CHAPITRE VIII : LA PROCEDURE DU RECOURS EN ANNULATION (contentieux administratif belge)
I. Caractères généraux
- Cours de Contentieux administratif en Belgique
- Le contentieux de l’annulation en Belgique
- Les voies de recours contre le Conseil d’État belge
- Le contentieux de pleine juridiction en Belgique
- Le contentieux de l’indemnité en Belgique
- Suspension et référé en droit belge
- Les arrêts de rejet et d’annulation (droit belge)
A. Conception générale
Les règles de procédure devant le Conseil d’Etat découlent des caractéristiques du contentieux de l’annulation :
1°. Le contentieux est objectif :
– le recours en annulation ne consiste pas à invoquer un droit subjectif pour en obtenir le respect mais bien à ce qu’une violation du droit objectif soit mise à néant. Il ne faut donc pas, pour être partie, être victime d’une lésion d’un droit subjectif.
On pourrait donc croire que le recours pourrait être ouvert à tout le monde, ce qui en ferait une actio popularis ou un recours ouvert à l’initiative d’un MP. Mais là, on pourrait perturber l’administration et surcharger le Conseil d’Etat sans que quiconque n’y trouve de véritable satisfaction autre que l’esthétisme du droit.
On a donc opté pour un juste milieu : le recours en annulation n’est ouvert ni à tous, ni uniquement aux personnes directement lésées, mais à toute personne justifiant d’un intérêt.
– comme les parties ne demandent pas la satisfaction d’un droit subjectif, elles ne sont pas appelées « demandeur et défendeur » mais « requérant et partie adverse ».
Cependant, certaines législations récentes et la jurisprudences des chambres flamandes du Conseil d’Etat tendant à s’éloigner de cette terminologie.
2°. Le contentieux implique une inégalité de fait entre l’administré et l’autorité administrative :
La nature des choses fait que, devant le Conseil d’Etat, l’administré est en position de faiblesse.
Il lui est notamment difficile de fournir des preuves car il ne connaît pas l’existence de tous les actes préparatoires et, quand bien même il les connaîtrait, ceux-ci ne font en général l’objet que d’une publicité passive (il faut demander à les consulter et donc en connaître la référence).
Pour pallier à ce déséquilibre, on a prévu 2 choses :
– une procédure inquisitoriale : c’est le Conseil d’Etat qui mène l’instruction et il a pour cela des pouvoirs beaucoup plus étendus que l’administré. Il peut notamment contraindre une administration récalcitrante à rouvrir un dossier.
Le fait que le Conseil d’Etat dirige la procédure permet de plus une impartialité que les parties n’ont pas car, si elles pouvaient diriger le procès, elles feraient sûrement passer leur intérêt personnel avant l’intérêt général (et notamment le but 1er du recours en annulation, à savoir le rétablissement de l’ordre juridique).
Cependant, les parties ont l’obligation de collaborer à l’instruction. Si elles ne le font pas, elles en subiront les conséquences :
· si le requérant omet de déposer un mémoire ou s’il omet de demander la poursuite de la procédure suite à des conclusions de rejet de l’auditeur, il y aura présomption de perte d’intérêt ou de désistement.
· si la partie adverse omet de produire le dossier, il y aura présomption d’exactitude des faits allégués par le requérant.
– un renversement de la charge de la preuve : devant les juridictions judiciaires, on applique les règles « actori incumbit probatio »et « reus in excipiendo fit actor ».
Devant le Conseil d’Etat, le requérant ne doit pas prouver l’illégalité de l’acte qu’il attaque. Il doit simplement dire en quoi il estime cet acte illégal, et ce sera à la partie adverse de prouver le contraire. On estime en effet qu’elle est beaucoup mieux placée pour ça.
Ce système revient à créer à charge de l’acte attaqué une présomption d’illégalité.
3°. Le contentieux est une procédure en dernier recours :
Comme les décisions du Conseil d’Etat ne sont pas susceptibles de recours, on a voulu qu’il examine le dossier de façon particulièrement minutieuse. On a donc instauré une procédure de triple examen du dossier (double en référé) :
– l’auditeur examine en 1er le dossier : il en tire un rapport écrit qu’il soumet aux parties.
– un conseiller examine ensuite le dossier, le rapport de l’auditeur et les observations des parties : il en tire un rapport verbal qu’il présente à l’audience.
– la chambre en charge de l’affaire examine enfin le dossier et prend un arrêt.
B. Sources formelles
Les règles de procédure devant le Conseil d’Etat se retrouvent dans des lois et des AR. Mais c’est un peu le fouillis pour 2 raisons :
1°. En principe,
– la loi devrait contenir les règles ayant une incidence directe sur les droits des justiciables
– les AR devraient contenir les modalités plus techniques de mise en œuvre de la procédure
Mais en l’occurrence, ce n’est pas vraiment le cas et la répartition des règles entre lois et AR ne suit aucune logique.
2°. Le règlement de procédure n’a pas été adapté lorsque, en 1973, on a coordonné les lois sur le Conseil d’Etat et donc changé les n° d’articles. Il renvoie donc toujours aux anciens n°, ce qui n’améliore pas la clarté…
C. Curiosités périmées(à titre indicatif)
1. Référence aux procédures prévues « en matière sommaire »
Jusque 1990, les LCCE prévoyaient que le roi fixe la procédure devant le Conseil d’Etat en s’inspirant de la procédure « en matière sommaire » appliquée parfois aux juridictions civiles de 1ère instance. Mais ces procédures n’avaient plus cours depuis 1936 !
La disposition était donc :
– non seulement anachronique
– mais aussi inappropriée car les litiges portés devant le Conseil d’Etat ne sont pas toujours simples et requièrent, pour être bien jugés, une procédure qui n’est pas sommaire
2. Commissaire du gouvernement
En 1946, on avait prévu, en s’inspirant de la France, que le gouvernement pourrait faire intervenir un commissaire dans toute procédure en annulation afin qu’il indique la solution qui, en droit, devrait être donnée au litige.
Mais cette institution faisait double emploi avec :
– soit le défenseur de la partie adverse
– soit l’auditeur
Elle est donc vite tombée en désuétude mais malgré tout, l’auditeur général devait signaler tous les recours au 1er ministre afin qu’il puisse décider de nommer un commissaire (ce qu’il ne faisait jamais).
Cette obligation a disparu lorsque la disposition sur les commissaires a été abrogée en 1994.
D. Vue générale du déroulement de l’instance
L’instance se déroule en principe dans l’ordre suivant :
1°. Mesures préalables :
– le requérant dépose une requête introductive d’instance
– la partie adverse dépose un mémoire en réponse et le dossier administratif
– le requérant dépose un mémoire en réplique (ou un mémoire ampliatif si la partie adverse n’avait pas déposé de mémoire en réponse)
En parallèle, les tiers intéressés peuvent intervenir via une requête en intervention.
2°. Phase d’instruction :
– le dossier est transmis à l’auditeur qui fait son instruction puis rend un rapport
– le rapport de l’auditeur est notifié aux parties qui peuvent encore chacune déposer un dernier mémoire
3°. Phase de jugement :
– l’affaire est fixée
– l’audience a lieu : les parties plaident et l’auditeur donne son avis
– l’affaire est prise en délibéré
– la chambre en charge de l’affaire rend son arrêt
Selon les cas, ce schéma peut être abrégé ou compliqué (incidents et ordonnances prises en vue d’assurer le bon déroulement de l’instance et ne requérant aucun formalisme).
II. L’intérêt à agir
- Caractères requis
Pour que son recours en annulation soit recevable, le requérant doit justifier :
1°. Soit d’un intérêt : il doit être
– personnel
– actuel
– certain
– direct
– légitime
2°. Soit d’une lésion : à ce sujet, certains estiment que ce critère n’est pas vraiment utile puisque, dès lors qu’il y a lésion, il y a nécessairement intérêt. Mais il garde malgré tout une utilité puisqu’il permet de donner un sens large à la notion d’intérêt et d’estimer qu’il existe même quand les effets d’un acte ont été réparés si cet acte a, dans le passé, causé une lésion.
Par ex. certains se sont demandés s’il y avait un intérêt à agir lorsque les effets dommageables d’un acte ne pouvaient être réparés que par équivalent. Il y a 2 thèses :
– on peut dire qu’il n’y a pas d’intérêt à aller devant le Conseil d’Etat car les juridictions judiciaires peuvent très bien constater elles-mêmes l’illégalité de l’acte avant d’accorder une réparation par équivalent.
– on peut dire qu’il y a intérêt à aller devant le Conseil d’Etat car :
· le Conseil d’Etat est mieux placé que les juridictions judiciaires pour constater l’illégalité d’un acte (il a accès au dossier administratif)
· il est plus facile de plaider l’illégalité devant le Conseil d’Etat qui a l’habitude de cette matière
La jurisprudence dominante estime qu’il n’y a pas d’intérêt et qu’il faut agir directement devant le juge judiciaire qui constatera l’illégalité puis accordera une réparation par équivalent. C’est cependant controversé car, même si le requérant au CE n’a pas d’intérêt, il aurait encore une lésion…
B. L’intérêt personnel
1. Principe
L’exigence, dans le chef du requérant, d’un intérêt personnel signifie que l’annulation doit être susceptible de lui profiter personnellement en améliorant sa situation de droit ou de fait.
Cette notion connaît cependant quelques variantes avec :
– la notion d’intérêt fonctionnel
– le fait que le caractère personnel de l’intérêt varie selon la nature individuelle ou réglementaire de la décision attaquée
2. Intérêt personnel et intérêt fonctionnel
a) Notion d’intérêt fonctionnel
L’intérêt fonctionnel est une forme particulière d’intérêt personnel. Un requérant a un intérêt fonctionnel quand, en raison de sa fonction, il avait le droit de participer à la prise de la décision attaquée.
Si on se prévaut d’un intérêt fonctionnel, on ne peut invoquer que des moyens tirés de la méconnaissance des prérogatives attachées à cette fonction.
Ex. : un membre d’un conseil communal peut attaquer une décision qui aurait dû être prise par le dit conseil si ça n’a pas été le cas, mais uniquement en invoquant la violation des prérogatives du conseil (et donc pas une éventuelle autre illégalité qui entacherait le décision).
b) Conséquences
Celui qui se prévaut d’un intérêt fonctionnel ne verra son recours recevable que si on a vraiment violé ses prérogatives.
Pour répondre à la question de la recevabilité, le Conseil d’Etat devra donc examiner la question du fond et voir qui avait la compétence pour prendre l’acte attaqué.
Si c’était bien le requérant, il aura un intérêt à agir et pourra invoquer tout moyen tiré de la méconnaissance de ses prérogatives + tout moyen d’OP. Par contre, si ce n’était pas le requérant, il n’aura pas d’intérêt à agir et ne pourra même pas invoquer de moyen d’OP.
c) Exclusions(à titre indicatif)
On considère que n’ont un intérêt personnel que les personnes directement impliquées dans l’élaboration de l’acte attaqué. Leurs subordonnés, eux n’ont pas d’intérêt fonctionnel.
d) Une extension limitée et controversée(à titre indicatif)
Quelques rares arrêts du Conseil d’Etat ont appliqué une conception extensive de l’intérêt fonctionnel : ils ont estimé qu’il autorisait un conseiller communal à demander l’annulation d’une décision du conseil lorsque personne d’autre ne pouvait introduire contre elle un recours recevable. Le fondement de cette jurisprudence est que tout acte administratif doit pouvoir faire l’objet d’un recours en annulation.
C’est critiquable car les LCCE ont voulu exclure l’actio popularis et les recours dans l’intérêt de la loi. Rien n’impose d’ailleurs que tout acte puisse faire l’objet d’un recours. Une telle jurisprudence aboutirait en fait à encombrer le Conseil d’Etat dans un but qui serait de pur esthétisme, voire d’intégrisme juridique.
3. Actes individuels concernant le requérant
Quand le requérant attaque un acte individuel qui le concerne, son intérêt personnel consiste en ce que l’acte doit :
– concerner sa propre situation juridique
– lui être défavorable (on peut éventuellement aussi attaquer un acte favorable si on estime qu’il aurait dû être encore plus favorable)
Exemples :
– agents publics : sanctions disciplinaires, mutations, nominations mais sans rétroactivité,…
– autres administrés : refus d’autorisation, renvoi d’une école, ordre de quitter le territoire,…
4. Actes individuels concernant des tiers
Quand le requérant attaque un acte individuel qui concerne un tiers, son intérêt personnel peut consister en 2 choses :
– soit le fait qu’il était en concurrence avec le bénéficiaire de l’acte et qu’il estime qu’il aurait dû en bénéficier à sa place.
Ca vise tout ce qui concerne les nominations. On peut non seulement attaquer la nomination du tiers mais aussi la décision implicite de ne pas nous avoir nommé nous, requérant. Le Conseil d’Etat annule cependant rarement ces décisions implicites car il ne peut substituer son appréciation à celle de l’administration. Il ne le fera que quand l’administration n’a justement pas de pouvoir d’appréciation, c’est à dire quand elle avait une compétence liée.
– soit le fait que, sans qu’il n’ait été en concurrence avec le bénéficiaire de l’acte, celui-ci lui porte préjudice.
Ca vise notamment le permis d’urbanisme accordé au voisin, l’autorisation d’ouvrir une pharmacie qui va nous faire concurrence,…
5. Actes individuels concernant des biens
Quand le requérant attaque un acte individuel qui concerne un bien, son intérêt personnel consiste en ce que la modification apportée par l’acte au bien aura des répercussions sur sa situation à lui.
Ex. : classement d’un immeuble, affectation d’un terrain à l’usage de cimetière,…
6. Actes réglementaires
En ce qui concerne les règlements, vu leur portée générale, on aurait pu prévoir d’ouvrir le recours en annulation à tout citoyen, tout en prévoyant une irrecevabilité au cas où l’intérêt ne serait pas suffisamment individualisé. Mais ce n’est pas cette voie là qu’on a suivie. On a préféré énumérer les requérants potentiels. Ce sont :
– toutes les personnes à qui le règlement s’applique
– toutes celles à qui il a vocation à s’appliquer
– toute celles à qui il ne s’applique pas mais qui en subissent pourtant directement les effets
Résultat : certains règlements pourront être attaqués par un très grand nombre de personnes (ex. l’AR établissant les barèmes de précompte professionnel peut être attaqué par tout travailleur salarié ou pensionné) et d’autres par un nombre de personnes beaucoup plus réduit.
7. Actes pris en vertu d’une compétence liée
Quelques arrêts du Conseil d’Etat estiment irrecevables pour défaut d’intérêt les recours dirigés contre des décisions pour lesquelles l’administration avait une compétence liée. En effet, si l’administration ne pouvait de toute façon pas prendre une décision plus favorable au requérant, il n’a aucun intérêt à agir.
Ces arrêts sont cependant rares car :
– les compétences liées sont rares et, quand elles concernent des droits de nature pécuniaire, les recours sont de la compétence des juridictions judiciaires
– ils consistent en une substitution de motifs (on déclare le recours irrecevable plutôt que de le rejeter sur le fond)
C. L’intérêt personnel des personnes morales
1. Principe
Les personnes morales ont le droit d’ester en justice, mais elles sont limitées par le principe de spécialité : elles ne peuvent agir que dans le but d’atteindre les objectifs pour lesquels elles ont été constituées. Leurs recours en annulation ne sont donc recevables que s’ils visent à atteindre ces mêmes objectifs (qui s’apprécient différemment selon que la personne morale est de droit public ou privé).
