Que reste t il de la faute dans la responsabilité délictuelle ?
L’article 1382 pose le principe fondamental de la responsabilité civile, à savoir l’indemnisation de celui, qui en raison du comportement fautif d’autrui, a subi un préjudice quelque en soit la nature.
La réparation du dommage apparaît donc comme l’élément justificatif de la responsabilité civile délictuelle, élément qui par ailleurs l’en distingue des responsabilités morale et pénale dont l’effet principal est de sanctionner l’auteur d’un comportement répréhensible.
Les rédacteurs du code civil, largement influencés par les travaux de Domat, ont axé la mise en oeuvre de la responsabilité civile délictuelle autour de la faute. En effet, l’article 1382 stipule « que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». Cette conception d’ordre subjectif implique nécessairement l’existence d’un fait personnel fautif.
Dès lors se pose le problème de la caractérisation de la faute ; composante qui ne fait l’objet d’aucune définition spécifique dans le Code Civil..
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Ce vide est très rapidement apparu comme un obstacle à la juste protection des victimes qui pour obtenir réparation doivent supporter la charge de la preuve.
Aussi, afin qu’un déséquilibre durable ne s’installe à la défaveur des victimes, mais également en raison des progrès techniques et des risques inhérents à la modernisation, la théorie classique du fondement sur la faute fut quelque peu délaissée tout d’abord au profit de la théorie du risque élaborée par Josserand et Saleilles, puis de manière plus générale la responsabilité civile délictuelle ne fut plus subordonnée à un fondement unique ce qui a permis, tant au législateur qu’au juge, de faire évoluer ce principe vers une responsabilité plus générale, qu’il s’agisse de la responsabilité du fait des choses ou encore du fait d’autrui.
En outre, afin de mieux appréhender l’esprit guidant à la mise en oeuvre de la responsabilité civile délictuelle de nos jours, il convient de ne pas omettre l’importance accordée dans notre système à la collectivisation du risque (assurances, sécurité sociale, indemnisations diverses de l’État) qui a pour corollaire l’atténuation de la responsabilité individuelle ; phénomène qui conduit d’aucun à affirmer que la responsabilité civile délictuelle s’apparente aujourd’hui à une créance d’indemnisation plutôt qu’à une dette de responsabilité (Professeur Y.Lambert-Faivre).
Néanmoins, il semblerait exagérer d’avancer que le fondement classique reposant sur la faute soit désormais caduque et cela en raison du grand nombre de décisions encore motivées par l’application de l’article 1382 et plus particulièrement pour ce qui concerne la violation des droits de la personne, ou encore du droit de propriété. L’objet de notre réflexion portera tout d’abord sur le déclin de la théorie classique de la faute et ses conséquences (I), puis dans un second temps nous nous attacherons à relativiser cette approche en tentant de démontrer l’existence d’un renouveau de la faute civile (II)
I – Le déclin du rôle de la faute
La faute qui peut être intentionnelle ou non, de commission ou d’omission, d’imprudence ou de négligence suppose, dans son acception classique, un aspect subjectif qui implique l’imputabilité de celle-ci à un comportement anormal par comparaison à celui qu’aurait adopté le bon père de famille. Pour que la réparation du préjudice subi puisse intervenir, il appartient au demandeur qui fonde son action sur l’existence d’une faute d’en apporter la preuve. Or la difficulté croissante pour les victimes de supporter la charge de la preuve, notamment en raison des progrès techniques (mécanisation industrielle, automobile etc…) a conduit tant le législateur que le juge à trouver d’autres fondements à la responsabilité civile délictuelle et cela afin de préserver l’intérêt des victimes.
A – La responsabilité du fait des choses
Sous l’impulsion du législateur qui dès 1898 consacre l’indemnisation des victimes d’accidents du travail mais aussi grâce à la portée de la théorie du risque la jurisprudence va étendre les conditions de mise en oeuvre la responsabilité civile délictuelle.
