Quels sont les pouvoirs propres du président de la République?

Les pouvoirs sans contreseing du chef de l’État (pouvoirs propres)

L’article 19 de la Constitution de 1958 introduit une distinction essentielle entre les actes du président de la République nécessitant un contreseing ministériel et ceux qui n’en nécessitent pas. Ces derniers, appelés pouvoirs propres, sont exercés de manière autonome par le chef de l’État et traduisent l’influence centrale qu’il occupe dans les institutions de la Cinquième République.

Définition et rôle du président de la République

Le président de la République est le chef de l’État et le garant des institutions. Il est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans (quinquennat). Sa fonction incarne une autorité morale et institutionnelle supérieure, renforcée par des prérogatives uniques sans contreseing qui reflètent sa capacité d’agir directement dans les domaines clés de la vie publique. Les pouvoirs sans contreseing couvrent plusieurs domaines, liés à sa relation avec le gouvernement, le parlement, le peuple ou en situation exceptionnelle.

En résumé, les pouvoirs propres du président de la République sont les suivants :

1) Pouvoirs en lien avec le gouvernement : Le président exerce plusieurs pouvoirs sans contreseing qui concernent la gouvernance et l’organisation de l’exécutif :

  • Nomination du Premier ministre : Selon l’article 8, alinéa 1, le président nomme librement le Premier ministre. Ce choix reflète sa stratégie politique, en particulier dans le contexte d’un fait majoritaire ou d’une cohabitation.
  • Pouvoirs en période de crise (article 16) : Le président peut activer les pouvoirs exceptionnels, lui permettant de cumuler les fonctions exécutives et législatives en cas de menace grave pour les institutions ou l’intégrité du territoire. Cette décision est prise de manière souveraine après consultation obligatoire du Conseil constitutionnel et des présidents des assemblées.
  • Consultation pour avis : Il préside le Conseil des ministres, une fonction qui ne nécessite pas de contreseing et où il fixe les grandes orientations du gouvernement.

2) Pouvoirs en lien avec le parlement : Dans ses relations avec le parlement, le président dispose de certains leviers :

  • Dissolution de l’Assemblée nationale : Prévue à l’article 12, cette prérogative permet au président de convoquer des élections législatives anticipées pour résoudre une crise institutionnelle ou politique. Par exemple, en 1997, Jacques Chirac dissout l’Assemblée nationale, ce qui a conduit à une cohabitation avec Lionel Jospin après la victoire de la gauche.
  • Promulgation des lois : Bien que la promulgation soit une étape formelle, elle symbolise l’autorité du président dans le processus législatif.

3) Pouvoirs en lien avec le peuple : Le président de la République peut s’adresser directement au peuple français par le biais du référendum législatif (article 11) ou dans le cadre des campagnes présidentielles et des messages à la nation.

  • Référendum législatif : Ce pouvoir sans contreseing permet au président de soumettre au peuple une loi relative à l’organisation des pouvoirs publics ou à des réformes essentielles.
    • Exemple récent : En 2005, le président Jacques Chirac a organisé un référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe.
  • Communication avec la nation : Le président peut intervenir directement pour expliquer des décisions cruciales, comme l’a fait Emmanuel Macron en 2020 lors des confinements liés à la pandémie de COVID-19.

4) Pouvoirs exceptionnels :  L’article 16 confère au président des pouvoirs extraordinaires en période de crise, comme détaillé dans le texte précédent. Ces prérogatives, uniques en Europe, traduisent une concentration temporaire des pouvoirs pour protéger les institutions.

 

&1. Les pouvoirs propres du Président de la République en rapport avec le gouvernement.

 

Les pouvoirs propres du président de la République, en matière de nomination et de cessation des fonctions du Premier ministre, sont définis par l’article 8, alinéa 1 de la Constitution de 1958. Ces prérogatives s’exercent différemment selon les circonstances politiques, notamment selon qu’il y ait fait majoritaire ou cohabitation.

A) La période de convergence (fait majoritaire).

Lorsqu’il y a un fait majoritaire — c’est-à-dire une concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire — le président de la République dispose d’une liberté totale dans le choix du Premier ministre. Son pouvoir de nomination est alors entièrement discrétionnaire.

