Les Fondements de la règle de droit : la distinction entre droit naturel et droit positif
Depuis l’Antiquité, les philosophes du droit débattent de la légitimité et des fondements de la règle de droit, en se demandant quelles justifications peuvent donner aux normes légales leur autorité. Deux conceptions fondamentales s’opposent dans ce domaine : le droit positif (ou positivisme juridique) et le droit naturel.
Le droit positif : Le droit établi par le Législateur
Le droit positif désigne l’ensemble des règles juridiques effectivement en vigueur dans un État donné. Ce droit est concret, tangible et, surtout, variable selon les cultures, les époques, et les priorités politiques de chaque société. Il comprend les lois, les règlements, et la constitution, tous issus d’un pouvoir législatif ou exécutif. Le droit positif peut ainsi être modifié ou abrogé en fonction des choix du législateur, et son application relève du contrôle de l’autorité étatique.
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Cette forme de droit, en tant qu’outil de gouvernance, n’a pas nécessairement vocation à être objective ou universelle. Elle peut être influencée par les intérêts de groupes de pression, des impératifs électoraux, ou des priorités de politique publique. Le droit positif repose donc avant tout sur la légitimité que lui confère le processus législatif, plutôt que sur une quelconque aspiration à incarner la justice universelle. Cependant, cette caractéristique peut entraîner des limites, car le droit établi par l’État peut parfois diverger des valeurs morales et des attentes de justice ressenties par la société.
Le droit naturel : Une conception idéale de la Justice
Le droit naturel, quant à lui, se présente comme une conception idéale du droit, qui existerait indépendamment de tout acte législatif. Il se fonde sur l’idée qu’il existerait des droits et des principes universels inhérents à la nature humaine. Ces droits seraient inaliénables et immuables, car ils sont intrinsèquement liés à la dignité humaine et aux exigences fondamentales de justice et d’humanité. Le droit naturel inclut des droits qui « naissent avec nous », c’est-à-dire des droits essentiels que chaque être humain possède en raison même de sa nature.
Ainsi, des philosophes comme Aristote et, plus tard, Saint Thomas d’Aquin, ont soutenu que certains principes moraux sont universels et doivent guider les lois humaines. Le droit naturel repose sur l’idée que, indépendamment des conventions ou des législations propres à chaque société, il existe une norme supérieure, une forme de justice universelle, qui devrait inspirer le droit positif. Par exemple, les droits humains fondamentaux (droit à la vie, à la liberté, à l’intégrité personnelle) peuvent être perçus comme des expressions modernes du droit naturel.
Tableau comparatif entre le droit naturel et le droit positif
Critère | Droit Naturel | Droit Positif |
---|---|---|
Définition | Normes universelles et inaliénables basées sur la nature humaine | Ensemble des règles juridiques en vigueur dans un État |
Fondement | Justice intrinsèque, valeurs universelles | Légitimité étatique et processus législatif |
Principaux penseurs | Aristote, Saint Thomas d’Aquin, Grotius, Rousseau, Kant | H.L.A. Hart, Hans Kelsen, Auguste Comte, Émile Durkheim |
Influence historique | Fondement de droits humains modernes (liberté, dignité) | Variable selon les contextes politiques, économiques et sociaux |
Objectif | Guidée par la justice universelle, immuable | Maintenir l’ordre social par des lois adaptables |
Critiques principales | Manque de précision et d’adaptation contextuelle | Parfois éloigné des valeurs morales et de justice ressenties |
Conflits entre doctrines | Prône un droit supérieur guidant le législateur | Insiste sur la primauté de la loi édictée par l’État |
Applications modernes | Intégration dans les droits fondamentaux, droits humains | Constitutions, lois, règlements adaptés aux besoins sociaux |
I ) Les Doctrines du droit naturel
Les doctrines du droit naturel soutiennent qu’il existe, au-delà du droit établi par les lois humaines (le droit positif), des lois non écrites, immuables et universelles que les législateurs devraient respecter et incarner dans les règles juridiques. Cette idée du droit naturel, très ancienne, remonte à l’Antiquité et a évolué à travers les siècles. La figure d’Antigone, dans la tragédie de Sophocle, est souvent citée comme exemple : elle invoque un droit supérieur aux lois humaines pour justifier son action, ce qui illustre l’idée d’un droit naturel.
