Quels sont les biens insaisissables?
L’insaisissabilité des biens peut être légale (1) ou volontaire (2) lorsqu’elle est permise par la loi.
1) L’insaisissabilité légale
L’insaisissabilité légale se justifie soit par l’intérêt général au sens large qui prime alors l’intérêt particulier du créancier saisissant (A) mais il se justifie également, le cas échéant, par un intérêt particulier: la protection du débiteur (B).
- Le Juge de l’exécution (JEX) : désignation, compétence, procédure
- L’huissier et les personnes chargées de l’exécution
- Les procédures civiles d’exécution : définition, domaine…
- Le créancier saisissant et le débiteur saisi
- La saisissabilité des biens du débiteur
- Quels sont les biens insaisissables?
- Les conditions relatives à la créance, cause de la saisie
- A) La prise en compte de l’intérêt général au sens large
Le législateur prend en compte l’intérêt général proprement dit ou les intérêts collectifs.
1) L’insaisissabilité justifiée par l’intérêt général proprement dit
Au titre l’intérêt général le législateur retient l’intérêt de l’Etat ou l’intérêt économique.
- a) L’intérêt de l’Etat
Législateur préserve la défense de la nation mais aussi la souveraineté et l’indépendance des Etats.
a.1) La défense de la nation
— Les pensions et les rentes viagères d’invalidité versées aux personnes qui ont défendu la nation sont insaisissables.
— Exceptions: Cette insaisissabilité n’est pas absolue, en réalité, il existe 2 exceptions:
- les créances garanties par un privilège général sur les meubles (ex: frais de justice, frais funéraires) et les créances alimentaires nées du mariage peuvent faire l’objet de retenues sur ces pensions et rentes à concurrence d’un cinquième (1/5) pour les créances privilégiées et d’un tiers (1/3) pour les créances « familiale ».
- les débets envers l’Etat et les autres collectivités publiques peuvent faire l’objet de retenues jusqu’à concurrence d’un cinquième (1/5) de leur montant.
NB: le débet, terme de comptabilité publique, désigne la dette née d’une décision administrative ou juridictionnelle ayant constitué un comptable public ou un particulier débiteur à l’égard d’une personne publique.
a.2) La souveraineté et l’indépendance des Etats
La souveraineté et l’indépendance des Etats justifient ou expliquent les immunités d’exécution des personnes morales de droit public, immunités qui aboutissent en fait à une insaisissabilité de leurs biens. Ces immunités se retrouvent en droit interne et en droit international.
— En droit interne: l’immunité d’exécution résulte d’un principe général du droit selon lequel l’Etat, les collectivités territoriales et les établissements à caractère administratif bénéficient d’une immunité d’exécution attachée à leur statut. Elle s’explique par la présomption de solvabilité des personnes publiques et par le respect des règles de comptabilité publique (une dépense doit être inscrite ou budget pour pouvoir être engagée). L’immunité d’exécution conduit en fait à l’insaisissabilité des biens du domaine public ainsi que des créances de l’Etat sur les particuliers.
3 moyens permettent de remédier partiellement à cette insaisissabilité:
- le recours à un médiateur: le médiateur peut, en cas d’inexécution d’une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l’organisme mis en cause de s’y conformer dans un délai qu’il fixe (loi du 3 jan. 1973 Article 11). Si cette injonction n’est pas suivie d’effet, l’inexécution de la décision peut faire l’objet d’un rapport qui sera publié au JORF et, le cas échéant, présenté au Président de la République (or personne n’aime être pointé du doigt).
- l’astreinte: depuis la loi du16 juillet 1980, une astreinte peut être prononcée à l’encontre des personnes morales de droit public en cas d’inexécution d’une décision de justice rendue par une juridiction administrative. Le Conseil d’Etat peut toujours décider que l’astreinte reviendra au fond d’équipement des collectivités locales et donc, en fait, indirectement à la collectivité débitrice (moyen surprenant d’inciter à l’exécution forcée !).
- le mandatement d’office: procédure introduite par la loi du 29 jan. 1993, toute décision de justice passée en force de chose jugée doit, dans un certain délai à compter de sa notification, être ordonnancée par le comptable public, à défaut, le créancier peut saisir l’autorité de tutelle pour qu’elle y procède d’office.
S’il s’agit d’une dette de l’Etat, le comptable public doit obligatoirement mandater la somme due au bénéficiaire du jugement sinon le créancier peut saisir la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) qui pourra prononcer une amende.