2. Communes et provinces
Les communes et provinces ont des attributions très larges puisqu’elles visent tout ce qui est d’intérêt communal ou provincial, or ces notions sont très larges.
Leur intérêt est donc rarement dénié et le caractère personnel de leurs recours se rapproche de celui des recours des personnes physiques.
3. Autres personnes de droit public et personnes morales de droit privé
Les autres personnes morales ont des attributions moins larges qui découlent de leurs statuts.
Elles ont un intérêt personnel à agir quand l’objet de leur recours a un rapport avec :
– soit leur gestion
– soit leurs objectifs
tels qu’ils découlent des statuts, à interpréter strictement.
En général, ça ne pose pas trop de problème puisqu’il suffit de se référer aux statuts. Mais 2 types de situations plus complexes peuvent se produire :
– les statuts de la personne morale peuvent prévoir comme objet social la défense d’intérêts collectifs : dans ce cas, il n’y aura intérêt personnel que si l’objet de la requête est d’obtenir l’annulation d’un acte qui affecte tous les membres du groupement ou du moins une proportion appréciable de ceux-ci (surtout si l’acte attaqué est un acte individuel).
– les statuts de la personne morale peuvent prévoir un objet social tellement large qu’il l’autoriserait à attaquer énormément d’actes administratifs : dans ce cas, il n’y aura pas d’intérêt personnel malgré le libellé des statuts car l’intérêt est une notion légale qu’on ne peut contourner en adoptant des statuts anormalement larges. Il faut toujours que l’annulation de l’acte apporte au groupement quelque chose de plus que la simple satisfaction de voir disparaître une illégalité.
D. L’intérêt direct
L’exigence, dans le chef du requérant, d’un intérêt direct signifie que l’annulation doit être susceptible de lui apporter une satisfaction effective (même si purement morale).
C’est difficile à appliquer mais actuellement, la tendance dominante considère que l’intérêt est direct quand l’acte attaqué vise une relation entre le requérant et l’auteur de l’acte, sans interposition d’une tierce personne.
Ex. : quand un AR modifie les tarifs auxquels une commune se fournit en eau, ça n’implique pas nécessairement une modification des tarifs appliqués aux habitants de la commune et donc, ils n’ont pas d’intérêt direct à agir en annulation contre l’AR.
- L’intérêt certain
L’exigence, dans le chef du requérant, d’un intérêt certain signifie que l’annulation doit avoir pour lui un bénéfice certain et non pas éventuel. S’il dépend d’un aléa, il y aura irrecevabilité.
Ex. : un fonctionnaire qui attaque un règlement susceptible de le concerner s’il est promu n’a pas d’intérêt certain.
- L’intérêt protégé ? Marginalement
Quand on attaque un acte en invoquant sa contrariété avec une norme, faut-il invoquer un intérêt que cette norme protège ?
En principe, non, et ce pour 2 raisons :
– ça reviendrait à devoir invoquer à l’appui de son recours un droit subjectif. Or, la compétence du Conseil d’Etat est justement exclue lorsqu’on fait valoir un droit subjectif.
– ça serait donner à la notion d’intérêt une interprétation beaucoup plus restrictive que ce qu’a voulu le législateur.
Cependant, exceptionnellement, le Conseil d’Etat exige un intérêt protégé. C’est le cas lorsque la norme invoquée a été prise dans un but déterminé. Là, si on pouvait invoquer un autre but, ça reviendrait en quelque sorte à détourner son droit d’agir en justice.
Ex. : on ne peut pas attaquer un permis d’urbanisme accordé à un tiers sous prétexte qu’il va construire un commerce qui nous fera concurrence. Il faut invoquer la contradiction entre le permis et le bon aménagement du territoire.
- L’intérêt actuel
L’exigence, dans le chef du requérant, d’un intérêt actuel signifie que son intérêt doit exister dès le moment où il introduit sa requête et subsister jusqu’au prononcé de l’arrêt.
Le requérant ne doit par contre pas nécessairement subir de préjudice actuel. Le fait qu’il soit susceptible de se voir appliquer l’acte attaqué à plus ou moins brève échéance suffit.
Exemples : on perd son intérêt actuel quand
– on attaque une nomination alors qu’on n’était pas candidat pour le même poste. Par contre, la Cour d’arbitrage a estimé que l’intérêt pouvait rester actuel même si le requérant était pensionné en cours d’instance.
– on avait un intérêt fonctionnel et on cesse d’exercer sa fonction en cours d’instance (le successeur à la fonction ne peut reprendre l’instance car l’intérêt était aussi personnel).
– on attaque un acte qui est retiré ou abrogé avec effet rétroactif en cours d’instance. Par contre, si l’acte n’est abrogé que pour l’avenir, on garde un intérêt car on peut toujours demander son annulation rétroactive.
– on attaque un acte aux effets limités dans le temps, dont les effets cessent et qui n’a jamais été appliqué au requérant.
– l’acte attaqué est validé par une loi (ça vise surtout les arrêtés de pouvoirs spéciaux).
- L’intérêt légitime
L’exigence, dans le chef du requérant, d’un intérêt légitime signifie que son intérêt, sans devoir nécessairement être tout à fait légal, ne peut pas être répréhensible pénalement ou moralement.
Exemples :
– celui qui agit pour dénoncer une illégalité dont d’autres personnes sont victimes n’invoque pas un intérêt illégitime. Certes, son recours sera rejeté, mais ce sera pour des raisons de fond et non d’irrecevabilité car son action n’est pas répréhensible pénalement ou moralement.
– celui qui agit de façon répréhensible pénalement ou moralement et est victime d’un acte illégal n’a pas d’intérêt légitime à dénoncer l’illégalité de cet acte. Exemples :
- le candidat malchanceux à la concession d’un casino n’a pas d’intérêt légitime à contester la décision qui attribue la concession à un tiers.
- l’exploitant d’un hôtel de passe n’a pas d’intérêt légitime à attaquer une décision de fermeture de l’hôtel.
- l’étranger qui s’est fait expulser du territoire belge et qui est malgré tout revenu en Belgique n’a pas d’intérêt légitime à contester un nouvel ordre de quitter le territoire,…
- Acquiescement et renonciation
Comme nul n’est tenu de faire valoir ses droits, la renonciation et l’acquiescement sont tous 2 possibles :
– la renonciation consiste à décider de ne pas introduire de recours en annulation. En principe, elle ne se présume pas, mais on peut la déduire de comportements non équivoques.
– l’acquiescement consiste à marquer son accord avec un acte, explicitement ou implicitement. Parfois, ça se fait même anticipativement, quand on prévient l’administration, avant qu’elle ne statue, qu’on sera d’accord avec telle ou telle décision et qu’elle prend une telle décision.
- Habilitations institutionnelles et tutelles juridictionnalisées
La loi, qui prévoit qu’en principe, le recours en annulation n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’un intérêt ou d’une lésion, peut déroger à elle-même et prévoir que, dans certains cas, certaines autorités pourront agir en annulation sans intérêt ni lésion.
Il existe donc quelques rares dispositions qui ouvrent le recours en annulation à des autorités dépourvues d’intérêt et qui en font par là des sortes de procureurs.
Exemples :
– la Commission permanente de contrôle linguistique peut agir en annulation de tout acte contraire à la législation linguistique.
– le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme peut agir en annulation de tout acte violant la loi Moureaux. Ca ne s’est pas encore produit en Belgique mais ça pourrait arriver si, comme en France, l’extrême droite prenait le pouvoir dans certaines communes.
– différentes dispositions autorisent à une autorité de tutelle d’agir via le recours en annulation plutôt que via les mécanismes de tutelle traditionnels. Par ex. le ministre des classes moyennes peut demander l’annulation des décisions du Conseil national de l’Ordre des architectes.
III. Capacité et représentation
- Personnes physiques
En principe, on ne peut agir devant le Conseil d’Etat que si on a la pleine capacité juridique. Si on ne l’a pas, il faut agir par le biais de représentants légaux.
Cependant, certaines lois accordent à des personnes normalement incapables des droits qu’elles peuvent faire valoir par elles-mêmes. Le Conseil d’Etat a admis que, pour faire respecter ces droits, leurs titulaires pouvaient agir seuls devant lui, même s’ils étaient incapables (pour peu tout de même qu’ils aient atteint l’âge du discernement).
Ex. : droit à l’aide sociale, droit à l’instruction en matière d’éloignement des étrangers,…
- Personnes morales
1. Capacité proprement dite
En principe, les personnes morales qui ont accompli toutes les formalités nécessaires à l’obtention de cette personnalité ont la capacité d’agir devant le Conseil d’Etat.
2. Régularité de l’introduction du recours
Cependant, pour que le recours introduit par une personne morale régulièrement constituée soit valable, la décision d’agir doit avoir été pris par l’organe compétent :
– pour les personnes morales de droit privé, il est désigné par la loi ou les statuts (ex. pour les SA, c’est le CA).
– pour les personnes morales de droit public, il est désigné par la loi. Parfois, il ne peut agir que sous certaines autorisations (ex. le CPAS agit sur initiative du Conseil de l’aide sociale qui doit avoir obtenu l’autorisation du Collège des bourgmestre et échevins).
- Groupements sans personnalité morale
Certains groupements sans personnalité morale peuvent agir devant le Conseil d’Etat quand la loi leur accorde des droits qu’ils peuvent faire valoir par eux-mêmes.
Ex. : les syndicats participent à l’élaboration des règlements relatifs au statut des agents publics et, à ce titre, ils peuvent introduire des recours contre ces règlements. Cependant, souvent, les recours sont introduits par un délégué syndical se prévalant d’un intérêt fonctionnel, ce qui pose problème quand il est remplacé (v. supra).
IV. Le délai de recours
- Caractère rigoureux
Le citoyen et l’administration ont des intérêts contradictoires :
– le citoyen voudrait pouvoir faire valoir ses droits sans limite dans le temps (principe de légalité)
– l’administration voudrait que ses actes ne puissent pas être contestés (principe de sécurité juridique)
Afin de concilier les 2, le législateur a créé un recours en annulation, mais limité dans le temps. Il ne peut en effet être introduit que dans les 60 jours qui suivent la prise de connaissance de l’acte par le requérant.
Le Conseil d’Etat est intransigeant sur ce délai. On ne peut jamais agir en annulation après. Par contre, on peut agir avant, voire parfois avant même que le délai n’ait commencé de courir (cas où l’acte est notifié avant d’être officiellement pris).
Dans d’autres domaines, le législateur a plus privilégié la légalité à la sécurité, mais c’est parce que :
– soit la censure de l’illégalité est moins radicale : elle est relative alors que l’annulation par le Conseil d’Etat a un effet absolu.
- exception d’illégalité (art. 159 de la Constitution)
- contrôle comptable de la Cour des comptes (art. 180 de la Constitution)
– soit l’illégalité est particulièrement flagrante : quand un acte administratif viole l’autorité de la chose jugée d’un arrêt du Conseil d’Etat, il peut être retiré bien après 60 jours.
- Point de départ
1. Principe
Le délai de 60 jours commence à courir :
1°. En principe àpdu moment où l’acte a fait l’objet de la mesure de publicité qui y est obligatoirement attachée.
Remarque :
– la publicité doit être complète donc, si elle requiert des formes particulières, elles doivent toutes être accomplies. Exemples :
· un arrêté d’approbation d’un plan communal d’aménagement exige 2 publicités : la publication par extrait au MB et le dépôt du plan à la maison communale
· un acte devant être motivé formellement doit être notifié avec ses motifs
– la publicité doit être celle qui est requise : par ex. si un acte doit être notifié, la publication au MB ne suffira pas à faire courir le délai.
2°. A défaut àpdu moment où le requérant a eu connaissance de l’acte (et non de son illégalité).
2. Actes à publier
Doivent faire l’objet d’une publication :
1°. Les règlements :
– règlements « généraux » (AR, arrêtés ministériels, arrêtés de gouvernement) : au MB
– règlements provinciaux : au Mémorial administratif de la province
– règlements communaux : aux valves de la maison communal
2°. Les actes individuels susceptibles d’intéresser la généralité des citoyens : mention au MB. En gros, ce sont les usages qui déterminent quels actes intéressent la généralité des citoyens (ex. nomination des fonctionnaires de niveau 1)
Ca fait courir le délai de recours pour les tiers à qui l’acte n’est pas notifié.
3. Actes à notifier
Doivent faire l’objet d’une notification les actes individuels.
1°. Forme de la notification :
– soit par remise de l’acte à la personne concernée : la notification est alors réputée dater du jour de la remise.
– soit par voie postale : la notification est alors réputée dater du jour ou le pli a été déposé au domicile de son destinataire (même s’il ne l’a pas effectivement lu ce jour là). Le pli est présumé avoir été déposé au domicile de son destinataire le lendemain de son dépôt à la poste, mais on peut renverser cette présomption en déclarant qu’on la reçu le surlendemain (pour prouver qu’on l’a reçu encore plus tard, il faudra se justifier de façon plus complète).
2°. Contenu de la notification :
Pour faire courir le délai de recours, la notification doit contenir l’acte mais aussi les recours possibles et le délai pour agir.
A défaut, on revient au droit commun et au délai de 30 ans (c’est critiquable car disproportionné par rapport à la gravité relative de la négligence administrative).
4. Actes ni publiés ni notifiés
Quand un acte individuel n’est pas publié, les tiers à qui il n’est pas notifié voient leur délai de recours courir àpdu moment où ils en ont eu connaissance.
Ce moment se prouve par toutes voies de droit (en général par présomption), en considérant le requérant comme une personne normalement curieuse.
5. Actes soumis à approbation
Quand un acte est soumis à une tutelle d’approbation, il ne devient définitif que par cette approbation et c’est la publication ou notification de l’approbation qui fait courir le délai de recours.
- Durée
En principe, le délai normal est de 60 jours mais il existe des exceptions :
1. Allongement pour éloignement
Le délai est de :
– 90 jours pour les personnes qui demeurent en Europe dans un pays non limitrophe de la Belgique
– 150 jours pour les personnes qui demeurent hors d’Europe
Remarque :
– « demeurent » signifie que les personnes doivent être en séjour stable et prolongé à l’étranger au jour où le délai commence à courir (même s’ils reviennent en Belgique ensuite)
– « Europe » signifie l’Europe au sens géographique du terme (de l’Atlantique à l’Oural)
2. Relèvement facultatif de la déchéance des incapables non représentés
Quand un incapable n’a pas pu s’assurer une représentation en temps voulu, son délai de recours ne court qu’àpdu jour où il s’est trouvé un représentant (rare).
3. Interruptions
a) Réclamation auprès de l’autorité de tutelle
Parfois, la personne concernée par un acte administratif peut, avant d’agir en annulation, introduire un recours administratif inorganisé auprès de l’autorité tutelle.
Dans ce cas, le délai de 60 jours sera interrompu jusqu’à ce que l’autorité de tutelle rende sa décision.
Ca requiert cependant 2 conditions :
– l’autorité de tutelle doit avoir été saisie alors qu’elle était encore compétente
– l’autorité de tutelle doit avoir été saisie avant l’expiration du délai de recours devant le CE
b) Saisine de la Commission permanente du Pacte culturel
L’introduction d’une plainte devant la Commission permanente du Pacte culturel interrompt de délai jusqu’à ce qu’elle ait statué ou, si elle ne statue pas, jusqu’au jour où elle aurait dû statuer.
Cette interruption ne se fait cependant qu’à condition que la Commission ait bien été compétente pour connaître de la plainte.
c) Introduction d’un recours suspensif
Quand un acte administratif fait l’objet d’un recours avec effet suspensif, le délai de recours devant le Conseil d’Etat ne se met à courir que lorsque cette suspension a pris fin.
