cassé ce jugement.

La garde à vue est une mesure grave. Elle a une nature contraignante : la personne est retenue contre son gré, selon le Code de Procédure Pénale. La mention de l’arrêt est la suivante : cela permet à l’officier de police judiciaire, de se servir d’un placement en garde à vue comme une sanction qu’il inflige lui-même à l’intéressé.

De cette nature contraignante de la garde à vue, la chambre criminelle a tiré des conséquences. Elle considère que, puisque la garde à vue présuppose une contrainte exercée contre une personne, un placement en garde à vue n’est donc pas imposé à l’officier de police judiciaire s’il ne recourt pas à la contrainte. Si une personne accepte de venir dans les locaux policiers, elle n’est pas contrainte, donc la nécessité de la placer en garde à vue ne se fait pas sentir si l’on procède à une audition. Inversement, toute interpellation suivie d’une conduite au commissariat sous la contrainte, impose le placement de cette personne en garde à vue. Le tout est de saisir ce que l’on désigne par contrainte. Autrement dit, la garde à vue ne va pas sans la contrainte.

Une personne interpelée en flagrant délit de commission d’une infraction ayant consenti à suivre l’agent est consentante. La Cour de cassation a dit qu’une personne placée dans une maison d’arrêt que l’on vient chercher pour un interrogatoire est consentante, et qu’il ne faut ainsi pas la placer en garde à vue. Par l’effet de cette jurisprudence, sauf refus de déférer opposé par l’intéressé, le placement en garde à vue ne s’impose jamais à l’officier de police judiciaire. Mais combien de citoyens, dans cette situation, osent refuser ? Et s’ils le font, il ne faut pas que ce refus soit constituant ni un outrage, ni une rébellion. Tout repose donc sur une distinction entre la contrainte et le consentement. La conception de la Cour de cassation est tellement large que l’on peut se demander si la jurisprudence est conforme à celle de la CEDH.

En effet, cette jurisprudence dit que le consentement de l’intéressé ne suffit pas aux autorités policières, à transgresser les règles telles que posées par la législation nationale.

La chambre criminelle estime que, dans certaines hypothèses où il y a contrainte, le placement en garde à vue ne s’impose pas . Elle considère que dans certaines hypothèses de contrainte, faisant l’objet d’un texte particulier, il n’y a pas à respecter les formalités de la garde à vue. Par exemple, une personne est interpelée à la suite d’une infraction au Code de la route. Elle va être conduite sous la contrainte dans un local de police pour subir une vérification de son alcoolémie, cette personne n’a pas à être mise en garde à vue. On trouve encore le code des douanes autorisant les douaniers à procéder à une retenue douanière, ressemblant à la garde à vue, mais où il n’y a pas à respecter les règles de la garde à vue.

S’agissant donc de la garde à vue, les règles de protection des libertés individuelles ne sont pas suffisamment protégés dans ce pays, et ce, à l’initiative de la Cour de cassation.

Reste à voir le déroulement de la garde à vue et le problème de sa régularité.

  • a) Le placement en garde à vue

 On a des règles différentes selon que la personne à placer en garde à vue est majeure ou mineure. Pour le majeur, les règles se trouvent aux articles 63 et suivants du Code de Procédure Pénale. Pour les mineurs, cela se trouve dans l’ordonnance de 1945.

On trouve une seconde exigence qui est que l’on ne peut placer en garde à vue qu’une personne contre laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis l’infraction. On ne peut donc placer en garde à vue qu’un suspect. C’est un pouvoir reconnu à l’officier de police judiciaire relié avec l’obligation pour lui de procéder à un placement en garde à vue, lorsque l’intéressé est placé sous un mandat de recherche délivré par le procureur de la République. Cette garde à vue n’est acceptable que si elle a des garanties pour l’intéressé, en ce qu’elle est une atteinte à la liberté d’aller et venir.

D’une certaine manière, on a un droit à être placé en garde à vue, car on a un droit à toutes les garanties qui accompagnent cette garde à vue. La jurisprudence est une manière, pour l’officier de police judiciaire, de priver une personne de sa liberté de déplacement, sans aucune des garanties accompagnant de la garde à vue. Il faut ici faire le lien avec les positions de la chambre criminelle. Lorsque la personne dit qu’elle est consentante, on peut l’entendre sans la placer en garde à vue. Mais ceci signifie qu’elle est privée de toutes les garanties ci-après étudiées. D’une certaine manière, on a un droit à être placé en garde à vue. C’est ça qui est inacceptable.

Quelles sont alors ces garanties ? Elles sont aujourd’hui assez nombreuses. La personne doit recevoir une information sur la durée de la garde à vue : 24h avec une prolongation possible de 24h supplémentaires. Cette autorisation ne peut intervenir que par le procureur de la république. Ces 48h peuvent être prolongées, dans le cadre de la criminalité organisée, à deux reprises (soit 96h). Ces deux prolongations doivent être autorisées par le juge des libertés et de la détention à la demande du procureur. En matière de terrorisme, il est possible d’ajouter encore deux prolongations de 24h , ce qui fait une durée totale de garde à vue de 6 jours (soit 144h).

On a aussi la possibilité de faire prévenir par téléphone certaines personnes. La personne avec laquelle elle vit habituellement, un parent, un frère, une sœur ou l’employeur. Sauf à ce que le procureur s’y oppose pour les nécessités de l’enquête.

Il peut aussi être procédé à un examen médical qui peut être décidé par l’officier de police judiciaire ou le procureur. Cet examen peut aussi être réclamé par un membre de la famille, ce qui implique qu’il ait pris connaissance de la garde à vue. La personne sera examinée par un médecin qui dira si la condition de la personne est compatible avec la garde à vue. En cas de prolongation, de nouveaux examens sont possibles, voire obligatoires.

On trouve aussi la possibilité de s’entretenir avec un avocat. Aujourd’hui, cela se fait en principe dès le début de la garde à vue. On trouve des exceptions, car l’entretien avec l’avocat peut être différé en matière de criminalité organisée : ici l’entretien n’interviendra qu’à l’issue de la 48ème heure de garde à vue. On a la possibilité alors, d’un nouvel entretien à chaque prolongation de la garde à vue.

L’avocat va d’abord être informé de la nature de l’infraction reprochée à son client, de la date supposée. L’entretien est d’un maximum de 30 minutes sans avoir accès au dossier de la procédure. C’est la théorie de l’avocat pot-de-fleur, l’avocat est décoratif, car il n’assiste pas son client.

Il faut ici faire état d’une jurisprudence de la CEDH selon laquelle, lorsqu’une personne est privée de sa liberté, elle peut être assistée de son avocat dès le premier interrogatoire. Le Code de Procédure Pénale français n’autorise pas cela. La CEDH dit alors que toutes les déclarations qu’une personne a pu faire en dehors de la présence de son avocat, ne peuvent justifier la condamnation de cette personne. Les policiers français sont hostiles à la présence de l’avocat. La situation actuelle a été arrachée après des années de combat.

Reste alors à évoquer le déroulement de la garde à vue avant de parler de sa régularité.

  • b) Le déroulement de la garde à vue

On dit que l’on peut soumettre l’intéressé à des interrogatoires et confrontations. Un procès verbal devra être dressé, précisant la durée et les temps de repos. Si la garde à vue est consécutive à la commission d’un crime, il y aura un enregistrement audiovisuel de ces interrogatoires. En matière de criminalité organisée, il n’y a pas d’enregistrement à moins que le procureur ne décide le contraire. Ce procès-verbal sera signé par la personne gardée à vue sauf refus.

À l’issue de la garde à vue, on estime qu’il n’y a aucune raison de retenir l’intéressé, ou on estime qu’il existe des éléments de nature à justifier les poursuites. Dans ce cas, le procureur va demander à ce que la personne lui soit déférée. Cette personne va lui être présentée, ce qui va permettre à ce procureur de requérir que l’on ouvre une instruction , ou que l’on saisisse une juridiction de jugement (=citation directe) et recourir à une procédure de jugement rapide : la procédure de comparution immédiate – à la condition que l’intéressé encourt une peine d’emprisonnement minimale de six mois, ce qui permettra de le traduire devant la juridiction de jugement. C’est l’ancienne procédure de flagrant délit. Cette procédure n’est possible qu’en matière de délit car en cas de crime flagrant, une procédure d’instruction est obligatoire.

Cette procédure de comparution immédiate a pour vertu de permettre la comparution de l’intéressé le jour-même devant la juridiction. Si cette juridiction ne peut statuer le jour-même, la comparution est donc remise au plus tard dans les trois jours. Dans cette attente, le procureur peut demander au juge des libertés et de la détention de placer l’intéressé en détention provisoire.

Une fois que l’intéressé comparaît, il doit être jugé le jour-même de sa présentation. On estime qu’il y a en effet tous les éléments pour que la juridiction se prononce. L’intéressé peut demander un délai pour préparer sa défense, auquel cas l’audience doit être renvoyée dans un délai de 2 à 6 semaines avec la possibilité, pour la juridiction de jugement, de placer l’intéressé en détention provisoire.

Traditionnellement, la jurisprudence a été hostile à la garde à vue. Les juges avaient inventé une théorie qui apparaît assez extravagante : lorsqu’une garde à vue était irrégulière, il fallait pour qu’elle soit annulée, que l’intéressé prouve que cette irrégularité avait altéré la recherche de la vérité, preuve impossible puisqu’il fallait donc établir comment se serait déroulée la procédure sans garde à vue. On retrouve là un vieux fond jurisprudentiel constant qui est d’une réticence quasi viscérale à l’idée d’annuler les procédures.

Sous les assauts de la CEDH, on a du amorcer un virage. De plus en plus alors, la Cour de cassation a bien du admettre que la violation des garanties reconnues aux personnes mises en garde à vue, devait s’accompagner de la nullité de celle-ci et de la nullité de toute la procédure (p.ex si l’intéressé n’avait pas pu s’entretenir avec un avocat, si les garanties ont été notifiées tardivement).

Si la garde à vue est annulée, il y a des risques que toute la procédure qui a suivi, soit aussi anéantie. Lorsque la garde à vue est nulle, cette nullité est étendue à tous les actes dont la garde à vue a été le support nécessaire.

Chapitre 3. L’enquête préliminaire

Cette enquête a une histoire sulfureuse. Elle s’est longtemps appelée « enquête officieuse ». En effet, est venu un moment où, au lendemain de la mise en vigueur du Code d’instruction criminelle, le droit des personnes inculpées grandissait. On a notamment permis le recours à un avocat en 1897. Cette amélioration de l’instruction a fait que l’on a tenté d’échapper à l’instruction. Les procureurs ont engagé des enquêtes qui permettaient à l’intéressé de n’avoir l’assistance de personne. C’est avec le Code de Procédure Pénale, 1er janvier 1959, que l’on a légalisé l’enquête officieuse qui est devenue l’enquête préliminaire.

Cette enquête était traditionnellement radicalement différente de l’enquête de flagrance qui commence avec la constatation de l’infraction. C’est une enquête qui vise à constater une infraction que l’on n’a fait que soupçonner. On cherche à en obtenir les preuves. Mais puisqu’on n’a que des soupçons, il est possible qu’ils soient injustifiés. En conséquence, le risque que cette enquête préliminaire soit totalement injustifiée est considérable.

Le Code de Procédure Pénale qui a légalisé cette enquête l’a fait en considérant que cette enquête excluait par principe tout recours à la contrainte. Après la mise en vigueur du Code de Procédure Pénale, ces analyses saines ont été remises en cause au prétexte notamment de la lutte contre la grande criminalité et contre le terrorisme.

Au moment de l’entrée en vigueur du Code de Procédure Pénale, seule l’enquête préliminaire était possible s’il n’y avait pas de flagrance . Il fallait le consentement de l’intéressé quoi qu’il se passe s’il n’y avait pas flagrance. Si le procureur de la république voulait avoir la possibilité de recourir à la contrainte, il fallait demander au juge d’instruction d’ouvrir une instruction pour obtenir une autorisation de la contrainte.

Si l’on ouvre une instruction, il va y avoir une série de garanties et notamment l’assistance d’un avocat. Le temps passant, cette instruction est apparue comme une procédure trop soucieuse de garantir les droits de la défense. Par des réformes successives, on a alors permis le recours à la contrainte au stade d’une simple enquête préliminaire. Le choix du procureur est donc remis en cause : la contrainte peut être obtenue par l’enquête préliminaire, au détriment de l’instruction.

On a évoqué le fait que moins de 5% des affaires nécessitaient l’intervention du juge d’instruction. Cela ne s’explique pas par le fait qu’ils sont inutiles, mais par le fait que la police a les mêmes pouvoirs. On peut maintenant recourir à la contrainte dans une simple enquête préliminaire. La personne soupçonnée n’a aucun droit qu’elle aurait durant une instruction.

Durant l’enquête préliminaire, il y a de plus en plus la possibilité de recourir à la contrainte, si ce recours à la contrainte a été autorisé par le juge des libertés et de la détention, juge judiciaire du siège. La présence de ce juge est souvent dénoncée comme étant la présence d’un simple alibi. Ce contrôle qu’il devrait effectuer, devrait être approfondi, par un magistrat ayant le temps de connaître le dossier. On n’a jamais donné au juge des libertés et de la détention les moyens d’effectuer un contrôle efficace.

 

Section 1 : La conduite de l’enquête préliminaire

Ce sont les agents de police judiciaire et les officiers de police judiciaire qui peuvent conduire cette enquête, de leur propre initiative ou sur ordre du procureur qui la dirige toujours (article 12). En principe, au regard de l’enquête de flagrance, le rôle des procureurs est accru. Il n’y a plus ici cette évidence qui autorise que l’on donne une large initiative à l’officier de police judiciaire. On ne peut donc pas accorder autant de pouvoirs en matière d’initiative qu’en matière de flagrance.

Lorsque l’enquête est ouverte à la demande du procureur, on a la possibilité d’en fixer le délai, puisque ce n’est pas un délai butoir, pouvant donc être prorogé. Comment va-t- on informer le procureur si l’enquête a été ouverte à l’initiative de l’officier de police judiciaire ?

Les exigences du Code de Procédure Pénale sont minimes : il doit rendre compte de l’enquête seulement au bout de 6 mois. Il devra éventuellement le faire auparavant si l’on identifie un suspect. Dès lors que, grâce au résultat de l’enquête, on identifie une personne comme pouvant être auteur de l’infraction, il faut en aviser le procureur. Dans un cas comme dans l’autre, ceci signifie que l’enquête préliminaire n’a aucune durée maximale , elle peut durer des semaines ou des mois. Cette absence de limitation dans le temps n’avait originellement aucun caractère de gravité, car il n’y avait pas de contrainte.

Dès lors que, par l’évolution législative, La possibilité de recourir à la contrainte est allée croissante, l’enquête préliminaire est devenue dangereuse, puisqu’il n’y a aucun contrôle d’un juge du siège, sauf du juge des libertés et de la détention dans certaines conditions et souvent sans les moyens matériels d’effectuer un véritable contrôle.

Section 2 : Les opérations conduites durant l’enquête préliminaire

 Ce sont des opérations qui ont pour but de parvenir à la découverte de la vérité, à la constatation de l’infraction. Ces opérations sont de plusieurs types, si on fait un parallèle avec l’enquête de flagrance. On peut alors faire apparaître que, au cours de l’enquête préliminaire, certaines opérations vont être soumises au même régime juridique que l’enquête de flagrance. Certaines opérations vont être soumises à un régime spécifique. Il y a aussi une opération originale : l’opération d’infiltration.

  • 1. Les opérations soumises au même régime qu’en enquête de flagrance

L’officier de police judiciaire a un grand pouvoir d’appréciation. Il y a parfois des exceptions. En dépit de la possibilité de principe de recours à la contrainte, il se peut que l’officier de police judiciaire obtienne l’accord d’une autre personne.

Si les autorisations sont requises en dépit de la flagrance, elles seront exigées en enquêtes préliminaires. S’agissant des correspondances et des communiqués, cette interception n’est pas possible durant une enquête préliminaire. On a une exception quant à la criminalité organisée. Pour l’enquête préliminaire, il est prévu, à titre exceptionnel, que l’interception soit possible, et peut être autorisée en cas de criminalité organisée.

De la même manière on peut transposer tout ce que nous avons vu à propos de la garde à vue. Mais il est surprenant que le régime soit le même. Si l’officier de police judiciaire a le pouvoir de placer une personne en garde à vue de sa propre initiative, on pourrait justifier en considérant qu’il y a flagrance et donc pas de risque d’erreur. On peut être plus craintif à accorder ce pouvoir en cas d’enquête préliminaire car il n’y a pas de flagrance.

Pourtant, on a admis que le placement en garde à vue pouvait être décidé par l’officier de police judiciaire seul sans accord préalable du procureur. Il doit juste informer ce dernier du placement en garde à vue .

  • 2. Les opérations soumises à des régimes spéciaux

En principe, et parce que l’enquête préliminaire, par nature dans sa conception traditionnelle, n’autorise pas le recours à la contrainte, la perquisition domiciliaire ne peut intervenir qu’avec le consentement de l’intéressé . Ce consentement doit être donné par écrit. La contrepartie est que, si au cours d’une enquête préliminaire, un officier de police judiciaire vient pour effectuer une perquisition et que la personne n’accepte pas, l’officier de police judiciaire n’entre pas. En ce cas, le procureur pourrait demander l’ouverture d’une instruction. Aujourd’hui, de plus en plus on a voulu autoriser le recours à la contrainte, ce qui dispense d’ouvrir une instruction.

Il est donc possible, sur autorisation du juge des libertés et de la détention après ouverture d’une instruction, de procéder à une perquisition sans le consentement de l’intéressé. Cette autorisation du juge des libertés et de la détention d’avoir recours à la contrainte, peut être donnée en matière de crime. Cela est aussi possible pour tous les délits à condition que la peine encourue soit au moins égale à 5 ans.

Pour le reste, s’agissant du régime applicable aux perquisitions, transposer tout ce que l’on a vu quant aux flagrances.

  • 3. L’opération d’infiltration

 Cette opération est propre à la criminalité organisée. On la retrouve à l’article 706-81 du Code de Procédure Pénale. Cette opération a un nom éloquent. Cela consacre le pouvoir, pour un officier de police judiciaire, de se faire passer auprès d’un suspect, comme un receleur, un auteur ou un complice d’une infraction, avec une identité d’emprunt si besoin. Le but est de suivre une opération.

Cela a une limite : cette infiltration ne doit pas inciter à la commission d’une infraction.

Le Code de Procédure Pénale autorise l’agent infiltré à commettre des infractions, mais des infractions qui seront justifiées par une autorisation de la loi. Cette opération d’infiltration a une durée maximum de 4 mois. Cette durée est renouvelable, et suppose l’autorisation non du juge des libertés et de la détention, mais du procureur de la république. Le Code précise qu’aucune condamnation ne pourra être prononcée uniquement sur les déclarations de l’agent infiltré.

 

Titre II. La police judiciaire, auxiliaire des juges d’instruction

De la même façon que la police judiciaire seconde le ministère public, elle peut aider les juges d’instruction au cours de l’instruction (l’article 14 du Code de Procédure Pénale). Le juge d’instruction peut donc déléguer certains pouvoirs à un officier de police judiciaire. Cette délégation peut être surprenante, compte tenu de la gravité des pouvoirs du juge d’instruction. C’est une question légitime mais qui porte à faux car elle fait l’économie de la distinction fondamentale entre deux types de fonctions remplies par les juridictions d’instruction. En effet, elles accomplissent des fonctions de nature différente.

  • Une juridiction d’instruction a une fonction de nature juridictionnelle. Par ses ordonnances (ou arrêts), Elle dit le droit, tranche des questions de droit. Il est donc évident que les actes qui se rattachent à cette fonction, que l’on pourrait appeler des « décisions d’instruction », sont par nature réservés à des magistrats. Il est inenvisageable qu’un juge d’instruction puisse déléguer une fonction de cette nature à un simple officier de police judiciaire.
  • Mais une juridiction d’instruction remplit aussi une autre fonction, une fonction qui n’est pas juridictionnelle. C’est une fonction d’investigation. L’instruction a pour but de parvenir à la découverte de la vérité. Si on les envisage sous cet angle, le juge d’instruction se comporte ici comme un enquêteur. Ces pouvoirs d’investigation se rapprochent beaucoup des pouvoirs des officiers de police judiciaire au cours de l’enquête.

Cette fois-ci alors, on comprend que ces pouvoirs d’investigation sont délégables à des officier de police judiciaire par une chambre d’instruction. Ces actes d’information sont parfaitement délégables car ils sont de même nature que ceux qui appartiennent aux officier de police judiciaire durant l’enquête. Cette délégation est possible par une décision procédurale : la commission rogatoire. C’est la délégation de ces prérogatives. La commission rogatoire dépend donc d’un certain nombre de conditions envisagées du côté de celui qui délègue ou de celui qui reçoit la délégation ; le mandant et le délégataire. Cette réglementation figure aux articles 151 et suivants du Code de Procédure Pénale

Chapitre 1. Les conditions de la commission rogatoire
Section 1 : Les conditions de fond de la commission rogatoire

Pour qu’il y ait une commission rogatoire, il faut que le juge d’instruction prenne la décision d’y recourir. Il faut aussi que l’on précise l’objet de cette commission.

  • 1. La décision du recours à la commission rogatoire

 Les conditions de ce recours apparaissent à l’alinéa 4 de l’article 81 du Code de Procédure Pénale, comme résultant d’une décision qui a vocation à être exceptionnelle. (« Si le juge d’instruction est dans l’impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d’instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d’information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152. »). Il est dit qu’une commission rogatoire n’est régulière que si le juge est dans l’impossibilité de procéder en personne à tous les actes d’investigation. On comprend cette présentation : cette délégation est forcément une opération délicate, voire dangereuse. Les dangers résident dans le fait que ce pouvoir d’investigation est confisqué par la police pour qu’elle l’utilise dans le sens qui lui convient.

Mais cette présentation est fallacieuse, car tout dépend de l’appréciation de l’impossibilité. Si l’on se contente d’une impossibilité de fait, la commission rogatoire va devenir systématiquement possible, car la surcharge des cabinets d’instruction est telle qu’il est impossible au juge d’effectuer la totalité des dossiers dont il est saisi.

À ces considérations de fait, s’ajoutent des considérations de droit qui tiennent à la compétence territoriale du juge d’instruction. Le juge d’instruction ne peut pas sortir de son ressort territorial. Il ne peut alors que délivrer une commission rogatoire à une personne compétente dans la zone où il veut opérer.

Pour des raisons de fait et de droit, la commission rogatoire présentée comme une décision exceptionnelle est en réalité une décision banale, des plus courantes. Il est alors d’autant plus important de savoir quel peut être l’objet de cette commission.

  • 2. L’objet de la commission rogatoire

 La commission rogatoire correspond à un mécanisme de délégation. Il est naturel de penser que ce mécanisme de délégation en circonscrit étroitement la portée. Le juge qui délègue ne peut ainsi pas délivrer plus de pouvoirs qu’il n’en a . Cette déduction n’est pas fausse, et la commission rogatoire est limitée par le principe de la saisine in rem des juges d’instruction. C’est-à-dire que le juge d’instruction, lorsque l’instruction a été ouverte, a été saisi d’un certain nombre de faits. Il a été saisi par un réquisitoire d’un procureur de la république, visant des faits précis. La saisine in rem signifie que le juge d’instruction n’est saisi que de ces faits, et ne peut agir que sur ces faits précis.

La commission rogatoire ne peut toucher qu’aux faits dont il est lui-même saisi. Un juge d’instruction ne peut, par la commission rogatoire, préconiser à l’officier de police judiciaire des recherches sans rapport avec les faits dont ce juge est saisi. Ceci pose un problème comme par rapport aux perquisitions. On peut envisager qu’à l’occasion de la commission rogatoire, l’officier de police judiciaire découvre d’autres faits : quels sont ses pouvoirs à cet égard ? La jurisprudence estime qu’il peut constater les faits et il doit en aviser le juge d’instruction. Il appartient alors au procureur de la république de décider d’étendre la saisine du juge d’instruction à ces faits nouveaux.

Si la délégation est tenue au respect de la saisine in rem, elle n’est pas tenue au respect d’une saisine in personam. Le juge d’instruction ne peut agir que sur les faits dont il est saisi. Mais s’agissant des personnes, sa saisine est illimitée. Il peut instruire à l’encontre de toute personne. En conséquence, il n’y a pas de raison de limiter la portée de la commission rogatoire in personam, si bien qu’une commission rogatoire serait régulière si elle chargeait l’officier de police judiciaire d’identifier toutes les personnes susceptibles d’avoir commis l’infraction.

Section 2 : Les conditions de forme de la commission rogatoire

 Dans la forme, elle se présente comme un document de procédure sur lequel on va porter la date de la commission rogatoire ainsi que la signature et le sceau du magistrat qui la dédit. Ces exigences sont prévues à peine de nullité. La date car la commission rogatoire est un acte « interruptif de la prescription de l’action publique ». La signature et le sceau du magistrat permettent de vérifier sa compétence.

Dans cette commission rogatoire, qui peut être délivrée par tout moyen, le juge d’instruction peut appliquer la durée pour laquelle il l’a donnée, et à défaut le Code de Procédure Pénale présume qu’elle est délivrée pour la durée nécessaire à l’accomplissement des actes demandés. Il peut donc donner un délai aussi long qu’il le veut pour l’application des mesures qu’il a ordonnées. Ceci n’est pas forcément une solution idéale, facilitant un abandon de l’instruction à l’officier de police judiciaire. Au cours de l’exécution de cette commission rogatoire, l’officier de police judiciaire dressera des procès verbaux pour les opérations qu’il aura accomplies, qui devront être adressés au juge d’instruction mandant.

Il faut aussi se placer du côté du délégataire.

Chapitre 2. Les conditions de la commission rogatoire du côté du délégataire

 Peut-on déléguer à n’importe qui et n’importe quoi ?

Section 1 : L’identification des délégataires

Les actes délégués sont des actes d’instruction, qui sont tout sauf anodins. On ne peut pas déléguer des actes de cette nature à n’importe qui. Il en résulte que le Code de Procédure Pénale limite la possibilité de cette délégation à des magistrats ou à des officiers de police judiciaire. Il est possible que celui qui reçoit cette délégation subdélègue à son tour à un échelon inférieur. Par exemple, un juge d’instruction compétent dans un ressort A délègue son pouvoir à un juge d’instruction du ressort B qui délègue lui-même à un officier de police judiciaire.

Section 2 : Les pouvoirs du délégataire.

Il semble qu’il soit facile de cerner ces pouvoirs en application de la logique même de la délégation. Le délégataire devrait avoir les pouvoirs du mandant. On peut mettre un terme à tout moment à cette délégation. La jurisprudence considère qu’un juge d’instruction qui a donné commission rogatoire à un officier de police judiciaire peut parfaitement venir sur les lieux de la commission rogatoire pour contrôler le déroulement des opérations.

Parmi les pouvoirs du délégataire, on a des pouvoirs délégués. Le délégataire peut aussi avoir des prérogatives que le juge mandant n’avait pas.

  • 1. Les pouvoirs délégués

Le délégataire ne peut pas exercer tous les pouvoirs dont disposait le juge mandant. Parmi ces pouvoirs, il en est qui sont considérés comme incommunicables, attachés à la personne du juge . Il en est ainsi de toutes les prérogatives de nature juridictionnelle, p.ex le soin de prendre des ordonnances.

À cela s’ajoute que, même parmi les prérogatives qui peuvent être déléguées, certaines ne peuvent être déléguées qu’à des magistrats. Par exemple, le Code de Procédure Pénale prévoit que les interrogatoires de la personne mise en examen, ou ses confrontations avec d’autres protagonistes de l’instruction, ne peuvent être effectués que par un magistrat.

Si un juge d’instruction veut, sur commission rogatoire, faire procéder à la mise en examen de l’intéressé, il peut le faire faire par un magistrat. Il y a une chose équivalente pour l’audition d’une partie civile ou du témoin assisté. L’audition de ces personnes ne peut pas être faite sur commission rogatoire, par un officier de police judiciaire sauf si l’intéressé y consent.

Voilà donc un certain nombre d’actes incommunicables ou qui peuvent être délégués exclusivement à un magistrat. Sous cette réserve, la commission rogatoire peut prescrire un ou plusieurs actes déterminés, ou peut au contraire confier à l’officier de police judiciaire le soin d’effectuer tous les actes qu’il juge utile à la manifestation de la vérité, sans que le juge mandant juge nécessaire de spécifier les actes. On parle de « commission rogatoire générale ». C’est une commission rogatoire dangereuse, car le juge d’instruction refuse de contrôler quoi que ce soit.

  • 2. Les pouvoirs propres

En dehors de ces pouvoirs, il faut compter avec des pouvoirs qui peuvent appartenir en propre à celui qui a reçu la commission rogatoire. Un officier de police judiciaire tient de sa qualité le pouvoir de placer quelqu’un en garde à vue , il lui appartient de décider d’une garde à vue au cours de l’exécution d’une commission rogatoire.

Les règles de cette garde à vue sont exactement celles que l’on a vu s’agissant des enquêtes, qu’il s’agisse de la durée, des droits de la personne placée en garde à vue, des règles propres à la criminalité organisée. Tout ceci peut se transposer à l’identique.

La seule différence est la suivante : au cours d’une enquête, le procureur contrôle la garde à vue. Au cours d’une commission rogatoire, le juge d’instruction contrôle cette garde à vue. Il peut accepter une prolongation de celle-c i.

DEUXIÈME PARTIE : LES ACTIONS AU COURS DU PROCÈS PÉNAL

Lorsque nous avons évoqué les parties, on a rencontré deux actions différentes : l’action publique et l’action civile. L’action publique correspond à la défense de l’intérêt général, amenant une juridiction de jugement à se prononcer sur l’innocence ou culpabilité et sur la peine en cas de culpabilité. L’action civile a, quant à elle, pour objectif de réparer le dommage subi par la victime. Ce sont ces deux actions que l’on va étudier en les définissant et en voyant comment elles sont mises en œuvre. C’est donc évoquer leur nomenclature et la mise en œuvre de ces actions.

Première sous-partie : La nomenclature des actions

On trouve l’action civile et l’action publique. Selon l’article 1 du Code de Procédure Pénale, l’action publique est définie comme « l’action pour l’application des peines ». C’est une définition classique et contestable. D’abord parce qu’elle est incomplète : elle l’est aussi pour les mesures de sûreté. De plus, s’il y a une déclaration de culpabilité, toute déclaration n’est pas nécessairement accompagnée d’une peine. Il est possible que le ministère public, après avoir déclenché l’action publique, change d’avis. Il peut finir par requérir devant la juridiction de jugement, une relaxe ou un acquittement. Il demande ainsi un non-lieu devant la juridiction d’instruction.

Le ministère public exerce l’action publique. Il suffit de voir que le ministère public demande la vérité des faits. Il attend ainsi de la juridiction aussi bien de conclure à la culpabilité qu’à l’innocence. Certains auteurs contestent que le ministère public soit ainsi véritablement une partie, car il n’est l’adversaire de personne.

À cela s’ajoute le fait que la personne poursuivie est présumée innocente. Le but du procès pénal est alors de savoir si cette présomption d’innocence correspond à la vérité ou non. À la suite de ces observations, on pourrait considérer une meilleure définition de l’action publique. C’est le pouvoir dévolu au ministère public, de s’adresser à une juridiction répressive pour qu’elle se prononce sur la présomption d’innocence, en la confirmant ou l’infirmant, tantôt au regard des charges qui pèsent sur la personne, tantôt au regard des preuves.

Au fond, l’objet véritable de l’action publique, c’est l’application de la loi pénale, et ce n’est que la demande formulée par le ministère public à la juridiction de le faire. L’article 31 du Code de Procédure Pénale semble être plus satisfaisant, car il dispose que « le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi ». C’est appliquer la loi que de conclure à la culpabilité de la personne lorsqu’elle l’est, aussi bien que de conclure à son innocence si tel est le cas.