En ce qui concerne la cessation des fonctions du Premier ministre, une coutume constitutionnelle s’est imposée : bien que l’article 8 n’énonce pas explicitement le pouvoir de révocation, il est admis que le président peut demander à tout moment au Premier ministre de présenter sa démission. Cette pratique s’est illustrée sous diverses présidences :

  • Charles de Gaulle, en 1962, demande la démission de Michel Debré après que ce dernier a signé une lettre de démission en blanc au début de son mandat en 1959.
  • En 1972, Georges Pompidou écarte Jacques Chaban-Delmas, jugé trop indépendant.
  • Valéry Giscard d’Estaing, en 1976, voit Jacques Chirac devancer une révocation en démissionnant de lui-même.
  • François Mitterrand, en 1984, remplace Pierre Mauroy par Laurent Fabius et, en 1991, met fin au mandat de Michel Rocard, qui affirma plus tard : « Je suis sorti de Matignon à l’horizontale. » Edith Cresson, première femme à occuper cette fonction, fut également révoquée après seulement 11 mois en poste, Mitterrand reconnaissant une « erreur de casting ».
  • Enfin, Jacques Chirac, en 2005, met fin aux fonctions de Jean-Pierre Raffarin après des résultats décevants aux élections régionales.
  • En 2023, le président Emmanuel Macron a procédé à un remaniement ministériel en maintenant Élisabeth Borne au poste de Première ministre, malgré les attentes d’un changement à la tête du gouvernement.
  • En 2024, après des élections législatives anticipées, Gabriel Attal a été nommé Premier ministre. Cependant, face à une situation politique complexe, il a présenté sa démission en juillet 2024, que le président Macron a acceptée, illustrant ainsi la prérogative présidentielle en période de fait majoritaire.

Ces exemples démontrent que, sous le fait majoritaire, le Premier ministre est souvent perçu comme une extension de la volonté présidentielle, dépendant étroitement de la confiance du chef de l’État.

 

B) En période de cohabitation.

La cohabitation, situation dans laquelle le président appartient à une majorité politique différente de celle de l’Assemblée nationale, modifie profondément l’exercice de ces pouvoirs.

Nomination du Premier ministre
Dans ce contexte, le président de la République est contraint de tenir compte de la nouvelle majorité parlementaire. Cela limite considérablement sa marge de manœuvre.

  • En 1986, François Mitterrand nomme Jacques Chirac, chef du parti ayant remporté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale, malgré leurs divergences politiques profondes.
  • En 1993, Jacques Chirac ne souhaitant pas redevenir Premier ministre, Mitterrand choisit Edouard Balladur, un proche allié de Chirac, désigné par ce dernier.
  • En 2024, après des élections législatives anticipées, le président Macron a nommé Michel Barnier, une figure consensuelle de la droite, comme Premier ministre, afin de refléter la nouvelle composition de l’Assemblée nationale. La nomination de Michel Barnier à Matignon reflétait la nécessité de composer avec une Assemblée nationale fragmentée, issue des élections législatives anticipées. Le Monde

Ainsi, en période de cohabitation, le président est davantage un arbitre institutionnel, son pouvoir de nomination étant subordonné aux résultats des élections législatives.

Fin des fonctions du Premier ministre
En cohabitation, la coutume permettant au président de mettre fin aux fonctions du Premier ministre ne s’applique plus. Le Premier ministre tire sa légitimité non plus du président, mais directement de la majorité parlementaire issue des urnes. En conséquence, il est politiquement difficile, voire impossible, pour le président d’imposer une démission. Cette situation inverse les rapports de force habituels : le Premier ministre devient alors l’acteur central de l’exécutif, reléguant le président à un rôle plus symbolique sur les questions gouvernementales.

 

&2. Les pouvoirs propres du Président de la République en rapport avec le Parlement

A) Le droit de dissolution de l’assemblée nationale.

L’article 12 de la Constitution confère au Président de la République le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, un droit qu’il peut exercer tant en période de concordance des majorités qu’en période de cohabitation.

Limites constitutionnelles à la dissolution :

  • Consultations obligatoires : Avant de prononcer la dissolution, le Président doit consulter le Premier ministre ainsi que les présidents des deux assemblées. Toutefois, leurs avis sont consultatifs et ne lient pas le Président.

