La protection du logement de la famille

la protection du logement de la famille

L’article 215 commence par poser en règle que la résidence de la famille est choisie d’un commun accord par les deux époux et que c’est au fond une conséquence de l’obligation de communauté de vie qui existe entre eux.

Prolongeant ces règles d’ordre personnel, l’article 215 al 3 qui est un texte très important, et qui est une innovation remarquable de la loi du 13 juillet 1965, prévoit que les époux ne peuvent pas conclure seuls des actes qui priveraient le ménage du logement dans lequel il vit.

Plus précisément, ce texte interdit à chaque époux agissant seul de disposer des droits qui assurent le logement de la famille

Un époux ne peut pas seul disposer des droits qui assurent le logement de la famille

Et cela est prolongé par une 2e interdiction, l’interdiction de disposer des meubles meublants, c’est-à-dire un mobilier qui garnit le logement de la famille.

La loi veut réserver le cadre de vie des époux, éviter des actions unilatérales égoïstes d’un époux qui pourrait compromettre cet élément essentiel de stabilité qu’est le logement de la famille.

C’est donc une règle de cogestion qui est introduite : il faut une codécision des époux. Et le consentement du conjoint, des deux époux, doit être certain.

La jurisprudence a précisé que cela ne voulait pas dire forcément par écrit, mais il faut qu’il n’y ait pas d’équivoque sur l’accord des deux époux

Et pour des raisons de preuve, il est souhaitable que cet accord soit donné par écrit.

Cela étant, nous allons voir dans un §1 l’interdiction de disposer seul du logement et dans un §2 les sanctions qui sont énergiques et qui assurent l’effectivité de cette règle, qui est sont la nullité des actes irréguliers.

I Interdiction de disposer seul du logement et des meubles meublants

= article 215 al 3.

A Interdiction de disposer du logement

On examinera en 1er lieu la notion de logement avant d’étudier la notion de logement familial puis la règle qui a donné lieu à un contentieux assez important.

1 Notion de logement familial

C’est une notion concrète : il faut et il suffit qu’un local quelconque soit affecté au logement de la famille. Cela s’entend de la résidence principale, une secondaire n’est pas visée par l’article 215 al 3, opinion de la doctrine consacré par la jurisprudence : 19 octobre 1999 1ère Civ.

Pour essayer de préciser les choses, il convient de rapprocher le logement de la famille de la notion de domicile.

Aujourd’hui les époux peuvent avoir des domiciles distincts, notamment pour des raisons professionnelles. Mais l’article 108 du Code civil dit qu’il n’est pas pour autant être porté atteinte à la communauté de vie. Donc si les époux sont amenés à avoir des domiciles distincts, cela n’exclut pas qu’il doit y avoir une résidence de la famille où ils se retrouvent avec leurs enfants et qui constitue la résidence principale de la famille. C’est celle-là qui est protégée par l’article 215.

Peu importe le type de local. On parle encore aujourd’hui de domicile conjugal, ce qui crée la confusion parfois. Quand on parle de domicile conjugal aujourd’hui, on vise la résidence de la famille et non le domicile au sens juridique du terme.

Cas particulier = lorsqu’un époux habite un logement de fonction et y installe sa famille. La Cour de cassation, le 4 octobre 1983 a décidé que l’article 215 ne s’appliquait pas au logement de fonction et qu’il peut y avoir des exigences propres à la profession qui peuvent obliger à libérer le logement de fonction, sans l’accord du conjoint (empiètement sinon sur la vie professionnelle).

2 Peu importe la nature du droit qui assure le logement de la famille

Ce peut être un droit de propriété, un usufruit, un droit de bail…

Le cas le plus fréquent est lorsque les époux sont locataires ou propriétaires.

Droit de propriété :

La règle de l’article 215 apparaît inégalement originale : s’il s’agit d’un immeuble commun, l’article 215 exige le consentement du conjoint pour disposer de ce logement, cette règle de cogestion rejoint la règle du régime matrimonial proprement dit de la communauté. En revanche, l’article 215 déroge à la règle du régime matrimonial lorsque le logement de la famille est assuré par un bien propre ou personnel à cet époux dans un régime de séparation de biens. Si ce bien est un immeuble, l’article 215 prime et l’époux ne peut pas en disposer sans l’accord de son conjoint. Il apparaît que le bien propre d’un époux est au fond grevé d’une affectation familiale qui affecte son régime juridique.