Quelle que soit la définition de l’action publique, il ne faut pas la confondre avec des prérogatives différentes du ministère public en réaction à la commission d’une infraction. Outre le déclenchement des poursuites. Le but de ces actions n’est pas la condamnation à une peine ni la vérification du fait que la présomption d’innocence soit pertinente ou non. On peut donner deux illustrations des autres prérogatives du ministère public.

–    On trouve la composition pénale. Lorsque le ministère public y recourt, il renonce au déclenchement de l’action publique. Cela n’est pas définitif car il y a une condition : que l’auteur de l’infraction avoue son acte, se reconnaisse auteur de l’infraction, et consente à exercer certaines mesures qui ne sont pas juridiquement des peines. Cela peut être l’obligation de verser une somme.

–    On trouve également l’action que le ministère public va exercer après la condamnation devant les juridictions de l’application des peines. Il y a aujourd’hui quatre phases : les poursuites, l’instruction, le jugement, et depuis quelques années, une phase d’exécution des peines avec des juridictions   compétentes (juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines). Ici, le ministère public a une action qui n’est pas l’action publique qui est éteinte par la décision de la juridiction de jugement

On peut dénommer ces actions comme « actions à fin publique ». On voit alors que la définition de l’action publique renvoie à la présomption d’innocence et à la théorie des preuves pénales. Pendant longtemps, cette présomption d’innocence n’a pas été mentionnée dans nos Codes (ni celui de l’instruction criminelle, ni celui de 1958). Sauf à considérer que, d’une certaine manière, le législateur n’estimait pas utile d’insérer des évidences, pensant sans doute que, par la seule existence de ces Codes, le principe de la présomption d’innocence était proclamé en ce que ces Codes ne se pouvaient se comprendre sans elle.

Cette présomption est arrivée avec l’article 6 §2 de la CESDHLF qui proclame cette présomption, de même qu’un article du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la France. Si l’on se contente de nos sources internes, la présomption d’innocence a longtemps figuré uniquement à l’article 9 de la DDHC. Ce n’est que récemment que cette présomption est apparue dans un Code, avec l’article préliminaire du Code de Procédure Pénale de 2000. Dans le Code civil, figure un article 9-1 qui proclame le droit au respect de la présomption d’innocence.

La présomption d’innocence signifie qu’une personne sera tenue pour innocente tant que la preuve de sa culpabilité n’aura pas été légalement rapportée . Cette affirmation générale suppose qu’on la développe. Elle dissimule différents aspects. Ce sont ces aspects que l’on examinera. Il faut voir la théorie des preuves.

Titre 1. La présomption d’innocence

Puisque l’on parle de « présomption d’innocence », ce terme laisse entendre que l’on est en présence d’une règle de preuve. Elle n’est pas que cela, car c’est aussi une règle politique caractéristique des régimes libéraux, qui en viennent à envisager la présomption d’innocence à travers l’affirmation d’un droit.

Chapitre 1. La présomption d’innocence, règle de preuve

Comme toute présomption, elle a pour vertu d’attribuer la charge de la preuve. Plus précisément, elle fait peser la charge de la preuve sur le ministère public. Cela est à l’avantage de la personne mise en cause, du défendeur à l’action publique. La présomption d’innocence est donc une règle purement technique, une règle de preuve. À ce titre, elle est fragile. On peut envisager que cette présomption connaisse des exceptions et qu’elle soit parfois écartée par des présomptions de culpabilité.

Section 1 : Présomption d’innocence et charge de la preuve

Lorsque l’on envisage la présomption d’innocence en tant que règle qui attribue la charge de la preuve, elle signifie qu’il n’appartient pas à la personne mise en cause d’établir qu’elle est innocente. C’est au ministère public de prouver qu’elle est coupable. La jurisprudence considère alors que, lors des poursuites, il revient au ministère public d’établir que l’infraction a été commise. Il doit aussi établir qu’il n’y a pas de preuves de nature à exclure la culpabilité. Le parquet doit donc prouver l’infraction dans toutes ces composantes.

Cette charge peut paraître lourde, mais cela est relatif. La tâche du ministère public est en effet en partie allégée dans la mesure où il peut compter, en phase d’instruction, sur le travail du juge qui est chargé de parvenir à la découverte de la vérité. Le ministère public pourra se fonder sur des preuves que le juge d’instruction aura découvertes.

Le ministère public peut demander au juge d’instruction d’établir tout acte qui paraît nécessaire à la découverte de la vérité. Cette attribution de la charge de la preuve au ministère public n’est pas si lourde car on dirait que le parquet doit apporter des preuves de ce qu’il affirme mais aussi une personne mise en cause qui attend avec le sourire. Dans les faits, la personne mise en cause prend souvent les devants pour établir son innocence.

L’intérêt de la présomption d’innocence se manifeste dans l’hypothèse où il va y avoir un doute sur la culpabilité de l’intéressé. Dire que la charge de la preuve pèse sur le parquet a pour conséquence que si le parquet ne parvient tout au plus qu’à faire naître dans l’esprit du juge un doute, c’est qu’il n’a pas renversé la présomption d’innocence.

Lorsque le juge a un doute sur la culpabilité, il doit proclamer l’innocence, relaxer, acquitter ou rendre une ordonnance de non-lieu. Le doute, en raison de la présomption d’innocence profite à la personne mise en cause. «In dubio pro reo», c’est-à -dire « en cas de doute, il faut trancher en faveur de l’accusé ». C’est dans cette situation de doute que la présomption fait la démonstration de son utilité.

C’est donc une pratique condamnable que celle qui voit des juridictions prononcer une relaxe en précisant qu’elle intervient « au bénéfice du doute ». Cette formule, selon Philippe Conte, n’est pas compatible avec la présomption d’innocence. Ou bien la personne est coupable et on le dit, où elle ne l’est pas et est proclamée innocente. La formule est « détestable ». Le juge devrait relaxer purement et simplement sans aucune allusion à son doute. Le législateur peut, éventuellement, prévoir ces situations intermédiaires, à attacher à l’existence de ce doute la présomption d’innocence, mais pas un juge.

Au stade des enquêtes policières et de l’instruction, la présomption innocence a moins de poids, car ce serait une impasse excessive. En effet, si l’on veut respecter la présomption d’innocence, on mettra en garde à vue un présumé innocent. Au stade de l’instruction, pour qu’une personne soit mise en examen, il faut isoler « des indices graves ou concordant rendant vraisemblable qu’elle a commis les faits dont le juge est saisi ». C’est l’affirmation d’un doute fort, pour la mise en examen. Il n’y a donc pas incompatibilité entre la mise en examen et la présomption d’innocence. À l’issue de l’instruction, pour que la juridiction d’instruction rende une ordonnance de renvoi, il faut que la juridiction d’instruction détermine « des charges constitutives de l’infraction ».

On voit donc que la présomption d’innocence n’est pas l’innocence. La présomption d’innocence n’est pas le tabou auquel veut faire croire le personnel politique ou les journalistes. La conception de la presse de la présomption d’innocence n’a rien à voir avec la notion juridique. Parfois, elle n’existe pas, par un renversement de la charge de la preuve.

Section 2 : Renversement de la charge de la preuve et présomption de culpabilité

Il y a de multiples hypothèses où, en dépit de la présomption d’innocence, le Code de Procédure Pénale ou le Code Pénal mettent sur pied une présomption de culpabilité. On trouve, à cet effet, la présomption de connaissance de la loi pénale. Elle n’est pas spécialement à l’avantage de la personne poursuivie, au contraire. Ce n’est pas au ministère public de prouver que l’on connaissait la loi pénale. Idem pour les faits justificatifs : ce n’est pas au ministère public de le prouver, sauf s’ils sont présumés (la légitime défense, dans certains cas).

La cour de cassation approuve ces présomptions de culpabilité qui ne sont pas incompatibles avec l’article 6§2 de la CESDH. Malgré cet article, un système juridique peut comporter des présomptions de culpabilité qui doivent respecter certaines conditions. Il faut que ces présomptions prennent en compte la gravité de l’enjeu. C’est la règle de proportionnalité. Il faut ensuite que cette présomption de culpabilité soit réfragable.

Ces positions de la Cour de cassation sont purement la reproduction presque littérale des solutions de la CEDH qui a été la première à affirmer que la présomption d’innocence ne s’oppose pas à une présomption de culpabilité. Le Conseil constitutionnel légitime également ces présomptions dans des conditions similaires.

La présomption d’innocence est aussi l’expression d’un droit.

 

Chapitre 2. La présomption d’innocence, expression d’un droit

Si l’on revient sur la présomption d’innocence dans sa fonction probatoire, elle a pour fonction essentielle une attribution de la charge de la preuve qui pèse sur le ministère public. Si la présomption d’innocence n’est que cela, elle ne sert à rien. En effet, dans un procès pénal, le demandeur est le parquet. Dans tous les systèmes juridiques, la charge de la preuve pèse sur le demandeur : Actori incumbit probatio. La charge de la preuve est attribuée au ministère public de toute façon en dehors de la présomption d’innocence par le jeu normal des règles de preuve.

Cette présomption est inutile sauf à comprendre qu’il y a autre chose que l’attribution de la charge de la preuve. Sa véritable raison d’être serait en effet un fondement politique et non juridique. Cette présomption doit être vue comme une garantie pour les libertés individuelles, une garantie pour le citoyen contre l’arbitraire toujours possible de l’État. Le seul texte parlant de la présomption d’innocence a été la DDHC car les révolutionnaires avaient compris cela.

Article 9 de la DDHC : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

La présomption d’innocence est à la procédure pénale ce que la légalité criminelle est au droit pénal : une garantie des libertés individuelles . C’est une garantie contre une arrestation arbitraire.

Par une réforme de 1993, on a franchi une étape supplémentaire en faisant de la présomption d’innocence la source d’un droit subjectif qui a son siège dans le Code civil. C’est ici qu’est affirmé le droit au respect de la présomption d’innocence. On est ici loin de questions de preuves. Ce droit a d’autres manifestations que dans le Code civil, des manifestations purement procédurales.

Section 1 : Le droit au respect de la présomption d’innocence

Le siège de ce droit est l’article 9-1 du Code civil. Ce droit au respect de la présomption va s’accompagner de prérogatives. Est visée la personne qui, avant toute condamnation serait présentée comme coupable de faits qui font l’objet d’une instruction ou d’une enquête. Si c’est le cas, un juge peut, même en référé, ordonner l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué pour faire cesser cette atteinte à la présomption d’innocence.

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser la signification de ce texte : il est interdit de présenter publiquement une personne comme coupable. La Cour de cassation considère que ce qui est interdit, ce sont des conclusions définitives qui manifestent un préjugé tenant pour acquise la culpabilité. Il en résulte qu’il n’y a pas d’atteinte à la  présomption d’innocence si un journaliste fait état de ses doutes sur l’innocence. Il n’y a pas de violation de l’article 9-1 du Code civil si l’on a publié le nom d’une personne mise en examen.

Il est aussi précisé que ce droit s’éteint avec la mort de la personne mise en cause. Ce droit ne se transmet pas aux héritiers. La jurisprudence a enfin du préciser la formule « avant toute condamnation ». La Cour a jugé qu’il faut comprendre « avant toute condamnation irrévocable ». Il en résulte qu’une personne condamnée au premier degré, puis en appel, s’il y a eu un pourvoi, est protégée par l’article 9-1. Cette jurisprudence va ici trop loin car cet article ne vise que les personnes mises en cause durant l’enquête et l’instruction, et non durant le jugement.

On a aussi un intérêt de ce droit lorsque la personne bénéficiera d’un non-lieu. Elle pourra obtenir la publication de la décision de non-lieu ou la publication d’un communiqué afin d’informer le public de l’existence de ce non-lieu.

La troisième prérogative reconnue est celle selon laquelle l’intéressé peut exercer une « action en insertion forcée ». Elle a la possibilité de faire paraître un article dans l’organe qui l’a mis en cause, à la même place et de même caractère typographique que l’article dans lequel la mise en cause s’est produite. Cette action doit être gratuite pour le journal, et le refus d’insertion est une infraction pénale.

À cela s’ajoute qu’indépendamment de cette protection civile qu’est la présomption d’innocence, on ne saurait exclure l’intervention du droit pénal à l’encontre de celui qui la mettrait en cause. Porter atteinte à cette présomption revient à une violation du secret de l’instruction ou une diffamation ou une dénonciation calomnieuse.

Section 2 : Les manifestations procédurales du droit au respect de la présomption d’innocence

On rencontre de nombreuses dispositions dans le Code de Procédure Pénale qui se fondent, même de manière implicite, sur la présomption d’innocence et sur le respect qu’on lui doit. Il s’agit notamment de solutions d’inspiration libérale qui ne peuvent s’expliquer que par le préjugé politique de défendre les libertés individuelles.

On a ainsi l’obligation pour les juridictions répressives de rechercher des preuves défavorables et favorables aux intérêts. L’instruction s’effectue à charge et à décharge selon l’article 81 du Code de Procédure Pénale.

Ce sont également les droits et garanties pour une personne en garde à vue ; le principe selon lequel une personne mise en examen au stade de l’instruction ou un prévenu ou un accusé au stade du jugement, doit toujours être entendue par une juridiction. On veut

éviter qu’une personne ayant prêté serment de livrer la vérité doive choisir de se livrer elle-même ou de se parjurer.

Une solution de la CEDH a prohibé l’auto-incrimination. C’est-à-dire le principe selon lequel nul ne peut être tenu de s’accuser lui -même. La France a ainsi été condamnée parce que ses instances policières avaient fait pression sur une personne soupçonnée pour qu’elle livre elle-même des preuves pour montrer sa culpabilité.

Autre illustration : la règle selon laquelle une personne mise en examen doit pouvoir rester libre. Le placement sous contrôle judiciaire, l’assignation à résidence et la détention provisoire sont des exceptions dérogeant au principe du maintien en liberté. On peut aussi rajouter à la présomption d’innocence la règle de la majorité renforcée devant une cour d’assises : toute décision défavorable à l’intéressé en suppose une. Les trois magistrats professionnels et les neufs jurés doivent prononcer à l’unanimité la culpabilité du mis en examen. Toute décision défavorable supposerait une majorité de 7 voix. Pourtant il faut en réalité une majorité de 8 voix. On a en effet présumé que les trois magistrats seraient systématiquement défavorables à la personne accusée .

On peut rattacher à la présomption d’innocence l’impossibilité de reprendre des poursuites contre une personne qui a été mise hors de cause, même dans l’hypothèse où une erreur judiciaire aurait été commise. C’est l’idée que mieux vaut cent coupables en liberté qu’un innocent en prison.

Titre II. La théorie des preuves pénales

 La théorie des preuves pénale est le prolongement naturel de la présomption d’innocence. Ce problème de la preuve dans le procès pénal est d’une importance fondamentale. Tout tourne autour de l’administration de la preuve.

Strictement envisagée, cette théorie pose deux questions complémentaires. La théorie des preuves pose le problème des modes de preuves admissibles. Cela pose aussi la question de l’appréciation de leur force probante. Que vaut la preuve pour le juge ? La réponse est toujours celle de la liberté de la preuve. Il faut également se demander la façon dont les preuves peuvent être recherchées et administrées.

Chapitre 1. Le principe de la liberté de la preuve

Quand on parle de la liberté de la preuve, on parle de la liberté des preuves admissibles, ainsi que la liberté pour le juge d’en tirer les conclusions qu’il veut. C’est une liberté à tous les étages.

Section 1 : Liberté et mode de preuve

 On regarde l’article 427 du Code de Procédure Pénale qui dispose en son alinéa premier que, « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ». Cet article 427 pose alors le principe de la liberté des preuves, entendu comme la liberté des modes de preuve.

Quels sont alors les modes de preuve ? Ils sont l’indice, la preuve littérale, puis vient le témoignage et enfin l’aveu.

  • 1. L’indice

Cette catégorie de l’indice est traitée de façon discrète. Elle se définit moins par son contenu (qu’est-ce qu’un indice au fond ?) que par l’opération intellectuelle qu’on lui rattache. L’indice autorise en effet une présomption. On peut alors le présenter comme tout ce qui, sans fournir une preuve immédiate, rend possible le fait recherché.

Cela vient du latin index qui signifie « qui indique ». Il rend possible le fait que l’on recherche et c’est cette possibilité qui va permettre de présumer que ce fait existe. Puisque l’indice le rend possible, on présume que le fait existe. Tout peut ainsi être indice. On pourrait même dire que ce mode de preuve absorbe tous les autres. Cette présomption autorisée par l’indice va être laissée à l’appréciation du juge.

  • 2. La preuve littérale

 L’écrit prévaut ici même s’il prévaut moins qu’en droit civil. Cela peut être un rapport ou un procès-verbal qui se distinguent par la qualité de leurs auteurs. Les procès-verbaux émanent des officiers de police judiciaire, alors que les rapports sont des écrits qui ont pour auteurs les agents de police judiciaire adjoints . Les deux ont le même objet qui est de constater les infractions.

Pourquoi alors cette différence ? Car le formalisme exigé pour les PV est plus strict que pour les rapports. Les PV obéissent à des conditions de forme précises, dont la régularité conditionne la validité du PV. Il faut la date et la signature de l’agent, ce qui permettra de vérifier sa compétence.

  • 3. Le témoignage

Le témoignage, au sens strict, est une notion juridique étroite. C’est une déclaration faite devant un juge, sous la foi du serment. La déclaration devant un officier de police judiciaire n’est donc pas un témoignage. Il est inutile d’insister sur sa fragilité et sa faiblesse.

Certains témoins sont malhonnêtes, d’autres distraits et ont tous des souvenirs qui s’estompent avec le temps. Pour éviter les difficultés, le législateur considère que la qualité de témoin peut être incompatible avec d’autres pour un risque de partialité. Ainsi, la partie civile ou la personne poursuivie pour éviter qu’elle soit sous serment ne peuvent être témoins.

On a aussi un système d’incapacité : l’exclusion de la qualité de témoin pour certaines personnes censées être inaptes à apporter un témoignage crédible. Par exemple, les mineurs de 16 ans, compte tenu de leur âge. Ces incapacités ne valent pas au stade de l’instruction, car un juge de l’instruction peut entendre toute personne. Ensuite, même les personnes vues comme incapables peuvent être entendues par la juridiction non pas comme témoin mais à titre de simple renseignement.

Ce témoin n’a que des obligations, car il doit comparaître, déposer et ceci à peine de sanction pénale. On a des sanctions pénales sauf exception : le devoir de parler qui pèse sur ce témoin et le devoir de se taire qui peuvent par exemple entrer en conflit en raison de sa profession. Ainsi, un médecin est tenu de comparaître mais une fois présent devant le tribunal, il peut refuser de déposer sans encourir une sanction pénale. Si le témoin ment, il sera coupable de faux témoignage. Si l’on exerce des pressions sur un témoin, c’est une infraction de subornation de témoin. Il s’agit de garantir, sinon la vérité, au moins la sincérité du témoignage.

  • 4. L’aveu

 Si le témoignage est fragile, que dire de l’aveu ? Il y a toutes sortes de raisons qui peuvent amener une personne à avouer. Elle peut avouer car elle est coupable, parce qu’elle souffre de troubles psychologiques, parce qu’elle est lasse. Certaines personnes s’accusent pour sauver le vrai coupable ou pour faire parler d’eux, ce sont les aveux de jactance.

En raison de sa fragilité, l’aveu en matière pénale, est un mode comme un autre. La pratique continue de lui apporter un poids trop important. Le fait que les avocats soient présents pourrait obliger les instances policières à ne pas se contenter d’aveux.

Le législateur a conféré à l’aveu un rôle nouveau, une portée renforcée. On a en effet une procédure de « plaider coupable » qui est la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ». Dans cette procédure, une grande importance est accordée à l’aveu de la personne mise en cause ; aveu qui suppose que la personne a reconnu être l’auteur des faits. Dans cette procédure, la culpabilité de l’auteur des faits est tenue pour  acquise. La culpabilité étant tenue inhérente à l’aveu, on a mis en place une procédure qui aura uniquement pour objectif de déterminer la peine applicable. La discussion ne se fait pas entre la juridiction de jugement et la personne qui a avoué, mais entre le ministère public et la personne qui a avoué

Si l’intéressé accepte la peine en présence d’un avocat, le rôle du juge du siège se borne à homologuer ou refuser l’homologation. S’il homologue l’accord, estimant la peine arbitrée correcte, il le fait par une ordonnance qui aura la même autorité qu’un jugement de condamnation. Il n’y a pas de discussion de la culpabilité. Cette procédure est applicable pour les contraventions et les délits à l’exception de certains d’entre eux. L’aveu fait par l’intéressé lie le juge du siège.

Cette procédure est applicable pour les contraventions et les délits. Cette procédure a pour seule explication que la justice est trop engorgée. Cette procédure, dont la seule explication que la justice est saturée, voit le transfert au ministère public la possibilité d’empiéter sur un territoire qui était la chasse gardée des juridictions du siège. Puisque l’on évoque un projet de réforme de la procédure pénale, cela veut dire que le ministère public enquêtera, instruira, déclenchera les poursuites et jugera. Il prendra toutes les décisions alors qu’il continue d’être subordonné au pouvoir politique.

Section 2 : Liberté et valeur des preuves

Ce n’est pas tout de préciser les modes de preuve admissibles. Encore faut-il dire le poids de ces modes de preuve. On a d’une part, un système de la preuve légale, dans lequel la loi prédétermine la valeur d’un mode de preuve donné. D’autre part, existe aussi le système de l’intime conviction. L’appréciation de la valeur probante est alors abandonnée à la conviction du juge.

On a le choix entre ces deux systèmes en sachant que le système de l’intime conviction a une mauvaise presse parce que la conception que l’on en répand dans l’opinion publique est totalement fausse. Dans les écoles de journalisme, on dit que cela permet au juge de condamner sans preuve.

Ce principe signifie qu’une preuve ayant été fournie, le juge en apprécie librement la force, le poids. C’est néanmoins le système retenu en droit français . Le principe connaît des limites.

  • 1. L’affirmation du principe de l’intime conviction

C’est l’article 427 du Code de Procédure Pénale qui consacre ce principe en le liant étroitement à la liberté des modes de preuve. En application de ce principe, les juges apprécient souverainement la portée des preuves débattues devant eux. C’est en cela que consiste l’intime conviction : la loi n’impose pas d’accorder un poids particulier et prédéterminé à une preuve définie. Une éventuelle erreur dans l’appréciation de ces preuves peut ouvrir un recours en révision (article 622) qui a pour objectif de réparer une éventuelle erreur judiciaire. En application de ce principe, le juge est libre de ne pas tenir compte d’un témoignage ou de ne pas tenir compte des conclusions d’un expert.

En droit pénal, une preuve peut être divisible, contrairement au droit civil. Le juge peut retenir, fonder la condamnation sur cet aveu ou l’écarter, ne pas en tenir compte. Dans les deux cas, il peut le faire en bloc et en partie. Si un aveu est ainsi par la suite rétracté par son auteur, cette rétractation aura la portée que le juge voudra lui donner.

  • 2. Les limites du principe

 Ces limites sont posées par l’article 427 du Code de Procédure Pénale.

Il donne des cas où l’on écarte l’intime conviction, subordonnant la mise en application du principe de l’intime conviction au respect du principe du contradictoire.

 a) Les exceptions au principe

 L’article 427 sous-entend que parfois, l’intime conviction du juge ne sera pas respectée. Il faut aller regarder les PV et les rapports. On distingue trois catégories différentes qui auront trois impacts différents. D’abord, un PV ou un rapport valent à titre de simple renseignement. Si c’est le cas, le principe de l’intime conviction opère : le juge n’est pas lié par le contenu du document et spécialement, il peut écarter le contenu de ces documents si les délégations du prévenu emportent sa conviction.

 Les deux autres hypothèses se présentent comme des exceptions au principe. Il existe en effet des PV et des rapports qui font foi jusqu’à preuve contraire. Ils ont alors une force probante renforcée. Il faudra combattre ces documents par écrit ou par témoin. Ces PV sont très nombreux. Figurent ici les PV et rapports en matière de contravention mais aussi certains PV dressés en matière de délit, spécialement ceux dressés par des agents spéciaux désignés à cet effet. On a ainsi les PV dressés par les agents de l’administration des impôts ou ceux de l’inspecteur du travail. Si la preuve contraire n’est pas rapportée, le juge devra tenir pour exact ce qui est ici dit, malgré son éventuelle conviction inverse.

 La troisième catégorie ne comporte que les PV qui font foi jusqu’à inscription de faux. Leur force est particulière puisque le contenu de ces PV s’impose au juge quoi qu’il puisse en penser. La seule manière de les combattre est la procédure d’inscription de faux, procédure qui ne tend qu’à établir que l’auteur de ce procès verbal a délibérément menti. Ce sont par exemple les PV dressés par les agents des douanes.

 b) Atténuations

 Le principe de l’intime conviction a aussi une atténuation. Selon l’article 427, le juge ne peut fonder son intime conviction que sur des preuves introduites dans le débat judiciaire et qui ont fait l’objet d’une procédure contradictoire devant lui. Il est donc impossible au juge de fonder son intime conviction sur une preuve dont les parties n’auraient pas pu débattre contradictoirement. Par exemple, sur un élément secret du dossier sur lequel le juge s’appuierait sans le dire.

Chapitre 2. Le principe de la légalité de la preuve

 Il ne suffit pas de dire que tous les modes de preuve sont acceptables et qu’elles sont appréciées par le juge. En amont, il faut se demander comment ces preuves sont parvenues devant le juge, comment elles ont été recherchées, obtenues et produites devant le juge . S’agissant de la découverte et de l’administration des preuves, c’est la loi qui doit régir cette phase. La fin ne justifie pas les moyens. Par conséquent, tout ne doit pas être permis pour obtenir des preuves.

C’est la position française qui, après avoir consacré le principe de la liberté, y adjoint le principe de la légalité quant à la recherche et la légalité de la preuve. Puisque tout n’est pas permis pour se procurer des preuves, on doit admettre que des procédés soient interdits. En retrait, on peut envisager que des procédés soient réglementés.

La manifestation du principe de la légalité est l’existence de deux types de procédures.

 Section 1 : Les procédés interdits

Le système procédural français interdit que l’on administre devant un juge des preuves obtenues de manière incompatible avec les droits de la défense. Par exemple, il est impossible de faire état à titre de preuve, de la correspondance échangée entre un avocat et son client. Cela n’est possible si cette correspondance permet d’établir la participation de l’avocat à l’infraction.

De la même manière, la CEDH a estimé qu’il n’était pas conforme au principe du procès équitable, une procédure dans laquelle on a contraint la personne poursuivie à livrer des preuves contre elle-même. Une personne ne peut s’auto accuser en produisant des pièces qui établissent sa propre culpabilité.

Sont aussi interdits tous les procédés contraires à la dignité de la justice ou de la personne. Par exemple, on ne peut fonder une condamnation sur un aveu obtenu par la torture. La jurisprudence avait déjà jugé que l’on ne pouvait tenir compte d’aveu obtenu par narcoanalyse. La jurisprudence n’admet pas non plus les preuves obtenues de manière déloyale, la Cour de cassation ayant même consacré la loyauté des preuves.

À la fin du 19 ème siècle, l’affaire Wilson ( Cass. crim., 31 janv. 1888, Wilson) a donné lieu aux juges de condamner la déloyauté d’un juge d’instruction, qui s’était fait passer pour un complice afin d’obtenir des aveux, comme indigne d’un magistrat. En revanche, la jurisprudence n’interdit pas aux policiers de tricher. C’est le problème du recours à la ruse, légitimée de longue date : la dignité a des exigences variables suivant la position dans la hiérarchie.

S’il est interdit à un juge de ruser, un policier peut le faire, ce qui n’est pas contraire à sa dignité ni sa fonction. Cela a amené au problème de la provocation policière, la possibilité ou non pour un policier de recourir ou non à la provocation. La jurisprudence a distingué : soit le stratagème a eu pour seul objectif d’obtenir des preuves de l’infraction, le cas échéant, le procédé est régulier ; soit la provocation a déterminé la commission d’une infraction, qui est irrégulière. Ceci a été entériné par le législateur pour le trafic de stupéfiants puis pour la criminalité organisée : le législateur a entériné les opérations d’infiltration, hypothèses de provocation à la preuve.

La question de la loyauté peut se poser différemment pour la victime. La Cour de cassation a admis qu’une personne faisant l’objet de persécutions téléphoniques, pouvait enregistrer les propos qui lui étaient tenus, et les produire en justice. C’était un cas particulier et le cas général de savoir si la victime devait être loyale a du être tranché. La Cour a alors rendu plusieurs décisions aux termes desquelles la victime peut toujours administrer dans un procès une preuve qu’elle aurait obtenu de façon déloyale ou même en commettant une infraction, d’origine illicite, qui doit apparaître dans le dossier. Mais si on admet ce genre de preuves se pose la question de savoir jusqu’où aller ? La Cour de cassation franchit d’ailleurs un autre pas en disant qu’il en était de même pour une preuve obtenue suite à une infraction pénale.

Si la preuve est illicite ou déloyale, cela n’a pas d’importance si elle est soumise à débat contradictoire. Ce raisonnement est totalement faux, car la question est de savoir si la preuve est recevable puis ensuite de la soumettre à discussion des parties et pas l’inverse. À supposer qu’elle le soit, elle est soumise au contradictoire des parties. Ce raisonnement de la Cour de cassation est donc totalement erroné.

La Cour a d’ailleurs étendu cette jurisprudence contestable à la victime, puisqu’elle l’a ouverte à des témoins ou des tiers à la procédure. Elle l’a aussi admis à propos de personnes mises en cause. Tout est donc possible.

Pour que l’on puisse administrer une preuve déloyale ou illicite, il faut une condition : que le recours à ce procédé soit rendu indispensable à l’exercice des droits de la défense. Cela est le raisonnement de l’évolution de la jurisprudence.

Section 2 : Les procédés réglementaires

 Dans cette recherche des preuves, il va falloir, dans un État libéral, que le procédé soit encadré par la loi chaque fois qu’il menace une liberté individuelle. Tout procédé qui menace une liberté individuelle, qui n’est pas expressément autorisé, est interdit .

Ainsi s’explique la réglementation minutieuse, par exemple des perquisitions et saisies, au stade de l’enquête ou de l’instruction. En présence d’un procédé juridiquement encadré, si cette réglementation n’a pas été respectée, la preuve correspondante ne peut pas être invoquée et le juge ne peut pas former sa conviction à partir d’une telle pièce.

L’article 174 du Code de Procédure Pénale précise que les actes ou pièces annulées doivent être retirées du dossier et qu’il est interdit d’y puiser un quelconque renseignement durant la procédure.

Deuxième sous-partie : La mise en œuvre des actions

 On parle de la mise en œuvre de l’action publique et de l’action civile.

Livre premier : La mise en œuvre de l’action civile

Évoquer la mise en œuvre de l’action civile, c’est se tourner vers les parties civiles. Aux termes des articles 3 et 4 du Code de Procédure Pénale, ces parties se voient offrir une option qui consiste à porter cette action civile devant la juridiction civile ou accessoirement à l’action publique devant les juridictions répressives. On parle de l’option procédurale ouverte aux victimes.

Chapitre 1. Les conditions de l’option procédurale

 Pour que cette option existe, il faut un minimum de conditions. Il faut évidemment que l’action civile existe. Il faut également que l’action publique puisse encore être exercée, ceci car l’action publique est le support de l’action civile. Les conditions de l’option procédurale tiennent à l’existence de l’action civile et publique.

Section 1 : L’existence de l’action civile

Il existe une grande variété de causes d’extinction de l’action civile. Examiner cela se rapporte à examiner les cas dans lesquels l’action civile n’existe pas. L’existence de l’action civile n’est jamais subordonnée à l’existence de l’action publique. Ainsi, l’amnistie est une cause d’extinction de l’action publique mais réserve les droits des tiers.

  • 1. L’action civile non prescrite

Pour que l’option dont on parle se présente, il faut que l’action civile existe et qu’elle ne soit pas prescrite. Comment se prescrit-elle ? Pendant longtemps, elle s’est prescrite dans les mêmes délais que l’action publique. L’action publique d’une contravention se prescrivait par un an. Cela valait donc pour l’action civile, même si la victime exerçait son action civile au civil. Comment expliquer cette solidarité ? Pour éviter que le procès civil soit l’occasion de découvrir une infraction prescrite, on a du établir cette règle de solidarité.