La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration (DCRA) a amélioré la condition des créanciers en réduisant le délai de 4 à 2 mois et en étendant la procédure de mandatement d’office aux décisions du juge des référés accordant une provision.
Face à l’intervention de plus en plus importante des personnes publiques dans la sphère économique, les juges du fonds ont eu tendance à restreindre le bénéfice de l’insaisissabilité consécutive à une immunité d’exécution en privilégiant la fonction de la personne publique sur l’organe lui-même. Pour mettre un terme à cette tendance, la Cour de cassation a affirmé nettement que le principe d’insaisissabilité des biens appartenant à une personne publique subsiste même si elle exerce une activité industrielle et commerciale.
— En droit international: les immunités d’exécution évitent de troubler les relations internationales par des mesures d’exécution compromettant la souveraineté et l’indépendance des Etats étrangers. Ces immunités résultent de principes non écrit régissant le droit international.
Ces immunités bénéficient aux Etats, à leurs représentants (ambassadeurs, consul, membres du corps diplomatique) et à certains fonctionnaires d’organisations internationales (ex: les membres du Conseil de l’Europe, de l’UNESCO).
A l’origine absolue, l’immunité d’exécution en droit international souffre aujourd’hui 2 exceptions:
- la nature de l’activité exercée par l’Etat: les créanciers doivent être protégés lorsque l’Etat sort de ses attributions régaliennes pour intervenir dans la vie économique. Ainsi, la Cour de cassation écarte l’immunité d’exécution « lorsque le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé » (Cass 1ère Civ 14 mars 1984 « Société Eurodif »). Ainsi, le seul fait que le débiteur soit un Etat étranger ne justifie pas à lui seul le bénéfice de l’immunité d’exécution il faut en plus que le bien soit affecté à une activité relevant du droit public pour que l’Etat puisse utilement invoquer son immunité d’exécution.
- la qualification juridique du titulaire de l’immunité: dans le prolongement de la jurisprudence « Eurodif », l’immunité d’exécution est uniquement réservée aux biens publics de l’Etat étranger. Ainsi, « les biens des organismes publics, personnalisés ou non, distincts de l’Etat étranger« , peuvent être saisis « lorsqu’ils font partie d’un patrimoine que [l’organisme] a affecté à une activité principale relevant du droit privé » (Cass 1ère Civ 1er oct. 1985 « Sonatrach »). Ainsi, le contrôle étatique n’est pas suffisant pour assimiler ces organismes à des émanations de l’Etat, il n’y a assimilation des organises de droit public à l’Etat que s’il est prouvé que l’organisme n’a pas de patrimoine distinct de celui de l’Etat.
- b) L’intérêt économique
Le législateur préserve le crédit de l’Etat et entend favoriser le commerce.
b.1) Le crédit de l’Etat
Les lois du 8 nivôse an VI et du 22 floréal an VII, posent la règle selon laquelle les rentes de l’Etat sont insaisissables, règle reprise par des lois postérieures.
Cette insaisissabilité se justifiait par la volonté d’octroyer un avantage compensatoire aux rentiers qui, sous la Révolution, avaient été victime de la banqueroute des deux tiers (banqueroute partielle décidée par le Directoire par la loi du 30 septembre 1797). La règle subsiste depuis la Révolution et renforce le crédit de l’Etat car elle est de nature à attirer les éventuels souscripteurs. Cette technique a été utilisée à plusieurs reprises au XIXème siècle pour favoriser l’émission de plusieurs emprunts.
b.2) L’intérêt du commerce
— Les effets de commerce, les billets à ordre et les chèques sont déclarés insaisissables pour assurer leur libre circulation et donc faciliter le crédit.
— Les navires en partance: l’intérêt du commerce maritime justifiait l’insaisissabilité des navires en partance mais pour éviter la paralysie du commerce maritime, la loi du 3 jan. 1967 sur le statut des navires a abrogé cette disposition et les navires en partance peuvent donc désormais être saisis.
Exception: pour limiter les inconvénients de la saisissabilité (impossibilité de partir), le Président du TGI en tant que JEX statuant en référé (urgence) peut autoriser le départ du navire saisi moyennant la constitution d’une garantie suffisante et en fixant le délai dans lequel le navire devra regagner le port de la saisie.
La liste des biens insaisissables est donc évolutive en fonction des besoins.