Ex. : une commune refuse un permis de bâtir à M. X. Celui-ci introduit alors un recours devant la députation permanente qui, elle, lui donne raison. La commune peut introduire contre cette décision un recours suspensif auprès du gouvernement régional. Si des tiers sont également opposés à ce que le permis de bâtir soit accordé, ils ne peuvent, eux, agir que devant le Conseil d’Etat, mais tant que le gouvernement régional n’aura pas statué, leur délai de recours sera interrompu.
d) Communication des motifs des décisions d’attribution de marchés publics par appels d’offre(à titre indicatif)
Quand un marché public est attribué par appel d’offres, les candidats évincés sont informés de leur éviction mais pas de ses motifs. Ils peuvent demander que ces motifs leur soient communiqués et, s’ils le font dans les 60 jours qui suivent l’information de leur éviction, le délai de recours devant le Conseil d’Etat sera interrompu jusqu’à ce qu’ils se voient communiquer les motifs.
4. Fausses interruptions
Certains estiment que, quand un recours gracieux est exercé auprès de l’auteur de l’acte et quand celui-ci réexamine effectivement le cas du requérant, le délai est interrompu jusqu’à ce que l’autorité se soit prononcée.
En réalité, ce n’est pas une interruption car, comme on l’a vu supra, quand elle réexamine sa décision, l’autorité prend en fait une nouvelle décision, et donc, le délai de 60 jours qui court après est un nouveau délai et non un délai interrompu.
5. Délais spéciaux
a) La commission permanente de contrôle linguistique (CPCL)
La CPCL est une institution créée auprès du ministère de l’intérieur et chargée de veiller à la bonne application des lois coordonnées sur l’emploi des langues an matière administrative.
Dans ce but, elle peut introduire des recours auprès du Conseil d’Etat contre des actes administratifs violant ces lois, et ce dans les 5 ans suivant la prise de l’acte.
Cependant, les arrêts du Conseil d’Etat saisi par la CPCL ne sont pas de véritables arrêts d’annulation mais des « constats de nullité » dont les effets se rapprochent plus des arrêts de cassation dans l’intérêt de la loi : ils ne valent en effet pas erga omnes et donc, les tiers ne peuvent invoquer un constat de nullité à l’appui d’un recours en annulation d’un acte fondé sur l’acte « constaté nul ».
b) Le contentieux du contrôle de certaines institutions financières et mutualistes (à titre indicatif)
Le délai de recours contre certaines décisions administratives prises dans le cadre du contrôle d’institutions financières et mutualistes est, selon les cas, d’un mois à 15 jours (procédure accélérée).
c) Le contentieux de l’éloignement des étrangers(à titre indicatif)
Ce contentieux connaît des procédures accélérées où le délai de recours est de 30 jours.
6. Réouverture après annulation d’un acte législatif par la Cour d’arbitrage
Quand la Cour d’arbitrage annule un acte législatif, son arrêt d’annulation est publié au MB et, à compter de cette publication, un nouveau délai de 6 mois s’ouvre pour demander devant le Conseil d’Etat l’annulation des actes administratifs fondés sur la norme annulée.
C’est un cas où l’on fait primer le principe de légalité sur le principe de la sécurité juridique. En effet, cette disposition permet d’obtenir l’annulation erga omnes d’un acte administratif plusieurs années après son adoption.
7. Grèves de la poste et force majeure
Certaines circonstances de force majeure justifient qu’une requête soit déposée en retard.
Pour l’instant, seule la grève des postes a été reconnue par la jurisprudence du Conseil d’Etat (il faut cependant déposer sa requête dès la fin de la grève) mais d’autres circonstances pourraient être acceptées. La maladie, par contre, n’a jamais été acceptée comme force majeure.
8. Circonstances sans incidence sur le délai
Beaucoup de requérants ont déjà tenté de justifier la tardiveté de leur recours par des circonstances diverses que la jurisprudence n’a pas accepté, par ex. :
– la maladie ou le grand âge
– l’emprisonnement empêchant de recevoir la notification de l’acte à son domicile
– le fait de n’avoir pas vu immédiatement l’irrégularité de l’acte
– le fait d’avoir saisi une juridiction incompétente (sauf si c’est sur un mauvais conseil de l’administration elle-même),…
Remarque : quid si on a agi tardivement parce que l’acte mentionnait un délai de recours erroné ?
Il faut considérer qu’il n’a pas commencé à courir et que donc, le recours « tardif » est recevable.
- Computation du délai
– quand il est exprimé en jours, le délai commence à courir le lendemain de la circonstance qui l’ouvre. Le 60ème jour est le dernier jour où la requête peut être déposée à la poste, sauf si c’est un samedi, dimanche ou jour férié, auquel cas on peut encore agir le 1er jour ouvrable qui suit.
– quand il est exprimé en mois ou en années, le délai se compte de quantième à veille de quantième.
- Preuve de la date de la requête
Le Conseil d’Etat n’accepte comme preuve de la date de la requête qu’une recommandation postale.
C’est sans doute destiné à changer avec le développement de sociétés de courrier express performantes.
V. La requête
- Contenu
Le règlement de procédure impose des mentions à placer obligatoirement dans toute requête :
– l’identification du requérant
– l’identification de la partie adverse
– l’identification de l’acte attaqué
– l’exposé des faits
– l’exposé des moyens d’annulation
– si le requérant est un agent public, des indications qui permettent de déterminer dans quelle langue devra se faire la procédure (elles ne doivent pas nécessairement être expresses. Par ex. la mention que l’agent travaille dans une commune unilingue suffit)
- Objet
1. Détermination
En principe, le requérant doit déterminer précisément l’acte dont il demande l’annulation. Mais dans les faits, il ne le fait pas toujours et, dans ce cas, le Conseil d’Etat va devoir interpréter la requête. Pour cela, il applique les modes habituels d’interprétation des actes juridiques, comme par ex. les articles 1156 et ss. C.C.
Le problème que peut poser l’interprétation touche aux droits de la défense : quand un requérant ne demande pas clairement l’annulation d’un acte, le Conseil d’Etat n’a pas à la prononcer. Cependant, on considère que si la partie adverse elle-même a compris la requête comme une demande d’annulation, le Conseil d’Etat peut annuler sans violer les droits de la défense.
D’ailleurs, paradoxalement, la partie adverse se prive souvent elle-même de l’exception obscuri libelli en défendant au fond la régularité de l’acte attaqué plutôt que de contester que la requête demande véritablement une annulation.
2. Objets multiples
Normalement, une requête en annulation ne peut demander l’annulation que d’un seul acte. Mais on fait une exception pour :
1°. Les actes connexes : ce sont des actes entre lesquels il existe un lien tellement étroit que, si les recours contre eux avaient été introduits séparément, on n’aurait pas pu les traiter séparément.
Cependant, la connexité n’empêche pas qu’un acte soit annulé et pas l’autre.
Ex. : j’introduis un recours contre la décision de nommer un agent et, en même temps, contre la décision implicite de ne pas me nommer, moi. Le Conseil d’Etat pourra très bien annuler la nomination de l’agent sans annuler la décision de ne pas me nommer si l’agent ne remplissait pas les conditions pour être nommé mais si je ne les remplissais pas non plus.
2°. Les actes parallèles : ces sont des actes pris au terme de procédures distinctes mais menées de front, relatives à des objets voisins et affectés des mêmes particularités. Les recours contre eux soulèvent donc les mêmes problèmes.
Ex. : j’introduis un recours contre une décision qui me refuse l’autorisation d’exercer la profession de négociant en véhicules d’occasion et, en même temps, contre la décision qui me refuse l’autorisation d’exercer la profession de garagiste réparateur.
3. Objets complexes
Certains actes ne sont pris que lorsque plusieurs autorités administratives se sont prononcées à son égard (ex. procédure d’avis conforme, actes soumis à la tutelle d’approbation ou d’avis préalable).
Ils ont 2 particularités :
– on ne peut en demander l’annulation que quand toutes les autorités administratives devant se prononcer l’ont fait
– dans certains cas, le recours en annulation devra viser les différentes « opérations » ayant mené à l’acte final.
Ca s’apprécie au cas par cas : par ex.
- si on a un acte négatif pris sur un avis négatif, il faudra demander l’annulation des 2.
- si on a un acte qui a été préalablement autorisé, il suffit de demander l’annulation de l’acte autorité.
- si on a un acte qui a été approuvé, en théorie, on pourrait se contenter de demander l’annulation de l’acte approuvé. Mais en pratique, il vaut mieux demander l’annulation des 2 pour que l’approbation ne devienne pas une décision « en l’air » en cas d’annulation.
4. Annulations partielles
En principe, le pouvoir du Conseil d’Etat se limite à un pouvoir d’annulation. Il n’a pas de pouvoir de réformation. Or, l’annulation partielle d’un acte s’apparente à sa réformation. On peut donc se demander si le Conseil d’Etat peut prononcer des annulations partielles.
– en principe, ce sera non : on considère qu’une annulation partielle est trop proche d’une appréciation en opportunité. On annulera donc globalement, quitte à ce que l’administration reprenne par la suite le même acte un peu corrigé.
– mais dans certains cas, on l’acceptera : parfois en effet, une annulation globale a des conséquences trop disproportionnées par rapport à l’illégalité affectant l’acte.
Pour qu’une annulation partielle soit valable, il faudra cependant que 2 conditions soient remplies :
- la partie annulée doit pouvoir être dissociée du reste de l’acte, de telle sorte que l’annulation partielle ne modifie pas substantiellement la portée de ce qui reste de l’acte
- l’acte partiellement annulé doit avoir, au regard de l’autorité qui l’a pris, la même opportunité que l’acte global
5. Modification de l’objet de la requête en cours d’instance
En principe, le Conseil d’Etat ne peut prononcer une annulation que dans les limites de la requête.
Cependant, il peut arriver qu’en cours d’instance, des événements viennent modifier la situation. Dans ce cas, le Conseil d’Etat pourra éventuellement étendre son annulation à des actes non expressément visés par la requête.
Exemples :
– en cours d’instance, l’acte attaqué est remplacé par un autre acte comportant les mêmes irrégularités : le Conseil d’Etat va étendre l’objet du recours à ce nouvel acte.
– en cours d’instance, l’acte attaqué fait l’objet d’un acte confirmatif : le Conseil d’Etat va étendre l’objet du recours à l’acte confirmatif.
– en cours d’instance, l’acte attaqué, qui est une décision de principe, est mis en forme par un autre acte : le Conseil d’Etat va étendre l’objet du recours à cet autre acte.
– en cours d’instance, l’acte attaqué est exécuté par un autre acte : là, le Conseil d’Etat n’acceptera d’étendre l’objet du recours à l’acte d’exécution que s’il est vraiment la suite logique du 1er acte et qu’il n’a pas seulement été rendu possible par lui.
Ex. : la nomination d’un stagiaire comme fonctionnaire est la suite logique de sa nomination comme stagiaire. Par contre, la promotion d’un agent, bien qu’elle soit rendue possible par sa nomination, n’en est pas vraiment la suite logique.
De toute façon, par prudence, il est toujours recommandé au requérant de demander l’extension de l’objet de son 1er recours au nouvel acte. Ca se fait par un acte de procédure qui doit être déposé dans le délai de recours en annulation du nouvel acte.
C. Exposé des faits
L’exposé des faits vise à éclairer le Conseil d’Etat et non la partie adverse qui, elle, est tout à fait au courant des faits.
Par conséquent, l’absence d’exposé des faits n’est en rien une atteinte aux droits de la défense et donc, ce n’est pas une cause d’irrecevabilité de la requête, à moins qu’elle ne soit rédigée d’une façon tellement nébuleuse qu’on ne puise même pas cerner son objet.
D. Exposé des moyens
1. Objet
Le moyen est l’indication d’une irrégularité qui doit, selon le requérant, entraîner l’annulation de l’acte attaqué. Il doit mentionner :
– la règle de droit qui a été violée
– la manière dont elle a été violée : si elle l’a été de plusieurs manières, le moyen se divisera en branches
Parfois, le moyen n’est pas exposé très clairement. Par ex., le requérant n’indique pas toujours de façon très précise la disposition qu’il estime violée. Ce n’est cependant pas très grave. L’essentiel est qu’il n’y ait pas de doute sur la règle dont on allègue la violation. Et pour ça, le meilleur critère est de voir si la partie adverse a bien compris le moyen. En effet, l’exigence de clarté concernant le moyen vise à protéger les droits de la défense. Donc, àpdu moment où la partie adverse voit très bien ce qu’on lui reproche (ce qui peut par ex. se déduire du fait qu’elle se défend), le moyen est considéré comme acceptable.
Remarque : contrairement à l’exposé des faits, le moyen est une condition de recevabilité de la requête car il protège les droits de la défense.
2. Recevabilité des moyens
1°. Au contentieux de l’annulation :
Dans certaines circonstances, le Conseil d’Etat pourra déclarer un moyen irrecevable. Par ex. :
– si le moyen n’est pas rédigé assez clairement pour qu’on puisse cerner l’illégalité qu’il dénonce (exceptio obscuri libelli)
– si le moyen invoque une illégalité qui, même corrigée, n’apportera pas satisfaction au requérant qui n’a donc plus d’intérêt à agir
– si le moyen ne consiste qu’en une simple allégation (bien que là, le moyen est plutôt non fondé)
– si le moyen touche à des questions dont il n’est pas permis de débattre (par ex. parce qu’elles découvrent la couronne)
2°. Au contentieux de la cassation administrative :
Là, un moyen n’est recevable que s’il a déjà été invoqué au fond, sauf 2 exceptions :
– si le moyen est d’OP
– si le moyen n’a pas pu être soulevé au fond parce qu’il tient à la procédure devant le dernier juge du fond
E. Forme de la requête(à titre indicatif)
La requête n’est soumise à aucune règle de forme rigide et le Conseil d’Etat est en général bienveillant vis-à-vis des requêtes rédigées maladroitement.
Il existe cependant quelques formalités à respecter :
– la requête doit être signée par le requérant lui-même ou par son avocat : à ce sujet, notons que beaucoup de requérants se font conseiller par leur syndicat plutôt que par un avocat (du moins en ce qui concerne le contentieux de la fonction publique), mais seuls les avocats peuvent signer une requête et représenter le requérant.
– la requête doit être envoyée au CE par pli recommandé à la poste : c’est la date de la recommandation à la poste qui sera considérée comme la date de la requête.
– sauf cas de pro deo, le requérant doit joindre à sa requête 175 € de timbres fiscaux.
– la requête doit être envoyée avec 4 copies certifiées conformes et une de plus par partie adverse supplémentaire. Les annexes à la requête, elles, ne doivent pas être fournies en plusieurs exemplaires.
F. Les annexes
Le requérant dit annexer à sa requête une copie de l’acte attaqué. Cependant, il ne lui est pas toujours possible de s’en procurer une (ex. acte implicite, acte non publié qui ne lui a pas été notifié,…). Dans ce cas, il doit fournir des documents propres à établir l’existence de l’acte attaqué.
Le but de cette formalité est de permettre l’identification précise de l’acte attaqué.
A côté de ça, le requérant peut aussi annexer à sa requête tout document qu’il juge utile d’y joindre.
G. Traitement procédural
1°. Le requérant adresse sa requête :
– au greffe du CE
– à la partie adverse : il doit lui envoyer une copie afin de lui permettre de déjà préparer sa défense en attendant de recevoir une notification officielle par le greffe. L’omission de cette formalité par le requérant ne vicie pas la procédure.