Cette explication a priori séduisante, était aussi choquante. Elle signifiait l’instauration de deux catégories de victimes : les victimes d’un comportement non constitutif d’une infraction qui leur permettait de demander réparation aussi longtemps que le droit civil le leur permettait, tandis que celles d’un comportement délictueux ne pouvaient plus agir après extinction de l’action publique.

En raison de la fragilité de la solidarité des prescriptions, elle a été supprimée en 1980 où l’on a opéré une désolidarisation des prescriptions. Selon l’article 10 du Code civil, l’action civile se prescrit selon les règles du Code civil. Ainsi, la victime d’un délit prescrit par trois ans, n’avait initialement que trois ans pour demander réparation. Maintenant, si la victime exerce son action civile au civil, cette action se prescrira selon les règles du droit civil (cinq ou dix ans) et non selon les règles qui gouvernent l’action publique. L’action civile exercée au pénal sera forcément l’accessoire de l’action publique.

En conséquent, désolidarisation ou pas, si la victime exerce son action civile au pénal, elle devra le faire à un moment où l’action publique n’est pas prescrite.

Par exemple, en matière d’infraction de presse, la victime ne peut obtenir réparation que pour la durée de l’action publique, qui est de trois mois. Indépendamment de ceci, l’action civile peut connaître de multiples causes d’extinction.

  • 2. L’action civile non éteinte pour une autre cause

Indépendamment de la prescription, l’action civile peut connaître des causes d’extinction. Par exemple, elle peut s’éteindre par la disparition de la créance à laquelle elle s’attache, c’est-à-dire à la suite du paiement qui a été effectué. Elle est en outre directement affectée par des causes d’extinction qui lui sont propres.

L’action civile disparaît en cas de renonciation civile. I l ne faut pas la confondre avec le désistement de l’instance pénale. Cela signifie que la victime a demandé l’action civile au pénal, mais se désiste pour l’exercer devant la juridiction civile. Cela n’est pas une cause de l’extinction de l’action civile .

L’action civile est aussi éteinte par l’effet de la chose jugée. Si c’est le cas, l’option disparaît.

Pour que l’option existe, il faut aussi vérifier l’existence de l’action publique.

Section 2 : L’existence de l’action publique

Ces causes d’extinction de l’action publique ne seront pas détaillées ici, il s’agit de voir la répercussion possible de l’extinction de l’action publique sur l’option ouverte à la partie civile. Il est évident que si la partie civile veut exercer l’action civile alors que l’action publique est éteinte, son option disparaît donc elle peut le faire seulement devant les juridictions civiles. Mais il y a parfois des exceptions.

L’ordonnance pénale est une procédure de jugement simplifiée qui est utilisable pour toutes les contraventions et certains délits. Elle a un caractère très sommaire puisque c’est une procédure qui n’est pas contradictoire. La juridiction de jugement statue uniquement en voyant le dossier. Il n’y a pas d’audience avec un débat contradictoire. N’étant pas motivée, elle n’a pas autorité de la chose jugée au civil. Lorsque cette procédure d’ordonnance pénale a été utilisée, elle n’interdit pas à la victime de citer la personne qui a été poursuivie, devant une juridiction pénale qui statuera uniquement sur l’action civile.

De la même manière, il y a un mécanisme comparable avec la composition pénale ; procédure dans laquelle le procureur de la république décide de ne pas enclencher l’action publique si l’auteur des faits, étant reconnu comme tel, accepte certaines mesures. S’il accepte ces mesures, l’action publique est éteinte. Néanmoins, la partie civile mise à l’écart de cette procédure conserve la possibilité de citer la personne visée par la composition pénale, devant une juridiction de jugement pénal qui statuera uniquement sur l’action civile.

C’est la même chose avec la procédure de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité : lorsque la partie civile n’a pas été présente à cette procédure, elle a la possibilité de demander réparation de l’infraction à la juridiction répressive qui statuera exclusivement sur l’action civile là encore.

Il y a un cas particulier, qui est celui où la partie civile exerce l’action civile au pénal et l’action publique existe toujours mais voilà que, dans le cours de la procédure, l’action publique est éteinte. Qu’advient-il alors de l’action civile ? P.ex, l’action publique est exercée contre une personne et voilà que devant la juridiction de jugement, la personne poursuivie décède. La jurisprudence considère que la juridiction répressive reste saisie de l’action civile.

Chapitre 2. Le mécanisme de l’option procédurale

 Cette option procédurale est placée sous le signe de la liberté. La partie civile est libre de porter son action civile au pénal ou au civil. Cette liberté a une contrepartie : si le choix est libre, une fois effectué, il est irrévocable.

Section 1 : La liberté du choix

En vertu de cette liberté, la partie civile décide comme elle l’entend de porter son action civile au civil ou au pénal. En réalité, ce principe est intéressant uniquement quant à ses exceptions. Par exemple, il arrive que parfois, la partie civile ait une voie imposée. Tantôt elle doit agir au civil, tantôt elle doit agir au pénal.

  • 1. L’action civile au civil

Il arrive que la partie civile n’ait pas d’autre possibilité que d’agir devant une juridiction civile. Cela arrive lorsque la juridiction pénale est exclusivement compétente sur l’action publique. Il existe en effet des juridictions qui ne peuvent connaître que de l’action publique. Ce sont des juridictions d’exceptions comme la Cour de justice de la République qui ne connaît que de l’action publique quand à la responsabilité des ministres et secrétaires d’État.

  • 2. L’action civile au pénal

 Il arrive parfois que la partie civile ait l’obligation d’exercer l’action civile au pénal. Cela concerne les cas de diffamation et en matière de presse notamment, où la victime ne peut demander réparation que devant la juridiction répressive. C’est le cas si un élu est diffamé en raison de son mandat électif.

Section 2 : L’irrévocabilité du choix

 Cette irrévocabilité se comprend aisément. La victime ne peut plus se raviser une fois le choix effectué. Cette irrévocabilité subit des entorses parfois à l’initiative du législateur ou de la jurisprudence. Le législateur est loin d’accorder à ce principe une valeur intangible. Il lui a donné une formulation unilatérale. Ce qui est interdit par l’article 5 du Code de Procédure Pénale est le fait pour une partie d’opter pour une juridiction civile puis se raviser vers la juridiction répressive. Et encore, c’est interdit sous certaines conditions. Ce passage est possible si   la juridiction saisie était incompétente.

(« La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive. Il n’en est autrement que si celle-ci a été saisie par le ministère public avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile. »)

On a aussi une limite qui tend au fait que, si le ministère public déclenche des poursuites après que la victime ait agi au civil, la partie civile peut se raviser et se joindre à l’action publique. Le passage inverse est donc possible.

C’est ainsi que le Code de Procédure Pénale autorise une partie civile à se désister de son action civile au pénal . À cela s’ajoute que, quel qu’ait été le choix de la partie civile, cela ne lui interdit pas d’agir en référé devant un juge auquel cette partie civile a la possibilité de demander de prendre des mesures provisoires relatives à l’infraction dès lors que les droits de la partie civile ne sont pas contestables.

La jurisprudence a encore amenuisé le caractère irrévocable du choix. Elle a considéré que le choix n’était pas irrévocable lorsqu’il était dû à une erreur de la partie civile. Il se peut que la partie civile ne sache pas qu’il y ait infraction et qu’elle aille devant le civil. Il lui est alors permis de se tourner vers le prétoire pénal. Cette règle d’irrévocabilité du choix ne serait pas d’ordre public selon la jurisprudence, donc ce sont les parties qui doivent s’en plaindre, et seulement au tout début du procès.

La jurisprudence considère enfin que la règle de l’irrévocabilité du choix suppose que l’action que la partie civile exerce au civil et qu’elle voudrait exercer au pénal, soit exactement la même, en vertu de la règle «una via electa». Si ces deux actions sont différentes, la règle ne s’applique plus.

Par exemple : la victime d’une escroquerie, en application de la jurisprudence, peut introduire deux actions. Au pénal, elle peut demander réparation du préjudice. Au civil, elle peut demander la nullité du contrat que lui a arraché l’escroc.

Chapitre 3. Les conséquences de l’option procédurale
Section 1 : Les conséquences du choix en faveur de la loi pénale

 Le choix que la partie civile peut effectuer va avoir une répercussion immédiate sur l’action publique. Cela va aussi avoir des conséquences sur les droits que la partie civile va avoir.

 

Sous-section 1 : Les conséquences quant à l’action publique

 À partir du moment où la partie civile sera devant la juridiction répressive, elle va en retirer des conséquences sur l’action publique elle-même. Cela est fondamental. En agissant au pénal, elle obtient le pouvoir de déclencher les poursuites, mais pas au-delà. Une fois celle-ci déclenchée, elle ne pourra pas l’exercer.

  • 1. Le déclenchement de l’action publique

 Sitôt que la partie civile décide de porter l’action civile au pénal et non au civil, elle saisit donc une juridiction répressive et déclenche l’action publique. C’est une prérogative considérable dans un État de droit. Elle présente des avantages mais l’envers de la médaille est qu’il peut être tentant d’abuser de cette prérogative.

a) Le pouvoir de déclencher l’action publique

Ce pouvoir résulte de l’article 1 al. 2 du Code de Procédure Pénale;

Article au terme duquel l’action publique peut être  mise en œuvre par la partie lésée. Cet article consacre un pouvoir équivalent à celui du ministère public, chargé de déclencher les poursuites, et qui en fait donc un concurrent. La partie civile peut donc surmonter la passivité du ministère public, son désaccord ou même son hostilité. Que cela plaise ou non au procureur, l’action publique sera déclenchée.

Cette solution, consacrée par le Code de Procédure Pénale, ne figurait pas dans le Code d’instruction criminelle et a été consacrée par l’arrêt le plus important et décisif de cette discipline, l’arrêt Laurent-Atthalin qui est le nom du Conseiller Rapporteur devant la Cour de cassation. Ce rapport était tellement important que le Conseiller en question a prêté son nom à cet arrêt de 1906.

Cass. Crim., 8 décembre 1906, Laurent-Atthalin : l’arrêt Laurent-Athalin a offert à toute personne se prétendant victime d’un crime ou d’un délit le pouvoir, concurrent à celui du ministère public, de déclencher l’action publique, en se constituant partie civile devant le juge d’instruction. En droit, cette solution s’est imposée par sa cohérence : elle apparaissait, selon la Cour de cassation, comme « l’équivalent légal et nécessaire » du droit de citation directe, qui existait déjà au profit de la victime, en matière correctionnelle et de simple police.

Le principe du déclenchement de l’action pénale par les particuliers ainsi que cette règle, qui ménage autant les intérêt privés que l’intérêt général (la victime n’a qu’un pouvoir d’initiative), est le « signe d’un État de droit véritable » (P. Conte et P. Maistre du Chambon, op. et loc. cit.) car elle permet à la véritable victime d’engager un combat non seulement pour son droit – celui d’être entendue et reconnue -, mais aussi pour le droit de chacun à la protection pénale. Autrement dit, le combat offert aux victimes en 1906 est utile et noble : il évite le déni de justice et relève, au sens où l’entendait Jhering, de la nécessaire lutte pour le droit (R. von Jhering, Der Kampf um’s Recht, 1872, La Lutte pour le droit, trad. 1890 O. de Meleuanere, prés. O. Jouanjan, Dalloz, 2006, spéc. p. 31).

in X. PIN, « Le centenaire de l’arrêt Laurent-Atthalin », D. 2007, p. 1025

Ce principe selon lequel la partie civile peut déclencher les poursuites, sans l’avis du ministère public, est d’une importance politique capitale. Cette solution garantit que tout auteur d’infraction sera poursuivi, même si le ministère public refuse de mettre l’action publique en mouvement, pour de mauvaises raisons, ou sur instruction qu’il aurait reçue en ce sens. Supposons donc une affaire dans laquelle un puissant est affilié. Le déclenchement des poursuites pourrait être le monopole du ministère public, sans possibilité pour la victime de le faire, il refusera alors de poursuivre un parlementaire ou un chef de grande entreprise.

Dans l’avant-projet de réforme du Code de Procédure Pénale, ce pouvoir reconnu aux parties civiles disparaît.

Ce pouvoir, qui est toujours de droit positif, revêt une double manifestation. Cela signifie que la partie civile peut saisir une juridiction d’instruction. À partir du moment où le juge d’instruction est saisi par une constitution de partie civile, il a, sauf cas particulier, l’obligation d’instruire même si le procureur de la république s’y oppose

(article 85 du Code de Procédure Pénale).

D’autre part, dans les hypothèses où l’instruction n’est pas obligatoire, ce pouvoir de déclencher l’action publique signifie que la partie civile peut directement saisir une juridiction de jugement. Cela suppose que l’affaire soit en état d’être jugée immédiatement.

C’est ainsi la deuxième possibilité de déclencher l’action publique.

Elle procédera par une « citation directe » ; document procédural qui permet de saisir la juridiction de jugement, et qui permet de déclencher directement l’action publique devant elle. Ladite juridiction devra statuer sur l’action publique quelles que soient les conclusions du ministère public. Si la partie civile ne comparaît pas le jour où la juridiction statue, on la présume se désister (article 425 du Code de Procédure Pénale). À partir de ce moment, il faudra, pour que la juridiction statue sur l’action publique, que le ministère public le requiert.

C’est donc la certitude que personne ne peut commettre une infraction en sachant qu’il ne sera pas poursuivi. Cette prérogative n’a pourtant pas que des avantages, car les intéressés peuvent être portés à en abuser.

b) Les abus du pouvoir de déclencher l’action publique

Cette prérogative paraît n’avoir que des vertus au regard de l’État de droit. Elle a d’autres aspects. Il s’agit en effet de présenter publiquement une personne comme responsable d’une infraction, alors qu’elle peut n’avoir rien commis. Le risque est qu’une personne soit injustement mise en cause.

Le deuxième inconvénient est la possibilité que ceci favorise l’engorgement judiciaire, l’asphyxie des juridictions de poursuite. Pour ces deux raisons, notre système juridique a recherché un équilibre, en luttant autant que faire se peut contre les dérives possibles. On a donc instauré des mesures procédurales, réparatrices et répressives.

b.1) Les mesures procédurales

 Elles se manifestent au stade de l’instruction, quand la partie civile a saisi une telle juridiction. Elle ne peut obliger au juge d’instruction d’instruire contre une personne donnée, malgré cette possibilité d’obliger à instruire en général. Une juridiction d’instruction n’est en effet jamais saisie in personam. Si dans la plainte avec constitution de partie civile, est mise en cause une personne, le juge d’instruction peut néanmoins procéder à une instruction contre toute personne que cette instruction fera connaître.

Dès que la partie civile accuse quelqu’un d’être l’auteur des faits, le juge d’instruction devra pourtant avertir la personne mise en cause du fait qu’elle est désignée comme coupable de l’infraction par la partie civile. Cette personne pourra alors réclamer le statut de « témoin assisté ».

Si cette instruction se termine par un non-lieu, la partie civile est privée de la possibilité de « relancer l’instruction ». Elle ne peut donc plus relancer l’action publique. En effet, lorsqu’une instruction se termine par un non-lieu, il peut y avoir réouverture de l’instruction dans l’hypothèse de l’apparition de charges nouvelles. La décision de non-lieu est toujours provisoire, mais cette réouverture ne peut être demandée que par le ministère public. On veut donc éviter que la partie civile ne puisse s’acharner sur la personne qu’elle accuse.

De la même manière, lorsqu’une instruction est terminée par un non-lieu, il est interdit à une partie civile de procéder à une demande devant une juridiction de jugement.

b.2) Les mesures réparatrices

Cette mise en cause par la partie civile est dangereuse au regard de la présomption d’innocence et du respect qui lui est dû. C’est ainsi le droit civil qui est invoqué pour protéger cette présomption d’innocence, par des mesures préventives ou réparatrices.

 S’agissant des mesures préventives, on se fixe à l’article 9-1 du Code civil. On a aussi des mesures réparatrices : si la partie civile, en provoquant le déclenchement des poursuites, l’a fait en visant quelqu’un, cette dénonciation peut facilement constituer une faute au regard du droit civil, par exemple si la partie civile a mis en cause quelqu’un avec légèreté. Il pourrait donc y avoir une dénonciation fautive engageant la responsabilité civile de son auteur avec la possibilité que la partie civile coupable soit condamnée à verser des dommages-intérêts à la personne qu’elle a injustement dénoncé.

Au delà de cette solution de portée générale, on trouve des règles propres à la procédure pénale. Normalement, cette demande de réparation qui serait portée par la personne injustement mise en cause, devrait être de la compétence des juridictions civiles. Pourtant, par faveur à cette personne, le Code de Procédure Pénale autorise exceptionnellement cette personne à demander réparation devant des juridictions répressives.

Il est possible que la mise en cause ait eu lieu au stade de l’instruction ou du jugement. Au stade de l’instruction, le Code de Procédure Pénale envisage que l’instruction se termine par un non-lieu alors que la partie civile a déclenché les poursuites. Dans ce cas, la personne mise en examen à tort au cours de cette instruction, et plus largement toutes les personnes visées dans la plainte, peuvent renoncer à la voie civile ordinaire et demander réparation du dommage causé, devant le tribunal correctionnel. Pour que cette procédure soit possible, il faut que le non-lieu soit devenu définitif et il faut qu’il ait été motivé par une insuffisance de charges.

À cela s’ajoute que le ministère public, s’il estime que la constitution de partie civile a été fautive, a la possibilité de demander au juge d’instruction de prononcer une amende de nature civile d’un montant maximum de 15 000 euros. C’est parce qu’il est donc possible qu’à l’issue de l’instruction, cette amende soit prononcée, que lorsqu’une plainte avec constitution de partie civile est déposée devant lui, le juge d’instruction puisse demander à cette partie civile de consigner une somme qui sera la garantie du paiement de cette amende éventuellement prononcée ultérieurement. C’est une condition de recevabilité de la plainte avec partie civile sauf si aide juridictionnelle. Pour autant, cette consignation ne peut pas être demandée si la partie civile bénéficie de l’aide juridictionnelle.

Celui qui bénéficie d’un non-lieu peut demander à ce que l’on lui rembourse tous les frais de procédure non payés par l’État, qu’il a du débourser, comme ses frais de transport, d’avocat etc. Le remboursement de ces frais sera mis à la charge de la partie civile si c’est elle qui a déclenché les poursuites.

On a un autre type de mesures réparatrices, lorsque la mise en cause est faite au stade du jugement en cas d’abus de citation directe. De la même manière que dans le cas d’un non-lieu, la personne relaxée peut obtenir réparation demandée à une juridiction répressive. On retrouve le pouvoir pour le ministère public de demander au juge de prononcer une amende de maximum 15 000 euros à l’encontre de la partie civile fautive. Là encore, on s’explique la nécessité pour la partie civile de consigner une somme destinée à garantir le paiement effectif de l’amende ainsi qu’à avoir vertu dissuasive.

b.3) Les mesures répressives de nature pénale

Par définition, lorsque la partie civile déclenche des poursuites, dénonce une infraction par sa plainte, si cette dénonciation est mensongère, elle constituera une infraction pénale que l’on appelle la « dénonciation calomnieuse ». La partie civile responsable d’une telle dénonciation, pourra être condamnée. C’est un jeu procédural connu des praticiens qui voit la partie civile déclencher les poursuites contre quelqu’un, qui obtient un non-lieu et enclenche une action en dénonciation calomnieuse.

Si la partie civile peut déclencher l’action publique, elle ne peut l’exercer.

  • 2. L’exercice de l’action publique

La partie civile, par principe, n’exerce pas l’action publique qui est le monopole sans partage du ministère public. Une fois déclenchée par la partie civile, elle perd tout pouvoir sur cette action publique, car elle ne la fait ni vivre ni ne l’exerce.

En conséquence, si la partie civile exerce des voies de recours, comme un appel, ces voies de recours n’engagent que l’action civile. Elles sont sans effet sur l’action publique. Dès que la juridiction est saisie, elle doit statuer si la partie civile est présente à l’audience. Si la décision est de relaxe, il peut y avoir un appel contre la décision. Le ministère public n’est pas forcé de faire appel de la décision. La cour d’appel n’est alors saisie que de l’action civile.

Ce principe selon lequel la partie civile n’exerce pas l’action publique, dispose d’exceptions. Il arrive que la partie civile fasse survivre l’action publique. Au stade de l’instruction, si le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu et que le ministère public s’en contente, mais que la partie civile interjette appel, on considère que la chambre de l’instruction sera saisie de l’action publique en dépit du fait que le ministère public n’a pas contesté l’ordonnance de non-lieu.

 

Sous-section 2 : Les conséquences relatives aux droits de la partie civile

À partir du moment où la partie civile opte pour la voie pénale, elle devient partie à la procédure. De cette qualité de partie, elle va retirer des prérogatives. Comment devient-elle partie à la procédure ? Dans les hypothèses où elle déclenche elle-même l’action publique au stade de l’instruction (instruction : plainte avec constitution de partie civile qui devient plainte avec constitution initiale de partie civile si l’action publique est déclenchée) ou au stade du jugement (citation directe).

Elle peut aussi devenir partie civile en se joignant à l’action publique (on dit alors qu’elle corrobore l’action publique), ce qui suppose que des poursuites aient déjà été déclenchées par le ministère public ou par une autre partie civile. Cela se fait au stade de l’instruction par une plainte avec constitution de partie civile « par voie d’intervention ». S’agissant d’une juridiction de jugement, elle peut devenir partie par une citation directe, quel que soit le cas.

Au stade du jugement, cette intervention dans la procédure peut se faire facilement, avant l’audience par une déclaration au greffe de la juridiction, mais aussi à l’audience. On peut le faire tant que le ministère public n’a pas pris ses réquisitions sur le fond. Dans un souci de simplification, s’agissant de la constitution de partie civile, elle peut se faire par simple lettre recommandée. Il n’est donc pas difficile, pour une partie civile, d’intervenir dans une procédure déjà en cours.

De sa qualité de partie à la procédure, la partie civile va donc retirer des prérogatives. Au stade de l’instruction, elle sera présente devant cette juridiction, contrairement aux personnes civilement responsables. Elle a eu l’attribution de prérogatives calquées sur la personne mise en examen. Elle a exactement les mêmes prérogatives que cette personne, et bénéficie donc des droits de la défense, lui permettant d’être assistée d’un avocat qui a accès au dossier de la procédure d’instruction, qui peut être présent aux interrogatoires ou auditions pratiquées, le dossier devant avoir été mis à sa disposition au plus tard quatre jours ouvrables avant l’audition de son client.

Au cours de la première audition, le juge d’instruction devra l’informer de droits qui lui sont reconnus comme le droit de solliciter des mesures d’instructions et le droit de contester la régularité des actes d’instruction en formant une requête en annulation de ces actes.

La partie civile doit aussi être entendue par un juge et non un simple officier de police judiciaire sauf si elle y consent. Ensuite, à l’image de la personne mise en examen, elle doit recevoir notification de certains actes comme des conclusions d’une expertise ou encore d’ordonnances du juge d’instruction. Contre ces ordonnances, sous certaines conditions, elle a le droit de faire appel. Elle peut donc aussi se pourvoir en cassation contre les arrêts de la chambre d’instruction.

Enfin, s’agissant de l’administration de la preuve, elle peut demander au juge d’instruction d’enjoindre toutes les pièces qu’elle juge utile à la manifestation de la vérité, même si ces pièces ont une origine déloyale ou délictueuse.

On retrouve les mêmes prérogatives au stade du jugement.

Section 2 : Les conséquences de l’option en faveur de la loi civile

Si la partie civile décide de porter sa demande de réparation devant la juridiction civile, cela signifie que cette action civile va relever des règles du droit civil et de la procédure civile. Une fois cela dit, tout serait dit. Cela n’est pas faux mais cela suppose au moins une précision.

On pourrait penser alors que cette action civile serait totalement autonome au regard de ce qui peut se passer devant les juridictions pénales et notamment, si l’action publique disparaît car il y a prescription, cette disparition de l’action publique n’aura aucune répercussion sur l’action civile. C’est la règle de la désolidarisation de l’action civile par rapport à l’action publique. Cette autonomie, pour autant, n’est pas complète. En effet, on trouve le principe selon lequel ce qui est jugé en matière pénale a autorité sur les juridictions civiles, ce qui s’exprime souvent par la formule « la chose jugée au criminel a autorité au civil ». En raison de cette règle, l’indépendance de l’action civile ne peut pas être complète.

Si le juge civil, saisi de l’action civil, apprend que l’action civile est déclenchée au pénal, il sait que la décision à venir sur l’action publique aura autorité sur sa décision. Si l’on veut assurer le respect de cette autorité, il doit remettre à plus tard sa décision. On exprime cette nécessité dans laquelle le juge civil se trouve d’attendre la décision du juge répressif, par la formule « le criminel tient le civil en l’état », règle posée par l’article 4 al. 2 du Code de Procédure Pénale.

Cette règle, qui impose au juge civil de surseoir à statuer, était considérée comme une règle d’ordre public, ce qui signifiait que le juge civil devait respecter ce sursis quand bien même les parties ne lui demandaient pas. La Cour de cassation a jugé que cette règle n’était pas d’ordre public, et que le juge civil n’avait donc pas obligation de surseoir à statuer.

Cette règle implique des conditions :

  • Il faut alors que l’action publique ait été mise en mouvement par le ministère public ou par une autre partie civile. La victime, qui avait décidé de saisir le juge civil, va rencontrer cette règle selon laquelle le criminel tient le civil en état.

–   Il fallait ensuite, auparavant, que les deux actions procèdent du même fait. On disait donc que la règle selon laquelle le criminel tient le civil en l’état, supposait une identité des faits. Aujourd’hui, une réforme de 2007 est intervenue et la situation est différente. Auparavant, le sursis à statuer qui s’impose au juge civil, s’imposait à lui lorsque la victime exerçait au civil l’action civile, mais également au civil une action à fin civile (action de nature civile mais ne tendant pas à obtenir réparation du dommage causé par l’infraction, p.ex l’annulation d’un contrat en raison d’un vice du consentement). Il suffisait qu’une action publique ait été ouverte en parallèle pour escroquerie pour que le juge civil soit tenu de surseoir à statuer en l’attente de la décision du juge pénal.

La réforme de 2007 a modifié la règle. Le sursis ne vaut que si l’action civile est exercée devant la juridiction civile . Si, en revanche, ce dont est saisi le juge civil, est une action à fin civile, le sursis ne s’impose pas. La réforme a eu pour objet de restreindre le domaine d’application de la règle. L’explication est la suivante : Assez souvent, cette règle était le moyen pour une partie civile qui sentait que ses affaires étaient mal engagées, de gagner du temps. C’est l’exercice d’une action à des fins dilatoires. Elle s’arrangeait pour que l’action publique soit déclenchée, et obtenait un sursis à statuer.

Livre deuxième : La mise en œuvre de l’action publique

 Cette mise en œuvre de l’action publique sera étudiée de deux points de vue : la mise en mouvement des poursuites puis leur exercice.

Sous-livre premier : La mise en mouvement des poursuites

Il va s’agir de s’interroger sur la manière de mettre en mouvement l’action publique, sur les modalités de son déclenchement. Il y a une question préalable de savoir si elle existe.

Titre 1. La condition préalable à la mise en mouvement des poursuites

Pour mettre en mouvement des poursuites, il faut que l’action publique existe. On s’interroge donc sur les causes d’extinction de l’action publique. À partir de quand l’action publique prend naissance ? Si on la définit comme le pouvoir de s’adresser à une juridiction répressive pour qu’elle se prononce sur la pertinence de la présomption d’innocence, cette possibilité apparaît dès qu’une infraction est commise. Cette action publique est menacée de toutes parts car on a plusieurs causes d’extinction de l’action publique, la plupart étant visées par l’article 6 du Code de Procédure Pénale.

Chapitre 1. Présentation générale des causes d’extinction de l’action publique

En raison de l’autonomie en principe de l’action civile et de l’action publique, les causes d’extinction de l’action publique devraient être des causes qui lui sont propres. En dépit de cela, il arrive que l’extinction de l’action publique s’explique par une extinction préalable de l’action civile.

Section 1 : L’extinction de l’action publique consécutive à l’extinction de l’action civile

C’est une situation exceptionnelle car les deux actions sont en principe autonomes l’une envers l’autre. On s’attendrait de plus à ce que l’action civile soit dépendante de l’action publique. Le mécanisme de la dépendance fonctionne pourtant dans le sens inverse. Dans quelques cas qui ne sont pas nombreux, cela arrive. Il arrive que, même si cela est rare, une infraction ne peut être poursuivie qu’à la condition que la victime ait au préalable porté plainte. Cela est pourtant indifférent en principe.

Lorsque le ministère public ne peut poursuivre une infraction que par plainte de la victime, l’article 6 du Code de Procédure Pénale précise que si la victime retire sa plainte, cela retire l’action publique. Cela ne joue qu’en présence d’infractions particulières comme en matière d’atteinte à la vie privée (car c’est de la vie privée de la victime dont il est question), de diffamation ou d’injures.

On a une deuxième atténuation, relative à la citation directe. Si la partie civile ne se présente pas à l’audience, elle est présumée se désister de son action civile, ce qui amène au fait que l’action publique n’est pas déclenchée sauf si le ministère public la déclenche.

En dehors de ces hypothèses, la disparition de l’action civile n’a aucune conséquence

 Section 2 : Les causes d’extinction de l’action publique

L’article 6 vise un grand nombre d’hypothèses dans lesquelles l’action publique est éteinte. On a les situations où l’extinction se fait pour des raisons de fond et pour des raisons procédurales.

  • 1. L’extinction de l’action publique pour des raisons de fond

On étudie deux cas particuliers : l’amnistie réelle et l’amnistie personnelle . L’amnistie réelle efface le caractère délictueux de l’acte avec un aspect plus ou moins fictif de cet effacement. À partir du moment où l’acte est censé n’avoir jamais été délictueux, il ne peut pas faire l’objet de poursuites. L’amnistie réelle éteint donc l’action publique.

On peut faire un parallèle entre cette amnistie réelle et l’abrogation de la loi pénale. C’est l’hypothèse dans laquelle le législateur vient dire qu’un comportement incriminé ne l’est plus. P.ex, en 1975, le législateur décide que l’adultère n’est plus une faute pénale mais civile. Ces faits qui étaient incriminés sous la loi ancienne ne sont plus d’action publique. Le fond n’est plus délictueux.

  • 2. L’extinction de l’action publique pour des raisons procédurales

Il est difficile ici de procéder autrement que par une énumération de certaines causes d’extinction qui tiennent à la procédure.

Il faut d’abord évoquer l’hypothèse de la « transaction sur l’action publique ». Cette transaction est reconnue à certaines administrations qui peuvent être des autorités de poursuites pour la défense des intérêts particuliers dont elles ont la charge, comme l’administration douanière, fiscale etc. De la même manière qu’elles ont parfois le pouvoir de déclencher l’action publique pour des infractions particulières, en concurrence au ministère public, il est reconnu à ces administrations le pouvoir de transiger sur l’action publique.

Une transaction est un accord fait de concessions réciproques. La transaction repose sur un aveu de culpabilité. En échange de cet aveu, l’administration propose l’exécution d’une obligation – souvent le versement d’une somme – qui pourra éteindre l’action publique. C’est le mécanisme de la transaction sur l’action publique, mécanisme longtemps exceptionnel mais qui tend à se multiplier actuellement, car on y voit une manière de désengorger les juridictions répressives. Si bien que ce pouvoir qui était réservé à quelques administrations tend à se reprendre, p.ex transféré au maire pour certaines infractions, à la HALDE en matière de discrimination entre autres.

On a un autre mécanisme, qui est la cure de désintoxication en matière de toxicomanie. Si le délinquant, qui est surtout un malade, accepte de se soumettre à une « injonction thérapeutique », l’action publique n’est pas exercée.

