LA RÈGLE DE DROIT A UNE FINALITÉ SOCIALE: Droit et morale, droit et équité, droit et religion
Le droit est avant tout un ensemble de règles visant à organiser les relations sociales et à maintenir une paix sociale. Sa finalité est profondément sociale : il régule les interactions entre les individus, en fournissant un cadre qui permet de gérer les conflits, de prévenir les désordres et d’assurer une cohabitation harmonieuse. Cette idée est souvent illustrée par l’exemple de Robinson Crusoé. Tant qu’il est seul sur son île, Robinson n’a aucun besoin de droit. Le droit, par essence, suppose la présence de l’autre. S’il voulait instaurer un système juridique pour lui-même, cela n’aurait aucun sens, car le droit ne régit pas les consciences individuelles, mais les rapports entre individus. Dans son isolement, il peut tout au plus créer une morale personnelle, mais la notion de droit reste absente.
Les juristes résument cette idée par l’expression latine « ubi societas, ibi jus » (« là où il y a société, il y a droit »). C’est seulement avec l’arrivée de Vendredi que la situation de Robinson change. La rencontre avec un autre être humain introduit le besoin d’un cadre juridique pour réguler leur coexistence. Selon l’auteur François Terré, cette rencontre « contient le droit en germe », signifiant que le besoin de règles juridiques ne se manifeste que dans un contexte de vie en société. L’être humain, comme le dit Aristote, est un animal social qui, de par sa nature, tend à vivre en communauté, rendant le droit nécessaire.
Le droit comme facteur d’ordre et de progrès
La règle juridique est avant tout un facteur d’ordre, un régulateur de la vie sociale. Elle permet de résoudre les conflits, de structurer les relations et de garantir une certaine stabilité. Toutefois, cette dimension d’ordre n’est pas la seule finalité du droit. En plus d’assurer la cohésion sociale, le droit vise à promouvoir des idéaux de progrès et de justice. Ces deux objectifs — l’ordre et la justice — sont au cœur de la mission du droit, bien que parfois en tension l’un avec l’autre.
Le progrès implique une évolution des normes pour accompagner les changements sociaux, économiques et culturels. Par exemple, les réformes sur l’égalité des sexes ou les droits numériques traduisent un effort de modernisation du cadre juridique pour répondre aux attentes de la société contemporaine. Bien que tout le monde s’accorde sur l’idée que le droit doit favoriser le progrès, des divergences apparaissent sur la définition même de ce progrès et sur les voies à suivre pour y parvenir.
- L’autorité de la chose jugée
- Les principes directeurs de l’instance
- L’action en justice : définition, conditions
- Les preuves imparfaites (témoignage, présomption, aveu, serment)
- Les preuves parfaites : écrit, aveu judiciaire, serment
- La preuve littérale : acte sous seing privé / acte authentique
- L’admissibilité des preuves des actes et faits juridiques
1) Droit et Religion
La religion, ancrée dans des principes transcendants, fonde ses règles sur des commandements divins, ayant pour objectif le salut de l’âme et l’atteinte d’un idéal spirituel. Le droit, quant à lui, a pour mission principale de réguler le corps social et de maintenir l’ordre public. Bien que cette distinction soit fondamentale, certains points de convergence existent entre les règles de droit et les règles religieuses.
- Certaines règles juridiques, notamment celles liées à la famille (comme le mariage ou le divorce) ou au droit pénal (interdictions de tuer ou de voler), peuvent trouver des racines dans les principes religieux. Ce lien est particulièrement visible dans les sociétés où la religion influence largement le système juridique. Par exemple :
- Pays de tradition islamique : le droit dérive souvent directement de la charia, mélangeant droit et religion de manière étroite.
- Inde : certaines pratiques légales, notamment en matière de statut personnel, sont influencées par l’hindouisme et d’autres traditions religieuses.
- France sous l’Ancien Régime : la religion chrétienne, via l’Église catholique, jouait un rôle prédominant dans la régulation du droit familial et des statuts personnels.
