Droit de la propriété industrielle
Le Droit de la propriété industrielle est une des branches du droit de la propriété intellectuelle (littéraire et artistique). Le droit de la propriété industrielle se rapproche du droit des affaires, puisqu’il touche aux entreprises. Elle concerne les créations techniques : les brevets, les créations ornementales (les dessins et les modèles), les signes distinctifs (les marques, les dénominations sociales, les noms commerciaux, les enseignes, les appellations d’origine) et les indications de provenance protégées.Ce cours est envoyé par Julien, merci
Le savoir-faire : C’est un ensemble d’informations techniques non brevetés qui sont secrètes, substantielles et identifiées de manière appropriée. Ces informations techniques peuvent faire l’objet de licence, on peut les louer.
Les brevets d’invention : C’est un titre de propriété industriel délivré par un organisme public spécialisé qui donne à son titulaire le droit exclusif d’exploiter une invention pendant 20 ans. Le brevet suppose donc une révélation de l’invention. Tout doit être dévoilé. Le brevet d’invention est délivré pour une invention technique nouvelle et non évidente pour l’homme du métier. La législation nationale c’est le code de propriété intellectuelle et de multiples conventions internationales : la convention de l’union de Paris du 20 mars 1883, remplacée par un acte signé à Stockholm le 14 juillet 1967. Cette convention édicte 3 principes :
- Un droit de priorité : la possibilité pour un ressortissant d’un pays de l’union de pouvoir dans les 12 mois suivant le dépôt de la première demande de brevet bénéficié d’un droit de priorité pour déposer une demande dans les autres pays signataires de l’union.
- Principe de l’indépendance des brevets : la validité et la durée va varier selon les États. Égalité de traitement entre les ressortissants de l’Union.
Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevet européen : procédure unique de délivrance dans un pays qui s’applique dans tous les pays de l’UE. Confirmé par la convention de Luxembourg du 15 décembre 1975.
Les inventions brevetables
Il faut 3 conditions :
- Il faut un caractère de nouveauté, l’invention ne doit pas être comprise dans l’état de la technique sous réserve du cas particulier des inventions relatives aux médicaments. L’état de la technique c’est tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date du dépôt de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.
- L’invention doit résulter d’une activité inventive, cela doit résulter d’une recherche et cela ne doit pas être compris dans l’état de la technique.
- Elle doit être susceptible d’application industrielle, l’objet de l’invention doit pouvoir être fabriqué ou utilisé dans n’importe quel genre d’industrie y compris l’agriculture. (exclu les théories, l’abstrait, les méthodes mathématiques)
Les inventions non brevetables.
Ne pourons pas être breveté soit en raison de leur objet de leur domaine les découvertes et les théories scientifiques et les méthodes mathématiques. (Droit d’auteur).
Ne sons pas également protégées par les brevets, les créations esthétiques, les plans principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles en matière de jeu ou dans le domaine économique ainsi que les programmes d’ordinateur (France).
Également les méthodes de traitement chirurgicales ou thérapeutiques concernant le corps humain ou animal ainsi que les méthodes de diagnostic appliqué au corps humain ou animal.
Ne sont pas protégées non plus, les races animales et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux.
La durée du brevet
On peut obtenir soit un brevet classique de 20 ans à compter de la demande mais également un certificat d’utilité qui est un titre délivré lorsque le demandeur a changé sa demande en ce sens ou lorsque le demandeur n’a pas requis l’établissement du rapport de recherche aux termes d’un délai de 18 mois. (Le délai de 18 mois correspond à la durée de publication de l’UNPI). Le titulaire du brevet c’est l’inventeur c’est-à-dire celui qui conçoit et réalise des moyens propres à procurer un résultat. Lorsqu’il y a plusieurs inventeurs, il y a plusieurs hypothèses :
- Quand plusieurs personnes réalisent une invention indépendamment l’une de l’autre le droit au titre de propriété appartient au premier déposant.
- Lorsque plusieurs personnes participent ensemble à la réalisation de l’invention et ont déposé une demande de brevet commune elles sont copropriétaires.
Les personnes ressortissantes d’un pays membre de l’union européenne vont jouir des mêmes droits que ceux accordés aux nationaux.
Le cas des inventeurs salariés
Régime strict. Pour bénéficier du régime des inventions de salariés, l’invention doit avoir été effectuée à l’occasion de l’exécution d’un contrat de travail. Les dirigeants de société ne peuvent bénéficier du statut des inventions de salariés que s’ils cumulent leurs fonctions de dirigeant avec un contrat de travail. Il existe 3 catégories d’invention de salariés :
- Les inventions de mission : ce sont des inventions réalisées soit dans l’exécution d’un contrat de travail qui comporte une mission inventive qui correspond aux fonctions effectives du salarié soit d’études de recherches explicitement confiées au salarié. Ces inventions restent la propriété de l’employeur. Toutefois le salarié va bénéficier d’une rémunération supplémentaire déterminée soit dans le contrat de travail soit dans la convention collective.
- Les inventions hors mission attribuable : elle ne relève pas d’une mission spécifique prévue par le contrat de travail mais elles ont quand même un lien avec l’entreprise soit en raison des moyens techniques soit en raison du domaine d’activité ou des fonctions. -> Ces inventions appartiennent au salarié mais l’employeur a le droit de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits moyennant un juste prix.
- Les inventions hors mission non attribuable : Ce sont celles qui ne relèvent pas des deux premières catégories et qui appartiennent au salarié sans attribution possible à l’employeur.
Les marques
Une marque est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou les services d’une entreprise. Le signe peut être nominal, un assemblage de mot, un nom patronymique, ou géographique, il peut s’agir d’une lettre, d’un chiffre ou d’un sigle. Il peut s’agir d’un signe sonore (son ou phrase musical), signe figuratif (un dessin) une étiquette, un cachet, une image de synthèse, un logo, etc.
La marque enregistrée confère à son titulaire le droit d’interdire toute reproduction ou imitation du signe pour des produits ou des services identiques ou similaires. Il existe ce qu’on appelle des appellations d’origine. C’est un droit de propriété industrielle qui s’acquiert par l’usage de la dénomination d’un pays d’une région, ou d’une localité.
Introduction
Le droit de la propriété industrielle est indissociable du droit de la propriété littéraire et artistique (= les droits d’auteur) : ils forment un tout, que l’on appelle la propriété intellectuelle.
§ 1 : La notion de propriété industrielle
D’une façon générale, les droits de propriété intellectuelle sont des droits exclusifs, temporaires, accordés par l’Etat en vue de favoriser l’exploitation de créations intellectuelles. Ces droits ont pour finalité la promotion du développement technologique, mais également culturel.
En assurant à l’auteur de la création une protection, le législateur entend encourager cette création. Pour ce faire, il lui est accordé un monopole qui vise à empêcher les tiers de « piller » la création d’autrui, et de tirer un profit des investissements réalisés par le créateur. On remarque donc la volonté du législateur de dresser une sorte de zone de démarcation autour de l’auteur, afin de l’encourager à créer pour qu’il ait le monopole de sa création.
Pour autant, la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique se distinguent par plusieurs caractéristiques. Une des distinctions essentielles tient au fait que le droit d’auteur est reconnu automatiquement au créateur, tandis que les droits de propriété industrielle sont reconnus par l’autorité publique à la suite d’une demande formée par l’intéressé auprès d’une autorité spécialement habilitée qui examinera la recevabilité de la demande.
Que recouvre la propriété industrielle ?
La propriété industrielle recouvre des éléments assez divers :
- Tout d’abord, elle couvre de véritables créations industrielles. Pour ce faire, on a recours au droit des brevets, qui protège ce qu’on appelle l’invention (Partie I) ;
- La propriété industrielle couvre également le droit des marques, qui est en fait inclus dans une catégorie plus large, qu’on appelle le droit sur les signes distinctifs[1](Partie II) ;
- Le droit de la propriété industrielle couvre également le droit des dessins et des modèles, qui a vocation à protéger les créations ornementales(Partie III) ;
- Enfin, plus spécifiquement, la propriété industrielle inclut le droit des obtentions végétales, qui s’applique aux variétés végétales[2].
§ 2 : La nature juridique des droits de propriété industrielle
Pour comprendre la nature juridique des droits de propriété industrielle, il faut replacer la matière dans son contexte. Le droit de la propriété industrielle, et plus largement le droit de la propriété intellectuelle, entretient des liens avec d’autres disciplines du droit.
Le droit de la propriété industrielle est en lien direct avec :
- Le droit commercial : la propriété industrielle est un élément constitutif du fonds de commerce, classé dans la catégorie des éléments incorporels ;
- Le droit des sociétés : les droits de propriété intellectuelle peuvent faire l’objet d’apports en société, apports en contrepartie desquels l’apporteur recevra des droits sociaux.
Cela permet de comprendre que, malgré leur appellation de « droits de propriété intellectuelle », ces droits ont une valeur pécuniaire. Ils sont susceptibles de faire l’objet d’une évaluation patrimoniale. Ce sont donc des droits patrimoniaux.
Pour aller encore plus loin dans la détermination de la nature juridique des droits, il faut également se rapprocher du droit civil des biens. Le rapport entre les matières n’est pas le même, mais il est néanmoins fondamental, car c’est celui qui permet le mieux de saisir la nature juridique de ces droits. Quand on aborde le droit civil des biens, le rapport essentiel est le droit de propriété. Toutefois, le droit de propriété y est abordé dans son sens classique. Autrement dit, un droit de propriété qui porte sur un objet corporel.
Exemple : les valeurs mobilières.
Les droits de propriété intellectuelle conduisent en fait à aborder la propriété sous un angle assez différent, puisque la propriété dans ce cas-là porte sur un droit, donc sur un élément incorporel. Pour autant, l’on considère aujourd’hui que le contenu des droits de propriété industrielle est de nature à permettre de déterminer la nature juridique de ces droits. Il y a bien une différence dans l’objet, puisqu’on est face à un objet abstrait : la propriété intellectuelle (contrairement à un bien corporel).
On s’aperçoit que l’objet intellectuel possède les trois attributs du droit de propriété au sens classique du terme :
- · L’usus ;
- · Le fructus ;
- · L’abusus.
Tout d’abord, le propriétaire du droit dispose de l’usus, c’est-à-dire de la marque, du modèle, etc. Cet usus présente une caractéristique qui est d’être exclusif. C’est l’une des caractéristiques du droit de propriété intellectuelle de reconnaître un monopole d’exploitation, une exclusivité au titulaire de ce droit.
Le système des brevets a été conçu pour favoriser sur un plan économique ceux qui, par leur invention, contribuent aux progrès techniques. De ce fait, le titulaire du brevet bénéficie d’un monopole d’exploitation. En contrepartie, la collectivité toute entière – la société civile – doit pouvoir bénéficier du progrès réalisé grâce à cette invention, et ce bénéfice résulte de la connaissance intellectuelle qu’elle peut avoir de l’invention par le biais de la divulgation du contenu de l’invention. Si l’inventeur ne veut pas divulguer le contenu de son invention, alors il ne peut pas demander de brevet.
Le titulaire du droit de propriété intellectuelle a ensuite incontestablement le fructus, c’est-à-dire le droit de percevoir les fruits de l’exploitation de son droit. C’est même là une des caractéristiques de la propriété intellectuelle.
Enfin, la cessibilité, la transmissibilité, mais également la possibilité d’abandonner son droit attestent que le droit reconnu au titulaire est large, puisqu’il peut en disposer librement, tant juridiquement que matériellement, ce qui renvoie à l’abusus.
Ainsi sont réunis sur la tête du titulaire tous les attributs du droit de propriété. La nature exacte des droits de propriété intellectuelle – et par voie de conséquence, le droit de propriété industrielle – peut d’ailleurs être déduite sur la base d’une disposition propre au droit d’auteur : l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété exclusif et opposable à tous ».Le monopole d’exploitation temporaire, qui est reconnu par le législateur sur des biens incorporels, constitue donc un droit de propriété incorporel, et cela vaut tant pour le droit d’auteur que pour les droits de propriété industrielle.
§ 3 : La législation applicable à la propriété industrielle
Le droit de propriété industrielle est réglementé à trois échelons géographiques :
- · A l’échelon national ;
- · A l’échelon européen ;
- · A l’échelon international.
A l’échelon international : l’existence d’une législation supranationale est vraiment déterminante dans ce domaine, parce qu’elle a vocation à simplifier des démarches qui doivent être entreprises par celui qui souhaite obtenir un droit de propriété intellectuelle.
Exemple : une entreprise qui se développe bien peut prétendre viser une exploitation commerciale dans 60-70 pays. On voit assez mal comment un vendeur pourrait effectuer autant de démarches parallèles dans chacun de ces pays, et ce serait un frein considérable au développement économique. Il y a toute une stratégie à développer sur le volet de la propriété intellectuelle pour être sur le marché.
L’idée est donc de faire en sorte d’avoir de plus en plus d’outils pour faciliter les démarches du demandeur. Le premier objectif de l’outil international (traités, conventions, etc.) est d’offrir au demandeur d’un droit de propriété industrielle un outil qui permet de centraliser ces demandes de protection. Mais le législateur essaye d’aller plus loin en proposant également des textes d’harmonisation des législations. On est donc sur un volet à la fois pratique, économique, et politique.
A l’échelon national : l’essentiel des sources internes de droit de propriété industrielle se trouvent dans le Code de la propriété intellectuelle. La codification a été faite en 1992 (à la fois pour la partie législative et pour la partie réglementaire).
A l’échelon européen : les textes sont assez nombreux, et aussi bien les règlements que les directives. L’action de l’Union Européenne dans le domaine de la propriété intellectuelle a principalement porté sur l’harmonisation du droit matériel national, et la création d’un droit unitaire au niveau de l’Union Européenne. Certains droits nationaux de propriété industrielle ont été harmonisés, comme c’est le cas des marques, des dessins et modèles, et des brevets.
L’action de l’Union Européenne a également porté sur la création d’un droit unitaire au niveau communautaire, avec des droits qui sont valables immédiatement sur l’ensemble des territoires de l’Union Européenne. C’est le cas de la marque communautaire et des dessins et modèles communautaires. Depuis 3 ans existe également un brevet européen qui produit des effets unitaires.
L’harmonisation progressive du droit matériel de la propriété industrielle a permis de faciliter la libre-circulation des marchandises entre les Etats-membres et de rendre plus transparentes les règles applicables. En outre, l’action européenne a également consisté à renforcer les moyens de lutte contre la contrefaçon, dont sont victimes les titulaires de droit de propriété industrielle.
Les directives européennes : |
Les règlements européens : |
Les directives les plus importantes : · Il y a tout d’abord la Directive du 16 décembre 1986relative à la protection juridique des topographies originales de produits semi-conducteurs[3]. Cette directive a été transposée en droit interne par la Loi du 4 novembre 1987 ; · On peut également évoquer la Directive du 31 décembre 1988 sur le droit des marques, qui a été transposée par une Loi du 4 janvier 1991, et qui a été modifiée par une Directive du 22 octobre 2008 ; · On peut aussi évoquer la Directive du 6 juillet 1998sur la protection juridique des inventions biotechnologiques, qui a été transposée en droit français par lesLois du 6 août et 8 décembre 2004, Lois de bioéthique. · Il faut également parler de la Directive du 13 octobre 1998 relative au droit des dessins et modèles, qui a été transposée en droit français par une Ordonnance du 25 juillet 2001 ; · Enfin, on peut évoquer la Directive du 29 avril 2004relative à la lutte contre la contrefaçon, qui a été transposée en droit français par une Loi du 29 octobre 2007qui a été plusieurs fois modifiée. Avec une directive, un usager ne peut que se prévaloir de la loi nationale. Le juge national peut cependant saisir la CJUE par le biais d’une question préjudicielle. La directive a donc besoin d’une loi pour la transposer en droit interne, alors que le règlement est d’application directe. |
Les règlements les plus importants : · Le Règlement du 20 décembre 1993 qui institue la marque communautaire, et qui a été modifié par un Règlement du 26 février 2009 ; · On peut également évoquer le Règlement du 13 décembre 2001 qui institue un droit des dessins et modèles communautaires ; · Enfin, après de nombreuses discussions, les instances de l’Union Européenne ont adopté deux Règlements le 17 décembre 2012 qui instituent le brevet européen à effet unitaire. Ce brevet est le résultat d’une coopération renforcée entre les Etats destinés à obtenir une protection unitaire par le brevet. Cette procédure est fondée sur l’article 118 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne. Cette procédure était la première application de la procédure de coopération renforcée, qui donne un peu de souplesse à la procédure. C’est un faux brevet communautaire, et donc il n’a d’« unitaire » que son nom. En effet, il ne s’agit pas d’un dispositif proposant un régime juridique unique et uniforme pour l’ensemble des Etats-membres, comme cela existe pour les marques et pour les dessins et modèles. Le brevet européen à effet unitaire est avant tout un brevet européen, c’est-à-dire qu’il consiste en une demande permettant de viser l’ensemble des Etats-membres de l’Union Européenne. C’est un brevet qui est délivré par une instance que l’on appelle l’Office européen des brevets, et l’effet unitaire ne s’applique que s’il est demandé. Si l’effet unitaire s’applique, le brevet sera régi par la législation de l’Etat dont le demandeur est ressortissant, ou dans lequel il a son établissement. |
A l’échelon international, il existe également des instruments intéressants :
- En premier lieu, on peut évoquer deux textes internationaux majeurs :
- La Convention d’union de Paris de 1883, qui a créé un bureau international chargé de procéder aux tâches administratives liées au dépôt international, que l’on désigne comme étant l’OMPI[4];
- D’autre part, l’Accord sur les aspects du droit de propriété intellectuelle (ADPIC), qui touche au commerce, que l’on appelle l’Accord ADPIC, qui est une annexe de l’accord instituant l’OMC[5], signé en 1994 et obligeant les Etats signataires à assurer une protection minimale des droits de propriété intellectuelle en contrepartie d’avantages douaniers.
- Il y a ensuite d’autres accords internationaux qui réglementent le droit de propriété intellectuelle de façon plus spécifique :
- Il y a déjà en droit des marques l’Arrangement de Madrid de 1891 qui institue un système d’enregistrement international des marques ;
- On peut également évoquer l’Arrangement de Nice de 1957, qui crée et gère une classification internationale des marques ;
- On peut également citer le Traité de Singapour de 2006 sur le droit des marques et qui vise à simplifier et à harmoniser les procédures d’enregistrement des marques ;
- En droit des brevets, on peut évoquer le Traité de coopération en matière des brevets, signé à Washington en 1970. Il y a un peu plus de 110 pays signataires de ce traité. Ce traité permet de centraliser les demandes de brevets auprès d’un seul organisme (l’OMPI), la demande allant ensuite automatiquement vers chacun des pays dans lesquels la protection a été demandée. Donc, le brevet n’est pas délivré par l’OMPI (le brevet mondial n’existe pas) mais est délivré par chaque office de brevet des pays désignés dans la demande.
Enfin, s’agissant des instruments internationaux au niveau régional :
- Il y a la Convention de Munich du 5 octobre 1973 que l’on désigne comme la Convention sur le brevet européen. Cette convention instaure une procédure de dépôt et de délivrance des brevets, effectuée par l’Office européen des brevets (OEB) selon des conditions identiques à celles que l’on rencontre dans la législation française. Une fois le brevet européen délivré, le droit s’exerce conformément à la législation nationale des Etats-membres dans lesquels une protection a été demandée.
Cette convention est un outil européen, avec 38 Etats signataires, et l’on a un système qui sort de l’ordinaire. En 2012, on a voulu tout relier, pour pouvoir demander un effet unitaire sur le territoire de l’Union Européenne en passant par l’OEB. Mais l’outil a ses limites. Contrairement au règlement habituel, on se retrouve face à un règlement auquel tous les pays n’ont pas adhéré.
- Lorsqu’on demande un brevet, il faut se tourner vers l’OEB.
Deux options sont ensuite possibles :
- Soit l’on demande un brevet européen, pour que cela couvre les pays désignés dans la demande ;
- Soit l’on demande un brevet européen d’effet unitaire.
Dans la première hypothèse, le brevet sera mis en œuvre dans chaque pays désigné dans la demande. Dans la seconde hypothèse, la demande sera examinée selon la Convention sur le brevet européen, et ensuite il va couvrir tous les pays signataires, ce qui exclut dont l’Italie, l’Espagne et la Croatie. S’appliquera à sa mise en œuvre non pas la législation qui est dans le règlement, mais la législation du pays dont le demandeur est ressortissant, ou bien du pays où le demandeur a son domicile.
Exemple : un ressortissant français veut un brevet européen à effet unitaire. Une fois le brevet délivré, il s’appliquera en droit français. Si le ressortissant est allemand, ce sera la législation allemande qui s’appliquera au brevet. La législation couvre à la fois les conditions de délivrance et les conditions de mise en œuvre.
On s’aperçoit que la division de la propriété intellectuelle en deux catégories distinctes ne donne pas lieu à deux catégories homogènes. Le droit de la propriété industrielle couvre des droits assez différents les uns des autres. C’est donc une approche catégorielle qui s’impose.
Pour comprendre ce que recouvre la propriété industrielle, il conviendra de traiter dans un premier temps du droit des brevets (Partie I), puis du droit des marques (Partie II), pour terminer par le droit des dessins et modèles (Partie III).
Partie I : Le droit des brevets
Le droit français des brevets a d’abord été institué au XVème siècle sous la forme de privilèges, destinés à encourager les techniques nouvelles en les protégeant par le biais de monopoles d’exploitation. Ce privilège se manifestait sous la forme de lettre patente.
Le droit français des brevets apparaît initialement dans des décrets de 1770 et 1771 relatifs aux auteurs de découvertes utiles. La révolution industrielle a marqué les limites de ces textes, qui ont été remplacés par la Loi du 5 juillet 1844, largement inspirée de la législation américaine. La révolution industrielle a donné une nouvelle coloration à nos sociétés, ce qui a justifié une adaptation du droit de la propriété industrielle, et particulièrement du droit des brevets. C’est ce qui explique la réforme opérée par la Loi du 2 janvier 1968 qui est à la base de la législation actuelle, même si elle a été profondément remaniée par la Loi du 13 juillet 1978. Plusieurs textes sont venus par la suite améliorer le système de protection par brevet, afin de tenir compte notamment des textes conventionnels.
Exemple : la Loi de 2014,Hamon.
Le droit des brevets protège les créations industrielles que l’on appelle les inventions. Cette notion d’invention n’est pas définie par les textes, ce qui est assez regrettable, mais qui permet une marge de souplesse. Avant la réforme opérée en 1968, la loi énumérait des catégories d’inventions qui étaient considérées comme brevetables. Elle évoquait ainsi les inventions de produits, les inventions de procédés, les inventions d’applications, ou les inventions de combinaisons de moyens connus.
La Réforme de 1978 abandonne ces catégories, mais l’on constate qu’en pratique les juges continuent à se référer à ces différentes catégories d’inventions. La seule différence est que désormais, ils n’y sont plus obligés.
Le brevet d’invention donne lieu à un véritable droit de propriété, et ce droit de propriété confère un droit exclusif d’exploiter l’invention. Un droit exclusif d’exploitation peut être obtenu d’une autre manière, comme par exemple par le secret. L’inventeur n’est pas obligé de demander un brevet. Une invention secrète est désignée comme étant un « savoir-faire ». C’est une technologie, une connaissance qui serait protégeable, mais que l’on choisit plutôt de ne pas protéger. En réalité, la catégorie des « savoir-faire » s’est étendue et reste extrêmement utile, sans forcément nécessiter une protection.
Le secret comporte même un risque. Le secret, ce n’est pas un droit de propriété, et ce n’est d’ailleurs pas un droit du tout. Cela signifie que dès lors que le secret est dénoncé, la protection disparaît. On est donc face à un choix difficile à faire, et certaines sociétés l’ont fait, en acceptant de prendre ce risque.
Exemple :Coca-Cola©n’a jamais à ce jour dévoilé la recette de sa boisson.
Pour accéder à la protection par brevet (Titre II), la création industrielle devra satisfaire à des conditions qui sont définies par la loi (Titre I).
Titre I : L’obtention de la protection par brevet
Pour bénéficier de la protection par brevet, la création devra satisfaire différentes conditions (Chapitre I). En outre, le brevet devra être déposé, moyennant le respect d’une procédure strictement définie (Chapitre II).
Chapitre I : Les conditions de la protection
On constate une certaine unité, bien qu’il y ait une certaine différence dans les conditions posées par les différentes législations nationales, parmi les pays les plus industrialisés, ce qui est de nature à faciliter le dépôt international des demandes de brevet.
Les personnes intéressées doivent rester vigilantes, car des différences a priori mineures de législation peuvent entraîner des conséquences assez fatales quant à la demande de protection qui est faite.
Exemple : aux Etats-Unis, il y avait un système de dépôt différent, et il fallait ainsi prouver que l’on était le premier inventeur pour pouvoir déposer un brevet. En Europe, le principe du premier déposant s’applique : c’est donc la première personne qui dépose qui a le brevet. Il faut donc être très prudent de ne rien divulguer avant.
Le système américain a évolué, car une Réforme de 2011 du droit des brevets est venu harmoniser le droit américain des brevets avec le droit des brevets européen.
De façon schématique, pour aborder les conditions de protection par brevet, on peut opposer les conditions négatives (Section 1) aux conditions positives de protection (Section 2).
Section 1 : Les conditions négatives
Les conditions négatives font référence au fait que la législation sur les brevets écarte de la protection certaines formes de créations, ou des créations se situant dans certains domaines. Il faut toutefois souligner que ces exclusions ont un caractère assez limité, comme beaucoup d’exceptions en droit. C’est donc quelque chose qui finalement répond à une volonté de ne pas trop limiter le droit des brevets.
En-dehors de leur définition stricte, la plupart des champs de l’activité humaine peuvent ouvrir la voie du brevet.Ces exclusions sont assez variées, diversifiées, et l’on peut ainsi créer des liens artificiels pour les grouper en catégories. Il y a des exclusions qui sont rattachées à l’exigence d’invention, car un brevet porte sur une invention (§ 1). Puisqu’on exige une invention, on va donc d’emblée faire tomber un certain nombre d’éléments. D’autres exclusions trouvent en revanche des justifications propres, comme les méthodes chirurgicales, thérapeutiques ou de diagnostic (§ 2), ou encore notamment les inventions contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (§ 3), ou en rapport avec le corps humain (§ 4), et d’autres encore, comme les variétés végétales et animales (§ 5), ou bien les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux et d’animaux (§ 6).
§ 1 : Les exclusions rattachées à l’exigence d’invention
Le droit français, à la suite de la Convention de Munich de 1973 sur le brevet européen, a innové en érigeant l’exigence d’invention en critèreautonome de brevetabilité. La notion d’invention existait dès les prémices du droit des brevets, mais l’on n’en déduisait pas grand-chose, et l’on estimait que c’était un précepte, sans que la notion d’invention soit exclusive du champ de la brevetabilité.
L’article L. 611-10, I° du Code de la propriété intellectuelle dispose que « Sont brevetables les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle ». L’alinéa suivant déclare que « Ne sont pas considérées comme des inventions au sens du précédent alinéa un certain nombre de réalisations qu’il énumère ».
Toute la difficulté résulte du fait que la notion d’invention ne fait l’objet d’aucune définition légale. Le législateur a donc fait le choix d’écarter du champ de la brevetabilité des créations qu’il détermine, qu’il identifie à l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle.
Parmi cette liste, il y en a qui sont explicitement prévues (A), et d’autres qui sont plus implicites (B).
- Les exclusions explicites du champ de la brevetabilité
On y trouve :
- Les découvertes;
- Les théories scientifiques et méthodes mathématiques.
Les découvertes : on peut par exemple penser à un produit totalement naturel, comme un minerai.
Les théories scientifiques et méthodes mathématiques :c’est par exemple un théorème. Il y a là une démarche intellectuelle forte.
Sont également exclues les créations esthétiques, mais les créations esthétiques ornementales peuvent être protégées par le droit des dessins, ou encore par le droit d’auteur. Ce n’est donc pas une exclusion sévère.
Le même sort est réservé aux plans, principes et méthodes (comme l’architecture par exemple, ou des méthodes de vente commerciale), dans l’exercice d’activité intellectuelle en matière de jeux (une règle du jeu, par exemple) ou dans le domaine des activités économiques (les méthodes de gestion de données, par exemple).
L’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle écarte également les codes d’ordinateur (les codes sources, les logiciels, par exemple), mais les logiciels peuvent en revanche faire l’objet d’un droit d’auteur, et il le faut dans la plupart des cas, car des logiciels doivent être payés, achetés, et il faut respecter les conditions d’utilisation.
C’est un choix qui a été fait par le législateur, mais qui n’était pas unanime. En effet, toutes les parties prenantes n’étaient pas pour une protection par le droit d’auteur uniquement, et beaucoup pensaient qu’il fallait laisser une protection libre, c’est-à-dire par brevet ou par le droit d’auteur.
Enfin, il est prévu que les présentations d’informations sont exclues du champ de la brevetabilité.
Qu’entend-on par « présentations d’informations » ?
Ce sera quelque chose comme les statistiques, par exemple. On peut également imaginer une base de données. Ce n’est pas brevetable.
L’ensemble de ces éléments visés par l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle ne sera écarté du champ de la brevetabilité que dans la mesure où la demande de brevet ne concerne que l’un de ces éléments, considéré en tant que tel. Il en résulte que, si ces éléments sont inclus dans une demande plus vaste qui répond aux critères de brevetabilité, ils ne sauraient faire obstacle à la délivrance d’un brevet.
- Les exclusions implicites du champ de la brevetabilité
De façon implicite, le droit français écarte de la protection par brevet le résultat, c’est-à-dire l’effet technique qui peut être obtenu. Il en résulte que seuls peuvent être brevetés les éléments qui, dans la fonction dans laquelle ils sont employés, donnent un résultat déterminé.
Exemple : un effet d’optique permettant d’authentifier des documents n’est pas brevetable en soi, car c’est un résultat.
Dans ce type de demande, qui a été rejetée par les juges, ce qu’il faut, c’est revendiquer la règle qui permet d’obtenir l’effet.
§ 2 : L’exclusion des méthodes chirurgicales, thérapeutiques ou de diagnostic
L’article L. 611-16 du Code de la propriété intellectuelle dispose que « Ne sont pas brevetables les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal, et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal ».
Cette bouture qu’est l’article L. 611-16 du Code de la propriété industrielle est issue de la Loi du 4 août 2008, qui a supprimé la justification formelle de cette exclusion, qui conduisait à affirmer que ces méthodes étaient exclues parce qu’elles n’étaient pas susceptibles d’application industrielle.