On trouve encore une autre hypothèse qui est le versement d’une amende forfaitaire. Cela concerne essentiellement les contraventions ou du moins certaines d’entre elles. On a la possibilité, lorsque l’on constate la commission d’une contravention, de verser à l’agent verbalisateur, une amende forfaitaire qui éteint l’action publique.

On a aussi le cas du décès du délinquant, qui éteint l’action publique . On ne va pas poursuivre le délinquant par-delà la mort. Pour les personnes morales, on a l’extinction de l’action publique contre une personne morale dissoute.

Lorsqu’une décision est rendue sur l’action publique et qu’elle devient définitive, car on a laissé expirer les délais de recours, cette action publique est éteinte. La chose jugée est donc une cause d’extinction de l’action publique.

Chapitre 2. La prescription de l’action publique

Le mécanisme de la prescription est un mécanisme général que l’on retrouve dans toutes les matières juridiques. C’est un mécanisme qui a deux aspects : l’écoulement du temps qui fait acquérir un droit que l’on n’avait pas (prescription acquisitive) ou qui fait perdre un droit (prescription extinctive ). La prescription de l’action publique est évidemment une prescription extinctive.

C’est l’idée que, une infraction ayant été commise, l’action publique naît mais que l’on a un certain délai pour l’exercer au -delà duquel l’action est prescrite et donc éteinte. On peut trouver des fondements à cette règle, qui sont plus ou moins convaincants. C’est la raison pour laquelle cette règle est souvent inconnue des droits étrangers comme le Common Law.

C’est une règle que la jurisprudence considère comme d’ordre public, règle au respect de laquelle le juge doit veiller. L’effet de cette règle est donc radical et il est donc important de connaître les conditions de cette prescription. S’agissant des infractions qui se prescrivent, le principe est que toutes relèvent de ce mécanisme, sauf exception, comme les crimes contre l’humanité. Cette exception mise à part, cette règle est de portée générale.

La vraie question est donc de savoir comment ces règles se prescrivent.

 

Section 1 : Le point de départ du délai de prescription

S’agissant du point de départ, la règle est simple : la prescription court du jour où l’infraction a été commise ou du jour où elle a été tentée. Cela est la règle de principe à laquelle on trouve des exceptions :

  • S’agissant d’une infraction commise à l’encontre d’un mineur, le point de départ est reporté au jour de sa majorité, l’idée étant que durant sa minorité, il y a des risques qu’il ne réagisse pas aux infractions dont il est victime.
  • Il arrive parfois que, pour une même infraction, le point de départ de la prescription soit variable. C’est le cas en matière de banqueroute. Si on laisse de côté ces curiosités, on retient néanmoins la règle générale.

Ce point de départ va être commun à tous ceux qui ont participé à l’infraction, en quelque qualité que ce soit : auteur, coauteur, complice. Cela se fait en dépit du fait que le complice ait été associé à l’acte principal avant la commission de l’infraction. La question devient alors essentiellement une question de droit pénal. Quel est alors le jour de la commission de l’infraction ? La réponse va varier selon le fait que l’infraction est instantanée ou continue. Le point de départ pour le recel, par exemple, est le jour où ce recel va cesser. On est donc renvoyé à des analyses de droit pénal.

Il ne suffit pas d’avoir déterminé le point de départ du délai de prescription, il faut en outre s’interroger sur ce que va être l’écoulement de ce délai.

Section 2 : L’écoulement du délai de prescription

L’écoulement du délai soulève deux questions différentes : sa durée mais aussi son cours. Ce cours du délai peut en effet être interrompu ou suspendu.

  • 1. La durée du délai

En ce qui concerne la durée du délai, c’est une des illustrations de l’intérêt de la classification des infractions. En matière de crime, la durée est de 10 ans, alors qu’elle est de 3 ans en matière de délit et de 1 an pour une contravention.

Ce sont les délais de droit commun, qui peuvent être modifiés. Dans le sens de l’allongement, il arrive que pour certaines formes de criminalité, la durée du délai soit allongée. C’est ainsi qu’en matière de stupéfiants et s’agissant des délits, la durée du délai de l’action publique est de 20 ans . S’agissant des crimes en cette matière, la durée de prescription est de 30 ans. Cela est équivalent en matière de terrorisme.

Parfois, les délais sont plus courts. En matière électorale, on a 6 mois après l’ouvrage des urnes, pour saisir la juridiction. En matière de presse, le délit est de 3 mois.

  • 2. Le cours du délai

Ce délai de prescription peut être, pour certaines raisons, interrompu ou suspendu. Lorsqu’un délai est interrompu, sa durée n’est pas remise en cause. Dans les faits, l’interruption va amener à allonger cette durée. Il est donc important de connaître les causes d’interruption et de suspension du délai.

a) L’interruption du délai

 

  • a- 1) Les conditions de l’interruption

En toute matière, le cours du délai de prescription peut être interrompu, selon l’article 7 du Code de Procédure Pénale, par tout acte régulier de poursuites ou d’instruction. « Régulier » signifie qu’un acte de poursuite et d’instruction nul ne peut engendrer cette interruption, car ce qui est nul n’a pas d’effet.

Qu’entend-on par acte de poursuite ou d’instruction ? Cette expression est utilisée sans être définie par le Code de Procédure Pénale. La jurisprudence a alors tenté de la définir. La jurisprudence considère que les actes de poursuite sont les actes qui tendent à la mise en mouvement de l’action publique et à son exercice et qui traduisent la volonté de poursuivre son auteur. Une citation directe est donc un acte de poursuite.

Quant aux actes d’instruction, la jurisprudence admet que ce sont des actes qui visent à constater une infraction et à en définir les auteurs. Cet acte est interruptif de la prescription, et regroupe les actes de l’instruction, mais aussi les actes policiers accomplis au cours d’enquête de police.

En réalité, au fil des années, la jurisprudence n’a même plus pris la peine de distinguer entre la catégorie des actes de poursuite et celle des actes d’instruction. Aujourd’hui, il arrive de dire d’un acte donné qu’il appartient à la catégorie des « actes de poursuite et d’instruction ».

Ce qui est important dans cette définition, c’est le fait que la jurisprudence, pour savoir si un acte est interruptif, ne raisonne pas sur la nature mais sur la finalité de l’acte, puisque c’est un acte qui manifeste la volonté de poursuivre, ou qui vise à découvrir une infraction et à en identifier les auteurs. C’est un critère finaliste qui a pour conséquence que la jurisprudence considère comme interruptifs tous les actes qui manifestent la volonté de leur auteur, de poursuivre.

Le législateur, dans certains cas, considère que des actes sont interruptifs de la prescription alors qu’ils ne correspondent pas à des actes montrant une volonté de poursuivre. Cela se rapporte à des actes qui manifestent la volonté de ne pas poursuivre. Cela est le cas de la composition pénale qui ne donne pas lieu à des poursuites, mais qui permet d’interrompre la prescription. De même, s’agissant des mesures de transaction sur l’action publique, le législateur considère souvent qu’elles interrompent la prescription de l’action publique.

La  politique  de  la  jurisprudence  est  opportuniste.  Les  juges  sont  hostiles  à l’extinction de l’action publique. On a donc accepté, pour interrompre de délai, les actes de police.

Dans d’autres hypothèses, on a donc un critère organique : puisqu’un acte émane d’un organe, il est interruptif de la prescription quelle que soit sa finalité. On a donc une contradiction au sein de la jurisprudence. Ainsi, toutes les décisions rendues par un juge sont interruptifs de la prescription de l’action publique. Cela concerne donc par exemple toutes les ordonnances d’un juge d’instruction, et même une ordonnance de non-lieu, alors qu’elle manifeste la volonté de ne pas rechercher la responsabilité pénale de la personne.

Il est d’autant plus important d’illustrer ces exemples : la jurisprudence va considérer que tous les PV dressés par la police judiciaire au cours des enquêtes de police, sont des actes interruptifs de la prescription. Quand elle prenait encore le soin de distinguer entre les actes de poursuite et d’instruction, elle considérait qu’ils étaient des actes d’instruction.

Elle considère les PV de certaines administrations les actes émanant des douanes comme interruptifs. De même, l’est aussi un réquisitoire du parquet. Supposons un réquisitoire de refus d’informer : c’est interruptif de la prescription. Cela concerne aussi la délivrance d’une commission rogatoire par le juge d’instruction. On trouve aussi toutes les ordonnances du juge d’instruction, tous les jugements, tous les arrêts. Tous ces actes sont interruptifs de la prescription, quelle qu’en soit la finalité. L’exercice des voies de recours est aussi interruptif, même si ce recours est intenté par le mis en examen, l’accusé ou le prévenu. Cette solution est pourtant scandaleuse.

Parfois, cet effet interruptif est conditionnel. Lorsqu’une victime porte plainte avec constitution de partie civile, on peut lui demander de consigner une somme. Avec ce mécanisme de constitution de partie civile, la jurisprudence est arrivée à l’effet interruptif suivant : la plainte avec constitution de partie civile interrompt la prescription au jour de son dépôt uniquement si la somme est consignée.

On trouve des actes n’étant pas interruptifs, comme une dénonciation faite par un tiers car elle ne révèle aucune volonté de poursuivre. C’est un acte neutre. Même chose pour la plainte de la partie civile, qui n’est qu’une forme de dénonciation. On ne fait qu’informer le parquet. C’est la différence entre la plainte et la plainte avec constitution de partie civile, qui interrompt. Les opérations d’expertise ne sont pas non plus interruptives de l’action publique. En revanche, l’acte par lequel le juge demande un expert l’est. On distingue aussi la demande de transmission d’un dossier au procureur, y compris lorsque c’est pour que le parquet poursuive, n’est pas interruptive de l’action publique.

  • a- 2) Les effets de l’interruption

L’interruption de la prescription signifie que la cause de l’interruption annule le temps qui s’était écoulé et que le délai va reprendre à zéro. Supposons ainsi que nous soyons en matière de délit, deux ans depuis le délit : dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, le délai reprend. C’est un effet radical, et on comprend mieux l’hostilité de la jurisprudence à l’égard de la suppression de l’action publique, et donc de l’accroissement des actes interruptifs.

Là aussi, la jurisprudence est zélée. Elle a résolu toutes les difficultés dans le sens d’un accroissement de la répression. Si le délai n’était pas de droit commun mais plus court, le délai qui repart est-il celui plus court ou repart-on à partir du délai de droit commun ? On repart pour le délai de droit commun selon la jurisprudence . Elle ne s’écarte de cette solution que quand la loi l’en empêche, comme pour la presse, selon la loi de 1880.

Peut-on interrompre plusieurs fois le même délai ? Oui, et indéfiniment selon la jurisprudence. Cela signifie que, dans les faits et non en droit, on trouve le moyen de rendre toutes les infractions imprescriptibles, il suffit d’avoir un échéancier bien tenu.

L’effet interruptif vaut aussi pour tous les protagonistes de l’infraction. Cela vaut donc pour les auteurs, les coauteurs et les complices. Pour autant, cela vaut-il pour les complices même non identifiés dès le départ ? Oui, ils sont aussi concernés. Cela ne vaut d’ailleurs pas seulement pour l’infraction envisagée, mais aussi pour les infractions connexes ou indivisibles. Cette jurisprudence est donc dans un sens répressif.

 

b) La suspension de la prescription

La suspension est envisagée de manière sporadique par l’article 6 du Code de Procédure Pénale. Il arrive que certains textes prévoient que, dans certaines hypothèses, le cours de l’action publique sera suspendu. Le cours de la prescription de l’action publique contre le président de la république vis-à-vis d’infractions commises au court de son mandat sera suspendu pendant tout son mandat.

En matière de délit, lorsqu’une victime porte plainte, elle ne peut plus se constituer immédiatement partie civile. Elle doit décomposer son initiative en deux étapes : elle porte plainte ; sa plainte est transmise au procureur de la République. La partie civile doit alors attendre de connaître la position du ministère public. Il pourra alors faire savoir qu’il ne déclenchera pas l’action publique. À ce moment là seulement, la victime peut se constituer partie civile. Si le procureur ne répond pas, la victime doit patienter trois mois avant de pouvoir se constituer partie civile. Pendant ce délai qui sépare la plainte de la partie civile et le comportement du ministère public (= déclenchement ou refus de déclencher), la prescription de l’action publique est suspendue.

La jurisprudence, sur le fondement de ces textes épars traitant de cas particuliers, s’est autorisée à généraliser le mécanisme de la suspension, et à considéré qu’elle pouvait généraliser les cas de suspension de l’action publique aux cas non prévus par les textes car le commun dénominateur des causes d’extinction est qu’il y avait toujours un obstacle aux poursuites.

Chaque fois que l’on soumet à la jurisprudence une situation dans laquelle une personne est empêchée de déclencher les poursuites, elle dit qu’il y a suspension de la prescription de l’action publique. Cela peut être un obstacle de droit ou de fait.

Par exemple, suite à un pourvoi, on attend que la Cour de cassation statue sur ce pourvoi. La procédure est longue, et la Cour a considéré qu’il y avait, dans l’attente de la décision à venir, un obstacle à l’action de la partie demanderesse. Il y a donc suspension de la prescription de l’action publique. Cela peut être un obstacle de fait, comme une catastrophe naturelle. On a pu considérer qu’il y avait suspension de la prescription le temps de retrouver un dossier perdu.

La suspension arrête le cours de la prescription aussi longtemps que l’obstacle persiste. Lorsque l’obstacle disparaît, le délai repart de là où il avait été interrompu.

Titre 2. La mise en mouvement des poursuites

C’est ce déclenchement des poursuites qui marque le début du procès pénal. Tant que des poursuites n’ont pas été déclenchées, il n’y a pas de procès. Par exemple, au cours d’une enquête préliminaire ou de flagrance, il n’y a pas de procès. Ici, une juridiction est saisie de l’action : une juridiction d’instruction ou de jugement.

Cette décision de mettre en mouvement l’action publique est une décision d’une gravité extrême. D’une certaine manière, il n’en est pas de plus grave dans un État de droit. Une personne est présentée comme potentiellement coupable d’une infraction.

En raison de la gravité de cet enjeu, il s’agirait de dire que ce pouvoir ne soit pas attribué à n’importe qui, mais qu’il soit réservé à un magistrat dont ce serait la prérogative exclusive, en tant qu’il serait l’autorité de poursuite dont il revient de prendre la décision de poursuivre. Ce magistrat existe, il s’agit du procureur de la République.

Ce monopole du ministère public qui pourrait paraître souhaitable, n’est pas viable car on peut craindre que le ministère public, placé sous l’autorité du garde des sceaux, ne déclenche pas l’action publique. On a donc du conférer un pouvoir concurrent à la partie lésée.

On recherche donc un équilibre entre des impératifs pouvant être contradictoires. Il s’agit de trouver une position de compromis. Lorsque l’on examine les modalités de mise en mouvement de l’action publique, on a la distinction de la personne à l’origine de cette action publique.

Chapitre 1. La mise en mouvement de l’action publique par les autorités de poursuite

Lorsque l’on aborde la question sous cet angle, on est conduit à évoquer le principe de l’opportunité des poursuites. C’est ce principe de l’opportunité des poursuites que l’on va exposer pour en voir les conséquences.

Section 1 : Le principe de l’opportunité des poursuites

 C’est un principe dur à comprendre, mais qui permet de cerner les limites.

Sous-section 1 : La signification du principe

 Il y a, en présence de cette situation, deux façons de répondre. Une infraction a été commise, la question est de savoir si on la poursuit. À cette question, on peut apporter des réponses variables et on voit que cette réponse n’est pas toujours la même dans certains pays. On a des pays dans lesquels l’équivalent du ministère public, une fois informé de la commission d’une infraction, doit poursuivre. C’est le système de la légalité des poursuites. On a aussi des systèmes dans lesquels le parquet reste libre de sa décision. Le parquet peut choisir de déclencher ou non les poursuites.

Dans le premier cas, le parquet est une sorte d’automate, alors qu’il s’agit d’un vrai magistrat dans le second cas : il apprécie une situation et agit en conséquence. C’est le système de l’opportunité des poursuites : le ministère public déclenche les poursuites s’il pense que cette décision est opportune, donc conforme à l’intérêt général.

Quand on pose le problème ainsi, on ne le voit que sous un angle restreint car la question de l’opportunité des poursuites ne se pose pas seulement au moment du déclenchement des poursuites. Le problème de la légalité ou de l’opportunité des poursuites se pose tout au long de la procédure. Au stade de l’exercice de l’action publique, la question peut se poser de savoir si l’on va opter pour la légalité ou l’opportunité dans l’exercice des poursuites.

  • 1. L’appréciation d’opportunité lors du déclenchement des poursuites

Il semble qu’il y a une opposition radicale entre le système de légalité et d’opportunité. Dans le premier, le parquet ne se pose pas de question et doit déclencher les poursuites, même s’il estime personnellement que ces poursuites sont inopportunes. Le principe de l’opportunité apparaît plus intelligent car il n’y a pas d’obligation de déclencher des poursuites. À la vérité, ce système d’opportunité peut apparaître curieux. Si une infraction a été commise, il devrait être naturel de conclure qu’il faut la poursuivre. Le droit pénal est soumis au principe de légalité tandis que la procédure pénale est soumise au principe d’opportunité.

On a, dans la juxtaposition de ces principes, la recherche délicate d’un équilibre. La légalité des poursuites jointe à la légalité criminelle donnerait un système pénal trop rigide.

La légalité criminelle, assouplie par l’opportunité, permet d’instaurer une justice répressive plus humaine et permet de dire qu’une infraction existe mais que l’on n’en poursuivra pas l’auteur . Effectivement, ce n’est pas parce qu’une infraction a été commise qu’il faut ipso facto déclencher les poursuites.

Si un enfant de 13 ans a volé quelques cerises : on a un vol. Mais est-ce que le parquet va être inspiré en le citant devant une juridiction répressive ? En revanche, si un vol est commis par un récidiviste, il est utile que lui soit rappelé que certaines choses ne se font pas.

Le principe opportun est plus humain et permet à la justice de ne pas opérer à l’aveugle. Bien sûr, le principe de l’opportunité a un danger : que le ministère public prenne la décision de ne pas poursuivre pour de mauvaises raisons, pas dans le souci de protéger l’intérêt général, mais car il est un parquet partisan, servile. C’est pourquoi le Code de Procédure Pénale à l’article 40-1 affirme le principe de l’opportunité.

  • 2. L’appréciation d’opportunité lors de l’exercice des poursuites

 Dans un système de légalité, le parquet ou l’équivalent doit « soutenir l’accusation jusqu’au bout », de la même manière qu’il doit déclencher les poursuites. Il doit tout faire pour obtenir la condamnation, et mener les poursuites à leur terme.

Selon le principe d’opportunité, on peut dire que, de la même manière que le parquet est libre de déclencher les poursuites, il est libre de soutenir ou non l’accusation jusqu’au bout. Dans un système d’opportunité, il faudrait admettre que le parquet, après avoir déclenché les poursuites, puisse se raviser et dire à la juridiction qu’il compte arrêter les poursuites.

On consacre néanmoins le principe de la légalité à ce stade des poursuites. Une fois que les poursuites ont été exercées, on trouve le système de la légalité. En France, le parquet ne peut dessaisir la juridiction une fois que la décision d’engager les poursuites, a été prise, mais il est libre pour les décisions de relaxe.

 

Sous-section 2 : Les limites du principe

Cette liberté dans le choix accordé au ministère public connaît des atteintes voire des entraves. Tantôt, le parquet peut vouloir poursuivre et en sera empêché, tantôt il se peut qu’il ne veuille pas poursuivre mais que cela se fasse quand même.

  • 1. La volonté de poursuivre entravée

 Il arrive que le ministère public veuille poursuivre sans pouvoir le faire. Ces hypothèses sont diverses et étonnantes. Parfois, l’obstacle aux poursuites provient du délinquant lui-même. Cet obstacle peut résulter d’une immunité .

Cette immunité peut avoir différentes origines : elle peut être politique comme celle du président de la république ou judiciaire comme dans le cas des propos tenus par un avocat devant une juridiction qui ne sont alors ni diffamation ni injure.

Il ne faut pas confondre cette immunité avec l’inviolabilité parlementaire qui bénéficie aux députés et sénateurs, et qui ne s’oppose pas au déclenchement des poursuites. La seule conséquence est que ces poursuites peuvent être suspendues à la demande de l’assemblée considérée (Assemblée nationale ou Sénat).

Parfois, on a des obstacles aux poursuites qui proviennent d’une autre autorité que le parquet. Il arrive en effet que ce ministère public ne puisse poursuivre qu’après avoir eu une décision d’une autre autorité (par exemple, dans le cas de l’atteinte à la vie privée). Il ne pourra poursuivre, dans certains cas, que si une plainte a été déposée . Tant qu’il n’y a pas cette plainte, le procureur ne peut pas poursuivre. Parfois, cette plainte doit émaner d’une administration. Parfois encore, il faut avoir recueilli un avis d’une tierce autorité. En matière fiscale, il peut engager les poursuites après avoir obtenu l’avis de l’administration fiscale.

  • 2. La décision de ne pas poursuivre contrecarrée

L’idée est que l’action publique va parfois être mise en mouvement en dehors d’une quelconque initiative du ministère public, y compris contre son éventuel avis contraire. Cette opposition est indifférente. On a plusieurs hypothèses de cette nature.

  • Au stade de l’instruction, la chambre de l’instruction a le pouvoir d’étendre les poursuites à des faits qui n’étaient pas visés dans le réquisitoire introductif d’instance du procureur de la République. Ce réquisitoire normalement ne déclenche l’action publique qu’à propos des faits qu’il vise. Ici, la chambre de l’instruction a la possibilité d’étendre le champ de l’instruction à des faits qui n’ont pas été visés dans le réquisitoire. La chambre de l’instruction met donc en mouvement elle-même les poursuites.
  • Au stade du jugement, les juridictions de jugement peuvent toujours poursuivre d’office les infractions commises à leur audience. Ce sont les « infractions d’audience ».
  • La partie privée lésée, partie civile, a le pouvoir de déclencher les poursuites en déclenchant l’action civile devant les juridictions répressives. C’est un cas important dans lequel la décision du ministère public de ne pas poursuivre va être contrecarrée.

Section 2 : La mise en œuvre du principe d’opportunité des poursuites

Ce sont plusieurs possibilités qui s’offrent au ministère public. Selon l’article 40-1 du Code de Procédure Pénale, il a, en application de sa décision d’opportunité, la possibilité de décider d’un classement sans suite. Il a ensuite la possibilité de recourir à des mesures alternatives aux poursuites, et enfin il peut aussi mettre en mouvement l’action publique.

Sous-section 1 : Le classement sans suite

C’est l’initiative par laquelle le ministère public prend la décision de ne pas poursuivre. C’est l’illustration par excellence de la décision opportune. Il prendra cette décision à la suite d’une plainte qu’il aurait reçue. Il peut exactement décider la même chose après une dénonciation, ou au vu des résultats d’une enquête policière.

Cette décision de classement sans suites ne doit respecter aucune exigence particulière : le parquet peut seulement être inactif, donnant une décision de classement sans suiteimplicite. Dans l’hypothèse où il y a eu une plainte à propos de l’infraction, ou si une victime des faits qui n’a pas porté plainte est présente, le procureur qui décide de procéder à un classement sans suite doit en aviser le plaignant ou la victime et préciser les raisons pour lesquelles il procède à ce classement sans suite.

Ces raisons peuvent être juridiques, car l’action publique est prescrite, ou il peut indiquer des raisons de pure opportunité. Cela doit permettre à l’intéressé d’exercer un recours devant le procureur général, prévu au terme de l’article 40-3 du Code de Procédure Pénale, pour enjoindre au procureur de la république de poursuivre (« Toute personne ayant dénoncé des faits au procureur de la République peut former un recours auprès du procureur général contre la décision de classement sans suite prise à la suite de cette dénonciation. Le procureur général peut, dans les conditions prévues à l’article 36, enjoindre au procureur de la République d’engager des poursuites. S’il estime le recours infondé, il en informe l’intéressé. »).

Cette décision a donc deux explications possibles : le procureur de la république peut estimer qu’aucune infraction n’a été commise. Ce peut être la réponse à une plainte purement fantaisiste – comme dénonçant une infraction pénale un fait qui n’a pas la coloration pénale. Il se peut aussi que le procureur estime que les faits constituent bien une infraction, mais il juge opportun de ne pas la poursuivre. C’est donc ici que se manifeste le principe de l’opportunité des poursuites.

Le tout est ainsi de savoir quelle est l’autorité qui s’attache à cette décision de classement sans suite : le classement sans suite n’a aucune autorité. C’est à propos de la chose jugée que l’on parle de l’autorité. Le ministère public est un magistrat mais pas un juge. Il n’y a pas de chose jugée, mais une chose estimée en opportunité . Cela signifie donc que le procureur n’est pas lié par sa décision de classer sans suites. Il peut se raviser à tout instant, à la demande du procureur général, afin de déclencher les poursuites. La seule réserve est la prescription de l’action publique.

Sous-section 2 : Les procédures alternatives aux poursuites

C’est l’article 40-1 qui parle de ces procédures qui sont au nombre de deux.

  • On trouve une procédure qui n’a pas de nom, que l’on désigne alors par l’article qui y fait référence (article 41-1 du Code de Procédure Pénale). Elle a pour objectif essentiel d’orienter le choix futur du ministère public sur l’action publique. C’est une étape préalable pour savoir si le procureur va poursuivre ou non.
  • On a aussi la procédure de composition pénale évoquée par l’article 41-2. Elle exprime un choix du ministère public. Le recours à la composition pénale signifie que le parquet ne veut pas d’une procédure sans pour autant classer l’affaire. C’est une décision provisoire : le choix de ne pas déclencher l’action publique n’est pas un choix définitif. Cela va dépendre de la réussite ou de l’échec de la composition pénale.
  • §1. La procédure de l’article 41-1

Cet article commence par « avant sa décision sur l’action publique, le procureur peut prendre certaine des mesures suivantes ». On est donc bien ici dans une phase où le procureur n’a pas encore décidé de classer, de recourir à une composition pénale ou de déclencher l’action publique. Cette procédure a donc pour objectif de l’aider à prendre cette décision. Par cette procédure, le procureur va pouvoir prendre des mesures d’après lesquelles il espère être mieux à même d’effectuer son choix.

  • a) Conditions

Le Code de Procédure Pénale pose des conditions tellement larges qu’elles sont toujours satisfaites. On peut recourir à cette procédure lorsque ces mesures sont susceptibles d’assurer la réparation due à la victime. On met donc ici au premier plan les intérêts de la victime. Ces mesures sont susceptibles de mettre fin au trouble résultant de l’infraction.

Enfin, ces mesures sont susceptibles de contribuer au reclassement de l’auteur des faits, ce qui met en avant l’intérêt général plus que celui de la victime. Si l’une ou l’autre de ces conditions existe, le ministère public peut recourir à la procédure de l’article 41-1. Quelles sont alors ces mesures ?

  • b) Les mesures

Elles sont nombreuses, et il ne s’agit pas d’en dresser la liste. On peut en identifier deux catégories. Certaines supposent d’être exécutées par l’auteur des faits, il devra s’y soumettre, alors que d’autres sont étrangères à son attitude.

b-1) Exécution par l’auteur des faits

Au titre des premières mesures, qui supposent une initiative de l’auteur des faits, il peut lui être demandé de réparer le dommage qu’il a causé ou encore d’exécuter une « mesure de médiation » (c’est la raison pour laquelle on parle souvent de procédure de médiation de l’article 41-1, ce qui n’est pas une terminologie très juste car ce n’est qu’une des mesures possibles). Cette procédure de médiation pénale a pour objectif de parvenir à un accord entre l’auteur des faits et la victime. Elle peut être proposée par un médiateur du procureur de la République.

b-2) Étrangères à l’attitude de l’auteur des faits

Au titre de la seconde série de mesures, parmi celles qui existent sans supposer de la part de l’auteur des faits un comportement, on trouve par exemple le célèbre rappel à la loi. On convoque l’auteur des faits et on lui indique que ce qu’il a fait est très vilain. Cette procédure suspend le délai de prescription de l’action publique. Le plus important est d’en connaître l’issue.

Si l’on raisonne sur des mesures à exécuter, on peut imaginer que l’auteur des faits ne les exécute pas. Dans ce cas, l’article 41-1 dit que le procureur peut recourir à une composition pénale ou déclencher des poursuites. On a donc l’idée que cette procédure n’exprime aucun choix sur le sort de l’action publique. C’est une épreuve à laquelle le procureur soumet l’auteur des faits, pour prendre une décision sur l’action publique.

Lorsque l’on n’attend pas de fait de l’auteur, l’article 41-1 est muet sur la procédure. Il y a de grandes chances de penser que le principe de l’opportunité, du fait du silence de la loi, retrouve son empire. Il appartient donc au parquet de prendre la décision qu’il estime opportune. Il peut ainsi prendre une décision de classement sans suite. C’est ce qu’il fera lorsqu’il vérifiera que la mesure a été correctement exécutée par l’auteur des faits. Ce classement apparaitra comme une sorte de « classement sans suite conditionnel ».

En toute rigueur, rien n’exclut alors, qu’en dépit de la bonne exécution des mesures, le procureur prenne la décision d’une composition pénale ou de déclencher les poursuites. La procédure de l’article 41-1 n’exprime aucun choix. C’est une aide à la décision, mais ce n’est pas une décision en soi. Il faut donc que la décision soit prise ; ceci inclut le déclenchement de l’action publique. Dans les faits, lorsque les mesures suggérées en
application de l’article 41-1 sont respectées, il y a classement sans suite puisque l’idée est de lutter contre l’engorgement des juridictions

 

  • §2. La composition pénale

 

C’est l’une des réactions possibles à la commission de certaines infractions. C’est, a-t-on dit, une variante de la transaction sur l’action publique. Cette mesure est récente car elle date de 1999. Elle est organisée par l’article 41-2 pour les délits et par l’article 41-3 pour les contraventions. Elle est inapplicable en matière de crime, car on ne peut envisager que la réaction envers un crime ne se limite à une composition pénale.

a) Le contenu de la composition pénale

Une infraction a été commise et la réponse va être une composition pénale. Pour beaucoup de délits et de contraventions, dans les années qui ont précédé la création de la composition, on avait observé que le taux de classement sans suite avait augmenté de manière considérable. En 1986, le taux de classement sans suite était d’environ 65%. En 1996, ce taux était monté à 80% et pouvait monter à 90% dans certains ressorts. Cela signifiait qu’à la suite de la commission d’une infraction pénale, il n’y avait aucune réaction sociale.

L’explication de cette inflation de classement sans suite tenait beaucoup au fait qu’en raison de l’augmentation incontestable de la délinquance, et en raison du manque de moyens de la justice, la seule réponse que le système pouvait faire était de ne rien faire car il n’était pas en mesure de réagir. Il y avait donc une utilisation perverse du classement sans suite. Ce classement n’était pas la suite d’une volonté de ne pas poursuivre, mais d’une impossibilité de le faire.

Le législateur a considéré cette impuissance de la réaction sociale comme la pire solution possible. Comme on ne pouvait pas envisager de tout poursuivre car le système judiciaire en était incapable, il fallait inventer une solution médiane qui se trouve maintenant dans la composition pénale. Il y a bien une réaction mais on ne va pas jusqu’à déclencher les poursuites. Le pivot de cette procédure a été le procureur qui se voit reconnaître le pouvoir de proposer des mesures à exécuter dans un certain délai, à l’auteur des faits ou aux complices.

La liste de ces mesures est longue : cela peut être une mesure telle que verser une amende de composition dont le texte précise que le montant ne peut excéder le montant de l’amende pénale encourue. Cela peut aussi consister à remettre son permis de conduire pendant un certain délai, ou effectuer un travail d’intérêt général. Tout cela ressemble assez furieusement à des peines. On a donc eu la nécessité d’instaurer des garanties et des procédures.