Toutefois, il existe de nombreux exemples où les normes juridiques sont totalement indépendantes de la religion. Par exemple, les règles du Code de la route, qui régissent la circulation des véhicules, n’ont aucun lien avec des commandements religieux. Ces règles techniques sont purement pratiques, visant à organiser la sécurité collective et à gérer des aspects de la vie quotidienne sans référence à des préceptes divins.
Divergences entre Droit et Religion
Sur le plan méthodologique, des divergences importantes apparaissent entre le droit et la religion, notamment en ce qui concerne leur fondement et leurs finalités :
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Contradictions entre règles juridiques et enseignements religieux :
- Légitime défense : autorisée par le droit pour protéger sa vie en cas de danger, elle contredit le principe religieux judéo-chrétien du pardon, illustré par le commandement de « tendre l’autre joue » en cas d’agression.
- Avortement et divorce : permis par le droit dans de nombreux pays, ces actes sont souvent condamnés par les traditions religieuses, notamment dans le catholicisme, qui prône la sacralité de la vie et l’indissolubilité du mariage.
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Nature des sanctions :
- Sanction religieuse : elle concerne la relation de l’individu avec une divinité et vise une rétribution dans l’au-delà (paradis ou punition divine).
- Sanction juridique : elle régit les relations entre les individus dans une société et est imposée par l’État dans un but de maintien de l’ordre et de protection des droits de chacun. Elle se manifeste par des peines immédiates (prison, amendes, etc.) et est appliquée dans cette vie.
Ces différences montrent que, même lorsque les règles de droit et les principes religieux semblent similaires en contenu (comme les interdictions de tuer ou de voler), leurs fondements, leurs objectifs et leurs sanctions sont radicalement différents.
Finalités distinctes
En conclusion, bien que le droit et la religion puissent se croiser et s’influencer mutuellement, ils répondent à des finalités distinctes :
- Le droit vise à organiser la vie collective et à garantir l’ordre au sein de la société, en imposant des règles de comportement applicables à tous.
- La religion, quant à elle, a pour but de guider l’individu vers un idéal spirituel et d’assurer son salut personnel, en s’appuyant sur des préceptes divins et une vision transcendantale de la justice.
Ainsi, dans les sociétés laïques ou sécularisées, comme la France, la distinction entre ces deux sphères est désormais bien établie, tandis que dans d’autres contextes, la frontière peut être plus floue, avec des règles religieuses directement intégrées dans les systèmes juridiques.
2) Droit et Morale
La morale et le droit ont des fondements distincts bien qu’ils puissent converger. La morale, qui repose sur la conscience individuelle, est plus exigeante que le droit, car elle vise un dépassement personnel et l’épanouissement. Elle ne concerne pas les actions extérieures uniquement, mais les intentions et pensées. Le droit, quant à lui, s’occupe de réguler le corps social et non les consciences. Ainsi, avoir des pensées immorales (comme des envies de meurtre) n’est pas une infraction en soi. Le droit n’intervient que lorsque ces pensées se matérialisent en actes.
La citation de Goethe, « Mieux vaut une injustice qu’un désordre », illustre bien la distinction entre les deux. Le but premier du droit est de maintenir l’ordre, alors que la morale aspire à la perfection individuelle et à la justice morale.
L’ordre fondé sur la morale
Cependant, un ordre juridique n’est pleinement efficace que lorsqu’il repose sur des fondements moraux. Une loi perçue comme injuste rencontre souvent une résistance des consciences individuelles et de la société. Le droit, pour être bien respecté, doit être conforme aux valeurs morales. Un droit imposé par la seule force peut engendrer des désordres sociaux. Une société où le droit encouragerait des comportements immoraux (comme le vol ou la violence) sombrerait dans l’instabilité.
Convergence entre droit et morale
Dans l’idéal, droit et morale doivent coïncider autant que possible. Le droit s’inspire souvent de la morale pour viser un équilibre entre ordre social et justice. Certains auteurs, comme Philippe Jestaz, considèrent la justice comme une composante essentielle du droit. C’est cet appel à la justice qui légitime le recours au droit plutôt qu’à la vengeance personnelle.