  • Restrictions spécifiques :

    • La dissolution est interdite pendant l’application des pouvoirs exceptionnels prévus à l’article 16 de la Constitution.
    • En cas d’intérim présidentiel, le président par intérim ne peut ni dissoudre l’Assemblée nationale ni organiser de référendum (article 7, alinéa 4).
    • Après une dissolution, une nouvelle dissolution ne peut être prononcée avant l’expiration d’un délai d’un an suivant les élections législatives anticipées, afin d’éviter des abus de ce pouvoir.

Calendrier des élections législatives anticipées :

Suite à une dissolution, des élections législatives doivent être organisées dans un délai compris entre 20 et 40 jours après la dissolution, conformément aux dispositions constitutionnelles.

Pratiques sous la Ve République :

Depuis l’instauration de la Ve République, plusieurs dissolutions de l’Assemblée nationale ont été décidées :

  • Charles de Gaulle :

    • 1962 : Dissolution consécutive à l’adoption d’une motion de censure contre le gouvernement Pompidou, liée à l’utilisation controversée de l’article 11 pour réviser la Constitution.
    • 1968 : Dissolution en réponse aux événements de mai 1968, visant à rétablir l’ordre politique.
  • François Mitterrand : 1981 et 1988 : Dissolutions visant à obtenir une majorité parlementaire en adéquation avec le programme présidentiel, face à une Assemblée nationale initialement hostile.

  • Jacques Chirac : 1997 : Dissolution anticipée sans crise apparente, motivée officiellement par la préparation à l’introduction de l’euro. Cette décision, encouragée par Dominique de Villepin, s’est soldée par une défaite électorale, entraînant une période de cohabitation.

  • Emmanuel Macron : 2024 : Le 9 juin 2024, le Président Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale, invoquant la nécessité d’une majorité claire face à une Assemblée divisée. Cette décision a conduit à des élections législatives anticipées organisées les 30 juin et 7 juillet 2024.  Le Monde

 

B) le droit de message (article 18 de la Constitution)

L’article 18 de la Constitution permet au Président de la République de communiquer avec les deux assemblées par des messages écrits, lus par les présidents de celles-ci, sans donner lieu à débat. Cette pratique, héritée de la IIIe République, a évolué avec la révision constitutionnelle de 2008.

Évolution de 2008 : La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit la possibilité pour le Président de s’exprimer directement devant le Parlement réuni en Congrès. Après son allocution, un débat peut avoir lieu en son absence, sans qu’aucun vote ne soit organisé.

Utilisations notables :

  • Nicolas Sarkozy : Premier Président à user de ce droit, le 22 juin 2009.
  • François Hollande : Discours devant le Congrès le 16 novembre 2015, suite aux attentats terroristes à Paris.
  • Emmanuel Macron :
    • Allocution le 3 juillet 2017, présentant les orientations de son quinquennat.
    • Discours le 9 juillet 2018, dressant un bilan des réformes et des priorités à venir. Élysée

 

C) le droit de saisine du Conseil Constitutionnel (art.61).

L’article 61 de la Constitution autorise le Président de la République à saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il examine la conformité d’une loi votée par le Parlement avant sa promulgation. Ce pouvoir, bien que rarement utilisé par les Présidents, demeure une prérogative importante pour assurer le respect de la Constitution.

Résumé :

Les pouvoirs propres du Président de la République en relation avec le Parlement, tels que le droit de dissolution, le droit de message et la saisine du Conseil constitutionnel, sont des instruments essentiels qui lui permettent d’interagir efficacement avec les institutions législatives, tout en garantissant le bon fonctionnement et l’équilibre des pouvoirs au sein de la Ve République.

 

&3. Les pouvoirs propres du Président de la République en rapport avec le Conseil Constitutionnel.

 

Le président de la République joue un rôle fondamental dans la composition et les missions du Conseil constitutionnel, garant des principes constitutionnels et de l’équilibre institutionnel de la Cinquième République. Ses prérogatives en la matière sont principalement prévues par les articles 56 et 54 de la Constitution.