On peut comprendre ces exceptions. En effet, l’exclusion du champ de la brevetabilité des méthodes appliquées au corps humain s’inspire très probablement de considérations d’ordre moral. Il est en effet très difficile d’admettre qu’un savoir aussi utile à la Santé publique fasse l’objet d’un monopole. L’existence d’un brevet sur ces méthodes empêcherait en effet les médecins de prendre toutes les mesures nécessaires aux patients, dans les meilleures conditions possibles – notamment financières – et dans les plus brefs délais.Cela impliquerait en fait que chaque médecin obtienne une licence d’exploitation auprès de chaque titulaire de brevet pour pouvoir exercer leur profession.
On a donc pris conscience que, pour des raisons d’ordre économique et moral, ces méthodes ne pouvaient entrer dans le champ de brevetabilité.
Le statut de l’animal conduit à interdire des pratiques appliquées au corps animal. On a donc un raisonnement analogique pour le corps animal.
Ces méthodes relèvent de l’art de guérir, et elles ne sont malheureusement pas définies. Elles sont justes énoncées sans être définies par le Code de la propriété industrielle.
Le procédé thérapeutique :un procédé thérapeutique intervient pour guérir une maladie, supprimer un dysfonctionnement organique, et il inclut des méthodes prophylactiques, comme par exemple la vaccination ou l’immunisation.
Le procédé de traitement chirurgical :la définition a été donnée par l’Office européen des brevets. Un procédé de traitement chirurgical se détermine plus par sa nature que par son but. Il s’agit du traitement de maladies ou de lésions du corps humain ou animal qui comportent des interventions sanglantes ou des manœuvres externes.
Le procédé de diagnostic :c’est l’exécution, à des fins médicales, d’un examen concernant l’état du corps humain ou animal. Il s’agit ici d’identifier un état pathologique ou son absence. Plus classiquement, on trouve une idée assez simple qu’un procédé de diagnostic est « l’identification d’une maladie par ses symptômes ». Cela signifie que l’on va viser tout un tas de méthodes de diagnostic, et cela peut aller très loin, comme par exemple des méthodes d’application de tests de diagnostic (comme un dépistage de maladie, par exemple).
Ces méthodes sont certes exclues, mais le législateur a pris le soin de préciser à l’article L. 611-16 du Code de la propriété industrielle que seules sont exclues les méthodes, et ne sont pas concernées les produits, notamment les substances ou les compositions pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes. Mais cette réserve n’a pas toujours existé. En effet, quand on parle de « substances » ou de « composition », on parle demédicaments.
On a là tout un secteur économique qui est touché, et la position française et européenne n’a pas toujours été de formuler cette réserve en faveur des médicaments. Pendant longtemps, la volonté politique a été d’empêcher la constitution de monopole dans le secteur de la Santé publique. Néanmoins, assez rapidement, et dans un souci d’incitation à la recherche, il a semblé utile d’autoriser la protection des médicaments par brevet, ce qui fût fait dans un premier temps par la création d’un brevet spécial pour les médicaments. Très rapidement néanmoins, ce brevet a été supprimé, et les réformes ultérieures ont réintégré le médicament dans le brevet classique (c’est la Réforme de 1968 qui a achevé ce transfert).
Le secteur pharmaceutique et médical offre en outre la particularité de disposer d’un titre particulier de propriété industrielle, qui s’appelle le certificat complémentaire de protection.
Qu’est-ce qu’un certificat complémentaire de protection ?
Ce certificat a vocation à prolonger la durée de vie d’un brevet, d’une durée équivalente à celle qui a été nécessaire à l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché. Cette prorogation est tout de même limitée dans le temps puisqu’elle est limitée à 5 ans, bien que les industries pharmaceutiques souhaitent qu’elle soit étendue à 10 ans.
Si l’on part du brevet, la protection par brevet est accordée à compter de la date de dépôt de la demande. Comme il faut déposer la demande de brevet avant la demande d’autorisation de mise sur le marché, le monopole d’exploitation ne sert à rien puisqu’il n’y a pas encore d’autorisation de mise sur le marché. Donc, c’est parce que le brevet prend effet dès la date de la demande de brevet que l’on accorde ce délai supplémentaire de 5 ans maximum avec le certificat complémentaire de protection.
Cela fait l’objet de beaucoup de discussions et de pressions dans les pays, notamment entre l’Europe qui est reconnue comme partie prenante au traité (Cf. l’Inde est le plus grand fournisseur de médicaments). L’Inde a besoin de cela pour développer son économie, et parfois cela donne lieu à des contournements.
§ 3 : L’exclusion des inventions contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
Le législateur pose en principe que « Les inventions dont la publication ou la mise en œuvre sont susceptibles d’attenter aux bonnes mœurs, ou de se révéler contraires à des prescriptions d’ordre public, ne peuvent être brevetées », comme en dispose l’article L. 611-17 du Code de la propriété industrielle.
Il faut souligner que la mise en œuvre d’une invention ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs du seul fait qu’elle est interdite par une disposition légale ou réglementaire. Cela signifie que seront brevetables des inventions qui, sans contrevenir aux règles communes de convenance ou d’honnêteté, ou sans troubler la paix et la sécurité des citoyens, pourraient tomber sous le coup d’un monopole d’Etat on être d’exploitation restreinte par des textes spéciaux.
Exemple : ce qui concerne certaines substances dangereuses, certains matériels électroniques de communication ou de radars.
L’existence d’une législation de ce type, qui viendrait réglementer l’exploitation de ces technologies, ne suffit pas pour que le juge déclare ces inventions contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Il ne peut prendre cette décision que dans le cas où ces inventions viendraient effectivement contrarier l’ordre public et les bonnes mœurs, mais pour un motif propre.
Exemple : on a affaire à une demande de brevet qui contient un gaz dangereux et mortel. Compte tenu de la législation, l’on aurait une interdiction légale, car si l’on utilise ce gaz exclusivement pour tuer des gens et que l’on ne voit pas d’autre application, il y aurait une contrariété évidente à la réglementation et à l’ordre public.
Pendant très longtemps, la disposition n’a pas soulevé de débat, mais il y a deux cas anciens qui mettent en œuvre la disposition par le juge :
- L’un au sujet d’un dispositif contraceptif ;
- L’autre pour une pipe à opium.
On était là sur des contentieux du début du XXème siècle.
On peut se poser la question de savoir aujourd’hui comment un juge traiterait une demande de ce type-là. Pour la pipe à opium, on peut se poser la question, car l’idée de breveter une pipe à opium dans un pays qui prohibe la consommation des stupéfiants peut être contradictoire. Le juge n’est pas l’Etat, donc la question se pose de savoir si l’on peut prohiber la brevetabilité d’un objet permettant la consommation d’un produit stupéfiant.
S’agissant du dispositif contraceptif, la contraception a été légalisée dans les années 1970, et donc la solution aujourd’hui serait tout autre qu’à l’époque : il n’y aurait pas de problème.
Il y a dans cette catégorie l’avantage de la souplesse, car elle invite à traiter les demandes au cas par cas. Cette disposition a, contre toute attente, retrouvé un regain d’intérêt avec l’émergence des inventions biotechnologiques.
La question que l’on peut soulever est celle de la possibilité de breveter des organismes vivants. Plus précisément, cette question a été soulevée devant l’Office américain des brevets, qui délivra en 1988 un brevet sur un animal transgénique au profit de l’Université de Harvard. Plus précisément, ce brevet avait été délivré pour une souris dans laquelle ont été introduits des oncogènes, et donc les différents oncogènes étaient baptisés et celui-ci avait été précisément baptisé « MYC ». Cette souris transgénique était un animal de laboratoire, et la manipulation dont elle a fait l’objet a développé chez elle le développement de certains gènes du cancer dans le but de tester les caractères cancérigènes de certains médicaments.
Au lendemain de la délivrance de ce brevet, des associations – notamment pour la défense des animaux – mais également des écologistes et des responsables religieux, se sont alliés pour s’élever contre la brevetabilité des animaux. La demande de brevet a également été effectuée auprès de l’Office européen des brevets, qui a lui aussi délivré le brevet.
Parmi les arguments qui sont invoqués se trouve celui de l’atteinte portée à la diversité biologique. Il est en effet soutenu que le droit des brevets, en incitant à la recherche, favorise l’apparition d’animaux nouveaux et à une monopolisation du matériel génétique, avec une prédominance de certaines lignées génétiques d’animaux. Ce premier argument est un peu général.
On a également soulevé le risque d’insémination incontrôlée de gènes indésirables de nature à nuire à l’environnement. Le dernier argument soulevé est celui selon lequel ces manipulations sont des actes de cruauté infligés aux animaux.
Des arguments analogues ont été opposés au sujet de la délivrance de brevet sur des plantes. On n’est plus sur l’expérimental. Est avancé un risque d’érosion génétique, puisque l’on estime que la brevetabilité des plantes amènerait à une diminution sensible du nombre de variétés végétales existant, et donc forcément à une érosion génétique : moins on a de variétés, plus on a un risque qu’il y ait des plantes qui « dominent » les autres.
Ce qui peut être gênant, c’est l’accusation qui est faite envers les brevets. Que l’on manipule est une chose, que l’on brevette en est une autre. On n’a pas attendu le droit des brevets pour les transgénèses.
Est-ce qu’on peut considérer que l’incitation à la recherche est un mal ?
Evidemment qu’il y a des risques.
Mais est-ce que pour autant le droit des brevets doit s’inscrire dans cette politique, et poser en principe le fait que l’on ne doit pas breveter des organismes transgéniques ?
A priori, la réponse est non, cela ne doit pas conduire à l’interdiction de breveter des organismes transgéniques, et cela vaut aussi bien pour les plantes que pour les animaux.
A côté de cela, il y a des argumentations plus ciblées, mieux construites.
Peut-on reconnaître un monopole d’exploitation au profit d’une personne pour un organisme transgénique ?
Certains considèrent qu’on ne doit pas donner de monopole d’exploitation pour un organisme transgénique déterminé à une entreprise.
Il y a une entreprise qui développe aujourd’hui de nouvelles technologies et qui s’est longtemps intéressée aux produits chimiques (Monsanto©), comme des désherbants, qui s’attaquent à tout sauf à la plante qu’ils vendent également. Cette entreprise a donc d’abord travaillé sur ce désherbant, et elle a ensuite travaillé sur le maïs OGM, le blé, le soja, etc. Ces plantes ont été modifiées génétiquement pour résister à l’herbicide. On a donc réussi à introduire dans des variétés de plantes des gênes qui leur permettent de résister à l’herbicide.Monsanto© surfe totalement sur la vague des brevets, puisqu’ils détiennent des brevets pour ces variétés.
Monsanto© est une firme internationale, et le Brésil (par exemple) est un pays où l’on produit des récoltes à grande échelle. Il y a une pratique à laquelle se prêtent les agriculteurs depuis longtemps : le réensemencement (ils récoltent une partie et la replantent), qui permet d’éviter de se réapprovisionner en semence tous les ans. C’est une pratique très développée partout dans le Monde. Le monopole d’exploitation est le fait d’être le seul à pouvoir exploiter un produit. Ici, ce serait donc la vente des graines aux agriculteurs. On voit donc bien que le cycle d’exploitation de la semence tombe sous le coup du brevet. Avec le réensemencement, les agriculteurs n’ont pas besoin de replanter, et donc le détenteur du monopole d’exploitation peut se sentir volé.Cela a donc été un gros dilemme entre les américains de Monsanto© et les agriculteurs brésiliens.
A un moment, Monsanto© a acheté un brevet à une entreprise qu’on appelait « Terminator » qui rendait la récolte stérile. Elle ne pouvait donc pas être replantée.
Tout cela suscite beaucoup de questions, car l’on se demande si l’on va jusqu’au bout de la logique du brevet ou si l’on doit adopter une certaine tolérance. Le Brésil a finalement décidé d’adopter une législation qui ne permet pas de breveter des gènes des plantes, et donc les brevets de Monsanto© ne sont plus valables sur le territoire brésilien.
Attention : si le Brésil a adopté une législation qui ne permet pas de breveter des gènes de plantes, cela ne vaut qu’au Brésil. Or, le Brésil ne produit pas que pour lui : il exporte sa production. Donc, le droit de Monsanto© renaît dès lors que les semences franchissent les frontières du Brésil. Plutôt que d’exporter des semences de blé issues de la récolte, ils ont transformé sur place et ont exporté de la farine. Voilà comment on peut imaginer de contourner un brevet. Monsanto© ne s’est pas démonté, et quand cette farine est arrivée en France, ils se sont dit propriétaires d’un brevet à l’égard des semences de blé ayant permis la fabrication de cette farine.
Cela a fait grand bruit, et le raisonnement des juges a été le suivant : la farine est une matière morte, et non pas une matière vivante, dans laquelle les propriétés génétiques du blé ne s’expriment pas. Par conséquent, cette exportation est parfaitement licite. On est donc face à un choix tactique, qui touche à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Au-delà des plantes, au-delà des animaux, au-delà de la décision rendue au sujet de la souris oncogène, une décision importante a été rendue s’agissant du corps humain et les éléments le composant. Plus précisément, il s’agit de la Décision de l’Office européen des brevets du 8 décembre 1994, Relaxine[6]. Ce brevet portait sur une hormone qui est secrétée par les ovaires, le tissu mammaire ou le placenta au cours des semaines qui précèdent un accouchement. Cette relaxine est un thrombotique qui a un effet vasodilatateur (qui dilate les vaisseaux sanguins).
Dans cette décision, les opposants dénonçaient l’immoralité de l’acte, qui consiste à isoler le gène de la relaxine sur des tissus prélevés sur une femme enceinte, dans la mesure où l’exploitation d’un état corporel de la femme – la grossesse – aux fins d’un procédé technique à but lucratif, au motif que cela porterait atteinte à la dignité humaine. Cet argument n’a pas séduit les juges, qui ont considéré que l’acte de prélèvement n’avait rien d’immoral, dans la mesure où d’une part, les femmes sur lesquelles les prélèvements avaient été effectués avaient accepté d’agir dans le cadre d’opérations gynécologiques qui s’imposaient, et dans la mesure où d’autre part, ce type d’expérience s’était souvent révélé être une source de produits utiles.
L’argumentation donnée par les juges soulève donc :
- L’idée d’un consentement ;
- L’idée que l’acte s’imposait ;
- L’idée que la manipulation avait un intérêt.
C’est une position qui avait aussi été suivie dans la décision sur la souris oncogène de Harvard, ce qui est intéressant,puisqu’elle rappelle le but de Santé publique. Mais c’est néanmoins gênant, car l’on s’aperçoit finalement qu’il y a eu une mise en balance qui a été faite entre la cruauté envers les animaux et les bénéfices tirés pour la population. La seule limite à cela est qu’on avait en même temps une demande formulée pour une souris manipulée génétiquement, et qui était destinée à lutter contre la calvitie. Les juges avaient considéré que cela ne faisait pas pencher la balance dans le même sens, car il n’y avait pas un intérêt suffisamment fort pour justifier les souffrances infligées aux animaux.
On peut leur rendre hommage sur un point, c’est qu’ils tentent de rester le plus objectifs possible. On sait qu’il y aura une sensibilité qui peut évoluer selon le temps, les pays, les personnes, etc., mais on voit bien qu’il n’y a pas de position de principe contre ces techniques.
Globalement, les juges savent trancher dans le vif, et c’est ce qui s’est produit avec l’hormone relaxine.
§ 4 : L’exclusion du corps humain
C’est la Loi du 29 juillet 1994 (révisée en 2004) qui la première a posé l’interdiction de breveter des inventions portant sur le corps humain, en s’appuyant sur l’exclusion de la brevetabilité des inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Donc, quand le législateur français s’est emparé du problème – et c’est le premier législateur à l’avoir fait – il a posé un grand principe d’exclusion des inventions contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs, pour ensuite introduire l’exclusion du corps humain.
La Loi du 29 juillet 1994 indiquait que « Le corps humain, ses éléments et ses produits, ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d’un gène humain, ne peuvent en tant que tels faire l’objet de brevets ». C’était un peu ambigu, car on dit « en tant que tels ».
Qu’est-ce que cale signifie ? Est-ce « en leur état naturel » ?
Auquel cas il s’agit d’une découverte, cela n’apporte rien de nouveau, et donc en soi le corps humain serait brevetable. C’est dangereux. Et du coup, à vouloir bien faire, le législateur a créé une sorte de doute : on pourrait breveter le corps humain, ce qui poserait tout de même quelques problèmes.
Lorsque l’on détient un brevet sur une invention, on n’est pas propriétaire des objets physiques. L’invention est juste un enseignement inventif : on explique comment on peut faire quelque chose. Donc, un brevet sur le vivant n’est pas possible : on donne un brevet sur une description qui conduit à une innovation. Et donc, ce n’est pas parce que l’on reconnaît un brevet sur le corps humain que l’on reconnaît un droit de propriété sur le corps humain.
Ce qui est un peu gênant, c’est que parmi les interdictions comprises dans le monopole d’exploitation, il y a l’interdiction de reproduire l’invention. Donc, si on avait un corps transgénique et que les gènes qu’on nous a transférés sont transmissibles lors de la reproduction, le fait d’avoir un enfant serait une contrefaçon.
En 2004, le législateur français a donc transposé la Directive du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. Le législateur a alors abandonné le fondement de l’ordre public et des bonnes mœurs et proposé une nouvelle rédaction pour cette exclusion. Désormais, au titre de l’article L. 611-18, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, « Le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables ». L’alinéa 2 ajoute que « Seule une invention constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain peut être protégée par un brevet ».
Ce dispositif nouveau ne contrarie pas la jurisprudence européenne antérieure rendue au sujet des gènes humains.
Qu’est-ce que cela induit ?
D’abord, on nous parle du corps humain aux différents stades de sa constitution et de son développement. Il faut noter que ce n’est pas la découverte du corps humain, et ce n’est pas le corps humain en tant que tel : il n’y a plus d’ambiguïté. Le corps humain ne peut pas faire l’objet d’un brevet. Il n’y a pas non plus de discussion sur le statut de l’embryon, du cadavre, tout cela appartient au corps humain, puisqu’il n’est pas question de corps humain vivant ou non.
Ensuite, s’agissant de la « simple découverte d’un de ses éléments », cela signifie que la découverte d’un nouvel élément n’est pas brevetable, mais ce n’est pas nouveau.
Pourquoi l’avoir précisé dans ce cas ?
Car il y a eu un contentieux dans les années 1990 au sujet de ces fameuses séquences totales ou partielles de gènes que certains ont voulu faire protéger par des brevets, notamment un américain qui travaillait sur un programme mondial de décryptage intégral du génome humain, qu’on identifie par des lettres (A, T, G, C). Dans les années 1980, c’était très laborieux, et progressivement on a mis en place des machines qui permettent de faire un séquençage. Et donc il a été choisi de décrypter la totalité du génome humain dans les années 1980, et à un moment, un américain a posé une demande de brevet sur les gènes qu’il avait réussi à décrypter.
Derrière ce décryptage, il y a une interprétation : derrière tel ou tel gène, il y a peut-être la commande de tel ou tel comportement corporel. Donc, lorsqu’on est capable de décrypter le génome, on peut tout faire, et donc cet américain voulait avoir le monopole sur cette base de données, qui est composée de données brutes. Ça a fait peur, car dès lors qu’on voulait travailler sur cette base, s’il avait eu un brevet, il aurait fallu lui verser des royalties.
On ne peut donc pas se contenter d’une simple découverte : il faut également dire à quoi ça va servir, et cela fait donc barrage à d’éventuelles demandes abusives de brevet. D’où l’article L. 611-18, alinéa 2 du Code de la propriété industrielle : on peut très bien demander un brevet, dès lors qu’on est capable de dire à quoi ça sert, comment le transférer dans un organisme, etc. Il fallait donc trouver une sorte d’équilibre.
Pour terminer, le législateur encadre certaines pratiques relatives aux êtres humains :
- Les procédés de clonage des êtres humains ;
- Les procédés de modification de l’identité génétique de l’être humain ;
- Les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles et commerciales.
§ 5 : L’exclusion des variétés végétales et des races animales
Ici, on est face à deux catégories qui sont proches, mais qui en même temps présentent un certain nombre de caractéristiques distinctes. S’agissant des obtentions végétales, le législateur français, dès 1970, instituait un régime spécifique de protection : le certificat d’obtention végétale. Il s’agit d’un texte qui s’inscrit dans un mouvement législatif international, puisqu’en 1961 était adoptée la Convention instituant l’union pour la protection des obtentions végétales.
Ce droit spécifique des obtentions végétales vise exclusivement les plantes qui correspondent au rang de la taxinomie, dans la catégorie des variétés végétales, car en fait, il y a la cellule, la variété, et l’espèce, et donc évidemment l’espèce regroupe plusieurs types de variétés.
Par conséquent, le droit des brevets, en écho de ce système dédié aux variétés végétales, exclut de son champ d’application ces variétés végétales, mais uniquement les variétés, ce qui signifie que les cellules végétales sont protégeables, pareillement pour un lot de plusieurs variétés qui représentent une nouvelle espèce, par exemple.
Pour les animaux, l’exclusion concerne exclusivement les races animales, et s’appuie sur un régime de protection des obtentions animales qui n’a jamais vu le jour. Donc, elle s’appuie sur un projet de création d’un système particulier aux races animales. Cette exclusion est donc une anomalie dans le droit, car on a juste quelque chose qui devait répondre à un titre qui n’existe pas, et qui n’a pas été remis en cause, ce qui est dommage.
§ 6 : L’exclusion des procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux et d’animaux
Pour comprendre ce qu’est un procédé essentiellement biologique, on peut suivre un raisonnement a contrario, et ce raisonnement est d’ailleurs proposé par la jurisprudence européenne : celle de l’Office européen des brevets. L’Office européen des brevets a précisé que « la présence, dans un procédé d’obtention de plantes, d’au moins une étape technique essentielle dont la mise en œuvre n’est possible qu’avec l’intervention de l’Homme, et qui a un impact décisif sur le résultat final, ne constitue pas un procédé essentiellement biologique ». On voit donc bien finalement que, dans l’esprit de la jurisprudence, on est dans un procédé qui ne doit pas requérir l’intervention de l’Homme pour être essentiellement biologique.
Le Code de la propriété intellectuelle s’est essayé à une définition à l’article L. 611-19, § 1, III° du Code de la propriété intellectuelle. Cette définition intègre la Directive de 1998 sur les inventions biotechnologiques. C’est donc une définition qui a été proposée en 2004 quand on a transposé cette directive. Cet article pose en principe qu’« un procédé n’est essentiellement biologique que s’il consiste intégralement en des phénomènes biologiques ». De fait, l’on est invité à considérer que le procédé essentiellement biologique exclu est un procédé purement biologique, donc, au sens exclusivement biologique. Avec cette définition, on comprend bien qu’il faut qu’il s’agisse d’un procédé entièrement naturel.
Nous avons donc une définition qui nous dit l’évidence : ce que la nature fait très bien elle-même n’est pas brevetable.
S’agissant des procédés d’obtention d’animaux, l’article L. 611-19, § 1 IV° du Code de la propriété intellectuelle écarte également du champ de la brevetabilité « les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’Homme ou l’animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés ». Cette disposition fait écho à la décision rendue au sujet de la brevetabilité de la souris oncogène de Harvard (voir supra).
On en déduit que le législateur consacre l’approche « coût-bénéfice », et qu’il invite le juge à admettre la brevetabilité lorsque le bénéfice pour l’Homme et pour l’animal est supérieur à la souffrance endurée.
Donc, c’est uniquement lorsque la création ne fait partie d’aucune de ces catégories que l’on examinera les conditions positives qu’elle doit remplir pour accéder à la protection.
Quelles sont ces conditions positives ?
Section 2 : Les conditions positives
Le droit des brevets pose trois conditions de fond à la brevetabilité d’une invention :
- L’invention doit être nouvelle( 1);
- Elle suppose une activité inventive ( 2) ;
- Elle doit pouvoir faire l’objet d’une application industrielle ( 3).
On a une jurisprudence qui est assez abondante à l’échelle de l’Europe, et l’on pourrait presque comparer les décisions de l’Office européen des brevets, qui peut se transformer – comme la CJUE – en juridiction judiciaire, aux décisions de la CJUE. Sur la base de cette jurisprudence, il y a des directives qui sont rendues, et qui sont très structurées, ce qui permet d’avoir une connaissance des conditions de brevetabilité.
§ 1 : La condition de nouveauté
L’article L. 611-11, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’« Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique ». L’alinéa 2 ajoute que « L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage, ou tout autre moyen ».
La nouveauté d’une invention est déterminée sur la base d’une comparaison entre l’objet pour lequel une protection est demandée, et ce qui constitue l’état de la technique.
- La détermination de l’état de la technique
La définition de l’état de la technique induit le caractère absolu de la nouveauté, et sa détermination sera guidée par ce principe (1). Néanmoins, ce principe est atténué par un certain nombre de tempéraments (2).
- Le principe de la nouveauté absolue
Le principe de la nouveauté absolue se traduit par la conception très extensive de l’état de la technique, conception qui se manifeste au regard de plusieurs éléments, comme l’accessibilité (a), le public (b), et la date de la divulgation (c).
- La notion d’accessibilité
C’est le terme visé par le texte qui nous dit que l’état de la technique comprend tout ce qui a été rendu accessible au public. Cette accessibilité est entendue assez largement, d’abord parce que le texte inclut dans l’état de la technique tout ce qui préexiste à la date de dépôt de la demande de brevet. On est ici sur un texte qui vise tout ce qui a été divulgué par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.
La notion d’accessibilité est également large, dans la mesure où elle se distingue de la simple connaissance. Autrement dit, on considère qu’il n’est pas nécessaire que le public ait une connaissance effective des antériorités, dès lors qu’il a la possibilité de les connaître.
Cette conception extensive des modes de divulgation aurait pu engendrer une conséquence assez radicale s’agissant des inventions impliquant des organismes vivants. En effet, dès lors qu’une antériorité peut naître de tout moyen, on devrait considérer qu’une invention est divulguée si elle existe dans la nature. Toute matière vivante partant nécessairement d’une matière existant dans la nature, elle est potentiellement accessible.
Ce n’est cependant pas l’approche qui a été consacrée par la jurisprudence, puisqu’elle estime que la nouveauté n’est pas détruite du seul fait de l’existence d’une substance – d’un organisme – dans la nature. Elle estime en fait que, dans la mesure où le texte précise que l’invention doit avoir été rendue accessible, cela implique une action humaine. Or, cela va de soi, la prise en compte de l’existence d’une substance dans la nature ne tient pas compte de cette nécessaire intervention.
D’une manière générale, les substances naturelles se trouvent dans un milieu naturel complexe, et cette situation s’oppose à une utilisation directe, une utilisation technique, immédiate. Pour élever un organisme vivant au rang d’invention, il faudra donc nécessairement passer par une série de manipulations techniques qui mettront en avant ces caractéristiques. On voit bien ici que finalement, cette question de savoir que certains éléments, certains organismes préexistent dans la nature, ne va pas forcément faire tomber la condition de nouveauté, au motif que le public en aurait connaissance.
On est ici sur une appréciation qui a été menée par l’Office européen des brevets et qui cadre un peu les choses, car l’OEB indique qu’une invention est nouvelle si son existence n’a pas été reconnue auparavant. Par conséquent, il ne suffit pas que l’objet d’une invention existe pour que tombe la nouveauté, il faut que cette existence soit connue du public. Finalement, contrairement à la première impression que l’on pourrait avoir, on est contraints de réduire l’approche de cette notion d’accessibilité.
Ce questionnement est apparu dans le cadre d’une demande de brevet portant sur des séquences d’ADN. On s’est demandé si la préexistence d’une séquence d’ADN dans son environnement naturel n’est pas de nature à détruire sa nouveauté une fois que la séquence est analysée, décryptée. Si l’on applique le raisonnement de la jurisprudence de l’OEB, dans ce cas de figure – et d’une manière générale, d’ailleurs – on doit considérer qu’il s’agit de gènes isolés d’un génome naturel, ou de gènes synthétisés artificiellement, mais identiques à des gènes existant dans la nature, que ces substances constituent des objets mis à la disposition du public à la suite d’une manipulation technique. Donc, on est quand même relativement à l’abri, malgré une conception assez large de la notion d’accessibilité ; on sait que sur ce type de manipulations, il y aura une plus-value.
Enfin, la doctrine considère que l’invention n’est accessible que si elle est susceptible d’être comprise. Autrement dit, l’accessibilité matérielle à l’objet de l’invention n’a de sens que si elle se double d’une accessibilité intellectuelle. On en déduit qu’une invention portant sur un produit – comme un médicament, par exemple – reste nouvelle si l’usage qu’il en est fait est insusceptible de révéler au public les moyens, les éléments qui la constituent.
Exemple : on a une gélule de médicament, on ne pourra pas savoir comment elle a été conçue.
Il faut voir tout ce qui existe et tout ce qui a été rendu accessible au public avant de poser sa demande de brevet, car plus vite on dépose, plus vite on arrête l’état de la technique. Il faut voir ce qui existe déjà et ce qui serait susceptible d’être opposé par un tiers lors d’une demande de brevet. C’est donc une démarche devant être fait a priori, et qui consiste en une recherche portant sur ce qui existe au moment de la demande de brevet.
- La notion de public
Pour que tombe la nouveauté, il faut, selon le texte, que l’invention ait été rendue accessible au public. Le texte ne précise à aucun moment la qualité des personnes qui composent ce public. Il n’y a aucun critère de fourni par le texte, et pas non plus de précision quant au nombre de personnes qui peuvent avoir eu accès à l’invention. On peut donc considérer que ce nombre est indifférent.
La nouveauté tombera dès lors que l’invention est accessible à des personnes aptes à la comprendre et à transmettre la connaissance qu’elles en ont. Cette précision de la compréhension de l’invention fait écho à cette idée d’accessibilité, et cela implique que le public doit être capable de comprendre l’invention.
- Le moment où l’invention est accessible
La nouveauté d’une invention tombe lorsque son contenu a été divulgué avant le dépôt de la demande de brevet. Cela veut dire qu’il n’y a pas de limitation dans le temps, en arrière. On a donc une date butoir, qui est la date de dépôt de la demande de brevet, mais on peut aller rechercher aussi loin qu’on veut dans le temps des antériorités pour les opposer au demandeur. Donc, cela signifie qu’il y a une capacité d’opposition qui est assez forte.
Ce principe est simple, car tout ce qui est fait après la demande de dépôt n’est pas pris en compte. Mais ce principe souffre toutefois d’une exception, destinée à éviter la double brevetabilité. L’article L. 611-11, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle inclut en effet dans l’état de la technique « le contenu de demandes de brevets français et de demandes de brevets européens ou internationales désignant la France, qui ont une date de dépôt antérieure à la date de dépôt de la demande, et qui n’ont été publiées qu’à cette date ou à une date postérieure ».