— Les sommes versées à une entreprise de travaux publics en rémunération d’un marché de travaux publics sont insaisissables: l’affectation de l’activité de l’entreprise de travaux publics à la réalisation de l’intérêt général justifie d’une certaine manière l’insaisissabilité, il s’agit un moyen de garantir l’achèvement de l’ouvrage.
2 exceptions: ces sommes sont saisissables pour le paiement des salariés et des fournisseurs qui contribuent à la réalisation de l’ouvrage.
2) L’insaisissabilité justifiée par l’intérêt collectif
L’intérêt des organisations professionnelles justifie l’insaisissabilité de certains biens. Ainsi, sont insaisissables les immeubles et objets mobiliers nécessaires aux réunions des syndicats, à leur bibliothèque et à leurs cours d’instruction professionnelle (Code du travail Article L411-12 al.2). L’insaisissabilité concerne seulement les biens du syndicat indispensables à son activité de défense des intérêts collectifs de la profession et également de formation professionnelle. Les autres biens du syndicat sont saisissables, la jurisprudence a d’ailleurs admis la saisissabilité d’un compte bancaire de la CGT.
- B) La prise en compte de la protection du débiteur
Dans un souci d’humanité, l’insaisissabilité protège le débiteur en raison du caractère vital de certains biens corporels pour l’intéressé ou sa famille (1) ou encore en raison du caractère extrapatrimonial de certains (2).
1) L’insaisissabilité liée au caractère vital de certains biens du débiteur et de sa famille
L91 vise les biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille (a) et les provisions, les sommes et pensions à caractère alimentaire (b).
- a) Les biens mobiliers nécessaires au travail et à la vie du débiteur et de sa famille
— « Ne peuvent être saisis: […] 4° Les biens mobiliers nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille » (L91 Article 14 4°). La liste des biens mobiliers insaisissables est reprise à l’identique: « Les vêtements ; La literie ; […] La table et les chaises permettant de prendre les repas en commun ; » etc. (D92 Article 39).
NB: la machine à laver le linge était saisissable avant 1992, de même qu’une vache, 12 chèvres et 12 brebis. Depuis 1997, le poste téléphonique permettant l’accès au service téléphonique fixe n’est plus saisissable mais le téléphone portable le reste.
Ainsi, tout objet se rattachant à une activité de loisir, tenant au confort, à la décoration ou à l’esthétique d’une habitation, à l’amélioration des conditions d’existence, i.e. tout objet superflu, non indispensable à la vie est saisissable (ex: le poste de télévision).
Les biens mobiliers nécessaires au travail du débiteur et de sa famille sont insaisissables car il faut permettre au débiteur de travailler pour payer ses dettes. Autrefois limitée aux outils de l’artisan, l’insaisissabilité vaut aujourd’hui quelle que soit la nature de l’activité professionnelle, elle concerne « les instruments de travail nécessaires à l’exercice personnel de l’activité professionnelle » (D92 Article 39) à l’exclusion du matériel de l’entreprise.
Exceptions: l’insaisissabilité de ces biens est relative, elle cesse dans 5 cas (L91 Article 14 4°): l’insaisissabilité cesse lorsque ces biens
- « se trouvent dans un lieu autre que celui où le saisi demeure ou travaille habituellement«
- sont « de valeur, en raison notamment de leur importance [(ex: matériel de radiologie)], de leur matière, de leur rareté, de leur ancienneté ou de leur caractère luxueux« . Le flou de la formule légale entraine des divergences d’interprétation: pour certains la voiture du chauffeur de taxi est saisissable lorsqu’elle est luxueuse, alors que pour d’autres il s’agit d’un outil de travail insaisissable.
- « perdent leur caractère de nécessité en raison de leur quantité«
- « constituent des éléments corporels d’un fonds de commerce« . En effet, dans ce cas, on considère que les biens perdent leur individualité et qu’ils font dès lors partie d’un ensemble, d’un tout saisissable.
- ces biens redeviennent saisissables « pour le paiement de leur prix » i.e. pour les sommes dues au fabriquant, au vendeur ou encore à celui qui a prêté pour acheter, fabriquer ou réparer.
Le juge de l’exécution est compétent, le cas échéant pour trancher toute contestation sur la nature saisissable ou insaisissable d’un bien.