1 : Un principe nouveau : l’arrêt Jand’heur (février 1930)
En donnant une lecture autonome de l’article 1384 alinéa 1, la Cour de Cassation a érigé un principe de responsabilité du fait des choses et cela en dehors de tout comportement fautif. Le gardien d’une chose est présumé responsable de cette dernière. Rappelons que le gardien est celui qui dispose d’un pouvoir d’usage, de contrôle et de direction sur la chose, et qu’il doit disposer d’une certaine autonomie. Quant à sa capacité de discernement, originellement requise, elle est aujourd’hui abandonnée en raison de l’application de l’article 489-2 relatif aux agissements fautifs des démens qui malgré leur inaptitude au discernement sont tenus à réparation du dommage qu’ils ont causé. L’établissement d’une présomption de responsabilité à l’égard du gardien implique que celui-ci ne peut s’exonérer de sa responsabilité au motif d’une faute qu’il n’a pas commise, seule la force majeure qui se caractérise par son extériorité, son irrésisitibilité et son imprévisibilité peut dès lors être invoquée pour écarter cette présomption. On remarquera que cette présomption de responsabilité est quasi irréfragable ce qui a conduit certains auteurs à la qualifier de responsabilité de plein droit. Avec l’arrêt Jand’heur s’amorce un courant d’objectivation de la faute dans un souci constant de victimisation. Cette approche consistant à ne pas considérer l’imputabilité de la faute comme un élément déterminant dans la caractérisation de celle-ci mais à apprécier le fait générateur du dommage en considération de la victime en vue de la réparation du préjudice qu’elle a subi est une constante dans l’application de la responsabilité civile délictuelle. Ce phénomène s’explique très probablement en raison du développement du système de l’assurance individuelle mais aussi en regard du rôle joué par l’État providence qui lui-même se substitue au particulier défaillant pour certaines formes d’indemnisations (fonds de garantie) ou encore lorsqu’il s’agit d’indemnisations particulières telles que celles des victimes d’actes terroristes ou les malades du sida contaminés par voie de transfusion sanguine.
L’objectivation de la faute a très probablement trouvé son apogée dans la loi Badinter de 1985 visant à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation dont nous allons à présent étudier l’historique, le contenu et la portée.
2 – La loi Badinter :
- a) Historique :
La loi Badinter de 1985 est la résultante de l’arrêt Desmares rendu en 1982 par la Cour de Cassation qui précisait que la faute de la victime en matière d’accident de la circulation n’était pas une cause d’exonération de responsabilité pour l’auteur du dommage sauf si elle était la conséquence de la force majeure. En effet, les victimes d’accidents de la circulation éprouvaient des difficultés importantes pour obtenir réparation du préjudice qu’elles avaient subi parce qu’elles ne pouvaient fonder leur action que sur les articles 1382 ou 1384 al 1 au risque de se voir opposer leur propre faute ce qui a conduit à un déséquilibre entre auteur du dommage, couvert par une assurance obligatoire assumant financièrement le risque et victime ne pouvant faire valoir leur droit à indemnisation. Aussi afin d’apporter un correctif à cette situation la Cour de Cassation en statuant en la faveur des victimes dans l’arrêt Desmares a contraint le législateur à prendre en compte l’intérêt des victimes (plutôt que celui du lobby des assureurs …) par l’instauration d’un régime particulier d’indemnisation plus favorable que le régime de droit commun.
- b) Contenu :
Cette loi s’applique à toute personne victime d’un dommage survenu lors d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur. Remarquons qu’un sens large a été donné aux notions de circulation, de véhicule terrestre et de circulation afin d’élargir le champ de prise en compte des victimes. Le dommage ouvrant droit à réparation peut être de nature physique (atteinte aux personnes qu’il s’agisse de piétons, passagers ou conducteurs) ou matérielle (atteinte aux biens).
- c) Portée :
L’objectif de la loi Badinter étant d’instaurer un système dérogatoire d’indemnisation à la faveur des victimes, le législateur s’est interrogé sur l’importance de la faute du fait de ces dernières comme motif d’exclusion de l’indemnisation. A cet égard la l’incidence de l’arrêt Desmares est fondamentale. En effet, l’indemnisation des victimes est subordonnée à la condition qu’elles n’aient pas volontairement cherché le dommage subi (pour les victimes âgées de moins de 16 ans et de plus de 70 ans ou titulaire d’une invalidité permanente d’au moins 80 %), ou encore aux conditions cumulatives suivantes qu’elles n’aient pas commis de faute inexcusable mais encore faut-il que celle-ci soit à l’origine exclusive de l’accident.
