Le régime de protection des droits et libertés en temps normal

La protection des droits et libertés en temps normal

En temps normal, les droits et libertés bénéficient d’une protection qui repose sur des principes largement inspirés des régimes libéraux. L’objectif est de garantir un équilibre entre liberté individuelle et ordre public, tout en limitant l’intervention des pouvoirs publics. Cette gestion repose sur plusieurs régimes juridiques :

  • le système répressif, qui fait de la liberté la règle et de l’interdiction l’exception ;
  • le régime préventif, qui conditionne l’exercice des droits à des autorisations ;
  • et le système de déclaration préalable, qui impose une obligation d’information sans restreindre fondamentalement les libertés. Chacun de ces régimes reflète des degrés variés de contrôle et de liberté, révélant la diversité des approches dans la gestion des droits en temps normal.

En temps de crise : Nous avons étudié la protection des droits et libertés en temps de crise sous ce lien

1. Le système répressif : la liberté comme principe

Le système répressif repose sur le principe selon lequel tout est permis, sauf ce qui est explicitement interdit. Cette approche, caractéristique d’un régime libéral, garantit un degré élevé de liberté individuelle, tout en établissant des mécanismes pour sanctionner les abus.

A. Une liberté encadrée par la loi

Dans ce système, la liberté est la règle, et seuls les comportements érigés en infractions par la loi sont punis. Cela implique que :

  • Une personne peut agir librement tant qu’elle ne viole pas une interdiction légale.
  • Seules les infractions définies de manière claire et précise peuvent donner lieu à des sanctions.
  • Exemple typique : La liberté de la presse en France, régie par la loi de 1881, est absolue, mais les journalistes peuvent être poursuivis pour diffamation ou publication d’informations contraires à la loi.

B. Les garanties d’un système libéral

Pour que ce système reste authentiquement libéral, plusieurs principes doivent être respectés :

  1. Définition précise des infractions : Une ambiguïté dans la définition des comportements interdits ouvre la porte à des abus ou à une application arbitraire de la loi.
  2. Proportionnalité des sanctions : Les peines doivent être adaptées à la gravité de la faute commise. Les interdictions générales et absolues sont jugées illégales, car elles ne respectent pas ce principe.
    • Exemple : Les pouvoirs de police ne peuvent sur-dimensionner leurs décisions pour garantir un résultat. Ils doivent ajuster leurs actions à l’objectif visé.
  3. Qualité de la procédure :
    • Respect de la présomption d’innocence.
    • Protection des droits de la défense, notamment à travers le principe du contradictoire, qui garantit que toute personne poursuivie puisse se défendre de manière équitable.

C. Une pratique dépendante des intentions des pouvoirs publics

Bien que fondé sur une essence libérale, le système répressif peut varier selon la volonté des pouvoirs publics de préserver ce caractère. Dans les régimes totalitaires, où presque tous les comportements sont interdits ou contrôlés, la liberté est considérablement réduite. Par contraste, les sociétés occidentales modernes, souvent qualifiées de libérales, montrent une intervention publique significative, limitant parfois le caractère authentiquement libéral de ce système.

Le système répressif constitue donc le cadre le plus respectueux des libertés en temps normal, à condition que ses garanties fondamentales soient scrupuleusement respectées.

D. Exemple d’application du régime répressif :

  • Liberté de la presse. Affaire Charlie Hebdo (2015) : La liberté de la presse, protégée par la loi de 1881, a été réaffirmée après les attentats contre le journal satirique. Bien que des limites existent (ex. : incitation à la haine, diffamation), l’État a rappelé l’importance de cette liberté comme pilier démocratique.
  • Liberté d’expression en ligne : Affaire des « Fake news » et loi de 2018 : Cette loi vise à lutter contre la désinformation en période électorale, tout en restant compatible avec la liberté d’expression. Le Conseil constitutionnel a validé la loi, à condition que les restrictions soient strictement proportionnées.
  • Proportionnalité des sanctions : CE, 2022, Affaire de l’interdiction de spectacles de Dieudonné : Le Conseil d’État a rappelé que les interdictions doivent être justifiées par un trouble avéré à l’ordre public, conformément à la jurisprudence CE, 1933, Benjamin.