2°. Le greffe :
– vérifie les conditions externes de recevabilité de la requête (timbres fiscaux, nombre de copies)
– adresse une copie de la requête :
· au 1er président qui désigne la chambre compétente
· à l’auditeur général qui désigne un auditeur rapporteur
3°. L’auditeur rapporteur :
– vérifie que le requérant a correctement désigné la partie adverse et en rajoute d’autres s’il y a lieu
– informe les personnes qui pourraient être intéressées par le litige pour leur permettre d’intervenir
– engage une procédure abrégée s’il décèle une cause manifeste d’irrecevabilité ou de non fondement
4°. Le greffe notifie la requête à la partie adverse par pli recommandé.
H. Effet de la requête
En principe, la requête a pour seul effet de mettre la procédure en mouvement. Il n’a pas d’effet suspensif sur l’acte attaqué qui garde son autorité et son caractère exécutoire. L’administration peut donc l’appliquer. Elle ne risque rien d’autre qu’une action en responsabilité civile si l’acte est annulé par la suite.
Il existe aussi quelques exceptions où la requête à un effet suspensif sur l’acte attaqué ou sur la péremption de l’acte attaqué.
VI. Le mémoire en réponse
A. Désignation de la partie adverse
1. Actes individuels et règlements
Quand l’acte émane d’un pouvoir non subordonné, la partie adverse est le pouvoir public qui a pris l’acte.
– si ce pouvoir public est l’Etat, il est représenté par le ou les ministre(s) politiquement responsable(s) de l’acte
– si ce pouvoir public est une entité fédérée, elle est représentée par tout son gouvernement
– si ce pouvoir public est une « autorité administrative indépendante », elle est elle-même partie adverse
Quand l’acte émane d’un pouvoir subordonné, la partie adverse est non seulement le pouvoir subordonné, mais aussi l’autorité de tutelle si l’acte de tutelle fait aussi l’objet du recours (v. supra).
2. Décisions contentieuses
Quand on a un recours en cassation administrative contre une décision contentieuse, la partie adverse sera la personne qui était l’adversaire du requérant devant le juge du fond.
Ca pourra donc être un particulier.
B. Délai
Pour déposer son mémoire en réponse et le dossier administratif, la partie adverse a 60 jours àpdu jour où elle a reçu la requête (ici, on compte àpde de la réception effective et non pas du dépôt au domicile car on touche aux droits de la défense).
Cependant, parfois, la partie adverse ne saura pas fournir le dossier administratif car il sera entre les mains d’une autre autorité. Dans ce cas, son délai pour déposer son mémoire en réponse courra àpdu jour où le dossier administratif aura été déposé au greffe par l’autorité qui le détenait, sur demande de l’auditeur.
Le délai peut être réduit en cas d’urgence mais jamais prorogé.
En cas de dépassement, double sanction :
– le mémoire déposé tardivement sera écarté des débats
– les faits cités par le requérant seront réputés prouvés, sauf s’ils sont manifestement inexacts : c’est une présomption qui ne porte que sur les faits, or ceux-ci sont censés se trouver dans le dossier administratif qui, lui n’est jamais écarté des débats. Ce n’est donc pas trop grave pour la partie adverse.
C. Auteur
Seules les parties adverses désignées comme telles par l’auditeur peuvent déposer un mémoire en réponse. Elles peuvent le rédiger elles-mêmes ou le faire faire par un avocat.
Si d’autres pouvoirs publics pensent avoir un intérêt dans le litige, ils ne peuvent pas déposer de mémoire en réponse. Tout ce qu’ils peuvent faire est intervenir.
D. Contenu(à titre indicatif)
La partie adverse n’est pas obligée de se défendre et de déposer un mémoire en réponse. Mais si elle le fait, son contenu vise en général à conduire au rejet de la requête.
Le schéma classique d’un mémoire est le suivant :
– exposé des faits
– exceptions d’irrecevabilité du recours
– contestation de la recevabilité des moyens
– réfutation des moyens
E. Forme(à titre indicatif)
Aucune forme spécifique ne s’applique au mémoire en réponse, si ce n’est les formes applicables à tout acte de procédure (recommandation postale d’un exemplaire original avec au mois 3 copies certifiées conformes).
F. Traitement procédural(à titre indicatif)
La partie adverse adresse le mémoire en réponse au greffe du Conseil d’Etat.
Le greffe en notifie une copie à :
– chaque autre partie
– l’auditeur rapporteur
VII. Le dossier administratif
A. Obligation de déposer le dossier
Le dossier administratif est un des principaux outils dont dispose le Conseil d’Etat. Il est d’ailleurs tellement important que les actes attaqués sont présumés illégaux et que cette présomption ne peut être renversée qu’en produisant le dossier.
Cette présomption, à la base jurisprudentielle, est devenue légale en 1990. Désormais, la loi prévoit que si la partie adverse ne fournit pas le dossier administratif dans les délais :
– les faits allégués par le requérant seront réputés prouvés : ça sanctionne plus la négligence de l’autorité administrative que l’illégalité de son acte, mais ça permet au CE de statuer en l’absence de dossier (il peut cependant aussi décider d’user de son pouvoir d’instruction pour établir les faits autrement).
– la partie intervenante et l’auditeur général peuvent demander au CE, dans les 30 jours suivant celui où le dossier aurait dû être remis, d’ordonner le dépôt du dossier. Si l’autorité administrative ne le fournit toujours pas, elle pourra être condamnée à des astreintes.
B. Composition
Le dossier administratif comprend tous les documents rassemblés en vue de la décision (propositions, avis, rapports, notes,…).
Ils sont en général antérieurs à la décision, mais il existe quelques exceptions (ex. PV de la réunion où la décision a été prise, texte d’une conférence de presse tenue in tempore non suspecto par un ministre à propos de la décision,…).
Le dossier doit être complet et contenir tous les documents qui doivent obligatoirement s’y trouver ainsi que tous les autres documents utiles pour apprécier correctement les faits et le fondement de l’argumentation des parties.
Certains documents peuvent susciter des questions :
– les actes préparatoires des actes complexes (ex. nomination d’un fonctionnaire : faut-il fournir les dossiers de tous les candidats ?) : il faut voir avec bon sens quels documents sont vraiment utiles au CE.
– les actes couverts par le secret professionnel : ça vise surtout le secret médical où on a un désaccord de longue date entre le Conseil d’Etat et les médecins. Les médecins refusent de transgresser le secret alors que le Conseil d’Etat (et les autres juridictions) estiment que le secret peut être transgressé si la personne concernée l’accepte.
– les actes qui ne touchent pas directement à l’aspect administratif de l’acte attaqué (ex. consultations juridiques) : ils ne doivent pas être fournis.
– les actes couverts par le secret du colloque constitutionnel : ils ne peuvent être fournis.
C. Forme
Les documents formant le dossier administratif, sont fournis tels quels ou sous forme d’extrait pertinent.
On ne doit pas nécessairement fournir l’original ou une copie certifiée conforme. Une simple photocopie suffit tant que sa conformité n’est pas contestée.
La seule exigence est que les documents formant le dossier soient inventoriés.
D. Traitement procédural
Le dossier doit être adressé au greffe du Conseil d’Etat en un seul exemplaire. Il peut être consulté sur place.
Si son examen fait apparaître que le recours est manifestement recevable et fondé, l’auditeur rapporteur peut engager une procédure abrégée qui aboutira à un arrêt d’annulation rapide.
VIII. Le mémoire en réplique et le mémoire ampliatif
A. Nécessité de déposer un mémoire en réplique ou un mémoire ampliatif
A compter du jour où la partie adverse a déposé (ou aurait dû déposer) son mémoire en réponse, le requérant a 60 jours pour déposer :
– un mémoire en réplique si la partie adverse avait déposé un mémoire en réponse
– un mémoire ampliatif de la requête si la partie adverse n’avait pas déposé de mémoire en réponse
C’est une condition sine qua non pour que la procédure suive son cours normal.
A défaut, le Conseil d’Etat constatera le désintérêt du requérant dans une procédure abrégée. C’est une solution sévère mais qui se justifie par la volonté de résorber l’arriéré du Conseil d’Etat en statuant rapidement sur les recours dont les requérants se désintéressant. La Cour d’arbitrage a d’ailleurs jugé ça tout à fait constitutionnel.
B. Contenu
Le mémoire en réplique ou ampliatif a pour but de donner des explications supplémentaires sur ce qu’exposait la requête et de réfuter l’argumentation exposée par la partie adverse dans le mémoire en réponse.
Comme seule la requête pour définir l’objet du recours, le mémoire en réplique ou ampliatif ne peut le modifier ou invoquer des moyens nouveaux, sauf 2 exceptions :
– le requérant peut développer des moyens qu’il n’a pas pu exposer dans la requête (par ex. parce qu’il n’a pu les découvrir qu’en consultant le dossier administratif)
– le requérant peut développer des moyens d’OP non exposés dans la requête
C. Forme(à titre indicatif)
Le mémoire en réplique ou ampliatif doit respecter les formes applicables à tous les mémoires adressés au CE (recommandation postale, nombre de copies,…).
D. Traitement procédural(à titre indicatif)
Le mémoire doit être déposé au greffe du Conseil d’Etat qui le notifie aux autres parties et à l’auditeur rapporteur en même temps que le reste du dossier.
IX. Les interventions
A. Raisons d’être
A 1ère vue, le recours en annulation peut sembler être un litige n’impliquant jamais que l’administré et l’administration. Mais en fait, des tiers peuvent avoir intérêt à intervenir dans la procédure :
– soit parce que l’acte attaqué leur profite et qu’ils veulent en éviter l’annulation (par ex. le fonctionnaire nommé par une décision attaquée par un candidat évincé)
– soit parce que l’acte attaqué leur porte préjudice et qu’ils veulent contribuer à ce qu’il soit annulé puisque l’annulation, erga omnes, s’appliquera également à eux
– soit parce que leur participation aux débats peut simplement être utile
Dans ces circonstances, ces tiers pourront être parties intervenantes, soit volontaires soit forcées.
B. Procédure
1. La procédure a été réformée en 1990 et retouchée en 1999(à titre indicatif)
Avant 1990, l’intervention était très peu organisée par la loi. Elle ne prévoyait par ex. pas de délai précis pour intervenir, ce qui entraînait parfois de gros retards.
On a donc réformé la procédure en 1990 puis en 1999.
2. Avertissement des tiers intéressés et délai d’intervention
Quand un tiers à intérêt à intervenir dans la procédure, il y a 2 possibilités :
– soit il est averti du recours : c’est le cas quand l’auditeur rapporteur connaît sa situation et demande au greffe de lui notifier la requête.
Apde cette notification, il a 30 jours pour introduire une demande d’intervention.
Notons que s’il décide de ne pas intervenir, le fait qu’il ait été mis au courant du recours l’empêchera de faire tierce opposition.
– soit il n’est pas averti du recours : c’est le cas quand l’auditeur rapporteur ne connaissait pas sa situation et n’a donc pas demandé au greffe de lui notifier la requête.
Dans ce cas, il peut intervenir ultérieurement dans la procédure tant que ça n’a pas pour effet de la retarder. En pratique cependant, il y aura parfois malgré tout un retard dû à l’intervention, notamment quand elle requiert que l’affaire soit déférée à une chambre bilingue.
Pour être valable, l’intervention devra être déclarée recevable par une ordonnance de la chambre saisie de l’affaire, puis par l’arrêt final du Conseil d’Etat.
3. Contenu
L’intervention n’est qu’un accessoire du litige principal, donc :
– elle ne peut en modifier la portée mais seulement y apporter des éclairages nouveaux. Ca signifie que :
· quand l’intervention est défensive (l’intervenant tente de défendre l’acte attaqué parce qu’il lui profite), l’intervenant ne peut qu’étayer les arguments exposés dans le mémoire en réponse de la partie adverse, sans pouvoir vraiment innover.
· quand l’intervention est agressive (l’intervenant tente d’appuyer la requête car l’acte attaqué lui nuit également), l’intervenant ne peut étendre la portée de la requête ni exposer des moyens nouveaux (sauf d’OP). S’il a d’autres griefs que le requérant, il devra introduire contre le même acte un autre recours en annulation.
– l’intervention suit le sort du litige principal : s’il devient irrecevable en cours d’instance, l’intervenant ne pourra sauver la requête.
4. Forme(à titre indicatif)
L’intervention se fait par une requête à laquelle on applique par analogie les formes de la requête en annulation :
– elle doit être signée :
· si intervention volontaire : par le requérant ou son avocat
· si intervention forcée : par la partie qui sollicite l’intervention ou son avocat
– elle doit être fournie avec un nombre de copies suffisant
– elle doit être envoyée par un envoi postal recommandé
– elle doit être munie de 125 € de timbres fiscaux, sauf pro deo
X. L’instruction et le rapport de l’auditeur
A. Importance et fonction
Le rapport de l’auditeur rapporteur est une 1ère analyse des arguments exposés par les parties. Idéalement, il est censé être objectif et ne pas préjuger de la décision. Mais qu’en est-il dans les faits ?
– il est objectif puisque l’auditeur n’a a priori aucune préférence pour l’une des 2 thèses en présence : ce n’est qu’après examen du dossier qu’il forgera son opinion
– mais il préjuge souvent de la décision : certes, le Conseil d’Etat n’est pas obligé de trancher dans le sens de l’auditeur, mais il le fait souvent, d’où la portée décisive de son rapport
Remarque : en principe, le Conseil d’Etat ne se prononce que sur les points abordés par l’auditeur dans son rapport. S’il veut se prononcer sur d’autres points, il demande un complément d’instruction et un rapport complémentaire.
Mais parfois, il ne le fait pas, afin d’éviter un trop grand retard dans la procédure.
Ce n’est pas un problème : en effet, les droits de la défense restent respectés puisque les parties ont de toute façon pu exprimer tous leurs arguments dans leurs requêtes et mémoires.
B. Pouvoirs d’instruction
Pour faire son rapport, l’auditeur va instruire le dossier. Là, de 2 choses l’une :
– soit le dossier est suffisamment complet et précis : dans ce cas, l’auditeur peut se contenter de consulter le dossier et les écrits de procédure.
– soit le dossier n’est pas suffisamment complet et précis : dans ce cas, l’auditeur va devoir collecter les renseignements qui lui manquent.
Pour ce faire, il a de larges pouvoirs d’instruction qu’on peut diviser en 2 catégories :
· ceux qu’il peut exercer de sa propre initiative : par ex. les échanges de correspondance avec les parties et toute autre autorité administrative, les descentes sur les lieux
· ceux qui doivent être ordonnés par le Conseil d’Etat : par ex. les auditions de témoins, les expertises
C. Le rapport
Le rapport de l’auditeur est censé être rédigé dans les 6 mois, mais c’est un délai d’ordre d’ailleurs même pas encore entré en vigueur…
Il contient :
– l’exposé des faits
– la relation des mesures d’instruction qui ont éventuellement été prises
– l’analyse des problèmes de recevabilité : à ce sujet, notons que si l’auditeur remarque une cause d’irrecevabilité, il peut s’en tenir là et ne pas examiner le fond
– l’analyse des moyens : à ce sujet, notons que si l’auditeur estime qu’un moyen est fondé, il peut s’en tenir là et s’abstenir d’examiner les autres
D. Traitement procédural
L’auditeur établit :
– un rapport original qu’il signe
– des copies pour les parties et les membres de la chambre chargée de l’affaire. Celle-ci décide :
· s’il peut être déposé au greffe et notifié au requérant
· ou s’il faut un complément d’enquête
E. Effet des rapports concluant au rejet
Quand l’auditeur conclut au rejet du recours, il doit l’indiquer expressément dans son rapport. Le requérant a alors 2 possibilités :
– soit il ne réagit pas dans les 30 jours de la notification du rapport : dans ce cas, il est présumé se désister de son recours. C’est une lourde sanction, mais la Cour d’arbitrage ne l’a pas jugée discriminatoire, même pour les parties intervenantes.
