Le Régime d’assemblée de la 3ème République (1871–1875)

La Restauration manquée (1871 – 1875) 

Le régime d’assemblée entre 1871 et 1875 (entre la chute du Second Empire et les trois lois constitutionnelles de 1875 instaurant la IIIe République) ; Dans un régime d’assemblée, l’exécutif est une autorité subordonnée à une Assemblée qui domine tous les autres pouvoirs. Il y a confusion des pouvoirs au profit du législatif. 

          Le 8 février 1871, élection de l’assemblée dite de Bordeaux, dont la composition peut surprendre.     La victoire des monarchistes en 1849 avait montré que malgré le SU, l’électorat français était susceptible de suivre selon une formule républicaine militante « les nobles et les prêtres ». Louis-Napoléon, en créant un lien direct entre le peuple et lui, avait émancipé une partie de cet électorat de la tutelle de ces « maîtres traditionnels ». = On pouvait penser que l’exemple de 1849 était révolu. C’est pourquoi la composition de l’Assemblée élue en 1871, dite de Bordeaux, peut donner l’impression étrange d’un retour en arrière. En effet, les notables monarchistes semblent avoir récupéré leur puissance politique. Ils obtiennent environ 400 sièges contre un peu plus de 200 aux républicains. Au total, les monarchistes ont plus de 60% des sièges, = situation politique nouvelle qui va faire naître l’espoir d’une troisième restauration, après celles de 1814 et 1815.

 

Néanmoins, ce genre de parallélisme historique a ses dangers. En effet, la défaite de Sedan a été une sorte de nouveau Waterloo. En cas de restauration précipitée, on pourrait accuser le roi d’être venu « dans les fourgons de l’étranger ». Mais de quel roi s’agit-il ? La majorité monarchiste est partagée. Elle préfère organiser le provisoire (I) ; au fil des mois, on va se tromper sur la possibilité d’une fusion monarchiste (II), et donc d’une restauration (III).

 

  1.  I – L’organisation du provisoire 

          La République de 1871 est en réalité une fausse république (A), et sera prolongée en 1873 par le septennat (B). En revanche, avec les lois constitutionnelles de 1875, on entrera dans le définitif (C).

 

          A / Une fausse République 

L’Assemblée nationale élue le 8 février 1871 choisit le 17 février un personnage fort connu à l’époque, Adolphe Thiers comme chef du pouvoir exécutif de la République, en attendant qu’il soit statué sur les institutions de la France. = La question constitutionnelle est ajournée, Thiers ne doit pas chercher à régler cette question, ne doit se consacrer qu’au redressement du pays / la situation difficile de la France et la libération du territoire. Cette nomination de Thiers a été appelée le « pacte de Bordeaux », titre provisoire qui ne dessine qu’une république en pointillés.

 

Thiers, ancien président du Conseil de la monarchie de Juillet, ne serait-il pas qu’un pur produit de la République orléaniste ? Après l’écrasement de l’insurrection de la Commune de Paris (de mars à mais 1871), la loi Rivet du 31 août 1871 donne à Thiers un nouveau titre provisoire de président de la République, et réserve à l’Assemblée le pouvoir constituant. // Usurpation de 1789, lorsque les députés du Tiers-État avaient entendu donner une Constitution au royaume. → Cette république n’est pas encore la république, c’est une solution d’attente sans aucun caractère définitif, censée ouvrir la porte à la possibilité d’une nouvelle Restauration monarchique.

 

          B / Le septennat 

En 1873 aux yeux des monarchistes, Thiers est devenu inutile voire encombrant. En effet, il a accompli sa mission et libéré le territoire de l’occupation allemande, + rétabli l’ordre en écrasant dans le sang la Commune de Paris en 1871. De plus, il s’est rapproché peu à peu des républicains, au point d’oser affirmer en novembre 1872 que la République était le « gouvernement légal du pays », ce qui ne plaît pas à la majorité monarchiste de l’assemblée.