Le dispositif signifie que la demande de brevet dont le contenu n’est pas encore accessible au public – car on fait tout pour garder le secret avant – peut néanmoins faire échec à la nouveauté d’une invention déposée postérieurement à la date de dépôt de cette demande. Cette exception joue uniquement si la première demande est finalement publiée. Ainsi, lorsque le déposant initial se voit opposer un refus de brevet, ou s’il décide de retirer sa demande, son invention ne sera pas comprise dans l’état de la technique, et ne s’opposera donc pas à la brevetabilité de l’invention postérieure.
On a donc :
L’état de la technique à Le dépôt de la demande du brevet A par X, le 1er janvier 2015 à à + 18 mois, il y aura la publication de la demande.
Quid si quelqu’un d’autre dépose une demande plus tard ?
L’état de la technique à Le dépôt de la demande de brevet A pour Y, le 1er juillet 2015 : Y va donc faire des recherches, mais A n’a pas été publiée, alors qu’elle existe, car le délai des 18 mois n’est pas encore passé.
Que faire ?
On va inclure dans l’état de la technique cette demande de brevet, qui n’est pas encore rendue accessible, et donc cette antériorité va pouvoir être opposable. Mais si 18 mois plus tard, la demande faite par X est retirée, ou si la demande est mal formulée, ou s’il y a une irrecevabilité, etc., on fera sortir de l’état de la technique le dépôt de la demande par X, et Y pourra obtenir son brevet.
- Les tempéraments au principe de nouveauté absolue
Ces tempéraments sont de deux sortes :
- Il y a tout d’abord un principe de priorité(a) ;
- Il y a ensuite le délai de grâce (b).
- Le droit de priorité
La nouveauté absolue pose un certain nombre de difficultés, notamment en lien avec les contraintes de certains chercheurs, tenus de publier le plus rapidement possible les résultats des recherches qu’ils mènent. La contrainte peut être d’ordre académique ou économique.
Cette nécessité de communiquer rapidement, et donc de déposer au plus vite sa demande de brevet pour éviter d’antérioriser sa propre invention – c’est-à-dire de créer soi-même l’antériorité qu’on va nous opposer – est partiellement éludée par le principe du droit de priorité.
Ce principe se décline de la manière suivante :
- D’abord, on l’appelle le droit de priorité interne: ce principe va offrir à l’inventeur la possibilité dans un délai de 12 mois – qui court à compter de la date du dépôt de sa demande de brevet – de déposer une nouvelle demande de brevet portant sur un objet amélioré ;
- Cette seconde demande, qui doit émaner du même déposant, fusionnera avec la première demande, et la nouveauté sera appréciée au jour du dépôt initial pour les éléments communs aux deux demandes ;
- Ce droit de priorité est dit interne, dans la mesure où il joue sur le territoire national uniquement.
Donc, la première demande doit être faite sur le territoire national, et cela vaut également pour la seconde demande, indépendamment de ce qui se passe ailleurs.
Quand on publie rapidement, le problème est que l’on n’est pas forcément complètement au point sur l’ensemble des applications qu’on est susceptible d’envisager. Donc, cette procédure de priorité interne est destinée à déposer au plus tôt une demande pour un brevet de base, demande qui peut être complétée par une demande plus étoffée comportant de nouvelles applications, par exemple.
On peut se dire finalement qu’on peut très bien imaginer de déposer un premier brevet de base, et que rien ne nous empêche de déposer plus tard de nouvelles applications.
A quoi sert donc ce délai interne ?
On va déposer des éléments, mais uniquement ceux qui sont communs à la demande, ce qui est un élément important.
Pourquoi ?
On a un délai de 12 mois pour déposer un dépôt supplémentaire. Mais sans le droit de priorité, le premier brevet antériorise la deuxième demande de brevet, et il existe déjà un brevet A qui reprend l’invention, donc l’invention n’est pas nouvelle, et ce n’est qu’un supplément qui n’est pas dissociable de A. On cherche donc à faire un dépôt d’ensemble, qui inclut le complément (invention A + ses améliorations ou applications particulières). Dans l’esprit du législateur, comme ce délai est fait pour permettre à l’inventeur d’aller jusqu’au bout de son invention, et de perfectionner au maximum son invention, on peut imaginer que le premier brevet ne soit pas parfait, et même qu’il va lui manquer des conditions.
Exemple : il manque la condition de l’application industrielle, par manque de notions de l’application industrielle.
C’est donc un délai qui va permettre de geler l’état de la technique sur A, et donc d’effectuer un dépôt complet au bout de 12 mois. Donc, la date considérée comme intangible ne l’est plus autant dans ce cas de figure, car on la prolonge d’un an s’agissant de la priorité interne.
Le législateur prévoit également un droit de priorité unioniste, qui permet au titulaire d’une première demande de brevet déposée dans l’un des Etats-membres de la Convention d’Union de Paris de 1883, d’effectuer dans un délai de 12 mois d’autres dépôts de la même invention à l’étranger, sans que l’on puisse lui opposer l’antériorité apparue pendant la durée du délai couru depuis le dépôt de la première demande.
La date d’appréciation de la nouveauté est donc portée au jour de la première demande pour toutes les demandes faites dans ce délai d’un an.
Cela permet d’effectuer un dépôt en France au 1er janvier 2015, et de réfléchir pendant 12 mois quant à l’opportunité de déposer une demande dans d’autres pays membres de la Convention d’Union de Paris, soit environ 180 pays.
L’avantage, c’est donc que pendant cette période, il a pu se passer beaucoup de choses, et peut être que des concurrents ont dévoilé des technologies qu’ils n’ont pas l’intention de faire breveter, mais peu importe, cela n’aura aucune incidence. On vient donc geler la technique sur tout ce qui concerne la demande de brevet A. On va donc apprécier la date de demande du dépôt initial : il y a un effet rétroactif, car ici c’est la date d’appréciation de la nouveauté qui compte.
C’est un délai qui est long, mais l’idée est de donner le temps de réfléchir à l’opportunité de déposer dans d’autres pays. Cette priorité permet de se positionner sur un marché.
Il est possible qu’entre temps – car la notion d’antériorité est très large – l’industriel ait voulu proposer un produit nouveau sans passer par un brevet, car le choix des brevets ne s’impose pas automatiquement selon les domaines.
Exemple : en ce qui concerne les appareils photos, les innovations sont des innovations à 6 mois, et souvent la stratégie commerciale est de se dire qu’il faut surfer sur une technologie nouvelle dont la durée de vie est de 6 mois.
Exemple : pour les iPhones, la stratégie est de sortir un nouveau modèle tous les ans.
Il faut donc être le premier à proposer le produit pour être avant-gardiste, il faut être dans l’innovation technologique permanente. Ce sont donc des entreprises qui ne vont pas forcément aller sur le brevet.
- Les délais de grâce
L’article L. 611-13 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « La divulgation est inopposable au demandeur lorsqu’elle intervient par le biais de l’exposition par lui-même de son invention, dans les expositions officielles, et à condition que le demandeur puisse fournir un justificatif au jour de la demande. Dans ce cas, il dispose d’un délai de 6 mois pour déposer sa demande ». A contrario, si l’on n’est pas dans une exposition officielle et qu’il n’y a pas de réaction officielle dans un délai de 6 mois, il va lui-même créer sa propre antériorité. En divulguant son invention, il peut lui-même créer son antériorité, et c’est un grand classique.
Pourquoi ?
Car lorsqu’on met au point une invention et qu’on dépose un brevet, cela signifie qu’on a un projet de développement industriel, et donc il va falloir prendre contact avec les industriels susceptibles de délivrer le produit. Il faut donc déposer la demande de brevet avant.
Il faut aussi ajouter qu’une question se pose – au-delà de cette volonté de développer à tout prix une valorisation par le brevet – qui est celle de savoir si c’est légitime que des chercheurs soient financés (…). Le fait d’avoir le monopole permet de fixer un prix très élevé, et donc finalement le fait d’accorder un monopole permet d’agir sur les prix de manière totalement libérale, et le brevet n’est pas étranger à cela. Mais il y a des mécanismes pour contrecarrer ce type d’initiatives.
Il y a un deuxième type de délai de grâce, qui est prévu par le Code de la propriété industrielle, et qui est destiné à tempérer les conséquences préjudiciables d’une divulgation frauduleuse. Dans le domaine de la technologie, les chercheurs travaillent en équipe, et parfois même, les équipes peuvent collaborer en s’associant dans le cadre d’un programme déterminé. Or, il arrive que parmi les membres de l’équipe, certains soient tentés de divulguer le contenu de l’invention.
L’article L. 611-13 du Code de la propriété industrielle prévoit cette situation, puisqu’il indique que « La divulgation est inopposable au demandeur si elle résulte d’un abus évident à son égard. Cet abus peut consister en des agissements illicites [tels que la violation d’un secret, le détournement de documents, ou la révélation d’un élément confidentiel], et dans ce cas le demandeur dispose d’un délai de 6 mois pour effectuer sa demande ». La jurisprudence européenne est assez stricte sur l’application de la convention, puisqu’elle estime que l’obligation de confidentialité doit résulter d’un accord express.
En France, en revanche, la notion d’abus est interprétée plus souplement, et découle parfois du simple statut de l’auteur de la divulgation.
Exemple : le statut de salarié.
Quand c’est un partenaire contractuel, si l’on n’a pas signé de clause de confidentialité, il n’y a rien à faire. De surcroît, dès lors que l’on entre en discussion avec des partenaires extérieurs, il faut absolument faire signer des clauses de non-divulgation, des engagements de confidentialité, dont il faut définir le contenu. Il y a des clauses types, mais tout dépend de ce que l’on est en train de discuter.
Comment s’apprécie la nouveauté ?
- L’appréciation de la nouveauté
Il s’agit en fait ici de préciser la manière dont l’examinateur procède pour déterminer si l’invention est ou non nouvelle. Le Code de la propriété intellectuelle invite à considérer que la nouveauté est détruite si l’invention se trouve telle qu’elle dans l’état de la technique. Il faut donc que l’invention soit comprise dans l’état de la technique.
De fait, le législateur a abandonné la théorie des équivalents pour apprécier la nouveauté (1), ce qui implique de définir les caractéristiques désormais retenues pour concrétiser la condition de nouveauté (2).
- L’abandon de la théorie des équivalents
Jusqu’en 1968, la pratique française conduisait à considérer – selon cette théorie des équivalents – que les antériorités ne résultaient pas seulement du constat de l’existence d’une invention identique dans l’état de la technique, mais de l’existence d’équivalent, c’est-à-dire d’invention présentant des caractéristiques techniques qui diffèrent par leur nature, mais qui remplissent la même fonction, pour atteindre le même but.
Exemple : on pouvait considérer qu’un couteau en acier était l’équivalent d’un couteau en céramique, et donc le couteau en céramique n’innovait pas, puisque par équivalent on arrivait au même résultat, à savoir une lame.
La Réforme de 1968 signe l’abandon de cette théorie, et conduit à considérer que la nouveauté d’une invention n’est détruite que si l’on trouve dans l’état de la technique un objet identique à celui revendiqué dans la demande de brevet. On dit alors que seules comptent les antériorités de toutes pièces (elles sont antérieures dans toutes les pièces constituant l’invention). Cela assouplit considérablement la condition de nouveauté.
La jurisprudence a pris un peu de distance par rapport à ce principe, puisqu’elle estime que la nouveauté n’est détruite que si l’antériorité comporte des éléments essentiels de l’invention revendiquée. Donc, on est sur une comparaison assez objective sur ce qui existait et ce que l’on apporte de nouveau.
Sur cette base, quelles sont aujourd’hui les caractéristiques dominantes de la nouveauté ?
- Les caractéristiques de la nouveauté
Il s’agit ici d’identifier les éléments auxquels le juge s’attache habituellement pour apprécier la nouveauté d’une invention.
- L’invention de produits
S’agissant en premier lieu des inventions de produits, la nouveauté de l’invention résultera d’une différence de constitution, de composition, ou de structure par rapport au produit connu.
Exemple : une plante est revendiquée. L’examen va porter sur des caractères morphologiques, physiologiques, ou écologiques de la plante.
En pratique, les instances chargées de la délivrance du brevet procèdent à une recherche documentaire afin de découvrir s’il existe dans l’état de la technique une référence à un produit semblable, produisant le même effet technique que le produit revendiqué. Si un produit similaire est trouvé, la demande sera rejetée. Il incombe au demandeur d’établir la preuve que son produit se distingue de l’état de la technique : il faut qu’on marque soi-même en quoi consiste la différence.
- L’invention de procédés ou de moyens
S’agissant de l’invention de procédés(on parle d’invention de moyens), il faudra généralement – pour que la nouveauté soit caractérisée – une modification de la structure, ou du déroulement du procédé. On peut avoir des étapes connues, mais si derrière on met en œuvre une technique innovante, on pourra être éligible au stade de nouveauté.
De ce point de vue-là, on a un arrêt portant sur un brevet qui porte sur un dispositif de reliage de câbles, et qui est utilisé comme tire-veine (dans le domaine chirurgical, cela permet d’extraire des veines nécrosées). Ici, on a caractérisé la nouveauté notamment par le fait que le procédé concernait un domaine d’activité spécifique – le domaine médical –et il y avait une antériorité qui concernait également l’aboutage de deux câbles par vissage, mais qui conduisait en fait à faire tourner les câbles lors de l’assemblage. Selon le second procédé breveté – qui était attaqué en l’occurrence – le dispositif d’aboutage permettait de tourner indépendamment les câbles, et donc de faire tourner que le système d’aboutage sans faire bouger les câbles. Un autre avantage était qu’il ne comportait aucun profil traumatisant pour le corps. Cela permettait donc d’abouter également des drains, avec un usage médical connu (pour évacuer le pus, par exemple). De ces constatations, la Cour d’appel a pu déduire la nouveauté du dispositif d’aboutage.
En troisième lieu, il conviendra d’apprécier l’invention d’applications.
- L’invention d’applications
Elle consiste en l’utilisation de moyens connus en vue d’obtenir un résultat qui lui-même peut être connu en tant que tel. L’appréciation à ce moment-là va porter sur le rapport entre le moyen qui est utilisé et le résultat. On trouve certaines illustrations en matière pharmaceutique. En effet, on peut considérer globalement que les molécules de base ont été identifiées depuis longtemps par les chercheurs et en les combinant, on arrive à un résultat nouveau ou connu mais pas par ce moyen-là.
Ce qui caractérise la nouveauté, c’est le rapport nouveau entre le moyen et le résultat. Le résultat sera un effet thérapeutique différent. Dans cette catégorie, on trouve notamment les inventions de combinaisons, c’est-à-dire qu’en combinant des moyens connus, on trouve un résultat connu, mais pas par ces moyens-là.
Dans le domaine de la pétrochimie, les industriels travaillent au niveau des nanotechnologies. Grâce à elles, on fabrique du carbone : cela permet de produire des matières ultralégères et ultrarésistantes. A la base de cette matière, il y a des nanotubes de carbone. Pendant longtemps, on a compris que l’échelle nano-scopique existait en l’observant, mais on était incapable de comprendre comment cela se formait et de quoi il était composé. Puis, il a fallu fabriquer des nanomatières dans tous les domaines. On est capable de fabriquer des nanotubes de carbone en partant d’une matière première que l’on connaît, l’éthanol. L’invention est de savoir comment on transforme de l’éthanol en nanotubes de carbone.
- La question spécifique de la seconde application thérapeutique
L’article L.611-11 du Code de la propriété intellectuelleindique que les dispositions relatives à la condition de nouveauté n’excluent pas la brevetabilité pour la mise en œuvre d’une méthode de traitement thérapeutique ou de diagnostic d’une substance ou d’une composition exposée dans l’état de la technique, à condition que son utilisation pour l’une de ces méthodes ne soit pas contenue dans l’état de la technique.
La jurisprudence française tire une conséquence assez rigoureuse. Elle estime en effet que la règle conduit à exclure du champ de la brevetabilité une nouvelle application thérapeutique d’un produit qui est déjà connu.
Exemple : est breveté un médicament ayant pour effet de lutter contre l’hypertension. Or il s’avère qu’avec une posologie légèrement différente, il permet de perdre du poids.
Est-ce que cela peut justifier un nouveau brevet ?
Pour la jurisprudence française, il ne peut pas y avoir de brevet sur cette seconde application thérapeutique.
Pour certains, cette interprétation est logique parce qu’elle va de soi. Une telle invention n’est pas nouvelle. On peut considérer que le défaut de nouveauté provient de ce que l’utilisation nouvelle d’un médicament révèlera tout au plus des propriétés que ce médicament comportait de toute façon. On peut toutefois considérer finalement que les dispositions de l’article L.611-11 du Code de la propriété intellectuellene constituent qu’une exception au principe de brevetabilité, et qu’il est peut-être excessif de nier tout caractère de nouveauté dans ce cas de figure. En effet, la nouveauté peut résulter par exemple d’un dosage différent, d’une administration médicamenteuse selon une procédure différente ou même de la prescription du médicament dans un ensemble spécifique.
A l’échelle de l’Europe, la jurisprudence est plus nuancée, et certaines décisions admettent la brevetabilité de la seconde application thérapeutique d’une substance connue. Cela peut avoir une incidence sur la stratégie de dépôt.
§ 2 : L’activité inventive
Selon l’article L.611-14 du Code de la propriété intellectuelle, « Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique ».
- Définition de l’activité inventive
C’est une condition qui vise à limiter l’encombrement des marchés par des titres trop facilement accessibles. En clair, l’exigence d’activité inventive permet d’éviter qu’un concurrent du titulaire du brevet puisse, par le biais d’améliorations mineures, tirer un large profit d’une invention qui aura nécessité de lourds investissements pour son concurrent. C’est un critère qui va élever le niveau de l’invention, c’est un critère qualitatif qui va donner au brevet sa valeur économique.
- L’état de la technique
L’état de la technique de l’activité inventive est quasiment identique à celui de la nouveauté, à deux différences près :
- Il n’inclut pas les demandes de brevet français et les demandes européennes ou internationales désignant la France qui n’ont pas encore été publiées ;
- L’état de la technique doit être appréhendé dans son ensemble, et non plus sur la base de chaque document pris isolément.
Le champ d’investigation du juge en matière d’activité inventive est plus large qu’en manière de nouveauté. L’examinateur pourra rapprocher différents documents, différents brevets préexistants pour apprécier l’activité inventive. Cela doit le conduire à être prudent. Dans son appréciation, il doit faire abstraction de l’invention qu’on lui présente et de ce qu’elle apporte. Il faut qu’il se place à la date du dépôt de la demande pour apprécier l’activité inventive.
- L’homme du métier
L’homme du métier est le personnage de référence en matière d’activité inventive. C’est un standard juridique comme le bonus pater familias. L’homme du métier est la référence à un homme d’intelligence moyenne qui a une connaissance normale du secteur technologique pertinent. L’Office européen des brevets, dans ses directives, énonce que « L’homme du métier est un praticien normalement qualifié au courant de ce qui formait les connaissances générales communes dans la technique, à la date du dépôt ».
Cette notion présente l’avantage de la souplesse, et a été amenée à évoluer parce que le niveau technologique s’est considérablement élevé, si bien que les inventions qui sont proposées aujourd’hui sont généralement le fait d’une équipe de recherche. De fait, on pouvait se demander si l’homme du métier pouvait être un homme pluridisciplinaire, ou s’il convenait de se référer à l’homme d’un métier.
La jurisprudence est assez souple et considère que dans certaines hypothèses, l’examinateur peut raisonner comme si l’homme du métier était une équipe pluridisciplinaire. Cette conception a pour effet d’augmenter le niveau d’exigence, et notamment le niveau intellectuel de l’invention.
- La non-évidence
L’examen de l’activité inventive consiste à mesurerun écart entre l’objet de l’invention et l’état antérieur de la technique. La recherche de la nouveauté conduit à rechercher si l’invention présente un apport à l’état de technique, sans en considérer la qualité. Pour la caractérisation de l’activité inventive, on recherche un écart significatif entre l’objet de l’invention et l’état de la technique. Cette qualité tient à son caractère non évident.
Dans ses directives, l’OEB indique que le terme « évident » se réfère à ce qui ne va pas au-delà du progrès normal de la technique, mais ne fait que découler manifestement et logiquement de l’état de la technique, c’est-à-dire qui ne suppose pas une qualification ou une habileté plus poussée que celle qu’on est en droit d’attendre d’un homme du métier.
- L’appréciation de l’activité inventive
L’appréciation de l’activité inventive repose sur une approche plus complexe que celle de la nouveauté. Les critères ont été élaborés progressivement par la jurisprudence, selon des règles d’application bien spécifiques.
- Les caractères de l’appréciation de la non-évidence
L’appréciation de l’activité inventive peut être envisagée selon deux approches :
- Une approche subjective : elle s’attache à la démarche empruntée par l’inventeur ;
- Une approche objective :dans cette approche, il n’est tenu compte que de l’invention.
Certains auteurs considèrent que l’appréciation de l’activité inventive peut résulter de l’une ou de l’autre de ces deux approches. Ils considèrent que l’activité inventive peut découler de divers éléments. Elle peut se situer dans le problème posé, dans le moyen mis en œuvre pour résoudre le problème, ou encore dans le résultat. D’autres considèrent que l’appréciation doit être objective. On ne mesurerait donc pas l’effort inventif de l’inventeur mais uniquement les caractéristiques de l’invention.
La jurisprudence offre des décisions assez variables, et pour ce qui est de l’OEB, il y a tout de même une préférence pour une démarche objective, avec une tendance à ne pas considérer la performance de l’inventeur. Cela semble logique, mais pour autant, l’on observe que cela n’est pas clairement tranché en jurisprudence.
- Les indices de l’activité inventive
Les indices de l’activité intensive sont appréciés par rapport à la réaction normale de l’homme du métier face aux changements qui peuvent être apportés par l’invention. La non-évidence peut ainsi s’induire de la solution qui est apportée à un problème posé depuis plusieurs années mais non encore résolu. Le fait que la solution réponde à un besoin existant démontrerait que si elle avait été évidente, les recherches menées par ceux qui avaient intérêt à la trouver auraient dû leur permettre de l’obtenir.
L’activité inventive peut également être déduite du constat que l’invention permet de vaincre un préjugé ou de surmonter une difficulté. L’OEB explique que, généralement, il y a activité inventive si l’état antérieur de la technique détourne l’homme du métier de la marche à suivre proposée par l’invention. Il en est ainsi en particulier lorsqu’il n’envisageait même pas d’effectuer des expériences en vue d’établir s’il existe plusieurs autres solutions pour surmonter un obstacle technique, réel ou imaginaire.
L’effet nouveau et surprenant, ainsi que l’avantage inattendu sont également des indices auxquels la jurisprudence se réfère fréquemment. Ainsi, l’Office européen des brevets lie l’activité inventive d’un produit chimique nouveau à l’apparition de propriétés imprévisibles pour un homme du métier.
Exemple :des effets secondaires moindres, une plus grande stabilité, un meilleur rendement.
Enfin, dans certains cas, le succès commercial de l’invention peut être retenu comme indice de l’activité inventive. Le succès commercial peut démontrer que l’invention répond à un besoin ressenti depuis longtemps, à une attente du public. Pour autant, le succès commercial peut aussi résulter d’une bonne politique de communication. Dans ce cas, il faut faire la part des choses entre ce qui résulte de la performance du chargé de communication et de celle de l’équipe de recherche et développement.
§ 3 : L’application industrielle
En vertu de l’article L.611-10 du Code de la propriété intellectuelle, « pour être brevetable, les inventions doivent être susceptibles d’application industrielle ». La définition de cette condition est donnée à l’article L.611-15 du Code de la propriété intellectuelle, qui énonce qu’« une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture ». Le terme d’industrie n’est pas défini par le Code de la propriété intellectuelle, mais on admet qu’il doit faire l’objet d’une acception large. Le texte fait référence à l’agriculture, alors qu’en droit l’industrie fait partie du secteur commercial. Le caractère industriel découlera finalement de l’exercice de toute activité physique de caractère technique.
Cette exigence renvoie au caractère concret que doit présenter l’invention. Elle fait penser à la condition d’utilité du droit américain. L’invention relève du domaine des réalisations et non du domaine des abstractions. Au regard de la définition, on peut observer que l’invention sera considérée comme répondant au critère industriel, dès lors qu’elle peut être fabriquée industriellement, ou bien qu’elle peut être utilisée industriellement. Ce n’est pas cumulatif, mais alternatif. Dès lors, la condition paraît assez aisée à remplir, même pour des inventeurs qui ne travaillent qu’en recherche fondamentale, car il sera toujours possible d’expliquer dans la demande de brevet qu’on peut au minimum fabriquer l’invention à l’échelle industrielle.
En pratique, ces conditions de brevetabilité ne font pas l’objet d’un examen attentif des offices de brevet. C’est plutôt des conditions qui sont examinés par des juges lorsque le brevet est attaqué.
Chapitre II : La procédure d’obtention du brevet
Pour obtenir un brevet, la demande doit satisfaire à certaines modalités (Section 1). C’est le respect de ces modalités qui conduira à un examen de la demande (Section 2), et éventuellement à la publication et à la délivrance du brevet (Section 3).
Section 1 : Les modalités de la demande de brevet
La demande de brevet peut être déposée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) à Paris ou dans l’un de ses centres régionaux. Il est possible également de la déposer devant l’Office européen des brevets (OEB)en visant explicitement la France, ou encore auprès de l’Organisme mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) si la demande est internationale.
Dans les modalités de la demande du brevet, il y a deux aspects importants :
- L’identification de l’auteur de la demande ( 1) ;
- Les modalités de présentation de la demande ( 2).
§ 1 : L’auteur de la demande
Le dépôt peut être fait personnellement par le demandeur, ou par un mandataire qui doit avoir son domicile, son siège social ou un établissement en France. Le mandataire qui est choisi doit avoir la qualité de conseil en propriété industrielle. Par exception, la représentation peut être confiée soit à un avocat, soit à une entité publique ou privée à laquelle le demandeur est contractuellement lié, soit à une organisation professionnelle spécialisée.
En pratique, dans la grande majorité des cas, le déposant n’est pas l’inventeur. Cela s’explique par le fait qu’une très grande partie des inventions brevetées sont mises au point par des salariés. Dans certains cas, l’invention sera même réalisée par un stagiaire. Dans ces hypothèses très nombreuses, se pose la question de savoir quels sont les droits des employeurs ou du maître de stage sur les inventions brevetables de leur salarié ou stagiaire.
- Les inventions de salariés
Le principe est énoncé par l’article L.611-6 du Code de la propriété intellectuelleselon lequel : « le droit au brevet appartient à l’inventeur ou à son ayant-cause ». Immédiatement, le législateur, à l’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle,pose un régime particulier pour régler le sort des inventions de salariés.
Cet article distingue deux catégories d’inventions, qui obéiront à des régimes distincts :
- Les inventions de mission (1) ;
- Les inventions hors mission (2).
- Les inventions de mission
Les inventions de mission sont des inventions réalisées par le salarié dans l’exécution soit d’un contrat de travail comportant une mission inventive, soitdans le cadre de recherches ou d’études qui lui sont explicitement confiées. Il s’agira, selon le cas, d’inventions de mission permanente (Exemple : le personnel affecté à un service de recherche et de développement), ou bien d’inventions de missions occasionnelles (Exemple :une activité est confiée à un salarié de façon ponctuelle pour développer un produit déterminé). Dans tous les cas, il faut qu’il y ait un rapport effectif entre la mission confiée au salarié et les fonctions qu’il exerce effectivement
Les inventions de mission appartiennent de facto à l’employeur. C’est une affectation qui est automatique, qui n’est pas à revendiquer et qui n’est subordonnée à aucune condition. Dans cette hypothèse, le salarié ne dispose d’aucun droit sur l’invention qu’il a mise au point. La propriété de cette invention lui échappe alors totalement. Néanmoins, le Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’en contrepartie de l’invention qu’il a réalisée, le salarié peut prétendre à une « rémunération supplémentaire ». Les modalités de cette rémunération peuvent être définies par une convention collective ou par un accord d’entreprise. Dans l’hypothèse où la convention collective ou l’accord d’entreprise ne prévoient rien, il est possible d’envisager les modalités de cette rémunération au sein du contrat individuel de travail. Cela signifie qu’il faut anticiper cette question au moment de l’embauche ou par voie d’avenant. Si cette précaution n’a pas été prise, les parties sont invitées à se mettre d’accord sur la détermination du montant d’une rémunération supplémentaire au profit du salarié. A défaut d’accord, les parties peuvent saisir la Commission nationale des inventions de salariés (CNIS), qui est instituée spécialement pour régler ces questions et qui proposera un montant aux parties. Si ce montant ne satisfait pas l’une ou chacune des parties, ces dernières peuvent saisir le Tribunal de grande instance qui fixera le montant.
Le Code de la propriété intellectuelle ne fixe aucun critère permettant d’évaluer le montant de la rémunération supplémentaire. Or, les modalités d’évaluation peuvent être assez variables. On pourrait imaginer de fixer une rémunération qui tienne compte des potentialités économiques de l’invention. On pourrait aussi se limiter à une interprétation littérale du texte qui fait référence à une « rémunération supplémentaire ». Cela signifie que c’est un plus par rapport à la rémunération perçue par le salarié. La rémunération supplémentaire serait une forme de prime correspondant à une partie de la rémunération annuelle. Le législateur n’a rien prévu, et il faut donc être vigilant. Les variations peuvent être importantes quand on va devant le juge.
Exemple :Cour de cassation, 21 novembre 2000 : la Haute juridiction a approuvé les juges du fond d’avoir alloué à l’inventeur salarié une rémunération supplémentaire de 4 millions de francs. Ce montant est énorme, car l’on est sur le contentieux d’une société dans un domaine pharmaceutique où il y avait eu des retombées économiques (test de diagnostic du cancer de l’utérus, 1,5% du chiffre d’affaires réalisé grâce à l’exploitation de ce produit). La Cour de cassation approuve l’idée que l’on puisse tenir compte des retombées économiques de l’exploitation de l’invention. Pour autant, ce n’est pas le sens de la majorité des décisions rendues dans ce domaine où les sommes sont plutôt modestes. Tout est prévu en amont par des accords d’entreprise. Ce sont alors des primes à l’unité par invention réalisée. Cela tourne autour de 500€ pour une première invention, 1000€ pour une seconde invention. En fin d’année, il y a une cérémonie avec remise officielle du prix. Cela participe d’une reconnaissance hiérarchique du travail organisé.
Dans le secteur public, il y a un Décret du 26 septembre 2005qui prévoit très précisément les modalités de calcul de la rémunération supplémentaire. L’inventeur salarié peut prétendre à une prime d’intéressement calculée pour chaque invention, sur une base constituée du produit hors taxe des revenus perçus chaque année au titre de l’invention par la personne publique, après déduction de la totalité des frais directs supportés par celle-ci pendant l’année en cours et pendant les années antérieures, si elles n’ont pas pu être totalement amorties faute de revenu suffisant, et affectée d’un coefficient représentant la contribution à l’invention de l’agent concerné.
