Le dommage réparable : définition, caractère
Deux conditions communes à tous les régimes de responsabilité : le dommage, le lien de causalité, le dommage doit être directement causé par le fait générateur.
Un dommage doit être
- CERTAIN : pour qu’il y ait réparation du préjudice, il faut qu’il soit certain, ou du moins très vraisemblable. Le dommage ne doit donc pas être éventuel. Toutefois, le préjudice peut parfaitement n’être que futur ou même consister en une « perte de chance » ;
- PERSONNEL : seule la victime du dommage peut en demander réparation, qu’il s’agisse de la victime directe ou de la victime par ricochet ;
- DIRECT : le préjudice doit être clairement la conséquence du fait générateur de la responsabilité. En cas de dommages « en cascade », il appartient au juge de déterminer où s’arrête le dommage direct ;
- LÉGITIME : la réparation d’un préjudice n’est pas concevable si l’intérêt de la victime n’est pas légitime et juridiquement protégé.
Section I : définition du dommage réparable
Le dommage est la première condition pour que puisse être mise en œuvre la responsabilité civile, le dommage est l’atteinte a un intérêt légitime juridiquement protégé. En théorie le dommage se distingue du préjudice, en pratique, les termes sont employés l’un pour l’autre, certains auteurs les distinguent quand d’autres pensent qu’ils ont complémentaires. Le dommage c’est le domaine du fait, le préjudice est la conséquence de l’atteinte, c’est la traduction juridique du dommage.
Pour savoir s’il y a préjudice, on se demande quelle serait la situation de la victime si le fait dommageable n’avait pas eu lieu. Cette différence entre les deux situations va déterminer si oui ou non il y a préjudice. Cela va supposer un changement dans le cours actuel des choses. Tous les dommages ne sont pas réparables. La vie en société peut générer des dommages n’ouvrant pas droits à réparation, ex : on peut obtenir réparation des troubles anormaux du voisinage. On doit cependant supporter les troubles normaux du voisinage.
Pour être réparable un préjudice doit revêtir 3 caractères.
Section II : Les caractères du dommage réparable
Traditionnellement un dommage doit retenir 3 caractères cumulatifs pour être réparable (certain, direct et légitime).
- 1°) Le caractère légitime
La légitimité d’intérêt c’est d’abord une exigence procédurale de l’action en justice qui est exigée par l’article 31 du code de procédure Civile. On doit pouvoir démontrer d’un intérêt légitime à agir. Cette exigence procédurale a été transposée en droit de la responsabilité afin de pouvoir contrôler le préjudice réparable. Via cette exigence, le juge va pouvoir écarter les demandes de réparation dont pourraient se prévaloir une victime, le juge ne va réparer que la lésion d’un intérêt légitime. La jurisprudence ne répare pas les préjudices illicites.
A – Le préjudice par ricochet de la concubine
Pendant longtemps, la Cour de cassation a refusé de réparer le préjudice subi par la concubine.
2 types de victimes en droit de la responsabilité,
- la victime directe ou immédiate, c’est celle qui va subir le dommage en premier lieu, (la personne qui se fait renversée par une voiture),
- seconde catégorie, les victimes par ricochet (celle qui souffre d’un préjudice du fait de l’atteinte à la victime directe, (elle souffre parce qu’une autre souffre).
Au début du 20ème, les juges considérait que le concubinage était contraire a la morale,
- c’est pourquoi la chambre civile de la cour de cassation a refuser de réparer le préjudice subi par la concubine du fait du décès de son concubin.(27/07/1937) à refuser de réparer le préjudice de la concubine, elle estime que le dommage subi n’était pas légitime en raison de irrégularité de sa situation et que donc elle ne pouvait invoquer la lésion d’un intérêt légitime juridiquement protégé.
- En 1959 la chambre criminelle qui retenait cette position auparavant, a atténuer la rigueur de sa jurisprudence, et a admis la réparation du préjudice de la concubine mais seulement lorsque le concubinage était stable et non adultérin. La chambre civile a cependant maintenue sa position.
- Ce conflit entre les 2 chambres à été tranché par une chambre mixte le 27/02/1970 (arrêt dangereux). Par cet arrêt la chambre mixte a énoncé que l’article 1382 (1240) n’exige pas pour que le dommage soit réparé, l’existence d’un lien de droit (parenté ou alliance) entre le défunt et le demandeur en indemnisation, autrement dit la concubine pouvait obtenir la réparation de son préjudice. En 1970 la chambre mixte s’est rangée à la chambre criminelle.