 

L’élément déclencheur qui va accélérer les choses va être l’élection partielle à Paris en avril 1873, qui voit la victoire du républicain radical Barodet, traduisant les progrès de la gauche dure. Les monarchistes s’affolent et imputent ces progrès républicains à la politique de Thiers, de plus en plus ambiguë vis-à-vis des républicains. Un des leaders orléanistes, le Duc de Broglie réclame un « gouvernement à lutter contre le radicalisme et à rétablir l’ordre moral dans notre pays ». S’ensuit un vote de l’assemblée hostile à Thiers, mais obtenue de peu le 24 mai 1873. Thiers démissionne mais cette démission a une logique tactique : personnage extrêmement vaniteux, Thiers est convaincu que l’assemblée va le supplier de reprendre sa présidence.

 

Cependant, elle donne à Thiers pour successeur le maréchal de Mac Mahon qui considère qu’il n’est là que pour « garder la place » du chef de l’État, dans la perspective d’une prochaine restauration de la monarchie. Néanmoins, les prises de position publique du comte de Chambord (aîné des Bourbons) montrent bien qu’un accord politique entre les orléanistes et les légitimistes n’est pas pour demain. En attendant, les monarchistes et particulièrement les orléanistes choisissent de faire prolonger la présidence de Mac Mahon. C’est ainsi qu’est votée la loi du septennat du 19 novembre 1873, loi improvisée et circonstancielle, mais qui aura de belles années devant elle.

 

          C / Les lois constitutionnelles de 1875 

Au fil des mois, la situation pourrit lentement du côté des monarchistes : les Orléanistes s’éloignent des légitimistes et ont tendance à se rapprocher des républicains modérés, pour voter ensemble les lois constitutionnelles des 24 et 25 février / 16 juillet 1875, qui forment la Constitution de la III ème République.

 

Cette Constitution paraît assez souple pour pouvoir servir de cadre à une monarchie orléaniste. La Constitution de 1875 prévoit un chef de l’État puissant, deux chambres dont les pouvoirs sont équilibrés, un parlementarisme dualiste. Mais elle a un inconvénient, qui va se révéler décisif : ce texte rend désormais constitutionnel le régime républicain (amendement Wallon du 30 janvier 1875 sur l’élection du président de la République). D’ailleurs, pas plus qu’en 1791 ni qu’en 1848, il n’y aura de référendum sur cette question.

 

  1.  II – La fusion improbable 

L’idée de fusion n’est pas nouvelle à l’époque. Depuis 1848 et plus encore depuis la mort en exil de Louis-Philippe en 1850, on avait assisté à plusieurs tentatives de rapprochements voire de fusion entre les légitimistes et les orléanistes. Ces tentatives s’expliquaient par une nécessité objective pour les monarchistes français : il s’agissait d’opposer un front commun des monarchistes à l’idée républicaine, puis au bonapartisme plébiscitaire de Louis-Napoléon Bonaparte puis de Napoléon III. Mais toutes ces tentatives de fusion avaient échoué l’une après l’autre.

 

Or, en 1873, on peut avoir l’impression que péniblement, les deux courants se sont enfin mis d’accord sur le préalable indispensable à une fusion : la personne du futur roi. En effet, en août 1873, le comte de Paris (chef de la branche d’Orléans) semble se réconcilier avec son lointain cousin le comte de Chambord, et se rallier à sa candidature. Comme le comte de Chambord n’a pas d’héritier mâle, certains orléanistes laissent à entendre qu’après sa mort, ce serait logiquement le comte de Paris qui lui succéderait. En réalité, rien de tel n’a été décidé, mais le climat créé par cette impression semble préciser l’ouverture vers une possible restauration. De fait, la fusion entre les monarchistes donnent l’impression d’être près de se réaliser autour d’une politique commune (A), mais une fois de plus le comte de Chambord met les choses au point (B).

 

          A / Une politique commune ? 

Avec le recul du temps, on a l’impression que les deux branches sont très liées, mais il n’en est rien : d’importantes différences les opposent.