2. Le régime préventif : l’autorisation comme condition préalable

Le régime préventif s’oppose au système répressif en inversant le principe fondamental : l’interdiction devient la règle, et la liberté est l’exception, conditionnée à une autorisation préalable. Ce régime est plus restrictif et limite significativement l’exercice spontané des droits et libertés.

A. L’autorisation préalable : une liberté sous condition

Dans ce cadre, un droit soumis à autorisation n’est plus une véritable liberté, car son exercice dépend de l’intervention des pouvoirs publics. Cela signifie que les citoyens ne peuvent agir librement sans approbation préalable.

  • Exemples courants :
    • Permis de conduire ou passeport, qui conditionnent la possibilité de conduire ou de voyager.
    • Permis de construire, requis malgré la propriété d’un terrain, pour s’assurer de la conformité avec les règles d’urbanisme.
    • Réglementation de secteurs professionnels comme la télévision, la radio, ou le cinéma, soumis à des autorisations spéciales.
  • Autorisation tacite : Pour assouplir ce régime, la législation moderne prévoit parfois une autorisation tacite. Si l’administration reste silencieuse pendant un délai donné, l’autorisation est réputée accordée. Ce mécanisme vise à limiter l’arbitraire et à éviter des blocages injustifiés.

B. L’interdiction : un contrôle fondé sur la proportionnalité

Dans certains cas, les pouvoirs publics peuvent imposer une interdiction pour prévenir une menace à l’ordre public. Cependant, cette décision doit être strictement proportionnée au risque identifié.

  • Principe de proportionnalité :
    • Les mesures prises doivent être adaptées, nécessaires, et ne pas aller au-delà de ce qui est requis pour répondre à la menace.
    • Exemple : CE, 1933, Benjamin, où une interdiction de réunion a été jugée légale car proportionnée au risque de trouble à l’ordre public.
  • Garanties liées à l’interdiction :
    • Les forces de police doivent veiller à ne pas compromettre indûment les libertés publiques.
    • Par exemple, une manifestation, bien qu’assujettie à une déclaration préalable, ne peut être interdite que si le maintien de l’ordre est impossible à garantir par les forces de police.

C. Un régime par nature restrictif

Le régime préventif est qualifié de liberticide, car il réduit les possibilités d’action spontanée des citoyens. Bien qu’il puisse être justifié pour préserver l’ordre public, il doit rester l’exception dans une société libérale.

En somme, le régime préventif, en subordonnant la liberté à des autorisations préalables ou à des interdictions, constitue un cadre de contrôle strict. Cependant, les garanties juridiques, comme le principe de proportionnalité et les mécanismes d’autorisation tacite, limitent ses excès et visent à préserver un équilibre entre contrôle et liberté.

D. Exemples d’application du régime préventif :

  • Permis de construire : Exemple des éoliennes en France (2020-2023) :
    La réglementation impose une autorisation préalable pour leur installation. Les refus basés sur des critères environnementaux ou paysagers montrent la tension entre liberté économique et protection de l’environnement.
  • Régulation des secteurs sensibles. Loi anti-piratage numérique (HADOPI, 2009) :
    Les plateformes de diffusion doivent obtenir des autorisations pour opérer légalement, illustrant un contrôle préventif visant à protéger les droits d’auteur.
  • Interdictions préventives de manifestations écologistes (2022-2023) :
    Certaines manifestations, comme celles contre les mégabassines, ont été interdites en raison de risques présumés pour l’ordre public. Le Conseil d’État a validé certaines décisions, tout en rappelant que l’interdiction doit être proportionnée et justifiée.