Une telle définition laisse apparaître un contexte d’indemnisation excessivement favorable aux victimes quand bien même une faute, appréciée in concreto, peut leur être imputée. On peut donc avancer en cela que la loi de juillet 1985 instaure une créance d’indemnisation au profit des victimes des accidents de la circulation. Cette victimisation à outrance doit toutefois être relativisée à la lecture de certaines décisions rendues par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation pourtant à l’origine de l’arrêt Desmares …
Outre l’interprétation donnée par la jurisprudence à l’article 1384 alinéa 1 conduisant à établir une responsabilité du fait des choses pour des cas autres que ceux prévus dans les articles 1385 et 1386 relatifs à la responsabilité des animaux et de la ruine des bâtiments espèces auxquelles peuvent être rattachée une présomption de faute plus que de responsabilité de plein droit et l’influence de la loi Badinter de 1985, d’autres causes ont contribué au déclin de la théorie classique de la faute, et plus précisément la responsabilité du fait d’autrui et ce qu’il s’agisse principe général ou des régimes particuliers.
B – La responsabilité du fait d’autrui
1 : Un principe nouveau : L’arrêt Blieck (1991)
L’arrêt Blieck a pour effet de poser un principe de responsabilité général du fait d’autrui, ce que la jurisprudence s’était refusée à faire pendant de nombreuses années. Les commentateurs ont vu dans cet arrêt la consécration d’un principe général de la responsabilité du fait d’autrui. Cependant il faut remarquer que l’application de celui-ci n’a jusqu’à maintenant concerné que des personnes morales (associations sportives), la Cour de Cassation en ayant refusé son application à des personnes physiques (grands parents, instituteurs). Cette position s’explique très probablement par le fait qu’en statuant conformément au principe édicté en 1991, certaines personnes se verraient soumises à un régime tout aussi strict que ceux concernant certains régimes particuliers de la responsabilité du fait d’autrui. Dans ce domaine nous nous proposons d’étudier l’évolution de la responsabilité des parents du fait de leur enfants mineurs qui accuse elle aussi un déclin de la faute.
2 – La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur
Jusqu’en 1997, la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur placé sous leur surveillance reposait sur une présomption de faute, qu’il s’agisse d’une faute d’éducation ou d’une faute de surveillance. La présomption pouvait donc être renversée en apportant la preuve qu’aucune faute n’avait été commise par les parents ou encore en invoquant la force majeure.
En 1997, la Cour de Cassation a modifié ce régime lors du rendu de l’arrêt Bertrand qui pose un principe de responsabilité de plein droit. Dans cette décision qui s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Blieck, on peut également trouvé une application de la théorie du risque créé lié à l’exercice de l’autorité parentale. Il se trouve donc que les seuls facteurs d’exonération de responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur sont la faute de la victime, et la force majeure. Mais encore faut-il pour que s’applique cette présomption qu’une condition de cohabitation entre parents et enfant soit remplie.
Là encore on tend vers une responsabilité objective visant à une juste indemnisation des victimes.
Même si cette responsabilité de plein de droit n’a pas encore été appliquée à la responsabilité des artisans du fait de leurs apprentis dont le fondement réside encore sur une présomption de faute, on peut légitimement penser que celle-ci évoluera vers une responsabilité de plein droit en raison des similitudes que présente le régime des artisans avec celui sur lequel était calqué le régime des parents avant le tournant amorcé en 1997.
Volontairement nous n’aborderons pas la responsabilité relative aux commettants du fait de leurs préposés celle-ci étant de plein droit de par la rédaction même de l’article 1384 alinéa 5.
Dans cette première partie nous nous sommes attachés à démontrer le déclin de la théorie classique de la faute en matière de responsabilité civile délictuelle. Nous chercherons dans un second temps à relativiser ce propos en tentant de nous interroger sur l’éventuel renouveau de la faute civile, et ce à la lumière de la décision récente du Procureur Général près de la Cour de Cassation qui demandera à ce que soit cassé le jugement rendu dans l’affaire du Drac pour tendre vers une « dépénalisation de la faute » et donc vers une appréciation in concreto de celle-ci.
II – Vers un renouveau de la faute civile ?