Ainsi, au titre des garanties : l’assistance de l’avocat est obligatoire avant que l’intéressé ne donne son accord de respecter la composition. On a aussi voulu la présence d’un juge du siège, qui a été forcé par le Conseil constitutionnel, au titre que de telles mesures ne pouvaient être prises par le parquet. L’article 66 de la Constitution dit que le juge est le garant des libertés et peines. En matière de délit, c’est le président du tribunal de grande instance et en matière de police, c’est le juge du tribunal de police ou le juge de proximité.

Il s’agit, pour le juge du siège, d’examiner la composition telle qu’elle est envisagée, pour valider cette composition ou refuser de le faire. Ceci peut être fait après avoir entendu l’auteur des faits, la victime et leurs avocats. Cette décision des juges du siège n’a aucun recours. Il doit ainsi être proposé à l’auteur des faits de réparer le dommage causé.

b) Le domaine de la composition pénale

Quant au domaine de cette procédure, s’agissant des infractions, cela vaut pour certains délits qui ne sont punissables que d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à 5 ans. Au début, on avait pris la base de 3 ans. Cette révolution est passée par la loi, décidée à ouvrir plus largement la porte.

Cela exclut certains délits comme les délits de presse et l’homicide involontaire. En revanche, toutes les contraventions peuvent permettre le recours à cette procédure. Quant aux personnes, elle ne s’applique qu’aux personnes physiques et non aux personnes morales. Cette procédure a d’abord été réservée aux majeurs, puis plus tard, aux mineurs.

Pour que cette procédure soit utilisable, il faut que l’auteur des faits ait reconnu avoir commis l’infraction. C’est donc une procédure qui, à son principe même, sous-entend un aveu. Elle fait donc parti du renouveau de l’aveu dans la procédure contemporaine. Il faut ensuite une acceptation de la composition proposée.

Il y a enfin, une condition procédurale : le ministère public ne peut recourir à la composition pénale que si l’action publique n’a pas déjà été mise en mouvement. Cela signifie donc que, si le procureur avait décidé de déclencher une poursuite, il ne peut plus se raviser pour recourir à une composition pénale. L’action publique peut aussi avoir été mise en mouvement par d’autres que le procureur. Cela veut donc dire que la partie civile a une maîtrise de la composition pénale : elle peut l’empêcher par le déclenchement de l’action civile.

c) Les conséquences de la composition

 On a deux situations selon que la composition est un échec ou une réussite.

c-1) L’échec

Si l’auteur des faits refuse ce qu’on lui propose, ou s’il a accepté et n’a rien exécuté, le procureur doit mettre en mouvement l’action publique. Il doit donc saisir une juridiction d’instruction ou de jugement. Si les poursuites sont déclenchées et qu’intervient une condamnation, il sera tenu compte au moment de cette condamnation, des mesures qui auront été, en partie seulement, exécutées par l’auteur des faits.

c-2) Le succès

 Si la composition est un succès, et que l’intéressé a exécuté les mesures, on aura une extinction de l’action publique . Le choix tel que le procureur l’avait exprimé au début de la procédure, de recourir à la composition et non aux poursuites, est définitivement entériné. Toute poursuite devient inconcevable.

C’est ici que la composition pénale se manifeste comme une solution alternative aux poursuites. Le législateur, soucieux de respecter le droit des victimes, ne veut pas que cette extinction de l’action publique prive l’accès au prétoire pénal à la victime. Même si l’action publique est éteinte, elle conserve la possibilité de demander la réparation du dommage au tribunal répressif. C’est un cas exceptionnel ou la juridiction pénale n’aura à connaître que de l’action civile.

La composition pénale est enregistrée au casier judiciaire au même titre qu’une véritable condamnation, d’où un caractère ambigu de cette procédure . Tous les actes qui tendent à la mise en œuvre de cette procédure de composition pénale sont interruptifs de la prescription de l’action publique. C’est une solution curieuse car normalement seuls interrompent la prescription les actes manifestant la volonté de poursuivre de la part de leur auteur. Voici ici des actes qui manifestent la volonté opposée et qui interrompent pourtant la prescription de l’action publique .

Sous-section 3 : La mise en mouvement des poursuites

Le procureur de la république peut décider de saisir la juridiction de jugement ou d’instruction, déclenchant l’action publique. Parfois, cette possibilité apparaît comme un devoir du ministère public. Ce devoir est exceptionnel. Ce choix de mettre en mouvement l’action publique est définitif. Il ne peut pas se raviser une fois qu’il a saisi la juridiction de jugement. On a ainsi des cas où le parquet doit mettre en mouvement l’action publique et il y a des cas où il a le choix. Une fois ce choix fait, il ne peut pas se raviser, comme dans le cas de la composition pénale.

À cela s’ajoute que parfois, si le parquet estime que l’infraction en est vraiment une et qu’il s’agit d’un crime, il devra saisir une juridiction d’instruction en déclenchant l’action publique car l’instruction est obligatoire en matière criminelle. L’auteur d’un crime ne peut pas comparaître directement devant une juridiction de jugement.

Dans tous les cas de mise en mouvement de l’action publique, cela passe par un acte de procédure par lequel on va saisir la juridiction. Cet acte ne met en mouvement l’action publique que s’il est régulier.

  • 1. La saisine d’une juridiction d’instruction

Lorsque le procureur, parce qu’il a pris la décision de poursuivre, saisit une juridiction d’instruction, il doit le faire par un « réquisitoire introductif d’instance ». Il est visé par l’article 80 du Code de Procédure Pénale. Ce réquisitoire doit être daté, mention importante pour la prescription de l’action publique, il doit aussi être signé. À défaut, le réquisitoire est nul et n’a aucun effet. On parle aussi de réquisitoire à fin d’informer ou de soin d’informer.

On a deux grands types de réquisitoires selon la personne visée. On demande au juge d’instruction d’instruire contre toute personne que l’affaire peut connaître : c’est un « réquisitoire contre X » – hypothèse la plus courante. On peut aussi avoir un réquisitoire qui désigne une ou plusieurs personnes de façon nominative (auteur, coauteur ou complice). Il faut que le réquisitoire précise les faits dont le juge va être saisi. Assez souvent en pratique, le réquisitoire renvoie à des documents annexés, à des pièces jointes comme les procès-verbaux de l’enquête.

En pratique, le réquisitoire introductif d’instance qualifie les faits (vol, escroquerie…), alors même que la loi ne l’impose pas sauf en matière de presse. Si ces faits n’ont donc pas besoin d’être juridiquement qualifiés, il faut en revanche qu’ils soient très précis. C’est la raison pour laquelle le réquisitoire doit être le plus précis possible puisqu’ils vont déterminer l’étendue de la saisine in rem du juge.

C’est la raison pour laquelle si, au cours du déroulement de l’instruction, le juge fait apparaître des faits différents, il n’en est pas saisi et il ne peut pas s’en saisir. En conséquence, si l’on découvre des objets qui révèlent des faits différents de ceux que le juge poursuit, le juge d’instruction devra informer de la découverte de ces faits (pour lesquels le principe de l’opportunité des poursuites va reprendre son empire) le procureur, qui reprendra son office et pourra choisir de les poursuivre ou non. Il peut ainsi prendre un réquisitoire supplétif, par lequel il étend la saisine du juge d’instruction à ces faits nouveaux.

La jurisprudence autorise le juge d’instruction, au nom de l’urgence, d’effectuer sans attendre la décision du procureur certains actes, dès lors qu’ils ne sont pas coercitifs, ne  passant pas par l’exercice d’une contrainte. Par exemple, le juge peut saisir immédiatement les preuves correspondant à ces faits nouveaux.

  • 2. La saisine d’une juridiction de jugement

L’autre moyen pour le procureur de déclencher les poursuites, est de saisir tout de suite une juridiction de jugement. C’est le circuit court. Cela suppose que le procureur ait le pouvoir de le faire, a fortiori que l’instruction ne soit pas obligatoire.

Les procédés pour déclencher l’action publique directement devant une juridiction de jugement sont multiples. On a donc un contraste entre l’instruction et le jugement. On trouve la citation directe, l’avertissement, des procédures de jugement rapide comme la convocation par procès -verbal et la comparution immédiate. On trouve enfin une procédure particulière de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. L’acte procédural qui déclenche cette procédure étant une requête en homologation.

a) La citation directe

C’est une assignation à comparaître, à l’adresse du prévenu. Elle est faite par huissier, selon l’article 550 du Code de Procédure Pénale. Cette assignation à comparaître doit être portée directement à la connaissance de l’intéressé, selon le principe de la signification à personne.

La citation énonce le fait poursuivi, elle le qualifie en indiquant le texte applicable. On y indique le tribunal saisi, le lieu, la date et l’heure de l’audience. Un certain délai doit être respecté entre le jour de délivrance de la citation et l’audience, pour permettre à l’intéressé de préparer sa défense. Il est au moins de 10 jours. À défaut, la citation est nulle sauf si au jour de l’audience en question, bien que trop précoce, le prévenu se présente devant la juridiction, mais avec cette précision que si l’intéressé le demande, le renvoi à une audience ultérieure est obligatoire.

Le Code de Procédure Pénale prévoit une citation dite « convocation en justice » qui présente l’avantage de pouvoir être donnée à la connaissance de l’intéressé par un simple agent de police judiciaire ou par le chef de l’établissement pénitentiaire. Cette convocation équivaut à une citation à personne. C’est un moyen de se dispenser de la procédure plus lourde et plus onéreuse de la citation par huissier.

b) L’avertissement

C’est encore un procédé qui permet de se dispenser d’une citation par huissier. L’avertissement :

  • est délivré par le parquet,
  • indique le délit poursuivi et le texte applicable,
  • entrainera la saisine de la juridiction à la condition que l’intéressé visé par cet avertissement comparaisse.
  • b-1) La convocation par procès-verbal et la comparution immédiate

Il faut les étudier de paire car ces deux procédures sont très proches. Elles datent de 1983 et permettent toutes les deux un jugement rapide, une comparution accélérée de l’intéressé devant une juridiction de jugement. C’est une procédure qui commence devant le procureur. Il faut supposer que la personne dont il s’agit a été déférée devant le procureur à l’issue d’une garde à vue. S’agissant de cette personne, le procureur estime qu’il est inutile d’ouvrir une instruction, car il y a dans le dossier de l’enquête policière tous les documents pour statuer.

Le procureur ne souhaite pas non plus une comparution directe, mais veut une réponse immédiate ou rapide à l’infraction. Il préfère alors les procédures de jugement rapide. Entre le moment où l’intéressé reçoit la convocation et est jugé, il est libre de ses faits et gestes, sa liberté est complète. C’est là une situation à laquelle le procureur peut répugner. Il aimerait donc que d’ici à la comparution destinée à intervenir rapidement, l’intéressé soit contrôlé dans ses déplacements ou soit placé en détention provisoire.

1) La convocation par PV

 C’est une procédure par jugement rapide, organisée par l’article 394 du Code de Procédure Pénale. Lorsque le procureur choisit cette procédure, qui présuppose que l’intéressé est devant lui, il invite la personne déférée à comparaître devant un tribunal dans un délai qui peut être de 10 jours à deux mois maximum . Le procureur notifie à l’intéressé les faits, lui indique la juridiction, la date et l’heure de l’audience. L’avocat de l’intéressé est avisé de cette procédure et peut accéder au dossier.

S’agissant de la liberté de la personne quant à la comparution, le procureur a le choix entre deux solutions. Soit il considère que l’intéressé peut être laissé libre de déplacement, soit il peut considérer que le déplacement de l’intéressé doit être contrôlé. Si c’est le cas, il peut demander que l’intéressé, jusqu’à sa comparution, soit soumis à un contrôle judiciaire ou à une assignation à résidence. C’est un des intérêts de la procédure par rapport à une comparution directe.

Si le procureur veut obtenir cette restriction à la liberté, il va traduire l’intéressé devant le juge des libertés et de la détention. C’est à ce juge qu’il va demander un placement sous contrôle judiciaire jusqu’à la comparution devant la juridiction de jugement. C’est donc le juge des libertés et de la détention qui acceptera ou refusera.

2) La comparution immédiate

Elle est prévue à l’article 395 du Code de Procédure Pénale. Elle est l’héritière de la procédure de jugement en flagrant-délit qui a été supprimée en 1983 par la majorité politique de l’époque, pour être remplacée par l’équivalent dont seule la dénomination change. Cette procédure n’est possible que pour certains délits. Il s’agit des délits pour lesquels la peine d’emprisonnement prévue est au moins égale à deux ans (on ne fixe pas de maximum). Si l’infraction a été commise en situation de flagrance, la procédure de comparution immédiate est possible si la peine d’emprisonnement est d’au moins 6 mois.

Parfois, cette saisine immédiate n’est pas possible, et il faut remettre la comparution à plus tard avec la possibilité de placer le suspect en détention provisoire, cette décision étant toujours prise par le juge des libertés et de la détention. Il peut accepter un contrôle judiciaire ou s’il l’estime non justifiée, il peut prononcer un placement sous contrôle judiciaire ou en assignation à résidence.

  • b-2) La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Elle fait suite à une requête en homologation et se retrouve aux articles 495-7 et suivants. La procédure a été créée en 2004. C’est une procédure de jugement particulière pour certains délits punis d’une peine d’amende ou encore pour les délits qui exposent à un emprisonnement inférieur ou égal à 5 ans. Ce sont donc les conditions de la composition pénale, malgré le fait que les deux procédures soient opposées. Pendant la composition pénale, l’action publique n’est pas déclenchée, contrairement au cas de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Cette procédure suppose une initiative en ce sens du procureur de la république, mais peut aussi être réclamée par le prévenu car cela présente pour lui des avantages. Elle suppose que l’intéressé a reconnu les faits qu’on lui reproche. C’est donc une procédure qui repose sur un aveu de culpabilité. Cet aveu doit être formulé obligatoirement en présence d’un avocat. Fort de cet aveu, le procureur qui a pris la décision de poursuivre, va proposer à celui qui vient d’avouer, d’exécuter une ou plusieurs peines principales ou complémentaires prévues par la loi pour les faits considérés.

S’agissant de l’emprisonnement, la peine proposée par le procureur doit nécessairement être d’une durée minorée par rapport au maximum prévu par la loi : la peine doit nécessairement être au maximum la moitié de la peine encourue et ne peut excéder un an. Il n’y a pas de minoration prévue pour l’amende même si cela a lieu dans les faits. Dans les deux cas, le procureur peut assister la proposition d’un sursis.

Cette proposition doit être faite à l’intéressé en présence d’un avocat qui peut s’entretenir avec son client. C’est à l’issue de cet entretien avec l’avocat que l’intéressé acceptera ou refusera cette proposition. Il a, par souci du respect des droits de la défense, la possibilité de demander un délai de réflexion de 10 jours avec la possibilité, si le procureur de la république estime qu’il le faut, de saisir le juge des libertés et de la détention et de demander que l’individu soit placé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, ou assigné à résidence.

Si l’intéressé accepte la proposition qui lui est faite, il sera présenté au président du tribunal de grande instance, ou à un juge délégué du siège. Ce qui déclenche l’action publique est ce document appelé la « requête en homologation » par laquelle le procureur saisit le président du tribunal de grande instance ou son délégué. Le juge va entendre l’intéressé et son avocat au cours d’une audience publique, au terme de laquelle il pourra accepter cette proposition, ce qui, le cas échéant, aura pour effet d’homologuer la proposition. Il pourra aussi refuser d’homologuer. En pratique, les refus sont rares, car ceci est fait pour désengorger les juridictions ; et parce qu’entre le ministère public et la juridiction, on convient d’un barème de peines.

Si le magistrat homologue la proposition, cette décision d’homologation a les mêmes effets qu’un jugement de condamnation. En dépit du fait que ceci est intervenu avec l’accord de l’intéressé, un appel est possible. Si le président du tribunal de grande instance ou le délégué refuse l’homologation, on aura une ordonnance qui supposera que l’on réoriente l’affaire.

Cette procédure est donc révolutionnaire, car permet au parquet d’empiéter sur des fonctions juridictionnelles. Bien sûr, on peut sacrifier aux apparences le fait que le juge du siège accepte ou non l’homologation. En réalité, c’est comme si le ministère public prononçait la peine, ce qui marque un empiètement grave sur des fonctions dont il devrait être exclu.

Chapitre 2. La mise en œuvre des poursuites par la partie civile

La partie lésée par l’infraction a le pouvoir de déclencher les poursuites. Sur le modèle du procureur, elle peut le faire devant une juridiction d’instruction ou de jugement. Nous avons cependant vu que le procureur de la république avait à sa disposition une liste étendue de moyens procéduraux pour déclencher l’action devant les juridictions de jugement. De ce point de vue, les possibilités sont plus réduites pour la victime. Si elle veut déclencher les poursuites devant la juridiction de jugement, elle a un seul procédé, tout comme devant la juridiction d’instruction. La victime ne peut qu’user de la citation directe devant la juridiction de jugement, et la constitution initiale de partie civile pour l’instruction. Cette mise en mouvement de l’action publique devant la juridiction de jugement ou instruction est définitive

Section 1 : La citation directe

 L’Article 551 du Code de Procédure Pénale permet à la partie civile de déclencher les poursuites directement devant la juridiction de jugement. Ceci n’est possible que si l’instruction n’est pas obligatoire. Si la partie civile prend l’initiative de déclencher les poursuites devant une juridiction de jugement, elle devra éventuellement verser une consignation dans un certain délai qui lui sera imparti. La somme correspondante sera destinée à garantir le paiement de l’amende civile qui pourra être prononcée contre elle dans l’hypothèse d’une décision de relaxe si on admet que son initiative a été fautive.

La consignation de cette somme est une condition de recevabilité de la citation directe. Si la citation directe est irrecevable, elle ne met pas en œuvre l’action publique, par absence de saisine de la juridiction de jugement.

Section 2 : La constitution initiale de partie civile

 C’est la technique procédurale qui va permettre à la partie civile de demander la saisine du juge d’instruction, possibilité de l’article 85 du Code de Procédure Pénale (ratifiant la solution Laurent- Atthalin). Le domaine de la constitution de partie civile n’est pas exactement identique à celui du réquisitoire introductif d’instance. La partie civile ne peut en effet pas saisir une juridiction d’instruction à propos d’une simple contravention. Il ne faut pas confondre avec le cas de constitution de partie civile par voie d’intervention, dans lequel la partie civile se contente d’intervenir dans une instruction déjà ouverte où l’action publique est déjà déclenchée et où cette partie civile s’y joint.

Pour que cette constitution initiale de partie civile déclenche l’action publique, elle doit être régulière en la forme et recevable. Si elle est nulle ou irrecevable, elle ne saisit pas la juridiction d’instruction et ne déclenche pas l’action publique.

S’agissant du formalisme de constitution de partie civile, il est simple. Ce formalisme se réduit souvent au dépôt d’une plainte qui peut prendre la forme d’une simple lettre datée et signée et qui précise les faits dénoncés. Il peut aussi s’agir d’une simple déclaration verbale faite au juge. Le dépôt de cette plainte donnera lieu à une ordonnance du juge par laquelle il constatera son dépôt. La régularité formelle de la plainte avec constitution de partie civile est donc facile à obtenir tant les formalités sont élémentaires.

Les conditions de recevabilité sont plus complexes. Il faut préciser cela. Cela soulèvera la question délicate qui concerne les effets d’une constitution de partie civile irrecevable.

  • 1. Les conditions de recevabilité de la constitution de partie civile

La recevabilité d’une constitution de partie civile est soumise à deux types de conditions : celles qui concernent la forme de la constitution et celles qui concernent la recevabilité au fond.

a) La recevabilité en la forme

Traditionnellement, cette recevabilité en la forme dépendait de la nécessité de consigner une somme dans un certain délai, sauf aide juridictionnelle, destinée à garantir le paiement d’une amende civile qui viendrait à être prononcée contre la partie civile dans l’hypothèse où l’on estimerait que son acte a été fautif. Le versement effectif de cette somme à consigner est une condition de recevabilité en la forme, de la constitution de partie civile . Cela signifie que, si à l’expiration du délai fixé par le juge, la somme n’a pas été versée, la constitution de partie civile est irrecevable.

De la même manière, une constitution de partie civile serait irrecevable si elle violait la règle Electa una via [Celui qui s’estime victime d’un délit a la possibilité de porter son action, soit devant la juridiction répressive, soit devant la juridiction civile. Son choix est a priori libre ; mais une fois qu’il l’a effectué, il doit s’y tenir (sinon le prévenu pourrait voir son système de défense contourné)]. C’est-à-dire si la personne a déjà agi pour les mêmes faits devant les juridictions civiles.

Plus récemment, par l’effet d’une réforme de 2007, on a ajouté une nouvelle condition de recevabilité en la forme en matière de délit, à l’exclusion de certains d’entre eux comme les délits de presse. Pour le commun des délits, le législateur impose depuis cette loi,

à la personne qui veut se constituer partie civile, d’attendre de connaître l’opinion du procureur de la république à la suite du dépôt de sa plainte . Plus précisément, il est prévu par l’article 85 réécrit en 2007, que la personne qui veut se constituer partie civile, doit attendre que le procureur de la république lui fasse connaître qu’il a décidé de ne pas poursuivre, ou doit attendre que le procureur soit resté sans réaction pendant 3 mois à la suite du dépôt de plainte.

C’est une solution qui est un repli manifeste par rapport à la solution de l’arrêt Laurent Atthalin. Cette réforme ne remet pas en cause ce pouvoir mais en interdit l’exercice immédiat, imposant à la partie civile de respecter un certain délai. C’est une régression, une atteinte au pouvoir des parties civiles. Le législateur a simplement eu la sagesse, dans son inconséquence, de dire que la prescription est suspendue pendant toute la durée de l’attente de la réponse du procureur.

b) La recevabilité au fond

S’agissant du fond, la recevabilité d’une plainte suppose que son auteur ait la qualité pour agir. La victime devra ainsi établir qu’elle a personnellement souffert du dommage causé par l’infraction. Les conditions de l’article 2 du Code de Procédure Pénale ne sont pas intégralement à respecter au stade de l’instruction. Il est en effet de jurisprudence constante que, pour qu’une plainte avec constitution de partie civile soit recevable, il n’est pas nécessaire que l’auteur de la plainte établisse qu’il a personnellement souffert du dommage . On estime que cela serait trop exiger de la partie civile. La jurisprudence se contente donc de ce que les circonstances sur lesquelles la plainte s’appuie « permettent d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué par la partie civile et sa relation directe avec les faits dont le juge est saisi ». On se contente d’une possibilité que la personne ait souffert comme elle le prétend et qu’il y ait un lien avec l’infraction.

Cette plainte, obéissant à ces conditions souples, sera communiquée au ministère public afin qu’il prenne ses réquisitions étant entendu que cette règle doit être bien comprise : dire que le juge d’instruction va solliciter les requêtes du ministère public ne signifie pas que ce sont des ordres. Pour le reste, réquisition ou pas du parquet, la plainte avec la constitution initiale de partie civile, si elle est bonne, saisit le juge d’instruction, lequel doit alors instruire.

À cette obligation d’instruire, il y a un tempérament. Le juge d’instruction, en dépit de l’article 85 et de Laurent Atthalin, peut refuser d’instruire en rendant une ordonnance de refus d’informer. Ceci vaut également pour une chambre d’instruction, qui peut rendre un arrêt de refus d’informer. Cette décision est dangereuse puisqu’elle restaure le monopole du parquet dans le déclenchement des poursuites, préoccupant dans un État de droit. Il faut donc se féliciter de ce que le Code de Procédure Pénale pose en son article 86, des conditions drastiques auxquelles la Cour de cassation veille strictement. Une décision de refus d’informer est exceptionnelle et rarissime . Il faut qu’il soit manifeste, évident que les faits visés dans la plainte ne sont pas punissables ou ne le sont plus.

En application de la jurisprudence, dès l’instant qu’il y a la plus petite possibilité que les faits soient punissables, il est obligatoire d’instruire si la demande en est faite par plainte avec constitution de partie civile.

  • 2. Les effets de la constitution de partie civile irrecevable

Cette décision d’irrecevabilité peut être déclarée rendue d’office par le juge d’instruction, et peut également intervenir à la demande du procureur qui dira au juge d’instruction qu’il estime que cette constitution de partie civile est irrecevable.

Cette recevabilité peut être contestée par la personne mise en examen. Une partie civile déjà déclarée recevable peut voir d’un mauvais œil une nouvelle constitution de partie civile. Le juge d’instruction pourra donner une ordonnance d’irrecevabilité de constitution de partie civile dont l’intéressé peut faire appel.

Mais supposons que cette plainte soit avec constitution initiale de partie civile. Si la constitution de partie civile est déclarée irrecevable, le juge d’instruction n’est pas saisi, et l’action publique n’est pas mise en mouvement. Il faudrait que le procureur, sachant cela, prenne l’initiative de saisir de son propre chef le juge d’instruction par un réquisitoire introductif d’instance, mais la saisine découlerait donc de ce réquisitoire et non de la plainte.

L’auteur de la plainte ne sera pas content si sa demande est déclarée irrecevable. Il lui faudra alors un recours. Le juge d’instruction n’est pas saisi, mais il y a un possible appel. Pourtant, si on dit que cette partie déclarée irrecevable peut faire appel, elle est partie car elle a une voie de recours, mais partie à quoi puisqu’il n’y a pas d’instruction… on tourne en rond.

On est en présence d’une situation juridique inexplicable. Le problème réside dans le fait que si c’est une constitution de partie civile par voie d’intervention, qui intervient alors que l’instruction a lieu depuis plusieurs années, on a tous les droits d’une partie, y compris la possibilité de faire appel et d’accéder au dossier de la procédure. Cela permettait, en matière économique, à un concurrent de se constituer partie civile de manière fantaisiste pour faire appel et avoir accès au dossier de son concurrent.

Il a donc fallu que le législateur trouve une parade à cette situation. Si une partie est déclarée irrecevable par un juge d’instruction, son avocat a accès au dossier mais il ne peut communiquer des pièces qui se trouvent dans ce dossier qu’avec l’accord du juge d’instruction. C’est donc ici le juge d’instruction qui peut maîtriser le risque de l’accès au dossier. On a un recours de ce refus devant le président de la chambre de l’instruction. Si le problème se pose alors devant la chambre de l’instruction, l’avocat de la partie civile n’a pas accès au dossier devant la chambre de l’instruction.

On peut envisager qu’un juge d’instruction, après avoir conclu à la recevabilité d’une constitution de partie civile, change d’opinion. Ainsi, tous les actes que le juge d’instruction aura effectués sur le fondement de sa décision initiale, ne sont pas remis en cause par la décision d’irrecevabilité, ils demeurent parfaitement réguliers.

Ensuite, la décision sur la recevabilité au stade de l’instruction n’a pas autorité de la chose jugée devant la juridiction de jugement. Il est donc parfaitement possible qu’une personne soit déclarée recevable devant la juridiction d’instruction et irrecevable devant la juridiction de jugement, et inversement.

Sous-livre deuxième : L’exercice des poursuites

Une fois l’action publique déclenchée, elle va devoir être exercée. Par principe, cet exercice de l’action publique est le monopole du ministère public. Le ministère public peut déclencher les poursuites au stade de l’instruction ou du jugement, ainsi que la partie civile.

 

Titre 1. La phase de l’instruction

C’est le moment de la procédure qui vise à savoir si une affaire peut être jugée. Elle prépare le jugement, c’est la phase préparatoire. Juridiquement, une instruction est toujours possible, pour toute infraction, serait-ce pour une simple contravention, sous réserve que seul le ministère public peut saisir. Il arrive que cette instruction soit obligatoire comme en matière de crime ou pour certains délits s’ils sont imputables à un mineur par exemple.

Elle peut être obligatoire aussi pour des raisons de fait . Lorsque l’auteur d’une infraction n’est pas identifié, il faudra chercher qui il est si l’on veut le connaître. Il faut aussi rappeler que l’instruction s’intègre dans le principe de séparation des phases de la procédure, qui explique les règles qui président à l’étendue de la saisine des juridictions d’instruction, et notamment le principe de la saisine in rem. La juridiction est saisie pour ce qui est posé dans l’acte de saisine. Si un juge d’instruction est saisi in rem, il ne l’est pas in personam et peut instruire à l’encontre de toute personne.

Ces précisions étant données, il s’agit de voir les grandes étapes d’une instruction sachant qu’il faudra illustrer le caractère mixte de l’instruction.

Le juge d’instruction est un juge du siège indépendant du pouvoir politique. Pendant longtemps, il a été un juge unique. On a beaucoup dénoncé ce caractère du juge unique, et on en a fait un de ses vices majeurs. À la suite de l’affaire d’Outreau, la décision a été prise d’essayer de rendre le travail du juge d’instruction collégial. L’idée était que des erreurs étaient favorisées par un juge victime de ses préjugés et seul pour décider. On a donc voulu instaurer une collégialité de l’instruction.

Depuis le 1er mars 2008, on a créé des pôles de l’instruction au sein desquels on va regrouper les juges d’instruction d’un même tribunal de grande instance. On a créé au moins un pôle d’instruction par ressort de cour d’appel. Au 1 er janvier 2010, il était prévu que tous les juges d’instruction seraient rattachés à un pôle, ce qui a été reporté à 2011 car cela coûte cher et que l’on veut maintenant supprimer les juges d’instruction.

À cette date, au 1er janvier 2011, toute instruction a été confiée à un collège de l’instruction, de 3 juges d’instruction dont l’un étant le coordinateur. En l’attente de 2011, il a été prévu que les affaires criminelles relèveraient systématiquement des pôles de l’instruction. En l’attente de cette collégialité systématique à venir, on désigne un ou plusieurs juges d’instruction adjoints. Cette co-saisine transfère compétence aussitôt à des juges du pôle de l’instruction.

Chapitre préliminaire. Le caractère mixte de l’instruction

Il faut se rappeler, s’agissant de la situation actuelle, le système de procédure est divisé en plusieurs étapes. Le simple fait que la procédure soit divisée en étapes est la marque de l’influence des systèmes inquisitoires. Il reste que, avec le temps, ce modèle inquisitoire originel a subi une notable évolution. Autrement dit, ce caractère inquisitoire a connu un déclin constant. Il reste aujourd’hui encore, et c’est l’objet de tous les débats, une trace majeure de l’influence de ce système. C’est le fait que le juge cumule des fonctions d’investigation et de juridiction.

Section 1 : Les signes du déclin de l’inquisition

Dans une vision traditionnelle des choses, on considère que des caractères de la procédure témoignent de l’inquisition : le caractère écrit, secret et non contradictoire. C’était le cas dans le système français traditionnel. On a actuellement des nuances.

 

  • 1. Le caractère secret de l’instruction

C’est une règle connue : l’instruction est secrète ; secret qui s’étend à la phase d’enquête, consacré à l’article 11 du Code de Procédure Pénale (« Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. »). Ce secret doit être bien compris car il pose deux questions différentes. La première est de savoir à qui ce secret est opposable. La seconde, différente est de savoir qui en est tenu.

    • A qui le secret est-il opposable ?

 C’est à ce point de vue que l’on a eu une évolution. Aujourd’hui, le secret de l’instruction ne concerne véritablement que les tiers à la procédure . C’est surtout à leur égard que l’instruction demeure secrète, ce qui veut dire qu’à l’égard des parties, elle a perdu ce caractère. Même à l’égard des tiers, le secret n’est plus absolu. En effet, les audiences au cours desquelles on décide d’un placement en détention provisoire sont en principe publiques, devant le juge des libertés et de la détention ou la chambre de l’instruction. Le caractère publique de l’audience signifie que toute personne peut être présente et assister aux débats, sauf si l’audience a lieu à huis-clos, ce qui peut se faire en cas d’opposition de la publicité par le procureur ou la personne mise en examen.

Plus largement, les audiences de la chambre de l’instruction se déroulent en principe en chambre du conseil, c’est-à-dire sans publicité. Désormais, la publicité est possible à la demande de la personne mise en examen ou de son avocat. Pour le reste, le secret de l’instruction n’est pas opposable aux parties, ni au parquet qui a accès au dossier .

Ces conseils, s’agissant des parties privées, peuvent se faire délivrer copie des pièces du dossier, dont elles peuvent remettre une copie à leur client sauf si le juge d’instruction s’y oppose. Si elle s’y oppose, il y a un recours possible devant la chambre de l’instruction, en application de l’article 114 du Code de Procédure Pénale qui organise une transparence de l’instruction à l’égard des parties. Les concernant, le secret de l’instruction est un concept qui n’a plus de sens.