A) Nomination des membres du Conseil constitutionnel (article 56)

Le président de la République dispose du pouvoir de nommer trois membres du Conseil constitutionnel parmi les neuf que compte l’institution, dont son président. Ce pouvoir de nomination est une des prérogatives propres du chef de l’État et reflète son influence directe sur le fonctionnement de la plus haute juridiction constitutionnelle.

Modalités de nomination depuis la réforme de 2008

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les nominations effectuées par le président de la République sont soumises à un contrôle parlementaire pour assurer une plus grande transparence et impartialité.

  • Avant de devenir effectives, ces nominations doivent passer devant les commissions compétentes des deux assemblées.
  • Si une majorité des trois cinquièmes des membres de ces commissions rejette la nomination, celle-ci ne peut pas être validée.

Cette réforme a renforcé la dimension démocratique du processus, même si, dans les faits, aucun candidat proposé par un président n’a été rejeté depuis l’instauration de cette procédure.

Nomination du président du Conseil constitutionnel

Le président de la République désigne également le président du Conseil constitutionnel, parmi les neuf membres. Ce poste est stratégique, car le président du Conseil a une influence considérable sur l’organisation interne de l’institution et la conduite des délibérations. Parmi les récents présidents nommés, on peut citer :

  • Jean-Louis Debré, nommé en 2007 par Jacques Chirac.
  • Laurent Fabius, nommé en 2016 par François Hollande.
  • Éric Dupond-Moretti, dont la nomination a été envisagée en 2023, bien qu’elle ait suscité des débats publics.

B) Le contrôle de constitutionnalité des traités internationaux (article 54)

L’article 54 de la Constitution donne au président de la République la faculté de saisir le Conseil constitutionnel pour examiner la conformité d’un traité international à la Constitution. Si le Conseil identifie une incompatibilité, la ratification du traité ne peut intervenir qu’après une révision constitutionnelle.

Cette prérogative a été utilisée à plusieurs reprises pour garantir que des engagements internationaux respectent le cadre constitutionnel :

  • En 1992, François Mitterrand saisit le Conseil pour vérifier la compatibilité du traité de Maastricht avec la Constitution française, ce qui a conduit à une révision constitutionnelle pour intégrer certaines dispositions liées à l’Union européenne.
  • En 1997, Jacques Chirac saisit le Conseil pour le traité d’Amsterdam, visant notamment à renforcer les pouvoirs du Parlement européen.
  • En 2007, Nicolas Sarkozy utilise cette procédure pour le traité de Lisbonne, qui réorganisait les institutions européennes après l’échec de la Constitution européenne.

Ces exemples montrent que cette faculté présidentielle est particulièrement pertinente dans le cadre des relations internationales, où les engagements de la France doivent s’articuler avec les principes constitutionnels.

C) Le rôle du président dans les saisines législatives et le fonctionnement du Conseil

Bien que ce ne soit pas une prérogative propre, le président de la République peut également encourager une saisine législative par d’autres acteurs habilités (60 députés ou sénateurs, par exemple), notamment pour garantir que des lois importantes respectent les droits fondamentaux. Cette influence informelle témoigne de son rôle transversal dans la protection des principes constitutionnels.

&4. En rapport avec le peuple.

la procédure référendaire législative (article 11 de la Constitution) : L’article 11 de la Constitution de 1958 prévoit une procédure référendaire permettant au président de la République de soumettre directement au peuple certaines catégories de lois. Ce mécanisme, inscrit dans l’esprit du régime semi-présidentiel, constitue un moyen de démocratie directe au sein de la Cinquième République.

Champ d’application du référendum législatif

Le champ d’application du référendum, tel que prévu par l’article 11, a été élargi par la révision constitutionnelle de 1995. Aujourd’hui, il couvre plusieurs domaines :

  1. L’organisation des pouvoirs publics : Par exemple, les modifications sur le mandat présidentiel ou les institutions majeures.
  2. Les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale : Ces réformes doivent être jugées essentielles pour la nation.
  3. La ratification de traités internationaux ayant des conséquences sur le fonctionnement des institutions françaises.

Exemple récent : En 2005, bien que relevant davantage de l’article 89 pour les révisions constitutionnelles, le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe illustre le recours direct au peuple sur des questions stratégiques.