– soit il réagit dans les 30 jours de la notification du rapport en envoyant une demande de poursuite de la procédure (qui fait d’ailleurs double emploi avec le dernier mémoire…) : dans ce cas, elle suit son cours normal.
XI. Instructions et rapports complémentaires éventuels
Si la chambre saisie de l’affaire estime qu’elle a besoin de plus d’informations pour se prononcer en connaissance de cause, elle peut ordonner :
– soit un complément d’instruction
– soit un rapport complémentaire :
· si la chambre veut que l’auditeur examine certains points qu’il s’était volontairement abstenu d’examiner parce qu’il ne les jugeait pas nécessaires à la solution du litige, elle doit demander le rapport complémentaire par un arrêt
· si elle veut autre chose, par ex. que l’auditeur examine les conséquences sur le recours d’un élément nouveau ou de la réponse à une question préjudicielle, elle peut demander le rapport complémentaire par une simple ordonnance
Tant le complément d’instruction que le rapport complémentaire sont censés être réalisés dans les 3 mois mais c’est un délai d’ordre.
XII. Les derniers mémoires
A. Raisons d’être
Les derniers mémoires permettent aux parties de commenter la solution que l’auditeur a proposée dans son rapport.
B. Dernier mémoire du requérant
Dans son dernier mémoire, le requérant ne peut en principe pas soulever de moyens nouveaux, sauf 2 cas :
– s’il n’a pas pu les soulever précédemment
– s’ils sont d’OP
Il doit le déposer au greffe dans les 30 jours suivant la notification qui lui a été faite du rapport de l’auditeur. Le greffe le notifie alors à la partie adverse et aux éventuelles parties intervenantes.
C. Dernier mémoire de la partie adverse
La partie adverse doit déposer son dernier mémoire au greffe dans les 30 jours suivant la notification qui lui a été faite du rapport de l’auditeur et du dernier mémoire du requérant.
Le greffe le notifie alors au requérant (ou l’avertit de l’absence de dernier mémoire de la partie adverse).
D. Critique(à titre indicatif)
Cette procédure appelle 2 critiques :
– il aurait été plus logique de faire précéder le dernier mémoire de la partie adverse et non celui du requérant
– on aurait dû autoriser les parties intervenantes à déposer elles aussi un dernier mémoire
XIII. L’audience
Une fois les derniers mémoires déposés, si la chambre saisie de l’affaire n’a pas demandé de rapport complémentaire, l’affaire est en état d’être fixée et la chambre prend une ordonnance de fixation.
Les débats sont publics. Par exception, le huis-clos peut être ordonné si c’est nécessaire à la sauvegarde de l’OP ou des mœurs.
Au jour des débats, plusieurs personnes prennent la parole dans l’ordre suivant :
– le conseiller rapporteur : il fait un rapport verbal dans lequel il rappelle
· les faits
· les thèses des parties
· la thèse de l’auditeur rapporteur
– les parties : elles comparaissent en personne ou représentées par un avocat (ou un fonctionnaire, en ce qui concerne l’administration). Comme la procédure est essentiellement écrite, les plaidoiries sont brèves et se limitent à rappeler les arguments les plus forts (ou les plus faibles de l’autre partie).
Le requérant parle en 1er, suivi par la partie adverse et enfin les parties intervenantes.
– l’auditeur rapporteur : il donne son avis et dit, selon lui, dans quel sens l’arrêt doit être rendu. Son avis sera le plus souvent suivi, mais pas toujours.
Après ces comparutions, les débats sont clos et l’affaire mise en délibéré.
XIV. La procédure par défaut(à titre indicatif)
Parfois, la partie adverse ne défend pas son acte. Souvent même, c’est volontaire.
Dans ce cas, on suit la procédure ordinaire, si ce n’est que :
– la partie adverse ne rend aucun mémoire
– le requérant rend un mémoire ampliatif plutôt qu’un mémoire en réplique
– l’auditeur général est censé donner son avis (mais en pratique, il délègue presque toujours ce pouvoir à l’auditeur rapporteur)
On n’est pas particulièrement consciencieux par rapport au défaut puisqu’en général, ça montre la volonté de l’autorité administrative que l’acte soit annulé.
XV. L’arrêt
A. Etablissement, prononcé et notification
Le délibéré se fait à huis-clos. Les membres de la chambre rédigent l’arrêt avec le greffier.
Il doit en principe être prononcé dans les 6 mois suivant le dépôt du rapport de l’auditeur mais c’est un délai d’ordre qui n’est plus jamais respecté.
Il doit aussi en principe être prononcé en audience publique mais c’est très théorique. La publicité est surtout assurée par :
– la notification de l’arrêt aux parties
– la possibilité de prendre connaissance de l’arrêt au greffe
B. Forme et contenu
Les arrêts du Conseil d’Etat comportent 3 parties :
1°. Les visas : ils font référence aux différentes étapes de la procédure écrire (« vu ») et orale (« entendu »).
2°. Les motifs : ils comportent un exposé des faits et des moyens, suivi des considérations de droit justifiant la décision quant à la recevabilité et quant au fond.
En général, ils sont à la hauteur des arguments des parties. Souvent, ce sont d’ailleurs les argumentations les plus stupides (et donc les plus simplistes) qui donnent lieu à des arrêts de principe.
Si le Conseil d’Etat estime devoir soulever d’office un argument sur lequel il n’a pas été délibéré, il doit rouvrir les débats afin de garantir le respect des droits de la défense.
3°. Le dispositif : c’est la décision proprement dite. Elle est en général découpée en articles.
– les 1ers fixent le sort du recours : ça peut être
· une annulation totale ou partielle de l’acte attaqué (avec éventuellement des limites dans le temps)
· un rejet de la requête
· une réouverture des débats
· la décision de poser une question préjudicielle
· la constatation d’un désistement
· la constatation qu’il n’y a plus lieu de statuer car l’acte attaqué a été retiré ou annulé
· la biffure du rôle de l’affaire (quand l’instance a été interrompue et pas reprise)
· la biffure de certains passages dans les écrits de procédure (quand les parties y ont inséré des propos injurieux ou offensants)
– le dernier fixe les dépens
C. L’étendue de l’annulation
Le Conseil d’Etat n’a qu’un pouvoir d’annulation. Il ne peut donc :
– ni donner des indications à l’administration sur la manière d’exécuter son arrêt
– ni réformer les actes administratifs, or on a vu supra que l’annulation partielle équivalait souvent à une réformation. Le Conseil d’Etat doit donc être très prudent s’il décide d’annuler partiellement. Il doit être sûr que l’acte est divisible. Le fait que l’administration demande, à titre subsidiaire, que le Conseil d’Etat n’annule que partiellement son acte peut être un indice de cette divisibilité, mais pas toujours.
Par contre, le Conseil d’Etat peut moduler les effets dans le temps de ses annulations quand l’acte annulé est un règlement. Ca lui permet de limiter l’effet rétroactif de ses arrêts, notamment afin d’éviter que l’annulation d’un acte qui a déjà sorti beaucoup d’effets n’entraîne trop de perturbations.
Cependant, limiter la rétroactivité de l’annulation, c’est partiellement cautionner l’illégalité de l’acte annulé et c’est donc un procédé à utiliser avec modération. On peut par ex., à la place, rendre un arrêt qui laisse la possibilité à l’administration de refaire l’acte attaqué avec un certain effet rétroactif, en purgeant évidemment son illégalité.
D. Publicité, traduction et exécution(à titre indicatif)
Les arrêts sont notifiés aux parties sous forme d’expéditions revêtues de la formule exécutoire.
Ceux qui annulent des actes publiés sont publiés au même endroit.
Ceux qui cassent une décision d’une juridiction administrative sont transcrits dans les registres de la juridiction en question en mentionnés en marge de la décision cassée.
Peu d’arrêts sont encore traduits aujourd’hui. Ne doivent être traduits que ceux que la loi oblige de traduire, c’est à dire :
– ceux qui concernent des arrêtés réglementaires
– ceux qu’une commission spécifiquement créée à cette fin estime utile de traduire
Les arrêts sont tous publiés sur Internet et sur un CD-Rom. Certains sont aussi publiés dans différentes revues juridiques.
XVI. L’amende pour recours manifestement abusif(à titre indicatif)
A. Conception
En 2002, on a prévu la possibilité pour le Conseil d’Etat de prononcer une amende contre les requérants dont le recours est manifestement abusif.
C’est un moyen de lutte contre l’engorgement du Conseil d’Etat et l’arriéré qu’il entraîne, au même titre que les D.I. pour action ou appel téméraire et vexatoire que peuvent prononcer les juridictions judiciaires.
B. Procédure
C’est l’auditeur rapporteur qui prend l’initiative de demander qu’une amende soit prononcée.
Dans son arrêt sur le fond, le Conseil d’Etat fixe une nouvelle audience où il se prononcera uniquement sur le principe et le montant de l’amende (125 à 2500 €).
L’amende est recouvrée comme une astreinte et est également versée au fonds de gestion des astreintes.
C. Commentaire
Cette loi part d’une bonne intention mais elle a été mal concrétisée :
– tout d’abord, elle est peu commode : on a prévu une audience supplémentaire, ce qui a pour effet d’encombrer encore plus le Conseil d’Etat alors que le but de la loi était de le désengorger.
– ensuite, on a prévu que le paiement de l’amende se ferait comme pour les astreintes. Il faut donc une intervention du ministre de l’intérieur qui risque, parfois, de ne pas s’empresser à agir.
– enfin, dans les situations où il y a le plus d’abus, il sera pratiquement impossible de toucher les amandes : en effet, la plupart des recours abusifs sont introduits dans le cadre du contentieux des étrangers, afin de retarder une mesure d’éloignement. Mais comment un étranger pourra-t-il payer son amende s’il est éloigné ? Et même s’il ne l’est pas, il risque d’être insolvable. Enfin, la faute est en général à son avocat, mais lui ne peut pas être condamné…
XVII. Les incidents
A. Objet
Les incidents sont des circonstances qui perturbent la procédure normale et obligent à poser des actes supplémentaires.
Le règlement de procédure en dénombre 6 mais d’autres perturbations en sont très proches et peuvent aussi être qualifiées d’incidents (par ex. les questions préjudicielles).
B. Les questions préjudicielles
1. Notion
Une question préjudicielle est une question de droit qui se pose devant une juridiction qui ne peut pas en connaître, de sorte que, pour se prononcer, elle doit attendre que cette question soit vidée par une autre juridiction.
C’est une exception au pouvoir qu’ont normalement les juridictions de trancher tous les problèmes soulevés par un litige porté devant elles. Elle se justifie par le monopole de compétence qu’ont certaines juridictions par rapport à certaines contestations.
Il existe 2 grandes catégories de questions préjudicielles :
1°. Les questions « vieux style » : la juridiction saisie au principal va suspendre sa procédure et laisser à la partie qui soulève la question le soin de saisir la juridiction qui doit en connaître.
C’est le cas des questions que le juge civil ne peut trancher tant que le juge pénal ne s’est pas prononcé (« le criminel tient le civil en état ») et, dans une moindre mesure, des questions que le juge pénal ne peut pas trancher tant que le juge civil ne s’est pas prononcé.
2°. Les questions « nouveau style » : la juridiction saisie au principal va, au terme d’une procédure normale, rendre une décision par laquelle elle saisit elle-même directement la juridiction qui doit connaître de la question préjudicielle.
C’est le cas pour :
– les questions préjudicielles à poser à des juridictions internationales (CJCE et Cour de Justice Benelux)
– les questions préjudicielles à poser à la Cour d’arbitrage
– les « questions préjudicielles » (mal nommées) que le Conseil d’Etat peut poser à l’AG de la section A
2. Les questions préjudicielles classiques
En principe, une juridiction compétente pour trancher un litige est compétente pour trancher toutes les questions de droit que suscite ce litige. On ne peut déroger à cette règle que par un texte exprès.
On s’est demandé si l’article 144 de la Constitution n’était pas un tel texte exprès et ne créait pas une incompétence dans le chef du Conseil d’Etat pour statuer sur les questions de droit civil incidemment soulevées devant lui.
On a finalement estimé que ce n’était pas le cas :
– en ce qui concerne le contentieux de la cassation administrative, on ne demande jamais au CE que de dire si la juridiction administrative inférieure a tranché une question à bon droit. C’est donc devant ce dernier juge que les questions incidentes de droit civil peuvent se poser mais pas devant le Conseil d’Etat.
– en ce qui concerne le contentieux de l’annulation, on ne demande au CE que de dire si l’auteur de l’acte a correctement appliqué la loi. Les contestations relatives à cette loi relèvent, elles, des juridictions judiciaires et pas du Conseil d’Etat. Là non plus donc, des questions incidentes de droit civil ne se poseront pas.
3. L’inscription de faux
a) Objet
Quand une partie s’inscrit en faux contre une pièce, le règlement de procédure organise la marche à suivre.
Il faut cependant que l’argument soit bien une allégation de faux au sens technique du terme.
Il y a 2 types de faux :
– le faux matériel : c’est une altération des caractères graphiques ou de la matérialité même de l’écrit. Il n’y a procédure d’inscription de faux que si on a trafiqué un original. L’altération de fax ou de photocopie donne simplement lieu à une contestation quant à la conformité à l’original.
– le faux intellectuel : c’est une altération des énonciations de l’écrit mais pas de sa matérialité. On y énonce des choses qui sont fausses. Il n’y a procédure d’inscription de faux que pour les écrits qui sont des pièces, mais pas pour les mémoires, dans lesquels les parties ont tout à fait le droit de mentir si ça leur chante.
b) Procédure
Le Conseil d’Etat ne peut lui-même se prononcer sur le faux car c’est une question qui relève du monopole des juridictions judiciaires, civiles ou pénales selon les cas.
Si une partie s’inscrit en faux contre une pièce, le Conseil d’Etat doit donc agir en 2 temps :
– il doit d’abord vérifier si la question est pertinente. Ca s’apprécie selon 2 critères :
- la partie qui a produit la pièce litigieuse doit confirmer son intention de l’utiliser
- le Conseil d’Etat doit estimer la pièce litigieuse comme déterminante pour la solution du litige
– s’il estime ces critères remplis, le Conseil d’Etat autorise la partie qui s’inscrit en faux à poser à la juridiction judiciaire de son choix la question préjudicielle concernant la fausseté et surseoit à statuer jusqu’à ce qu’elle se soit prononcée.
c) Les inexactitudes établies
On pourrait croire que l’exactitude des mentions faites dans les décisions administratives ne peut être contestée que par la procédure en inscription de faux puisque, la plupart du temps, ces décisions sont contenues dans des actes authentiques.
Cependant, elles peuvent aussi être contestées autrement quand c’est possible.
4. Les questions préjudicielles posées à la CJCE
a) Origine et textes
Les 1ères questions préjudicielles posées directement par un juge à un autre juge sont apparues avec la création de la CJCE.