    • Qui est tenu au respect du secret ?

L’article 11 du Code de Procédure Pénale considère que le secret s’impose aux personnes qui « concourent à l’instruction ». D’après la jurisprudence, cela recouvre les magistrats eux-mêmes, les greffiers, les policiers et gendarmes, mais aussi les interprètes qui concourent à l’instruction ou encore les experts.

Les personnes qui ne concourent pas à l’instruction n’ont donc pas à respecter le secret. Ainsi, la personne mise en examen elle-même n’est pas tenue de respecter ce secret de l’instruction. De même, la partie civile n’y est pas tenue.

Il y a néanmoins une limite apportée à la possibilité de parler librement de l’instruction. Les parties privées peuvent obtenir une reproduction des pièces du dossier par leur avocat , pièces qu’ils ne peuvent divulguer à des tiers sauf si elles le faisaient pour les besoins de leur propre défense.

Les avocats ne sont pas tenus au secret de l’instruction car ils n’y concourent pas. Ils doivent en revanche respecter le secret professionnel qui les lie, et qui recouvre ce qu’ils peuvent savoir d’une instruction en cours.

    • Quelle est la sanction de la violation du secret ?

 La méconnaissance du secret de l’instruction n’entraîne pas la nullité de la procédure sauf si cette méconnaissance et cette violation du secret a été contemporaine au déroulement de l’acte considéré, et si cette violation a porté atteinte à l’intérêt de l’une des parties. On pense à une affaire où un juge d’instruction avait décidé d’effectuer une perquisition et avait convoqué des journalistes pour filmer en direct la perquisition. La Cour de cassation a ainsi jugé l’opération nulle car la violation était contemporaine du déroulement de l’instruction.

En dehors de cette sanction procédurale, on a une sanction pénale. La violation du secret de l’instruction est un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. À cela s’ajoute que la violation du secret de l’instruction est parfois légitimée par un fait justificatif. Il est ainsi prévu par l’article 11 que le procureur de la république peut rendre publics certains éléments d’une procédure d’instruction en cours. Il peut faire état d’éléments objectifs de cette procédure.

  • 2. Le caractère écrit et non contradictoire de l’instruction

 Il est exact qu’à l’origine, l’instruction était écrite et non contradictoire . L’importance de la parole et donc des plaidoiries des avocats était donc limitée, et cela signifie aussi que la personne mise en cause n’avait pas le droit à un avocat, et ne pouvait administrer ses preuves.

Tout ceci est maintenant révolu. De plus en plus, le ministère de la justice encourage la numérisation des procédures, qui toutefois ne remet pas en cause le caractère écrit. Néanmoins, l’importance de la parole est croissante au stade de l’instruction. Il y a toujours une large place à l’écrit comme le procès-verbal d’interrogatoire d’une personne.

De même, devant la chambre de l’instruction, la procédure a un caractère écrit marqué. L’avocat de la personne mise en examen ou de la partie civile dépose un mémoire devant la chambre de l’instruction, un document écrit. Il est juste prévu qu’à l’audience, les parties peuvent faire de simples observations sommaires. On a donc encore des traces de l’importance du caractère écrit. L’oralité prend tout de même une place croissante, notamment pour renforcer les droits de la défense.

Devant la chambre de l’instruction, il est maintenant prévu que les parties puissent comparaître en personne devant cette juridiction. Ceci est fait à l’initiative de la chambre de l’instruction ou, si la question débattue est celle de la détention provisoire, à la demande de la personne mise en examen ou de son avocat.

On ne peut donc plus dire que la procédure d’instruction est exclusivement écrite, tout comme on ne peut plus dire qu’elle est non contradictoire. En effet, depuis 1897 et la loi Constans, il est prévu que la personne mise en examen a droit à la présence d’un avocat. Ensuite, ce droit a été étendu aux parties civiles . Ces avocats ont ensuite accès au dossier et ils ont également la possibilité de former des recours contre les décisions des juridictions d’instruction, comme la possibilité de faire appel. Depuis 1993, les parties privées peuvent introduire une requête en annulation pour obtenir les pièces de la procédure qu’elles considéreraient comme entachées de nullité.

Depuis 1993, le juge d’instruction a cessé d’être le seul maître de l’instruction s’agissant de la recherche de la vérité . Le juge effectuait en effet les actes qu’il voulait. Si les parties privées lui demandaient des recherches, il était libre de sa décision. Depuis 1993, cela est révolu : les parties privées peuvent réclamer les investigations qu’elles jugent utiles à la découverte de la vérité . Depuis cette date, le juge d’instruction est une sorte de détective public gratuit à la disposition des parties privées qui n’ont pas les mêmes moyens que le parquet pour réunir des preuves conformes à leurs intérêts.

Section 2 : La persistance de la nature inquisitoire de l’instruction

 En dépit de cette évolution, on trouve encore les caractères principaux de la nature inquisitoire de l’instruction. En effet, le rôle des juridictions d’instruction est double. Le juge d’instruction est un enquêteur qui enquête à charge et à décharge . En même temps, ce juge est une juridiction . C’est ce que l’on a souvent dénoncé comme étant la schizophrénie du juge d’instruction, qui ne peut se démentir lui-même. Badinter a eu une formule célèbre : « il est à la fois Maigret et Salomon et on ne peut pas être les deux en même temps ». Il faut donc trouver des remèdes.

L’un de ces remèdes a été d’ôter à ces juridictions d’instruction le pouvoir de procéder à une mise en détention provisoire. Depuis 2000, le placement en détention provisoire est décidé par le juge des libertés et de la détention. Il n’y a donc plus de schizophrénie.

Ensuite, un des remèdes auquel on a songé, a été de confier les décisions les plus importantes à des juridictions collégiales. C’est ce remède que l’on a ressuscité et qui devrait arriver le 1er janvier 2011 avec la collégialité de l’instruction. Actuellement, le remède proposé est plus radical : la suppression des juges d’instruction. Ce juge sera remplacé par le procureur, pour aller vers une autre schizophrénie, celle du parquet qui sera encore pire.

Dans le projet, l’instruction disparaît. L’actuelle instruction sera fondue au sein d’une enquête judiciaire qui serait faite à charge et à décharge par le ministère public. Le ministère public est partie à l’action publique, il est demandeur en sorte que la schizophrénie du juge d’instruction est pire s’agissant du parquet. La partie à l’action publique serait en même temps l’enquêteur.

Sous-titre I. Les actes d’information

 Ce sont ceux qui tendent à la recherche de la vérité, par opposition aux décisions juridictionnelles. On retrouve la double casquette des juridictions d’instruction. C’est ici l’article 81 du Code de Procédure Pénale qu’il faut citer, qui autorise le juge d’instruction à accomplir tous les actes qu’il juge utile à la manifestation de la vérité, conformément à la loi . Les quatre derniers mots disparaissent dans l’avant projet.

En réalité, cette formule de l’article 81, avec cette réserve, fait allusion à une règle fondamentale : une juridiction d’instruction peut effectuer tous les actes qu’elle juge utile, avec une précision. Si cet acte est de nature à porter atteinte à une liberté individuelle, il doit être autorisé par la loi , d’où la réserve de l’article 81 qui disparaît d’ailleurs dans le projet de réforme. Il y a donc une réglementation des actes tendant à la découverte de la vérité, actes qui menacent les libertés individuelles et qui doivent faire l’objet d’une régulation légale.

On évoque notamment le transport sur les lieux, la possibilité pour le juge d’instruction d’aller sur les lieux pour effectuer par exemple une reconstitution. Sont aussi réglementées les perquisitions et saisies. Il y a également la réglementation de l’opération d’infiltration, avec même une opération dite de sonorisation et de fixation d’image de certains lieux ou véhicules. Il s’agit donc, au cours de l’instruction, s’agissant de la criminalité organisée, d’autoriser la pose de micros ou de caméras dans le domicile de la personne que l’on soupçonne. Cela concerne aussi l’audition des témoins, les interrogatoires etc.

S’agissant des perquisitions, leur réglementation est équivalente à celle vue à propos de l’enquête de flagrance et notamment la possibilité de recourir à la contrainte, la règle étant celle selon laquelle le juge d’instruction, en tant que juge, peut recourir à la contrainte sans avoir besoin du consentement des intéressés.

S’agissant de l’expertise, cela suppose qu’apparaisse une question d’ordre technique dont la résolution dépend de l’avis d’un expert. Ce recours à l’expertise peut être décidé d’office par le juge d’instruction mais peut aussi intervenir à la demande du parquet ou des parties privées. En cas de refus du juge d’accorder une expertise, un appel est possible devant la chambre de l’instruction.

Le principe est celui de l’expert unique. On ne désigne qu’un expert par opération. La raison est budgétaire, une modification ayant été introduite pour que les parties puissent adjoindre le choix d’un expert choisi par le demandeur ou la partie civile, qui va se joindre à l’expert désigné. Si le juge d’instruction refuse de désigner ainsi un expert, on a un recours possible.

Ces conclusions de l’expert ne lient pas le juge, conformément au principe de liberté de la preuve. Ces conclusions peuvent être soumises à débat contradictoire, ce qui ouvre aux parties en question la possibilité de les contester en demandant une contre expertise, ou la possibilité de demander que le travail de l’expert soit complété en demandant un complément d’expertise. Le juge d’instruction n’est pas tenu par ces demandes, mais un appel est possible devant la chambre de l’instruction.

Chapitre 1. Les interrogatoires, auditions et confrontations

 Il s’agit d’opérations durant lesquelles on recueille les avis des parties, lors d’un interrogatoire, d’une audition ou d’une confrontation , selon l’article 114 du Code de Procédure Pénale. Cela soulève deux questions : la notion de ces opérations ainsi que la question de leur régularité.

Section 1 : Les notions d’interrogatoire, d’audition et de confrontation

La différence entre ces opérations tient à la qualité de l’auditeur du juge. La personne soumise à examen est soumise à interrogatoire. C’est la partie civile que l’on entend durant une audition. Quant à la confrontation, elle suppose l’audition commune de plusieurs personnes pour confronter leur point de vue.

La question qui s’est posée a été celle de savoir si la confrontation relève d’un régime particulier au motif que ce n’est pas un interrogatoire, ou si elle ne doit pas suivre le même régime que cet interrogatoire. En effet, si l’on confronte la personne mise en examen avec la partie civile ou un témoin, cette confrontation peut amener le juge à poser à la personne mise en examen des questions qu’elle aurait posé durant un interrogatoire, permettant de décider la culpabilité ou l’innocence de la personne .

On devrait donc donner un même régime juridique. Malheureusement, la jurisprudence et le Code de Procédure Pénale ne sont pas en faveur de cette uniformisation du régime juridique. Spécialement, la jurisprudence considère que la confrontation n’a pas à respecter toutes les règles applicables à l’interrogatoire . Le Code de Procédure Pénale n’est pas loin de ratifier cette solution.

Section 2 : La régularité des interrogatoires, auditions et confrontations

Au cours de ces opérations dangereuses pour la personne mise en examen, il faut instaurer des garanties ainsi données par le Code de Procédure Pénale. En premier lieu, conséquence de l’affaire d’Outreau, la personne mise en examen peut demander à être confrontée séparément avec chacun de ses accusateurs si la personne est hostile à la confrontation collective.

La deuxième garantie, qui vaut pour toutes les parties, est celle selon laquelle ces personnes ne peuvent être entendues qu’à la condition que leurs éventuels conseils soient en mesure d’être présents lors de ces procès. En effet, le Code de Procédure Pénale prévoit la possibilité pour les intéressés, de renoncer à cette présence. Pour que l’avocat soit présent en une autre qualité que celle d’alibi, la loi ajoute que l’avocat doit avoir accès au dossier 5 jours ouvrables au minimum avant la date de la confrontation ou de l’interrogatoire, de telle sorte qu’il assiste à cette opération fort de la connaissance du dossier pour répondre au nom de son client.

En troisième lieu, l’avocat doit être convoqué à cette opération dont il a accès au dossier, pour qu’il soit en mesure d’être présen t.

En quatrième lieu, au cours du premier entretien que le juge d’instruction aura avec la partie privée, la personne mise en examen ou la partie civile, le juge d’instruction devra les informer de certains de leurs droits au cours de la procédure . C’est le cas pour la personne mise en examen au cours de l’interrogatoire de première comparution. C’est la même chose pour la partie civile à l’occasion de sa première audition. Il s’agit d’informer qu’ils auront la possibilité de demander l’annulation d’une pièce qu’ils jugeraient irrégulière, ou de la possibilité de se servir du juge d’instruction comme d’un détective public etc.

Ces opérations se déroulent en présence du procureur de la république qui doit être averti de l’opération à venir . Au cours de l’interrogatoire, de la confrontation, les avocats peuvent poser des questions sauf opposition du juge qui déciderait que cette question est inopportune. Le cas échéant, si un avocat désirait poser cette question, et qu’elle a été refusée par le procureur, l’avocat peut demander à ce que cette question déclinée figure au procès verbal.

À cela s’ajoute que, dans certaines hypothèses, les interrogatoires de la personne mise en examen donnent lieu à un enregistrement audiovisuel. C’est le cas spécialement en matière de crime. L’idée est en effet que c’est le moyen d’éviter des contestations sur la réalité d’aveux donnés au cours d’un interrogatoire.

Chapitre 2. Les auditions du témoin assisté

 Cette qualité est nouvelle, puisqu’elle a été introduite en 1987. On voulait créer un statut intermédiaire entre celui de l’inculpé et celui du témoin. Le témoin assisté est plus qu’un témoin mais moins qu’une personne mise en examen. En conférant cette qualité à une personne, on lui permet de bénéficier de certains des droits qui appartiennent à une personne mise en examen. Par des réformes successives, les droits des témoins assistés n’ont cessé de s’accroître de telle sorte que le statut du témoin assisté se rapproche de plus en plus de celui d’une personne mise en examen.

La véritable différence est aujourd’hui que la personne mise en examen est partie à la procédure, contrairement au témoin assisté. Ainsi, il ne peut pas exercer les voies de recours et ne peut pas faire appel des ordonnances du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention.

C’est l’inconvénient de cette qualité, mais on y trouve des avantages. En effet, le témoin assisté ne peut pas être l’objet de mesures comme la détention provisoire, le contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence. Il reste que l’on est en présence d’une situation juridique monstrueuse.

Section 1 : Les bénéficiaires du statut de témoin assisté

Le témoin assisté a été mis en cause au cours de l’instruction. Il est mis en cause car on le soupçonne d’être l’auteur ou le complice des faits dont le juge est saisi. C’est la différence avec un témoin et l’élément de rapprochement avec la personne mise en examen. Cette mise en cause peut émaner du juge d’instruction ou d’une autre personne.

  • 1. La mise en cause par le juge d’instruction

La qualité de témoin assisté va être attribuée à certaines personnes car elle est mise en cause par diverses manières.

  • Cela peut se faire lorsqu’un juge d’instruction veut procéder à la mise en examen d’une personne, il procède à une première comparution. On peut envisager qu’à cause de cette première comparution, le juge renonce à ce projet. Il est alors possible de conférer à l’intéressé la qualité de témoin assisté selon l’article 116.

La règle s’explique de la manière suivante : le législateur a voulu de ces deux qualités, privilégier celle de témoin assisté et non celle de mis en examen. Cela n’est donc qu’à titre exceptionnel que l’on met en examen, qui fait figure de mesure subsidiaire. En effet, le législateur veut éviter que l’on confère à l’intéressé, une qualité que l’opinion considère comme trop accusatrice. Pour l’opinion, un inculpé est un coupable, et il a fallu trouver une nouvelle terminologie.

L’article 80-1 du Code de Procédure Pénale le dit expressément en affirmant que lorsque les indices nécessaires à la mise en examen sont réunis, indices graves ou concordant qui rendent vraisemblable que la personne est l’auteur des faits dont le juge est saisi, il est préconisé de faire de l’intéressé un témoin assisté, la mise en examen ne devant être décidée que si la qualité de témoin assisté ne paraît pas suffisante. (« Le juge d’instruction ne peut procéder à la mise en examen de la personne que s’il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté. »)

Inversement, si le juge d’instruction a décidé de mettre en examen une personne, elle peut demander à ce que l’on revienne sur cette décision pour lui conférer le statut de témoin assisté. Cela vient de l’article 80-1-1. Une demande en ce sens ne lie pas le juge, mais un appel est possible devant la chambre de l’instruction. En tout cas, si le juge d’instruction refuse, il doit, dans sa motivation, indiquer quels sont les indices graves ou concordants qui rendent compte de ce que l’intéressé est responsable des faits pour lesquels le juge est saisi. L’intéressé peut formuler cette demande dans les 6 mois de sa première comparution.

—   On trouve aussi l’hypothèse où le juge d’instruction a demandé contre quelqu’un un mandat de comparution, d’arrêt ou de dépôt. Si la personne concernée par le mandat n’est pas mise en examen par le juge, elle sera alors témoin assisté.

—    On trouve aussi l’hypothèse où le juge d’instruction a placé une personne en examen. On a possibilité d’un recours devant la chambre de l’instruction qui peut annuler cette mise en examen, pour conférer le statut de témoin assisté.

  • 2. Les autres hypothèses de mise en cause

Dans ces hypothèses, la mise en cause n’est donc pas le fait du juge d’instruction. De sorte que cette mise en cause ne suffit pas à faire acquérir le statut de témoin assisté.

Encore faut-il, en effet, pour que la personne devienne témoin assisté, que le juge d’instruction prenne l’initiative d’entendre cette personne mise en cause. Dans ce cas, le juge d’instruction maîtrise finalement le mécanisme. Il lui suffit de ne pas entendre la personne mise en cause pour qu’elle n’acquière pas le statut de témoin assisté. Si l’audition se produit, l’acquisition de la qualité de témoin assisté est obligatoire ou facultative selon les cas.

Le premier cas se présente dans deux hypothèses :

  • « Toute personne nommément visée par un réquisitoire introductif ou par un réquisitoire supplétif et qui n’est pas mise en examen ne peut être entendue que comme témoin assisté. » (article 113-1 Code de Procédure Pénale)
  • On a aussi l’hypothèse où la personne a été nommément mise en cause dans une plainte ou encore lorsqu’elle a été nominativement mise en cause par la victime au cours d’une audition ou d’une confrontation. Cela signifie que, dans la plainte ou la procédure, la partie civile a désigné une personne comme ayant commis l’infraction. La procédure est plus compliquée ici : lorsque le juge d’instruction va entendre cette personne nommée par la partie civile, il a la possibilité de l’entendre comme témoin mais il doit dire à cette personne qu’elle a été nominativement mise en cause par la partie civile et qu’elle peut demander le statut de témoin assisté. Si la personne dit au juge qu’elle veut être témoin assisté, alors cette qualité lui est obligatoirement donnée. (article 113-2)

Parfois, la mise en cause ne débouchera que facultativement à l’acquisition de qualité de témoin assisté. Cela se retrouve lorsque la mise en cause émane d’un témoin. Le Code de procédure pénal assimile à cette mise en cause par un témoin, l’hypothèse où il existe contre la personne des indices qui rendent vraisemblable qu’elle est l’auteur des faits. Ainsi, le juge d’instruction peut décider de confier à l’intéressé la qualité de témoin assisté et doit l’informer des droits qui lui sont conférés, comme pour la personne mise en examen.

Section 2 : Le statut du témoin assisté

 Le témoin assisté n’est pas un témoin. En effet, un témoin prête serment lorsqu’on l’entend, et pas le témoin assisté. Ce témoin assisté peut donc mentir sans encourir les peines du faux témoignage. Il n’est pas non plus un témoin qui n’a que des devoirs à porter son aide à l’œuvre de justice. Le témoin assisté a des droits, et en a beaucoup. Ce qui accentue la parenté entre ces deux qualités est le fait que leurs droits sont similaires. Un témoin assisté peut facilement être mis en examen.

  • 1. Les droits du témoin assisté

 Le premier et principal droit est celui à l’assistance d’un avocat. Par conséquent, comme l’avocat de la personne mise en examen, cet avocat est avisé des futures auditions de son client et peut accéder au dossier de la procédure avant cette audition. On voit donc le paradoxe de la situation, car normalement seule une partie accède au dossier de la procédure. En cours d’information, le témoin assisté peut demander à être confronté à la personne qui le met en cause à l’exclusion du procureur de la république. Comme la personne mise en examen, il peut refuser une confrontation collective et peut exiger une confrontation individuelle. Comme une personne mise en examen, il ne peut être entendu que par un magistrat. Ici, on lui accorde la possibilité d’accepter d’être entendu par un OPJ.

Il a aussi la possibilité d’introduire une requête en annulation contre des actes de la procédure qu’il considèrerait comme nuls . C’est donc souligner encore le caractère ambigu de sa qualité. Il introduit donc une requête en nullité devant la chambre de l’instruction qui va se prononcer dans un arrêt. Contre l’arrêt de la chambre de l’instruction, il est difficilement concevable que le témoin assisté ne puisse former un pourvoi, et la chambre criminelle a estimé que c’était possible, mais pour former une voie de recours, il faut être une partie. C’est incohérent juridiquement.

Il ne peut pas demander au juge d’instruction de demander les preuves nécessaires à l’établissement de la vérité. Cela n’est pas vrai des expertises : lorsqu’une expertise a eu lieu, le juge d’instruction peut, selon le texte, lui notifier les conclusions d’une expertise. Il peut donc demander un complément ou supplément d’expertise. À la différence de ce qui se passe pour les parties, si le juge d’instruction refuse, il n’y a pas d’appel possible.

On est en présence d’une construction juridique baroque. À l’issue de l’instruction, le témoin assisté et son avocat seront avisés par le juge d’instruction de l’ordonnance de règlement.

  • 2. La mise en examen du témoin assisté

Le témoin assisté peut, à tout moment de la procédure, réclamer sa mise en examen . C’est ainsi consacrer un droit à être mis en examen. On voit quel peut être l’intérêt de cette demande : c’est d’avoir la totalité des droits d’un mis en examen et pas seulement certains d’entre eux. C’est la possibilité pour lui, de devenir partie à la procédure. Si la qualité lui est conférée, il peut être mis en examen, placé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire.

Pour que ce passage d’une qualité à l’autre s’opère, les procédés sont simples. « À tout moment de la procédure, le témoin assisté peut, à l’occasion de son audition ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, demander au juge d’instruction à être mis en examen ; la personne est alors considérée comme mise en examen et elle bénéficie de l’ensemble des droits de la défense dès sa demande ou l’envoi de la lettre recommandée avec avis de réception » (article 113-6 du Code de Procédure Pénale). Dès le moment où il formule cette demande, il est considéré être mis en examen. Ainsi, le juge d’instruction n’est pas tenu de le mettre en examen pour que la personne le soit.

Toute décision du juge d’instruction (de renvoi devant une juridiction de jugement, de mise en accusation devant une cour d’assise) postule obligatoirement la mise en examen du témoin assisté, ce qui lui permettra de contester sa mise en examen, ainsi que son accusation.

 

Sous-titre II. Les décisions d’instruction

 Ce sont des décisions qui se rattachent non plus aux fonctions d’enquêteur mais aux fonctions de jugement. Ces décisions sont formulées par des ordonnances ou des arrêts pour la chambre d’instruction. Ces ordonnances sont des écrits du juge d’instruction  signés par lui et datés. Elles sont fort diverses, mais on peut faire apparaître qu’elles se rattachent à deux types de décision. Ici, le juge d’instruction se prononce sur les charges ou sur la liberté de la personne soupçonnée.

Chapitre 1. L’appréciation des charges

 Il ne faut pas confondre charges et preuves. Il s’agit de permettre à la juridiction d’arriver à l’intime conviction de la culpabilité. C’est le principe de l’intime conviction. Au stade de l’instruction, on ne parle pas de preuve mais de charge, car les charges n’ont pas pour objectif de dégager une certitude dans un sens ou un autre, mais de permettre au juge de dégager une vraisemblance qui laisse place au doute (p.ex une décision de renvoi : par la décision, le juge affirme qu’il est vraisemblable que la personne est l’auteur des faits).

Section 1 : Appréciation des charges lors de la mise en examen

 On parle de mise en examen et non d’inculpation depuis une loi du 4 janvier 1993. Du terme d’inculpé, qui signifiait coupable aux yeux de l’opinion, on lui substitua celui de mis en examen. Le mécanisme de la mise en examen est similaire à celui de l’inculpation, avec des conséquences comparables en tout point. C’est le type même de réforme inutile.

Sous-section 1 : Le mécanisme de la mise en examen

 Précisons qu’elle se produit à un moment précis. Elle intervient au moment où il est notifié à l’intéressé qu’on l’accuse des faits dont la juridiction est saisie. Cette notification est le fait du juge d’instruction et peut être aussi le fait d’une chambre de l’instruction. On accuse officiellement l’intéressé. Le juge va qualifier ces faits.

On peut mettre en examen une personne physique et une personne morale. Comment lui notifier sa mise en examen ? Par l’intermédiaire de son représentant légal. Lorsque l’on notifie au gérant d’une SARL qu’elle est mise en examen, lui n’est pas mis en examen car il n’est que le représentant de la personne morale. Il est possible de placer la personne morale en contrôle judiciaire.

À partir du moment où la mise en examen se produit, l’intéressé devient partie à la procédure. Reste à voir les conditions de fond et de forme.

  • 1. Les conditions de fond

 Depuis la réforme du 15 juin 2000 pour améliorer la présomption d’innocence, le législateur estime que, pour mettre en examen une personne, il faut que pèsent sur lui des charges lourdes. Il faut des indices graves ou concordants qui rendent vraisemblable que la personne ait pu participer aux faits qui sont présentés.

Cela signifie que si le juge d’instruction mettait en examen une personne contre qui ces charges n’existaient pas, cette mise en examen serait nulle. Il faudrait alors considérer la personne comme témoin assisté. Cette mise en examen irrégulière serait soumise à annulation au pouvoir de la chambre de l’instruction. Si la chambre annule une mise en examen, l’intéressé devient automatiquement témoin assisté.

Cette innovation de la loi de juin 2000 est paradoxale, et cela confirme que rien n’est simple en procédure pénale. En exigeant des indices particulièrement lourds, graves ou concordants, l’objectif du législateur était de protéger la présomption d’innocence. L’enfer est pavé de bonnes intentions : cette loi ne protège absolument pas mieux la présomption d’innocence. Pour mettre une personne en examen, il faut qu’il soit vraisemblable qu’il soit l’auteur des faits, soit la personne vraisemblablement coupable. Le cas échéant, la mise  en examen produit l’effet contraire de celui désiré, car l’opinion portera pour acquis la culpabilité de la personne.

Le juge d’instruction préfère alors généralement la qualité de témoin assisté. En effet, même en présence d’indices de cette nature, le juge doit donner la qualité de témoin assisté et ne recourir à la mise en examen que s’il estime ne pas pouvoir en faire autrement, soit le placer en détention provisoire.

La mise en examen, lorsqu’il y a des indices graves et concordants, n’est jamais obligatoire et fait figure d’exception par rapport à la qualification de témoin assisté. Le législateur demande au juge de ne franchir l’étape de mise en examen que lorsqu’il estime qu’il faut prendre des mesures attentatoires à la liberté de l’intéressé. Cette position du législateur est dangereuse selon Philippe Conte. En effet, le juge d’instruction a la possibilité de priver l’intéressé de la qualité de mis en examen et par là même, la qualité de partie à la procédure.

Ce danger est-il réel ? Pas tant que cela, car on trouve des parades à ce danger. La parade la plus importante est l’article 105 du Code de Procédure Pénale qui dispose qu’un juge ne peut entendre en tant témoin celui contre lequel pèsent des indices graves ou concordants. Il s’agit de la prohibition des inculpations tardives. L’article 105 évite qu’une personne qui remplit les conditions pour être mise en examen soit artificiellement maintenue au rang d’un simple témoin. Soit elle sera entendue comme mis en examen, soit elle sera entendue comme témoin assisté, mais pas comme témoin tout court.

L’article 105 vise la personne entendue et si elle est entendue, il aura fallu lui donner une des deux qualités. Le danger semble donc écarté. Mais pour que l’article opère et que sa garantie joue, il faut un bon vouloir du juge d’instruction lui-même, qui aura décidé d’entendre l’intéressé. Il peut, en effet, être maintenu au rang d’un tiers à la procédure si le juge d’instruction évite de l’entendre.

Un témoin assisté peut, à tout moment, demander sa mise en examen. Or, pour faire cette demande, il n’est pas nécessaire que le témoin assisté soit entendu par le juge, il peut le devenir par simple lettre recommandée avec accusé de réception (article 113-6 du Code de Procédure Pénale). C’est donc ce témoin assisté qui demande cette initiative que le juge d’instruction ne peut pas paralyser.

Le Code de Procédure Pénale affirme que l’instruction doit être à charge et à décharge, en conséquence de quoi, lorsqu’en cours d’instruction, vont apparaître contre une personne, des indices graves et/ou concordants, le juge d’instruction a donc le devoir de mettre en examen l’intéressé ou d’en faire un témoin assisté. C’est un devoir de conscience car il n’y a aucune disposition du Code de Procédure Pénale qui en assure le respect, pas même les articles 105 et 113-6.

  • 2. Conditions de forme

 La mise en examen est un moment grave car on accuse officiellement une personne. Il est alors naturel que les conditions de forme de la mise en examen soient très sourcilleuses pour assurer les droits de la défense. Le législateur a voulu que cette procédure se produise en plusieurs temps : d’abord, la mise en examen ne doit pas lui tomber sur les épaules. Elle doit commencer par une prévention où l’on dit à la personne qu’elle va être mise en examen pour qu’elle puisse préparer sa défense, afin de dissuader le juge de cette mesure de mise en examen.

Cela suppose donc que, avant que l’on procède à la mise en examen, l’intéressé soit entendu avec l’assistance d’un avocat et ensuite, si la mise en examen est décidée, cela suppose que l’on fasse connaître à l’intéressé les fait précis qu’on lui reproche et avec quelle qualification.

 Immédiatement, on a vu la nécessité de distinguer deux cas : la personne était déjà témoin assisté et il a déjà l’assistance d’un avocat. Il se peut au contraire que la personne soit un tiers à la procédure. Par conséquent, on a deux types de procédure de mise en examen selon qu’elle était ou non déjà témoin assisté.

  • a) La personne qui n’est pas témoin assisté

 La mise en examen peut se produire selon différentes procédures.

  • D’abord, il se peut que le juge d’instruction veuille mettre en examen une personne qui n’est pas présente. Il peut procéder à cette mise en examen par l’envoi d’une lettre recommandée par laquelle il convoque l’intéressé à une première comparution qui se déroulera dans un délai de 10 jours à 2 mois. Il est aussi possible de convoquer la personne par un OPJ. Cette lettre ou le document rendu par l’OPJ annonce l’intention du juge de mettre en examen l’intéressé, en précisant pour quels faits et sous quelle qualification, et informe du droit à l’assistance d’un avocat. S’il choisit un avocat, l’intéressé aura accès au dossier de la procédure et sera convoqué à la première comparution.
  • Il se peut aussi que l’intéressé soit déjà devant le juge d’instruction. Cette mise en examen se produira par l’entretien de première comparution qui va se dérouler sans convocation préalable. Au cours de cet entretien, le juge d’instruction va vérifier l’identité de l’intéressé, lui indiquer les faits de la mise en examen et leur qualification, et on va avoir, s’agissant du déroulement de la première comparution, deux possibilités.

Si l’intéressé a été convoqué sans être préalablement présent, et s’il s’est présenté avec son avocat, la première comparution sera suivie d’un interrogatoire immédiat. Dans les autres cas, l’intéressé n’est pas déjà assisté d’un avocat. Ainsi, la première comparution se continue par l’avis donné à la personne lui disant qu’elle peut être assistée d’un avocat. Elle peut en choisir un ou s’en faire désigner un d’office. L’avocat doit être informé sans délai.

