Prorogation de compétence conventionnelle, légale ou judiciaire

L’aménagement des règles de compétence

Cet aménagement est possible dans certaines limites. En effet le législateur a parfois institué des règles de compétence dans un but d’intérêt général ou parfois dans un but d’intérêt privé. Pour répondre à ces deux exigences, le législateur peut admettre des aménagements de compétence mais dans certaines limites.

On distingue trois aménagements possibles : le législateur autorise les parties à saisir à titre principal une juridiction normalement incompétente sur le plan territorial ou d’attribution pour connaître de leur litige : c’est la prorogation conventionnelle. Ensuite le législateur autorise le juge à renvoyer un litige dont il est saisi à une autre juridiction qui normalement n’a pas compétence territorialement ou matériellement : c’est la prorogation judiciaire. Enfin, le législateur étend parfois la compétence d’un juge saisi régulièrement d’une demande principale à la connaissance de moyens de défense ou de demandes incidentes présentées à l’occasion du procès mais pour lesquelles il n’est pas normalement compétent : c’est la prorogation légale.

  • A) La prorogation judiciaire :

La compétence d’une juridiction est étendue dans des conditions définies par la loi à des causes étrangères à sa compétence normale par une simple décision émanant d’une autre juridiction. Tel est le cas lorsqu’une juridiction renvoie la connaissance d’une affaire à une autre juridiction. Ce renvoi judiciaire peut se décliner de trois manières :

– Renvoi après cassation ordonné par la Cour de Cassation

– Renvoi par une juridiction hiérarchiquement supérieure à une autre juridiction que celle initialement saisie pour cause de suspicion légitime ou de récusation : par exemple, un époux est dans une instance de séparation de biens avec sa femme, malheureusement pour lui, le président du tribunal qui doit trancher son affaire est son beau-frère…

– Renvoi ordonné par un juge qui statue sur sa compétence et estime que l’affaire relève de la compétence d’une autre juridiction qu’il désigne. Cette désignation va alors s’imposer aux parties et à la juridiction désignée.

  • B) La prorogation conventionnelle :

Il s’agit de la situation dans laquelle les parties s’accordent ab initio pour saisir une juridiction d’une demande principale à l’égard de laquelle elle n’est pas normalement compétente. Cette prorogation doit intervenir à la suite d’un accord entre les parties avant ou après la survenance du litige et peut prendre diverses formes. Ça peut être une clause attributive de compétence ou l’abstention du défendeur attrait devant la juridiction incompétente. En principe, il faut tout de même savoir que ces conventions sont nulles aussi bien sur le plan matériel que territorial mais il existe des exceptions dans les deux cas. En ce qui concerne la compétence d’attribution : on distingue en fonction du type de règles auxquelles la convention de compétence déroge. On considère que les clauses qui portent sur l’ordre de juridiction ou sur le degré de juridiction ne sont pas autorisées dès lors que les règles en jeu sont qualifiées d’ordre public. C’est ainsi qu’il est interdit de prévoir qu’une juridiction pénale sera compétente pour trancher un litige civil. Il est aussi interdit de convenir d’instaurer un double degré de juridiction là où la loi l’a interdit.

Les clauses portant sur la nature des juridictions, dans ce cas, la prorogation conventionnelle de la compétence d’une juridiction du premier degré au profit d’une autre juridiction de même degré est admise à la condition que la règle de compétence à laquelle il est dérogé ne soit pas d’ordre public. De cette règle, découlent plusieurs situations :

– Il est admis que les parties puissent proroger la compétence du TGI au détriment d’une autre juridiction dès lors que la matière litigieuse ne relève pas de la compétence d’ordre public de cette juridiction. Par exemple, le TGI peut très bien être saisi d’un litige commercial dès lors que la question n’entre pas dans la compétence exclusive du tribunal de commerce or on ne lui connaît que deux compétences exclusives en matière de litiges relatifs aux actes de commerce par la forme et en matière de procédures collectives. Ce qui signifie qu’en dehors de ces litiges le TGI peut connaître de tous les litiges relevant normalement du tribunal de commerce

– Les parties ne peuvent pas proroger la compétence d’une juridiction d’exception au détriment d’une autre juridiction d’exception. Cette règle s’applique que la matière relève ou non de la compétence exclusive. On ne pourra donc jamais demander à un tribunal de commerce de statuer en matière de contrat de travail. Toutefois, il existe quand même un cas de prorogation de compétence du tribunal de commerce au détriment du tribunal d’instance dans tous les actes mixtes. Cette exception tient au fait que la compétence va varier selon la partie qui prend l’initiative du procès. Si le demandeur est commerçant, il doit saisir le TGI ; si le défendeur est commerçant, le demandeur a une option de compétence.

– Régime particulier concernant la compétence respective du TGI et du tribunal d’instance en matière civile, personnelle ou mobilière. L’article 41 autorise les parties à donner compétence au tribunal qui a priori ne l’est pas par application des règles relatives au taux de compétence. Il faut remplir deux conditions : que les parties se soient mises d’accord et que le litige ne soit né qu’après leur accord. C’est ainsi que le tribunal d’instance pourra connaître d’un litige d’une valeur supérieure à 7600.

La prorogation conventionnelle peut aussi concerner la compétence territoriale, l’article 48 du nouveau code de procédure civile interdit toute clause qui déroge directement ou indirectement aux règles territoriales en alinéa réputant non écrite. Cette solution s’explique par la volonté de protéger le contractant le plus faible, par exemple, le consommateur adhérant à un contrat préétabli qui subirait en cas de conflit les frais de déplacement devant une juridiction éloignée. Néanmoins, à titre d’exception, l’article 48 admet la validité des clauses dérogatoires à la condition que la clause concerne deux parties ayant la qualité de commerçant, que la clause ait été passé dans l’intérêt de leur commerce et que la clause soit spécifiée dans l’engagement de manière apparente.