Exemples de convergence
Certains devoirs sont à la fois juridiques et moraux. Voici des exemples où le droit reflète des principes moraux :
- Validité des contrats : Les articles 6 et 1162 du Code civil imposent que les contrats soient conformes aux bonnes mœurs.
- Interdictions pénales : Les interdictions morales comme celles de tuer ou de voler sont consacrées par le droit pénal.
- Enrichissement sans cause : Celui qui s’enrichit injustement au détriment d’autrui doit restituer cet enrichissement.
- Dol : Si une personne trompe autrui pour conclure un contrat, le contrat sera annulé et la personne condamnée à verser des dommages-intérêts.
Rôle de la morale dans l’élaboration du droit
Le droit ne s’élabore pas en dehors de toute considération morale. Le rôle de la morale dans l’élaboration du droit est omniprésent et se manifeste à travers de nombreux exemples où des questions éthiques influencent directement les décisions législatives :
- Loi sur le mariage pour tous (2013) : Lors de l’adoption de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, des débats intenses ont eu lieu autour des notions de famille, de parentalité et des valeurs morales attachées à celles-ci. L’évolution des mœurs et une conception plus inclusive de la famille ont joué un rôle clé dans la mise en œuvre de cette législation.
- Loi sur le don d’organes (1976, puis révisions) : Le principe du consentement présumé en matière de don d’organes repose sur des considérations morales liées à la solidarité et à l’éthique de la santé publique. Les législateurs ont intégré des préoccupations éthiques sur le respect du corps humain et sur l’équilibre entre la protection des volontés individuelles et l’intérêt collectif de sauver des vies.
- La loi du 29 juillet 1994 sur le respect du corps humain, l’avis du Conseil consultatif national d’éthique a été sollicité pour intégrer des questions morales dans la réglementation des avancées scientifiques, notamment dans le domaine de la génétique. Des évolutions récentes sur la fin de vie ou la procréation médicalement assistée (PMA) montrent encore cette interconnexion entre droit et morale.
- Interdiction des châtiments corporels (loi de 2019) : La loi interdisant les violences éducatives ordinaires, souvent appelée loi « anti-fessée », s’inscrit dans une évolution morale de la société qui considère désormais les droits de l’enfant comme fondamentaux. Ce texte reflète un changement de perception sur ce qui est acceptable ou non en matière d’éducation et de discipline.
- Loi bioéthique sur la recherche sur les embryons (révisions 2021) : La révision des lois de bioéthique concernant la recherche sur les embryons et les cellules souches embrasse des enjeux moraux complexes. Les avancées scientifiques dans ces domaines posent des questions sur la manipulation de la vie humaine, et c’est en prenant en compte les recommandations éthiques que le législateur a encadré ces pratiques pour respecter la dignité humaine tout en favorisant la recherche.
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Loi contre les discriminations (loi de 2001 sur le harcèlement moral au travail) : Cette loi a intégré des préoccupations morales sur le respect de la dignité et de l’intégrité des personnes. Le harcèlement moral, autrefois toléré ou non encadré, est aujourd’hui réprimé en vertu de valeurs morales prônant le respect de la personne dans le cadre professionnel.
Évolution des mœurs et modification du droit
Le contenu des règles de droit est souvent le fruit d’un consensus social. Les mœurs évoluent avec le temps, influençant les modifications du droit. Par exemple, l’instauration du divorce par consentement mutuel a répondu à une évolution de la société vers plus de liberté individuelle. C’est la modification des mentalités qui a conduit à l’évolution du cadre juridique.
Cependant, il existe des exemples où le droit précède l’évolution des mœurs. L’abolition de la peine de mort en 1981, alors que la majorité des Français y étaient hostiles, en est un exemple. Le législateur a fait un choix moral en avance sur l’opinion publique, s’appuyant sur des principes fondamentaux de respect de la vie.
Conclusion
Le droit et la morale, bien que distincts, sont souvent complémentaires. Le droit assure l’ordre social, tandis que la morale vise la perfection individuelle. Pour être légitime et accepté, le droit doit s’inspirer des valeurs morales dominantes dans une société. C’est ce lien entre droit et morale qui permet de maintenir un cadre juridique stable tout en poursuivant un idéal de justice sociale.
3) Droit et Équité