L’article 234 du traité de Rome lui confie la mission d’assurer le respect du droit communautaire dans l’interprétation et l’application des traités et, à cette fin, lui donne compétence pour répondre à des questions préjudicielles.
b) L’objet des questions
Les questions préjudicielles posées à la CJCE peuvent porter sur :
– l’interprétation des traités et du droit dérivé
– l’appréciation de la validité du droit dérivé
c) L’obligation de poser la question
Il faut faire une distinctions entre :
1°. Les juridictions dont les décisions sont susceptibles de recours juridictionnel de droit interne : elles peuvent mais ne doivent pas poser de question préjudicielle à la CJCE avant de statuer.
2°. Les juridictions dont les décisions sont définitives au niveau interne : elles doivent poser une question préjudicielle à la CJCE avant de statuer.
C’est notamment le cas du Conseil d’Etat dont on peut considérer les décisions comme définitives car la possibilité de se pourvoir en cassation contre ses décisions est très réduite.
Dans 2 cas cependant, le juge peut refuser de poser la question préjudicielle :
– quand la question n’est pas pertinente, c’est à dire quand le juge peut trancher le litige sans appliquer la disposition de droit communautaire litigieuse.
– quand la disposition communautaire litigieuse est claire. Cette théorie de l’acte clair n’est cependant admise que dans des cas très restreints. Il faut :
· soit que la question ait déjà été résolue par la Cour dans une autre affaire.
· soit que l’interprétation de la disposition ne laisse vraiment place à aucun doute raisonnable : mais c’est plus ou moins impossible car ça implique que toutes ses traductions soient claires et concordantes…
5. Les questions préjudicielles posées à la Cour de Justice Benelux
La Cour de Justice Benelux a pour mission de répondre aux questions préjudicielles concernant l’interprétation des conventions, protocoles et lois uniformes communes à au moins 2 des 3 Etats membres.
La système est plus ou moins le même que celui des questions préjudicielles à poser à la CJCE, si ce n’est que :
– il n’y a pas de droit dérivé et donc pas de questions d’appréciation de sa validité
– le juge interne n’est jamais obligé de poser de question préjudicielle s’il y a urgence ou acte clair
6. Les questions préjudicielles posées à la Cour d’arbitrage
a) Raisons d’être et origines
1) Fédéralisation et nécessité d’un contrôle juridictionnel des lois
Avec la fédéralisation, on a octroyé dans certaines matières des compétences à la fois à l’Etat fédéral, aux communautés et aux régions. En principe, les normes qu’ils prennent ne sont pas censées se chevaucher. Mais comme les règles répartitrices de compétences ne sont pas toujours très claires, il arrive souvent qu’une contradiction apparaisse entre ces normes. C’est le signe d’un excès de compétence.
Pour éviter, ces excès, on a d’abord mis en place des mécanismes préventifs. 2 organes ont été chargés d’interpréter de manière centralisée les règles répartitrices de compétence :
– le Conseil d’Etat, section L
– le comité de concertation
Mais ces mécanismes ne permettaient pas d’éviter tous les problèmes. En effet :
– les propositions et les amendements ne doivent pas être soumis au CE, section L
– le Conseil d’Etat, section L peut faire des erreurs
– le comité de concertation peut autoriser à passer outre un avis du Conseil d’Etat
Il a donc fallu mettre en place d’autres mécanismes, à caractère curatif. Il y en a eu 2.
2) La section des conflits de compétence du Conseil d’Etat (à titre indicatif)
Une loi de 1971 avait créé une 3ème section au CE : la section des conflits de compétence.
Composée d’anciens parlementaires, elle pouvait être saisie par :
– le conseil des ministres s’il estimait qu’il y avait conflit ou possibilité de conflit
– les juridictions qui pouvaient lui poser une question préjudicielle, sauf pour la Cour de Cassation qui, elle, posait sa question directement aux chambres législatives
Elle se prononçait par des arrêts de règlement, pouvant être annulés par les chambres législatives.
La loi avait fait l’objet de vies critiques de la part de la doctrine qui n’admettait pas que les chambres législatives puissent intervenir dans le cours d’un procès.
Elle n’a de toute façon jamais été appliquée.
3) La Cour d’arbitrage
En 1980, on a introduit l’actuel art. 142 dans la Constitution, qui crée la Cour d’arbitrage et la charge de régler les conflits de compétence.
En vertu de cet art., on a pris la loi du 28/07/83 organisant la Cour d’arbitrage. Elle a été installée le 01/10/84.
1°. A la base, elle n’était compétente qu’en matière de conflits de compétence et pouvait être saisie de :
– recours en annulation contre des normes législatives violant une règle répartitrice de compétences, introduits par un gouvernement (fédéral ou fédéré)
– questions préjudicielles concernant la conformité d’une norme législative à une règle répartitrice de compétences, posées par les juridictions
2°. Puis, en 1988, on a étendu sa compétence en modifiant l’article 142 de la Constitution :
– le recours en annulation a été ouvert à toute personne intéressée.
– les conditions pour poser des questions préjudicielles ont été retouchées.
– le contrôle de la Cour, jusque là réservé aux règles répartitrices de compétences, a été étendu aux art. 10, 11 et 24 de la Constitution
Ca s’explique par la communautarisation de l’enseignement qui avait fait craindre aux tendances minoritaires dans chaque communauté (laïcs de Flandre et catholiques de Wallonie) une reprise de la guerre scolaire. Ils ont donc obtenu que la communautarisation ne se fasse pas sans la possibilité d’un contrôle des normes communautaires par rapport aux principes d’égalité et de non discrimination.
3°. Enfin, en 2003, on a appliqué la possibilité mise en œuvre en 1988 d’étendre le contrôle de la Cour d’arbitrage à toute autre disposition constitutionnelle et d’ainsi en faire une véritable cour constitutionnelle. On a étendu son contrôle à tout le titre II et aux art. 170, 172 et 191 de la Constitution
b) Nature du contrôle exercé par la Cour d’arbitrage
1) Conception du législateur
La création de la Cour d’arbitrage a institué un contrôle juridictionnel sur les lois, décrets et ordonnances.
On parle souvent de contrôle de constitutionnalité, mais en fait, cette expression n’est pas correcte, ou du moins pas suffisante. En effet, la Cour d’arbitrage contrôle la conformité des dispositions législatives à certaines dispositions constitutionnelles, mais aussi aux règles répartitrices de compétences dont certaines ne se trouvent pas dans la constitution.
Selon les cas, il faudra donc parler de contrôle :
– de constitutionnalité : quand la Cour d’arbitrage contrôle la conformité aux règles répartitrices de compétences contenues dans la Constitution ou au titre II et aux art. 170, 172 et 191 de la Constitution
– de compatibilité avec la LS : quand la Cour d’arbitrage contrôle la conformité aux règles répartitrices de compétences contenues dans des LS
– de compatibilité avec la loi ordinaire : quand la Cour d’arbitrage contrôle la conformité aux règles répartitrices de compétences contenues dans des lois ordinaires (ex. loi sur la communauté germanophone)
– de compatibilité avec les décrets relatifs aux transferts de compétences
- de la Communauté française vers la Région wallonne et la COCOF
- de la Région wallonne vers la Communauté germanophone
Ces normes de contrôle forment une sorte de « bloc de constitutionnalité » au sein duquel existe une hiérarchie.
2) Application par la Cour d’arbitrage
La Cour d’arbitrage a interprété ses compétences de façon extensive, dans le but d’assurer au citoyen la plus forte protection possible.
Pour ce faire, elle a interprété extrêmement largement les principes d’égalité et de non-discrimination, de telle sorte qu’au final, elle a considéré comme discriminatoire toute violation de la Constitution (ou du droit international directement applicable) puisqu’elle crée une différence de traitement injustifiée entre ceux à qui la règle inconstitutionnelle s’applique et ceux à qui elle ne s’applique pas.
– ça a commencé avec la violation des dispositions autres que les articles 10, 11 et 24 mais faisant aussi référence au principe d’égalité, comme par ex. l’article 172 de la Constitution (égalité devant l’impôt)
– ensuite, ça s’est étendu à tous les droits et libertés
– puis, ça s’est étendu aux dispositions de nature institutionnelle
– et enfin au principe de proportionnalité
3) Commentaire
Finalement, la LS du 09/03/03 étendant les normes de contrôle de la Cour d’arbitrage au titre II et aux art. 170, 172 et 191 de la Constitution n’a fait qu’aligner la loi sur l’interprétation qui en était déjà faite.
Mais la situation reste trompeuse car en fait, la Cour contrôle les dispositions qui lui sont soumises par rapport à toute la Constitution et est donc bien une véritable cour constitutionnelle.
Le problème est que ce contrôle étendu n’est offert qu’aux requérants dont l’avocat est suffisamment averti de ce qu’il peut faire mais qui n’est pas prévu par la loi.
c) L’objet des questions préjudicielles
1) L’irrégularité d’un acte législatif
Les questions préjudicielles doivent porter sur un acte législatif, c’est à dire une loi, un décret ou une ordonnance, sauf les lois d’assentiment
– aux traités UE
– à la CEDH et ses protocoles additionnels
car ce sont des normes à caractère particulier qui sont déjà contrôlées à un niveau supranational.
L’acte législatif doit comporter l’une des irrégularités suivantes :
2) La violation du titre II ou des articles 170, 172 ou 191 de la Constitution par un acte législatif
3) Les irrégularités acquises (ou la myxomatose, maladie mortelle des lois)
Parfois, une loi est irréprochable au moment de son adoption mais devient par la suite discriminatoire. C’est le cas quand elle a été votée en raison d’un besoin précis qui disparaît. Le régime dérogatoire au droit commun prévu par la loi devient alors disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi.
Ex. : jadis, une loi disposait que les dommages causés par les lapins devaient être réparés au double. Ca se justifiait par le grand nombre de lapins et les lourds dégâts qu’ils causaient. Mais ensuite, la myxomatose a décimé les lapins en Belgique et ils ont causé des dégâts beaucoup moins importants. La loi dérogatoire au régime normal de la responsabilité a donc perdu sa raison d’être. On voit par là comme le contrôle de la Cour d’arbitrage en cette matière tend à un contrôle d’opportunité de maintenir une loi en vigueur.
4) La violation des règles répartitrices de compétences
1 – Conception
Dans le fédéralisme belge, les compétences des différents législateurs sont censées être exclusives et donc, ils ne sont pas censés prendre des normes contradictoires. Si 2 normes contradictoires sont prises par 2 législateurs différents, c’est que l’un d’entre eux a violé une règle répartitrice de compétences.
2 – La nature des conflits qui peuvent être déférés à la Cour d’arbitrage
La Cour d’arbitrage peut être saisie de plusieurs sortes de conflits :
1°. Conflits actuels et virtuels :
– conflit actuel : contradiction entre 2 normes émanant de législateurs différents
– conflit virtuel : norme prise par un législateur en dépassement de ses compétences sans qu’elle n’entre en contradiction avec une norme émanant de l’organe compétent
Ils peuvent tous 2 être confiés à la Cour, au contentieux de l’annulation ou préjudiciel.
2°. Conflits concrets (existants) ou abstraits (éventuels) :
– conflit concret : une norme litigieuse sert de fondement à un autre acte juridique
– conflit abstrait : une norme litigieuse n’a aucune incidence pratique sur l’ordre juridique
Ils peuvent tous 2 être confiés à la Cour mais, logiquement, les conflits abstraits ne pourront pas faire l’objet d’un recours préjudiciel.
3°. Conflits résultant du champ d’application de plusieurs normes :
Les réformes institutionnelles ont apporté un problème bien particulier : la situation où 2 normes législatives, émanant de 2 législateurs différents n’ayant pas outrepassé leurs compétences, sont en conflit.
Le problème s’est posé à propos d’un travailleur qui travaillait en Flandre mais sous l’autorité d’un employeur établi en région de langue française. Une loi disposait que les relations de travail avec un employeur établi en région de langue française devaient se faire en français et un décret flamand disposait que les relations de travail avec un travailleur travaillant en Flandre devaient se faire en néerlandais. Ces 2 dispositions étaient toutes 2 régulières mais contradictoires. On peut parler de conflit sans excès de compétence.
A ce sujet, le législateur a prévu qu’ils seraient réglés par la Cour d’arbitrage, mais uniquement sur question préjudicielle. Cependant, la Cour d’arbitrage y a vu des excès de compétence et s’est donc autorisée à les régler via le contentieux de l’annulation.
5) La violation des garanties linguistiques à Bruxelles et dans les communes à facilités(à titre indicatif)
En 2001, on a régionalisé la matière des pouvoirs subordonnés. Cependant, Bruxelles et les communes à facilités ont échappé à cette régionalisation pour des motifs de méfiance communautaire.
Pour garantir cette limitation aux compétences des régions, on a confié à la Cour d’arbitrage la compétence d’en contrôler le respect.
d) Saisine de la Cour
La Cour d’arbitrage peut être saisie par toute juridiction, qu’elle soit judiciaire ou non. La saisine se fait par une décision ordinaire (arrêt ou jugement).
Selon les cas, les juridictions peuvent être obligées ou non de poser une question préjudicielle.
1) Saisine facultative
1°. Pour toutes les juridictions : la saisine est facultative si
– l’action est de toute façon irrecevable pour des raisons autres que de compétence ou de constitutionnalité (ex. défaut d’intérêt, vice de procédure,…).
– la Cour a déjà statué sur un recours ayant le même objet.
2°. Pour les juridictions ne statuant pas en dernier ressort : la saisine est aussi facultative si
– la norme dont on prétend qu’elle est irrégulière est manifestement conforme aux normes de contrôle de la Cour d’arbitrage. Les juridictions inférieures peuvent donc constater la constitutionnalité manifeste d’une norme législative.
– elles estiment pouvoir statuer sans avoir de réponse à la question préjudicielle.
Toutefois, à chaque fois que la saisine est facultative, les juridictions peuvent malgré tout poser la question si elles l’estiment utile.
2) Saisine obligatoire
Les juridictions statuant en dernier ressort (càd la Cour de Cassation et le CE) doivent, si on le leur demande, poser une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage :
– même si la norme dont on prétend qu’elle est irrégulière est manifestement conforme aux normes de contrôle de la Cour d’arbitrage.
Ici, c’est encore compréhensible car on peut craindre que la juridiction en question ne fasse une interprétation subjective de la disposition. C’est toutefois une belle arme dilatoire ouverte aux parties…
– même si elles estiment pouvoir statuer sans avoir de réponse à la question préjudicielle
Là par contre, c’est totalement aberrant, mais heureusement, une jurisprudence contra legem s’est développée. Différents arguments ont été utilisé pour contourner l’obligation de poser la question :
- l’interprétation conciliante
- le principe du délai raisonnable (art. 6 CEDH)
- le fait que la question soit dénuée de pertinence
- le fait qu’un recours en annulation concernant la même norme soit déjà pendant devant la Cour d’arbitrage
Remarque : quand aucune partie ne demande qu’une question préjudicielle soit posée mais qu’une juridiction de dernier ressort décèle une irrégularité, elle peut mais ne doit pas poser la question préjudicielle.
e) Interprétation et contrôle
L’interprétation d’une norme et le contrôle de sa constitutionnalité interfèrent souvent.
Il faut distinguer 2 situations :
1°. Celle où la Cour d’arbitrage est saisie d’un recours en annulation : dans ce cas, elle décide elle-même de l’interprétation qu’elle donne à la norme litigieuse et décide ensuite, en fonction de cette interprétation, si elle est constitutionnelle ou non.
Elle peut choisir une interprétation conciliante, mais elle n’y est pas obligée.
En tout cas, son arrêt ne liera les juges que dans la mesure où ils interpréteront la norme de la même manière qu’elle.