La prime due à chaque agent correspond, charges comprises, à 50% de cette base dans la limite du traitement brut annuel, et au-delà de ce montant, à 25% de cette base. Tant que les frais ne sont pas amortis, l’inventeur n’a le droit à rien. En fonction de la contribution de l’inventeur, on part d’une portion de la base (Exemple : 2/3). Ensuite, l’inventeur a le droit à 50% de cette somme, dans la limite du traitement brut annuel et,au-delà, à 25% de la base.
- Les inventions hors mission
Au sein des inventions hors mission, on distingue deux sous-catégories d’inventions :
- Les inventions hors mission attribuables(a) ;
- Les inventions hors mission non-attribuables (b).
- Les inventions hors mission attribuables
Les inventions hors mission attribuables correspondent à différents cas de figures prévus par le Code de la propriété intellectuelle, à savoir :
- Les inventions qui sont faites dans le cours de l’exécution de la mission ;
- Les inventions effectuées dans le domaine des activités de l’entreprise ;
- Les inventions faites par la connaissance ou l’utilisation de techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise ou encore de données procurées par cette dernière.
Avec cette catégorie, on se situe en périphérie de la mission du salarié. L’invention n’est pas le résultat d’une commande de l’entreprise mais pour autant elle a des liens avec l’activité de l’entreprise.
La jurisprudence se montre relativement favorable au salarié quand elle doit trancher un désaccord touchant la qualification de l’invention. Elle a donc considéré que l’invention d’un employé peut être qualifiée de hors mission attribuable malgré la clause du contrat de travail lui interdisant d’utiliser, hors service, les moyens et les connaissances de l’entreprise.
Le salarié et l’employeur peuvent trouver un accord en-dehors des prescriptions légales par lequel l’employeur renoncerait au droit d’attribution que fait naître la qualification d’invention de mission. En effet, en principe, et selon les prescriptions légales, l’employeur a, sur une invention hors mission attribuable, un droit d’attribution. Cela signifie que l’employeur a la faculté de se prévaloir du droit de brevet sur cette invention.
L’effet attributif n’est pas automatique et il peut être exercé selon des modalités variables. L’employeur peut demander une attribution complète du brevet ou seulement d’une fraction du droit de propriété (copropriété) ou alors d’un simple droit de jouissance par le biais d’une licence d’exploitation.
La loi prévoit au profit du salarié une contrepartie financière appelée un juste prix. C’est une contrepartie qui, comme son nom l’indique, correspond à un équivalent de l’apport du salarié. Le législateur fournit des critères propres à faciliter le calcul de cette contrepartie. Il invite les parties à tenir compte d’une part de la part contributive du salarié et de l’employeur dans la création de l’invention, etd’autre part, des retombées économiques liées à l’exploitation de l’invention. Sur ces bases, les parties doivent trouver un accord. A défaut d’accord, elles peuvent saisir la Commission Nationale de Inventions de Salariés (CNIS). Si la proposition faite par la CNIS ne les met pas d’accord, il faudra saisir le Tribunal de grande instance.
Exemple :le Post-it© est le résultat d’une invention hors mission attribuable appartenant à l’entreprise 3M. Deux salariés ont eu pour mission de fabriquer une colle molle très résistante. Ce produit est un échec. Ils se sont aperçus que cette colle pouvait se coller et se décoller sans altérer le papier. Le brevet a duré 20 ans et est tombé dans le domaine public en 2000. Cette invention est hors mission, puisque ce n’est pas une commande de l’entreprise.
- Les inventions hors mission non-attribuables
Les inventions hors missions non attribuables sonttoutes les inventions dont l’employeur ne peut prouver qu’elles entrent dans l’une ou l’autre des deux catégories. Dans cette hypothèse, l’inventeur conserve la pleine propriété de l’invention qu’il a mise au point. Il procèdera au dépôt du brevet et pourra l’exploiter librement.
Il y a peu de contentieux qui mettent en jeu cette dernière qualification. L’essentiel du contentieux porte sur la distinction entre l’invention de mission et l’invention hors mission attribuable.
L’intérêt de l’inventeur n’est pas toujours d’aller vers une qualification hors mission attribuable. En effet, on ne peut pas être systématiquement certain de l’exploitation commerciale et des retombées économiques qui résulteront de l’invention hors mission.
Comment fixer le juste prix, la contrepartie financière ?
Il s’agit alors de partager entre les deux le bénéfice réalisé par l’entreprise. L’idée serait alors de dégager un pourcentage du chiffre d’affaires futur soit sur la durée de vie du brevet, soit sur la durée de vie de la technologie. Chaque année, l’inventeur a le droit à un pourcentage (3% à 5%). On part alors sur un versement futur. C’est une forme d’intéressement du salarié à l’exploitation commerciale réelle de l’entreprise. En plus, on peut prévoir une somme forfaitaire versée une seule fois lors du dépôt du brevet.
- Les inventions réalisées par les stagiaires
Les stagiaires au sein d’une entreprise privée ne sont pas des salariés de cette entreprise. De la même manière, les stagiaires qui accomplissent un stage dans une entreprise publique ne sont pas des agents de la fonction publique. Par conséquent, le régime juridique applicable aux salariés ou aux fonctionnaires ne saurait s’appliquer aux stagiaires.
En ce domaine, le principe est que les inventions réalisées par les stagiaires leurs appartiennent. Ils peuvent donc revendiquer le droit de propriété industrielle découlant du brevet,et ce même si l’invention a été réalisée au cours du stage et sur les instructions du maître de stage.
Il est important de signer avec les stagiaires une convention de stage sur laquelle on inclut une clause réglant le sort des inventions réalisées par le stagiaire. En pratique, les conventions de stage incluent des clauses par lesquelles le stagiaire renonce par avance à sa qualité de propriétaire des inventions qu’il crée et qu’il cède ses droits à l’organisme dans lequel il effectue son stage. On a ici une clause par laquelle le stagiaire renonce à un droit qu’il n’a pas encore acquis, et cela n’est pas possible selon le droit des obligations.
§2 : La présentation de la demande
C’est un dossier qui doit comporter un certain nombre de pièces et de documents.
Les éléments du dépôt doivent être rédigés en langue française :
- Sauf si le déposant est un ressortissant d’un état accordant un traitement équivalent aux français (condition de réciprocité) ;
- Sauf si le déposant est cessionnaire d’une demande à l’étranger ;
- Sauf si le déposant est titulaire d’un droit de priorité né d’une demande faite à l’étranger, à condition que le pays du dépôt initial accorde la réciprocité aux français.
Quand on dépose un brevet à l’étranger, dès lors que l’on n’entre pas dans ces conditions, il faut alors prendre en compte les frais issus des coûts de traduction. Cela entre en ligne de compte quand on fait des dépôts réflexes, c’est-à-dire en ne passant pas par un outil international, mais en le faisant directement dans le pays.
La date de dépôt du brevet est attribuée à la date de la remise d’un certain nombre de pièces :
- Une déclaration de demande de brevet ;
- L’identification du demandeur ;
- Une description de l’invention ;
- Une ou plusieurs revendications.
En outre, la demande peut comporter d’autres éléments (non obligatoires) :
- La requête (A) ;
- Des dessins (B) ;
- Un abrégé technique (C).
- La requête
La requête est une pétition, une demande en vue de la délivrance du brevet, c’est-à-dire quelque chose de formalisé.
Elle doit obligatoirement comporter un certain nombre de mentions :
- L’identification des intervenants : on y trouve la désignation du déposant, la désignation de l’inventeur si ce n’est pas le déposant, et la désignation du mandataire si nécessaire ;
- L’identification du titre demandé: le déposant doit indiquer quel titre de protection il demande, cela peut être :
- Un brevet ;
- Un certificat d’utilité qu’on appelle également le petit brevet. Sa particularité tient au fait que les conditions de protection sont un peu moins nombreuses et qu’en contrepartie, la durée de protection n’est que de 6 ans;
- Un certificat complémentaire de protection qui s’appliquera aux médicaments.
- Le nom de l’invention : l’invention est identifiée par un nom ou par un titre dans lequel on pourra indiquer également l’existence de différentes revendications.
C’est à ce moment qu’il faut faire état de la priorité unioniste dont on entend bénéficier, dès lors qu’un dépôt a été effectué antérieurement dans un autre pays de la Convention d’Union de Paris.
- La description
- Le principe de la description
La condition relative à la description est régie par l’article L.612-5 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel « L’invention doit être exposée de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter ». On retrouve la référence à l’homme du métier présente pour l’appréciation de l’activité inventive. L’invention doit donc être décrite pour que l’homme du métier puisse vérifier la faisabilité technique de l’invention, mais également pour que toute personne intéressée puisse accéder au contenu inventif de la description lorsque celle-ci aura été publiée avec la demande de brevet.
L’exigence de description conduit l’inventeur à divulguer à tous le contenu intellectuel de son invention. Par cette caractéristique, le brevet se distingue du savoir-faire qui est protégé par le secret. Une fois la demande de brevet publiée, le titulaire du brevet libère l’accès intellectuel à son invention. En revanche, le monopole d’exploitation attaché à son brevet ferme l’accès matériel à son invention. Les concurrents auront connaissance du contenu inventif mais n’auront pas le droit de l’exploiter commercialement. Cela fait dire à une partie de la doctrine que le brevet est une forme de contrat social : d’un côté l’inventeur s’engage à divulguer son invention et à enrichir les ressources intellectuelles du monde entier, de l’autre, l’Etat s’engage à reconnaître à l’inventeur un monopole d’exploitation.
- Les modalités de la description
La description consiste dans l’identification de l’objet de l’invention, et le contenu de cette exigence est précisé par l’article R.612-12 du Code de la propriété intellectuelle.
La description doit ainsi :
- Préciser le domaine technique auquel se rapporte l’invention ;
- Préciser l’état de la technique antérieur ;
- Exposer l’invention telle qu’elle est exposée dans les revendications, dans des termes permettant la compréhension du problème technique et celle de sa solution ;
- Indiquer en détail au moins un mode de réalisation de l’invention ;
- Expliciter la manière dont l’invention est susceptible d’application industrielle.
La description doit en quelque sorte convaincre l’examinateur de la brevetabilité de l’invention et de sa faisabilité.
Pour procéder à la description d’un produit, deux techniques sont envisageables en pratique. D’une part, on peut décrire le produit en lui-même selon sa forme ou sa composition. D’autre part, on peut décrire le produit par son procédé d’obtention. Dans tous les cas, il faudra tenir compte des exigences légales qui imposent d’expliquer au moins un mode de réalisation de l’invention (voir supra).
Pour autant, cette description a fait l’objet d’un assouplissement pour tenir compte de certaines particularités.
- L’assouplissement de l’exigence de description suffisante
L’article L.612-5 du Code de la propriété intellectuelleexige que la description soit claire et complète pour l’homme du métier. Cette exigence s’explique dans la mesure où elle vise à garantir d’une part la bonne intelligence de l’invention par le public, et d’autre part une accessibilité réelle à l’invention. L’invention doit être réalisable. Il faut donc convaincre l’homme du métier du caractère réalisable de l’invention, et c’est ce degré de conviction qui peut poser des difficultés.
En principe, il faut que l’homme du métier, à la seule lecture de la description et sans avoir recours à des éléments extérieurs, puisse exécuter lui-même l’invention. Il faut que l’on puisse mettre à la disposition de l’homme du métier des outils assez convaincants pour lui garantir la faisabilité de l’invention. Il doit trouver l’équilibre entre ce qu’il doit divulguer et ce qu’il ne doit pas divulguer, pour ne pas faire bénéficier de tous les résultats de ses recherches à l’intégralité de ces concurrents.
On peut considérer, à l’appui de l’OEB, que l’exposé de l’invention est insuffisant lorsqu’il laisse l’homme du métier dans le doute et que ce dernier ne peut exécuter l’invention en utilisant ses compétences et en effectuant un nombre raisonnable de tentatives.
Il n’est pas exigé une « exécutabilité » parfaite. On peut admettre un nombre raisonnable d’échecs, notamment en raison du caractère hautement technologique de l’invention. Cela peut tenir à différents facteurs, comme le fait d’utiliser des produits instables au départ. On peut considérer que l’exposé est suffisant chaque fois que l’homme du métier peut, sans effort excessif, grâce aux indications fournies et à ses connaissances, réaliser des variations de l’invention ayant le même effet.
L’une des difficultés de la description suffisante, au-delà de celle de l’exécutabilité, tient à la reproductibilité de l’invention. L’homme du métier doit pouvoir obtenir l’invention avec des efforts raisonnables pendant toute la durée du brevet. Dans le domaine de l’inerte (matière morte), on va considérer que la reproductibilité découle de l’exécutabilité (ce que l’on a réussi une fois, on peut le répéter à l’infini). En revanche, s’agissant de la matière vivante, il est possible que bien qu’exécutable, l’invention ne soit pas reproductible à l’infini. Il n’est pas certain que l’inventeur puisse garantir que le résultat produit pourra être obtenu de manière identique chaque fois qu’il est souhaité. On s’est alors demandé si, dans ce cas, on ne pouvait pas envisager d’admettre que la condition de description suffisante aux fins de reproductibilité n’était pas satisfaite dès lors que le produit revendiqué dans la demande de brevet était auto-réplicable. On utiliserait la faculté d’autoréplication de certains organismes vivants pour garantir la reproductibilité à l’infini de l’invention.
La difficulté est que l’on renonce à ce qui justifie le droit exclusif du breveté, qui est la possibilité pour n’importe quelle personne d’accéder à un enseignement inventif. Il faut donc garantir sur le papier que l’invention que l’on revendique pourra être reproduite à l’infini sur la base non pas de ce résultat, mais de son procédé d’obtention.
- Le dépôt de matières biologiques : palliatif d’une description insuffisante
Par un Traité international signé à Budapest en 1977, certains Etats ont eu l’idée d’offrir aux inventeurs travaillant dans le domaine des biotechnologies une procédure destinée à faciliter la description de l’invention. Selon ce traité qui a été intégré dans la législation française, il est possible de compléter la description de l’invention par le dépôt d’une matière biologique auprès d’un institut spécialisé dans la conservation des organismes vivants. Ce dépôt ne se substitue pas à la description, il la complète et il s’impose au demandeur dès lors que la matière biologique non accessible au public ne peut faire l’objet d’une description écrite suffisante.
- Les revendications
La rédaction des revendications constitue un enjeu capital pour le demandeur en brevet, car c’est de leur contenu que dépend l’étendue de la protection découlant du brevet. C’est plus qu’une condition de forme, c’est ce qui va définir le champ d’application de la protection. Il y a un lien extrêmement ténu entre la description et les revendications. En effet, les revendications doivent se fonder sur la description. Plus encore, le législateur énonce que les revendications doivent être interprétées à la lumière des descriptions. Non seulement, on comprend les revendications grâce à la description, mais encore, l’on ne peut pas revendiquer au-delà de ce que l’on a décrit. La protection ne s’étend pas au-delà de ce que l’on a été capable de décrire.
Les rédacteurs des revendications vont devoir trouver un point d’équilibre, un juste milieu entre des revendications qui doivent être fidèles à la description et qui doivent être suffisamment larges pour éliminer toute possibilité d’empiètement sur son terrain d’exclusivité. Si ces revendications sont trop larges, l’examinateur lui reprochera une distorsion entre les revendications et la description. Si elles sont trop étroites, le champ est ouvert pour la concurrence.
Exemple : une société américaine a déposé une demande de brevet dans les années 1990 pour un système de vibrations communicantes. Il existe des systèmes de ce type notamment en ce qui concerne les consoles de jeux. Dans son brevet, la société avait pris le soin d’expliquer que ce principe pouvait s’appliquer sur les manettes.
Selon le Code de la propriété intellectuelle, les revendications doivent être rédigées de manière claire et concise. Dans l’hypothèse où le demandeur ne parviendrait pas à fournir les caractéristiques techniques nécessaires à la définition de son invention, il est admis que le produit puisse être défini par son procédé de fabrication.
Les revendications doivent être rédigées selon deux formes différentes :
- Les revendications dites structurelles : ce sont celles qui comportentl’indication des moyens mis en œuvre pour parvenir à une fonction déterminée, à un résultat. On définit ici les composantes de l’invention ;
- Les revendications dites fonctionnelles : ce sont celles qui indiquent le résultat produit par l’invention.
L’invention revendiquée ne peut pas s’étendre au-delà de l’invention décrite. La méconnaissance de cette règle est sanctionnée par le rejet de la demande ou l’annulation du brevet délivré. C’est la raison pour laquelle l’article L. 613-14 du Code de la propriété intellectuelle permet à l’inventeur de renoncer à une ou plusieurs revendications, ou à limiter la portée du brevet en modifiant une ou plusieurs revendications.
- Les dessins et l’abrégé du contenu technique de l’invention
Les dessins servent à interpréter les revendications, et ils ne sont pas obligatoires et ne doivent être déposés que si la description et les revendications y font référence.
L’abrégé du contenu technique est un résumé de l’invention. Il est établi à des fins strictement documentaires. C’est une pièce qui n’est pas nécessaire lors du dépôt de la demande de brevet, mais qui peut être remise ultérieurement.
Section 2 : L’examen de la demande de brevet
§ 1 : Les modalités d’examen de la demande
L’examen de la demande de brevet se traduit par un contrôle administratif qui peut conduire au rejet de la demande, dès lors que les éléments requis pour la présentation de la demande ne sont pas réunis. La possibilité de rejet est alors notifiée au déposant qui dispose d’un délai imparti par l’INPI pour modifier sa demande, déposer de nouvelles revendications, ou présenter des observations destinées à justifier le maintien de ces revendications. Si le demandeur ne réagit pas à la demande de l’INPI, sa demande de brevet est rejetée.
La demande peut faire l’objet d’un examen par les services de la Défense Nationale dans un délai de 5 mois à compter du dépôt. Le Ministère de la Défense peut en effet examiner les demandes de brevet qui le concernent, afin de décider s’il va exercer un droit spécifique sur cette demande. Ce droit peut être une demande de licence d’exploitation, ou plus littéralement une expropriation du brevet. Pendant cette période de 5 mois, la demande est mise au secret. L’invention ne peut être exploitée et des sanctions pénales sont prévues en cas de violation de ces obligations. Il est possible de proroger cette durée d’examen et cette mise au secret moyennant le versement d’une indemnité au profit du déposant.
L’autorisation de divulguer et d’exploiter est acquise dès lors que le délai de 5 mois s’est écoulé sans demande particulière du Ministère de la Défense, ou avant l’expiration de ce délai à la demande du déposant avec accord du Ministère.
§2 : L’établissement du rapport de recherche
Cela renvoie à une des conditions de fait, puisque le rapport de recherche consiste en une liste objective d’antériorité pouvant affecter la nouveauté et l’activité inventive. L’établissement du rapport de recherche peut être sollicité par le déposant lui-même, lors du dépôt de la demande. Il peut également différer son déclenchement de 18 mois après la date de dépôt.Dans cette hypothèse, si jamais en effectuant la demande il a opté pour ce report, il a tout de même la possibilité de revenir sur sa décision et de requérir à tout moment le rapport de recherche.
L’établissement du rapport de recherche peut également être sollicité par un tiers, et ce à partir de la publication de la demande de brevet. C’est le cas le plus fréquent, puisque les tiers, et particulièrement les concurrents, ont intérêt à agir de la sorte.
Ce rapport de recherche a une portée très relative. En effet, il ne produit pas d’effet juridique à proprement parler, ce qui veut dire que l’INPI est tenu de délivrer le brevet, quel que soit le contenu du rapport ; il en résulte donc que la demande ne peut être rejetée qu’en cas de défaut manifeste de brevetabilité. Par ailleurs, si le juge, postérieurement à la délivrance du brevet, est saisi d’une demande en annulation (c’est donc le recours judiciaire pour obtenir l’annulation), il est libre d’apprécier la demande formulée contre le brevet, quel que soit le contenu du rapport de recherche.
On en déduit finalement que le rapport de recherche fournit au demandeur et au tiers une information sur la validité probable du brevet. Ça ne lie en aucun cas le juge, mais dès lors que c’est une recherche qui est faite par l’INPI, ça sera une très bonne indication pour le juge, et cela pourra donc lui être utile.
Enfin, la dernière étape est celle de la publication et de la délivrance du brevet (Section 3).
Section 3 : Publication et délivrance du brevet
§ 1 : La publication de la demande de brevet
Publication : c’est la mise à la disposition du public du contenu de la demande de brevet. Cette publication intervient dans un délai de 18 mois à compter du dépôt de la demande de brevet, donc à l’expiration de cette durée. C’est un temps pouvant être utilisé par le déposant lui-même.
Le déposant a la possibilité de demander une publication anticipée, donc on peut imaginer une publication du brevet qui se fasse dans un délai beaucoup plus court : il n’y a pas de limite d’imposée. Cela peut être pour plusieurs raisons, et notamment la certitude de son brevet, ou au contraire l’incertitude de son brevet, par exemple.
A partir de la mise à la disposition du public, toute personne peut prendre connaissance du dossier de brevet et en obtenir la reproduction. La publication produit un effet particulier ; pendant 3 mois après la date de publication de la demande, les tiers peuvent présenter des observations. Ces observations sont notifiées au déposant, qui peut, dans un délai de 3 mois, déposer par écrit ses observations en réponse, ou déposer une nouvelle rédaction des revendications.
C’est aussi à compter de la date de la publication (et c’est ce qui justifie parfois la publication anticipée) que le déposant peut engager une action en contrefaçon.
§ 2 : La délivrance du brevet
Si la demande est conforme aux prescriptions légales, le brevet est délivré par une décision du directeur de l’INPI. Cette décision est notifiée au demandeur, qui reçoit un exemplaire certifié conforme de son brevet. La délivrance va en quelque sorte « figer » les choses, et donner au droit du breveté un contenu définitif. Ce droit du breveté prend effet de manière rétroactive à la date du dépôt de la demande. On va donc avoir une période de flou à cause de cet effet rétroactif.
Il faut souligner que le titre qui est délivré est présumé valable, ce qui signifie que le droit du breveté peut être rétroactivement anéanti à l’issue d’une action en annulation. On va donc jusqu’au bout de la logique de la rétroactivité.
La délivrance peut être refusée et ne pas avoir lieu si le demandeur ne répond pas aux prescriptions légales (voir supra), si le demandeur n’a pas acquitté la redevance de délivrance pour toute demande de brevet, ou encore dans l’hypothèse où le demandeur a été déchu de ses droits pour non-paiement de la redevance annuelle, qui est due immédiatement.
D’une manière générale, les décisions rendues par le directeur de l’INPI concernant la délivrance d’un brevet peuvent faire l’objet d’un recours judiciaire devant le Tribunal de grande instance de Paris, puis la Cour d’appel de Paris, pour terminer devant la Cour de cassation. Le Tribunal de grande instance de Paris a ici une compétence exclusive depuis un Décret du 1er novembre 2009.
On a donc un circuit à respecter, qui peut être un peu long, mais une fois qu’on a quitté la procédure devant l’INPI, on remarque une procédure judiciaire assez classique. Il faut cependant, en pratique, garder à l’esprit qu’il y a un décalage manifeste entre le nombre de brevets en vigueur et le nombre de brevets réellement valables. Cela est dû au fait que l’INPI ne procède qu’à un examen très superficiel de la demande qui porte essentiellement d’une part sur la recevabilité de la demande, d’autre part sur la présence des conditions essentielles de brevetabilité. Donc, c’est un examen assez global, et l’on ne donne malheureusement pas beaucoup de garanties.
Pour voir un résumé des éléments essentiels concernant le brevet, se référer au site suivant :http://www.casalonga.com/documentation/Documentation-juridique/Brevets/Brevet-francais.html?lang=fr.
Titre II : La protection résultant d’un brevet
La délivrance d’un brevet sur une invention a pour effet de conférer à son titulaire un monopole d’exploitation (Chapitre I). Ce monopole n’offre pas une protection absolue. En outre, le titulaire du brevet subit parfois des atteintes (Chapitre II).
Chapitre I :Le monopole d’exploitation du breveté
Le droit des brevets réserve au breveté un certain nombre de prérogatives (Section 1), dont l’exercice peut toutefois se heurter à des limites (Section 2).
Section 1 : Les prérogatives du breveté
On peut préciser d’emblée que, lorsqu’est déposée une demande de brevet européen, les prérogatives reconnues au breveté sont fixées par la législation de chacun des Etats désignés dans la demande. Il faut donc chaque fois se référer aux dispositions nationales de ces Etats. Il en va de même en présence d’une demande internationale de brevet effectuée dans le cadre du Traité de coopération sur les brevets.
En France, il résulte des dispositions de l’article L. 613-3 du Code de la propriété intellectuelle que le brevet confère à son titulaire le droit d’interdire à tout tiers toute une série d’actes, dès lors qu’ils sont accomplis à des fins commerciales. Ainsi, le titulaire du brevet peut interdire la fabrication, l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation, l’importation, la détention, mais également depuis 2014, l’exportation et le transbordement à des fins commerciales du produit, objet du brevet.
Les deux derniers actes ont été ajoutés par la Loi de 2014, Hamon. On y ajoute l’exportation, et c’est un changement énorme, car cela signifie que le titulaire du brevet est en mesure d’interdire d’exporter le produit, y compris dans des pays où il n’a pas déposé de brevet. Par cette disposition, le législateur a voulu renforcer le contrôle de la circulation du produit par le breveté. S’agissant du transbordement, cela se comprend dans la mesure où souvent, les produits de contrefaçon circulent avant d’arriver sur un territoire cible. L’idée est donc de saisir la marchandise dans les ports pour éviter qu’elle passe d’un navire à l’autre, par exemple. Là encore, cela renforce la protection du titulaire.
Hormis la fabrication, ces mêmes actes ne peuvent être accomplis sur le produit obtenu directement par le procédé breveté. Sont également interdits les actes d’utilisation d’un procédé, ou simplement l’offre de son utilisation sur le territoire français. Néanmoins, dans cette dernière hypothèse, la contrefaçon n’est punissable que s’il est établi que le présumé contrefacteur savait, ou que les circonstances rendaient évident que l’utilisation du procédé était interdite sans l’autorisation du titulaire du brevet. On en conclut donc que pour ces actes, est requis un élément intentionnel.
L’ensemble de ces actes n’est pas toujours répréhensible. Ainsi, l’article L. 613-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « Les actes portant sur l’objet de l’invention sont licites dès lors qu’ils sont accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales, ou bien à titre expérimental ».
D’une manière générale, les prérogatives du breveté consistent davantage en un droit d’empêcher qu’en un droit de faire au profit du breveté. Ainsi, par exemple, malgré son monopole d’exploitation, le breveté ne pourra pas exploiter son invention si sa mise en œuvre est interdite par une disposition légale ou réglementaire. Donc, cela ne lui donne pas un quitus pour faire, juste un droit d’empêcher les autres d’utiliser son produit : c’est un droit de réservation.
Ce pouvoir d’empêcher comporte en outre un certain nombre de limites.
Section 2 : Les limites au monopole du breveté
Le monopole du titulaire du brevet est limité d’un triple point de vue :
- · Il est limité par une règle légale, qui est celle de l’épuisement du droit (§ 1) ;
- · Il est également limité de façon spatiotemporelle (§ 2) ;
- · Il est enfin limité par le droit de possession personnelle antérieure (§ 3).
§ 1 : La limitation du monopole par l’épuisement du droit
La règle de l’épuisement du droit est posée à l’article L. 613-6 du Code de la propriété intellectuelle, qui énonce : « Les droits conférés par le brevet ne s’étendent pas aux actes concernant le produit couvert par ce brevet, accomplis sur le territoire français, après que ce produit a été mis dans le commerce, en France ou sur le territoire d’un Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen, par le propriétaire du brevet, ou avec son consentement express ».
Cette règle s’explique par la politique menée par la Commission Européenne depuis de nombreuses années, dont l’un des objectifs essentiels est de lever les barrières au cloisonnement des marchés. Précisément, le décloisonnement est assuré par un principe essentiel du droit de l’Union Européenne : le principe de libre-circulation des marchandises.
Il en résulte que le monopole du breveté est limité à la fabrication du produit, et à sa première commercialisation. Le titulaire du brevet ne peut donc s’opposer à l’introduction sur le territoire d’un Etat partie à l’Accord sur l’espace économique européen, où existe la protection du produit breveté, dès lors qu’il a été préalablement mis dans le commerce dans un autre Etat-membre où existe la protection par lui-même, ou avec son consentement.
Pour résumer, dès que le produit breveté est entré dans le commerce, il échappe au monopole du titulaire du brevet. Bien entendu, ce dernier peut toutefois subordonner la livraison du produit – et notamment la première commercialisation, qui est celle qui lui appartient – à certaines conditions, dès lors qu’elles sont conformes aux règles de la concurrence. Cette dernière réserve permet au titulaire du brevet d’organiser la circulation de son produit par la mise en place de réseaux (réseau de distribution exclusive, par exemple, ou encore réseau de distribution sélective). Ces réseaux sont généralement jugés conformes aux règles du droit de la concurrence, et permettent d’amoindrir la portée du principe de l’épuisement du droit.
Exemple : on a une machine à café, qui est un produit breveté. Au bout de 5 ans, on nous en offre une autre et donc on veut revendre la première. Or, la revente d’un produit breveté qui a été préalablement acheté peut être considérée comme de la contrefaçon. La vente de produit breveté est une contrefaçon, mais dès lors qu’il y a eu une première commercialisation, le breveté ne peut plus s’opposer à cette commercialisation : son droit est épuisé.
Le titulaire peut garder le contrôle de son produit en le réservant à des distributeurs agréés, qui vont lui donner un certain nombre de garanties (de qualité, d’environnement, etc.). Donc, ici, on voit bien l’épuisement du droit et sa limitation. Mais le texte nous dit que cela vaut également au-delà des frontières nationales, et là ça devient plus compliqué.
On a :
Imaginons que l’on ait un brevet dans plusieurs pays pour le même produit (Etats-Unis, France, Allemagne et Espagne, par exemple). Ici, la question qui va se poser est celle de la circulation du produit. C’est donc un brevet X avec un produit.
Imaginons qu’il y ait une première vente réalisée avec le consentement express du titulaire du brevet en France. Ce que voulait la Commission Européenne en affirmant ce principe d’épuisement du droit, c’est encadrer tout cela. Imaginons que ce produit soit vendu en France. Ensuite, l’acheteur – qui est grossiste – décide d’exporter ce produit en Allemagne.
Est-ce que cette exportation est un acte de contrefaçon ?
Réponse :non. Dès lors que le produit a été fabriqué et mis en circulation sur le territoire français par le titulaire du français, le produit peut librement circuler dans tous les Etats dans lesquels le brevet est déposé et qui font partie de l’Espace économique européen. Le droit est épuisé, car si on ne l’appliquait pas, on permettrait un cloisonnement des marchés. Le droit du breveté ne renaît pas, car cela irait à l’encontre de la volonté européenne de décloisonner les marchés.
