Le recel au Sénégal (droit pénal sénégalais)

LE RECEL EN DROIT PÉNAL SÉNÉGALAIS

Le recel c’est le fait d’accepter ou de conserver par devers soi des choses dont on connait l’origine frauduleuse. Avant la loi française du 22 mai 1915, le recel n’était pas une infraction autonome, le receleur était assimilé au complice. Cette situation ne donnait pas satisfaction parce qu’il suffisait que l’auteur de l’infraction principale ne soit pas punissable pour que le receleur échappe à toute sanction pénale. Il en était ainsi en cas d’immunité familiale ou lorsqu’il y avait prescription. C’est contre cette situation intolérable que le législateur français a réagi en 1915 en faisant du recel une infraction autonome distincte de l’infraction d’origine.
En droit sénégalais, le recel est considéré comme une infraction distincte par les articles
430 et 431 du Code Pénal. Pour saisir la particularité de cette infraction, il est nécessaire de s’intéresser aux conditions de l’incrimination et à son régime juridique.


SECTION I: LES CONDITIONS DE L’INCRIMINATION DU RECEL


la loi exige des conditions préalable et des éléments constitutifs pour la caractérisation du recel.


Paragraphe 1: les conditions préalables au recel


En premier lieu il faut une infraction antérieure c’est-a-dire un crime ou un délit ayant procuré la chose recelée. En second lieu, la chose recelée doit être une chose mobilière.


A /un crime ou un délit ayant procure la chose recelée

La loi réprime ceux qui sciemment auront recelé tout ou partie des choses enlevées détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit. A la lecture de l’article 430 du Code Pénal, on peut penser que l’infraction primitive ne peut être qu’un vol, une escroquerie ou un abus de confiance. La jurisprudence a une conception extensive de la nature de cette infraction. Selon elle, l’infraction visée par la loi doit être entendue au sens large, le recel est établi dès lors que la chose a une origine frauduleuse, il suffit tout simplement que l’on soit en présence d’un crime ou d’un délit. La contravention ne rentre pas dans les prévisions de la loi.

On remarquera que pour la répression du recel, il importe peu que l’infraction primitive ait donné lieu à des poursuites et à une condamnation. La loi pénale peut s’appliquer même lorsqu’on n’a pas pu identifier l’auteur de l’infraction antérieure. La même solution doit être retenue lorsque l’auteur de l’infraction primitive ayant procuré la chose recelée est décédée ou lorsqu’il a pris la fuite ou encore s’il bénéficie d’une immunité familiale.
Le receleur échappe cependant à l’application de la loi lorsque l’infraction primitive ne peut être sanctionnée, il en va ainsi lorsque cette infraction ne tombe pas sous le coup de la loi. C’est également le cas lorsque l’infraction primitive est amnistiée. Dans cette hypothèse, la disparition de l’infraction primitive entraine en même temps la disparition du recel. Cette solution est compréhensible et justifiée car le recel ne peut être réprimé que s’il existe une infraction primitive. La loi exige formellement cette condition et le juge est invité dans sa décision à constater l’existence de cette infraction ayant procuré la chose recelée.


B / Une chose mobilière


la loi vise une chose mobilière quelque soit sa nature et sa valeur, par exemple, une lettre missive sans valeur patrimoniale peut faire l’objet d’un recel si cette lettre a été volée. Pour l’application de
l’article 430 du Code Pénal, il importe peu que le recel porte sur la chose même qui provient de l’infraction originaire, l’infraction peut être retenu même si le recel porte sur l’argent qui provient de la négociation d’objet procure par l’infraction originaire par exemple le prix de vente d’une chose volée. Le délit peut également être retenu si le recel porte sur la chose acquise avec le produit de l’infraction originaire. On est donc receleur au regard de la loi si on détient la chose provenant de l’infraction primitive, l’argent qui provient de la vente de cette chose, et la chose acquise au moyen du prix de cette chose


Paragraphe 2: Les éléments constitutifs du recel

Deux éléments sont exigés par la loi, un élément matériel et un élément moral


A / l’élément matériel


C’est le fait d’accepter ou de conserver une chose dont l’origine est frauduleuse qui va constituer l’élément matériel de l’infraction.