3. Le système de la déclaration préalable : une liberté sous contrôle

Le système de la déclaration préalable se situe entre le régime répressif et le régime préventif. Contrairement à une autorisation préalable, il permet une véritable liberté, mais son exercice est soumis à une obligation d’information des pouvoirs publics. Ce mécanisme vise à concilier liberté individuelle et contrôle nécessaire pour maintenir l’ordre public.

A. Une liberté conditionnée à l’information préalable

La déclaration préalable impose à l’individu ou au groupe d’informer les autorités de son intention d’exercer une liberté. Cela n’équivaut pas à demander une autorisation, car l’administration ne peut, en principe, refuser l’exercice du droit déclaré.

  • Caractéristiques principales :
    • Une liberté authentique, mais soumise à une formalité administrative.
    • Les autorités publiques doivent être informées pour surveiller, ou éventuellement encadrer, l’exercice de cette liberté.
    • Exemple : Une manifestation ne nécessite pas d’autorisation, mais une déclaration préalable auprès des autorités compétentes.

B. Domaines d’application du système de déclaration

La déclaration préalable s’applique à plusieurs libertés importantes :

  1. Création d’associations :
    • La déclaration préalable permet d’enregistrer l’association auprès des autorités compétentes.
    • L’administration est obligée de délivrer un récépissé confirmant la déclaration.
  2. Manifestations publiques :
    • Les organisateurs doivent déposer une déclaration, mais ils n’ont pas besoin d’une autorisation.
    • Une interdiction ne peut intervenir que si les forces de l’ordre prouvent leur incapacité à maintenir l’ordre public.
  3. Publication de journaux périodiques :
    • Une déclaration est requise avant toute diffusion, garantissant ainsi un cadre légal à l’exercice de la liberté de la presse.

Exemples d’application :

  • Manifestations publiques : Mouvements sociaux en France (2019-2023) :
    Les manifestations des Gilets jaunes et contre la réforme des retraites ont suivi un système de déclaration préalable. Certaines interdictions locales ont été annulées par le juge administratif, qui a jugé les restrictions disproportionnées.
  • Publication et diffusion de presse. Régulation des médias audiovisuels (loi de 1986) :
    Les diffuseurs doivent effectuer une déclaration préalable auprès du CSA (devenu ARCOM en 2022). Ce cadre assure une liberté de communication encadrée par des obligations de pluralisme et de respect de la loi.
  • Création d’association. Exemple des associations anti-racistes (SOS Racisme, 1984) :
    Leur création suit un régime de déclaration, garantissant leur liberté d’exister sans nécessiter une autorisation, tout en permettant un suivi administratif.

C. Objectifs de la déclaration préalable

L’objectif de ce système est de permettre aux pouvoirs publics de disposer des informations nécessaires pour garantir l’ordre public. Ils peuvent ainsi, le cas échéant :

  • Interdire l’action prévue, si elle menace gravement l’ordre public.
  • Surveiller les conditions d’exécution pour prévenir ou réprimer les infractions éventuelles.

D. Un compromis entre liberté et contrôle

La déclaration préalable garantit une véritable liberté, tout en offrant aux autorités un outil de régulation. Cependant, elle nécessite que l’administration respecte ses obligations, comme la délivrance du récépissé, et qu’elle ne dépasse pas ses prérogatives.

En conclusion, le système de déclaration préalable constitue un cadre équilibré, où la liberté est respectée tout en assurant un contrôle minimal des autorités publiques. Ce régime est un exemple de gestion libérale des droits et libertés, qui limite les excès de la réglementation tout en maintenant un ordre public compatible avec la démocratie.

 

Résumé : En temps normal, les droits et libertés bénéficient de protections variées selon le régime appliqué :

  • Le système répressif garantit une large liberté, sous réserve de sanctions pour abus.
  • Le régime préventif limite les libertés par des autorisations, parfois perçues comme liberticides.
  • Le système de déclaration préalable assure une liberté encadrée par des contrôles légers.

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