Cette interrogation appelle une première remarque concernant les articles 1382 et 1383. En effet, ces deux articles ne sont pas abrogés et un certain nombre de décisions sont encore motivées sur ces bases, ce qui tend à souligner que le fondement de la responsabilité civile délictuelle sur la faute existe toujours malgré un certain recul. De plus, le Conseil Constitutionnel a confirmé qu’il n’existait pas de régimes dérogatoires et que toute faute devait entraîner réparation (1982). Ceci confirme la reconnaissance du principe fondé sur la faute. Afin d’illustrer notre propos, nous allons à présent évoquer les régimes de responsabilités reposant sur une faute prouvée.
A – Les régimes de responsabilités reposant sur une faute prouvée
1- La responsabilité des enseignants du fait de leurs élèves :
Ce système de responsabilité est régi par la loi du 5 avril 1937 (art 1384 c.civ in fine). Il appartient au demandeur à l’instance de prouver qu’une faute de l’enseignant a eu pour corollaire un fait dommageable du fait de ses élèves. L’appréciation de la faute dépend de l’âge des enfants et des circonstances invoquées. Bien qu’exerçant un pouvoir de contrôle et direction, il ne pèse pas sur l’enseignant une responsabilité de plein droit, ni même un présomption de faute. Si la faute de l’enseignant est avérée c’est alors la responsabilité de l’État qui est engagée par substitution, et malgré cela la juridiction compétente relèvera de l’ordre judiciaire et non pas de l’ordre administratif.
2- La responsabilité en cas de propagation d’incendie :
Il s’agit d’un régime spécifique auquel ne peut être appliqué l’article 1384 al 1 et dont les conditions d’application sont strictes. Pour obtenir réparation, le demandeur à l’instance devra prouver que l’incendie est imputable à une faute du gardien et ce qu’il s’agisse d’un bien meuble ou immeuble.(art 1384 al 2).
Hormis ces régimes particuliers fondés sur la faute prouvée, il est intéressant d’envisager le rôle de la faute lorsqu’elle due au fait de la victime.
B – La faute commise par la victime:
Nous apprécierons cette composante d’une part lorsque la victime est capable puis ensuite lorsque celle-ci relève du régime des incapables (démens – infans)
1 – Rôle de la faute commise par une victime capable :
Pour ce qui concerne la responsabilité du fait personnel, le principe veut que la faute de la victime conduise à un partage de responsabilité, partage qui s’apprécie en regard de la faute commise par chacune des parties dans la réalisation du fait dommageable. On peut donc en conclure que la faute de la victime n’est pas une clause d’exonération totale pour l’auteur du préjudice.
En matière de responsabilité du fait des choses, hors contexte posé par la loi du 5 juillet 1985, le gardien pouvait s’exonérer en partie de sa responsabilité s’il apportait la preuve d’un agissement fautif du fait de la victime. L’arrêt Desmares renversa cette tendance. Cependant, un revirement jurisprudentiel est intervenu en 1987, et le gardien peut à nouveau prendre à une exonération de responsabilité en prouvant que la faute de la victime a eu une incidence dans la réalisation du dommage. Ce que certains commentateurs ont illustré par la formule « Desmares est mort ! ».
2 -Rôle de la faute commise par une victime incapable :
Par la loi du 3 janvier 1968 (art 489-2 c.civ), le législateur a imposé la réparation du dommage causé par le comportement fautif du démens malgré son absence de discernement. La Cour de Cassation a étendu ce principe à l’infans après de nombreuses hésitations. Les juges ont, dans un premier temps, été amenés à se prononcer dans l’hypothèse de l’infans victime ayant commis une faute (arrêt Lemaire 1984). En regard des dispositions de l’article 489-2, les juges en ont conclu que l’absence de discernement de l’infans n’était pas un obstacle à ce que celui ci commette une faute, faute conduisant à un partage de responsabilité. En reconnaissant la faute de l’enfant victime, la faute de l’enfant auteur en a découlé naturellement.
La faute commise par un incapable, démens ou infans, conduit là encore à un partage de responsabilité.
On remarquera que, paradoxalement, la tendance à l’objectivation de la faute a eu pour effet de recentrer le débat sur la faute.
Sans présager de ce que sera la décision de la Haute Juridiction dans l’affaire du Drac, nous pouvons d’ores et déjà nous interroger sur les répercussions possibles si dès lors les magistrats suivaient la proposition du Procureur Général, notamment pour ce qui concerne le rôle de la faute civile dans la mise en oeuvre de la responsabilité civile délictuelle.
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