1. L’acceptation

Accepter c’est recevoir la chose dont l’origine est délictueuse, peu importe pour la loi que les choses aient été reçues d’une personne autre que celle qui a commis l’infraction primitive. Peu importe également que la chose ait été reçue à titre gratuit ou a titre onéreux. Le titre en vertu duquel le sujet pénal a reçu la chose importe également peu, il peut y avoir recel dans le fait de recevoir une chose à titre de louage, de dépôt, et même dans le but unique de rendre service.Exemple: un individu qui accepte et conserve un meuble qu’on met à sa disposition en qualité de locataire, peut être poursuivi sur la base de l’article 430 du Code Pénal s’il avait connaissance de l’origine délictueuse de ce meuble. L’article 430 est encore applicable à l’individu qui reçoit et conserve la chose a titre de propriétaire ou simplement d’emprunteur.

2. La détention

Selon la jurisprudence, ce qui caractérise véritablement le recel c’est la détention. Cette détention est étrangère à toute idée de profit. Il n’est pas aussi nécessaire qu’elle s’accompagne de la dissimulation. La plus ou moins courte durée de la conservation n’importe pas également. Ainsi, les juges ont tendance à étendre les champs de l’incrimination aux agissements des individus qui sans avoir exactement la chose entre leurs mains ont accepté de la transmettre à une personne déterminée. Ils se prononcent également dans le sens de la répression lorsque la chose recelée n’est plus entre les mains du receleur parce que celui-ci l’a vendu ou la détruite purement et simplement.
Par ailleurs il n’est pas exigé une détention des choses par le receleur lui même, celles-ci peuvent se trouver entre les mains de préposés ou de mandataires qui les conservent. On peut considérer la femme comme recelant des choses volées par son mari du seul fait qu’elles sont retrouvées au domicile conjugal.
Pour faire le vide autour du voleur, la jurisprudence va faire tomber sous le coup de la loi ceux qui en connaissance de cause ont par un moyen quelconque bénéficié d’un crime ou d’un délit. Ainsi commet le recel, celui qui en se faisant transporter dans une voiture qu’il savait volée a bénéficié personnellement du produit du vol. De même, a été considéré comme constitutif du recel, le fait de profiter du train de vie de sa femme dont les ressources proviennent essentiellement d’un détournement.
A la lumière de ces solutions, certains auteurs se sont demandes s’il ne fallait pas poursuivre pour recel l’avocat qui se fait payer ses honoraires par un escroc ou encore celui qui lit un ouvrage volé et également celui qui écoute une cassette qu’il sait volée.

B / l’élément moral


Le recel nécessite une faute intentionnelle. L’article 430 de l’acte uniforme utilise l’expression «ceux qui sciemment… » Cela signifie qu’on n’est pas receleur sans le savoir. Il faut que l’individu ait accepté ou détenu des objets dont la provenance est frauduleuse, en d’autres termes, il faut que l’agent pénal soit de mauvaise foi. Mais comment déterminer cette mauvaise foi? Elle est établie en toute évidence lorsqu’un individu commande à un voleur la livraison d’un objet qu’il doit voler. Dans cette hypothèse, l’article 430 est applicable même si le receleur a agi pour rendre service sans tirer aucun profit personnel des objets reçus. La solution ainsi avancée ne doit pas faire penser qu’il est facile d’établir la mauvaise foi. En effet, dans l’immense majorité des cas, les receleurs nient ou invoquent qu’ils sont de bonne foi. Dans tous les cas l’élément intentionnel s’apprécie souverainement par les tribunaux au vu des éléments de preuve soumis au débat. La connaissance de l’origine frauduleuse suffit, même si le receleur n’a pas connu les détails sur le déroulement de l’infraction d’origine. Pour trancher cette question relative à l’élément moral, les juges examinent les circonstances de l’affaire pour savoir si effectivement le receleur n’avait pas connaissance de l’origine frauduleuse des choses qui lui sont remises. On peut trouver des repères dans la jurisprudence.

