Le peuple souverain.

Dans une démocratie, la souveraineté appartient au peuple, concept fondamental énoncé à l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ce principe est confirmé par l’article 1er de la Constitution française de 1958 et détaillé à l’article 3, qui énonce :

« La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

La souveraineté populaire

La notion de souveraineté populaire, conceptualisée par Jean-Jacques Rousseau dans Du contrat social (1762), repose sur l’idée que chaque citoyen est détenteur d’une part égale de la souveraineté. Ce modèle se caractérise par :

  • La participation directe des citoyens à l’exercice du pouvoir : idéalement, toutes les décisions sont prises par le peuple lui-même (démocratie directe). Cependant, cette modalité est difficilement praticable dans des États modernes de grande taille.

  • La délégation du pouvoir : dans les faits, les citoyens élisent des représentants ou délèguent leur pouvoir pour certaines fonctions spécifiques. Ces délégués doivent suivre les instructions du peuple, selon le principe du mandat impératif (exigence de rester fidèle à la volonté populaire).

  • Le référendum : outil privilégié pour que le peuple exprime directement sa souveraineté. Les référendums peuvent être législatifs, constitutionnels ou liés à l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.

La souveraineté exercée par les représentants

Dans la pratique moderne, le peuple exerce sa souveraineté principalement par l’intermédiaire de ses représentants. Ce mode repose sur le principe du mandat représentatif :

  • Caractéristiques du mandat représentatif :

    • Les élus ne sont pas liés par des instructions précises de leurs électeurs. Ils agissent selon leur conscience et dans l’intérêt général.
    • Les citoyens ne peuvent pas révoquer un élu en cours de mandat, sauf par le biais d’élections ultérieures.
  • Exemple concret en France :

    • Les députés et sénateurs votent les lois et contrôlent le gouvernement en tant que représentants du peuple.
    • Le Président de la République, élu au suffrage universel direct depuis 1962, incarne également cette représentation.

L’exercice direct de la souveraineté par le peuple

Bien que la représentation soit la règle, le peuple conserve des moyens d’exercer directement sa souveraineté. Ces mécanismes comprennent :

Le référendum ; Le référendum est la forme la plus courante d’expression directe de la souveraineté populaire. Il peut être utilisé pour approuver des lois, des réformes constitutionnelles ou des traités internationaux. Exemples en France :

    • 1962 : Élection présidentielle au suffrage universel (Oui à 62 %).
    • 2005 : Rejet du traité constitutionnel européen (Non à 55 %).

Le Référendum d’Initiative Partagée (RIP). Introduit par la révision constitutionnelle de 2008, le RIP permet à 1/5 des parlementaires de proposer une loi, sous réserve du soutien de 10 % des électeurs inscrits.

 

Paragraphe 1. Le droit de suffrage

Le droit de suffrage en France a considérablement évolué pour s’adapter aux principes démocratiques modernes, notamment en matière d’égalité homme-femme.

A. Les conditions de l’électorat.

 

1. Conditions de fond
  • Nationalité française :
    Les élections nationales (présidentielles, législatives, référendums) et certaines élections locales (départementales, régionales) sont réservées aux citoyens français.
    Cependant, les citoyens de l’Union européenne résidant en France peuvent voter aux élections municipales et européennes en vertu des traités européens (article 20 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne).

  • Condition d’âge :
    L’âge minimum pour voter est fixé à 18 ans depuis 1974.

  • Jouissance des droits civils et politiques :
    Les électeurs doivent jouir de leurs droits civils et politiques, ce qui exclut certaines personnes condamnées ou déclarées incapables par une décision judiciaire.
    Depuis 2019, les restrictions sur le droit de vote en raison d’une incapacité mentale sont progressivement levées pour éviter toute discrimination (loi du 23 mars 2019).

2. Condition de forme
  • Inscription obligatoire sur les listes électorales :
    L’inscription est devenue automatique pour les jeunes atteignant l’âge de 18 ans grâce à l’interconnexion des fichiers administratifs (depuis 2019, réforme issue de la loi du 1er août 2016 relative à la modernisation de la gestion des listes électorales).
    Cependant, les citoyens européens résidant en France doivent toujours s’inscrire volontairement pour participer aux élections municipales et européennes.