Droit de bail :

Il faut relever que l’article 215 fait dans une certaine mesure double emploi avec un texte en matière de bail qui est l’article 1751 qui prévoit que le droit au bail qui assure l’habitation effective de la famille, les époux en sont cotitulaires, copreneurs quel que soit le régime matrimonial, quelle que soit la date de conclusion du bail, dès qu’il assure le logement de la famille.

Ce texte conduit à la cogestion. L’article 215 paraît alors inutile, mais en réalité, ce n’est pas le cas car l’article 215 conserve un intérêt notamment parce que son domaine d’application n’est pas le même que celui de l’article 1751 qui vise une habitation ou un droit au bail qui assure effectivement et exclusivement le logement de la famille (pas les locaux mixtes).

3 Précisions sur la portée de cette interdiction d’agir seul qui est faite à chaque époux

La formule de l’article 215 al 3 fait l’objet d’une interprétation large par la jurisprudence qui interdit tous les actes de dispositions qui ont pour effet de priver la famille de son logement. Cela vise bien sûr la vente du logement, cela interdit aussi en principe la licitation ou encore de constituer, mettre en gage, hypothéquer l’immeuble qui constitue le logement de la famille.

La constitution d’une hypothèque conventionnelle est interdite à un époux agissant seul.

La jurisprudence a décidé que si l’hypothèque conventionnelle était interdite, l’hypothèque judiciaire, inscrite à la demande des créanciers n’était pas prohibée car là c’est l’exercice par le créancier d’une prérogative légale.

Enfin, l’article 215 interdit de céder ou renoncer au droit qui assure le logement de la famille (l’un des époux ne peut par exemple céder ou renoncer au droit au bail).

Pour qu’un acte soit interdit il suffit qu’il risque de priver la famille de son logement c’est pourquoi une vente avec réserve d’usufruit stipulée au profit du conjoint est possible.

En revanche, s’il s’était seulement réservé un droit au bail qui est plus précaire, l’acte aurait été interdit par l’article 215.

L’article 215 interdit à un époux de donner un mandat de vendre à un agent immobilier si le pouvoir conféré lui permet de traiter au nom de l’époux propriétaire car cela suppose l’accord des deux époux.

Il y a donc une interprétation large du texte.

Des arrêts récents ont encore donnée une interprétation plus large à l’article 215 pour la formule disposer des droits qui assurent le logement de la famille : il ne s’agissait pas simplement de disposer d’un droit de propriété ou d’un droit au bail mais la Cour de cassation est allée plus loin :

Applique l’article 215 au contrat d’assurance qui garantit le logement de la famille. Le mari ne pouvait résilier le contrat d’assurance qui garantissait ce logement. L’assureur qui accepte une résiliation de ce type de contrat par un seul époux reste tenu à garantie. = 2ème Civ 10 mars 2004. Bull Civ 2ème partie n° 100 Droit famille 2004 n°64.

Application à un simple droit d’usage: 1ère Civ. du 20 janvier 2004. Dalloz 2004 p 2178. Un époux était nu propriétaire d’un immeuble, sa mère était usufruitière et avait conféré à son fils un droit d’usage. Le fils avait hypothéqué l’immeuble pour obtenir un prêt. L’arrêt décide que l’hypothèque est nulle par application de l’article 215. Monsieur Bicheron propose comme explication que l’hypothèque en l’espèce risque de priver la famille de son logement dans la mesure où son mari nu propriétaire devait devenir plein propriétaire lors du décès de l’usufruitière qui était âgée. En hypothéquant, il a renoncé à la consolidation du droit d’usage qui protégeait le logement de la famille. Alors l’article 215 interdirait de disposer d’un droit futur, éventuel qui consoliderait le droit d’usage qui au moment de l’acte assurait le logement de la famille.

Cette interprétation large connaît deux limites importantes :