  • C) La prorogation légale :

Il est fréquent que des questions préalables se posent n’entrant pas dans la compétence de la juridiction saisie de la demande principale. Lorsque une juridiction est saisie d’une demande principale relevant de sa compétence, la question se pose de savoir si elle peut connaître d’une question accessoire posée dans un moyen de défense, dans une demande incidente, ou lors d’un incident de compétence qui de toutes les manières ne relève pas de sa compétence. La réponse tient compte de deux impératifs, d’une part, il faut éviter de morceler le procès et de perdre du temps. Ce qui commande d’étendre la compétence du juge saisi de la demande principale aux questions accessoires. D’un autre coté, il ne faut pas que cette extension permette à n’importe quelle juridiction de statuer sur n’importe quelle question. C’est en tenant compte de cette nécessite que le législateur a précisé les conditions et les limites de cette prorogation légale aux articles 49 à 51 du nouveau code de procédure civile. Le législateur a distingué plusieurs hypothèses :

– Pour les incidents de l’instance : l’article 50 prévoit qu’ils sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l’instance qu’ils affectent. Il semble donc que le juge devant lequel se déroule l’instance puisse statuer sur tous les incidents qui peuvent suspendre ou modifier l’instance pendante devant lui. Il peut s’agir d’un incident relatif à la preuve ou bien encore d’une interruption pure et simple dans des circonstances prévues par le code.

– En ce qui concerne les moyens de défense et les demandes incidentes : il parait souhaitable que le juge puisse connaître de tous ces points qui ne relèvent pas de sa compétence mais dont la solution préalable commande son jugement sur la demande principale. La loi a donc admis la prorogation de compétence mais elle l’a encadrée de manière différente selon qu’il s’agit de moyens de défense ou de demandes incidentes.

– En ce qui concerne la prorogation de compétence aux moyens de défense : l’article 49 a repris un adage selon lequel « le juge de l’action est le juge de l’exception ». Cet adage signifie que le juge de la demande initiale est aussi le juge de tous les moyens de défense qui sont soulevé devant lui par le défendeur. L’article 49 du nouveau code de procédure civile reprend cet adage dans des termes un peu plus modernes en disposant que toute juridiction saisie d’une demande de sa compétence connaît même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat de tous les moyens de défense. Cette solution est nécessaire d’un double point de vue : d’un point de vue pratique, elle permet d’éviter le morcellement du procès et surtout réduit le risque d’avoir des jugements contradictoires. D’un point de vue théorique, la solution est aussi nécessaire car une décision sur le bien-fondé d’une prétention ne peut être rendue qu’après examen des moyens de défense qui lui sont opposés et qui constituent des questions préalables. En principe, cette solution va s’appliquer à toutes les juridictions, qu’il s’agisse de juridictions de droit commun ou de juridictions d’exception. Néanmoins, l’article 49 a porté une limite à cette prorogation en réservant les moyens de défense qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction. Dans cette hypothèse, la question n’est plus dite préalable mais préjudicielle et à ce titre ne peut être tranchée que par la juridiction ayant compétence exclusive. Le juge saisi de la demande initiale doit donc surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction compétente ait statué sur cette question préjudicielle qui relève de sa compétence exclusive. En ce qui concerne ces questions préjudicielles, il en existe deux catégories, des questions préjudicielles générales, c’est-à-dire commune à toutes les juridictions de l’ordre judiciaire privé, elles concernent en fait tous les moyens de défense qui relèvent de la compétence exclusive d’une juridiction de l’ordre administratif, pénal ou bien encore de la cour de justice des communautés européennes. La deuxième catégorie, c’est tout simplement les questions préjudicielles spéciales qui se posent à l’intérieur de l’ordre civil, elles concernent des moyens de défense qui relèvent de la compétence exclusive d’une autre juridiction de l’ordre civil que celle saisie du procès. En principe, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la question préjudicielle relève de la compétence du TGI ou relève de la compétence exclusive d’une autre juridiction d’exception et soit présentée devant le TGI ou une autre juridiction. Il faut y apporter deux nuances, le tribunal d’instance peut connaître d’une question de nature immobilière pétitoire qui relève en principe de la compétence exclusive du TGI en vertu de l’article R.321-22 du code de l’organisation judiciaire ; la deuxième nuance à apporter, c’est que si les compétences spéciales du TGI sont toutes exclusives, il n’en va pas de même des compétences spéciales des juridictions d’exception et à chaque compétence spéciale, il faudra vérifier si en plus, elle est exclusive ou pas.

– En ce qui concerne la prorogation de compétence aux demandes incidentes : l’article 51 opère une distinction entre le TGI et les juridictions d’exception. En ce qui concerne le TGI : le principe est qu’il peut connaître de toutes les demandes incidentes qui ne rentrent pas dans la compétence exclusive d’une autre juridiction. En effet, l’article 51 pose un principe de prorogation légale de la compétence de ce TGI. En ce qui concerne les juridictions d’exception, elles ne peuvent connaître que des demandes incidentes entrant dans leur compétence d’attribution. Le principe ici est celui d’une absence de prorogation légale de compétence d’attribution puisque la juridiction d’exception ne pourra statuer sur la demande incidente que si elle entre dans sa compétence d’attribution. Par contre, en ce qui concerne la compétence territoriale, il n’y a aucun souci, les prorogations légales sont totalement possibles.