B. Les conditions d’éligibilité

 

1. Conditions générales
  • Nationalité :
    Pour les élections nationales, seules les personnes de nationalité française sont éligibles.
    Les citoyens européens peuvent être élus conseillers municipaux ou représentants au Parlement européen, mais ils ne peuvent pas exercer les fonctions de maire ou d’adjoint au maire.

  • Âge minimum :

    • Depuis 2011, l’âge minimum pour être élu est de 18 ans, sauf pour les sénatoriales, où il est de 24 ans.
    • En 2022, des débats ont porté sur l’abaissement de cet âge à 18 ans pour toutes les élections, mais aucune réforme n’a encore été adoptée.
2. Parité et égalité d’accès aux mandats
  • Article 1er alinéa 2 de la Constitution : La loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives.
  • Article 4 de la Constitution : Les partis politiques doivent contribuer à la mise en œuvre de ce principe.

C. La parité

1. Historique

Avant 1944, les femmes ne disposaient ni du droit de vote ni de celui d’être élues.
La loi du 6 juin 2000, précédée par la révision constitutionnelle de 1999, a posé les bases juridiques de la parité homme-femme dans les scrutins.

2. Application actuelle

La parité varie selon le type de scrutin :

Scrutins de liste :

  • Élections européennes, régionales, municipales (communes de plus de 1 000 habitants) et sénatoriales (dans les départements élisant au moins 3 sénateurs).
  • Le principe est celui de la stricte alternance homme-femme sur les listes. Une dérogation est possible pour les listes impaires.

Scrutins majoritaires :

  • Législatives :
    Les partis doivent présenter autant de candidats que de candidates, avec un écart maximal de 2 %. En cas de non-respect, les sanctions financières sont alourdies. Depuis 2017, la réduction du financement public des partis non paritaires est passée à 150 % de l’écart constaté.

  • Départementales (ex-cantonales) :
    Depuis 2015, le scrutin binominal mixte à deux tours impose que chaque canton élise un homme et une femme formant un ticket électoral.

3. Parité dans les organes exécutifs locaux
  • La loi de janvier 2007 impose la parité parmi les adjoints municipaux et les vice-présidents régionaux.
  • Depuis 2020, les exécutifs des intercommunalités doivent également respecter la parité.
4. État actuel de la parité
  • Assemblée nationale (2022) : 37 % de femmes, une nette progression depuis 2017 (27 %).
  • Sénat : 35 % de sénatrices en 2023.
  • Conseils régionaux : 48 % de femmes.
  • Conseils municipaux : 47,8 % de femmes.
  • Conseils départementaux : 50 % de femmes, grâce au binominal mixte.

L’interdiction du cumul des mandats depuis 2017 a favorisé une augmentation du nombre de femmes élues en libérant des postes clés.

 

Paragraphe 2. Procédures référendaires nationales

En France, trois types de référendums nationaux sont prévus par la Constitution, chacun avec ses particularités et son champ d’application :

  1. Référendum législatif (article 11)
  2. Référendum constitutionnel (article 89)
  3. Référendum relatif à l’adhésion d’un nouvel État à l’Union européenne (article 88-5, introduit en 2005 et modifié en 2008).

 

I. Référendum constitutionnel (article 89)

L’article 89 prévoit un référendum pour les révisions constitutionnelles :

  1. Initiative : Le référendum peut être proposé par le Président de la République, sur proposition du Gouvernement ou des deux assemblées.
  2. Adoption par le Parlement : Les deux assemblées doivent voter le texte à une majorité des 3/5 des suffrages exprimés.
  3. Soumission au peuple : Le texte est ensuite soumis à référendum, sauf si le Président décide de convoquer le Congrès (réunion des deux chambres à Versailles) pour adopter la réforme.

Exemple : Le référendum de 2000 sur le passage au quinquennat présidentiel.

II. Référendum relatif à l’adhésion à l’Union européenne (article 88-5)

Introduit en 2005 et modifié en 2008, l’article 88-5 rend obligatoire un référendum pour ratifier l’adhésion d’un nouvel État à l’Union européenne, sauf si le Parlement décide de ratifier l’adhésion à la majorité des 3/5 des suffrages exprimés au Congrès.

Exemple théorique : Une éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’UE nécessiterait un référendum ou une ratification parlementaire.

 

III. Référendum législatif (article 11)

L’article 11 de la Constitution de 1958 prévoit le mécanisme du référendum législatif, qui permet au peuple français de se prononcer directement sur un projet ou une proposition de loi. Cette procédure est un outil de démocratie semi-directe, bien que son utilisation soit strictement encadrée.