On ne peut pas utiliser l’article 215 pour limiter les droits des créanciers, empêcher un créancier de saisir le logement de la famille. Le logement est indisponible mais non insaisissable. Un époux contracte une dette qui peut entraîner la saisie du logement de la famille. On s’est demandé si en raison de ce risque de saisie (car contracter une dette est une sorte d’aliénation virtuelle), il fallait considérer que le gage du créancier ne pourrait inclure le logement de la famille que si l’autre époux avait donné son consentement au moment de la naissance de la dette ? Non a admis la Cour de cassation : 21 juin 1978 et 4 juillet 1978 Dalloz 1979 p 479, 18 juin 1985 Dalloz 86 p 485. Faits : un mari se porte caution au profit de son frère en faisant valoir auprès de la banque qu’il était propriétaire d’un immeuble commun qui servait au logement de la famille, dont le montant était sensiblement celui de la créance. La banque a voulu saisir le logement de la famille en exécution de la dette contractée par le mari. La Cour de cassation a affirmé que l’article 215 n’avait pas pour effet de rendre insaisissable le logement de la famille. Cela se justifie par le fait que l’article 215 vise des actes positifs, délibérés comme une acte de disposition du logement de la famille et n’a pas pour objet d’empêcher les créanciers de faire valoir leurs droits. Faire jouer l’article 215 étendrait considérablement le domaine de la cogestion puisqu’il faudrait systématiquement l’accord des deux. Tempérament = réserve de la fraude qui entraîne la nullité ou inopposabilité de la dette de l’engagement au conjoint. Les conditions en sont assez strictes: il faut une intention frauduleuse, la conscience d’exposer le logement à un risque de saisie et démontrer un concert frauduleux c’est à dire que le cocontractant était au courant de la situation et qu’il s’est fait plus ou moins complice de l’époux qui a contracté cette dette. Dans l’arrêt de 1978, il a été admis qu’il y avait cette intention frauduleuse et que la dette de l’époux ne pouvait pas porter sur un immeuble commun constituant le logement de la famille. La protection du logement de la famille n’est donc pas sans faille. Mais le législateur ne veut pas prévoir l’insaisissabilité du logement de la famille. Le législateur a donné une solution partielle et indirecte qui ne joue que dans le régime de communauté qui est le plus fréquent = article 1415 qui prévoit qu’en cas d’emprunt ou de cautionnement, le créancier n’a comme gage que les biens propres et les revenus de l’époux qui se porte caution, il ne peut pas saisir des biens communs en capital. En revanche, la jurisprudence affirmée dans les années 78-79 demeure lorsque le logement est assuré par un bien propre. Les dettes de cet époux sont exécutoires sur ce bien. Il en va de même pour toutes les dettes qui ne résultent ni d’un emprunt ni d’un cautionnement. L’article 215 ne fait pas obstacle à la vente forcée du logement de la famille.

Interdiction des actes gratuits notamment par testament.

Les droits des créanciers ont été récemment limités par un texte particulier qui interfère avec la matière = loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique dont l’idée est de protéger l’entrepreneur individuel en lui permettant de rendre insaisissable sa résidence principale = article L 526-1 et suivants qui prévoit que par dérogation au droit de gage classique, l’entrepreneur peut faire déclarer insaisissables sa résidence principale.

Ce texte peut intéresser tout membre de profession libérale, agriculteur, artisan…

Ce mécanisme peut interférer avec l’article 215 si c’est un entrepreneur marié. Mais les conditions sont strictes :

il faut faire une déclaration d’insaisissabilité qui ne protège que contre les dettes professionnelles y compris les dettes fiscales et il faut que l’entrepreneur soit titulaire d’un droit réel portant sur un immeuble commun

il faut un acte notarié car il faut une publicité de cette déclaration et notamment à la conservation des hypothèques.

Ne joue que pour les dettes professionnelles.

L’entrepreneur individuel peut renoncer à cette insaisissabilité globalement.

La protection est donc relativement faible et malgré tout ce mécanisme peut jouer mais il peut constituer un obstacle à la saisie du logement de la famille.

Seconde limite = l’article 215 ne s’applique pas aux actes de dispositions à cause de mort: la jurisprudence a été fixée par un arrêt de la 1ère Civ. du 22 octobre 1974 (Dalloz 1975 p645).

Un mari avait légué à son frère la propriété de l’appartement dans lequel les époux avaient leur logement au jour de son décès. On s’est demandé si la veuve pouvait invoquer l’article 215 pour se protéger. La Cour de cassation a dit que non car c’est une libéralité à cause de mort, un testament. Cela s’explique car la restriction des pouvoirs qu’implique l’article 215 est un effet du mariage et cesse avec le mariage et parce que la solution contraire porterait atteinte à la liberté de tester, de disposer à titre gratuit de ses biens. Donc la solution jurisprudentielle paraît fondée en droit, mais elle est sévère pour le conjoint survivant et n’est pas en harmonie avec certaines tendances du droit contemporain. La solution serait de réformer le droit des successions pour protéger le conjoint survivant.

La loi du 3 décembre 2001 a tempéré ce que la solution avait de trop rigoureux et a voulu garantir au conjoint survivant la jouissance du logement familial par un dispositif qui tient du droit des successions et des régimes matrimoniaux. Cette loi prévoit un droit de jouissance temporaire du logement et du mobilier pour le conjoint survivant pendant un an.

Quand le logement était assuré par un droit de propriété, le conjoint a la jouissance gratuite de ce logement avec le mobilier qui le garnit. C’est alors un bien indivis.