 

Les orléanistes sont d’abord des conservateurs de centre-droit, avant toute fidélité dynastique. Ces conservateurs pouvaient-ils se mettre d’accord avec leurs frères les légitimistes, qui de leur côté étaient traditionalistes et surtout très réticents à l’égard de l’héritage de la Révolution française ? Au premier abord, cela semble impossible, mais il faut tout de même nuancer.

 

En effet, au XIXe siècle, beaucoup d’orléanistes avaient fini par se « droitiser », par être de moins en moins centristes. Symétriquement, beaucoup de légitimistes s’étaient laissés influencer par leur siècle, et s’étaient donc libéralisés, étaient prêts à un certain nombre de concessions comme l’indique le nombre peu élevé des légitimistes rigides. Dès 1871, on ne comptait même pas un tiers de légitimistes « rigides » à l’assemblée de Bordeaux. En pratique, la politique commune est toute trouvée, semble s’imposer d’elle-même : la politique de l’ordre moral, menée par le duc De Broglie,  président du Conseil depuis 1873.

 

Cette politique d’ordre moral a deux objectifs principaux : épurer la haute administration des éléments républicains (introduits entre autres sous Thiers) en les remplaçant par des orléanistes, des légitimistes et même quelques bonapartistes. Parallèlement à cette épuration, en matière religieuse on prend une série de mesures qui rappellent à certains l’époque lointaine de la restauration (ex: construction de la basilique du Sacré-Cœur, décidée en partie pour expier les crimes de la Commune). La religion prend de plus en plus part dans la vie politique, judiciaire et scolaire = rechristianisation (ex: crucifix dans les lieux publics). Cette politique d’ordre moral est censée préparer le terrain politique en vue d’une restauration ; c’est pourquoi les légitimistes se préparent de bonne foi et avec une ferveur naïve au retour du roi Henri V (titre du comte de Chambord s’il était monté sur le trône) à Paris.

 

          B / L’affaire du drapeau blanc 

Dans ses manifestes politiques diffusés à l’occasion, le comte de Chambord s’est toujours montré intransigeant dès 1871. Dans un manifeste de juillet 1871, il préconisait la décentralisation, la garantie des libertés publiques « auquel tout peuple chrétien a droit », le suffrage universel, le contrôle des chambres, mais il refusait d’inscrire tout cela dans la ligne de la Révolution. D’ailleurs, croyant à la force des symboles, il ajoutait « Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d’Henri IV ».

 

En janvier 1872, le comte de Chambord persiste, il refuse toujours d’être « le roi légitime de la Révolution ». Comme son grand-père Charles X, le comte de Chambord rejette la Révolution. Il ne rejette pas les acquis de la Révolution, mais les rejette en tant que principes révolutionnaire = il les accepte sans vouloir pour autant les inscrire dans la ligne révolutionnaire. De même, il est très sensible à la misère des humbles et aux questions sociales (≠ de nombreux républicains), mais il traite ces questions à la manière traditionnelle (catholique voire paternaliste), = dans le refus de la modernité.

 

En octobre 1873, il persiste encore pour faire cesser ces bruits. Il redit son refus de la Révolution et du symbole par excellence de la Révolution : le drapeau tricolore, restant fidèle au drapeau blanc. On prétend bien souvent que cette « affaire du drapeau blanc » a mis un point final aux chances d’une restauration. Mais cette vision est un peu trompeuse : y a-t-il réellement eu une « affaire du drapeau blanc » ? En effet, le comte de Chambord n’a jamais changé d’avis sur cette question ; de plus, les chances d’une Restauration étaient imaginaires.

 

  1.  III – La Restauration impossible

          Plusieurs raisons rendaient plus qu’invraisemblable la restauration : d’abord des raisons dynastiques et morales (A), mais aussi des raisons arithmétiques (B).