- Il a fallu attendre 1975 le 19 juin, pour que la cour de cassation répare le préjudice de la concubine adultérine. (un mois plus tard dépénalisation de l’adultère).
B – Le préjudice illicite
Dans cette hypothèse, le préjudice ne va pas être réparé parce que l’on va considérer que le bienfait dont a été privée la victime est illégitime car illicite.
Ex : femme de ménage travaille sans être déclarée, accident l’empêchant de poursuivre son activité (elle travaille « au noir »). Peut-elle se prévaloir d’un préjudice résultant de la perte de rémunération ? La cour de cassation a considéré que ce préjudice n’était pas réparable.
Rappel du principe dans un arrêt de la 2eme chambre civ 22/02/2007. La cour de cassation a refusé d’admettre qu’un droit a réparation puisse naître d’un avantage illicite.
Si le juge indemnisait une perte de revenu illicite, cela reviendrait à dire qu’il la reconnaît et que de fait, cela deviendrait licite. En somme il sanctionne la situation irrégulière de la victime.
La Cour de cassation distingue cela de la situation de fraude au moment du dommage : Exemple du passager d’un train qui n’a pas acheté de titre de transport et qui va subir un dommage pendant. Ce passager peut-il obtenir réparation de ce préjudice ? OUI arrêt du 19/02/1992 civ 2, ce n’est pas la situation qui importe mais plutôt la nature du dommage. Cette différence de jurisprudence a été expliquée de deux façons,
- se focaliser sur la nature du dommage. Si le préjudice est de nature économique, la situation de la victime est prise en compte. En revanche la Cour de cassation ferait toujours prévaloir le préjudice corporel, il prévaudrait sur toute autre considération.
- Seconde façon de voir les choses, l’intérêt lésé est-il oui ou non digne de protection ? dans l’hypothèse du travail au noir le préjudice réside dans la perte de revenus de l’intéressé donc on ne répare pas ça, dans le deuxième cas, atteinte a l’intégrité physique donc indemnisation sera facilitée quelques soit les circonstances.
C – Le préjudice illégitime
Ici, le juge, alors que la situation n’a rien d’irrégulière, va estimer que le dommage dont la victime se plaint n’est pas légitime, cela revient à dire qu’il n’y a pas de dommage réparable, voir pas de dommage du tout.
Le juge porte son appréciation sur ce qu’il estime constituer un intérêt légitimement protégé.
Hypothèse d’un IVG raté, une patiente souhaite réaliser une IVG. Ça n’a pas fonctionné et l’enfant naît, la mère peut elle se plaindre de la naissance de l’enfant suite à L’IVG ratée ? La Gour de cassation à refusé de réparer le préjudice invoqué par la mère 1er civ 25/06/1991, l’existence de l’enfant conçu ne peut à elle seule constituer pour sa mère un préjudice juridiquement réparable même si la naissance est survenue après une intervention pratiquée sans succès en vue de l’interruption de la grossesse. La naissance d’un enfant n’est pas un préjudice réparable.
Seconde hypothèse. L’affaire perruche : où l’enfant naît handicapé à la suite d’une erreur de diagnostique en cours de grossesse ce qui a empêché la mère de pratiquer un IVG. Les parents avaient demandé la réparation de leurs propres préjudices mais également du préjudice de l’enfant.
- La Cour de cassation refusera de réparer le préjudice de l’enfant mais accepta de réparer le préjudice des parents.
- La Cour d’appel de renvoi Orléans, refuse de réparer le préjudice subi par l’enfant.
- La Cour de cassation assemblée plénière, 17/11/2000 casse et annule l’arrêt de la CA Paris, « que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse et ce afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues. » L’enfant peut donc demander la réparation du préjudice résultant du handicap causé par les fautes commises par le médecin et le laboratoire parce que ces fautes avaient empêché sa mère d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse. C’était la première fois que la jurisprudence consacre en termes aussi clairs le droit pour l’enfant né handicapé d’être indemnisé de son propre préjudice (le fait que les parents soient indemnisés n’était pas en cause dans cette affaire et n’est plus contesté depuis longtemps au moment de la décision).
Sur le lien de causalité, il faut rapport causal direct entre le dommage et la faute.
