L’obtention de la protection des dessins et modèles
Les termes « dessins » et « modèles » ne sont pas définis de façon très concrète par le Code de la propriété intellectuelle.
L’on admet aujourd’hui que :
- · Les dessins :ils sont constitués par toute disposition de traits ou de couleurs représentant des images ayant un sens déterminé ;
- · Les modèles :ce sont toutes formes plastiques, ou figures à trois dimensions.
L’article L. 511-1, alinéa 1erdu Code de la propriété intellectuelledéfinit les dessins et modèles comme l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit caractérisé en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Il ajoute que ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation.
Il y a eu un contentieux entre Louboutin© et Yves-Saint-Laurent©, dans lequel Yves-Saint-Laurent© a été condamné à ne pas produire de chaussures avec des semelles rouges, sauf si la chaussure est elle-même rouge. Il aurait été possible d’imaginer que l’on puisse revendiquer un droit sur les dessins et modèles et un droit d’auteur.
Le Code de la propriété intellectuelle précise également qu’est regardé comme un produit tout objet industriel ou artisanal, notamment les pièces conçues pour être assemblées en un produit complexe, les emballages, les présentations, les symboles graphiques, et les caractères typographiques, à l’exclusion des programmes d’ordinateur.
De la combinaison des différentes dispositions de ce texte, il résulte une définition plus précise du dessin ou modèle, qui peut être considéré de manière plus globale comme l’apparence d’un objet industriel ou artisanal, ou d’une partie de cet objet.
Comme tout système de propriété intellectuelle, le droit des dessins et modèles obéit à des conditions (Chapitre I), mais aussi à une procédure spécifique (Chapitre II).
Chapitre I : Les conditions de la protection des dessins et modèles
Conformément à l’article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle, pour pouvoir invoquer la protection par le régime des dessins et modèles, le titulaire doit présenter une création nouvelle (Section 1) dotée d’un caractère propre (Section 2) et visible, dont la forme est distincte de sa fonction utilitaire (Section 4). S’ajoute à cela qu’il doit également être licite (Section 3).
L’article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée,aucun dessin ou modèle n’a été divulgué.
- 1 : Définition
Longtemps il a existé une confusion, notamment en jurisprudence, entre l’exigence de nouveauté du droit des dessins et modèleset la condition d’originalité du droit d’auteur. Ainsi, par exemple, la Cour de cassation a pu approuver une Cour d’appel d’avoir refusé le bénéfice du droit d’auteur à un dessin, au motif qu’il ne constituait qu’une composition banale et courante et ne présentait de ce fait aucun caractère de nouveauté.
De la même manière, la Haute juridiction refusait de reconnaitre le caractère de nouveauté à un modèle alors qu’il n’est pas établi que le modèle exprimait la personnalité de l’auteur et résultait d’un effort de création. Elle renvoie ici à ce qui correspond à la condition d’originalité, alors qu’elle aurait dû se référer à la condition de nouveauté. Il y a donc eu une confusion dans les deux sens.
L’article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle ne fait pas référence à une condition subjective qui impliquerait de se pencher sur la personnalité de l’auteur, mais pose une condition objective de nouveauté qui suppose l’absence de divulgation antérieure.
- 2 : Notion de divulgation
La divulgation est de nature à détruire la nouveauté. Elle obéit à un principe (A), qui connaît des exceptions (B).
- Principe
La nouveauté exigée pour permettre une protection par le droit des dessins et modèles est détruite par l’art antérieur. L’art antérieur est composé de tout ce qui a été divulgué avant la date de dépôt. On est sur une même logique que celle qui anime le droit des brevets.
L’article L. 511-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué s’il a été rendu accessible au public par une publication, un usage, ou tout autre moyen. Cette divulgation destructrice de nouveauté peut être le fait de toute personne, y compris de l’auteur du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée. La nouveauté est donc une nouveauté absolue.
- Exceptions à la divulgation
L’article L. 511-6 du Code de la propriété intellectuelle prévoit des hypothèses dans lesquelles la divulgation ne sera pas destructrice de nouveauté.
Ainsi, la divulgation est indifférente lorsqu’elle a été réalisée dans certaines conditions, notamment :
- Lorsque le dessin ou modèle n’a pu être raisonnablement connu selon la pratique courante des affaires dans le secteur intéressé par des professionnels du secteur considéré : la référence qui est faite dans le Code de la propriété intellectuelle peut être assez étonnante, dans la mesure où le texte vise « les professionnels agissant dans la Communauté européenne ». Cette référence a été introduite en 2001 suite à la création des dessins et modèles communautaires. Ici, c’est la référence à un professionnel qui agit dans le cadre de l’Union Européenne ;
Le fait de conditionner la divulgation à une connaissance par des professionnels agissant dans la Communauté européenne constitue une différence importante avec le droit des brevets, et conduit à considérer que l’état de la technique est géographiquement moins large. C’est une vision qui tempère de manière assez nette le caractère absolu de la nouveauté.
- Lorsque le dessin ou modèle dont la protection est demandée a été divulgué à un tiers sous conditions explicites ou implicites de secret : c’est une exception appréciable ;
- Lorsqu’elle a lieu dans le délai de grâce des 12 mois précédant la demande de dépôt : toutefois, pour que cette exception puisse jouer, il faut que le dessin ou modèle ait été divulgué d’une part, par le créateur ou son ayant-cause, ou par un tiers à partir d’informations fournies, ou d’actes accomplis par le créateur, et d’autre part, à la suite d’un comportement abusif à l’encontre du créateur ou de son ayant cause.