2°. Celle où la Cour d’arbitrage est saisie d’une question préjudicielle : dans ce cas, il y a 2 possibilités :
– soit le juge qui pose la question n’a pas donné d’interprétation à la norme visée : dans ce cas, la Cour décide elle-même de l’interprétation qu’elle donne à la norme litigieuse et raisonne comme au contentieux de l’annulation.
– soit le juge qui pose la question a interprété la norme visée : dans ce cas, la Cour doit décider de la constitutionnalité de cette norme en fonction de cette interprétation. S’il l’estime inconstitutionnelle, il peut éventuellement proposer des interprétations conciliantes, mais elles ne lieront pas le juge. Ce dernier aura donc une alternative :
· soit il maintient son interprétation et doit donc écarter la norme pour inconstitutionnalité
· soit il adopte une interprétation conciliante et peut appliquer la norme de cette manière
f) Effet de l’arrêt de la Cour d’arbitrage
L’arrêt de la Cour d’arbitrage tranche la question de la constitutionnalité de la norme visée.
Il s’impose :
– à la juridiction qui a posé la question et à toutes les autres juridictions qui se prononceront dans la même affaire
– à personne dans les autres affaires mais les juridictions peuvent, à l’avenir, se prévaloir de son enseignement pour ne pas reposer la même question
g) Concours d’irrégularités d’un acte législatif
1) Position du problème
Il y a une forte similitude entre certaines normes de contrôle de la Cour d’arbitrage et des règles de droit international (ex. en matière de droits et libertés).
Il arrive donc souvent qu’une norme législative semble violer les 2.
Que doit faire la juridiction saisie du problème dans ce cas ?
– poser une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage ?
– juger elle-même de la conformité de la norme législative au droit international (cf. arrêt Le Ski) ?
– faire les 2, mais dans quel ordre ?
2) Perspectives de solutions
Le problème a été soumis au CE en 2002 et il a distingué 2 situations :
– s’il y a des différences entre la norme de contrôle de la Cour d’arbitrage et le droit international, le Conseil d’Etat peut statuer lui-même sur la conformité de la norme législative au droit international sans devoir saisir la Cour d’arbitrage.
– par contre, si la norme de contrôle de la Cour d’arbitrage et le droit international ont la même portée, le Conseil d’Etat doit poser une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage.
3) Appréciation
La jurisprudence du Conseil d’Etat de 2002 pose 2 problèmes
1°. Elle permet aux juridictions d’apprécier elles-mêmes si une norme de contrôle de la Cour d’arbitrage et le droit international ont la même portée.
C’est critiquable car le droit international est un droit autonome qui ne peut faire l’objet d’une interprétation purement nationale. En effet, il doit être d’application uniforme dans tous les Etats qui y sont soumis et ne devrait donc, en principe, pouvoir être interprété que via des mécanismes internationaux (par ex. des juridictions comme la Cour de Strasbourg ou la CJCE).
2°. Elle oblige les juridictions, dans des cas très fréquents, à poser une question préjudicielle à la Cour d’arbitrage sous le seul prétexte qu’une norme de droit international se trouve aussi dans les normes de contrôle de la Cour d’arbitrage. Résultat : une énorme perte de temps. Si ce n’était pas le cas, en effet, les juridictions pourraient se contenter de régler la question elles-mêmes en vertu de l’arrêt Le Ski.
Cette jurisprudence va donc à l’encontre du principe du délai raisonnable, ce qui est particulièrement fâcheux dans le domaine des droits et libertés…
Il serait donc souhaitable que le Conseil d’Etat revienne sur sa jurisprudence et autorise toujours les juridictions à contrôler elles-mêmes la conformité d’une norme législative au droit international.
Ca limite les pouvoirs de la Cour d’arbitrage, mais n’oublions pas qu’elle reste de toute façon toujours et seule compétente au contentieux de l’annulation.
7. Les questions préjudicielles posées à l’AG de la section A du CE
a) Raison d’être
L’article 93 LCCE autorise le requérant à demander à la chambre du Conseil d’Etat qui s’occupe de son affaire qu’elle pose une question préjudicielle à l’AG de la section A concernant la conformité de la norme attaquée aux art. 10, 11 et 24 de la Constitution
Cette disposition date de 1989. Elle a été adoptée dans le contexte de la communautarisation de l’enseignement et de la crainte qu’une guerre scolaire ne resurgisse au niveau communautaire. Elle visait donc à protéger les minorités idéologiques.
On peut lui faire 2 critiques :
– elle a été votée dans le seul but d’éviter une guerre scolaire et le législateur a complètement perdu de vue que de telles questions préjudicielles pouvaient aussi être posées dans des contextes très différents et nombreux (ex. violation du principe d’égalité entre 2 candidats à un poste de fonctionnaire)
– elle utilise mal le terme de question préjudicielle qui, en principe, ne peut désigner qu’une question posée par une juridiction à une autre juridiction
b) Champ d’application
L’article 93 LCCE ne s’applique que dans les recours :
– en annulation
– visant un acte ou un règlement (et donc pas une décision contentieuse administrative).
c) Saisine de l’AG
La demande doit émaner du requérant et se faire au plus tard au moment où il dépose son mémoire en réplique (elle peut d’ailleurs se faire dedans).
Le Conseil d’Etat peut refuser de poser la question préjudicielle dans 2 cas :
– quand le recours en annulation est irrecevable
– quand l’annulation peut être prononcée pour un autre motif que la violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution
d) Composition de l’AG
– nombre pair.
– au moins 8 membres de la section A du Conseil d’Etat (et qui peuvent siéger dans la chambre en charge de l’affaire).
– parité linguistique : c’est assez bizarre vu que le mécanisme de la question préjudicielle sert ici à protéger des minorités idéologiques et non linguistiques, mais c’était la seule parité qu’il était possible d’instaurer et on s’est sans doute dit que la parité linguistique permettrait indirectement une parité idéologique avec une compensation des déséquilibres existant des 2 côtés de la frontière linguistique.
e) Procédure devant l’AG
Aucune disposition n’organise de procédure spécifique. On applique donc le droit commun.
Si l’AG, composée d’un nombre pair de conseillers, arrive à un partage des voix, elle devra conclure à l’absence de violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution Elle est censée motiver sa décision autrement que par le simple partage des voix, mais en pratique, elle ne le fait pas.
Sa décision est un arrêt qui lie la chambre saisie de l’affaire.
f) Commentaire(à titre indicatif)
Quand on a adopté cette procédure, on l’a décrite comme la procédure normale en cas de violation des articles 10, 11 et 24 de la Constitution par l’acte attaqué.
C’est loin d’être le cas : à ce jour, elle n’a été mise en œuvre que 2 fois. Ca s’explique par 3 raisons :
– elle ne peut être mise en oeuvre que par le requérant. Ca semble étrange pour une procédure censée protéger les minorités idéologiques et qu’on aurait pu rendre d’OP, mais ça s’explique par une volonté d’éviter qu’elle ne soit utilisée à des fins dilatoires.
– c’est une complication de procédure qui est rarement intéressante aux yeux du requérant.
– en lui demandant de poser une question préjudicielle, le requérant peut craindre de se faire mal voir de la chambre saisie de son affaire car ça peut sembler une marque de défiance.
C. Autres incidents de procédure
1. Le désistement
Le désistement consiste à renoncer au procès en cours de route. Il peut se justifier par des circonstances diverses.
Aucune forme particulière n’est requise : il suffit d’exprimer sans équivoque sa volonté de renoncer en tout ou en partie à sa demande.
Le Conseil d’Etat n’est pas obligé d’accepter le désistement, même si la partie adverse l’a accepté, car :
– le recours est objectif
– la procédure est inquisitoire
Il peut donc refuser le désistement si par ex. il estime que :
– il découle d’un accord illicite
– il découle d’une erreur du requérant sur les conséquences que pourrait avoir l’arrêt
– l’acte attaqué contient des illégalités d’OP qui justifient son annulation
Pratiquement, la procédure diffère selon que le désistement est total ou partiel :
– s’il est total, il y a 4 procédures différentes selon le moment où se fait le désistement mais elles tendent toute à en finir au plus vite. Après avoir débattu sommairement de l’affaire, le Conseil d’Etat décrète le désistement.
– s’il est partiel (on renonce à certains moyens ou on ne demande plus l’annulation que d’une partie de l’acte), la procédure n’est pas perturbée. Le cas échéant, le Conseil d’Etat vérifie simplement qu’une annulation partielle est concevable.
2. La connexité
Il y a connexité quand le lien entre 2 affaires est tellement étroit que des décisions en sens opposé aboutiraient à une aberration.
Dans ce cas, il faut joindre les dossiers et les juger ensemble.
Parfois, par la suite, il se peut que les dossiers soient à nouveau disjoints si, par ex., un incident de procédure ne concerne que certains d’entre eux.
3. La reprise d’instance
a) Objet
L’instance devant le Conseil d’Etat peut être interrompue suite à la perte, totale ou partielle, par une partie, de sa capacité juridique :
– décès
– faillite
– interdiction ou mise sous conseil judiciaire
– absorption d’une société par une autre
Il faut alors reprendre l’instance.
b) Procédure(à titre indicatif, et ce jusqu’au point d)
– si l’instance a été interrompue par le décès d’une partie, ses héritiers peuvent reprendre l’instance à condition d’y avoir un intérêt personnel et après le délai pour faire inventaire et délibérer (3 mois et 40 jours).
Ca se fait par requête adressée au greffe avant la clôture des débats.
– si l’instance a été interrompue pour une autre cause, elle peut être reprise par une simple déclaration au greffe avant la clôture des débats.
c) Défaut de reprise d’instance
Si l’instance n’est pas reprise, le Conseil d’Etat voit s’il veut juger l’affaire jusqu’au bout ou pas, pour les mêmes raisons qu’il accepte ou refuse un désistement.
d) Modification de parties sans interruption d’instance
Dans 2 cas, les parties à une instance peuvent changer sans qu’elle soit interrompue :
– quand la requête avait été introduite pour un mineur par ses représentants légaux et que, devenu majeur, il reprend l’instance
– quand un pouvoir public voit ses attributions changer et qu’un autre pouvoir public se substitue à lui
4. La récusation
a) Objet
La récusation consiste à écarter du siège un magistrat qui aurait normalement dû connaître de l’affaire.
Elle peut avoir différentes causes :
– celles prévues par le C.J. : les cas où l’on peut craindre que l’impartialité du juge ne soit affectée par les relations qu’il a avec l’une des parties.
– une cause spécifique à la procédure devant le Conseil d’Etat : le cas où un conseiller a donné son avis sur le règlement attaqué alors qu’il siégeait à la section L (et parallèlement, un auditeur ne peut faire rapport à la section A sur un règlement qu’il a traité à la section L).
– une cause qui découle de l’article 6 CEDH : le cas où un conseiller a connu précédemment de l’affaire en une autre qualité (auditeur, avocat,…).
b) Champ d’application(à titre indicatif)
Jusque 1999, la loi ne visait que la récusation des conseillers. Mais les auditeurs présentent également un risque de partialité, tout comme le MP devant les juridictions judiciaires (il peut d’ailleurs être récusé).
La jurisprudence a donc admis la récusation des auditeurs et, en 1999, la loi l’a consacré.
c) Procédure(à titre indicatif)
La demande de récusation doit se faire par une requête.
Le récusant et le récusé sont entendus.
La procédure n’étant pas très complète, le 1er président prend, dans les rares cas où l’occasion se présente, une ordonnance qui en règle les détails.
5. Le renvoi à l’AG de la section A
Hors les cas où une question préjudicielle lui est posée relativement aux art. 10, 11 et 24 de la Constitution, l’AG de la section A peut être saisie dans 3 cas :
– quand le requérant invoque comme moyen un détournement de pouvoir : dans ce cas, la chambre saisie de l’affaire peut elle-même rejeter le moyen ou suspendre la décision, mais si elle estime le moyen sérieux et fondé, elle devra renvoyer l’affaire à l’AG qui, seule, pourra annuler l’acte.
– quand on a un recours en révision : là aussi, la chambre saisie de l’affaire peut elle-même rejeter le recours, mais si elle estime qu’il faut réviser, elle devra renvoyer l’affaire à l’AG qui, seule, peut prononcer une révision.
– quand on veut assurer l’unité de la jurisprudence : dans les affaires délicates ou controversées,
- soit le 1er président
- soit l’auditeur général
peuvent décider de renvoyer l’affaire à l’AG.
Des 3 cas, c’est de loin le plus courant, même si on a tendance à ne pas l’utiliser assez souvent, notamment dans les matières communautaires.
6. La suspension de l’examen du recours(à titre indicatif)
Dans le contentieux des étrangers, quand une personne a fait l’objet d’une mesure d’éloignement, elle dispose de 2 recours :
– un recours administratif en révision auprès du ministre de l’Intérieur
– un recours juridictionnel en annulation auprès du CE
L’exercice du recours en révision n’est pas un préalable obligé à l’exercice du recours en annulation. Mais si on introduit les 2 en même temps, la procédure devant le Conseil d’Etat sera suspendue jusqu’à ce que le ministre ait statué.
Une fois qu’il aura statué, de 2 choses l’une :
– soit il accueille le recours : dans ce cas, le recours en annulation perd son objet
– soit il rejette le recours : dans ce cas, le recours en annulation sera examiné et tranché
7. Le désaveu
Le désaveu consiste, pour une partie, à contester avoir donné mandat à son avocat pour poser un acte de procédure.
Devant les juridictions judicaires, une procédure est organisée, mais devant le Conseil d’Etat, le cas est tellement rare que rien n’est prévu. Il suffit donc d’exprimer sans équivoque sa volonté de désavouer.
XVIII. Les procédures accélérées(à titre indicatif)
A. Objet et raisons d’être
Les procédures accélérées ont été instaurées pour 2 types de contentieux :
1°. L’annulation de décisions prises dans le cadre du contrôle des pouvoirs publics sur les entreprises opérant dans certaines branches d’activité :
- assurances
- mutuelles
- crédit hypothécaire
Le but de la procédure accélérée est de ne pas compromettre les intérêts économiques de ces entreprises par une procédure trop lente, tout en respectant malgré tout leurs droits de la défense.
2°. L’annulation de décisions d’éloignement prises dans le cadre du contentieux des étrangers : ces décisions sont très nombreuses et posent rarement des problèmes juridiques complexes. On a donc prévu une procédure plus rapide pour éviter d’engorger le Conseil d’Etat.
B. Le contentieux du contrôle de la CBFA
1. Contexte
En 1935, on a créé la Commission bancaire (CB), une autorité administrative indépendante chargée de contrôler le secteur bancaire.
En 1990, elle devient Commission bancaire et financière (CBF), chargée d’assurer la police de tout le monde des finances, y compris des marchés. On lui donne alors des compétences pour :
– investiguer
– autoriser certaines opérations
– imposer des mesures aux organismes financiers
Ses décisions pouvant être lourdes de conséquences, on décide de prévoir une voie de recours contre elles, devant le ministre des finances.
Puis, en 2002, on instaure un recours juridictionnel, partagé entre la Cour d’appel de Bruxelles et le Conseil d’Etat.
2. L’Office de contrôle des assurances
En 1975, on a créé l’Office de contrôle des assurances (OCA) afin d’instaurer un contrôle des pouvoirs publics sur ces entreprises.
L’OCA est compétent pour contrôler les entreprises d’assurances agréées et pour inscrire (ou radier) les courtiers au registre des intermédiaires d’assurances.
Ces décisions étant également lourdes de conséquences, on a prévu un recours contre elles, devant le Conseil d’Etat, suivant une procédure accélérée :
– les délais de procédure sont stricts
– les mémoires sont supprimés.