A. L’initiative du référendum législatif : article 11 de la Constitution

 

L’article 11, révisé en 2008, introduit deux mécanismes pour initier un référendum : les projets de loi référendaires et les propositions de loi référendaires.

1. Les projets de loi référendaires
  • L’initiative appartient au Président de la République, sur proposition du Gouvernement, pendant les sessions parlementaires, ou sur proposition conjointe des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat).
  • Ce mécanisme a été le plus utilisé dans l’histoire (par exemple, pour le référendum de 1962 sur l’élection du Président au suffrage universel direct).
2. Les propositions de loi référendaires (introduites en 2008)

Ce mécanisme, prévu à l’alinéa 5 de l’article 11, repose sur un processus en plusieurs étapes :

  1. Initiative parlementaire : Une proposition de loi référendaire doit être soutenue par au moins 1/5 des parlementaires (environ 184 députés et sénateurs).
  2. Validation constitutionnelle : Le Conseil constitutionnel vérifie la conformité de la proposition.
  3. Soutien populaire : Une fois validée, la proposition doit obtenir l’approbation d’au moins 1/10 des électeurs inscrits (environ 4,87 millions de citoyens, chiffre basé sur les électeurs inscrits en 2023). Cette procédure se fait via un site internet dédié, sur une période de trois mois.
  4. Examen parlementaire : Si les signatures requises sont atteintes, le Parlement doit examiner la proposition dans un délai de 12 mois.
  5. Soumission à référendum : Si le Parlement n’a pas voté la proposition dans ce délai, le Président de la République peut la soumettre à référendum dans un délai de 4 mois.

Exemple récent : Le RIP (référendum d’initiative partagée) de 2023 contre la réforme des retraites a recueilli environ 1,5 million de signatures, insuffisant pour atteindre les 4,87 millions nécessaires.

 

B. Le champ d’application du référendum.

 

Les projets ou propositions soumis au référendum doivent entrer dans l’un des trois champs définis par l’article 11 :

  • Organisation des pouvoirs publics
    Exemple : Référendum de 1962 sur l’élection du Président au suffrage universel direct.
  • Ratification de traités internationaux
    Exemple : Référendum de 1992 sur le traité de Maastricht.
  • Réformes économiques, sociales ou environnementales, ou sur les services publics qui y participent (ajouté en 2008).
    Aucun référendum n’a encore été organisé dans ce cadre, mais des sujets comme la réforme des retraites ou la transition écologique pourraient théoriquement en relever.

Limites et interdictions :

  • Une proposition ne peut pas abroger une loi promulguée depuis moins d’un an (article 11, alinéa 3).
  • En cas de rejet d’une proposition, un référendum sur le même sujet ne peut être organisé avant 2 ans (article 11, alinéa 6).
  • Aucun référendum ne peut être organisé pendant une période d’intérim présidentiel (article 7, alinéa 4).

 

C. Le contrôle des procédures référendaires.

Le Conseil constitutionnel joue un rôle central dans le contrôle de la régularité des référendums :

  1. Contrôle a priori : Le Conseil vérifie la constitutionnalité des propositions ou projets avant leur soumission au peuple. Il s’assure également de la régularité des procédures préliminaires, telles que l’organisation du référendum.
  2. Contrôle pendant le référendum : Le Conseil veille à la régularité de la campagne et du scrutin.
  3. Contrôle a posteriori : Il proclame les résultats du référendum.

Exceptions au contrôle :

  • Le décret présidentiel convoquant les électeurs n’est pas soumis au contrôle du Conseil constitutionnel, car il est considéré comme un acte de gouvernement, insusceptible de recours.
  • Le Conseil ne contrôle pas la constitutionnalité du contenu des projets ou propositions soumis à référendum, car le peuple est souverain (jurisprudence constante depuis 1962).

 

D. La pratique du référendum de l’art.11.

Depuis 1958, l’article 11 de la Constitution a été utilisé neuf fois pour organiser des référendums, marquant des tournants dans l’histoire politique française. On peut distinguer deux périodes principales : la pratique gaullienne, centrée sur l’appel au peuple comme ultime juge de la souveraineté, et la pratique des successeurs, moins fréquente et dénuée de mise en jeu directe de la responsabilité présidentielle.