· Si les objets remis ou obtenus ont une certaine valeur et qu’ils ont été offerts gratuitement, le juge va s’étonner que l’intéresse ai pu trouver normal qu’on lui fasse un cadeau de valeur

· S’il s’agit de choses achetées et ayant une certaine valeur, les tribunaux se pencheront en faveur de l’existence de l’élément moral lorsque le prix pratique est anormalement bas.

· Si maintenant les choses litigieuses ont été confiées à la personne poursuivie, les tribunaux ont tendance à rechercher dans quelles conditions est intervenue la détention. Ils retiennent l’application de la loi si la personne poursuivie avait cachée la chose.

 

Dans tous les cas, la répression pourra s’abattre sur l’individu s’il est établi qu’il ne pouvait pas ne pas se douter de l’origine délictueuse des choses qu’il a obtenues. Exemple: achat d’une importante quantité d’huile dans un café entre les mains d’un individu sans éprouver de doutes sur l’origine de la marchandise.

Le problème délicat est maintenant de savoir si l’on peut poursuivre pour recel lorsque la mauvaise foi n’apparait pas au moment de la remise de la chose mais ultérieurement. Exemple: un individu reçoit de bonne foi des choses dont l’origine est délictueuse, plus tard il apprend que les biens proviennent d’un crime ou d’un délit. Peut-on le poursuivre pour recel? C’est ce que l’on a appelé le recel à retardement. La réponse à cette question a été discutée. En droit civil, la réception de bonne foi d’une chose mobilière permet à l’acquéreur de devenir propriétaire (même si la mauvaise foi survient après l’individu restera toujours propriétaire). C’est l’application de la règle selon laquelle en matière de meuble la possession de bonne foi vaut titre
En droit pénal, la jurisprudence a dans un premier temps réclame son autonomie, elle a estime que la mauvaise foi qui survient après la remise rend le détenteur coupable de recel s’il ne se débarrasse pas immédiatement des objets dont il connait maintenant la véritable origine. Actuellement la chambre criminelle a opéré un revirement en considérant qu’on ne saurait déclarer coupable de recel l’acquéreur d’un bien mobilier lorsque la régularité de la possession et la bonne foi de cet acquéreur impliquent des conditions d’application de l’article 2279 du Code Civil (article 262 du Code des Obligations Civiles et Commerciales). En retenant cette solution, le droit pénal parle le même langage que le droit civil mais comme en droit civil, il faudra apprécier avec rigueur la bonne foi.


SECTION II: LE RÉGIME JURIDIQUE DU RECEL


Paragraphe 1: La nature de l’infraction


le recel est un délit continu et aussi un délit connexe


A/ Le recel: un délit continu


L’élément matériel constitutif du recel ne se réalise pas généralement de façon instantanée. Il s’agit plutôt d’un comportement qui se poursuit dans le temps. Il résulte de cette qualification plusieurs conséquences. En premier lieu la prescription ne commence à courir que du jour ou la détention de la chose à cesse. En second lieu, le caractère continu du recel présente un intérêt en matière d’amnistie. Le receleur reste dans cette hypothèse punissable lorsque son comportement se prolonge au delà de la date limite fixée pour l’application de la loi d’amnistie.


B / Le recel: un délit connexe


Le recel est une infraction ayant un lien de connexité avec l’infraction ayant procurée la chose recelée. De ce lien de connexité résulte plusieurs conséquences.
En premier lieu le jugement de l’affaire de recel pourra être porté devant la même juridiction qui a été saisie de l’infraction d’origine. On parle dans ce cas de jonction des procédures.
En second lieu et d’après la jurisprudence, les personnes condamnées pour des infractions connexes sont solidairement responsables des amendes, dommages et intérêts et frais du procès. Il s’en suit que celui qui est condamné pour recel sera solidairement responsable de toutes les condamnations pécuniaires qu’elles soient civiles ou pénales prononcées contre l’auteur de l’infraction initiale. Cette solution est très sévère mais elle est importante car le receleur est souvent le seul condamne solvable.