Ensuite, le juge d’instruction avertit la personne qu’elle a le choix entre plusieurs possibilités : celle de se taire et celle de faire une déclaration. Pour faire des déclarations, il faut que l’avocat soit présent. S’il n’y a pas d’avocat, la première comparution ne peut donner lieu à un interrogatoire sauf procédure d’urgence de l’article 117 du Code de Procédure Pénale. Cela concerne le cas où un témoin est en danger de mort, s’il y a des indices sur le point de disparaître ou si l’instruction a été ouverte sur les lieux d’une enquête de flagrance.

Ensuite, la première comparution se prolonge par la décision du juge, qui peut renoncer à la mise en examen (p.ex les explications de l’intéressé ou son avocat l’ont fait changer d’avis). Deuxième hypothèse : il est possible que le juge d’instruction procède à la mise en examen suite à cette procédure. C’est à cet instant précis qu’est notifiée la mise en examen. En même temps, la personne mise en instruction est informée de ses droits et de la durée prévisible de la procédure sachant que, si cette procédure doit durer plus d’un an en matière correctionnelle ou plus de 18 mois en matière criminelle, la personne mise en examen aura la possibilité de demander au juge de clore son instruction.

  • b) La personne mise en examen était témoin assisté

L’hypothèse est réglée par l’article 113-8. Cette mise en examen peut intervenir selon deux modalités : le juge d’instruction convoque le témoin assisté à un interrogatoire et son avocat à qui il met le dossier à disposition, et le jour de l’interrogatoire, il notifie les faits pour lesquels il met en examen, informe des droits et du délai prévisible de la procédure.

 Il se peut aussi que le juge d’instruction mette en examen par lettre recommandée ayant le même contenu. Cette lettre recommandée peut être adressée à l’extrême fin de l’instruction, au moment où le juge d’instruction notifie au témoin assisté qu’il s’apprête à clore son instruction. On parle d’avis de « fin d’information ».

Sous-section 2 : Les conséquences de la mise en examen

 La personne mise en examen est alors partie à la procédure et a les droits de la défense. C’est l’aspect positif de la mise en examen. On pourra néanmoins prendre à l’encontre de la personne des mesures attentatoires à ses libertés.

  • 1. Les droits de la personne mise en examen

Ces droits tiennent à une série de prérogatives à distinguer selon l’assistance ou non d’un avocat.

 a) La personne non assistée d’un avocat

 Si la personne n’est pas assistée d’un avocat, elle a quatre prérogatives. Elle a ainsi le droit à l’information s’agissant du déroulement de l’instruction et notamment le droit d’obtenir la notification d’ordonnances (non-lieu ou renvoi), susceptibles d’appel. Elle a aussi le droit de se taire ou de se défendre et notamment si elle n’a plus comparu depuis plus de 4 mois. Elle peut donc demander à être entendue par le juge d’instruction à tout moment de l’instruction. Lorsqu’elle est entendue par le juge, elle l’est sans serment, ce qui lui confère le droit de mentir. Enfin, elle peut introduire des requêtes en information contre les actes qu’elle juge irréguliers.

Elle a la possibilité de solliciter certains actes d’information, de se servir du juge d’instruction comme d’un enquêteur public. Si le juge refuse ces demandes, il doit le faire par ordonnance susceptible d’appel.

L’intéressé a enfin le droit à une instruction d’une durée raisonnable d’un an ou 18 mois. Il peut demander au juge de clore son information. De la même manière, si le juge d’instruction n’accomplit aucun acte d’instruction pendant 4 mois consécutifs, la personne mise en examen peut demander à la chambre de l’instruction d’effectuer un contrôle pour vérifier si cette inaction est normale. Cela permettrait à la chambre d’instruction de dessaisir le juge d’instruction défaillant de l’affaire.

b) La personne assistée d’un avocat

 On trouve ici des prérogatives supplémentaires. Il est ainsi possible pour l’avocat d’avoir accès au dossier de la procédure. Il doit être convoqué aux interrogatoires et auditions de son client. Si la personne se trouve être placée en détention provisoire, il doit avoir une totale liberté de communication avec son client. Le choix de l’avocat peut se faire n’importe quand durant la procédure.

  • 2. Des atteintes à la liberté de la personne mise en examen

 Le principe de l’article 137 du Code de Procédure Pénale est que la personne mise en examen est maintenue en liberté, selon la présomption d’innocence. Le juge d’instruction peut décider de placer la personne sous contrôle judiciaire ou sous résidence surveillée, ou peut demander, à titre exceptionnel, un placement en détention provisoire au juge des libertés et de la détention.

Section 2 : Appréciation des charges et règlement de l’instruction

 Lorsque le juge d’instruction va estimer son instruction terminée, il va prendre la décision de la régler, on parle ainsi de « règlement de l’instruction ». Cette décision se manifeste par diverses ordonnances comme non-lieu, renvoi, mise en accusation. Un tel choix suppose qu’il se soit au préalable interrogé sur les charges recueillies à l’encontre de la personne mise en cause.

Sous-section 1 : La décision de régler l’instruction

 C’est au juge d’instruction qu’il appartient d’apprécier souverainement le moment où il faut régler l’instruction. Il n’est pas concevable que cette décision tombe sur les parties sans qu’elles n’en aient été averties. Par conséquent, le Code de Procédure Pénale impose au juge avant de décider du règlement, d’aviser les parties de sa décision à venir.

  • 1. La décision souveraine du juge de régler l’instruction

a) A l’initiative du juge d’instruction

 On veut dire que le magistrat instructeur est seul souverain dans l’appréciation de la fin de l’instruction. Toute juridiction d’instruction, qu’elle soit du premier ou du second degré, en charge de l’instruction, apprécie souverainement si son instruction est ou non en état d’être réglée. C’est là une illustration du principe de l’indépendance des juridictions d’instruction. La jurisprudence en a tiré des conséquences qui ne tombaient pas sous le sens : un juge d’instruction peut régler son instruction alors-même qu’un appel non tranché a été formé contre une de ses ordonnances.

De même, on considère qu’il peut régler son instruction sans avoir l’obligation préalable de mettre en examen une personne qui a été mise en cause au cours de cette instruction. Il suffit qu’il estime cette mise en examen inutile.

Il y a néanmoins à ce pouvoir étendu du juge, une limite à savoir que l’instruction, sur le modèle des préceptes de la CESDHLF, ne doit pas excéder un délai raisonnable. Le juge d’instruction est ainsi tenu de respecter ce délai. Il y a donc une contrainte au pouvoir souverain. Cette appréciation du délai raisonnable du délai d’instruction est délicate à mener. La jurisprudence considère qu’il faudra tenir compte d’un faisceau d’indice pour apprécier la durée raisonnable. Cela tient à la complexité des faits, la complexité des investigations à faire (p.ex en droit pénal des affaires), ou encore la façon dont les droits de la défense ont été exercés : Si la personne mise en examen est responsable de la durée de l’instruction, elle ne peut s’en plaindre par la suite.

Le législateur a alors voulu assigner à l’instruction des délais préfixés comme l’article 175-2 du Code de Procédure Pénale qui envisage que si, au bout de deux ans, une instruction n’est toujours pas terminée, le juge d’instruction doit justifier cette durée et doit le faire en précisant les perspectives de règlement de la procédure. Cette procédure, à compter des deux ans, est à renouvelée tous les 6 mois. Cette ordonnance sera transmise au président de la chambre de l’instruction qui pourra saisir la chambre de l’instruction pour exercer un contrôle sur cette durée. Si la durée est excessive, elle pourra évoquer l’affaire, s’emparant du dossier pour instruire (désaveu du juge) ou elle peut décider de renvoyer l’affaire au juge d’instruction, ce qui présuppose qu’elle estime que la durée est raisonnable.

On s’est alors demandé si, à l’encontre de cette ordonnance du juge d’instruction, un appel  était possible ? La réponse est négative. La chambre criminelle a jugé que si le juge d’instruction ne respecte pas cette procédure, il n’y a pas une cause de nullité de la procédure. En clair, cet article 175-2 ne sert à rien.

b) A l’initiative des parties

Le règlement de l’instruction peut aussi intervenir à l’initiative des parties. On trouve ainsi le procureur de la république qui a toujours la possibilité, par des réquisitions, de demander à la juridiction saisie de lui, de régler cette instruction s’il estime que la procédure est terminée et en l’état de connaître son règlement. Évidemment, les réquisitions du ministère public ne sont pas des ordres. Le juge d’instruction répond donc à ces réquisitions comme il le souhaite.

Pendant longtemps, seul le procureur a pu solliciter le juge pour régler la procédure. Depuis 1993, le législateur a fait une réforme importante en conférant aux parties privées une procédure parallèle. Ce pouvoir a alors été étendu au bénéfice du témoin assisté. Depuis cette réforme, les dispositions qui concernent le règlement de l’instruction par les parties privées figurent à l’article 175-1. Cet article dispose que les parties et le témoin assisté, ont la possibilité de demander au juge d’instruction de régler l’instruction.

Ce pouvoir pour les parties privées apparaît à un instant précis de la procédure. Lors de la première comparution devant le juge, il leur a indiqué la durée prévisible de la procédure. Si, à l’expiration de ce délai, la procédure est toujours en cours, les parties privées peuvent exercer leur prérogative. À défaut, ce pouvoir existe après 1 an en cas de délit ou après 18 mois en cas de crime. Une fois le juge saisi de cette demande, il devra répondre en terminant ou en continuant la procédure.

Si le juge d’instruction fait savoir qu’il compte prolonger ses investigations et ne répond pas à la demande, l’intéressé peut saisir directement le président de la chambre de l’instruction qui va jouer le rôle de filtre. Il va estimer s’il est utile ou non de réunir la chambre de l’instruction pour qu’elle se prononce sur celle-ci. Cette décision du président de la chambre de l’instruction est sans recours.

S’il saisit la chambre de l’instruction, elle exercera alors un contrôle sur la décision du juge ou, à la suite de son silence et éventuellement, elle affirmera qu’il faudra clore ou poursuivre l’instruction. Cette initiative des parties privées pour stimuler le juge, est renouvelable tous les 6 mois.

Si l’on suppose que le juge d’instruction souhaite régler l’instruction, cette décision va exiger qu’il suive une procédure précise.

  • 2. La procédure qui accompagne la décision du juge de régler l’instruction

 Cette procédure est complexe, mais cela est naturel car cette décision de régler l’instruction est grave, spécialement pour les parties. Le législateur a alors conclu qu’elles ne pouvaient être mises devant le fait accompli. Il faut que ces parties soient informées par avance du projet du juge de régler cette instruction. Le juge devra adresser un « avis préalable ». S’agissant du ministère public, il y aura juste communication du dossier de l’instruction afin que ce parquet puisse prendre ses réquisitions.

a) L’avis préalable aux parties privées

 Dès l’instant que le juge d’instruction envisage de régler cette instruction, il doit en aviser aussitôt les parties privées mais aussi le témoin assisté quand bien même il n’est pas partie. L’importance de cet avis est la suivante : à compter du moment où cet avis a été émis par le juge, il va ouvrir aux intéressés la possibilité dans un délai de 1 mois à  compter de l’avis ou de 3 mois si la personne est en détention provisoire, de faire des observations au juge sur son projet ou de faire des demandes de nullité. L’instruction s’apprête à être terminée, et on offre aux parties une ultime occasion de demander la nullité d’un acte de la procédure qui parvient à son délai.

S’agissant juste des parties civiles et des personnes mises en examen, elles retirent de cet avis la possibilité de faire la demande d’actes complémentaires. Si l’une des parties a exercé ces possibilités, les autres peuvent y répliquer. Ensuite, le juge d’instruction va communiquer l’affaire au procureur de la république.

b) La communication du dossier au parquet

Le procureur de la république va recevoir communication du dossier de l’instruction afin qu’il fasse connaître ses réquisitions dites définitives, et qu’il fasse connaître ses réquisitions quel qu’en soit le sens, qui doivent intervenir dans un délai d’un mois si une personne est en détention provisoire et de 3 mois dans le cas contraire.

Ces réquisitions sont communiquées aux avocats des parties afin de les tenir informées du contenu de ces réquisitions. Une fois de plus, le contenu de ces réquisitions, quel qu’il soit, ne s’impose pas au juge qui y donnera la suite qu’il veut.

S’agissant de cette indépendance, on trouve une réforme importante : avant, tant que le parquet ne prenait pas ses réquisitions définitives, le juge d’instruction ne pouvait régler l’instruction. Il y avait donc un moyen de pression du parquet sur le juge. On a donc eu une réforme au terme de laquelle, à la fin du délai, le juge d’instruction peut passer outre l’absence de réquisition du parquet.

Reste alors, cette procédure respectée, à voir quelle est la décision à prendre.

Sous-section 2 : Les ordonnances de règlement de l’instruction

Ces ordonnances qui vont mettre un terme à l’instruction, sont multiples. Il peut y avoir une ordonnance de renvoi (devant une juridiction de jugement), une ordonnance d’irresponsabilité pénale (pour trouble mental par exemple), une ordonnance de non-lieu, et en matière de crime une ordonnance de mise en accusation.

Toutes ces ordonnances obéissent à des règles communes. Ainsi, l’ordonnance de règlement indique la qualification des faits dont le juge est saisi et doit indiquer les motifs pour lesquels ce juge estime qu’il existe ou n’existe pas de charges suffisantes contre la personne. Cette motivation doit être faite non de manière abstraite mais au vu des réquisitions du ministère public et des observations que les parties privées ont pu faire lors de la procédure de l’avis préalable. On attend donc du juge une réponse précise aux réquisitions et observations.

Une des conséquences de l’affaire d’Outreau a été que l’on veut maintenant que le juge vise, dans cette motivation, les éléments à charge et les éléments à décharge. Si plusieurs personnes sont mises en examen, à la suite de l’affaire d’Outreau, on veut que cette motivation soit propre à chaque personne mise en examen.

Ces ordonnances de règlement doivent être portées à la connaissance des parties privées et de leur avocat le cas échéant. S’agissant du procureur de la république, si l’ordonnance n’est pas conforme à ses réquisitions, il doit être avisé du contenu de cette ordonnance par le greffier du juge d’instruction.

  • §1. L’ordonnance de renvoi

a) Les conditions du renvoi

Cette décision prise par le juge d’instruction de renvoyer la personne mise en examen devant une juridiction de jugement, présuppose que ce juge estime qu’il existe contre la personne des charges suffisantes, dont il doit rendre une motivation très précise. Le respect des droits de la défense nécessite aussi que, avant qu’une personne soit renvoyée devant une juridiction de jugement, elle ait été en mesure de s’expliquer. Il faut donc, avant toute décision de renvoi, que la personne renvoyée soit mise en examen car cela sera à l’occasion de cette mise en examen qu’elle pourra présenter sa défense.

Il sera possible de renvoyer une personne alors même qu’elle n’aura pas comparu devant le juge, dans l’hypothèse ou cette personne aura fait l’objet d’un mandat auquel elle se sera soustraite. Ce renvoi se fera devant la juridiction compétente : cela va dépendre de l’appréciation du juge. S’il estime que les faits sont une contravention, il prononcera le renvoi devant le tribunal de police ou le juge de proximité. S’il estime que les faits constituent un délit, l’ordonnance sera au bénéfice du tribunal correctionnel.

À préciser que, lorsque le juge prend une décision de renvoi, cette décision peut n’être que partielle. Par exemple, renvoyer certaines personnes mises en examen devant la juridiction de jugement et prononcer un non -lieu contre les autres. De même, en fonction de l’étendue de sa saisine, il sera possible de renvoyer l’intéressé devant le tribunal de police pour une partie des faits et devant le tribunal correctionnel pour l’autre partie des faits. En cas de renvoi partiel, si la personne mise en examen est renvoyée en jugement pour une partie des faits dont le juge est saisi, et que l’instruction se prolonge pour l’autre partie des faits, et si cette personne n’a pas été mise en examen pour les faits dont le juge continue d’instruire, elle bénéficie de la qualité de témoin assisté.

b) Conséquences

Lorsqu’une décision de renvoi intervient, il en résulte le règlement de l’instruction. Autrement dit, l’ordonnance met un terme à l’instruction. Ainsi, le juge d’instruction a épuisé sa saisine et est donc dessaisi de la procédure. Une fois cette ordonnance de renvoi devenue irrévocable, elle purge la procédure de ses vices éventuels. C’est une solution radicale : si les pièces étaient irrégulières, plus personne ne pourra se fonder sur l’irrégularité pour demander la nullité d’un acte. Cela se justifie car les parties auront déjà pu demander cette nullité pour irrégularité, par l’avis de fin d’information.

Cette ordonnance de renvoi ne peut pas être frappée d’appel par les parties privées, seulement par le ministère public. En effet, elle ne fait pas grief à leurs intérêts au motif que, devant la juridiction de jugement, leurs droits seront intacts et elles pourront discuter des éventuelles conclusions du juge d’instruction. Cette solution est contestable surtout pour la personne mise en examen.

C’est néanmoins la position traditionnelle connaissant deux tempéraments. Le premier tempérament, jurisprudentiel, se trouve devant une ordonnance de renvoi « complexe ». Il peut arriver que, lorsque le juge d’instruction rend une ordonnance de renvoi, implicitement, il prenne partie sur une question procédurale qui ouvrirait un appel possible aux parties privées s’il y répondait expressément. Voici un juge d’instruction prononçant le renvoi devant le tribunal correctionnel alors que la personne mise en examen a contesté sa compétence : en ce cas, il répond à la partie qu’il est compétent. En sorte qu’à travers cette décision de renvoi, il exprime une opinion sur la compétence, laquelle peut faire l’objet d’un appel. Si, en la forme, on a une ordonnance de renvoi, on a, en fait, une décision sur la compétence. Cette décision de renvoi est donc complexe.

On a un deuxième tempérament légal. C’est le cas où des parties privées estiment que les faits dont le juge est saisi et pour lequel il rend une ordonnance de renvoi, relèvent en réalité d’une qualification criminelle en sorte qu’elles estiment qu’il devrait y avoir une ordonnance de mise en accusation et non une ordonnance de renvoi. Ici, l’appel contre l’ordonnance de renvoi est possible.

Indépendamment de cette question des recours, le principe est que l’ordonnance de renvoi met un terme aux mesures attentatoires de la liberté de la personne mise en examen comme la détention provisoire ou l’assignation à résidence ou le contrôle judiciaire. Comme il n’est pas toujours souhaitable que l’individu soit laissé libre de ses faits et gestes, à titre exceptionnel, il est possible de le maintenir sous l’emprise de l’une de ces mesures jusqu’à la comparution devant la juridiction de renvoi.

Ce maintien de ces mesures se fera par une ordonnance distincte de cette ordonnance de renvoi, qui doit être motivée. Ainsi, le législateur fixe des délais de comparution : si la détention provisoire a été maintenue, elle ne peut l’être que dans un délai maximum de deux mois, et il faudra que la comparution intervienne dans ce délai sous peine de remise en liberté de l’intéressé, sauf prolongation exceptionnelle de deux mois.

Enfin, cette ordonnance, en dessaisissant la juridiction d’instruction, saisit la juridiction de jugement. Cette décision du juge est « attributive de compétence ». Cela signifie que cette décision ne s’impose pas à la juridiction de jugement qui peut, une fois saisie, estimer que le juge se trompe et qu’elle est incompétente.

  • §2. L’ordonnance de mise en accusation

 Ici, la juridiction d’instruction manifeste son intention de renvoyer l’intéressé devant une Cour d’assises, les faits relevant d’une qualification criminelle. Avant la réforme de 2000, jamais un juge d’instruction ne pouvait prendre une ordonnance de mise en accusation car l’instruction était à deux degrés.

À cette époque, en matière de crime, lorsque le juge d’instruction estimait son instruction terminée, son instruction devait être refaite par la chambre de l’instruction. Il rendait une ordonnance de transmission des pièces pour transmettre le dossier à la chambre de l’instruction, laquelle procédait au règlement de la procédure.

En 2000, on a introduit l’appel contre les arrêts de Cour d’assises, on a supprimé le deuxième degré obligatoire devant les chambres d’instruction. Ainsi, le juge d’instruction peut régler l’instruction lui-même, y compris en cas de crime, et peut rendre une ordonnance de mise en accusation. Simplement, l’effacement du rôle de la chambre de l’instruction n’est pas total, car on a un appel contre cette ordonnance. Ainsi, l’instruction sera soumise à la chambre de l’instruction.

Une fois cette ordonnance de mise en accusation irrévocable, elle aura l’effet radical de purger la procédure de ses éventuels vices. En outre, s’agissant des mesures attentatoires aux libertés individuelles, elle n’a pas les mêmes effets que l’ordonnance de renvoi. Concernant l’assignation à résidence ou la détention provisoire, ces mesures se prolongent jusqu’à la comparution devant la Cour d’assises sauf décision contraire. De même, la détention provisoire se prolonge automatiquement jusqu’à cette comparution avec la nécessité de fixer un délai de comparution qui ne soit pas trop long, ce délai étant fixé à un an en matière de crime avec la possibilité d’une prolongation exceptionnelle de 6 mois. Si l’intéressé n’a toujours pas comparu devant la Cour d’assises à l’issu de ce délai, il sera remis en liberté.

  • §3. L’ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

C’est une ordonnance apparue en 2008. Cela concerne les cas de démence du Code pénal. Auparavant, on rendait une ordonnance de non -lieu. On a eu des contestations de la part des victimes et des associations de victime qui se plaignaient du fait que la victime n’y trouvait pas son compte et ne pouvait pas faire son deuil. On trouve pourtant pour cela des cimetières et des cabinets de psychanalystes.

Sous la pression de ce lobby des associations de victimes, on a introduit cette réforme et cette ordonnance. Elle fait apparaître que la personne mise en examen est pénalement irresponsable de ses actes, mais qu’il y a contre elle des charges suffisantes.

On a pourtant des victimes qui ne sont pas contentes que seul le juge d’instruction le proclame, et veulent que la chambre d’instruction le dise. Il suffit que l’une des parties réclame à la chambre de l’instruction de statuer, et le juge d’instruction redevient privé de la possibilité de régler son instruction et va rendre une ordonnance de transmission des pièces à la chambre de l’instruction pour qu’elle rende un arrêt.

Dans tous ces cas, qu’il y ait ordonnance ou un arrêt, le juge d’instruction est dessaisi de telle sorte que l’instruction est terminée et il en résulte la fin de l’instruction, et de toute mesure attentatoire aux libertés. Comme l’intéressé qui ne relève pas du droit pénal, peut être dangereux, il est possible de prendre à son encontre des mesures de sûreté, et notamment le placement dans un établissement psychiatrique et des interdictions.

Le dément sera néanmoins civilement responsable. Les victimes auront donc droit à une réparation civile. La solution normale aurait été qu’en l’absence de condamnation pénale, les victimes doivent aller devant le tribunal civil. Pourtant, les victimes veulent la condamnation d’une juridiction répressive, ce qu’elles peuvent faire. On aura donc une réparation par le tribunal correctionnel dans le cas d’un délit.

  • §4. L’ordonnance de non-lieu

A) Les conditions de la décision

Ce non-lieu envisagé au titre des ordonnances de règlement, peut intervenir en réalité en cours de procédure. On appelle souvent cela une décision de « non-lieu partiel », ce qui signifie que le juge d’instruction va rendre une ordonnance de non-lieu à propos d’un fait, mais continue d’instruire à propos des autres. Dans un cas comme dans l’autre, cette décision de non-lieu peut s’expliquer par différentes raisons comme des raisons de fait ou des raisons de droit.

On trouve des raisons de fait car on n’a pas réussi à identifier l’auteur par exemple. On rendra alors une décision de non -lieu. On peut aussi avoir une ordonnance de non- lieu pour insuffisance des charges. Ces raisons de fait s’expliquent par des raisons de droit qui peuvent être diverses, les raisons tenant ainsi à la procédure car l’action publique est prescrite ou car les faits dont le juge n’était saisi ne relevaient d’aucune qualification pénale.

Le non-lieu se distingue alors de l’ordonnance de d’irrecevabilité de partie civile où le juge constate que la personne n’a pas les qualités pour se constituer partie civile. Il ne faut pas non plus confondre l’ordonnance de non-lieu avec l’ordonnance de refus d’informer. On a pourtant des éléments de rapprochement de ces ordonnances car les motivations peuvent être les mêmes.

S’agissant de la personne mise en examen, elle est mise hors de cause par cette ordonnance de non-lieu, ce qui va permettre de réagir aux éventuelles atteintes portées à la présomption de son innocence. Il pourra donc être donné publicité à cette décision de non-lieu. Cette décision mettra aussi un terme aux mesures qui ont pu prendre atteinte à ses libertés comme le contrôle judiciaire, la détention provisoire ou l’assignation à résidence.

S’agissant de la partie civile, elle peut faire appel de cette ordonnance de non-lieu selon l’article 186 du Code de Procédure Pénale. Pour le reste, à supposer que cette ordonnance de non-lieu soit définitive, la partie civile peut demander réparation devant une juridiction civile devant laquelle ces droits seront intactes puisque les décisions d’une juridiction d’instruction n’ont pas force de chose jugée au civil.

 Pour la partie civile, cette décision de non-lieu peut avoir pour conséquence qu’elle sera condamnée à payer une amende civile si elle a saisi le juge d’instruction par constitution initiale de partie civile fautive.

B) L’autorité de la décision de non-lieu

 En tant qu’ordonnance de règlement, la décision de non-lieu va dessaisir la juridiction d’instruction. L’instruction est donc, a priori, close. En réalité, cette décision de régler l’instruction n’est que provisoire. Par conséquent, il pourra y avoir à la suite d’un non-lieu une reprise de l’instruction, plus précisément une réouverture de celle-ci. Encore faut-il savoir à quelle condition et par quel procédé. On a coutume de distinguer deux types de non-lieu : les ordonnances motivées en droit et en fait.

1) Le non-lieu motivé en droit

 Lorsque la décision de non-lieu prend appui sur un motif de droit, la clôture de l’instruction est définitive et il n’est pas envisageable qu’elle puisse un jour être rouverte. Ainsi, l’affaire est enterrée et elle ne pourra jamais ressortir du néant judiciaire dans lequel elle est plongée car toute autre voie de contournement qui serait utilisée pour la ressusciter est vouée à l’échec.

 L’autorité qui s’attache à la décision de non-lieu est une autorité absolue. On veut ici signifier que cette autorité pourrait être invoquée par toute personne même non mise en examen au cours de cette instruction, si d’aventure on voudrait l’impliquer dans cette affaire.

 En réalité, les choses sont plus compliquées car on doit convenir que, même si la motivation est de droit, il peut y avoir une réouverture de l’instruction. Ainsi, il y a eu décision de non-lieu au motif que l’action publique était prescrite et un élément nouveau fait apparaître que l’on s’est trompé et qu’il n’y avait pas prescription. Tout le monde est d’accord pour admettre qu’il y aura ici réouverture.

2) Le non-lieu motivé en fait

 C’est dans ce cas qu’il pourra y avoir réouverture de l’instruction. Parallèlement, s’il peut y avoir réouverture de l’instruction, il pourra y avoir citation directe pour les faits envers lesquels il y a eu non-lieu. On admet donc qu’il peut y avoir reprise de la procédure au stade de l’instruction ou devant une juridiction de jugement.

  • a) La réouverture de l’instruction

 C’est l’article 188 du Code de Procédure Pénale qui prévoit cette possible réouverture de l’instruction. Il prévoit en effet que la procédure puisse être rouverte à l’encontre de la personne précédemment mise en examen et donc bénéficiaire du non-lieu. Pourtant, on trouve des conditions : qu’après le non- lieu apparaissent des charges nouvelles et que le ministère public demande cette réouverture. On exclut la partie civile au nom de la présomption d’innocence.

Les pouvoirs de la partie civile sont de déclencher l’action publique. Or, rouvrir l’instruction n’est pas du ressort de ce déclenchement. Si le parquet rouvre l’instruction, cette partie civile récupère néanmoins l’intégralité de ses droits dans l’instruction précédente. Pour éviter que la partie civile s’acharne sur la personne qui a bénéficié de la décision de non-lieu, la jurisprudence a été vigilante : elle a systématiquement fermé au nez de la partie civile les voies de contournement possibles auxquelles on pouvait songer.

Ainsi, on pouvait imaginer une partie civile se constituer partie civile après cette instruction à propos des mêmes faits, ce qui n’est pas recevable. On fermera aussi toujours à la partie civile une autre possibilité de contournement qui consiste à citer directement la personne qui a bénéficié d’un non-lieu pour les mêmes faits. Il faut des charges nouvelles. Par charge nouvelle, on entend toute charge non soumise au juge d’instruction avant le non -lieu. Il peut, ce faisant, modifier son appréciation. Encore faut-il qu’il s’agisse de charges nouvelles.

La chose serait différente, le problème ne se posant plus, si l’on demandait une instruction pour escroquerie par exemple, pour des faits différents. Il serait possible d’ouvrir une nouvelle instruction, mais ce serait une autre instruction que l’on ouvrirait, ce à quoi rien ne s’oppose.

L’article 188, lorsqu’il envisage la réouverture d’une instruction, le fait à l’encontre d’une personne mise en examen avant le non-lieu. Si l’on interprète ce texte, il faudrait dire que toutes les conditions que l’on vient de voir ne sont pas applicables si l’on voulait reprendre l’instruction contre une personne non mise en examen qui est protégée d’une réouverture intempestive.

La Cour de cassation a néanmoins considéré que ces conditions protectrices de la mise en examen, devaient être bénéfiques à des personnes dans une situation comparable à la personne mise en examen. Ainsi, après une décision de non-lieu, la partie civile ne peut pas demander la réouverture de l’instruction à l’encontre d’une personne qui a été simplement mise en cause au cours de l’instruction. Le problème est que la notion de personne mise en cause est une notion floue. On pense néanmoins qu’a été mise en cause p.ex la personne qui a été désignée dans la plainte avec constitution de partie civile. Si, par la suite, au cours de l’instruction, cette personne n’a pas été mise en examen, elle est protégée par les mécanismes vus.

L’idée derrière cette jurisprudence est que, lorsqu’un juge rend une ordonnance de non-lieu elle bénéficie à la personne mise en examen. Il y a pourtant dans cette décision ce qui est dit et sous-entendu. Le juge a ainsi du s’interroger sur tous ceux qui ont été mis en cause dans cette procédure. Ainsi, la jurisprudence admet que ces personnes mises en cause puissent invoquer la décision de chose jugée quant à l’ordonnance de non-lieu et puissent l’invoquer.

  • b) La citation directe

Peut-on, après une décision de non-lieu, faire une citation directe ? Il est interdit que l’on instruise et juge en même temps pour les mêmes faits. Rien ne s’oppose pourtant que l’on juge si l’instruction est terminée. Il est seulement interdit que les deux se fassent en même temps. Pourtant, il y a eu non-lieu et il est assez légitime qu’après une telle décision, on ne puisse gratuitement s’acharner contre celui qui bénéficie de cette décision. On ne peut pas admettre que l’on remette en permanence une décision contre une personne mise hors de cause.

Ainsi, l’idée est apparue que l’on ne devait pas permettre à la partie civile d’obtenir par le biais d’une citation directe ce qu’elle ne peut pas atteindre au stade de l’instruction. Cela a amené la Cour de cassation en chambres réunies, à décider que cette citation directe était possible à la condition que cette citation directe concerne une personne qui « n’a pas été l’objet de l’instruction ». A contrario, si par la citation directe, on veut revenir sur une personne ayant fait l’objet de l’instruction, cette citation se fera rejeter. C’est la solution de l’arrêt Société Botrans.

Cass. Ch. réunies, 24 avril 1961, Botrans, n° 59-95.402 : Si la partie civile qui a saisi le juge d’instruction ne peut abandonner la voie de l’instruction préparatoire pour traduire directement l’inculpé devant la juridiction correctionnelle, elle peut au contraire après la clôture de l’information, user de la voie de la citation directe contre une personne qui n’a pas été impliquée dans cette information.