— « Les objets indispensables aux personnes handicapées ou destinés aux soins des personnes malades ne peuvent jamais être saisis, pas même pour paiement de leur prix, fabrication ou réparation. » (D92 Article 42) Avant la réforme, ces biens figuraient dans la liste des biens insaisissables comme étant nécessaires à la vie ou au travail du saisi, ils pouvaient donc être saisis pour le paiement de leur prix. La jurisprudence les rendait insaisissables lorsqu’ils étaient intégrés à la personne humaine, ainsi une prothèse dentaire était insaisissable. Cette jurisprudence a perdu tout intérêt pratique puisque ces objets font aujourd’hui l’objet d’une insaisissabilité absolue.
- b) Les provisions, sommes et pensions à caractère alimentaire
— « Ne peuvent être saisi[e]s: […] 2° Les provisions, sommes et pensions à caractère alimentaire« (L91 Article 14 2°):
- Les créances ayant un caractère alimentaires sont insaisissables: par créance alimentaire on entend toutes les créances qui assurent la satisfaction des besoins vitaux d’une personne ne pouvant plus assurer elle-même sa propre subsistance. Ces créances ne se limitent pas aux créances alimentaires par nature, ainsi, pour la Cour de cassation, la prestation compensatoire est insaisissable dans son intégralité (alors qu’on peut lui trouver une double nature) (Cour de cassation 2ème Civ 10 mars 2005).
Exception: l’insaisissabilité n’est pas opposable au créancier d’aliments sous réserve du minimum de survie nécessaire à la subsistance du débiteur et de sa famille, minimum prévu par le législateur pour la saisie des rémunérations du travail (cf. infra.).
- Les rémunérations du travail sont partiellement insaisissables: l’étendue de l’insaisissabilité est déterminée dans les proportions et selon des seuils fixés par le Code du travail au titre de la saisie des rémunérations du travail (cf. infra.).
Les allocations de chômage sont soumises au même régime car elles visent à assurer une garantie en cas de perte d’emploi.
En revanche, le RMI est totalement insaisissable et le blocage des comptes courants ou de dépôt ne peut y faire obstacle (L92). Ainsi, le bénéficiaire du RMI peut effectuer des retraits mensuels sur son compte dans la limite du montant de l’allocation de RMI (440,86 euros depuis le 1er jan. 2007).
- Les prestations sociales sont totalement ou partiellement insaisissables: il s’agit des prestations versées par les caisses de sécurité sociale et par les caisses d’allocation familiale. L’insaisissabilité est, selon le cas, soit totale (prestation en nature de l’assurance maladie) ou partielle (indemnité de maladie). En principe, la portion insaisissable est la même que pour les salaires à l’exception des cas particuliers relativement nombreux.
— Ces créances demeurent insaisissables même si elles sont versées sur un compte bancaire i.e. le débiteur peut toujours exiger, tant que le créancier n’a pas demandé le paiement des sommes saisies, qu’une sommes équivalente à la portion insaisissable soit laissée à sa disposition. Dans ce cas, il doit justifier de l’origine des fonds figurant sur le compte et le cas échéant saisir le JEX pour déterminer la portion saisissable.
Procédure d’urgence: la procédure peut être longue dont le décret du 11 sept 2002 a institué une procédure d’urgence permettant la mise à disposition d’une somme à caractère alimentaire figurant sur un compte bancaire. Cette procédure s’applique aux saisies pratiquées depuis le 1er déc. 2002.
- champ d’application: la procédure d’urgence vaut pour toutes les saisies sur un compte bancaire, qu’il s’agisse de la saisie conservatoire des créances (mesure conservatoire) ou de la saisie-attribution (mesure d’exécution). Une seule demande peut être présentée par saisie, dans le mois de la demande.
La somme mise à disposition est doublement limitée: elle ne peut être supérieure ni au RMI pour un allocataire seul (440,86 euros au 1er jan. 2007) ni au montant du solde créditeur du compte (le débiteur n’a pas un droit au découvert au titre de cette procédure). Ainsi, si plusieurs comptes bancaires sont saisis, le débiteur doit être vigilant et demander le prélèvement de cette somme sur celui des comptes où il a le plus de chance d’obtenir la somme dans son intégralité.
Cette mise à disposition n’est pas un nouveau cas d’insaisissabilité mais une mise à disposition, elle se combine donc avec les autres textes et n’interdit pas la remise des autres sommes insaisissables et ne se cumule pas avec celles-ci, elle vient donc en déduction.
ex: un débiteur a 500 euros d’allocations familiales, il demande la mise à disposition de 440,86 euros, il pourra demander le surplus soit 51,14 euros.
ex: le débiteur obtient la mise à disposition de 200 euros représentant la totalité des allocations familiale, il demande la mise à disposition immédiate de la somme du RMI, il ne sera mis à sa disposition que 440,86 – 200 soit 240,86 euros.