La revente est donc possible dans tous les pays où le brevet a été déposé, sans être susceptible d’être considérée comme de la contrefaçon.
Attention : l’accord de libre-circulation ne vaut que sur l’Espace économique européen, et donc dès lors qu’on a une exportation aux Etats-Unis, le droit renaît. Le breveté peut très bien s’opposer à la revente de son produit à la frontière. On ne veut donc pas entraver la libre-circulation par un outil tel que le brevet.
Pour distribuer le produit aux Etats-Unis, il faut un licencié habilité à distribuer le produit aux Etats-Unis. Le licencié paye pour pouvoir exercer ce droit : c’est un contrat de location. Il est possible d’avoir un licencié exclusif. Dans certains cas, le breveté peut autoriser le transfert aux Etats-Unis, à défaut de quoi il s’agit d’une contrefaçon.
§2 : La limitation du monopole dans le temps et dans l’espace
Le brevet ne produit d’effet que sur le territoire de l’Etat où la protection a été demandée et où le titre a été délivré. Dans l’hypothèse où le demandeur effectue une demande de brevet national, international ou européen, la protection couvrira le territoire de chacun des Etats désignés dans la demande.
Si le titulaire a demandé à bénéficier de l’effet unitaire du brevet européen, la protection s’appliquera dans tous les pays signataires du règlement sur le brevet à effet unitaire. Là, ça sera une application automatique dans 25 Etats de l’Union Européenne (puisqu’il en manque trois qui n’ont pas participé à cet accord de coopération renforcée, voir supra).
La durée de la protection est quant à elle limitée à 20 ans. Cette durée peut être prolongée par le biais du certificat complémentaire de protection (donc applicable aux médicaments), prolongation qui sera calquée sur la durée de la procédure d’autorisation de mise sur le marché. Donc, ce n’est pas une durée fixe, mais une durée variable en fonction de la durée de la procédure d’autorisation de mise sur le marché.
Il faut savoir que la protection ne dure que si le titulaire du brevet continue à payer une somme annuelle, qu’on appelle des annuités. Cette somme, pour les sociétés d’une certaine importance, est de la 2ème à la 5ème année de 36€/an. La 6ème année, elle est de 72€ ; la 7ème année, elle est de 92€ ; la 10ème année 210€ ; et la 20ème année, on arrive à 760€. Ce tarif se multiplie par le nombre de pays dans lesquels la protection veut être étendue. La 1ère année d’annuité est incluse dans les frais de délivrance du brevet (sachant que le prix d’un dépôt en France est de 36€, et le coût de la délivrance est de 86€, sachant qu’il faut ajouter 40€/revendication au-delà de la 10ème). Le certificat complémentaire de protection génère quant à lui une annuité fixe de 900€. Le rapport de recherche coûte 500€, mais n’est pas obligatoire.
- Quand on arrête de payer, on perd son brevet, et il faut parfois faire un tri dans son portefeuille de brevet.
§3 : La limitation du monopole par le droit de possession personnelle antérieure
Le droit de possession personnelle antérieure est organisé par l’article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel : « Toute personne qui, de bonne foi, à la date de dépôt d’un brevet, était sur le territoire français en possession de l’invention, objet du brevet, a le droit à titre personnel d’exploiter l’invention malgré l’existence du brevet ».
Cette disposition légale a pour effet de légitimer l’exploitation de l’invention par un autre que le titulaire lui-même. Donc, c’est une exception dans le monopole qui est reconnu au titulaire. Pour que ce droit soit reconnu, il faut établir que le possesseur avait une pleine connaissance de l’enseignement technique contenu dans le brevet. La connaissance paraît suffire, et il n’est donc pas nécessaire de prouver que le tiers exploitait effectivement l’invention avant le dépôt de la demande de brevet par un autre que lui.
La possession qui est visée ici doit être personnelle ; elle ne doit en aucun cas résulter d’une communication faite par le breveté, ni d’une divulgation faite par un tiers qui était tenu d’une obligation de confidentialité. Donc, c’est quelque chose qu’il doit avoir acquis par lui-même.
Ce droit soulève toutefois une question :
Si l’invention était connue avant le dépôt de la demande, pourquoi ne fait-elle pas tomber la nouveauté de l’invention ?
Il semble en fait que ce qui caractérise cette situation, c’est que l’enseignement inventif possédé par un tiers n’avait pas été divulgué au public. Dès lors qu’il était resté secret, il n’a pas pu faire tomber la nouveauté de l’invention mise au point par le tiers. Toute la difficulté sera pour le possesseur de démontrer une possession antérieure d’une invention qu’il a gardée secrète.
En réalité, plusieurs techniques de preuve existent, et notamment une technique qui est propre au droit français des brevets, qu’on appelle l’enveloppe SOLEAU (qui porte donc le nom de son créateur). Cette enveloppe Soleau sert à prouver qu’une personne possédait l’invention à une date déterminée. Il s’agit d’une enveloppe délivrée par l’INPI, dans laquelle toute personne peut glisser quelques feuilles, qui doit ensuite être scellée, et qui est perforée de la date du jour de son dépôt. Comme elle est scellée, on ne peut pas par la suite rajouter des documents, et cette technique donne donc une date certaine au document.
- Il s’agit là d’une technique française qui ne vaut pas à l’étranger.
Un autre moyen pour donner une date certaine à un document est d’aller voir un officier public, comme un notaire, pour passer un acte authentique qui donnera une date certaine au document, mais cette fois l’envergure est internationale, contrairement à l’enveloppe Soleau (qui est toutefois moins chère vu qu’elle coûte une vingtaine d’euros, à la différence d’une consultation notariale).
Une fois que la date est prouvée, le possesseur pourra exercer tout acte sur l’invention sans l’autorisation du titulaire du brevet. Il s’agit toutefois d’un droit strictement personnel, qui ne peut être transmis en tant que tel, l’article L. 613-7 du Code de la propriété intellectuelle prévoyant expressément qu’il ne peut être transmis qu’avec le fonds de commerce, l’entreprise, ou la partie de l’entreprise à laquelle il est attaché.
Chapitre II : Les atteintes au droit de brevet
Le titulaire d’un brevet est protégé dans l’exercice de son droit, et lorsqu’il est victime d’actes de contrefaçon, les atteintes portées à son droit sont sanctionnées (Section 1). Néanmoins, il doit supporter certaines atteintes lorsqu’elles sont justifiées (Section 2).
Section 1 : Les atteintes sanctionnées au droit de brevet
Dans la mesure où l’examen des conditions de brevetabilité n’est qu’un contrôle a priori, rien ne garantit que le droit sera maintenu. Le titulaire du brevet peut en effet être l’objet d’une action en contrefaçon, ou au contraire être victime d’un acte de contrefaçon.
Le plus souvent, lorsque le titulaire du brevet agit en contrefaçon, le présumé contrefacteur répondra à son action par une action en annulation du brevet. Cela lui permettra de faire valoir que l’action qui est menée contre lui est infondée, faute de titre valable pour l’exercer. Donc ici, on est sur un risque qui est loin d’être neutre, et ce risque est lorsque l’on réagit immédiatement à des actes constatés, c’est d’avoir le retour de manivelle, dans ce sens où le présumé contrefacteur peut décider d’examiner en détail le brevet pour le faire tomber, et il n’y aura donc plus de brevet, plus de monopole d’exploitation, et donc plus de contrefaçon. Il faut donc être bien sûr de soi pour agir en contrefaçon, et c’est là une limite bien regrettable du droit des brevets.
L’acte de contrefaçon n’est pas défini par les textes. Deux auteurs proposaient une définition, considérant que la contrefaçon constitue un « acte d’empiètement sur le monopole du breveté, un acte d’emprise sur la propriété d’un tiers au même titre que peut l’être une construction faite sur le terrain d’autrui ».
L’article L. 615-1 du Code de la propriété intellectuelle énonce que « Les atteintes portées au droit du propriétaire du brevet constituent une contrefaçon ». C’est ce qui explique que les revendications qui définissent l’étendue du droit jouent ici un rôle essentiel.
§ 1 : Les critères de la contrefaçon
La détection de la contrefaçon passe par une comparaison entre l’objet breveté et l’objet argué de contrefaçon. Outre les hypothèses de reproduction serviles, fidèles (évidemment constitutives de contrefaçon), la doctrine a élaboré des règles permettant de caractériser la contrefaçon.
1ère règle : cette 1ère règle conduit à considérer que la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances, et non pas par les différences. Il en résulte que la contrefaçon est établie lorsque les éléments essentiels constitutifs de l’invention se retrouvent dans l’objet présumé contrefaisant, ou encore quand l’objet litigieux – bien que différent de l’objet breveté – ne s’en distingue pas suffisamment. En clair, un acte sera contrefaisant quand bien même le présumé contrefacteur aurait modifié, ajouté, ou supprimé un élément de l’objet breveté. Seule la modification d’un élément essentiel permet d’échapper à la qualification de contrefaçon.
Exemple : un changement de matière, un changement de forme ou de dimension peuvent être pris en considération, mais ne permettront pas d’échapper à la qualification de contrefaçon s’ils n’induisent aucune différence substantielle par rapport à l’objet protégé.
2nde règle :il s’agit là de la théorie des équivalents, théorie qui conduit à qualifier de contrefaçon la reproduction qui consiste à remplacer un élément de l’invention par un autre, alors que cet élément assure la même fonction, en vue d’un résultat de même nature.
Enfin, la jurisprudence a dégagé une règle applicable aux inventions de combinaisons. Elle estime qu’il peut y avoir contrefaçon partielle, notamment dans l’hypothèse d’une exploitation par un tiers d’un élément d’une invention protégée, qui consiste à combiner plusieurs moyens ou plusieurs éléments, même si le breveté n’a pas revendiqué ce moyen considéré individuellement. Selon Mme Boizard,cette solution semble un peu excessive, car elle induit que les tiers ne peuvent pas se fier à la rédaction des revendications et doivent se livrer à une interprétation quelque peu hasardeuse de celle-ci.
§ 2 : L’action en contrefaçon
- L’administration de la preuve de la contrefaçon
L’issue d’une action en contrefaçon dépend de la possibilité pour le plaignant de fournir la preuve matérielle de l’acte incriminé.Quel que soit l’objet de l’invention, sa contrefaçon est rarement flagrante, et sa preuve toujours difficile à rapporter. C’est la raison pour laquelle – ici comme en d’autres domaines – le législateur offre, dans certaines circonstances, la possibilité d’opérer un renversement de la charge de la preuve par le biais de présomptions simples.
En vertu de l’article L. 615-5, 1° du Code de la propriété intellectuelle, si le brevet a pour objet un procédé d’obtention d’un produit, le tribunal pourra ordonner au défendeur de prouver que le procédé pour obtenir un produit identique est différent du procédé breveté.
Faute pour le défendeur d’apporter cette preuve, tout produit identique fabriqué sans le consentement du titulaire du brevet sera présumé avoir été obtenu par le procédé breveté dans les deux cas suivants :
- Le produit obtenu par le procédé breveté est nouveau;
- La probabilité est grande que le produit identique a été obtenu par le procédé breveté, alors que le titulaire du brevet n’a pas pu, en dépit d’efforts raisonnables, déterminer quel procédé a été en fait utilisé pour obtenir le produit.
Il faut donc comprendre de ce texte qu’un produit nouveau est supposé avoir été fabriqué selon un procédé de contrefaçon (et c’est là la présomption), et la charge de la preuve est renversée sur le défendeur. Donc, quand le procédé est protégé, le droit de la propriété intellectuelle étend la protection au produit qui en découle. Pour donner de la cohérence à la protection, on l’étend au produit. Si le défendeur n’a rien à se reprocher, tout va bien, il a juste à démontrer qu’il n’utilise pas le procédé breveté mais un autre procédé.
Donc, la présomption s’applique finalement dans les hypothèses où, malgré ses efforts, le breveté ne peut pas identifier autre que le sien dans la production du produit. Donc, si au vu des connaissances scientifiques, il apparaît que le produit incriminé ne peut être obtenu qu’à partir du procédé breveté, alors la présomption s’appliquera. Il appartient donc – puisqu’il s’agit d’une présomption simple – au défendeur de démontrer qu’il a obtenu le produit en cause par un procédé différent du procédé protégé par le brevet d’un tiers.
On peut considérer que finalement, c’est une présomption qui ne semble pas si lourde que cela pour le défendeur, puisque s’il est véritablement de bonne foi, il n’aura aucune difficulté à le prouver, ce qui rétablit l’ordre des choses. C’est une présomption qui ne jouera que dans l’hypothèse où le procédé d’obtention est revendiqué dans la demande de brevet.
Ne reste-t-il pas une difficulté, qui découle du fait que l’on demande au défendeur de prouver sa technique, de prouver qu’il n’est pas contrefacteur ?
Il y a un inconvénient, car par le jeu de ces présomptions, on oblige le présumé contrefacteur à dévoiler ses secrets de fabrication. Le législateur tient compte de cette difficulté, de cet inconvénient, en indiquant qu’il conviendra, dans cette situation, de tenir compte des intérêts légitimes du présumé contrefacteur. Cela inclut la protection de ses secrets de fabrication.
- Les effets de l’action en contrefaction
L’action en contrefaçon engage tant la responsabilité civile (1) que la responsabilité pénale (2) de son auteur.
- La responsabilité civile
En ce qui concerne la responsabilité civile, la loi établit une distinction en fonction de la qualité de l’auteur de la contrefaçon. Ainsi, l’importateur et le fabricant d’un produit contrefaisant engagent leur responsabilité civile indépendamment du point de savoir s’ils ont eu conscience ou non de mal agir. La solution ne semble pas excessive pour le fabricant, parce qu’en pratique, celui qui reproduit un bien protégé par un brevet le fait rarement par hasard. Il en va différemment d’un distributeur qui n’a pas nécessairement connaissance de l’origine frauduleuse du bien qu’il fait circuler. Donc, cette distinction peut se comprendre, car l’on présume que le fabricant savait ce qu’il faisait, à la différence du distributeur qui ne connaît pas forcément l’origine des produits qu’il distribue.
La solution est sans doute plus contestable de l’importateur, qui finalement ne se distingue du distributeur qu’en ce qu’il se situe au-delà des frontières nationales. L’importateur est un distributeur qui passe les frontières, et il est donc, de ce point de vue-là, plus proche du distributeur que du fabricant. Il est vrai que l’on peut trouver une certaine légitimité à cette solution au regard du principe de territorialité de la protection[7], mais l’on peut tout de même se demander si, à l’heure de l’espace économique européen et du principe de libre-circulation des marchandises, cette spécificité de l’importateur a encore un sens.
Quels sont les effets de cette responsabilité ?
L’auteur d’un acte de contrefaçon peut être condamné au paiement de dommages-intérêts, et c’est toujours ce que l’on veut lorsqu’on met en œuvre la responsabilité civile. Pendant longtemps, l’indemnisation du préjudice a été déterminée selon le schéma classique de la responsabilité civile, tel qu’il résulte de l’article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». On en déduit que sera réparé le préjudice, tout le préjudice, mais rien que le préjudice. C’est la règle en matière de responsabilité civile.
Le Code de la propriété intellectuelle propose aujourd’hui une grille d’évaluation, s’appuyant sur deux modes distincts d’évaluation du préjudice, qui s’appliquent d’ailleurs quel que soit le droit de propriété industrielle considéré.
D’une part, le Code de la propriété intellectuelle propose un mode d’évaluation classique, consistant à déterminer l’indemnisation en fonction des conséquences économiques négatives provoquées par l’acte de contrefaçon. Il en résulte que la réparation doit être estimée en fonction du gain manqué et de la perte totale subie par le titulaire du droit, du fait de l’impact de la contrefaçon sur le volume des ventes. La réparation doit donc indemniser la perte totale subie par le breveté, autrement dit, le bénéfice qu’il aurait réalisé par la vente des objets protégés en l’absence des objets contrefaisants, généralement offerts à un prix moindre.
Depuis 2007, le juge est également invité à évaluer le préjudice en intégrant les bénéfices réalisés par le contrefacteur, ce qui est une « petite révolution » dans le droit à l’indemnisation. Cela revient à un système de dommages-intérêts confiscatoires ou punitifs que mettent en œuvre, notamment, les juridictions américaines : on confisque les bénéfices réalisés par l’auteur de la contrefaçon, et donc on le punit au-delà des pertes subies par la victime.
Enfin, la partie lésée peut être indemnisée pour le préjudice moral résultant de la contrefaçon. Ici, on serait sur le préjudice moral, l’atteinte morale dont a pu être victime le titulaire du brevet.
En quoi est-ce que la contrefaçon pourrait générer un préjudice moral ?
Ce serait, par exemple, l’atteinte portée à l’image d’une société, du fait de la commercialisation de produits de contrefaçon de mauvaise qualité. L’image et la confiance qu’on peut avoir en une entreprise peut être ternie du fait de la contrefaçon, et cela pose parfois des problèmes de sécurité (sanitaire, corporelle, etc.).
Exemple : il y a une société qui fabrique des systèmes de plaques qui sont posées sur le plafond, et entre les plaques et la construction elle-même, il y a un vide permettant de faire passer les gaines électriques, les grilles de ventilation, etc. Pour faire tenir ces plaques, il existe plusieurs systèmes d’accroche, et une entreprise a posé un brevet pour ce système. Il s’agit d’un câble en acier qui passe à l’intérieur d’une petite pièce, c’est comme un système de poulie, mais avec un auto-blocage. C’est un système qui s’est beaucoup développé car il est très solide et très simple. Il y a donc des entreprises qui ont fait des contrefaçons, ce qui a généré des problèmes, car les produits de contrefaçon n’étaient pas de bonne qualité et des plaques ont entraîné des accidents en se détachant. Cela a donc entaché l’image de la société initiale titulaire du brevet, avec le risque par la suite qu’elle doive fermer.
Comment, concrètement, le juge va-t-il faire ?
Concrètement, l’indemnité de contrefaçon sera évaluée en tenant compte de la valeur patrimoniale du droit considéré, et donc de l’exploitation qui est faite du brevet, de la notoriété qu’elle dégage, etc.
Exemple :Nespresso©.
Le juge tient également compte de l’atteinte portée au droit privatif, comme par exemple le volume de la contrefaçon, ou l’importance de l’exploitation. C’est au demandeur d’apporter des éléments concrets d’appréciation et de fournir une évaluation chiffrée.
D’autre part, les juges peuvent également procéder à une évaluation forfaitaire du préjudice, qui sera au minimum égale au montant des redevances auxquelles le titulaire du droit aurait pu prétendre s’il avait autorisé l’exploitation de son droit par le biais, notamment, d’une licence d’exploitation. Ce serait donc le montant des royalties, qui représentent la somme versée pour une licence l’exploitation.
Dans ce cadre, la loi ne fixe aucun maximum, ce qui signifie que le juge est libre d’aller au-delà, et de prévoir des dommages-intérêts d’un montant supérieur. On entrerait alors sans doute, si le juge procédait de la sorte, un modèle de dommages-intérêts punitifs, et il y a donc encore des changements possibles sur la question de l’évaluation des dommages-intérêts.
Outre les dommages-intérêts, le tribunal peut bien entendu condamner – et c’est ce qu’il fera en tout premier lieu – à cesser ses agissements illicites, éventuellement sous astreinte. Il peut également ordonner la saisie des marchandises de contrefaçon, leur destruction, et il pourra également condamner le contrefacteur a la publication de la décision dans un journal – ou plusieurs journaux – choisi(s) par la victime.
Parallèlement, le titulaire du brevet peut intenter une action en concurrence déloyale, dès lors qu’il apparaît que la reproduction de l’invention est susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle, confusion qui peut entraîner une perte de la clientèle (ou d’une partie de la clientèle) et une diminution des parts du marché du breveté.
Il faut être extrêmement prudent sur ces actions, car ce sont deux choses différentes. Il y a un débat sur cette question, à savoir si l’on peut agir à la fois sur le fondement de la contrefaçon et sur le fondement de la concurrence déloyale. La logique voudrait que, en cas de violation d’un droit de propriété industrielle, on agisse exclusivement sur le fondement de la contrefaçon. En pratique, les avocats doublent toujours cette action d’une action en concurrence déloyale, et pas seulement à titre subsidiaire, ce qui signifie qu’ils demandent des indemnités sur les deux chefs de préjudice. Le pire, c’est qu’il arrive qu’ils obtiennent satisfaction. C’est ici un gros dysfonctionnement, car lorsque l’on voit l’évaluation du préjudice en matière de contrefaçon, on ne voit pas bien la distinction qu’il y a entre la perte subie sur le fondement de la contrefaçon, et la perte subie sur le fondement de la concurrence déloyale : c’est l’un ou l’autre. Mais il est intéressant de pouvoir se retourner sur la concurrence déloyale, lorsque la demande est faite à titre subsidiaire.
- La responsabilité pénale
Le législateur n’a pas toujours considéré que la responsabilité pénale constituait la bonne réponse aux actes de contrefaçon. D’ailleurs, en droit des brevets, la Loi du 6 juillet 1978 sur les brevets avait suspendu toute idée de responsabilité pénale en matière de contrefaçon. Celle-ci a été réintégrée en droit des brevets par la Loi du 26 novembre 1990. En pratique, cette voie est peu choisie par les personnes agissant en contrefaçon de brevet, alors qu’elle l’est davantage en matière de marque. En principe, des sanctions pénales pourront donc être retenues contre l’auteur d’actes de contrefaçon, dès lors qu’il aura sciemment porté atteinte aux droits du titulaire. Il convient alors de rapporter la preuve de l’élément intentionnel de la contrefaçon, c’est-à-dire le fait que le présumé contrefacteur a agi en connaissance de cause.
Comment prouver l’élément intentionnel en la matière ?
On peut imaginer que la contrefaçon émane par exemple de personnes qui sont entrées en négociations avec le titulaire du brevet pour, par exemple, obtenir une licence. Imaginons que les négociations n’ont pas abouti, et donc l’intention de l’interlocuteur était de connaître le maximum d’informations. On peut ainsi imaginer que le but est de créer des contrefaçons, et l’on peut donc soupçonner l’élément intentionnel : le contrefacteur savait que le produit faisait l’objet d’un brevet.
L’heure est à la répression de la contrefaçon, et l’évolution législative marque un très net renforcement de la sanction pénale de la contrefaçon. L’amende est de 300 000€, et la peine de prison est de 3 ans. Sont apparues progressivement des circonstances aggravantes. Ainsi, par exemple, la Loi du 9 mars 2004 a porté les peines à 5 ans d’emprisonnement et 500 000€ d’amende, lorsque le délit a été commis en bande organisée. La Commission Européenne de la contrefaçon parle d’ailleurs, dans son rapport, de « cartel de la contrefaçon ».
Il y a également la Loi du 29 octobre 2007 qui prévoit la même sanction aggravée pour les faits qui portent sur des marchandises dangereuses pour la santé et pour la sécurité de l’Homme ou de l’animal. Donc, ici, on fait référence à tout ce qui concerne les produits alimentaires, les produits pharmaceutiques, etc. Il faut ajouter également que la Loi du 14 mars 2011 ajoute quant à elle une nouvelle circonstance aggravante de la responsabilité pénale en ce qui concerne les contrefaçons commises sur les réseaux de communication au public en ligne (500 000€ d’amende et 5 ans d’emprisonnement).En cas de récidive, les peines encourues sont portées au double.
Il s’agit ici de marquer un coup assez fort avec des sanctions assez significatives. C’est dissuasif, et c’est le but d’une sanction pénale, mais le titulaire du brevet préfère généralement se tourner vers la responsabilité civile (d’autant que l’amende ne lui est pas versée), sachant que l’élément intentionnel est toujours dur à prouver en matière de responsabilité pénale.
Section 2 : Les atteintes justifiées au droit du breveté
Dans certains cas, le législateur obligera le titulaire du brevet à concéder un droit d’exploiter son invention au profit de tiers. C’est ce que l’on désigne comme étant des licences obligatoires.
Parmi ces licences, on distingue :
- · Les licences judiciaires (§ 1) ;
- · Les licences administratives (§ 2).
§ 1 : Les licences judiciaires
Le droit exclusif, le monopole d’exploitation, qui est reconnu au profit du breveté par l’Etat, implique que son bénéficiaire exploite effectivement l’invention, afin d’en faire profiter le public. A défaut, il peut être contraint de concéder l’exploitation de l’invention à un tiers.
Une pareille procédure ne peut être mise en œuvre qu’en respectant certaines conditions. L’article L. 623-11 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’elle n’est possible que s’il apparaît que le breveté n’a pas commencé à exploiter son invention, ou fait des préparatifs sérieux à cette fin, au cours des 3 années à compter de la délivrance du brevet, ou des 4 années qui suivent le dépôt de la demande.
De la même manière, une licence judiciaire pourra être accordée s’il apparaît que l’invention qui a été exploitée ne l’est plus depuis plus de 3 ans. Néanmoins, le breveté peut justifier la non-exploitation en invoquant une excuse légitime, c’est-à-dire le fait qu’il se soit heurté à un obstacle matériel sérieux à l’exploitation envisagée.
Exemple : l’adoption d’une règlementation nouvelle très contraignante, faisant qu’il n’est plus possible de l’exploiter comme avant, ou faisant qu’il faudrait dépenser beaucoup de moyens pour continuer l’exploitation, etc.
Il est également possible de demander une licence en justice, lorsque deux inventions brevetées se recoupent partiellement, de sorte que l’exploitation de l’une puisse constituer une atteinte au droit couvrant l’autre. C’est le cas notamment de ce que l’on appelle la dépendance en droit des brevets.
Dépendance : il y a dépendance chaque fois qu’un brevet valable du point de vue des conditions de brevetabilité, ne peut être exploité sans que cela ne constitue une contrefaçon d’un brevet antérieur appartenant à un tiers. Le concept de dépendance et d’invention dépendante a suscité un intérêt tout particulier dans le domaine de la chimie, et particulièrement dans celui des médicaments, qui est un secteur dans lequel, le plus souvent, les inventions procèdent de simples améliorations du produit existant.
On voit bien ici que l’on est sur une situation complexe. Dans cette hypothèse, le titulaire du brevet dépendant peut demander une licence d’exploitation au titulaire du brevet dominant. En cas de refus du breveté, l’article L. 613-12, alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle l’autorise à formuler une demande judiciaire de licence d’office.
Attention :il faut d’abord s’être adressé vainement au breveté pour pouvoir demander une licence judiciaire. C’est donc son refus qui justifie l’attribution d’une licence judiciaire.
§ 2 : Les licences à caractère administratif
Il existe quatre sortes de licences à caractère administratif :
- La licence d’office dans l’intérêt du développement économique: le breveté peut être contraint, par décret pris en Conseil d’Etat, de concéder une licence d’exploitation lorsqu’il apparaît que l’absence d’exploitation de l’invention, ou son insuffisance porte gravement préjudice au développement économique et à l’intérêt public. Cette procédure est toujours précédée d’une demande faite au breveté d’exploiter son brevet de manière à satisfaire aux besoins de l’économie nationale ;
Il y a très peu de licences accordées sur ce fondement, car si l’invention présentait un intérêt sur le plan économique, il l’aurait compris et aurait procédé lui-même au développement suffisant de l’invention ;
- La licence accordée dans l’intérêt de la Santé publique : cette licence va porter sur un médicament, ou un procédé d’obtention d’un médicament, dès lors que ces éléments, ces inventions, sont mis à la disposition du public en quantité ou en qualité insuffisante, ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la Santé publique, ou constitutive de pratiques déclarées anticoncurrentielles à la suite d’une décision administrative (qui n’est pas une juridiction) ou juridictionnelle, devenue définitive. Là encore, c’est une décision qui doit résulter d’un décret pris en Conseil d’Etat, à la demande du Ministre chargé de la Santé publique ;
Là encore, ça reste une hypothèse relativement rare, étant donné que les industries pharmaceutiques développent elles-mêmes. En revanche, ça a été une menace, car si l’on n’est pas dans le cadre, des concurrents peuvent obtenir une licence d’exploitation.
- La licence d’office dans l’intérêt de la Défense nationale : elle peut être demandée au stade de la procédure de délivrance du brevet lui-même, et tout au long de la durée de la vie du brevet, à la demande cette fois du Ministre de la Défense (voir supra) ;
- La licence d’office dans l’intérêt de l’élevage : elle concerne des médicaments portant sur des brevets vétérinaires, et s’applique à la demande du Ministre de l’agriculture lorsque l’intérêt de l’élevage l’exige.
Dans ces quatre cas de licence obligatoire, la licence prend effet à la date de la demande de licence d’office, et le décret ou l’arrêté qui l’ordonne en fixe également les conditions, hormis celle du prix, qui doit découler d’un accord amiable entre les intéressés. A défaut d’accord amiable, il est possible de demander au Tribunal de grande instance de trancher, mais ça reste tout de même relativement rare.
Partie II : La marque
Contrairement à ce qui se passe dans un certain nombre de pays, en France, le droit de marque est dépourvu de fonctions d’indication, ou de garanties de qualité. Le droit français consacre toutefois les marques de certification. Ce caractère de la marque alourdit les obligations de son titulaire, puisqu’il implique qu’il garantisse au consommateur que les produits vendus sous cette marque présenteront un certain nombre de qualités.
La marque n’est pas sans lien avec le brevet.
Pourquoi ?
Parce que le brevet d’invention sera d’autant plus intéressant pour son bénéficiaire, que la technique couverte par le brevet jouira déjà d’une certaine notoriété. Cette notoriété s’acquiert le plus souvent grâce à la marque sous laquelle est exploité le produit ou le procédé.
Exemple : le Post-it©.
De ce point de vue, la marque apparaît comme un accessoire de la technologie considérée. Même si la marque peut exister en-dehors de tout brevet, elle peut aussi se cumuler avec le brevet, et dans ce cas on peut imaginer, par exemple, que le brevet protège les caractéristiques techniques, la marque protège la dénomination, et pourquoi pas, le dessin ou modèle protège la forme esthétique du produit.
Donc, sur un seul objet, on peut concentrer ces trois titres de propriété industrielle sans que cela pose problème, puisque les objets de ces titres de propriété industrielle ne sont pas les mêmes.
Qu’est-ce que la marque ?
La marque : c’est un droit d’occupation, qui va offrir à son titulaire un droit exclusif d’exploitation sur un signe, qui sera enregistré pour des produits ou des services désignés par le demandeur. La marque, et donc le droit de marque, sont omniprésents dans nos sociétés modernes, qui sont devenues aujourd’hui des sociétés consuméristes, puisque toute l’économie repose sur la consommation. Le droit des marques est un des éléments moteurs de la consommation, et donc de l’économie de marché. Les marques sont absolument omniprésentes. C’est presque un instrument d’identification pour certaines populations ; ça peut être un code social ; c’est même un mode d’expression.Ce qui fait vraiment la marque aujourd’hui, c’est cette idée de code social. Ça compte énormément.