Quand le logement était assuré par un bail, c’est l’article 763 du Code civil qui prévoit que pendant un an, les loyers seront remboursés pendant un an au conjoint survivant par la succession, de plus, le conjoint survivant cotitulaire du droit de bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément = article 1751 du Code civil.

Quelle est la nature de ce droit temporaire ? Ce n’est pas un droit successoral mais un droit de créance contre la succession. Le conjoint agit comme un créancier et non comme un héritier. On peut remarquer que l’al 3 de l’article 763 qui crée ce droit dispose que ces droits sont réputés effets directs du mariage et non droits successoraux. Ainsi, ce texte, bien que figurant dans le titre des successions est en réalité un partie du régime primaire, avec un effet après décès du mariage. Cela correspond à l’idée que les devoirs du mariage peuvent se prolonger après le décès. L’article 763 al 4 prévoit que ce droit temporaire joue automatiquement et c’est une disposition d’ordre public dont un époux ne peut pas priver par testament son conjoint de ce droit privé au logement.

La question est que va-t-il se passer au bout d’un an ?

Le conjoint a le droit viager au logement qui prolonge le droit temporaire et est prévu par les articles 764 à 766, droit successoral. Le problème se pose lorsque le conjoint est en indivision sur ce bien avec d’autres héritiers. Une demande de partage pourrait le priver de son logement c’est pourquoi la loi prévoit un droit viager et les conditions pour que ce droit soit reconnu sont :

si le logement de la famille dépend en propriété de la succession, le conjoint a sur ce logement jusqu’à son décès un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier qui le garnit.

Si les époux étaient locataires, c’est l’al 3 de l’article 1751 qui s’applique qui prévoit que l’époux restant cotitulaire du bail reste seul titulaire du bail.

La protection se poursuit par un droit viager qui est différent en fonction de la nature du droit, mais à la différence du droit temporaire, la protection ici n’est pas absolue car le conjoint survivant n’est pas un héritier réservataire et il est possible de la priver de ce droit viager mais il faut le faire avec une solennité particulière, par un testament authentique c’est à dire notarié.

Ce droit viager qui n’est pas absolu est un droit de nature successorale, il est reconnu au conjoint survivant en tant qu’héritier et d’ailleurs, la valeur vénale, patrimoniale de ce droit s’impute en déduction sur la valeur des droits successoraux du conjoint survivant.

Pour le reste, l’époux propriétaire du logement de la famille peut en disposer à cause de mort, mais aujourd’hui, il faudra composer avec le dispositif de la loi de 2001 et notamment respecter le droit temporaire au logement qui vaut pour une durée d’une année.

B Interdiction de disposer des meubles meublants garnissant le logement de la famille

L’article 215 s’applique aux meubles meublants (mobilier). L’efficacité de cette règle est renforcée par le fait que la présomption de pouvoir ne s’applique pas (article 222) aux meubles qui garnissent le logement de la famille.

Si l’époux dispose seul de biens meubles garnissant le logement de la famille, même l’acquéreur de bonne foi ne sera pas protégé par l’article 2279. Ce n’est pas un défaut de propriété mais de pouvoir. Cela conduit à examiner les sanctions de l’article 215.

II Les sanctions de l’interdiction de disposer seul du logement et du mobilier

C’est la nullité de l’acte de disposition irrégulier. Il faut que le conjoint ait consenti à l’acte et pour une vente qu’il ait consenti aux modalités principales (comme le prix de vente) sinon, l’acte est annulable, seul peut agir l’époux qui n’a pas donné son consentement. C’est une nullité relative. En même temps, c’est une nullité de droit, le juge n’a pas de pouvoir d’appréciation. Cette annulation produit effet à l’égard du tiers cocontractant par exemple celui qui a acquis le logement d’un seul époux et peu importe que ce tiers soit de bonne foi. Pour les meubles, l’article 2279 est aussi écarté.

Le tiers acquéreur évincé peut-il demander des DI, exercer un recours en garantie contre l’époux qui a vendu irrégulièrement ?

La jurisprudence n’admet pas ce recours = 1ère Civ. 11 octobre 1989 : la promesse de porte fort. Il serait contraire à l’esprit du texte. On veut que la règle de cogestion joue pleinement or ce serait un moyen de la tourner.

Délai de l’action : dans l’année du jour où le demandeur a eu connaissance de l’acte. Le texte précise que l’action ne peut pas être intenté plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial.

Pour les immeubles communs, il faut combiner l’article avec l’article 1427, alors le délai est de 2 ans.