Le renaissance du droit romain au Moyen Age

Le droit romain au Moyen Age.

Le droit romain a sa part de légende, et il est si important, qu’on a même imaginé un mythe fondateur pour illustrer sa renaissance. En 1137, les byzans sont en guerre contre les gens d’Amalphie. La ville est bientôt prise, une maison brule, et derrière les murs, les byzans découvrent un manuscrit du Digeste. Ce manuscrit deviendra le manuscrit de Pise, connu sous le nom de Littera Pisana. La redécouverte quasi surnaturelle n’appartient plus qu’à la tradition littéraire. La redécouverte du droit romain de Justinien est attestée de manière plus scientifique. Elles s’inscrit dans un contexte si particulier qu’il permet d’expliquer la diffusion incroyablement rapide du droit de Justinien au XIIème siècle. Après l’an 1000, s’amorce un mouvement de renouveau économique en Occident. L’économie fermée de l’époque franque tend à disparaitre, et cède la place à une économie plus ouverte. Elle engendre des besoins techniques et juridiques nouveaux. Le XIème siècle est ainsi le siècle du renouveau des échanges commerciaux. Le commerce profite de la réouverture des routes maritimes en Méditerranée. Les routes s’ouvrent à nouveau, et le commerce provoque un changement de mentalité notamment chez les marchands. Ils découvrent les biens faits de la recherche du profit. Les blocages et les rigueurs carolingiennes s’éloignent, l’entourage princier s’adapte et encourage la recherche du profit systématique. En Flandre et en Normandie, les ducs et princes vont réformer leur principauté pour faciliter le commerce et discipliner leurs vassaux. L’économie monétaire impose des gouvernements plus fermes, plus soucieux de la paix et de l’épanouissement des échanges. A compter du XIème siècle, la féodalité change de principes, et l’aristocratie guerrière doit céder la place aux élites nouvelles, les élites urbaines. Le XIème siècle est aussi le siècle de la renaissance des villes. Les bourgeois ont des exigences, ils sont à l’origine de la richesse. Ils s’organisent et demandent des franchises, des exonérations de coutumes, des statuts urbains. Les bourgeois créent les conditions nouvelles d’expression du droit. Les villes de France et d’Italie deviennent des personnalités juridiques. Le nouveau contexte politique et économique donne un rôle toujours plus important aux juristes. Le vieux droit romain, le bréviaire et l’epitome de Julien ne suffisent plus. Les juristes doivent alors s’adapter et c’est pour cette raison que le droit romain de Justinien renaît, s’impose et se diffuse à une vitesse sidérante pour l’époque. La renaissance politique et économique n’est pas le propre de l’Italie, c’est une renaissance qui concerne l’Occident entier. Les besoins sont donc colossaux en terme de qualité et de quantité de populations concernées.

La Renaissance du droit romain en Occident.

Le droit romain renaît non pas au XIIème siècle, mais au XIème siècle en Italie du Nord. C’est tout à fait logique, car c’est précisément dans la péninsule que Justinien s’est efforcé d’imposer ces compilations cinq siècles plus tôt. En 1076 à Martouri, la marquise de Toscane tient un plaid, cession de justice. A l’occasion de cette séance, la marquise rend une sentence, et à l’occasion d’une d’entre elle, elle fait état « de la loi insérée dans les livres du Digeste». C’est la première mention en justice du droit de Justinien. Celui qui a ainsi allégué la loi de Justinien lors du procès, c’est Pepo. En 1076, il porte un titre à Bologne, celui de legis doctor. En terme universitaire, c’est un titre officieux et non officiel, mais Pepo se fait connaitre comme un spécialiste de la loi. Ce titre révèle qu’un enseignement du droit de Justinien se met en place à la fin du XIème siècle. Une fois établi, il fait la gloire de Bologne et plus exactement de l’école juridique de Bologne et de ses spécialistes du «Droit civil».

  • A) De l’enseignement des leges à l’école de Bologne.

Les débuts des romanistes nouveaux ne sont pas glorieux, ils n’existent pas en tant que tel. Ils sont à l’origine des grammairiens. L’enseignement universitaire au temps de Pepo se réduit en effet à l’enseignement de la grammaire. Ceux qui sont chargés de cet enseignement sont des maitres «ès arts», qui instruisent leur disciple dans la connaissance des textes latins.

Ils procèdent à des lectura publiques, ils lisent publiquement des grands textes latins classiques. Au commencement, ce sont des lectura qui portent sur des textes littéraires. Les maitres font aussi en sorte d’expliquer mot à mot le contenu des textes lus. Ils réalisent ainsi un commentaire oral en plus de la lecture qui tien lieu de leçon pour les auditeurs. Pepo parait donc comme le premier docteur de Bologne qui ait choisi de lire des textes juridiques à ses disciples. Il se mit à faire des lectures sur «les lois». Le problème, c’est qu’il n’a fait que des lectura, des commentaires oraux et qu’il n’a laissé aucun écrit. Sa présence en 1076 à Martouri signifie beaucoup, car elle montre que ce Pepo était bien plus qu’un maitre ès arts. Il était plus qu’un simple grammairien et on constate que pour lui, les textes juridiques romains présentent un intérêt pratique, et contiennent des modalités techniques qui permettent de sortir des procès et de répondre aux attentes des populations. Les maitres bolonais vont perpétuer à sa suite l’enseignement du droit romain nouveau. Ces maitres vont fonder une véritable école dont le prestige va rayonner sur l’Occident.