Les marques sont régies par le Code de la propriété intellectuelle en droit français, par un Règlement communautaire du 26 mars 2009 (qui date d’avant mais qui a été modifié en 2009) qui institue la marque communautaire, mais également des arrangements internationaux, tel que l’Arrangement de Madrid, qui offre la possibilité d’effectuer une demande internationale de marque auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
Les sociétés ont tout intérêt, au moment du lancement d’un produit ou d’un service, d’effectuer une demande de marque. Sur ce terrain du droit de la marque, on va viser un signe, qui devra être choisi, de sorte ou de façon à satisfaire à un certain nombre de conditions légales, posées par le Code de la propriété intellectuelle.
La marque doit être demandée en vue d’un enregistrement (Titre I), et c’est cet enregistrement qui fera naître la protection (Titre II).
Titre I : L’obtention de la protection de la marque
La marque apparaît comme un signe distinctif, mais il existe d’autres signes distinctifs que la marque.
Exemple : le nom commercial.
Le nom commercial est l’appellation sous laquelle une personne – physique ou morale – exerce son activité professionnelle, commerciale en l’occurrence. Il peut s’agir d’une création de toute pièce, ou tout simplement du nom patronymique de l’exploitant, et ce nom bénéficie alors d’une protection juridique distincte de celle que l’on réserve au nom patronymique, que l’on réserve à toute personne civile.
Exemple : on protège chacun d’entre nous contre l’usurpation.
Dans ce cas de figure, le nom devient l’objet d’une propriété incorporelle, et il est protégé en tant que tel, au titre de la concurrence déloyale par exemple, ou bien au titre du parasitisme. On peut également mentionner au titre des signes distinctifs la dénomination sociale, qui vise à désigner une personne morale, tout comme un nom patronymique identifie une personne physique. Là encore, dans cette dénomination sociale, ce peut être le nom du ou des associé(s), ou bien une dénomination fantaisiste. Cette dénomination sera protégée contre toute usurpation de nature à créer une confusion dans l’esprit du public.
On peut également faire référence à l’enseigne comme autre signe distinctif, qui est généralement une dénomination apposée sur la façade d’un immeuble, ou sur la page d’un site internet, et qui va permettre d’individualiser un établissement, de le distinguer des autres, et donc évidemment d’être un signe très fort pour la clientèle.
L’enseigne – comme la marque, d’ailleurs – ont une importance grandissante dans les circuits contemporains de distribution, en particulier quand elles sont mises à la disposition d’autres commerçants (et là, c’est un élément que l’on peut valoriser).
A quoi est-ce que cela fait référence ?
Il s’agit d’une franchise, qui s’appuie complètement sur les signes commerciaux. La franchise commerciale n’est rien d’autre qu’un contrat de licence accordée sur des objets, notamment des objets de propriété intellectuelle.
Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas applicables à ces signes distinctifs autres que la marque, puisqu’elles ne concernent que les marques. Donc, cela veut dire qu’en cas d’atteinte portée à ces signes distinctifs, le fondement juridique de l’action sera le Code civil, et plus précisément l’article 1382 du Code civil, qui sous-tend un certain nombre d’actions en concurrence déloyale.
Le terme de marque doit donner lieu à quelques précisions, parce qu’il peut faire l’objet de deux acceptions :
- Une acception large : elle couvre également les marques non-déposées, que l’on qualifie généralement de marques d’usage (celles que l’on utilise mais qui n’ont pas été enregistrées). En principe, ces marques n’offrent pas de droit privatif à leur titulaire, à moins qu’elles aient acquis le statut de marque notoire, c’est-à-dire très connue du public ;
- Une acception stricte : selon cette acception, la marque est un signe qui doit avoir été déposé à l’INPI sous forme de demande d’enregistrement, et qui, ultérieurement, doit avoir été enregistrée à titre de marque.
Evoquer la protection, c’est faire référence à la conception stricte de la marque, telle qu’elle découle de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle. En vertu de cette disposition légale, la marque de fabrique, de commerce, ou de services, est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou les services d’une personne physique ou morale.
La disposition laisse à penser qu’il existe des conditions pour obtenir une protection par la marque (Chapitre I), obtention qui impliquera de respecter une procédure bien précise (Chapitre II).
Chapitre I : Les conditions de la protection
La marque est constituée de deux éléments principaux indissociables l’un de l’autre :
- Le signe, qui est enregistré à titre de marque (exemple : un logo) ;
- Le produit ou le service pour lequel la protection est revendiquée.
Ces deux éléments doivent toujours être pris en considération pour toute analyse juridique portant sur une marque, et plus particulièrement en ce qui concerne les conditions de la protection, ainsi que l’étendue de la protection. C’est ce que l’on désigne comme étant la règle ou le principe de la spécialité.
Important : on apprécie presque toujours la marque de façon relative, c’est-à-dire que l’on apprécie un signe relativement à un produit ou un service, jamais un signe en tant que tel.
Néanmoins, il faut préciser que la protection de la marque ne se limite pas strictement au signe enregistré pour les produits ou les services visés dans l’acte d’enregistrement. Il s’étend aux signes voisins, qui peuvent créer un risque de confusion avec le signe enregistré, pour tous les produits ou services complémentaires ou similaires de ceux désignés dans l’acte d’enregistrement.
Exemple : la marque Apple© s’utilise pour des ordinateurs, tablettes et iPhones : c’est le principe de spécialité. Si on utilise cette même marque Apple© pour des batteries, pour lesquelles la marque n’a pas posé de brevet, cela va porter à confusion, puisque les batteries sont des produits complémentaires.
En vertu de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle (voir supra), la marque est constituée d’un signe, qui doit être susceptible de représentation graphique. L’enregistrement de la marque est donc conditionné par le choix d’un signe (Section 1), devant répondre à certaines exigences et à certains caractères (Section 2).
Section 1 : Les signes susceptibles de constituer une marque
Si l’on s’appuie sur la définition de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, il apparaît que les exigences relatives aux signes sont assez limitées, puisque le législateur pose simplement l’exigence d’une représentation graphique.
On peut donc regrouper les signes en trois catégories distinctes :
- · Les dénominations (§ 1) ;
- · Les signes sonores (§ 2) ;
- · Les signes figuratifs (§ 3).
L’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle donne d’ailleurs une liste non-exhaustive de signes pouvant être déposés à titre de marque.
Il y a une distinction à faire entre une marque simple, qui ne comprend qu’un seul élément (une dénomination, un signe sonore, ou un signe figuratif), et la marque complexe, qui comprend plusieurs éléments distincts (une dénomination, un slogan et un dessin, par exemple).
Exemple : la marque Petit Navire©est une dénomination, mais il y a beaucoup de marques associées, comme « Le thon au naturel »© : c’est un peu le slogan. En plus, il y a un dessin, un voilier. On a donc ici un certain nombre d’éléments, mais il n’y a pas d’élément sonore ici. C’est donc assez fréquent que l’on ait plusieurs éléments. L’objectif est d’être le plus visible et percutant possible pour les consommateurs.
§ 1 : Les dénominations
Une marque dénominative ou verbale peut être constituée par tous les signes qui peuvent s’écrire et se prononcer. Le fait que le signe choisi n’ait aucune signification est sans incidence. L’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle cite à titre d’exemple les mots, les assemblages de mots, les noms patronymiques et géographiques, les pseudonymes, les lettres, les chiffres, et les sigles.
Lorsque la dénomination qui est choisie est une dénomination de fantaisie, elle peut être constituée par une expression ou un mot qui n’existe pas, ou bien qui existe, mais qui est détourné(e) de son sens, ce qui est très fréquent.
Exemple :Le Chat© pour la lessive. Le mot n’a rien à voir avec le produit désigné par ce terme. Ou encore Société© pour le fromage, Petit Bateau© pour des vêtements. Ce sont des signes fantaisistes, puisqu’ils n’ont rien à avoir avec le produit.
La dénomination peut également être constituée par un assemblage de mots, dont il résultera un slogan, une expression nouvelle, ou un néologisme. Cela permet d’identifier les entreprises.
Exemple : « Parce que je le vaux bien »©. « Carglass répare, Carglass remplace »©.
Il est possible de retenir à titre de marque des mots étrangers, et c’est d’autant plus logique que l’on est dans un schéma de commerce mondial, et il faut donc imaginer que certaines marques peuvent tout à fait correspondre à un vocable d’une langue étrangère. Bien sûr, il peut y avoir quelques restrictions relatives à la Loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française, qui vise certains termes anglophones notamment, mais ce sont tous les établissements qui sont chargés d’une mission de service public qui sont visés. Il peut également y avoir des restrictions particulières dans certains pays.
Exemple : en Chine, la marque doit correspondre à un idéogramme. Il faut donc déposer en langue chinoise, mais s’il est question d’une marque internationale, il faudra aussi déposer la marque sous une autre forme (comme un sigle, ou encore un terme anglais par exemple). Généralement, c’est une traduction littérale, une translittération, qui ne veut pas toujours dire quelque chose.
Exemple : « if if between » pour « oui oui entrez » : c’est traduit littéralement, mais ça n’a plus de sens.
On est donc ici sur un large panel, mais avec des restrictions toutefois.
Les signes peuvent aussi être constitués de chiffres et/ou de lettres, seuls ou combinés avec d’autres mots.
Exemple :H&M©, 1,2,3©, 1664©. On remarque bien l’appropriation des marques ici, comme lorsqu’on commande « une 16 », et pas une « 1664© ». Cela vaut également pour les véhicules automobiles, puisqu’on a différents modèles par marque. Peugeot© est resté sur le choix d’être représenté par des chiffres, ce qui montre une évolution dans les modèles.
La marque peut également consister en un nom patronymique, et c’est par exemple le cas de Peugeot©, mais aussi en un pseudonyme, ou encore un prénom (Mercedes©, qui était le nom de la femme du fondateur). On est donc ici sur des choix qui sont liés à une histoire, à la volonté d’afficher et de transmettre un patrimoine. Il y a aussi des habitudes, comme dans la Haute couture, où la marque est constituée par le nom de fondateur.
Exemple :Chanel©, Yves Saint Laurent©, Dior©.
On peut également imaginer un titre de noblesse, et cela se fait sur un certain nombre de produits (exemple :Vicomte Arthur©).
Quand on choisit un nom patronymique, dans la grande majorité des cas, c’est celui du titulaire de la marque, celui du déposant de la marque. Cependant, il faut quand même être assez prudent dans ce choix. Evidemment, dans ce cas, ce nom est protégé à la fois en tant qu’élément de l’état civil, de la personnalité, mais également en tant que marque. Si le titulaire décide de céder sa marque, composée de son nom patronymique, il se prive de la possibilité de l’utiliser ultérieurement sur un plan commercial pour des produits ou des services concurrents à ceux qui sont exploités par son cessionnaire.
On a :
Un nom patronymique devient connu. On décide de céder la marque, pour faire une autre activité. Mais finalement, on se retrouve dans une situation qui n’est pas idéale, et l’on souhaite réutiliser ce nom cédé pour créer une entreprise concurrente à la première.
Peut-on continuer à utiliser ce nom commercialement ?
Non, c’est trop tard, il est impossible de l’utiliser pour une activité concurrente.
Qu’est-ce qui s’y oppose ?
La garantie d’éviction. Dans ce cas-là, elle pourra être mise en œuvre, car il y a une obligation de non-concurrence à la charge du cédant : on ne peut pas évincer son propre cessionnaire, et il en découle donc cette obligation de non-concurrence.
Le choix d’un nom patronymique à titre de marque peut avoir pour effet de priver une personne qui a ce même nom du droit de l’utiliser commercialement.
Exemple : une personne qui s’appellerait Christian Dior ne pourra pas exercer dans le même domaine que celui qui est titulaire de la marque originale, même si c’est son vrai nom patronymique, car cela pourrait créer une confusion dans l’esprit du consommateur.
Dans l’hypothèse où le nom retenu à titre de marque n’est pas celui du titulaire mais celui d’un tiers, il ne faut pas que cet usage porte atteinte au droit de la personnalité de ce tiers. En pratique, cela signifie qu’il ne sera pas possible d’enregistrer à titre de marque le nom patronymique d’une personne connue (≠ célèbre, car on peut être connu à l’échelle régionale uniquement, par exemple). Cette hypothèse pourra être contestée dans l’hypothèse d’un nom rare, et même dans l’hypothèse d’un prénom et d’un nom rare. Les données à caractère personnel sont des données identifiantes. Il ne faut pas que cela porte atteinte à la réputation, que cela crée une confusion, etc.
Il est également possible de retenir à titre de marque un signe constitué d’un nom géographique. Il y a tout de même une réserve ; cela est possible à condition que ce nom ne corresponde ni à une indication de provenance, ni à une appellation d’origine. Cette réserve est assez logique, dans la mesure où le signe serait considéré comme trompeur pour le public.
Exemple :Cour de cassation, Chambre commerciale, 31 janvier 2006 : la marque Aoste excellence© a été refusée pour du jambon qui ne bénéficie pas de l’appellation protégée. Ce nom appartenait déjà à un produit identifié, et l’on estime que ce serait tromper le public sur l’origine du produit.
§ 2 : Les signes sonores
S’agissant des signes sonores, seuls sont susceptibles d’être retenus à titre de marque ceux qui peuvent faire l’objet d’une représentation graphique. Cela signifie que des sons, des notes, ou des phrases musicales, voire des portées musicales, peuvent constituer des marques.
A l’échelle de l’Europe, la Cour de Justice de l’Union Européenne a considéré que, en principe, la représentation graphique des marques sonores doit s’effectuer au moyen d’une portée. Cela peut avoir pour effet d’exclure du droit des marques des bruits, comme par exemple des cris d’animaux. Pour autant, la jurisprudence française se montre plus souple, et considère que toute représentation graphique est recevable, même si elles ne se réduisent pas à des notes ou à une portée musicale.
Donc, on a ici une liberté assez importante de la part de la jurisprudence française, qui admet toutes sortes de sons.
§ 3 : Les signes figuratifs
Les signes figuratifs s’entendent de « tout signe ayant une représentation graphique ». On peut donc imaginer un signe qui soit constitué de dessin(s) (abstrait par exemple, pas forcément ayant un sens).
Exemple :Lacoste© a un crocodile comme signe figuratif.
Cela fait notamment référence à toute la catégorie des logos, sachant qu’il y en a de plus en plus dans les marques. On a ici des exemples multiples. On peut imaginer aussi des hologrammes, mais aussi des formes (là, on est plutôt sur un relief, une marque en 3D). On peut imaginer que cette forme soit celle du produit, ou bien encore de son conditionnement, ou encore une forme qui caractérise un service.
Exemple : un service de nettoyage pourrait être représenté par un seau et un balai.
On peut imaginer aussi que la forme figurative soit constituée de couleurs. Généralement, on aura des combinaisons de couleurs, ou des dispositions particulières, ou des nuances de couleurs.
Enfin, il est possible également que la marque représente un lieu ou un bâtiment, public ou privé, mais dans ce cas, il faudra tenir compte des droits d’auteur détenus sur le bâtiment, par exemple. Ce peut être le droit d’un architecte, d’un sculpteur ; ou encore, il faudra tenir compte du droit de propriété du propriétaire du bâtiment, qu’il relève du domaine public ou du domaine privé.
S’agissant du domaine public :il y a généralement des arrêtés qui prévoient que tel ou tel bâtiment ne peut être employé à titre de marque.
S’agissant du domaine privé : il y a au profit du propriétaire d’une chose un droit, mais pas un droit exclusif sur l’image de cette chose. Cependant, il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal (Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 mai 2004). Ce choix n’est pas très judicieux, et aujourd’hui, lorsque l’on conseille une personne sur le choix d’une marque, on cherche à éviter que la marque soit une photographie d’un bâtiment, public ou privé, puisque ça peut avoir des conséquences plusieurs années plus tard, et avoir de lourdes conséquences sur le marketing.
Section 2 : Les caractères de la marque
Même si le signe choisi entre dans une des catégories de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, il devra satisfaire à trois exigences :
- · Être distinctif (§ 1) ;
- · Être licite (§ 2) ;
- · Être disponible (§ 3).
§ 1 : Caractère distinctif du signe
- Définition du caractère distinctif
Exiger de la marque qu’elle présente un caractère distinctif revient à faire de la marque un moyen d’identification d’un produit ou d’un service, parmi les produits ou les services de même nature, proposés par les concurrents. Toutefois, la marque choisie, le signe choisi, ne doit pas avoir pour conséquence de priver les tiers – notamment les concurrents – d’un élément essentiel du domaine public. C’est la raison pour laquelle, en application de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, une dénomination descriptive ne peut constituer une marque valable (1).
Lorsque la marque présente un caractère arbitraire, c’est-à-dire distinctif, elle impliquera qu’il n’y ait pas de lien trop direct entre le produit ou le service d’une part, et le signe d’autre part. Il y a toujours un lien, en vertu du principe de spécialité, mais ce lien ne doit pas être distinctif.
Néanmoins, dans certains cas – et par exception – le caractère distinctif peut s’acquérir par l’usage (2).
- Le principe
Exiger que le signe présente un caractère distinctif ne revient pas à exiger que la marque soit originale. En effet, le droit des marques n’est pas un droit de création : c’est plutôt un droit d’occupation. Ce qui compte, c’est donc que le signe présente un caractère distinctif, pour les produits et les services désignés. Moins le signe choisi aura de rapport avec l’activité du déposant, plus la marque sera distinctive.
Le Code de la propriété intellectuelle ne définit pas le caractère distinctif de la marque, et énumère seulement les signes qui sont dépourvus de caractère distinctif.
En application de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont dépourvus de caractère distinctif :
- Les dénominations usuelles, nécessaires ou génériques (a) ;
- Les dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service (b) ;
- Les signes constitués par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit (c).
Il convient donc de les aborder séparément.
- Dénominations usuelles, nécessaires ou génériques
Conformément à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont dépourvus de caractère distinctif les signes ou les dénominations – ça peut donc aller au-delà, bien qu’en jurisprudence on ne trouve que des exemples de dénomination – qui dans le langage courant ou professionnel sont exclusivement la désignation nécessaire, générique, ou usuelle du produit ou du service.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Tout d’abord, un signe est nécessaire lorsqu’il est indispensable pour désigner le produit ou le service.
Exemple : je commercialise des bureaux, je choisis la marque Bureau©. On ne peut retenir cette marque, car on ne pourrait plus appeler un bureau « bureau ». On a donc une limite, qui est la liberté d’expression.
Le signe est générique, lorsqu’il désigne non pas le produit, mais la catégorie à laquelle appartient le signe ou le service.
Exemple : je vends des assiettes et je retiens la marque Vaisselle©, ou encore je vends des bureaux et je retiens la marque Table©, ou encore je vends des pommes et je retiens la marque Fruits©. Là encore, ce n’est pas possible.
La jurisprudence refuse d’accorder une quelconque protection par le droit des marques à de tels signes. D’ailleurs, le simple fait de modifier l’orthographe d’un terme générique, usuel ou nécessaire, n’est pas suffisant pour lui conférer un caractère distinctif.
Une dénomination ou un signe usuel correspond à une habitude de langage, qui peut être le langage courant, ou le langage professionnel.
Exemple : la jurisprudence a invalidé la marque Grand Chef© pour des vestes destinées aux cuisiniers, parce que dans la profession, « Grand Chef » désigne les personnes portant ce genre de vêtements. Ce terme est usuel dans la profession.
A ce titre, lorsque la marque consiste en un nom géographique, désignant le lieu d’établissement, elle sera validée à condition que le public n’établisse aucun lien entre le lieu choisi (exemple : une ville), et le produit ou le service couvert par la marque. La question s’était posée pour les établissements Drouot de vente aux enchères (Drouot Estimation©, placé rue Drouot, mais ici le nom de la rue n’a rien à voir avec l’activité exercée).
- Les dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service
Sur la base de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, la jurisprudence considère que le signe ne peut constituer une marque valable s’il est exclusivement descriptif, c’est-à-dire s’il ne comprend que des éléments de cette nature, et qu’il dépeint l’objet désigné, non pas dans ses traits secondaires, mais en ce qu’il a d’essentiel, comme touchant à sa nature, sa substance, sa destination, et ses propriétés propres.
La qualité essentielle d’un produit peut être constituée par des éléments assez divers.
Exemple : à ce titre, la marque Beurre Tendre© a été annulée, car elle désigne un beurre ayant pour qualité d’être tendre.
On peut cependant essayer d’échapper à la qualification de marque distinctive, en jouant sur la composition de la marque. Si la dénomination choisie n’est pas exclusivement composée de termes indiquant la qualité essentielle du service ou du produit, la condition de caractère distinctif est remplie. Ça a été le cas avec la marque Terre d’Aventure©, qui est une marque correspondant à des services de vente de voyages.
Il faut également distinguer les dénominations descriptives des dénominations simplement évocatrices. Il n’y a pas énormément de jurisprudence en la matière.
Exemple :Fun Radio©. C’est très descriptif du service, mais on a estimé que l’ajout du terme « fun » pouvait retirer le côté descriptif. C’est évocateur, sans être descriptif.
Dans l’hypothèse où la marque consiste en une couleur, elle peut être validée en tant que telle, à la condition qu’elle soit distinctive du produit ou du service. La couleur doit être définie par une teinte spéciale, et donc il faut pouvoir être capable de définir la couleur de façon extrêmement précise.
A cet égard, il y a eu un contentieux, tranché par la Cour de cassation, Chambre commerciale, 10 juillet 2007 : Candia© est déchue de sa couleur rose pantone 212, qui est un rose bien particulier, pour désigner du lait et des produits laitiers pour les enfants. En réalité, cela signifie que, pour l’opinion publique, le lait avec un bouchon rose est du lait pour les enfants. Candia© est donc déchue de sa marque, qui est considérée comme descriptive, en raison de l’emploi généralisé de ce signe, ou de signes très proches, par les sociétés ayant une activité laitière. On a donc une pratique qui s’est développée et qui est connue du public, et l’on considère que si l’on autorise une entreprise à utiliser cette couleur, ça veut dire que les autres entreprises ne peuvent plus l’utiliser.
Cette pratique a conduit à développer des couleurs pour les différents types de produits laitiers (Exemple : le « bleu » correspond au lait ½ écrémé, le « rouge » correspond au lait entier, le « vert » correspond au lait écrémé).
- Les signes constitués par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit
Les signes constitués par la forme du produit sont exclus, parce qu’ils sont considérés comme descriptifs, mais ils sont également exclus pour respecter les différentes catégories de propriété industrielle.
En effet, le texte vise deux cas :
- Il vise le cas des signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature du produit ;
- Il vise le cas des signes constitués exclusivement par la fonction du produit.
Au regard de la fonction, on estime qu’une marque qui couvrirait la fonction d’un produit permettrait de contourner le droit des brevets, auquel en principe on devrait recourir dans cette hypothèse. Ce serait le cas dans l’hypothèse où il apparaîtrait que la forme serait indissociable du résultat technique du produit concerné par la marque.
Par cette interdiction, le législateur veut éviter que le demandeur, en sollicitant la demande de marque, bénéficie d’une protection sans limitation de durée, alors même que le brevet est limité à 20 ans. L’idée est donc vraiment d’empêcher le demandeur de contourner le droit des brevets.
Exemple : la Société Lego©, outre la dénomination Lego©, a voulu faire protéger au titre des marques la brique elle-même. La jurisprudence a considéré que la structure du Lego ayant un caractère fonctionnel et un effet technique, elle ne peut être déposée à titre de marque.
Cette position est assez largement partagée. De la même manière, un arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, 21 janvier 2004 se prononce sur un savon qui présente une forme galénique (un galet) offrant des avantages dans la conservation, l’administration, et même l’action thérapeutique du produit. Donc, cette forme ne peut pas être retenue à titre de marque. Ce n’est pas un problème de disponibilité de la marque, mais c’est un problème de forme, car ce serait un moyen de contourner la protection par les brevets.
En revanche, à partir du moment où la forme peut être dissociée du résultat, elle peut constituer une marque. Ici, la forme est tout à fait éligible au titre des marques, et il n’en reste pas moins qu’il faudra veiller tout de même à ce qu’elle ne soit pas le reflet de la nature du produit, ou qu’elle ne soit pas imposée par des contraintes liées aux caractéristiques du produit.
Exemple : cela peut être le cas pour des produits d’emballage ou de conditionnement, dont la forme peut être imposée par la nature du produit.
Ça a été le cas notamment dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris, 17 mai 2000, qui concernait notamment la Société Fleury Michon©, qui portait sur des emballages individuels pour les surimis.
Pour autant, il est possible d’acquérir le caractère distinctif par l’usage.
- Le caractère distinctif acquis par l’usage du signe
En vertu de l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, le caractère distinctif d’une marque peut être acquis par l’usage antérieur du signe utilisé, sous réserve de rapporter cette preuve lors du dépôt de la marque. Ainsi, un signe faiblement distinctif à l’origine de son emploi peut, dans certaines circonstances, acquérir par l’usage un caractère distinctif qui lui faisait donc initialement défaut.
Bien entendu, si le signe est « exclusivement descriptif », l’exception ne jouera pas (exemple : assiette pour assiette, voir supra).
Cette exception a des limites. En effet, conformément à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle, l’usage ne permet pas d’acquérir le caractère distinctif d’un signe, constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, et conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Cela signifie qu’une marque constituée d’une forme nécessaire – au sens qu’il correspond à sa nature ou sa fonction – ne peut valablement constituer une marque, malgré un long et notoire usage antérieur de la forme.
C’est au titre de cette exception qu’a été enregistrée par exemple la marque Loto© : c’est l’usage du terme Loto par la Française des jeux, qui est devenu notoire. Un contentieux avait eu lieu en 2004 (Cour de cassation, Chambre commerciale, 28 avril 2004, qui consacre l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque Loto©).
Il y a aussi une autre affaire, tranchée par la Cour d’appel de Paris, 31 mars 2015, qui concerne la marque VentesPrivées.com©, qui est une société qui a été créée en 2001 et qui est titulaire de plusieurs marques nominales, figuratives et semi-figuratives ; elle est également titulaire d’une marque nominale qui date de 2009 (ce n’est qu’en 2009 que la marque est déposée) : c’est le terme VentesPrivées.com©. Cette société a été assignée par une autre société du même type : ShowroomPrivé.com©, qui l’attaque en nullité pour manque de distinctivité de sa marque. Pour la Cour d’appel, la marque VentesPrivées.com© n’est pas distinctive, mais en revanche, la société peut se bénéficier d’une acquisition du caractère distinctif du fait d’un usage répété et intensif. C’est l’usage répété entre 2001 et 2009 qui a permis à la marque d’acquérir un caractère distinctif.
Mais comment tout cela est apprécié, et comment arrive-t-on à valider certaines marques pas si distinctives que cela ?
- L’appréciation du caractère distinctif
Précision : l’appréciation du caractère distinctif de la marque est menée par l’INPI au cours de la procédure d’enregistrement de la marque, et si la marque est descriptive, la demande est rejetée. Lorsque la marque est enregistrée, elle est présumée valable, et donc distinctive, non descriptive. C’est donc à celui qui conteste ce caractère de prouver l’absence de caractère distinctif.
En finalité, l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, et l’on peut avoir parfois des surprises du fait de cette appréciation souveraine. Si l’on se reporte de nouveau à l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, on soulignera que le caractère distinctif d’un signe doit s’apprécier à l’égard des produits et des services désignés dans la demande d’enregistrement. Le caractère distinctif s’apprécie par rapport au produit ou service sur lequel on veut faire valoir ce service (rappel du principe de spécialité).
La validité de la marque s’apprécie à la date de son dépôt, et non à la date de l’action en contrefaçon, ou de l’action en annulation. Cela signifie également que, lors du renouvellement de la marque tous les 10 ans, l’examinateur doit se prononcer en fonction de la situation au moment du dépôt de la marque. Or, il est bien évident que certains termes peu connus pour désigner un produit il y a quelques dizaines d’années, peuvent devenir connus, et le juge devra en faire abstraction. Donc, c’est une vraie difficulté.
L’appréciation du caractère distinctif pourra varier en fonction du public qui est concerné. Ainsi, par exemple, en présence de marques dont la dénomination est composée de termes étrangers, il faut rechercher si ces termes sont compris par une large fraction du public français – puisqu’il est ici question de marques françaises – dans leur signification en langue française. Si c’est le cas, la marque pourra être considérée comme descriptive.
C’est le cas notamment pour une décision concernant la marque Agenda Planning©, qui a été invalidée par la Cour d’appel de Paris, 1994, puisque la Cour d’appel avait considéré que le terme « planning » est complètement intégré au vocabulaire français. En revanche, la marque Super Skin© a été considérée en partie valable par le Tribunal de l’Union Européenne, 9 décembre 2009, T245-08(on est donc sur une marque communautaire, qui vise donc le public européen) : le juge estime que la marque n’est descriptive qu’à l’égard de produits et service qui ont pour destination une peau de qualité élevée, à savoir belle et/ou saine. La décision refusant cette demande de marque est annulée à l’égard des parfums, des déodorants et des vernis à ongle, ainsi que pour les produits d’hygiène et les traitements cosmétiques pour les cheveux.
Ce n’est pas seulement le fait que les termes étrangers soient susceptibles d’être compris par le public qui rend la marque invalide, mais c’est le fait que ce terme qui est compris est en lui-même descriptif.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela veut dire que, s’il est descriptif mais peu connu par les français, la marque sera valable. De la même manière, si le terme est connu par les français, mais qu’il n’est pas descriptif, la marque sera également valable.
Exemple :Apple© : tout le monde sait ce que ça veut dire, mais ça ne pose aucun problème, puisque le terme n’est absolument pas descriptif du produit.
L’appréciation du caractère distinctif se fait par rapport au langage courant, mais également par rapport au langage professionnel, pour les signes qui sont la désignation nécessaire, générique, ou usuelle des produits et des services. Ça va donc considérablement étendre le champ d’appréciation du juge, pour des termes relevant purement du langage professionnel, par exemple. Cela implique donc une obligation pour le juge d’aller très loin dans les comparaisons, pour voir si on est sur quelque chose de distinctif ou non.
Ce caractère distinctif doit s’apprécier au regard de l’ensemble formé par les différents éléments qui composent la marque. Il ne doit pas s’apprécier au regard d’une partie de ces éléments, ce qui veut dire que le juge n’est pas autorisé à découper, et à isoler les différents éléments de la marque. De fait, le recours à une marque complexe permet parfois de valider la marque. Cela signifie que la combinaison d’un terme qui, pris isolément, serait générique ou descriptif, avec un signe distinctif, peut suffire à conférer à l’ensemble ainsi formé la capacité d’exercer la fonction distinctive de la marque à l’égard des produits ou services désignés dans la demande d’enregistrement.