Évolution historique et courants du droit naturel
1. Antiquité
Pour Aristote, le droit naturel est un principe supérieur ancré dans la nature des choses, c’est-à-dire qu’il existe des règles universelles dictées par la raison et la logique. Ces règles devraient guider la vie humaine et politique en permettant d’assurer la justice dans la société.
2. Moyen Âge : Saint Thomas d’Aquin
Saint Thomas d’Aquin combine la philosophie grecque avec la théologie chrétienne, affirmant que la loi naturelle est inscrite par Dieu dans la conscience de chaque être humain. À côté de la loi divine, révélée par les Écritures, la loi naturelle est accessible par la raison humaine et est destinée à orienter les choix moraux de chacun.
3. Époque moderne : Hugo Grotius et les Lumières
Hugo Grotius, un précurseur du droit international moderne, avance que le droit naturel découle de la nature humaine elle-même, indépendamment de toute intervention divine. Pour lui, le droit naturel est un ensemble de principes universels fondés sur la raison humaine, qui assure l’ordre dans les relations entre les individus et les nations.
Les philosophes des Lumières, comme Rousseau et Kant, continuent dans cette veine en affirmant que la raison humaine peut identifier les principes universels du droit. Pour eux, ces principes devraient guider les lois et institutions des sociétés modernes en privilégiant des valeurs comme la liberté, l’égalité et la justice.
Divers courants au sein des doctrines du droit naturel
Les partisans du droit naturel se divisent sur le caractère et le contenu du droit naturel :
-
Droit naturel à contenu variable : Certains, influencés par les évolutions sociales et historiques, estiment que le contenu du droit naturel est susceptible de s’adapter aux époques et aux contextes culturels. Ce courant, plus souple, propose un droit naturel adaptable qui répond aux besoins évolutifs des sociétés.
-
Droit naturel immuable et universel : D’autres auteurs, comme François Gény, soutiennent que le droit naturel doit être immuable et universel. Ce point de vue réduit le contenu du droit naturel aux principes fondamentaux, estimant que ces principes doivent rester constants malgré les changements historiques.
Droit naturel et droit positif
Les juristes modernes, influencés par le positivisme, voient dans le droit naturel un ensemble de principes universels et reconnus, mais ancrés dans le droit positif, comme ceux énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Ils considèrent que le droit naturel se manifeste dans certains principes de justice, d’équité et de dignité humaine, qui transcendent les législations locales tout en s’intégrant aux systèmes juridiques nationaux et internationaux.
Critiques et limites de la doctrine du droit naturel
La doctrine du droit naturel est fréquemment critiquée pour son manque de précision et pour l’idée qu’un droit immuable et universel pourrait être déterminé indépendamment des contextes historiques et sociaux. Des juristes comme François Gény ont critiqué le droit naturel et prôné des méthodes d’interprétation plus adaptées aux réalités sociales et aux besoins contemporains. Gény a en particulier valorisé la coutume et la recherche scientifique libre comme sources d’interprétation du droit, estimant que ces éléments permettent une meilleure adaptation aux évolutions de la société.
Conclusion : une influence persistante mais limitée. Bien que contestée, la doctrine du droit naturel continue de jouer un rôle dans le droit contemporain, notamment en matière de droits de l’homme. Des principes comme ceux énoncés dans la CEDH, qui promeuvent l’égalité, la justice et la dignité humaine, reflètent l’idée d’un droit universel qui dépasse les législations nationales.
II ) Les Doctrines positivistes
Les doctrines positivistes, en philosophie du droit, explorent la nature de la règle de droit en insistant sur la nécessité de séparer le droit positif, qui est le droit établi et en vigueur, de toute notion de droit naturel ou supérieur. Deux principales approches positivistes se distinguent :
Le positivisme juridique
Le positivisme juridique, incarné par des penseurs comme H.L.A. Hart et surtout Hans Kelsen, soutient que le droit tire sa légitimité exclusivement de l’autorité qui l’édicte, c’est-à-dire l’État. Ce courant repose sur le principe que le droit existe indépendamment de la morale ou d’une quelconque notion de justice universelle.