- mise en œuvre: le débiteur ou cotitulaire du compte (en cas de compte joint) doit présenter une demande enfermée dans un double délai: dans les 15 jours de la saisie et avant la demande de paiement du créancier. Le délai étant exprimé en jours, le jour de la saisie n’est pas pris en compte pour la computation du délai donc le délai court le lendemain de la saisie. De plus, si ce délai expire un dimanche ou un jour férié il est reporté au premier jour ouvrable suivant. Si normalement le délai expire à 24 heures, le débiteur doit néanmoins tenir compte des heures d’ouverture des banques.
Concrètement le débiteur dépose un formulaire simplifié dont le modèle est fourni par arrêté et annexé à l’acte de saisie, il peut le cas échéant être retiré directement par le débiteur auprès des établissements bancaires. Le formulaire comprend des mentions obligatoires mais aucune sanction n’est prévue en cas d’irrespect de sa présentation.
- effets: dès qu’elle reçoit demande, la banque met immédiatement la somme à la disposition du débiteur sans que ce dernier n’ait à fournir un quelconque justificatif. La somme peut être remise en liquide, à défaut elle est affectée sur un compte spécial si le titulaire du compte souhaite en disposer en tirant des chèques ou en utilisant une carte bancaire.
2) L’insaisissabilité des biens extrapatrimoniaux
— Sont insaisissables « les souvenirs à caractère personnel ou familial » (D92 Article 39) L’insaisissabilité se fonde sur l’intimité, l’importance du souvenir, de la mémoire. Elle s’explique aussi souvent par l’absence de valeur marchande de tels biens (ex: les portraits de famille).
— La protection du droit moral de l’auteur, en principe les droits de propriété littéraires et artistiques sont saisissables mais la protection du droit moral conduit à restreindre cette saisissabilité. En principe, les manuscrits inédits sont insaisissables. De même, pour les œuvres d’art, en principe seuls les revenus de l’œuvre sont saisissables si bien qu’un tableau achevé non exposé est insaisissable en tant que tel.
— Si les droits de propriété industrielle (brevet et marque) sont saisissables, les inventions non brevetées sont insaisissables i.e. un brevet n’est saisissable qu’après son dépôt.
2) L’insaisissabilité volontaire
L’insaisissabilité peut résulter d’une manifestation de volonté expresse (D92 Article 38 insaisissabilités permises par la loi), elle peut être stipulée à titre principal (A) ou à titre accessoire (à une clause d’inaliénabilité) (B).
- A) L’insaisissabilité stipulée à titre principal
L’insaisissabilité peut être stipulée à titre principal par un testateur ou donateur (1) ou par un entrepreneur individuel (2).
1) L’insaisissabilité stipulée par un donateur ou testateur
L91 Article 14 3° « Les biens disponibles déclarés insaisissables par le testateur ou le donateur [ne peuvent être saisis], si ce n’est, avec la permission du juge et pour la portion qu’il détermine, par les créanciers postérieurs à l’acte de donation ou à l’ouverture du legs«
ex: une personne donne son immeuble à charge de rente viagère, dans ce cas, la clause permet au gratifié de conserver le bien pour exécuter la rente viagère.
Ce pouvoir reconnu à l’auteur d’une libéralité ne préjudicie pas aux droits des créanciers car le donateur ou testateur pouvait très bien ne rien donner ou léguer au donataire ou légataire. Cependant, l’insaisissabilité ne vaut que pour les créanciers antérieurs au legs ou à la donation. En effet, seuls les créanciers antérieurs pouvaient ne pas compter sur la libéralité. Ainsi, la règle est tempérée pour les créanciers postérieurs: l’insaisissabilité peut être écartée s’ils obtiennent une autorisation du juge et dans ce cas, le juge détermine la portion pour laquelle les biens donnés ou légués peuvent être saisis.