1. La pratique gaullienne

Sous la présidence de Charles de Gaulle, l’article 11 est utilisé quatre fois, souvent en contournant l’article 89, prévu pour les révisions constitutionnelles, ce qui entraîne des critiques juridiques et politiques.

  • 8 janvier 1961 : référendum sur l’autodétermination de l’Algérie
    La question posée concerne la possibilité pour les Algériens de décider de leur avenir. Le Oui l’emporte avec 75 %, ouvrant la voie à l’indépendance de l’Algérie en juillet 1962.
  • 8 avril 1962 : référendum sur les accords d’Évian
    Les accords mettent fin au conflit algérien et conduisent à l’indépendance officielle de l’Algérie. Le Oui recueille 90 %, mais le taux d’abstention reste élevé.
  • 28 octobre 1962 : référendum sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct
    Ce référendum marque un détournement de l’article 11 pour réviser la Constitution. De Gaulle justifie son choix par l’adverbe « tout » dans « tout projet de loi » de l’article 11. Malgré une forte opposition politique et juridique, le Oui l’emporte à 62 %, modifiant durablement le régime politique français.
  • 27 avril 1969 : référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat
    Ce projet, comprenant la suppression du Sénat et une vaste réforme de la décentralisation, est massivement rejeté (63 % de Non). De Gaulle, ayant lié le résultat à sa propre responsabilité politique, démissionne immédiatement après l’annonce des résultats.
2. La pratique des successeurs

Après de Gaulle, l’article 11 est utilisé de manière beaucoup plus parcimonieuse et tactique. Les présidents qui y recourent – Pompidou, Mitterrand et Chirac – ne mettent jamais leur responsabilité politique en jeu.

  • 23 avril 1972 : référendum sur l’élargissement de la Communauté économique européenne (CEE)
    Organisé sous Georges Pompidou, le référendum porte sur l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark. Le Oui l’emporte avec 68 %, mais l’abstention atteint 40 %, témoignant d’un désintérêt relatif.
  • 6 novembre 1988 : référendum sur le statut de la Nouvelle-Calédonie
    Initié par François Mitterrand, ce référendum approuve un statut transitoire pour apaiser les tensions entre indépendantistes et loyalistes. Le Oui est massif (80 %), mais l’abstention dépasse 63 %, révélant une faible mobilisation sur ce sujet.
  • 20 septembre 1992 : référendum sur le traité de Maastricht
    Ce référendum est un moment clé dans la construction européenne. Malgré une campagne divisée et un débat passionné, le Oui l’emporte de justesse avec 51 %, marquant l’un des résultats les plus serrés de l’histoire.
  • 29 mai 2005 : référendum sur le projet de traité constitutionnel européen
    Organisé par Jacques Chirac, le projet de Constitution européenne est rejeté par 55 % de Non. Ce revers majeur souligne un fossé croissant entre les élites et une partie de l’électorat. En 2008, le traité de Lisbonne, reprenant une partie du projet rejeté, est adopté par la voie parlementaire, suscitant des critiques sur le contournement du vote populaire.
3. Analyse de la pratique référendaire

La pratique gaullienne : l’appel au peuple souverain

De Gaulle conçoit le référendum comme un outil pour contourner les corps intermédiaires et s’adresser directement au peuple. Cette vision entraîne :

  • Une légitimation de décisions majeures (indépendance de l’Algérie, réforme électorale).
  • Une mise en jeu personnelle de la responsabilité politique (démission en 1969 après l’échec du référendum).

La pratique des successeurs : un outil tactique

Les successeurs de Gaulle recourent au référendum de manière plus prudente et stratégique :

  • Aucun ne lie son avenir politique au résultat.
  • Le référendum est souvent utilisé pour des questions européennes (CEE, Maastricht, traité constitutionnel), reflétant l’importance croissante de la construction européenne dans les choix politiques.
4. Les perspectives contemporaines

Depuis 2005, l’article 11 n’a plus été utilisé pour des référendums, mais son application a été élargie en 2015 avec l’introduction du référendum d’initiative partagée (RIP), prévu par la réforme constitutionnelle de 2008. Cependant, ce mécanisme reste complexe à mettre en œuvre (seuils élevés de signatures et soutien parlementaire).
Exemple récent : en 2023, un RIP contre la réforme des retraites n’a pas atteint les conditions nécessaires, soulignant les limites de cet outil.

Isa Germain

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