Kelsen, à travers sa Théorie pure du droit, introduit la notion de normativisme : le droit est une structure hiérarchique de normes, ou une « pyramide », dans laquelle chaque norme tire sa validité de la norme supérieure qui la fonde. Au sommet de cette pyramide, se trouve la Grundnorm ou norme fondamentale, qui confère son autorité à l’ensemble des normes sans dépendre d’une quelconque notion de droit naturel. Selon cette théorie, la légitimité du droit repose uniquement sur le fait qu’il est formellement édicté et appliqué par une autorité étatique.
Le positivisme sociologique
Le positivisme sociologique, associé à des penseurs comme Émile Durkheim et Auguste Comte, postule que le droit positif est un reflet des mœurs et de la conscience collective de la société. Dans ce cadre, le droit n’est pas seulement un ensemble de règles édictées par l’État, mais plutôt une expression de la volonté sociale, influencée par les valeurs et comportements communs des membres de la société. Deux visions cohabitent ici :
- Le droit comme expression de la conscience collective : il reflète les normes et valeurs majoritaires de la société, incarnant un consensus social.
- Le droit comme somme des consciences individuelles, influençant l’évolution des normes au gré des besoins et aspirations de la population.
Le positivisme sociologique se fonde donc sur l’idée que le droit doit améliorer la solidarité sociale et promouvoir des conditions de vie harmonieuses. Dans cette optique, le droit évolue constamment pour répondre aux besoins changeants de la société, renforçant les liens sociaux.
III) L’intérêt de l’étude de ces deux doctrines
L’analyse de ces doctrines positivistes pose deux questions essentielles :
1. Le législateur doit-il s’inspirer du droit naturel pour édicter le droit positif ?
La question de la relation entre droit naturel et droit positif se cristallise dans le débat sur l’origine des lois. Le juriste Portalis, par exemple, pensait que les lois devaient se baser sur la « raison naturelle », soit une conception universelle de justice. Les positivistes, eux, rejettent cette idée, arguant que le droit positif suffit pour guider la société.
Toutefois, dans la pratique, bien que le législateur ne se réfère pas explicitement au droit naturel, il prend en compte une conception collective de ce qui est moralement et socialement acceptable. Le droit positif tend ainsi à évoluer pour répondre aux attentes sociales en matière de justice et d’utilité. On observe d’ailleurs que de nombreux États adaptent leur législation pour répondre aux standards de droits humains universels, lesquels découlent souvent d’une conception quasi-naturelle de la dignité humaine.
2. Que faire en cas de conflit entre droit positif et droit naturel ?
Un conflit peut survenir lorsque les citoyens estiment qu’une loi viole des principes fondamentaux de justice. Selon les positivistes, la loi doit être respectée parce qu’elle est l’expression de la volonté majoritaire et non d’un idéal de justice universelle. Kelsen souligne d’ailleurs que le droit naturel, étant dépourvu de définition universelle et consensuelle, ne saurait primer sur le droit positif. En outre, autoriser chacun à se référer à sa propre conception du droit naturel conduirait à l’anarchie.
Cependant, lorsqu’un concept associé au droit naturel est intégré dans une norme juridique positive, cette règle acquiert une validité juridique officielle et devient opposable. Les droits de l’Homme en sont un exemple : ces principes, qui s’inspirent souvent de notions de justice universelle, ont été intégrés dans des textes légaux tels que la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est ainsi habilitée à condamner un État lorsque l’une de ses lois est contraire à la convention. Toutefois, cette condamnation se fonde sur les droits positifs établis dans la convention, et non sur un droit naturel universel.
Ainsi, la doctrine positiviste insiste sur la primauté du droit édicté par l’État, affirmant qu’en cas de conflit, seul le droit positif peut fonder les décisions juridiques.
En résumé : Les distinctions entre droit naturel et droit positif opposent un droit universel et immuable, fondé sur la justice intrinsèque, à des lois légitimées par l’État, modulables selon les contextes sociaux. Les doctrines positivistes, inspirées de Hart et Kelsen, voient la règle de droit comme indépendante de la morale, tandis que le droit naturel, soutenu par des principes universels, inspire des droits fondamentaux intégrés dans certains cadres juridiques contemporains.