Procédure référendaire législative

Le déclenchement d’un référendum législatif peut intervenir de deux manières :

  1. À l’initiative du président de la République : Le président peut décider seul de soumettre une question au peuple, après consultation des deux assemblées. Cette faculté est l’une des prérogatives propres du président.
  2. Depuis la révision constitutionnelle de 2008 : le référendum d’initiative partagée (RIP) :
    • Le RIP permet à un cinquième des membres du Parlement (soit 185 parlementaires) de proposer un référendum, à condition que cette proposition soit soutenue par un dixième des électeurs inscrits (soit environ 4,7 millions de citoyens).
    • Ce mécanisme vise à renforcer l’implication citoyenne dans le processus législatif, bien qu’il soit soumis à plusieurs contraintes procédurales et n’ait jamais été pleinement mis en œuvre avec succès.

Exemples historiques et contemporains

Le référendum législatif a été utilisé à plusieurs reprises sous la Cinquième République, bien que son usage soit devenu rare :

  • 1961 : Le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie, initié par Charles de Gaulle.
  • 1962 : Le référendum sur l’élection du président au suffrage universel direct, qui a marqué un tournant dans l’histoire institutionnelle française.
  • 2000 : Le référendum sur le passage au quinquennat présidentiel.

Depuis lors, l’utilisation de l’article 11 s’est raréfiée, le président et les gouvernements privilégiant souvent les voies parlementaires pour éviter les aléas politiques d’un scrutin référendaire.

Dans un contexte de débats sociaux intenses, l’utilisation de l’article 11 a été évoquée à plusieurs reprises :

  • En 2019, lors de la crise des Gilets jaunes, l’idée d’un référendum sur des réformes institutionnelles, comme la réduction du nombre de parlementaires ou l’introduction d’une dose de proportionnelle, avait été envisagée, sans aboutir.
  • En 2023, face aux tensions sur la réforme des retraites, des voix dans l’opposition ont demandé un référendum via l’initiative partagée. Cependant, cette proposition a été jugée irrecevable par le Conseil constitutionnel.

Les limites de l’article 11

Malgré son potentiel, le référendum législatif est soumis à plusieurs limitations :

  1. Un outil présidentiel soumis aux aléas politiques : L’usage du référendum peut se retourner contre le président, comme en 1969 lorsque le rejet de la réforme du Sénat a conduit au départ de Charles de Gaulle.
  2. La difficulté d’activation du RIP : Le référendum d’initiative partagée reste complexe à mettre en œuvre en raison de ses seuils élevés et des contraintes de validation.
  3. Des risques de simplification des débats : Le référendum peut réduire des sujets complexes à une réponse binaire, ne laissant pas place à des nuances politiques ou législatives.

 

&5. En rapport avec les pouvoirs exceptionnels de l’article 16.

 

L’article 16 de la Constitution de 1958 confère au président de la République des pouvoirs exceptionnels, lui permettant de cumuler les fonctions exécutives et législatives en cas de crise grave. Cette disposition, introduite à l’initiative du général de Gaulle, visait à éviter la répétition du précédent de 1940, lorsque les pleins pouvoirs avaient été confiés à Pétain sans procédure constitutionnelle adaptée, dans un contexte d’invasion étrangère.

A) Les conditions de mise en œuvre de l’article 16

L’article 16 prévoit des conditions strictes de fond et de forme, qui doivent être remplies de manière cumulative pour déclencher ces pouvoirs.

1) Les conditions de fond

Les conditions de fond sont énoncées à l’alinéa 1 de l’article 16. Elles établissent que :

  1. Une menace grave et immédiate doit peser sur :

    • Les institutions de la République,
    • L’indépendance nationale,
    • L’intégrité du territoire,
    • Ou l’exécution des engagements internationaux de la France.
      Cette menace doit être réelle et d’une gravité suffisante.
  2. La menace doit interrompre le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels (président, gouvernement, parlement).

Il appartient au président de la République d’apprécier souverainement si ces conditions sont réunies, ce qui lui confère une discrétion importante. Ces dispositions sont étroitement liées à l’article 5 de la Constitution, qui définit le rôle du président comme garant des institutions et de leur continuité en période de crise.

2) Les conditions de forme

La mise en œuvre de l’article 16 est encadrée par des obligations formelles, visant à éviter les abus de pouvoir :

  1. Le président doit consulter :

    • Le Premier ministre,
    • Les présidents des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat),
    • Et le Conseil constitutionnel.