Exemple : s’agissant de la marque Grand Chocolat©, les juges ont considéré que c’est quelque chose d’usuel, de générique. Pour échapper à l’annulation, Nestlé© a pris l’initiative de compléter cette marque : Nestlé Grand Chocolat©. C’est une manière ici de donner à la marque un sens complémentaire. De la même manière, pour la Maison du Café©, on a ajouté que le fait d’ajouter le terme « maison » fait qu’on n’est plus sur une marque exclusivement descriptive.
Ce qu’il faut saisir dans tout cela, c’est que c’est un choix stratégique, puisque le caractère distinctif, selon son intensité, permettra à son titulaire de détenir soit une marque forte, soit une marque faible.
La distinction entre les marques fortes et faibles se fait sur la base du caractèredistinctif. Une marque est dite forte lorsque le signe déposé présente un caractère très distinctif pour désigner les produits ou les services auxquels il s’applique.
Au contraire, la marque est dite faible lorsqu’elle est composée de la réunion d’éléments banals dont le caractère distinctif ne tient qu’à la combinaison spécifique qui est faite de ces éléments.
Exemple : un magazine Maison et travaux© sur la décoration et le bricolage, c’est une marque faible mais à caractère distinctif en raison de la combinaison des mots du titre.
Le Code de la propriété industrielle ne fait aucune différence entre les marques faibles et les marques fortes. Cela est sans incidence sur l’étendue de la protection qui sera accordée. En revanche, les tribunaux tiennent compte de cette distinction, et certaines juridictions estiment que la protection des marques faibles ne peut s’étendre au-delà des termes choisis, et de ce fait doivent coexister avec d’autres marques qui peuvent leur être proche.
Exemple : la Maison du café© qui mène une action en contrefaçon contre la Maison du bon café©. Les juges n’ont pas invalidé la Maison du café© car la marque est faiblement distinctive.
§ 2 : La licéité du signe
C’est l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle qui définit les signes qui sont considérés comme illicites. Il n’existe pas de critère général qui permettrait de considérer un signe comme illicite. Certains signes sont exclus par des conventions spécifiques (A), d’autres sont exclus car contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs (B), et d’autres enfin sont exclus car considérés comme trompeurs (C).
- Les signes exclus par des conventions
Aux termes de l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle, ne peuvent être adoptés des marques ou éléments de marque des signes exclus par l’article 6 ter de la Convention de l’Union de Paris du 20 mars 1883. Seront exclus les signes qui représentent des drapeaux, des emblèmes officiels, des poinçons officiels.
De la même manière, ne peuvent être adoptés comme marque les signes exclus par l’article 23, § 2 de l’annexe 1C de l’Accord instituant l’OMC. Cet article 23 dispose que les partis membres de la Convention doivent avoir les moyens juridiques d’empêcher l’utilisation d’une indication géographique identifiant des vins pour des vins qui ne sont pas originaires du lieu indiqué par l’indication géographique en question. Cette disposition est importante, car elle s’applique même lorsque le public n’est pas induit en erreur, lorsqu’il n’y a pas de concurrence déloyale, et lorsque la véritable origine du produit est indiquée, ou encore lorsque l’indication géographique est accompagnée d’expressions telle que genre, titre, style, imitation ou autre appellation du même type.
Cette protection doit être accordée pour des indications géographiques servant à identifier des spiritueux, et il y a là une volonté d’assurer une meilleure protection aux appellations d’origine et aux indications de provenance qui, en France et en Europe, ont pris une importance considérable.
- Les signes contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs
L’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle exclut de la protection des marques tous les signes contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Il y a des positions jurisprudentielles assez variables, car les bonnes mœurs et l’ordre public peuvent être très différents d’un pays à l’autre.
La Cour d’appel de Paris a été sollicitée pour savoir si la marque Désir Sexe© pour désigner un site à caractère érotique était ou non contraire à l’ordre public. Les juges de la Cour d’appel ont considéré qu’il n’y avait pas de contrariété à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, dans un arrêt de la Cour d’appel du 19 octobre 2005.
En revanche, les juges ont considéré que constituait un signe contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs la marque en forme de slogan politique Non à l’adhésion de la Turquie à l’Europe©. La motivation des juges n’est pas celle que l’on croit. La marque est un monopole, et si l’on se réserve le droit d’écrire ce slogan, plus personne ne peut le faire. Ce serait donc une atteinte à la liberté d’expression, et c’est ce qui ressort d’un arrêt de la Cour d’appel du 9 juin 2004.
Sont également exclus de la protection tous les signes dont l’utilisation est légalement interdite. Il s’agit notamment des signes dont l’utilisation est interdite par la Loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre l’alcoolisme et le tabagisme (Loi Evin).
L’on peut également penser à la Loi du 4 août 1994 relative à la langue française. De plus, on peut faire référence à tous les signes qui contreviennent à la prohibition de déposer des appellations d’origine contrôlée à titre de marque.
Il a été jugé à ce titre que l’existence d’une marque déposée consistant en un flacon de verre représentant la forme d’un cigare destiné à contenir du parfum n’est pas en tant que tel contraire aux dispositions de la Loi Evin, qui ne prohibe que la propagande et la publicité pour les marques de tabac, et non l’existence des marques elles-mêmes.
La dénomination de produits sans rapport avec les stupéfiants sous la dénomination d’un stupéfiant ne peut être tenue pour une marque illicite, dans le sens où l’on ne peut pas considérer qu’elle incite à l’usage du stupéfiant (Cour d’appel de Paris, 1979 s’agissant de la marque Opium© par Yves Saint-Laurent).
L’utilisation du signe « Canabia » à titre de marque pour désigner de la bière a été considérée comme contraire à l’ordre public, parce qu’elle peut véhiculer auprès du public l’idée selon laquelle elle levait l’interdit qui s’attache à une substance légalement qualifiée de stupéfiant, et peut également avoir pour effet de la présenter sous un jour favorable (Cour d’appel de Paris, 18 octobre 2000).
- Les signes trompeurs
Conformément à l’article L. 711-3 du Code de la propriété industrielle, les signes de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité, la provenance géographique du produit ou du service, ne peuvent être adoptés à titre de marque.
La marque Glenn Derby’s© pour du whisky français est considérée comme une marque trompeuse, car le titulaire cherche à créer une confusion avec un whisky écossais connu (Glenn Fiddish©).
Par ailleurs, la marque Premier sur le matin© pour une radio est trompeuse, car elle laisse à penser que la station de radio est la radio numéro 1 dans l’audimat le matin.
Autre exemple, la marque Capillosérum© entraîne une tromperie sur la nature du produit, dès lors que ce produit n’est pas un sérum pharmaceutique.
Un signe désignant un vin sous le nom d’une exploitation viticole ne peut, sans tromper le public, être déposée en tant que marque par une personne qui garantit que la récolte et la vinification sont faites sur ce lieu. Une marque qui désigne du vin composé d’un nom géographique est de nature à tromper le public sur l’origine du produit si les parcelles situées sur ce lieu représentent un faible pourcentage du vignoble exploité, et s’il n’est pas établi que la production de cette parcelle fait l’objet d’une vinification séparée (Cour de cassation, 12 février 2013).
Il y a également la saga Laguiole©, une commune qui a pour particularité de proposer des couteaux fabriqués artisanalement par des gens de la ville. Le Maire de la commune a fait valoir des dispositions de l’article L. 711-3 du Code de la propriété industrielle pour obtenir l’annulation de plusieurs marques introduisant le terme « Laguiole » détenu par un tiers. Il n’a toutefois pas obtenu gain de cause, puisque la Cour d’appel de Paris a rappelé que le risque de confusion doit être apprécié en considération du consommateur moyen, et à condition que l’on puisse retenir l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur.
La Cour d’appel de Paris a par ailleurs rappelé que les différentes marques verbales Laguiole© ne pouvaient être annulées, alors que la commune ne rapporte pas la preuve qu’il existe un risque grave que le consommateur moyen pour qui le nom de la commune pourra évoquer le couteau ou le fromage sur lesquels s’est fondée la réputation de la commune, mais dont il n’est pas vraisemblable qu’il puisse envisager que les multiples services et produits proviennent de cette commune, se trompera sur l’origine et qu’il se déterminera lors de son acte d’achat dans la croyance erronée qu’ils proviennent de la commune de Laguiole (Cour d’appel de Paris, 4 avril 2014).
§ 3 : La disponibilité du signe
Le signe de la marque doit être disponible, ce qui signifie qu’il ne doit pas entrer en conflit avec des droits privatifs antérieurs. Il convient ainsi d’identifier les droits antérieurs susceptibles de rendre indisponible un signe déposé à titre de marque (A), avant de faire une incursion dans les notions de signes voisins et de marques similaires (B).
- Les droits antérieurs rendant un signe indisponible
En vertu de l’article L. 711-4 du Code de la propriété industrielle, ne peuvent être adoptés comme marque les signes qui portent atteinte à des droits antérieurs. Dans cette hypothèse, constituera une marque antérieure enregistrée pour un même signe et un même produit ou service.
L’on pourra également opposer à l’enregistrement d’une marque une marque notoire antérieure. La marque notoire est une marque qui n’est pas enregistrée, mais qui est connue par une très large fraction du public, si bien que le législateur estime que, même non enregistrée, elle doit pouvoir être protégée. Pour opposer une marque notoire, il faut apporter la preuve de sa notoriété, et c’est à celui qui l’invoque d’en rapporter la preuve. L’on peut évoquer à cet égard un contentieux réglé par la Cour de cassation, 20 mars 2000, qui porte sur une marque notoire avec un usage revendiqué depuis 1845. Il s’agit de la marque La Tour d’argent©, un restaurant très connu à Paris. Les exploitants ont déposé des marques dans les années 1960.
La société la Tour d’argent a donc assigné en contrefaçon un couple d’exploitants de Lamballe qui était propriétaire d’un hôtel restaurant, avec la marque La Tour d’argent©. Les juges du fond avaient d’abord rejeté la demande de la société La Tour d’argent fondée sur la contrefaçon, en s’appuyant sur le fait que la marque déposée par les exploitants était antérieure au dépôt de la marque par la société La Tour d’argent. On aurait même pu imaginer l’inverse.
La Cour de cassation a cassé la décision de la Cour d’appel, en soulignant que la Cour d’appel ne pouvait rendre une telle décision, alors même qu’elle avait constaté que l’enseigne La Tour d’argent constituait un nom commercial présentant un signe distinctif créé par l’usage, puisqu’il était utilisé depuis le XIXème siècle et qu’il bénéficiait d’une notoriété prestigieuse et internationale, et par ailleurs qu’elle avait relevé que ces signes avaient été exploités de façon ininterrompue depuis 1845.
Constitue également un droit antérieur une dénomination ou une raison sociale s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public. Constitue encore un droit antérieur un nom commercial ou une enseigne connue sur l’ensemble du territoire national s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.
Une dénomination sociale peut rendre un signe indisponible, dès lors qu’il existe des similitudes entre les signes choisis et la dénomination sociale, et si le domaine d’activité est identique ou similaire. L’on constate en revanche que, s’agissant du nom commercial ou de l’enseigne, l’exigence est un peu plus forte, puisque le rayonnement territorial est pris en compte pour apprécier la disponibilité du signe. S’il a une portée nationale, et s’il existe un risque de confusion entre les deux signes, alors le nom commercial ou l’enseigne peut constituer une antériorité gênante pour l’enregistrement de la marque.
Constitue également un droit antérieur une appellation d’origine protégée(AOP). A ce titre, l’on va considérer que le signe est indisponible, peu importe qu’il y ait ou non un rapport entre les produits. C’est ainsi, par exemple, que lasociété Yves Saint Laurent a dû débaptiser l’un de ses parfums qui se dénommait « Champagne » en raison de l’appellation d’origine protégée « Champagne », et ce même en l’absence de signe de confusion.
Dans une autre affaire, les juges du fond ont considéré que les marques Bain de Champagne© et Royal vin de Champagne©, déposées respectivement en 1923 et en 1942 par une société de parfum portait atteinte à l’appellation d’origine protégée « Champagne » en détournant au profit de leur titulaire la notoriété de leur appellation, et en l’affaiblissant (Cour de cassation, 18 février 2004).
L’on pourrait opposer des droits d’auteurs, par exemple sur un slogan, ou même sur une bande sonore. Il faudra également tenir compte des droits antérieurs qui peuvent exister pour les dessins et modèles, notamment lorsque l’on choisit un signe figuratif qui peut porter sur une forme ou un dessin.
Au titre des droits antérieurs, il faudra veiller à ce que la marque ne porte pas atteinte à l’image ou au nom d’une collectivité territoriale.
- Les signes antérieurs rendant la marque indisponible
La disponibilité d’une marque doit s’analyser à deux niveaux :
- D’une part, l’on va s’intéresser au produit ou au service couvert par le signe, mais également à ceux qui leur sont complémentaires ou similaires;
- D’autre part, l’on tiendra compte du signe de la marque en tant que telle, mais également des signes voisins qui présentent des similitudes avec le signe de la marque.
Il en résulte qu’un signe identique couvert par une marque antérieure désignant des produits ou des services totalement différents de ceux à protéger, ne constitue pas une antériorité gênante.
Exemple :la marque Mont Blanc© (pour les stylos et les crèmesdessert).
Pour apprécier la disponibilité, le juge va tenir compte du signe tel qu’il est déposé, mais également des signes voisins, c’est à dire un signe qui est proche de ce qui est déposé, et un consommateur d’attention moyenne qui n’a pas simultanément sous les yeux les deux signes qu’il risque de confondre.
On en déduira que constitue une atteinte au droit de marque antérieure l’enregistrement d’une marque portant sur un signe voisin de celui qui est déposé, dès lors qu’il porte sur des produits ou des services identiques, voire même des produits ou des services similaires à ceux qui sont désignés dans l’enregistrement.
On peut également avoir des similitudes liées à une phonétique semblable.
Exemple :AXXIS© et ACSI©.
Au-delà du signe, les juges vont tenir compte du produit ou du service visé dans la demande d’enregistrement. Cela signifie que la marque pourra être rejetée si la demande porte sur un signe déjà enregistré pour un produit ou un service qui, sans être identique avec un produit ou un service visé par un enregistrement antérieur, lui est similaire.
Tout ceci est apprécié selon un certain nombre d’indices :
- La nature;
- La destination;
- Ou encore la complémentarité du produit ou du service.
La similarité peut être retenue, et ce même si le produit fait partie de classes distinctes de la classification internationale.
Ce risque de confusion doit s’apprécier globalement, en considération de l’impression d’ensemble produite par les marques, compte tenu du degré de similitudes visuelles ou conceptuelles entre les signes, et du degré de similitudes entre les produits.
Pour la similarité entre les produits et les services, on a considéré par exemple que des récipients pour la cuisine et des récipients isothermes pour le transport de repas sont des produits similaires.
Exemple :Thermonet© et Thermoret©.
En droit des marques, joue également le principe de priorité unioniste, dont il faudra tenir compte pour apprécier la disponibilité de la marque. Ce droit va permettre à l’opposant du titulaire d’une marque déposée à l’étranger de déposer, dans un délai de 6 mois, d’autres dépôts de la même marque à l’étranger.
On ne pourra pas lui opposer les antériorités apparues pendant le délai de la priorité, ce que signifie que la date d’appréciation de la disponibilité du signe n’est pas la date du dépôt de la demande d’enregistrement en France, mais la date du dépôt initial fait à l’étranger.
Chapitre II : La procédure d’obtention du droit de marque
La reconnaissance d’un droit de marque passe le dépôt de la marque par un organisme habilité (Section 1), et c’est ce dépôt qui permettra l’enregistrement de la marque (Section 2).
Section 1 : Le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque
Aux termes des articles L. 712-1 et L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle, la propriété de la marque s’acquiert par l’enregistrement. Il convient ici d’identifier l’auteur de la demande (§ 1), puis de se pencher sur les modalités du dépôt (§ 2), afin de comprendre quelle est la portée de ce dépôt (§ 3).
§ 1 : L’auteur du dépôt
La demande d’enregistrement peut être déposée par toute personne physique ou morale de droit public ou de droit privé ; peu importe donc l’activité du déposant. Peuvent déposer des marques des sociétés, mais aussi des associations, des syndicats, des établissements publics, etc.
Un étranger peut parfaitement déposer une marque, mais l’on exige qu’il ait un domicile ou un établissement en France. A défaut, il pourra déposer sa marque par l’intermédiaire d’un mandataire.
§ 2 : Les modalités du dépôt
Le dépôt peut être effectué à l’INPI, soit à Paris,soit auprès d’un centre régional. Lors de la demande, il conviendra de s’acquitter de redevances, sans quoi l’enregistrement ne sera pas fait, et la marque sera rejetée.
Le formulaire de demande doit mentionner un certain nombre de mentions obligatoires :
- Le modèle de la marque;
- Le signe à protéger;
- Et les produits ou services visés.
Enfin il pourra mentionner les classes de la classification internationale dans lesquelles la marque est déposée.
Il conviendra d’apporter tout son soin à la rédaction du libellé du produit et des services visés, étant donné que c’est ce libellé qui détermine l’étendue de la protection.
Si le dépôt est reconnu ou recevable, la demande est publiée au bulletin de la propriété dans les 6 semaines qui suivent le dépôt.
§ 3 : La portée du dépôt
Le droit de marque est conféré par l’enregistrement et non par l’usage, et dès lors un simple usage de la marque ne peut pas constituer de droit privatif. Pour autant, le titulaire d’une marque d’usage non déposée disposera de certains droits. Il est en effet des cas où, même si la marque répond aux conditions de protection et fait l’objet d’un enregistrement, elle sera invalidée du fait de l’action du titulaire d’une marque non déposée.
C’est le cas notamment lorsque le dépôt de la marque poursuit un mobile frauduleux. C’est un cas qui peut se présenter dans l’hypothèse où il apparaît clairement que la démarche du déposant est motivée par la volonté de retirer un profit illicite du dépôt de marque et d’empêcher le tiers de poursuivre cette utilisation.
Exemple : le cas d’un salarié ou d’un ancien salarié d’une entreprise qui déposerait une marque d’usage de l’entreprise à son nom. Ou encore, un concurrent qui déposerait la marque de son concurrent.
La Cour de cassation considère que le dépôt est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité (Cour de cassation, 25 avril 2006).
La preuve de la fraude dont la charge pèse sur celui qui l’invoque reste difficile à établir. Il conviendra d’une part de prouver que la marque non déposée était notoirement connue, et d’autre part que le tiers a déposé cette marque dans l’intention d’en tirer un profit illicite.
L’article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit cette action, qui est une action en revendication de la marque qui est possible lorsqu’un dépôt a été effectué soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle.
Cette action doit être intentée devant le Tribunal de grande instance dans les 5 ans qui suivent l’enregistrement de la marque par la personne qui estime avoir un droit sur la marque.
Section 2 : L’enregistrement de la marque
L’enregistrement produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande, comme en matière de brevet. Toutefois, la demande d’enregistrement de la marque n’est opposable aux tiers qu’à partir de sa publication. Pour ce faire, il faut la notifier à la personne intéressée. La marque sera enregistrée suite à un examen pratiqué par l’INPI (§ 1), mais elle pourra néanmoins faire l’objet d’une procédure d’opposition (§ 2).
§ 1 : L’examen de la demande d’enregistrement
La demande d’enregistrement est vérifiée par l’INPI.
Il n’y a pas d’examen d’antériorité mené par l’INPI, et si la demande est irrégulière, l’INPI adressera une notification motivée au déposant qui aura un délai de 4 mois pour régulariser le dépôt, ou bien pour formuler des objections aux demandes qui lui sont faites.
L’INPI peut formuler des propositions de régularisation très précises. S’il n’y a pas de réponse du déposant dans un délai qui est imparti par l’INPI, ses propositions sont réputées acceptées.
Naturellement, la demande peut être rejetée, dès lors que le déposant ne procède pas aux régularisations qui s’imposent, et donc ne répond pas aux conditions légales de protection.
Le rejet peut n’être que partiel, et donc seuls certains signes peuvent être rejetés. La décision de rejet doit être motivée, et peut faire l’objet d’un recours de la part du déposant.
§ 2 : La procédure d’opposition
Pendant un délai de 2 mois suivant la publication de la demande d’enregistrement, les titulaires de droit antérieurs peuvent faire opposition à l’enregistrement de la marque qui heurte leur propre droit.
Cette procédure n’est ouverte qu’à un nombre restreint de personnes, à savoir le propriétaire d’une marque enregistrée antérieurement, le propriétaire d’une marque antérieurement connue, ou le bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation, sauf dispositions contraires du contrat. Il va ainsi s’agir du titulaire d’un droit d’exploitation, ou d’un cessionnaire du droit.
Il est conseillé au déposant d’effectuer une recherche d’antériorité pour s’assurer de la disponibilité de la marque. Cette démarche doit être menée assez largement et ne pas se limiter aux marques strictement déposées à l’INPI. Il faut élargir la recherche aux marques communautaires.
Il faudra aussi faire attention aux marques internationales qui désignent la France. Peu importe que la même marque soit déposée ailleurs, cela n’a aucune importance.
La procédure d’opposition doit respecter le principe du contradictoire, et donc toute observation communiquée à l’INPI est communiquée au déposant. Le déposant dispose d’un délai imparti par l’INPI pour répondre à l’opposition, pour dire en quoi il se démarque, par exemple.
Si le déposant ne donne pas suite dans le délai fixé, le directeur de l’INPI statue sur l’opposition, et dans le cas contraire, le directeur de l’INPI fait une proposition de décision qui est notifiée aux parties qui peuvent le contester.
La procédure est clôturée notamment lorsque les effets de la marque opposée ont cessé. C’est également le cas lorsque l’opposant a perdu la qualité pour agir, notamment s’il a cédé sa marque.
La décision qui est rendue par le directeur de l’INPI est susceptible d’appel devant une Cour d’appel. Lorsque la marque est enregistrée, il y aura dès lors une protection.
Titre II : La protection résultant de la marque
L’enregistrement de la marque va offrir à son titulaire un monopole d’exploitation de la marque (Chapitre I). Naturellement, si ce droit fait l’objet d’atteintes, le déposant pourra disposer de moyens juridiques pour se défendre (Chapitre II).
Chapitre I : Le monopole d’exploitation du titulaire de la marque
Le monopole d’exploitation donne un certain nombre de prérogatives au titulaire de la marque (Section 1), bien que ce monopole comporte quelques limites (Section 2).
Section 1 : Les droits conférés par la marque
§ 1 : La détermination des droits du titulaire de la marque
Le droit de marque est défini aux articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, et ce de manière négative. Il en résulte que,sauf autorisation du titulaire, il est interdit à tout tiers de reproduire, de faire usage, d’imposer une marque ou de faire usage d’une marque reproduite pour désigner des produits ou des services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.
Il est également interdit de modifier ou de supprimer le signe de la marque régulièrement apposée. Sont également interdits aux tiers, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, d’une part la reproduction, l’usage, ou l’imposition d’une marque reproduite pour des produits similaires à ceux désignés dans l’enregistrement, d’autre part l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.
§ 2 : L’étendue de la protection
La détermination de l’étendue de la protection est gouvernée par le principe de spécialité. Ce principe supporte quelques dérogations. Le principe, dans ce domaine, est que l’enregistrement d’une marque confère à son titulaire un droit de propriété exclusif sur le signe déposé pour des produits ou des services identifiés dans la demande d’enregistrement.
Cette règle est sous-entendue dans l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle. Une exploitation régulière de la marque doit donc porter sur le signe déposé et non sur un signe voisin, et sur les produits ou services visés dans l’enregistrement.
Par exception, le principe de spécialité va céder face à deux types de marques :
- Les marques renommées;
- Les marques notoires.
Selon l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou des services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur, si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque, ou si elle constitue une exploitation injustifiée.
Les marques notoires ont un point commun, à savoir qu’elles sont toutes deux connues par une très large fraction du public. La différence entre ses deux marques tient au fait que la marque renommée est une marque enregistrée, tandis que la marque notoire est une marque d’usage, et donc sa protection tient à sa notoriété.
Il est assez difficile de présenter une marque ayant ces caractéristiques. C’est à son titulaire d’en rapporter la preuve.
D’après l’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, l’on comprend que l’emploi d’une marque qui bénéficie d’une renommée prouvée, pour des produits ou des services qui sont sans rapport avec la marque litigieuse, engage la responsabilité civile de l’auteur de cet emploi.
Les marques notoires et les marques renommées bénéficient d’une protection beaucoup plus répandue que les marques classiques. Leur protection va au-delà des produits ou des services désignés dans l’acte d’enregistrement. En finalité, le signe de ces marques est protégé en lui-même. Il est globalement indisponible.
Exemple 1: la marque Desperados© est connue comme étant une marque de bière. Or, une société également connue à Paris a sorti un jeu vidéo pour laquelle elle a déposé la marque Desperados©. La Cour de cassation a considéré que cette marque n’était pas valable en raison de l’antériorité de la marque Desperados© déposée pour un produit pourtant complètement différent.
Exemple 2 : s’agissant de la marque Cartier©, la Cour d’appel de Paris a annulé la marque Prédimust©, car « must » est une marque de la société Cartier©. Il était question d’une marque déposée pour des chaussures pour des professionnels de la santé. Il a donc été considéré que cette marque était similaire au signe de la marque Must© détenue par la société Cartier©, et que l’adjonction du préfixe « prédi » n’y changeait rien, puisque le terme « must » présente l’élément essentiel du signe. La Cour d’appel de Paris a estimé que l’utilisation d’un signe similaire à la marque Must© – qui évoque des produits de luxe – portait préjudice à la valeur économique et à la renommée de la marque Must©.
Exemple 3 : s’agissant cette fois de la marque Petit Navire©, il faut se référer à un arrêt de laCour d’appel de Rennes, 27 avril 2010.La société bretonne a déposé plusieurs marques enregistrées dans des classes précises. Il y a la marque verbale « Le bon goût du large© », ainsi qu’un bloc déposé « Les délices de thon© », « Petit navire© », « Le bon goût du large© ». La société titulaire de ces marques a constaté qu’une autre société – qui s’appelle la société Pariarévolution© finistérienne, et qui fabrique et commercialise des vêtements – produisait des t-shirts reproduisant des images et des slogans qui se veulent humoristiques, et qui reprennent en partie les marques détenues par la société petit navire : « Petit chavire »« Le mauvais goût du large », « Thon au fioul ».
Pour les juges, l’emploi d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou des services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement justifie la condamnation de la société Paria révolution© au paiement de 10 000€ de dommages-intérêts au titre de l’atteinte à la renommée de ces marques.
Section 2 : Les limites au monopole
Le monopole du titulaire de la marque est limité par la règle de l’épuisement du droit (§ 1). Il est également limité dans le temps et dans l’espace (§ 2). Enfin il est limité par l’exception de parodie (§ 3).
§ 1 : L’épuisement du droit
En application de la règle de l’épuisement, le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à la commercialisation de ces produits ou à la fourniture de services sur le territoire français, si ces produits ou ces services sous cette marque ont déjà été mis dans le commerce dans l’Union Européenne ou dans l’espace économique européen par le titulaire, ou avec son consentement.
Ce principe d’épuisement du droit comporte une exception permettant au titulaire de la marque de s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation, s’il justifie de motifs légitimes tenant notamment à la modification ou à l’altération ultérieure de l’état des produits.
Il est également possible de limiter la portée de l’épuisement du droit en introduisant des conditions restrictives de distribution de la marque, notamment à des personnes licenciées.
Exemple : il y a eu une affaire dans laquelle une juridiction française a considéré que le titulaire de la marque Dior© était en droit de demander réparation pour le préjudice né du fait de la vente d’article de la collection passée à un soldeur par le licencié lui-même.
§ 2 : La limitation du monopole dans le temps et dans l’espace
En ce qui concerne la portée territoriale de la protection, la marque nationale confère à son titulaire un monopole qui ne s’applique qu’au territoire français. Si la demande porte sur une marque communautaire, elle s’appliquera sur l’ensemble des territoires de l’Union Européenne.
Si la demande est internationale, la protection s’appliquera dans tous les pays désignés dans la demande internationale.
S’agissant de la durée de la protection, l’enregistrement produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande, pour une période de 10 ans indéfiniment renouvelable.
Cela signifie que l’enregistrement de la marque peut être renouvelé, dès lors qu’il ne comporte aucune modification du signe, et s’il n’y a aucune extension du signe visé. En effet, toute modification ou extension correspond à une nouvelle demande d’enregistrement. La déclaration de renouvellement est présentée par le titulaire au cours des 6 derniers mois de validité de l’enregistrement.
A défaut de respecter ce délai, la demande est rejetée, sauf si son retard est dû à des circonstances extérieures.
§ 3 : Le droit à la parodie ou à la liberté d’expression
Traditionnellement, la caricature jouit d’une sorte d’exemption lorsqu’elle vise des personnalités publiques dont la profession ou l’activité les mettent dans une position les permettant de présumer leur autorisation.
Le Code de la propriété intellectuelle consacre l’exception de parodie en droit d’auteur, en disposant à l’article L. 122-5, §4 du Code de la propriété intellectuelle que, lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature compte tenue des lois du genre. Rien de tel n’est prévu en droit des marques.
La jurisprudence admet que l’exception de parodie ou de liberté d’expression puisse parfois être opposée au droit des marques. Dans un arrêt de la Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 19 octobre 2006, la Cour de cassation a considéré que la diffusion par le Comité national de lutte contre les maladies respiratoires et la tuberculose de timbres de la marque Camel© qui détournaient les éléments décoratifs du parquet de cigarettes de la marque, accompagnés de slogans humoristiques tels que « te laisse pas rouler par la cigarette », « la clope, c’est pire que la traversée du désert », ne constituait pas une atteinte aux droits de le la société titulaire de la marque Camel©. En effet, selon elle, il n’y avait pas d’atteinte du fait de l’utilisation de ces éléments à titre d’illustration sur un mode humoristique à l’occasion d’une campagne générale de prévention dénonçant les risques liés à la consommation de tabac.
Le Comité, agissant conformément à son objet dans un but de Santé publique et par des moyens proportionnés à ce but, n’avait pas abusé de son droit de libre expression.
De la même manière, en 2008 (Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 8 avril 2008) sur son site internet, Greenpeace© avait repris et déformé plusieurs marques AREVA©, en les associant à une tête de mort ou un poisson mort dans le cadre d’une campagne dénonçant les activités d’AREVA©. Là encore, la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas d’atteinte au droit de marque, parce que Greenpeace© agissait dans un but d’intérêt général et de Santé publique.
Dans l’affaire Petit Navire©, la société Paria révolution© avait tenté de faire jouer cette exception, mais sans succès. En effet, la Cour de cassation avait considéré qu’elle avait fait un usage de la marque dans la vie des affaires, dans le seul but de tirer profit de la notoriété de la marque pour commercialiser ses propres produits. Pour la Cour de cassation, il n’y a aucun message à faire passer, il s’agit d’affirmations purement gratuites et infondées.