Intervention du législateur loi du 04/03/2002, qualifiée Loi « anti-Perruche » : interdiction de l’indemnisation du préjudice d’être né. Cette loi est :
- Réponse au lobby des associations, nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. On reprochait à la Cour de cassation d’avoir considéré comme un préjudice le seul fait d’être né : en effet, selon les critiques, si le laboratoire n’avait pas commis cette faute, Nicolas Perruche ne serait pas né, puisqu’il y aurait eu IVG.
- Réponse au lobby des médecins : cette loi précise qu’un enfant qui nait handicapé pourra obtenir réparation si son handicap est dû a une faute médicale, il faut également que cette faute soit, soit la cause directe du handicap, soit que sa faute a causé une aggravation du handicap, soit sa faute à empêcher d’atténuer le handicap. On remarque que l’hypothèse de l’affaire perruche n’est pas couverte par cela.
Le législateur avait prévu que l’article L114-5 s’applique immédiatement aux affaires en cours, (effet rétroactif de la loi). Censure de la CEDH arrêt du 06/10/2005. Écartement de la loi du 04/03/2002 pour contrôle de conventionalité. : « On reprochait à la Cour de cassation d’avoir considéré comme un préjudice le seul fait d’être né : en effet, selon les critiques, si le laboratoire n’avait pas commis cette faute, Nicolas Perruche ne serait pas né, puisqu’il y aurait eu IVG ».
Dispositions transitoires censuré par conseil constitutionnel 11/06/2010, cette disposition transitoire a disparu désormais.
- 2°) Le caractère certain
La victime ne peut obtenir réparation de son préjudice que si son existence est certaine, autrement dit le préjudice doit être effectif, on ne répare pas un préjudice hypothétique, la victime doit être en mesure de prouver ce préjudice. Cela envisage 3 situations, le préjudice futur, la perte de chance, le risque de dommage.
A – Le préjudice futur
Ce préjudice pourra être certain si l’on est sûr qu’il va se produire. En revanche si l’on n’est pas sûr que ce préjudice se produise, le caractère certain n’est plus, ainsi ce dernier n’est pas réparable : Arrêt de la 2nde Chambre civile 20/07/1993.
B – La perte de chance
La perte de chance est la disparition d’une éventualité favorable, perte de chance lorsque processus de gain ou de perte rompu et donc on ignore quel aurait été l’issu de ce processus. Préjudice constitué par une perte de chance.
Apparu dans les années 60 dans la jurisprudence de la cour de cassation, scepticisme, voir critique de la doctrine.
Il faut que la perte de chance soit réelle et sérieuse. Dans ce cas le préjudice est réparable. Pour déterminer cette hypothèse on examine deux cas :
- si le fait dommageable intervient pendant que le demandeur court sa chance, alors la cour de cassation considère que la chance est réelle et sérieuse,
- ou encore lorsque le demandeur n’as pas encore couru sa chance, dans cette hypothèse, il ressort de la jurisprudence que le demandeur doit prouver qu’il était sur le point de profiter de l’espoir perdu. Exemple : Un étudiant poursuite des études de droit pour devenir magistrat, il a un accident, il ne peut plus étudier, peut-il invoquer la perte de chance ? Pas en seconde année de droit (L2), mais en prépa enm oui.
Comment calculer le préjudice indemnisable ? Cela s’évalue à mesure d’une réparation partielle du dommage final. Indemnisation nécessairement inférieur à celle qui aurait été octroyée pour la perte de l’avantage si la chance s’était réalisée, concrètement
C – Le risque de dommage
Il y a des risques certains et d’autres incertains, cette distinction permet d’établir une différence entre ce qui relève de la prévention de ce qui va relever de ce qui est certain. Le risque de dommage est il réparable ? Admettre la mise en jeu d’une responsabilité en cas de simple risque de dommage, quelle que soit sa gravité potentielle reviendrait purement et simplement à consacrer une responsabilité sans préjudice, ce qui semble, à première vue, impossible dans la conception traditionnelle de la responsabilité.
Évolution de la jurisprudence :
- 1°) possible d’agir en référé pour faire cesser un trouble imminent pouvant être constitutifs d’une situation a risque, le risque de dommage peut être constitutif d’un trouble qui justifie des mesures préventives.
- 2°) le risque de dommages peut parfois être réparé sur d’autres fondement que le droit commun de la responsabilité.
- 3°) le risque de dommages est en train de devenir un dommage, apparaissent alors les préjudices de crainte, d’angoisse etc.
- 4°) peut on aller jusqu’à indemniser le risque de dommages hypothétiques ?