Section 2 : Le caractère propre
La protection des dessins et modèles est conditionnée par l’article L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle,qui pose l’exigence d’un caractère propre, lequel suppose que l’objet suscite chez un observateur averti une impression visuelle d’ensemble distincte de celle produite par les dessins ou modèles. Cette exigence est bien distincte de celle de l’originalité de la création au sens artistique du terme, c’est-à-dire au sens du droit d’auteur, et l’analyse du caractère propre suppose une observation objective de la création.
è C’est donc le sentiment d’ensemble suggéré par l’objet qui est apprécié.
Pour ce faire, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle. Cela signifie que, même s’il n’y a aucune antériorité destructrice de nouveauté, un dessin ou modèle ne pourra recevoir la protection du régime spécial, dès lors qu’il produit cette impression d’ensemble, similaire à celle produite par une autre création.
Le personnage de référence pour apprécier ce caractère n’est pas un homme standard, c’est un homme qui doit s’entendre d’un observateur averti, c’est-à-dire doté d’une vigilance particulière liée à son expérience professionnelle. Cette qualité peut également être liée à l’étendue de ses connaissances dans le secteur considéré. La création ne doit pas susciter une impression de déjà-vu.
Section 3 : Le caractère apparent et licite
Le caractère licite est exigé par l’article L. 511-7 du Code de la propriété intellectuelle, selon lequel les dessins et modèles contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs ne sont pas protégeables.
Cour d’appel de Paris, 3 avril 1988 : le contentieux portait sur l’émission de billets de banque de fantaisie, c’est-à-dire des modèles considérés comme illicites parce qu’ils sont susceptibles de créer un risque de confusion avec des billets authentiques dont l’émission est réservée à la Banque de France, et dont la production est réprimée pénalement.
La protection des dessins et modèles ne sera possible que si la forme du produit est visible. Il faut, pour remplir cette condition, que la forme soit apparente dans des conditions normales d’utilisation. Dès lors, une forme qui ne serait visible qu’au cours de l’entretien, du service ou de la réparation du produit, ne peut être considérée comme apparente au sens de l’article L. 511-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Cette exigence ne s’impose uniquement qu’en présence de produits complexes, c’est-à-dire des produits composés de pièces détachées. Ainsi,peuvent accéder à la protection des objets qui ne seraient pas visibles dans des conditions normales d’utilisation, dès lors que ces objets ne sont pas des produits composés de pièces multiples qui peuvent être remplacées.
è Donc : chaque fois qu’il faut démonter un produit pour voir la pièce concernée, la protection ne peut pas jouer.
Exemple : une batterie de téléphone portable.
Section 4 : Une forme distincte de la fonction utilitaire
La protection des dessins et modèles est réservée aux créations dont la forme est séparable de la fonction utilitaire du produit. La forme que l’on veut protéger ne doit donc pas être exclusivement imposée par le caractère fonctionnel. Ceci résulte de l’article L. 511-8 du Code de la propriété intellectuelle.
Il s’agit ici de ne pas offrir à la fonction technique d’une création, une protection par sa forme plus longue que celle qui résulterait de l’application du droit des brevets.
Lorsque la forme du produit joue un double rôle, tant esthétique que technique, la protection par les dessins et modèles peut s’appliquer conjointement à celle reconnue par les brevets. En effet, la restriction visée par l’article L. 511-8 du Code de la propriété intellectuelleest strictement limitée aux créations dont la forme est exclusivement dictée par son utilité. A contrario, si elle est notamment guidée par son esthétique, il est légitime de se prévaloir de la protection dessins et modèles.
Chapitre II : La procédure d’obtention de la protection
Section 1 : Le dépôt et l’enregistrement
Seul l’enregistrement est constitutif de droit, comme c’est le cas en matière de marque et de brevet. L’examen des conditions de fond permettant la protection doit avoir lieu au jour de l’enregistrement, et non au jour de la création. C’est à cette date que naît le droit du dessin ou modèle.
Les modalités d’enregistrement :la demande d’enregistrement doit être déposée auprès de l’INPI,et lorsque le déposant a son domicile ou son siège social en-dehors de la France, il doit obligatoirement passer par un mandataire.
Exemple : un conseil en propriété industrielle.
Section 2 : La détermination du titulaire des droits des dessins et modèles
L’article L. 511-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que la protection du dessin ou modèle s’acquiert par l’enregistrement ; elle est accordée au créateur ou à son ayant cause. La titularité n’est pas automatiquement accordée au créateur du dessin ou du modèle, et le Code de la propriété intellectuelle prévoit que « l’auteur de la demande est,sauf preuve contraire, regardé comme le bénéficiaire de cette protection ».
Le créateur bénéficie néanmoins, en vertu de l’article L. 511-10 du Code de la propriété intellectuelle, d’une action en revendication contre celui qui aurait effectué une demande d’enregistrement de sa création en violation de ses droits.
Le créateur peut également céder ce droit au dépôt à son employeur, et c’est notamment le cas lorsque la création a été effectuée dans le cadre d’un contrat de travail. L’employeur est alors réputé être le titulaire initial du dessin ou modèle dès lorsqu’il a le premier effectué la demande d’enregistrement, et qu’en vertu de la cession, le créateur lui a assuré qu’il n’exercerait pas d’action en revendication.
Débat doctrinal :en matière de droit d’auteur, la création est toujours considérée comme étant la possession de l’auteur.