2) L’insaisissabilité stipulée par un entrepreneur individuel
Depuis la loi Dutreil du 1er aout 2003 pour l’initiative économique, Code de commerce Article L526-1 et suivants, l’entrepreneur individuel peut déclarer sa résidence principale insaisissable. Le législateur entend ici seulement, par cette technique, limiter l’obligation indéfinie aux dettes de l’entrepreneur individuel.
v Champ d’application: cette faculté est réservée aux personnes physiques à l’exclusion des personnes morales puisque la forme sociétaire les protège déjà. La déclaration d’insaisissabilité ne vaut que pour la résidence principale.
v Forme: la déclaration doit être faite par acte notarié. Dans un souci de protection des intérêts des créanciers, cette déclaration est soumise à une double publicité: publication à la conservation des hypothèque (ou au livre foncier en Alsace) et dans un registre légal pour les personnes immatriculées ou dans un journal d’annonces légales pour les personnes non immatriculées.
v Portée: la déclaration d’insaisissabilité ne peut être opposée qu’au créancier professionnel dont la créance est née après la publication à la conservation des hypothèques. Ainsi, la déclaration n’est pas opposables aux créanciers personnels de l’entrepreneur ainsi qu’aux créanciers professionnels dont la créance est antérieure à la dite publication.
v En cas de cession: en cas de cession de la résidence principale, l’entrepreneur individuel conserve le bénéfice de sa déclaration par l’effet de la subrogation réelle:
- dans un premier temps, l’insaisissabilité se reporte sur le prix de vente
- dans un second temps, sur la nouvelle résidence principale acquise par l’entrepreneur à 2 conditions:
– l’acquisition intervient dans le délai d’1 an
– l’acte de vente contient une clause remploi (de la somme perçue en vendant la première résidence principale)
L’insaisissabilité se reporte à hauteur des sommes remployées. Le surplus étant saisissable, la seconde résidence principale a une nature hybride, elle est partiellement saisissable par les créanciers professionnels postérieurs. Dans ce cas l’entrepreneur a intérêt à procéder à une nouvelle déclaration d’insaisissabilité pour le surplus mais cette nouvelle déclaration ne produira réellement ses effets qu’à compter de sa publication.
v Fin de l’insaisissabilité: la déclaration d’insaisissabilité cesse de produire ses effets au décès de l’entrepreneur, elle n’est pas transmissible aux héritiers.
L’entrepreneur peut renoncer au bénéfice de sa déclaration. La renonciation devrait avoir un effet général et rétroactif mais certains auteurs considèrent que cette renonciation ne pourrait être qu’individuelle. En pratique, les établissements bancaires subordonneront leurs concours financiers à cette renonciation.
Ainsi, si la technique semble judicieuse, il n’en reste pas moins que la protection de la résidence principale sera souvent illusoire pour le petit entrepreneur. L’avenir nous dira si cette mesure permet définitivement de faire l’économie en droit français d’une réflexion sur le patrimoine d’affectation pour le patrimoine individuel.
- B) L’insaisissabilité accessoire à une clause d’inaliénabilité
v En matière de libéralités: les biens donnés ou légués affectés par une clause d’inaliénabilité sont insaisissables tant que cette clause est en vigueur (Cass 1ère Civ 15 juin 1994). Cette l’insaisissabilité est la conséquence directe de la loi du 3 juillet 1971 qui a consacré la validité des clauses d’inaliénabilité de biens donnés ou légués.
La clauses d’inaliénabilité est valable à 2 conditions (Code Civil Article 900-1):
- elle doit être temporaire
- elle doit être justifiée par un intérêt sérieux et légitime.
ex: intérêt moral: transmission bien de famille génération en génération, pécuniaire charge rente viagère.
Exceptions: même si la clause répond aux conditions requises, « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause disparait ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige » (Code Civil Article 900-1).
Les juridictions du fond divergeaient mais la Cour de cassation n’admet pas l’action oblique d’un créancier en levée judiciaire de la clause d’inaliénabilité. Ainsi, tout au plus, le créancier peut demander la nullité de cette clause en démontrant l’absence d’intérêt sérieux et légitime.
v En matière de procédures collectives: « le tribunal peut assortir le plan de cession d’une clause rendant inaliénable, pour une durée qu’il fixe, tout ou partie des biens cédés. » (Code de commerce L642-10 al.1). Cette clause d’inaliénabilité fait l’objet d’une publicité spéciale: mention en est faite par le liquidateur sur les registres publics sur lesquels les biens déclarés inaliénables et les droits qui les grèvent sont inscrits (pour immeubles: conservation des hypothèques) à défaut, mention en est faite soit au RCS pour un commerçant ou une personne immatriculée soit au registre ouvert à cet effet au greffe du TGI pour les personnes non immatriculées au RCS. La publicité doit mentionner la durée de l’inaliénabilité.