Chapitre II : Les atteintes au droit de marque
Comme toute contrefaçon, la contrefaçon de marque apparaît comme une atteinte au monopole exclusif qui est reconnu au titulaire de la marque.
Section 1 : Les éléments constitutifs de la contrefaçon
Aux termes de l’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque, telle que définie aux articles L. 716-2 et L. 716-4 du Code de la propriété intellectuelle, constituent une contrefaçon.
Les actes de contrefaçons peuvent être regroupés en 4 catégories :
- · La contrefaçon par reproduction (§ 1)
- · La contrefaçon par imitation (§ 2) ;
- · L’usage de marque (§ 3) ;
- · La suppression, la modification ou l’apposition de marque (§ 4).
§1 : La contrefaçon par reproduction
La contrefaçon par reproduction peut se réaliser sous des formes différentes :
- · La contrefaçon servile : c’est la reproduction fidèle du signe ;
- · La contrefaçon quasi servile : le signe présente de fortes ressemblances avec le signe protégé, de sorte qu’il laisse subsister l’apparence d’une identité totale entre les deux signes ;
- · La contrefaçon par adjonction d’élément du signe de la marque : il s’agit notamment de l’adjonction du terme tel qu’une formule, une façon, un système, etc.
En cas de reproduction d’un élément d’une marque complexe, la contrefaçon sera réalisée si cet élément est isolable du tout.
Il faut également que l’élément soit protégeable en lui-même et qu’il présente un caractère essentiel par rapport à l’ensemble complexe que constitue la marque. On en déduit que, lorsque l’élément reproduit ne se « fond » pas dans le nouvel ensemble et ne forme pas un tout indivisible, lui faisant perdre son individualité, la contrefaçon est reconnue.
Dans ces hypothèses, la contrefaçon est réalisée dès lors que la marque d’autrui est matériellement reproduite sans le consentement du titulaire, et indépendamment de tout usage,à quelque titre que ce soit, et indépendamment également de toute commercialisation. On est donc sur une approche très stricte pour les tiers et pour les titulaires de la marque.
§2 : La contrefaçon par imitation
La contrefaçon par imitation est réalisée lorsqu’il existe entre les deux signes des ressemblances susceptibles de provoquer dans le public un signe de confusion. Ce risque de confusion peut être généré par une architecture commune du signe, une prononciation voisine, un graphisme voisin, une signification proche ou contraire. L’architecture commune peut tenir au nombre de lettres ou de chiffres qui constituent le signe, ou le nombre de syllabes, par exemple.
Parfois, une inversion de lettre fait que l’on n’aura pas de signes identiques, mais dans l’esprit du public, il n’y a pas de grande différence. La contrefaçon par imitation est retenue dès lors que la marque d’autrui est matériellement imitée, indépendamment de tout usage, et indépendamment de toute commercialisation.
En jurisprudence, la contrefaçon par imitation a été retenue, par exemple, dans les hypothèses de confusion phonétiques et visuelles des signes.
La contrefaçon par imitation peut être caractérisée lorsque la marque imitante est la traduction de la marque imitée, à condition que le terme étranger soit connu par le public français.
On peut avoir un raisonnement par synonyme, avec le même pouvoir évocateur, comme une marque qui s’appelait « L’eau stimulante© », et qui a été reconnue comme une contrefaçon de « L’eau dynamisante© » de Clarens©.
§3 : L’usage de la marque
L’atteinte qui est ici visée est celle où un tiers non autorisé par le titulaire utilise une marque authentique ou une marque reproduite ou imitée pour désigner des produits ou services identiques ou similaires, couverts par la marque. L’usage d’une marque peut se réaliser sous des formes différentes.
Exemple : il peut s’agit de l’utilisation de la marque d’un tiers à titre de dénomination sociale d’enseigne, de référence publicitaire, ou de nom commercial, ou encore par la commercialisation d’un produit authentique au mépris d’une clause contractuelle d’un contrat de distribution sélective.
Ce cas de contrefaçon ouvre notamment l’usage des marques dans le fonctionnement des moteurs de recherche, et plus particulièrement d’un moteur de recherche en particulier : Google©, ainsi que d’un système technique et commercial proposé par Google© que l’on appelle les Adware©, qui est un système publicitaire permettant d’afficher en marge des résultats de recherche sur internet des liens commerciaux vers des sites des annonceurs à partir de mots clés choisis et achetés par ces derniers. Dans le fonctionnement, il apparaît que lorsque des recherches sont effectuées sur Google©, elles renvoient grâce à l’utilisation de marques, à des sites d’annonceurs qui ne sont pas agréés pour distribuer ces marques. Généralement, il s’agit de sociétés concurrentes.
La question s’est posée de savoir si, en proposant ces mots publicitaires, Google© réalisait de la contrefaçon. Ce contentieux a fait l’objet d’un arrêt qui a été tranché par la CJUE, et qui impliquait Vuitton© (CJUE, 23 mars 2010).
Pour la CJUE, le prestataire d’un service de référencement sur internet qui stocke en tant que mot clé un signe identique à une marque et qui organise l’affichage d’annonce à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe dans la vie des affaires, et à ce titre il ne peut voir sa responsabilité engagée au titre de la contrefaçon.
En revanche, dans chaque cas, les juridictions nationales déterminent si le rôle par le moteur de recherche est passif ou purement technique, auquel cas sa responsabilité ne peut être engagée, ou si au contraire il est actif, ce qui peut être le cas dans l’hypothèse où le moteur participe à la rédaction du message commercial accompagnant le lien promotionnel.
L’usage de marque doit être réalisé pour être condamnable à des fins commerciales ; il n’est pas illicite s’il est réalisé à des fins privées. S’ajoute à cela que l’usage illicite d’une marque n’implique pas au préalable une contrefaçon par reproduction, alors que l’usage d’une marque reproduite ou imitée exige au préalable la contrefaçon par reproduction ou imitation.
L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit une exception lorsque l’usage constitue une référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans l’origine.
Exemple : les fabricants d’accessoires ou de pièces détachées.
§4 : Suppression, modification ou apposition de marque
La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée sur un produit constitue une contrefaçon de marque, à la condition qu’elle soit réalisée à des fins commerciales. Si un tiers appose matériellement une marque, un signe, à des fins commerciales, et ce sans l’autorisation de son propriétaire, sur des produits ou des services authentiques, il sera possible que l’on soit dans un cas de contrefaçon, bien que l’hypothèse reste marginale.
Le plus fréquemment, la position se fait sur un produit ou un service non authentique, c’est-à-dire des produits ou services qui ne proviennent pas du titulaire de la marque. Cette forme de contrefaçon est constituée notamment par le délit de remplissage, qui consiste à remplir des récipients revêtus de la marque authentique avec des produits qui ne proviennent pas du titulaire de la marque. C’est le plus gros de la contrefaçon.
Exemple : on appose le signe reproduit sur un sac non authentique sans l’autorisation du titulaire ; c’est le cas pour les produits de luxe, les médicaments, etc.
§ 5 : Autres actes de contrefaçon
L’on va inclure l’importation ou l’exportation de marchandises présentées sous une marque contrefaite. L’on va également inclure la détention, la vente ou la mise en vente, la fourniture ou l’offre de fourniture des produits ou des services sous une marque contrefaite,dès lors qu’une personne détient, sans motif légitime, des produits qu’elle sait revêtus d’une marque contrefaite ou qui, sciemment, procède à la vente ou à la fourniture des produits ou services sous une telle marque.
Dans tous ces cas de figure, il faut que la personne agisse à des fins commerciales. Le Code de la propriété intellectuelle réprime ceux qui auront sciemment livré un produit ou fourni un service autre que celui qui leur a été demandé sous une marque enregistrée, protégée. La livraison ou la fourniture d’un autre produit ou service doit avoir été faite en connaissance de cause.
Section 2 : Les principes gouvernant l’appréciation de la contrefaçon
La contrefaçon doit être appréciée par référence au signe enregistré, et non au signe éventuellement modifié dont le propriétaire fait usage,peu important que ce dernier soit à ce titre le plus connu du public.
Pour les actes incriminés de contrefaçon qui relèvent de l’article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, la preuve de la confusion doit être rapportée par le demandeur à l’action. En revanche, pour tout ce qui relève de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, le risque de confusion est présumé.
Le risque de confusion doit s’apprécier par rapport à un consommateur français si c’est une marque française, d’attention moyenne et n’ayant pas simultanément les 2 signes distinctifs sous les yeux. Par ailleurs, la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances, et non par les différences. En outre, les ressemblances doivent être appréciées en tenant compte des marques prises dans leur ensemble, sans les dissocier dans leurs divers éléments. Sur ce terrain, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Section 3 : L’action en contrefaçon
L’action en contrefaçon de marque ne pourra aboutir avec succès (§ 2) que si le titulaire de la marque parvient à établir la preuve de la contrefaçon (§ 1).
§ 1 : L’administration de la preuve de la contrefaçon
En matière de preuve, il suffit de rappeler que la contrefaçon est un fait, ce qui veut dire que la preuve peut être rapportée par tout moyen. La charge de la preuve de l’atteinte pèse sur celui qui s’en prévaut. Il faut donc qu’il rapporte une preuve matérielle, mais également dans certains cas, la preuve d’un élément intentionnel.
Pour prouver l’existence de la contrefaçon, l’article L. 716-7 du Code de la propriété intellectuelle prévoit la possibilité de procéder à des saisies contrefaçon, qui est une procédure exceptionnelle et non contradictoire qui autorise l’huissier du requérant à pénétrer dans l’établissement du présumé contrefacteur (avec le soutien de la police si besoin) afin d’effectuer des constatations et appréhender des objets. Elle peut même être effectuée au domicile du présumé contrefacteur.
§ 2 : Les effets de l’action en contrefaçon
S’il est établi que le défendeur a commis des actes de contrefaçon, le tribunal prononce des mesures d’interdiction de fabrication, de commercialisation, ou encore d’importation, et ce dans le but de faire cesser toute contrefaçon à venir. Cette décision peut être assortie d’astreinte.
Dans l’hypothèse où le signe contrefaisant a été déposé à titre de marque, le tribunal peut prononcer la nullité de la marque, nullité pouvant êtretotale ou partielle.
En vertu du principe de spécialité, on limitera la nullité aux signes identiques ou voisins pour des produits ou services identiques ou similaires. L’action en contrefaçon a principalement pour effet d’engager la responsabilité civile de son auteur, comme en dispose l’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle. Dès qu’une atteinte à la marque est commise, il est possible d’engager la responsabilité de son auteur, peu importe qu’il soit de bonne ou de mauvaise foi.
Au titre des sanctions civiles, les tribunaux peuvent ordonner la publication intégrale ou par extraits de la décision. Il faudra également prononcer la confiscation des produits de contrefaçon en vue d’une destruction. Le titulaire de la marque pourra se prévaloir de dommages-intérêts, conformément aux dispositions de l’article 1382 du Code civil.
L’indemnité de contrefaçon doit être calculée en tenant compte de plusieurs éléments,notamment l’atteinte qui est portée aux droits privatifs de la marque et la valeur patrimoniale de la marque – valeur qui va inclure la notoriété de la marque, l’exploitation qui en est faite et l’image de la marque. De même, l’atteinte peut être plus ou moins importante selon le volume de la contrefaçon, selon le degré de similitude entre les signes.
Le montant des dommages-intérêts est en étroite relation avec le préjudice commercial subi par le titulaire de la marque. Pour évaluer, chiffrer le préjudice, il appartient au demandeur de fournir une évaluation chiffrée. A défaut, une expertisepeut être ordonnée par le tribunal.
La contrefaçon de marque peut également constituer un délit sanctionné pénalement, comme en disposent les articles L. 716-9 et L. 716-10 du Code de la propriété intellectuelle. Dans la plupart des cas, la responsabilité pénale sera conditionnée au fait que les actes ont été accomplis sciemment par le contrefacteur. C’est à ce moment-là qu’il faudra établir l’élément intentionnel en plus de l’élément matériel.
Toutefois, pour les actes définis à l’article L. 716-11 du Code de la propriété intellectuelle, l’imprudence ou la négligence peuvent suffire, dès lors que le contrefacteur est un professionnel.
Dans d’autres cas, la responsabilité pénale du contrefacteur sera systématiquement engagée, dès lors qu’il a procédé à certains actes définis,sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’il a agi en connaissance de cause.
En vertu de l’article L. 716-9 du Code de la propriété intellectuelle, la production, l’organisation de la production, l’importation ou l’exportation sous une marque contrefaite de marchandises dans le but de les vendre est puni d’une peine d’emprisonnement de 4 ans et d’une amende de 400 000€. Dans les autres cas, la peine d’emprisonnement est de 3 ans, et l‘amende de 300 000€.
En cas de récidive, ou si le contrefacteur est contractuellement lié à la victime, les peines encourues sont portées au double. Lorsque les délits sont commis en bande organisée ou lorsque les faits portent sur des marchandises dangereuses pour la santé ou la sécurité de l’homme ou de l’animal, la peine de prison est de 5 ans, et l’amende de 500 000€.
Toutefois, les sanctions prévues aujourd’hui par la loi sont-elles suffisamment dissuasives pour les contrefacteurs ?
Partie III : Les dessins et modèles
Le droit des dessins et modèles tend à protéger les créations ornementales qui présentent une forme esthétique et un caractère utilitaire.
Ces créations, dans leur aspect esthétique, se rapprochent du droit d’auteur, et dans leur caractère utilitaire, elles se rapprochent du droit des brevets. Toutefois, ces créations font l’objet d’une protection autonome, organisée par le droit des dessins et modèles.
Le régime de protection des dessins et modèles est annoncé aux articles L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (jusqu’à l’article L. 521-7 du Code de la propriété intellectuelle). Le droit consacre la possibilité de cumuler plusieurs systèmes de protection sur un même objet, en l’occurrence le droit des dessins et modèles et le droit d’auteur. C’est ce que l’on désigne comme étant l’application de la théorie de l’unité de l’art. Ce système permet au créateur de choisir en fonction de son intérêt, et si les conditions sont remplies, d’aller soit vers l’un ou l’autre des mécanismes de protection,soit de bénéficier des deux formes de protection.
Les dessins et modèles peuvent également dans certains cas faire l’objet d‘une protection par le droit des marques. En effet, une marque peut avoir pour signe un élément figuratif tel qu’un dessin ou la forme du produit ou du conditionnement.
Titre I : L’obtention de la protection des dessins et modèles
Les termes « dessins » et « modèles » ne sont pas définis de façon très concrète par le Code de la propriété intellectuelle.
L’on admet aujourd’hui que :
- Les dessins :ils sont constitués par toute disposition de traits ou de couleurs représentant des images ayant un sens déterminé ;
- Les modèles :ce sont toutes formes plastiques, ou figures à trois dimensions.
L’article L. 511-1, alinéa 1erdu Code de la propriété intellectuelledéfinit les dessins et modèles comme l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit caractérisé en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Il ajoute que ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation.
Il y a eu un contentieux entre Louboutin© et Yves-Saint-Laurent©, dans lequel Yves-Saint-Laurent© a été condamné à ne pas produire de chaussures avec des semelles rouges, sauf si la chaussure est elle-même rouge. Il aurait été possible d’imaginer que l’on puisse revendiquer un droit sur les dessins et modèles et un droit d’auteur.
Le Code de la propriété intellectuelle précise également qu’est regardé comme un produit tout objet industriel ou artisanal, notamment les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, les emballages, les présentations, les symboles graphiques, et les caractères typographiques, à l’exclusion des programmes d’ordinateur.
De la combinaison des différentes dispositions de ce texte, il résulte une définition plus précise du dessin ou modèle, qui peut être considéré de manière plus globale comme l’apparence d’un objet industriel ou artisanal, ou d’une partie de cet objet.
Comme tout système de propriété intellectuelle, le droit des dessins et modèles obéit à des conditions (Chapitre I), mais aussi à une procédure spécifique (Chapitre II).
Chapitre I : Les conditions de la protection des dessins et modèles
Conformément à l’article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle, pour pouvoir invoquer la protection par le régime des dessins et modèles, le titulaire doit présenter une création nouvelle (Section 1) dotée d’un caractère propre (Section 2) et visible, dont la forme est distincte de sa fonction utilitaire (Section 4). S’ajoute à cela qu’il doit également être licite (Section 3).
Section 1 : La nouveauté
L’article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée,aucun dessin ou modèle n’a été divulgué.
§ 1 : Définition
Longtemps il a existé une confusion, notamment en jurisprudence, entre l’exigence de nouveauté du droit des dessins et modèleset la condition d’originalité du droit d’auteur. Ainsi, par exemple, la Cour de cassation a pu approuver une Cour d’appel d’avoir refusé le bénéfice du droit d’auteur à un dessin, au motif qu’il ne constituait qu’une composition banale et courante et ne présentait de ce fait aucun caractère de nouveauté.
De la même manière, la Haute juridiction refusait de reconnaitre le caractère de nouveauté à un modèle alors qu’il n’est pas établi que le modèle exprimait la personnalité de l’auteur et résultait d’un effort de création. Elle renvoie ici à ce qui correspond à la condition d’originalité, alors qu’elle aurait dû se référer à la condition de nouveauté. Il y a donc eu une confusion dans les deux sens.
L’article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle ne fait pas référence à une condition subjective qui impliquerait de se pencher sur la personnalité de l’auteur, mais pose une condition objective de nouveauté qui suppose l’absence de divulgation antérieure.
§ 2 : Notion de divulgation
La divulgation est de nature à détruire la nouveauté. Elle obéit à un principe (A), qui connaît des exceptions (B).
- Principe
La nouveauté exigée pour permettre une protection par le droit des dessins et modèles est détruite par l’art antérieur. L’art antérieur est composé de tout ce qui a été divulgué avant la date de dépôt. On est sur une même logique que celle qui anime le droit des brevets.
L’article L. 511-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s’il a été rendu accessible au public par une publication, un usage, ou tout autre moyen. Cette divulgation destructrice de nouveauté peut être le fait de toute personne, y compris de l’auteur du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée. La nouveauté est donc une nouveauté absolue.
- Exceptions à la divulgation
L’article L. 511-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit des hypothèses dans lesquelles la divulgation ne sera pas destructrice de nouveauté.
Ainsi, la divulgation est indifférente lorsqu’elle a été réalisée dans certaines conditions, notamment :
- Lorsque le dessin ou modèle n’a pu être raisonnablement connu selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé par des professionnels du secteur considéré : la référence qui est faite dans le Code de la propriété intellectuelle peut être assez étonnante, dans la mesure où le texte vise « les professionnels agissant dans la Communauté européenne ». Cette référence a été introduite en 2001 suite à la création des dessins et modèles communautaires. Ici, c’est la référence à un professionnel qui agit dans le cadre de l’Union Européenne ;
Le fait de conditionner la divulgation à une connaissance par des professionnels agissant dans la Communauté européenne constitue une différence importante avec le droit des brevets, et conduit à considérer que l’état de la technique est géographiquement moins large. C’est une vision qui tempère de manière assez nette le caractère absolu de la nouveauté.
- Lorsque le dessin ou modèle dont la protection est demandée a été divulgué à un tiers sous conditions explicites ou implicites de secret : c’est une exception appréciable ;
- Lorsqu’elle a lieu dans le délai de grâce des 12 mois précédant la demande de dépôt : toutefois, pour que cette exception puisse jouer, il faut que le dessin ou modèle ait été divulgué d’une part, par le créateur ou son ayant-cause, ou par un tiers à partir d’informations fournies, ou d’actes accomplis par le créateur, et d’autre part, à la suite d’un comportement abusif à l’encontre du créateur ou de son ayant cause.
Section 2 : Le caractère propre
La protection des dessins et modèles est conditionnée par l’article L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle,qui pose l’exigence d’un caractère propre, lequel suppose que l’objet suscite chez un observateur averti une impression visuelle d’ensemble distincte de celle produite par les dessins ou modèles. Cette exigence est bien distincte de celle de l’originalité de la création au sens artistique du terme, c’est-à-dire au sens du droit d’auteur, et l’analyse du caractère propre suppose une observation objective de la création.
- C’est donc le sentiment d’ensemble suggéré par l’objet qui est apprécié.
Pour ce faire, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle. Cela signifie que, même s’il n’y a aucune antériorité destructrice de nouveauté, un dessin ou modèle ne pourra recevoir la protection du régime spécial, dès lors qu’il produit cette impression d’ensemble, similaire à celle produite par une autre création.
Le personnage de référence pour apprécier ce caractère n’est pas un homme standard, c’est un homme qui doit s’entendre d’un observateur averti, c’est-à-dire doté d’une vigilance particulière liée à son expérience professionnelle. Cette qualité peut également être liée à l’étendue de ses connaissances dans le secteur considéré. La création ne doit pas susciter une impression de déjà-vu.
Section 3 : Le caractère apparent et licite
Le caractère licite est exigé par l’article L. 511-7 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel les dessins et modèles contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs ne sont pas protégeables.
Cour d’appel de Paris, 3 avril 1988 : le contentieux portait sur l’émission de billets de banque de fantaisie, c’est-à-dire des modèles considérés comme illicites parce qu’ils sont susceptibles de créer un risque de confusion avec des billets authentiques dont l’émission est réservée à la Banque de France, et dont la production est réprimée pénalement.
La protection des dessins et modèles ne sera possible que si la forme du produit est visible. Il faut, pour remplir cette condition, que la forme soit apparente dans des conditions normales d’utilisation. Dès lors, une forme qui ne serait visible qu’au cours de l’entretien, du service ou de la réparation du produit, ne peut être considérée comme apparente au sens de l’article L. 511-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Cette exigence ne s’impose uniquementqu’en présence de produits complexes, c’est-à-dire des produits composés de pièces détachées. Ainsi,peuvent accéder à la protection des objets qui ne seraient pas visibles dans des conditions normales d’utilisation, dès lors que ces objets ne sont pas des produits composés de pièces multiples qui peuvent être remplacées.
- Donc : chaque fois qu’il faut démonter un produit pour voir la pièce concernée, la protection ne peut pas jouer.
Exemple : une batterie de téléphone portable.
Section 4 : Une forme distincte de la fonction utilitaire
La protection des dessins et modèles est réservée aux créations dont la forme est séparable de la fonction utilitaire du produit. La forme que l’on veut protéger ne doit donc pas être exclusivement imposée par le caractère fonctionnel. Ceci résulte de l’article L. 511-8 du Code de la propriété intellectuelle.
Il s’agit ici de ne pas offrir à la fonction technique d’une création, une protection par sa forme plus longue que celle qui résulterait de l’application du droit des brevets.
Lorsque la forme du produit joue un double rôle, tant esthétique que technique, la protection par les dessins et modèles peut s’appliquer conjointement à celle reconnue par les brevets. En effet, la restriction visée par l’article L. 511-8 du Code de la propriété intellectuelleest strictement limitée aux créations dont la forme est exclusivement dictée par son utilité. A contrario, si elle est notamment guidée par son esthétique, il est légitime de se prévaloir de la protection dessins et modèles.
Chapitre II : La procédure d’obtention de la protection
Section 1 : Le dépôt et l’enregistrement
Seul l’enregistrement est constitutif de droit, comme c’est le cas en matière de marque et de brevet. L’examen des conditions de fond permettant la protection doit avoir lieu au jour de l’enregistrement, et non au jour de la création. C’est à cette date que naît le droit du dessin ou modèle.
Les modalités d’enregistrement :la demande d’enregistrement doit être déposée auprès de l’INPI,et lorsque le déposant a son domicile ou son siège social en-dehors de la France, il doit obligatoirement passer par un mandataire.
Exemple : un conseil en propriété industrielle.
Section 2 : La détermination du titulaire des droits des dessins et modèles
L’article L. 511-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que la protection du dessin ou modèle s’acquiert par l’enregistrement ; elle est accordée au créateur ou à son ayant cause. La titularité n’est pas automatiquement accordée au créateur du dessin ou du modèle, et le Code de la propriété intellectuelle prévoit que « l’auteur de la demande est,sauf preuve contraire, regardé comme le bénéficiaire de cette protection ».
Le créateur bénéficie néanmoins, en vertu de l’article L. 511-10 du Code de la propriété intellectuelle, d’une action en revendication contre celui qui aurait effectué une demande d’enregistrement de sa création en violation de ses droits.
Le créateur peut également céder ce droit au dépôt à son employeur, et c’est notamment le cas lorsque la création a été effectuée dans le cadre d’un contrat de travail. L’employeur est alors réputé être le titulaire initial du dessin ou modèle dès lorsqu’il a le premier effectué la demande d’enregistrement, et qu’en vertu de la cession, le créateur lui a assuré qu’il n’exercerait pas d’action en revendication.
Débat doctrinal :en matière de droit d’auteur, la création est toujours considérée comme étant la possession de l’auteur.
Titre II : La protection résultant des dessins et modèles
Chapitre I : Les droits conférés par les dessins et modèles
L’article L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’enregistrement d’un dessin ou d’un modèle confère à son titulaire un droit de propriété exclusif, un monopole d’exploitation (Section 1), bien qu’il existe des limites à l’exclusivité conférée par le droit sur les dessins et modèles (Section 2).
Section 1 : Monopole d’exploitation du titulaire du droit
L’article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle définit négativement le monopole d’exploitation comme le « droit exclusif d’exploiter, d’utiliser, de fabriquer, d’offrir, de mettre sur le marché, d’importer, d’exporter ou de détenir un produit dans lequel le dessin ou le modèle est incorporé ». Cette définition n’est pas très éloignée de celle du monopole du titulaire d’un brevet.
L’article L. 513-5 du Code de la propriété intellectuelle précise que ce droit exclusif s‘étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti, une impression visuelle d’ensemble différente.
Section 2 : Limites à l’exclusivité conférée par le droit sur les dessins et modèle
L’exclusivité d’exploitation trouve ses limites dans les articles L. 513-6 à L. 513-8 du Code de la propriété intellectuelle.
Ainsi, sont exclus de la protection :
- Les actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales ou à titre expérimental ;
- Les actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement, à la condition que le droit du titulaire soit mentionné dans l’acte.
Par ailleurs, le monopole d’exploitation conféré par le droit d’enregistrement est limité par la règle d’épuisement du droit (il s’agit de la même formule que pour les brevets et les marques). Le monopole est également limité dans l’espace. La demande faite en France donnera lieu à un titre ne couvrant que le territoire français. Une demande faite à l’OHMI donnera lieu à une protection couvrant tout le territoire de l’Union Européenne.
Une demande faite à l’OMPI donnera lieu à une protection applicable sur le territoire de chacun des Etats désignés dans la demande de protection.
La protection est également limitée dans le temps. Elle est de 5 ans renouvelable, pour une durée maximale de 25 ans.
Chapitre II : Les atteintes au droit des dessins et modèles : la contrefaçon
Section 1 : Les actes constitutifs de contrefaçon
L’article L. 521-4 du Code de la propriété intellectuelle définit la contrefaçon comme « toute atteinte portée sciemment aux droits garantis par le droit des dessins et modèles ».
En vertu de ce texte, sont constitutifs d’actes de contrefaçon tous les actes de fabrication, d’offre, de mise sur le marché, d’importation ou d’exportation, ou encore d’utilisation du produit protégé par un dessin ou modèle.
La contrefaçon peut être réalisée par la reproduction à l’identique d’un dessin ou modèle protégé, ou par reproduction des éléments essentiels. La contrefaçon s’appréciera par les ressemblances et non par les différences. La qualification sera écartée si, à l’analyse du dessin ou modèle, celui-ci présente un aspect d’ensemble distinct.
La simple commercialisation des objets contrefaisants constitue un acte de contrefaçon. De même, le simple fait d’offrir à la vente ou d’exposer les objets ou public constitue un acte de contrefaçon.
La contrefaçon est un délit intentionnel en droit des dessins et modèles, ce qui n’est pas le cas de manière automatique pour les autres droits. Le texte pose en principe que l’atteinte doit avoir été portée sciemment aux droits d’un tiers. Il s’agit là d’une exigence supplémentaire qui fait que les cas de contrefaçon seront peut-être plus difficiles à sanctionner. Néanmoins, l’on considère que les actes qui sont commis postérieurement à la publication de l’enregistrement sont présumés avoir été accomplis sciemment, ce qui a pour effet de faciliter la preuve de la contrefaçon pour le titulaire du droit.
Section 2 : L’action en contrefaçon
La procédure peut débuter par une saisie contrefaçon, qui reste facultative.Cette action en contrefaçon est réservée au titulaire du droit ou à ses ayants causes. L’action peut être intentée devant les juridictions de droit commun (le Tribunal de grande instance), et elle peut faire l’objet d’un appel et d’un pourvoi en cassation.
Exemple :Affaire Chanel© et Worldtrico© s’agissant d’un chandail en mailles. La société Chanel© a été condamnée à verser 200 000€ de dommages-intérêts pour avoir copié un motif en mailles créé par le petit fabricant. Il s’agissait d’une copie servile d’un échantillon de modèle qui avait été proposé à Chanel©, et refusé par elle. La société Chanel© l’avait par la suite repris et commercialisé.
Examen
Exemples de questions :
- · La protection des médicaments ;
- · Les inventions portant sur le vivant ;
- · La contrariété à l’ordre public et aux bonnes mœurs en droit de la propriété industrielle ;
- · L’état de la technique et la nouveauté de l’invention ;
- · Les exceptions au principe de nouveauté en droit des brevets ;
- · Le concept d’activité inventive en droit des brevets ;
- · Les inventions de mission ;
- · Les inventions hors mission ;
- · La description en droit des brevets
- · Les limites au monopole du titulaire d’un brevet ;
- · La preuve de la contrefaçon en droit des brevets ;
- · L’action en contrefaçon en droit des brevets ;
- · Les signes susceptibles de constituer une marque ;
- · Le caractère distinctif du signe en droit des marques ;
- · La licéité du signe en droit des marques ;
- La disponibilité de la marque ;
- Les marques de renommée ;
- La parodie en droit des marques ;
- Les conditions de protection des dessins et modèles ;
[1] On en parle notamment en droit des affaires, avec les éléments constitutifs du fonds de commerce. Les signes distinctifs sont, par exemple, la dénomination sociale, l’enseigne, le nom commercial, mais également les appellations d’origine, les labels, etc.
[2] Dans le domaine végétal, il y a plusieurs degrés de similitudes, ce qui fait qu’il y a plusieurs niveaux : le niveau de la cellule, le niveau de la variété, le niveau de l’espèce. Une variété végétale est donc un ensemble de plantes qui présentent des caractéristiques communes.
[3] Ce sont les puces électroniques.
[4] OMPI = Organisation mondiale de la propriété industrielle, qui a plus de 180 pays signataires.
[5] OMC = Organisation mondiale du commerce.
[6] Il s’agit de l’hormone concernée dans l’affaire.
[7] Le principe de territorialité fait que le produit part d’un pays où la protection est accordée, vers un autre pays où elle ne l’est pas forcément.