3. L’actuelle CBFA
En 2003, l’OCA a été intégrée dans la CBF qui est devenue pour l’occasion CBFA.
4. Recours et procédure
Les décisions pour lesquelles un recours devant le Conseil d’Etat est ouvert sont déterminées par référence aux dispositions en vertu desquelles elles sont prises.
La procédure est organisée par un AR du 15/05/03 :
– le recours est en principe suspensif, sauf si la CBFA a déclaré sa décision exécutoire nonobstant recours
– dans les 15 jours de la notification de la décision de la CBFA, son destinataire doit introduire un recours auprès de la CBFA
– une fois ce recours introduit, il doit attendre encore 15 jours avant de pouvoir saisir le Conseil d’Etat, et maximum un mois
– la procédure n’implique qu’une requête, un mémoire en réponse et un rapport de l’auditeur
– il y a des délais déterminés mais ce sont des délais d’ordre
– si la solution est manifeste, l’auditeur peut engager une procédure abrégée
– le recours n’est pas gratuit
C. Le contentieux du contrôle des institutions de prévoyance
Les institutions de prévoyance sont les caisses de pension et de prévoyance instituées par les entreprises au profit de leur personnel. Elles font l’objet d’un contrôle assez similaire à celui de la CBFA.
Les décisions prises dans le cadre de ce contrôle sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat, suivant une procédure assez proche de celle instaurée pour les décisions de la CBFA, avec quelques différences (procédure gratuite, délais différents,…).
D. Le contentieux du contrôle des mutuelles
Les mutualités sont contrôlées par le ministre des affaires sociales et l’Office de contrôle des mutualités et des unions nationales de mutualités.
Leurs décisions sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat, suivant une procédure assez proche de celle instaurée pour les décisions de la CBFA, avec quelques différences.
E. Le contentieux du contrôle des entreprises de crédit hypothécaire
Les entreprises de crédit hypothécaire sont contrôlées par l’OCA (càd aujourd’hui la CBFA) qui peut les agréer et les radier.
Ses décisions sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat suivant une procédure assez proche de celle instaurée pour les décisions de la CBFA, avec quelques différences.
F. Le contentieux de l’éloignement des étrangers
1. Contexte et Objet
L’article 191 de la Constitution dispose que les étrangers se trouvant en Belgique bénéficient de la protection accordée aux personnes aux biens, sauf exceptions prévues par la loi.
Ces exceptions sont permis au législateur de mettre en place une « police des étrangers » dont la disposition la plus importante est la loi du 15/12/80 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.
Les étrangers peuvent se trouver en Belgique :
1° Soit régulièrement : il existe 3 situations administratives différentes
– le séjour de 3 mois maximum
– le séjour de plus de 3 mois
– l’établissement (en principe définitif)
Dans ces situations, on ne peut être éloigné que :
– par un arrêté ministériel de renvoi (si séjour) si on ne respecte pas les conditions de son séjour
– par un AR d’expulsion (si établissement) si on porte atteinte à l’OP ou à la sécurité nationale
2°. Soir irrégulièrement : dans ce cas, il y a 2 situations
– soit on essaie de rentrer irrégulièrement en Belgique mais on est arrêté à la frontière : on peut alors être refoulé
– soit on a réussi à rentrer irrégulièrement en Belgique ou on est devenu un des « indésirables » énumérés par la loi : on peut alors recevoir un ordre de quitter le territoire
Toutes ces décisions d’éloignement sont susceptibles de recours :
– on a d’abord un recours administratif ouvert auprès du ministre de l’Intérieur : le recours en révision.
– on a ensuite un recours juridictionnel ouvert devant le Conseil d’Etat : le recours en annulation et en suspension.
Les 2 peuvent mais ne doivent pas être introduits simultanément. On peut donc décider d’agir uniquement devant le Conseil d’Etat.
Remarque : il existe aussi une procédure spécifique pour les étrangers demandant le statut de réfugié politique.
Si sa demande est refusée, l’étranger a un recours devant le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), une autorité administrative indépendante. Elle a alors 30 jours (délai d’ordre) pour :
– soit rejeter ou accepter le recours : dans ce cas, l’étranger a encore un recours devant le Conseil d’Etat.
– soit décider de mieux examiner le recours et ensuite l’examiner et se décider : dans ce cas, l’étranger aura encore un recours devant la Commission permanente de recours pour réfugiés.
2. Procédures
a) Objet : référé et annulation
Les recours en annulation et en suspension introduits contre des mesures d’éloignement sont traités selon des procédures accélérées voire abrégées, ordinaires et d’extrême urgence.
La procédure accélérée vaut aussi pour la suspension car ces recours sont presque tous assortis d’une demande de suspension. En effet, il y a peu d’intérêt à obtenir l’annulation d’une mesure d’éloignement après avoir été éloigné…
b) Délai de recours
Le délai de recours contre les mesures d’éloignement est de 30 au lieu de 60 jours. Les autres délais sont également plus courts.
Cette brièveté s’explique par des raisons financières : tant que son sort n’est pas réglé, l’étranger a droit au revenu d’intégration, payé par les CPAS.
c) La procédure en référé (suspension)
1°. Procédure ordinaire : la procédure est assez proche de celle de droit commun. La différence réside surtout dans le rôle de l’auditeur :
– s’il estime que l’affaire ne requiert que des débats succincts, il donne son opinion dans une formule brève dans l’avis de fixation
– s’il estime que l’affaire doit être traitée normalement, il donne son opinion dans un avis provisoire succinct
Les autres différences tiennent aux formalités à accomplir et aux délais d’intervention.
2°. Procédure d’extrême urgence : la procédure est assez proche de celle de droit commun. La seule différence est que les décisions par défaut ne sont pas confirmées.
Les suspensions et mesures provisoires sont levées si aucun recours en annulation n’est introduit. Ca se fait selon une procédure abrégée la même qu’en droit commun.
d) La procédure en annulation ou en cassation
1°. Procédure normale : la procédure est assez proche de celle de droit commun, si ce n’est que les formalités sont plus importantes et que les délais sont raccourcis.
2°. Procédures abrégées :
– procédure à audience facultative : elle est suivie si l’une des parties donne l’impression de se désintéresser de l’affaire (par ex. en omettant de déposer un acte de procédure)
– procédure à audience obligatoire : elle est suivie si
· soit l’auditeur estime que la solution est manifeste
· soit l’auditeur estime que, sans que la solution soit manifeste, l’affaire n’appelle que des débats succincts
G. Le contentieux du contrôle fédéral des relations internationales des communautés et régions
Les communautés et régions sont compétentes, depuis 1993, pour conclure des traités internationaux portant sur des matières relevant de leurs compétences exclusives.
Ca se fait toutefois sous contrôle de l’autorité fédérale, selon une procédure qui s’inspire de la procédure de règlement des conflits d’intérêt :
– quand une entité fédérée décide d’entamer des négociations en vue de conclure un traité, elle doit avertir le roi, et ensuite l’avertir de tous les actes posés (signature, ratification,…)
– suite à cet avertissement, le roi a 30 jours pour intervenir. S’il a des objections par rapport au traité à venir, il prend une délibération qu’il notifie
- au gouvernement de l’entité fédérée concernée
- au président de la Conférence interministérielle de politique étrangère
La conférence est alors saisie et toute initiative relative au traité est bloquée.
– la conférence a 30 jours pour statuer au consensus :
- soit elle suit les objections du roi : dans ce cas, la négociation du traité doit être abandonnée
- soit elle ne les suit pas : dans ce cas, la négociation du traité peut être poursuivie
- soit elle ne se prononce pas : dans ce cas, le roi peut, dans les 30 jours, confirmer la suspension des négociations, mais uniquement si
1) soit la Belgique n’a pas ou a des mauvaises relations diplomatiques avec l’autre partie au futur traité
2) soit le futur traité est contraire aux obligations internationales de la Belgique
Cet AR peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat qui doit statuer dans les 6 mois (délai d’ordre).
Notons que le roi peut aussi suspendre un traité déjà pris pour les mêmes raisons. Sa décision sera également susceptible de recours devant le Conseil d’Etat.
H. Les recours contre les décisions de la Commission pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence en matière d’aide provisionnelle
La Commission est une juridiction administrative dont les décisions sont susceptibles de cassation administrative par le Conseil d’Etat.
Des règles particulières de délai et de procédure doivent encore être fixées par AR.
I. Commentaire
La longueur de la procédure devant le Conseil d’Etat peut causer des préjudices sérieux. C’est pour cette raison que le législateur a instauré le recours en suspension.
Par contre, peu de raisons valables expliquent la création de toutes les procédures accélérées vues supra. Dans la grande majorité des cas, le recours en suspension de droit commun devrait suffire. Mais la création de procédures accélérées spécifiques s’explique par un lobby des compagnies d’assurance qui ont voulu se réserver une procédure avantageuse.
C’est critiquable car :
– ces procédures lèsent les droits de la défense
– elles sont toutes différentes, ce qui complique inutilement les choses
En fait, la seule matière dans laquelle les procédures accélérées ont une utilité est le contentieux des étrangers, et là, on a mis 4 ans pour les instaurer…
XIX. Les procédures abrégées
A. Origine et raisons d’être(à titre indicatif)
Dès la création du Conseil d’Etat, on a voulu traiter par une procédure abrégée les affaires simples. On a donc prévu une procédure :
– qui dispense des mesures préalables : l’auditeur fait son rapport dès le dépôt de la requête et ce n’est qu’une fois qu’il l’a rendu qu’on retourne à la procédure normale (dès 1946)
– qui permet de confier les affaires à des chambres d’un seul conseiller (depuis 1991)
Ca s’applique dans les 6 cas suivants :
B. Les requêtes qui doivent manifestement être rejetées
Ca vise 3 situations :
– quand le Conseil d’Etat n’est manifestement pas compétent
– quand la requête est manifestement tardive
– quand la requête est manifestement mal fondée
L’auditeur fait son rapport directement et voit dans laquelle de ces 2 possibilités on se trouve :
– soit il n’apparaît pas que des tiers puissent être intéressés par la solution de l’affaire (le plus courant) : dans ce cas, le rapport est transmis au président de la chambre saisie de l’affaire qui convoque les parties dans les 10 jours. Il peut se faire remplacer par un autre conseiller.
– soit il apparaît que des tiers pourraient être intéressés par la solution de l’affaire (el moins courant) : dans ce cas, le rapport est transmis
- au président de la chambre saisie de l’affaire
- aux tiers intéressés et aux autres parties, avec la requête
Les tiers intéressés ont alors 15 jours pour intervenir. Après ces 5 jours, le président convoque les parties dans les 10 jours.
A l’audience, on ne débat que sur l’incompétence, l’irrecevabilité ou l’absence de fondement manifeste de la requête. Le président peut prendre 2 types de décisions :
– un arrêt de rejet (en général)
– un arrêt ordonnant la poursuite normale de la procédure, s’il apparaît que, finalement, la solution n’était pas si manifeste que ça (rare)
C. Les requêtes qui doivent manifestement conduire à l’annulation
Ca vise les situations où la requête est manifestement fondée (et a fortiori où le Conseil d’Etat est compétent et où la requête n’est pas tardive).
Là, l’auditeur ne peut faire son rapport qu’après avoir reçu le dossier administratif, et ce pour 2 raisons :
– comme le dossier est normalement accompagné du mémoire en réponse, c’est une garantie pour les droits de la défense
– le dossier est l’élément central qui permet d’apprécier le fondement d’un recours
Une fois que l’auditeur a fait son rapport, on suit la même procédure qu’au pt. B.
A l’audience, on débat sur le caractère manifeste ou non du fondement de la requête. Le président peut prendre 2 types de décisions :
– un arrêt d’annulation
– un arrêt ordonnant la poursuite normale de la procédure
Remarque : quand on a une procédure en suspension en parallèle, le dossier administratif doit être déposé dans un délai beaucoup plus bref et ne doit être accompagné que d’une note d’observation et non pas d’un véritable mémoire. C’est assez limite en ce qui concerne les droits de la défense, mais jusqu’à présent, ça n’a jamais empêché la procédure de se dérouler ainsi.
D. Absence de mémoire en réplique ou de mémoire ampliatif
Ca vise les situations où le requérant omet de déposer un mémoire en réplique ou ampliatif.
On a voulu sanctionner de façon draconienne le dépassement des délais et on a donc prévu que si le requérant ne déposait pas à temps son mémoire en réplique ou ampliatif, il serait présumé avoir perdu son intérêt. Il faut donc toujours déposer ce mémoire, quitte à ne rien y ajouter et à y dire qu’on maintient sa requête.
Dans cette situation, l’auditeur fait avertir les parties que la chambre va statuer en constatant l’absence d’intérêt :
– en principe, ça se fera sans audience.
– mais une partie peut demander qu’il y ait une audience. Le requérant n’échappera cependant à un arrêt constatant l’absence d’intérêt que si elle peut prouver que son retard à déposer son mémoire est dû à la force majeure.
E. Absence de demande de poursuite de la procédure après un rapport de l’auditeur concluant au rejet
Ca vise les situations où le requérant omet de demander que la procédure soit poursuivie alors que le rapport de l’auditeur a conclu au rejet de son recours.
Quand l’auditeur conclut au rejet, le requérant doit, dans le mois qui suit le jour où le rapport lui a été notifié, faire une demande de poursuite de la procédure. Le délai est le même que celui pour dépose le dernier mémoire et d’ailleurs, le fait de déposer un dernier mémoire sera considéré comme une demande de poursuite de la procédure.
Si le requérant ne le fait pas, l’auditeur fait avertir les parties que la chambre va statuer en constatant le désistement.
En principe, ça se fera sans audience.
F. Absence de demande de poursuite de la procédure après une suspension
Ca vise les situations où l’arrêt est suspendu et où ni la partie adverse, ni l’intervenant (s’il y en a un) ne manifestent leur volonté de poursuivre l’instance.
Quand un acte est suspendu, il y a de sérieux doutes sur sa légalité et pas mal de chances qu’il soit annulé. D’ailleurs, souvent, l’auteur de l’acte le retire avant même qu’il ne soit annulé.
On a donc prévu que, en cas de suspension, la partie adverse (ou un éventuel intervenant) devait, dans les 30 jours de la notification de l’arrêt de suspension, introduire une demande de poursuite de la procédure. Autrement, elle sera présumée avoir acquiescé quant au fond à ce qui a été jugé au provisoire.
Dans cette situation, l’auditeur fait avertir les parties que la chambre va statuer sur l’annulation de l’acte.
En principe, ça se fera sans audience.
G. Absence de demande de poursuite de la procédure après rejet d’une demande de suspension
Ca vise les situations où l’arrêt n’est pas suspendu et où le requérant ne manifeste pas sa volonté de poursuivre l’instance. Ca ne vaut évidemment que si la requête en annulation a été déposée avant que le Conseil d’Etat ne statue sur la suspension.
C’est une disposition symétrique à la précédente, mais qui s’explique moins facilement. En effet, quand il y a suspension, il y a de fortes chances que l’acte attaqué soit illégal. Par contre, ce n’est pas parce que le Conseil d’Etat refuse de suspendre un acte qu’il a autant de chances d’être légal.
Le but de cette disposition est donc plus pragmatique que justifié par une réalité : on veut abréger la procédure. La Cour d’arbitrage n’a cependant pas jugé ça inconstitutionnel.
Dans cette situation, l’auditeur fait avertir les parties que la chambre va statuer sur le désistement.
En principe, ça se fera sans audience.