Depuis cet arrêt, on se pose la question de savoir qui peut dire qu’il a fait l’objet de l’instruction ? Cette formule, parce qu’elle est vague, a suscité des débats jurisprudentiels. Cela concerne les personnes mises en cause, les personnes visées par la plainte, ou les personnes impliquées dans la procédure en qualité de témoin. C’est donc une solution extensive car, est protégée contre une citation directe, une personne entendue simplement comme témoin.

On a eu un autre courant jurisprudentiel plus restrictif qui ne parlait plus des témoins ou des personnes mises en causes, mais ne concernait que les personnes visées par la plainte avec constitution de partie civile. Toutes les autres pouvaient ainsi faire l’objet d’une citation directe. Dans les deux courants, parmi les personnes qui ont fait objet de la procédure, on ne vise pas la personne visée dans les réquisitions du parquet, ce qui est extravagant.

Néanmoins, dans des décisions plus récentes, la Cour de cassation est revenue sur le problème et a proposé une nouvelle interprétation de la personne objet de l’instruction. Dans un arrêt de 2008, est dit que l’on ne peut pas prononcer la citation directe de la personne mise en examen, du témoin assisté, de la personne nommément visée dans la plainte avec constitution de partie civile mais aussi la personne nommément visée dans les réquisitions du parquet. Dans cet arrêt de 2008, on se demandait s’il était possible de prononcer la citation directe d’une personne mise en cause au cours de l’instruction ? La partie civile avait effectivement désigné la personne comme coupable des faits. La Cour de cassation accepte la citation directe de cette personne malgré sa mise en cause.

Chapitre 3. Les décisions sur la liberté

 Il faudra prendre partie sur la liberté de la personne mise en examen. Le juge d’instruction et maintenant le juge des libertés et de la détention ont le pouvoir de restreindre la liberté d’aller et de venir de la personne mise en examen voire de la supprimer en cas de placement en détention provisoire.

 Ces mesures concernent la personne mise en examen et elle seule. Elles ne peuvent pas être décidées à l’encontre du témoin assisté. C’est ainsi la raison pour laquelle le juge d’instruction mettra une personne en détention provisoire. Ce placement n’est donc pas une « insulte à la présomption d’innocence ». En réalité, on confond, dans ce cas deux choses : il n’est pas possible de mettre en détention provisoire un innocent, mais il est possible de le faire à l’encontre d’une personne présumée innocente.

 Il faut en plus signaler qu’il y a la possibilité de délivrer, au cours d’une instruction, un certain nombre de mandats qui vont porter atteinte aux libertés, au point que certains vont procéder à une arrestation. On est donc conduit à envisager le cas des mandats puis celui des autres mesures.

Section 1 : Les mandats

Les mandats sont des écrits délivrés par un magistrat et notamment au stade de l’instruction par un juge d’instruction, un juge des libertés et de la détention ou un procureur de la république. Ces mandats peuvent être exécutés sur tout le territoire national, sont datés, signés et revêtus du sceau du magistrat et précisent l’identité de la personne contre laquelle ils sont décernés.

Ces mandats sont de plusieurs sortes et figurent aux articles 122 et suivants du Code de Procédure Pénale. Il en identifie 5 types : le mandat de recherche, de comparution, d’amener, d’arrêt et de dépôt. Il n’y a pas de mandat de perquisition.

  • Le mandat de recherche vise à placer une personne en garde à vue et ne peut donc être délivré qu’à l’encontre d’une personne contre qui il existe des raisons plausibles de penser que la personne a commis l’infraction ou tenté de le faire. L’OPJ a seul le pouvoir de recourir à la garde à vue.
  • On a aussi des mandats qui visent à faire comparaître la personne désignée devant le juge d’instruction. Cela concerne le mandat de comparution qui met la personne en demeure de se présenter devant le juge à la date et l’heure indiquées. Ce mandat n’est néanmoins pas contraignant. Si l’intéressé se refuser à exécuter le mandat, il faudra prendre des mesures plus contraignantes. Si la personne se présente, le juge devra procéder à un interrogatoire à l’issue duquel elle repartira libre sauf si le juge délivre alors un mandat de dépôt.
  • On trouve aussi le mandat d’amener, sorte de mandat de comparution contraignant : l’ordre est donné à la force publique de conduire la personne désignée devant le juge.
  • Intervient alors le mandat d’arrêt, contraignant comme le mandat d’amener à la différence que celui qui fait l’objet du mandat d’arrêt est introuvable, est en fuite. On a donc des commandements comme celui de rechercher l’intéresser puis de le conduire devant le juge.

Ces trois mandats de comparution ne peuvent être décernés contre une personne que si elle peut être mise en examen : il faut qu’il soit vraisemblable qu’elle ait participé aux faits pour lesquels le juge est saisi. Le juge devra donc mettre la personne en examen avant de l’interroger ou à tout le moins l’entendre en qualité de témoin assisté. En tant qu’ils sont contraignants, le mandat d’amener et le mandat d’arrêt permettent aux OPJ de rentrer dans le domicile de la personne avec les mêmes garanties que pour la perquisition.

  • Intervient finalement un dernier mandat à objectif différent : celui permettant de procéder à une mise en détention provisoire. Le mandat d’arrêt autorise donc à placer une personne en maison d’arrêt. Les jours que l’intéressé aura passés en maison d’arrêt rentreront dans le compte de la durée maximale de la détention provisoire. Il faut surtout évoquer le mandat de dépôt visant à permettre le placement en détention provisoire. Une fois la détention provisoire décidée par le juge des libertés et de la détention, un mandat de dépôt sera délivré, avec l’ordre au chef de l’établissement de recevoir et détenir l’intéressé.

Section 2 : Le placement sous contrôle judiciaire

 S’agissant d’une personne mise en examen, le principe est celui du maintien de la personne en liberté, en vertu de la présomption d’innocence. La décision de placer sous contrôle judiciaire fait donc exception. Il ne s’agit pas de supprimer la liberté de circulation, mais de contrôler la personne en lui imposant des interdictions. Cette décision peut être prise par le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention ou la chambre de l’instruction au second degré.

Sous-section 1 : La décision de placement sous contrôle judiciaire

 Cette décision de placement résulte d’une ordonnance du juge d’instruction ou d’un juge des libertés et de la détention, dans l’hypothèse où ce juge a été saisi pour décider d’une détention provisoire ou pour refuser cette détention en plaçant l’intéressé sous contrôle judiciaire.

Cette décision est notifiée à l’intéressé qui peut en faire appel, tout comme pour le ministère public. Cette décision de placement sous contrôle judiciaire peut intervenir à tout moment de, et notamment comme une condition de mise en liberté d’un détenu.

Il faut que la personne ait été mise en examen pour un crime ou un délit qui l’expose à une peine d’emprisonnement. Ce contrôle judiciaire apparaissant comme une dérogation au principe de liberté, n’est légitime que s’il est imposé par les nécessités de l’instruction, car on craint une fuite de l’intéressé, ou lorsqu’elle est imposée à titre de mesure de sûreté pour éviter la commission d’une nouvelle infraction.

 

Sous-section 2 : Le contrôle judiciaire

  • §1. Les obligations du contrôle judiciaire

 On a une liste limitative d’obligations ou d’interdictions que l’on pourra soumettre à la personne sous contrôle judiciaire. Il faut savoir que cette liste est à tout moment révisable, n’est jamais figée pendant l’instruction, et peut être révisée par le juge d’instruction ou à la demande de la personne mise en examen ou à la demande du procureur de la république. On peut ainsi ajouter ou supprimer des obligations données à la personne.

En cas de refus du juge, il y a un appel possible devant la chambre de l’instruction, par la personne ou le procureur de la république.

Ces obligations peuvent être imposées à une personne physique ou une personne morale. Si on envisage le sort des uns et des autres, on voit que pour les personnes physiques, la liste des obligations et interdictions est longue : on a des obligations de faire et de ne pas faire. Ainsi, l’article 138 Code de Procédure Pénale dresse un certain nombre d’obligations comme celle de se présenter régulièrement à un service ou une autorité. Cela peut aussi être la soumission à un examen ou traitement médical notamment aux fins de désintoxication. On a aussi l’obligation de fournir un cautionnement séparé en deux parties : l’une ayant pour objet de garantir la représentation de l’intéressé et l’autre destinée à garantir le versement effectif de la réparation due à la victime.

On a aussi la possibilité d’imposer à la personne une obligation de ne pas faire – des interdictions – comme l’interdiction de recevoir ou de rencontrer certaines personnes, de se livrer à certaines activités professionnelles, de détenir une arme.

S’agissant des personnes morales que l’on voudrait soumettre à un contrôle judiciaire, on a aussi une liste qui peut inviter à verser un cautionnement, ou la possibilité de prononcer certaines interdictions comme celle d’avoir des activités professionnelles précises.

  • §2. La durée du contrôle judiciaire

 On a un principe simple de la durée illimitée du contrôle judiciaire. On veut ici dire qu’il n’y a pas à renouveler périodiquement la décision. Une fois prise, cette décision a vocation à durer aussi longtemps que l’instruction elle-même.

On a des exceptions, notamment celle où le placement sous contrôle judiciaire pourra durer plus longtemps que l’instruction, ce qui est le cas en matière de crime, où le contrôle judiciaire a vocation à se prolonger jusqu’à la comparution devant la Cour d’assises.

Ensuite, on peut avoir une décision spéciale du juge d’instruction qui peut, en rendant l’ordonnance de règlement, par une ordonnance spéciale et distincte, la possibilité de décider du maintien du contrôle judiciaire jusqu’à la comparution devant la juridiction de jugement.

 Inversement, il est aussi possible que le contrôle judiciaire prenne fin avant l’ordonnance de règlement. Cela concerne l’hypothèse de la décision de mainlevée, ou car interviendra une détention provisoire.

  • A) La mainlevée

 Le juge d’instruction peut accorder une mainlevée du contrôle judiciaire en répondant à une demande de la personne mise en examen ou du procureur de la république. Lorsqu’il est saisi d’une demande de la personne mise en examen, il doit y répondre dans un délai de 5 jours et si le juge ne répond pas dans ce délai, l’intéressé peut saisir directement la chambre de l’instruction qui statuera elle-même sur cette demande de mainlevée. Si le juge d’instruction répond à la demande, il y a un appel possible de la part de la personne mise en examen devant la chambre de l’instruction. Le procureur de la république peut aussi faire appel des ordonnances du juge d’instruction.

  • B) Le remplacement du contrôle par une détention provisoire

 Cette hypothèse intervient lorsque le juge d’instruction estime que le contrôle judicaire n’est plus une mesure suffisante. Cela pourra être la sanction du fait que la personne mise en examen n’exécute pas les obligations du contrôle judiciaire. Cette sanction n’est pas automatique : le juge d’instruction peut prendre acte de ce que le contrôle judiciaire est un échec. Le juge d’instruction peut solliciter le juge des libertés et de la détention pour le faire ou peut maintenir le contrôle judiciaire, quitte à modifier les obligations et interdictions.

 S’agissant d’une personne morale, la violation des obligations du contrôle judiciaire constitue une infraction pénale incriminée par le Code pénal.

 

Section 3 : Le placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique

 C’est une mesure très récente car introduite par une loi de 2009, mais cela existait auparavant comme une modalité du contrôle judiciaire. Cette mesure oblige la personne mise en examen à demeurer à son domicile ou une résidence fixée par le juge, aux conditions fixées comme des horaires déterminées. Cela fait l’objet d’un contrôle à distance.

 Il est possible indépendamment de cette surveillance, d’y ajouter les obligations ou interdictions d’un contrôle judiciaire. Cette mesure suppose remplies des conditions : cela ne se fait qu’avec l’accord de l’intéressé car il y a une intrusion trop forte dans sa vie privée, et il faut que la peine prévue soit supérieure à deux ans, avec une insuffisance du simple contrôle judiciaire. Ce placement relève de la compétence du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention dans l’hypothèse où il a été sollicité et a refusé un placement en détention provisoire.

 Cette assignation est limitée à 6 mois maximum avec la possibilité d’un renouvellement pour deux mois. Il peut y avoir une mainlevée du juge à tout moment à l’initiative du juge ou par demande. Il peut aussi y avoir, dans le cas de non respect, un placement en détention provisoire à titre de sanction. Ainsi, la durée de cette assignation à résidence sera imputable sur la durée d’une peine privative de liberté qui sera prononcée ultérieurement à cette assignation.

Section 4 : Le placement en détention provisoire

 C’est une mesure présentée par le Code de Procédure Pénale comme exceptionnelle. Elle déroge au principe de liberté de la personne mise en examen et est une exception aux exceptions, puisque ce placement n’est possible que si une assignation à résidence ou un contrôle judiciaire sont insuffisant. Le législateur précise que cette mesure ne peut être prononcée que lorsque l’instruction l’impose ou à titre de mesure de sûreté pour éviter par exemple le renouvellement de l’infraction. Pour les mineurs, il faut que cette détention provisoire apparaisse comme « impossible à éviter ».

 Le placement en détention provisoire entraine l’incarcération du prévenu dans une maison d’arrêt, prison dans laquelle ne figurent que des détenus et des condamnés à une faible peine. Cela permet en principe un régime d’incarcération particulier, avec un placement individuel de jour et de nuit. On a donc un régime plus libéral que pour le condamné.

 Sous-section 1 : Les conditions préalables à la décision de placement

 La détention provisoire ne peut intervenir qu’à l’encontre d’une personne mise en examen pour un crime ou un délit si la peine est d’au moins 3 ans d’emprisonnement. À cela s’ajoute qu’elle est exclue pour certains délits comme les infractions de presse.

 Si une personne est soumise à un contrôle judiciaire ou à une assignation à résidence et ne respecte pas convenablement ces mesures, elle peut être placée en détention provisoire quelle que soit la durée de la peine encourue.

 Sous-section 2 : La décision de placement

  • §1. Les motifs de la décision de placement en détention provisoire

 Pour limiter le nombre des détentions provisoires, le législateur a prévu des conditions qui tiennent à des objectifs précis justifiant seuls le placement en détention provisoire, indépendamment d’exigences communes à tous ces motifs.

 On a eu d’innombrables réformes de la détention provisoire. Elle apparaît alors comme une mesure d’instruction ou comme une mesure de sûreté.

 Elle est une mesure d’instruction selon l’article 144 Code de Procédure Pénale. Elle ne peut ainsi être décidée que si elle apparaît comme l’unique moyen d’atteindre l’un des objectifs énumérés à l’article 144. C’est le moyen de conserver les preuves et indices matériels. C’est aussi le moyen d’empêcher des pressions sur les témoins, les victimes ou leur famille. C’est aussi un moyen d’empêcher la fuite ou une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices. Cela peut aussi servir à protéger la personne mise en examen. Cela peut aussi servir à mettre fin à l’infraction, mettre fin aux troubles à l’ordre public (motif passe-partout).

 La détention provisoire peut aussi opérer comme une mesure de sûreté essentiellement préventive. On peut en effet placer en détention provisoire une personne pour éviter le renouvellement de l’infraction.

 On trouve aussi des exigences communes à ces différents motifs ; le juge des libertés et de la détention va rendre une ordonnance qui doit contenir les considérations de fait et de droit qui démontrent que l’objectif poursuivi ne pourrait pas être atteint par un placement sous contrôle judiciaire ou par une assignation à résidence. Il faudra aussi que cette ordonnance contienne le motif du placement en détention provisoire : elle devra préciser les motifs parmi ceux énumérés à l’article 144. L’ordonnance devra enfin donner les conditions du placement en détention provisoire.

  • §2. Les formes de la décision de placement

 En dehors de la nécessité de donner un mandat de dépôt, le placement en détention provisoire est prescrit par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui aura été préalablement saisi par le juge d’instruction à cette fin. Cette ordonnance peut être frappée d’appel par le ministère public ou la personne mise en examen, étant entendu que cet appel n’a pas d’effet suspensif quitte à ce que la chambre d’instruction revienne sur la décision.

Lorsque le placement en détention provisoire est demandé par le procureur de la république, si le juge d’instruction refuse à la suite de cette demande, de saisir le juge des libertés et de la détention, il doit rendre une ordonnance de refus contre laquelle le procureur pourra faire appel. La chambre d’instruction jugera alors de la demande de transmission de au juge des libertés et de la détention. Dans les cas les plus graves, en matière de crime et les délits punis de 10 ans d’emprisonnement, on dispense au procureur cette procédure. Le procureur pourra saisir directement le juge des libertés et de la détention d’une demande de placement sous contrôle judiciaire.

Cela étant, cette décision du juge des libertés et de la détention, juge du siège, est grave. Par conséquent, cela justifie une procédure assez lourde selon laquelle le juge des libertés et de la détention, avant de prendre sa décision, devra organiser un débat contradictoire préalable au cours duquel il va entendre les réquisitions du ministère public et la défense de la personne. Cette audience est en principe publique. Avant cette audience, le juge des libertés et de la détention aura du informer l’intéressé à un avocat et à un délai pour préparer sa défense. Si la personne mise en examen ou son avocat réclame son délai, le débat préalable est reporté pour un délai maximum de 4 jours. Pendant cette période, l’intéressé sera placé en incarcération par une ordonnance du juge insusceptible d’appel.

 Sous-section 3 : La durée de la détention provisoire

  • §1. La durée maximale de la détention provisoire

 Le système est assez complexe puisque cette durée est déterminée par référence à deux séries de critères ; elle résulte des indications générales et abstraites données par la loi elle-même, qui fixe une durée maximale de principe de la détention provisoire. Ces indications générales et abstraites données par la loi doivent composer, dans chaque affaire, avec une appréciation plus concrète de cette durée par référence au « délai raisonnable de la détention provisoire ». Cela est un écho aux exigences de la CESDHLF. Cette durée maximale peut être réduite.

A) La durée maximale abstraite telle que fixée par la loi

 Les règles qui voient le législateur fixer une durée abstraite sont trop complexes. Cette complexité s’explique par l’impossibilité de prendre des décisions claires pour des raisons politiques. On a donc des formules complexes qui tiennent à la danse.

En matière de crime, les règles sont fixées par l’article 145-2. La durée maximale de la détention provisoire est en théorie d’un an. Parfois, ce maximum peut être dépassé. En effet, il peut donner lieu à une prolongation pour 6 mois selon la même procédure contradictoire devant le juge des libertés et de la détention. Il peut toutefois y avoir d’autres prolongations, selon la même procédure, avec une détention provisoire qui ne doit pas excéder certains maxima. Ces maxima sont de deux ans si la peine encourue est inférieure à 20 ans, sinon c’est de 3 ans. Cette prolongation sera faite par la chambre de l’instruction de 4 mois après ces 2 ou 3 ans. Cette nouvelle prolongation sera renouvelable une fois.

En matière de délit, on regarde l’article 145-1. La durée maximale est théoriquement de 4 mois. On a une prolongation possible par le juge des libertés et de la détention pour 4 mois avec débat contradictoire préalable. C’est une prolongation renouvelable pas plus d’un an. On aura ensuite une prolongation possible de 4 mois encore pour certains délits, par la chambre de l’instruction.

Dans tous ces cas de prolongation, il y a un appel possible de la part de la personne mise en examen.

B) L’appréciation de la durée raisonnable

 Le législateur a simplement recopié les exigences de la convention européenne (article 5§3). Le juge national devra donc déterminer si la durée raisonnable de la détention provisoire a été respectée, affaire par affaire. Cela a amené la jurisprudence à tenir compte par exemple de l’attitude du détenu lui-même. Les juges apprécieront aussi l’attitude des organes. La convention est d’applicabilité directe en droit interne, si bien que la chambre criminelle avait été conduite à vérifier que le délai était respecté.

Conformément aux solutions de la CJCE, le législateur, en 1996, a précisé qu’il y avait des hypothèses où une remise en liberté devait intervenir. Le Code de Procédure Pénale dit que la mise en liberté doit être prononcée dès que les conditions de la détention provisoire disparaissent. Elle doit aussi intervenir s’il apparaît qu’elle n’est plus nécessaire mais qu’un simple contrôle judiciaire est possible. La détention doit aussi cesser immédiatement dès lors qu’il n’y a plus de raison plausible de croire que la personne a participé à l’infraction. Si la remise en liberté n’intervient pas, c’est que la détention provisoire n’a pas été d’une durée raisonnable.

La Cour de cassation a ainsi dit que l’appréciation des juges du fond était souveraine. L’affirmation sur la durée raisonnable ou non de la durée raisonnable échappe donc au contrôle de la Cour de cassation.

 En revanche, la Cour européenne des droits de l’Homme se montre extrêmement sourcilleuse et se comporte comme une juge du fait, ce qui l’a amené à dire que la persistance de soupçons à l’encontre de la personne ne justifie plus la sanction « au bout d’un certain temps ».

Le souci de protéger l’ordre public pour éviter le renouvellement de l’infraction ne peut pas justifier de maintenir indéfiniment en détention. On peut donc relever que les articles 149 et suivants du Code de Procédure Pénale instaurent une procédure visant à réparer le préjudice moral ou matériel résultant d’une détention injustifiée ou lorsqu’elle est intervenue suite à une instruction ayant donné un non-lieu. Le 1er président de la Cour d’appel a donc le pouvoir d’accorder une réparation intégrale au prévenu. Cette réparation est à la charge de l’État qui peut exercer un recours contre le dénonciateur de mauvaise foi ou contre un faux témoin qui serait à l’origine de la décision de détention provisoire ou de sa prolongation inutile.

  • §2. La réduction de la durée de la détention provisoire

 La détention provisoire peut cesser par une décision de remise en liberté ou parce qu’intervient le règlement de l’instruction.

A) La décision de remise en liberté

 En toute matière, correctionnelle comme criminelle, il peut y avoir une décision de remettre en liberté la personne placée en détention provisoire, quitte à ce que cette décision de remise en liberté s’accompagne d’un placement sous contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence. Cette remise en liberté peut intervenir dans plusieurs hypothèses. Ainsi, cette décision est en principe de la compétence du juge d’instruction. Il a la possibilité de prendre cette décision d’office.

 Le législateur envisage spécialement que cette décision puisse être prise en cas de requalification des faits, dans l’hypothèse où le juge d’instruction viendrait à découvrir que ce qu’on pensait être un crime est un simple délit. La remise en liberté peut aussi intervenir à la demande de l’une des parties, c’est- à-dire à la demande du procureur de la république ou à la demande du prévenu ou de son avocat.

 Le juge d’instruction reste libre de sa réponse à ce type de demande et il est possible qu’il ne veuille pas faire droit à cette réclamation d’une mise en liberté. Si cela n’est pas le cas, il doit saisir le juge des libertés et de la détention. Il transmet le dossier de l’affaire à ce juge, avec un avis motivé. C’est donc le juge des libertés et de la détention qui va trancher cette question en dernière analyse, par une ordonnance qu’il va rendre en visant les motifs de la détention provisoire tels que vus précédemment et au regard du caractère suffisant ou non d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence. Le juge des libertés et de la détention est ainsi libre de son choix même s’il recueille les réquisitions du ministère public. Il peut ainsi refuser la mise en liberté demandée en indiquant ce qui justifie la poursuite de l’instruction et le délai prévisible d’achèvement de cette procédure. Ce refus ouvre un appel au procureur de la république, le détenu pouvant également exercer cette voie de recours.

 Lorsque la mise en liberté est accordée, elle est immédiate même s’il y a eu appel qui n’a ainsi pas d’effet suspensif. On considère cela comme une des illustrations de la présomption d’innocence car le détenu est alors présumé innocent.

 Ceci dit, une procédure particulière a été introduite par le législateur dans l’hypothèse où cette remise en liberté aurait été décidée contre les réquisitions contraires du ministère public. Dans ce cas, cette décision de remise en liberté doit être portée à la connaissance du procureur. Il faudra surseoir à la décision de remise en liberté dans un délai de 4h pour que le procureur puisse introduire un référé particulier que l’on appelle procédure du « référé-détention » ayant pour conséquence de suspendre l’application de l’ordonnance prononçant la remise en liberté. On réintroduit donc l’effet suspensif de l’appel.

 Il faut aussi faire état du fait que la chambre de l’instruction peut se prononcer sur cette remise en liberté. Par exemple, le Code de Procédure Pénale prévoit que lorsqu’un détenu n’a plus comparu devant le juge depuis plus de 4 mois, lui ou son avocat peuvent réclamer directement à la chambre de l’instruction la mise en liberté. C’est une procédure dérogatoire, en s’adressant directement à la juridiction d’instruction du second degré. Il est anormal qu’un détenu n’ait pas comparu ; il en découle que l’instruction ne se déroule donc pas comme il faudrait.

 Indépendamment de cette procédure, le président de la chambre de l’instruction peut se saisir d’une éventuelle difficulté : il peut saisir à tout moment la chambre de l’instruction pour qu’elle se prononce sur le maintien d’une détention provisoire. À cela s’ajoute que la chambre de l’instruction, dès lors qu’elle est saisie, et quelle que soit la cause de sa saisine, a toujours la possibilité de mettre à profit cette saisine pour contrôler la détention provisoire et prendre éventuellement la décision de mettre un détenu en liberté.

À supposer qu’une personne ait été mise en liberté après avoir été détenue, peut-on la placer de nouveau en détention provisoire ? La jurisprudence répond de manière positive en disant qu’une mise en liberté n’exclut pas un nouveau placement en détention, à la condition qu’il y ait des circonstances nouvelles qui justifie ce placement au regard des motifs de la détention provisoire et sous réserve que ces détentions cumulées ne dépassent pas la durée maximale de la détention.

B) Le règlement de l’instruction

 On a déjà vu cette hypothèse : l’ordonnance de règlement de l’instruction met un terme à la détention provisoire sauf décision exceptionnelle de prolonger cette détention jusqu’à la comparution de l’intéressé devant la juridiction de jugement. En matière criminelle, l’ordonnance de mise en accusation ne met pourtant pas fin à la détention provisoire, la règle étant que le détenu reste détenu jusqu’à sa comparution devant la Cour d’assises avec la nécessité que cette comparution intervienne dans des délais brefs : en principe 1 an, avec possibilité de prolongation.

 Sous-titre III. Le contrôle de l’instruction

 Les juridictions d’instruction instruisent en toute indépendance. Cette indépendance, dans un État de droit, ne doit pas être équivalente à l’arbitraire. On a donc un contrôle sur les décisions du juge d’instruction ou sur les décisions du juge des libertés et de la détention. Ce contrôle peut relever de la compétence de deux instances : du président de la chambre de l’instruction, du premier président de la Cour d’appel par opposition au contrôle qui est de la compétence naturelle de la chambre de l’instruction.

Chapitre 1. Le contrôle exercé par le président de la chambre de l’instruction et le premier président de la Cour d’appel

 Il faut ici comprendre que le président de la chambre de l’instruction est, en cette qualité, doté de prérogatives propres. Plus précisément, le législateur charge le président de la chambre de l’instruction de veiller au bon fonctionnement des cabinets d’instruction du ressort de la Cour d’appel. Dans un cas particulier, ce pouvoir est partagé avec le premier président de la Cour d’appel. Il est ici fait allusion à deux procédures qu’il est possible de mettre en parallèle que sont la procédure de référé-détention qu’on a alors l’occasion de mettre en parallèle avec et celle du référé liberté.

 Ces procédures sont peu utilisées, mais indiquent un certain esprit de la procédure pénale qui ne paraît pas indifférent à connaître.

 Section 1 : Le référé-liberté

 Il a pour objectif d’éviter un placement injustifié en détention provisoire. C’est donc une mesure à mettre au nombre de celles rencontrées, destinées à faire baisser le nombre de détentions provisoires. Cette procédure se présente alors de la manière suivante :

Il faut supposer qu’il y a eu une ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le juge des libertés et de la détention. Il faut qu’un appel ait été formé contre cette ordonnance, introduit par la personne mise en examen ou par le ministère public. Si cet appel a été introduit au plus tard le jour qui suit la décision de placement – délai court car le délai d’appel est normalement de 10 jours –, la personne mise en examen ou le procureur peuvent demander au président de la chambre de l’instruction d’examiner immédiatement leur recours sans attendre que la chambre de l’instruction elle-même se réunisse pour statuer sur cet appel. Cette demande au président de la chambre de l’instruction doit être effectuée au même moment que la formation de l’appel contre la mise en détention.

 Le président de la chambre de l’instruction va donc statuer sur cette demande en audience de cabinet dans les trois jours qui suivent sa formulation. Il le fait par une ordonnance qui n’est pas motivée et est donc sans recours. Le président de la chambre de l’instruction a donc deux possibilités :

  • il infirme la décision de placement en détention provisoire et il ordonne donc la mise en liberté de la personne avec éventuellement son placement sous contrôle judiciaire ou son assignation à résidence. Dans cette mesure, la chambre de l’instruction se trouve dessaisie de l’appel car le président de la chambre de l’instruction a lui-même tranché la difficulté.
  • Ce président peut aussi confirmer la décision et l’examen de l’appel viendra naturellement à la connaissance de la chambre l’instruction.

 Par la suite, le législateur, s’apercevant que cette procédure ne connaissait pas de succès, a ajouté la possibilité de demander que ce référé soit directement soumis à la chambre de l’instruction et non à son président. La durée pour statuer est alors plus longue ; 5 jours ouvrables.

Section 2 : Le référé-détention

 Il s’agit d’éviter, par ce référé, une mise en liberté injustifiée. Cela suppose que cette mise en liberté soit intervenue contre les réquisitions contraires du ministère public qui est immédiatement informé de cette décision, et qui dispose de 4h pour interjeter appel et en même temps pour saisir le premier président de la Cour d’appel afin qu’il déclare l’appel suspensif. L’objectif est d’éviter une exécution immédiate de l’ordonnance de mise en liberté en dépit de l’appel qui va avoir un effet suspensif.

 Le premier président de la Cour d’appel va donc statuer et doit le faire vite, dans les deux jours qui suivent la demande, alors que l’ordonnance de mise en liberté sera suspendue. Il va statuer par une décision qui n’ouvrira pas de recours. On a alors deux possibilités : qu’il maintienne la détention provisoire ou qu’il estime la décision de mise en liberté justifiée.

 Il peut donc estimer que le maintien en détention provisoire doit intervenir. Il va donc contredire la décision frappée d’appel. Il ne peut prendre cette décision que si le maintien en détention provisoire est « manifestement nécessaire au vu au moins des deux critères de l’article 144 Code de Procédure Pénale ». On aura une suspension jusqu’à l’audience de la chambre de l’instruction qui va statuer sur l’appel du ministère public. Il pourra aussi estimer qu’il n’y a pas lieu de suspendre les effets de cette ordonnance de mise en liberté et ordonnera ainsi la mise en liberté immédiate en attente de la décision de la chambre de l’instruction.

Chapitre 2. Le contrôle exercé par la chambre de l’instruction

 La chambre de l’instruction joue, dans notre système procédural, un rôle que le législateur a conçu comme essentiel. Elle n’est pas simplement, en tant que chambre particulière de la Cour d’appel, une juridiction d’appel. Elle l’est, mais est aussi davantage la tour de contrôle de l’instruction. Elle est « la juridiction d’instruction supérieure chargée à ce titre de veiller à la régularité de toutes les instructions qui se déroulent dans son ressort ».

 Par conséquent, puisque cette chambre n’est pas seulement une juridiction d’appel, elle a dans le Code de Procédure Pénale un rôle fondamental à jouer étant entendu que, dans les faits, cela est loin d’être le cas pour les raisons du manque de moyens mais aussi un certain conformisme des conseillers qui la composent pas toujours enclins à désavouer un juge d’instruction ou un juge des libertés et de la détention.

 Toujours est-il que, dans les débats « post-scandales » qui ont eu lieu suite à certaines affaires, on a beaucoup parlé des juges d’instruction mais jamais des chambres d’instruction. Or si l’instruction ne fonctionne pas, la responsabilité en incombe par hypothèse même aux chambres de l’instruction. La chambre de l’instruction a donc un rôle décisif dans les textes. Ce rôle est le rôle de juridiction d’appel mais aussi le rôle qu’elle joue quant au contrôle de la régularité des actes d’instruction.

Section 1 : Le contrôle de la légalité

Le contrôle de la légalité des actes d’instruction

Section 2 : La fonction de juridiction d’appel

La fonction de juridiction d’appel de la chambre de l’instruction

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