 

Paragraphe 2: La tentative

Il n’est punissable que s’il s’agit d’un recel criminel, dans la majorité des cas le recel étant un délit et la loi n’ayant pas prévu la tentative pour le recel correctionnel, par voie de conséquence celle-ci n’est pas punissable.

 

Paragraphe 3: la complicité

Elle peut être poursuivie. Elle consiste en des instructions données même si on n’a pas détenu la chose, cependant, comme il n’est pas rare que celui qui a aidé le receleur ait lui même la détention de la chose, il peut en même temps être poursuivi comme receleur. Exemple, le cas de celui qui accepte de transporter des marchandises dans des conditions suspectes. La jurisprudence peut avoir intérêt à le considérer comme complice puisque le complice a la criminalité d’emprunt et les poursuites restent possible contre le receleur tant que l’auteur de l’infraction est poursuivi. Dans ce cas la prescription applicable est celle de l’infraction initiale.


Paragraphe 4: Le concours de qualification


L’hypothèse est la suivante: un individu a soustrait, détourné ou escroqué des fonds mais il les a détenu ou conservé pendant un temps plus ou moins long. Il commet un délit de vol, d’abus de confiance ou d’escroquerie et une infraction de recel. La question est alors de savoir si on peut poursuivre cet individu pour ces deux infractions. Selon la jurisprudence un même individu ne peut pas être poursuivi comme receleur et comme auteur de l’infraction originaire, cette solution est fondée sur la règle selon laquelle un même fait ne peut pas donner lieu à deux déclarations de culpabilité.
Cependant, elle ne retient pas la même solution en cas de complicité. Elle considère que dans cette hypothèse il est possible de poursuivre une même personne à la fois comme receleur et comme complice car le recel et la complicité résultent de deux faits matériels objectivement distincts. C’est cette solution jurisprudentielle qui a été reprise au Sénégal par l’article 430 alinéa du Code Pénal.


Paragraphe 5: L’immunité familiale


Le complice de la personne protégée par l’immunité familiale bénéficie de cette immunité mais le receleur lui est répréhensible sauf s’il est membre de la famille de la victime de l’infraction primitive.

SECTION III: LA RÉPRESSION DU RECEL


La loi invite à faire une distinction entre une infraction normale et une infraction accompagnée de circonstances aggravantes


I- L’infraction normale

L’article 430 du Code Pénal renvoie aux peines de l’article 370 du Code Pénal qui sont celles du vol simple. L’emprisonnement est de 1 à 5 ans et l’amende de 20 000 à 200 000 francs. Cependant comme le receleur est une personne cupide, l’article 430 alinéa 2 prévoit que l’amende pourra être élevée au delà de 200 000 et peut atteindre la moitie de la valeur des objets recélés. L’amende devient dans ce cas proportionnelle.
Lorsque le juge veut condamner à cette amende proportionnelle, il faut qu’il évalue expressément la valeur des objets recélés afin que la cour suprême puisse contrôler sa décision


II- L’infraction accompagnée de circonstances aggravantes


En matière de recel, les circonstances aggravantes attachées a l’infraction initiale vont rejaillir sur le recel. Ainsi, si l’infraction originaire est un crime ou un délit aggravé, le receleur sera puni de la même peine que celle que la loi a attache a cette infraction. La loi apporte toutefois une exception à cette règle. Si la peine attachée à l’infraction originaire est la peine de mort, cette dernière sera remplacée à l’égard des receleurs par celle des travaux forcés à perpétuité (article 431 du Code Pénal). L’amende proportionnelle pourra également être appliquée dans le cadre du recel aggravé.