 

          A / Des raisons dynastiques et morales 

Une vraie réconciliation entre les monarchistes français était peu probable au XIX ème siècle, vu le contentieux extrêmement lourd qui les opposait. Depuis le XIV ème siècle et selon la loi salique, à l’extinction de la branche royale aînée, c’était l’aîné de la branche immédiatement cadette par les mâles qui montaient sur le trône. Cette règle a été conservée, restant règle de référence. À la mort du comte de Chambord en 1883, ce sont les Bourbons d’Espagne qui succèdent (descendants de Louis XIV), alors que les Orléans (auxquels ont appartenu Louis-Philippe ou encore le comte de Paris) ne descendent que de Louis XIII. Autrement dit, il y a donc une impossibilité juridique pour un légitimiste de se rallier au comte de Paris en 1883. Pourtant, la chose importe assez peu car cette impossibilité juridique est tout à fait théorique, elle aurait pu être surmontée sans difficultés. En effet, à l’époque, la masse connaît très mal le droit capétien.

 

En 1883, l’opposition persistante entre les deux courants est due à deux facteurs, deux points du domaine de l’honneur et de la morale politique. Ces deux points de séparation sont le régicide de 1793 / l’usurpation de 1830 :

 

  • Le temps a passé, mais aucun légitimiste n’a oublié qu’en 1793, le député Philippe Égalité (duc d’Orléans) avait voté à la Convention nationale la mort de son cousin XVI.
  • De même, aucun légitimiste n’a oublié qu’en 1830, Louis-Philippe (fils de Philippe Égalité) avait usurpé le trône de son cousin Charles X.

 

→ Les Orléans sont bien sûr des Capétiens, mais une sorte de race maudite.

 

          B / L’arithmétique politique 

En février 1871, lors des élections à l’Assemblée de Bordeaux, les électeurs s’étaient jetés dans les bras des monarchistes car ces derniers étaient résignés à conclure une paix rapide avec l’empire allemand, ≠ les républicains patriotiques voulaient poursuivre la lutte.

 

À l’époque, on pouvait être élu dans plusieurs départements (ex: Thiers avait été élu dans 26 départements, et avait donc dû en choisir un et démissionner des 25 autres), d’où la nécessité d’élections complémentaires. En juillet 1871, les républicains gagnent 100 sièges. Au gré des élections partielles, trois ans plus tard, les monarchistes finissent par se retrouver en minorité à l’assemblée. Il manque environ 40 sièges pour restaurer la monarchie : ou trouver ces voix ?

 

L’élan électoral si surprenant de février 1871 était bel et bien conjoncturel. Les pratiques du second empire avaient formé un nouvel électorat moins soumis aux notables, prêt à basculer en partie du côté des républicains, qui retrouvent ainsi les 2/3 des sièges en 1876 – 1877.

 

          → La Restauration était quasiment impossible dès le départ. Pourquoi donc en avoir tant parlé ? Bien souvent, les républicains à cette époque ont joué à se faire peur, alors même que le danger était bien moins grand qu’ils le croyaient. Cette habitude est occasionnelle chez eux (ex: en 1934-36). De plus, les monarchistes ont pris leurs désirs pour des réalités, aveuglés : pour beaucoup de royalistes à l’époque, l’histoire était en train de se répéter, ≈ cycle. La chute de l’Empire devait être le prélude d’une nouvelle restauration. Certains y croiront encore en 1873, et même en 1875. Le cycle « monarchie – république – empire » devait être pour eux continuel, alors même que ce cycle n’est qu’une apparence, un hasard de l’histoire, une illusion, sans aucune caractère déterministe.

 

En se montrant impitoyable et féroce, dans la répression de l’insurrection révolutionnaire de la Commune de Paris,Thiers avait démontré la possibilité d’une République d’ordre, donc une République rassurante pour les honnêtes gens à qui le mot « République » faisait peur depuis 1793 : il a levé les préventions des modérés. On peut considérer que la répression de 1871 a été un facteur indirect et complémentaire de l’échec de la Restauration.

Laisser un commentaire