    L’avis du Conseil constitutionnel est obligatoirement publié, mais le président reste libre de le suivre ou non.

  2. Alinéa 2 : Le président doit informer la nation de sa décision par un message solennel.

Une fois l’article 16 en vigueur, les décisions présidentielles doivent viser à permettre le rétablissement rapide du fonctionnement normal des institutions. Ces décisions peuvent intervenir dans le domaine législatif ou réglementaire, élargissant considérablement les prérogatives présidentielles.

B) Les limites aux pouvoirs exceptionnels

Malgré leur portée étendue, les pouvoirs conférés par l’article 16 sont soumis à plusieurs limitations constitutionnelles et jurisprudentielles :

  1. Interdictions spécifiques :

    • Alinéa 5 : Le président ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
    • Alinéa 4 : Le Parlement se réunit de plein droit, mais ses prérogatives sont limitées. Il ne peut pas voter de lois ni censurer le gouvernement, car le président exerce seul les compétences législatives.
  2. Durée de l’exercice des pouvoirs :

    • Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, après 30 jours d’exercice, le Conseil constitutionnel peut être saisi par les présidents des assemblées ou 60 parlementaires pour vérifier si les conditions de fond restent réunies.
    • Après 60 jours, le Conseil constitutionnel peut s’autosaisir pour effectuer cette vérification.
    • L’avis du Conseil constitutionnel, bien que publié, n’est pas contraignant. Toutefois, ne pas le suivre pourrait être perçu comme contraire aux obligations présidentielles.
  3. Contrôles juridictionnels :

    • Dans le domaine législatif, les actes pris sous l’article 16 échappent au contrôle du Conseil constitutionnel, qui se déclare incompétent.
    • Dans le domaine réglementaire, le Conseil d’État est compétent pour contrôler les mesures présidentielles. Par exemple, dans l’arrêt Rubin de Servens (1962), le Conseil a établi la distinction entre les actes législatifs et réglementaires. Il a également annulé une mesure réglementaire prise sous l’article 16 dans l’arrêt d’Oriano (1964).

C) Le seul exemple d’utilisation de l’article 16 : le précédent de 1961

Le seul exemple d’application de l’article 16 remonte au putsch d’Alger, en avril 1961. Le général de Gaulle a invoqué cet article en réponse à la tentative de coup d’État menée par des généraux favorables à l’Algérie française.

  • Contexte : Le 23 avril 1961, des putschistes prennent le contrôle d’Alger, menaçant l’autorité de la République. De Gaulle estime que cette situation constitue une interruption du fonctionnement des pouvoirs publics, notamment en raison de l’arrestation d’un membre du gouvernement à Alger.
  • Durée : Bien que le putsch ait pris fin le 26 avril 1961, l’article 16 a été maintenu jusqu’au 29 septembre 1961, soit cinq mois, durant lesquels de Gaulle a utilisé ses pouvoirs pour adopter des décisions législatives majeures.
  • Controverses : Certains estiment que les conditions de fond n’étaient plus réunies dès la fin du putsch, ce qui soulève des interrogations sur l’usage prolongé de ces pouvoirs exceptionnels.

4) Évolutions récentes et débats actuels

  1. Révision de 2008 : L’introduction des mécanismes de contrôle par le Conseil constitutionnel a permis de renforcer les garde-fous contre un usage abusif de l’article 16.
  2. Débats sur l’abrogation : Plusieurs propositions d’abrogation de l’article 16 ont été formulées, notamment par François Mitterrand. Cependant, aucun président n’a réussi à obtenir une majorité parlementaire suffisante pour modifier ou supprimer cet article.
  3. Absence d’utilisation récente : Malgré des crises majeures, comme les attaques terroristes de 2015 ou la crise sanitaire liée au COVID-19, aucun président n’a jugé nécessaire de recourir à l’article 16, préférant des dispositifs comme l’état d’urgence ou les lois d’exception.

L’article 16 demeure un outil puissant, mais controversé, du dispositif institutionnel français. Il incarne la capacité du président à agir en temps de crise tout en soulevant des questions sur l’équilibre des pouvoirs et les garanties démocratiques.

 

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Isa Germain

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