Le successeur de Pepo est plus attesté historiquement, c’est Irnérius, mentionné dans les textes bolonais pour les années 1112-1125 comme maitre ès arts et juge. Le droit romain renaît donc car ce sont des juges qui vont solliciter ses lumières. Irnérius rédige des consultations juridiques et souscrit des diplômes. Son apport est déterminant en terme de méthode, il est le fondateur d’une école. Il a appliqué au droit les habitudes des grammairiens et des rhéteurs : la méthode de la lecture et de l’explication mot à mot. Irnérius est le premier à déterminer une approche scientifique du droit, et organise des enseignements publics à la demande des autorités bolonaises. Il effectue des commentaires qui viennent s’ajouter au lectura stricto sensu. Ces commentaires viennent alimenter la science des leges (ensemble du corpus de Justinien), la science des «lois romaines». Les premiers romanistes comme Irnérius connaissent le Digeste, ils en disposent d’une version différente de celle de la Littera Pisana, ils utilisent la Littera Bononiensa. C’est une version du Digeste composée progressivement à partir de manuscrits. Du temps de Pepo et d’Irnérius, les bolonais utilisent seulement un morceau du Digeste, qui correspondent aux premiers livres, le Digestum vetus. Après Irnérius, les bolonais vont compléter ce vieux Digeste en découvrant d’autres manuscrits. Les successeurs d’Irnérius vont découvrir la fin du Digeste qu’ils appellent le Digestum novum. Ils font des découvertes de manuscrits, découvrent les Tres partes et l’Infortiatum et par la suite vont réussir à recomposer le Digeste dans son entier.

  • B) Les premiers spécialistes du «Droit civil».

L’école de Bologne se caractérise par une méthode particulière d’enseignement. Cette méthode c’est celle de la glose. C’est une méthode initiée par Irnérius et améliorée par ses successeurs. Cette méthode distingue les bolonais de tous les autres spécialistes d’Occident. Les glossateurs auront des héritiers : les commentateurs, qui font évoluer la méthode. Ce sont ces derniers qui font franchir à l’étude du droit romain un pas décisif. Ils vont faire du texte de Justinien des outils, ils vont en faire des outils en dépassant la glose, capables de répondre au besoin spécifique du XIIIème siècle. Le droit de Justinien répond au besoin spécifique des marchands, des villes et des princes.

1- Les glossateurs.

Irnérius a fondé une méthode pour un enseignement particulier, celui «des lois». Il a procédé de la façon suivante. Pour enseigner, il lit les fragments du Digeste ou du Code de Justinien et les explique en suivant le cours des textes. Quand il rencontre des termes importants, Irnérius les commente. Sa lecture est linéaire, son explication de mot systématique. C’est précisément l’explication de mot que l’on appelle la glose. C’est un terme d’origine grecque, qui signifie à la fois le mot et la langue. Une fois proposée à l’oral, cette glose est notée en marge sur le manuscrit qui a permis le commentaire, soit par le maitre lui-même, soit par un agent de l’université, le rapporteur. Cette glose est appelée la glose marginale. Cette glose est siglée, le maitre qui l’appose la signe où appose un signe distinctif pour que les étudiants le reconnaisse. Irnérius signe ses commentaires par un W, son initial de son vrai prénom. Les gloses marginales se complètent avec le temps, et autour des manuscrits, une génération de maitres succède à la génération précédente, et ajoute sa propre glose.

Les gloses se multiplient, et les commentaires marginaux finissent par devenir plus épais et plus denses et plus instructifs que les textes romains qu’ils commentent. Au milieu du XIIème siècle, Bologne connait une génération de docteurs réputés : Martinus, Bulgarus, Hugo et Jacobus. Ces savants sont sollicités pour des conseils juridiques de plus en plus prestigieux et surtout de plus en plus lucratif. Ils savent en effet se rendre indispensables dans un monde en pleine expansion, et c’est par la fortune qu’ils parviennent à démontrer de l’importance et l’utilité du droit à cette époque. Ils se rendent en 1154 à la diète de Roncaglia, organisée par l’empereur du Saint empire germanique Barbe Rousse car ce dernier a besoin de conseil. Lors de la diète, les quatre juristes s’appuient sur les noveles de Justinien pour affirmer que l’empereur est pour l’Occident entier, «loi animée». Les docteurs bolonais savent utiliser les lois de Justinien pour alimenter le droit public de leur temps. Ils consolident par l’utilisation du droit de Justinien les prétentions souveraines des princes. La renaissance du droit de Justinien a donc servi à accompagner la naissance de l’Etat, mais aussi à accompagner le renouveau du droit privé, notamment le droit des sociétés et le droit des affaires.

Cette faveur va se perpétuer après les quatre docteurs, et va continuer à rendre prisée l’école de Bologne jusqu’à la fin du XIIIème siècle. A la suite des quatre docteurs, d’autres glossateurs vont se distinguer : Azon et Accurse. Le premier est mort en 1128, il s’est rendu célèbre pour sa somme au Code. Il a fait un résumé explicatif et savant du Code de Justinien qui était fait pour confirmer sa grande valeur. Accurse, c’est celui a rédigé la Grande Glose vers 1227-1230, ou glose ordinaire, car utilisée de tous. Cette glose ordinaire reprend toutes les gloses antérieures et les organisent pour les présenter de façon cohérente. Accurse organise donc les gloses antérieures pour les rendre plus consultables. Quand le Corpus iuris civilis fera l’objet d’une édition imprimée, il sera accompagné de cette glose ordinaire, disposé en cadre autour du texte de Justinien placé au centre de la page. L’école de Bologne est un école d’excellence et attire des étudiants d’ailleurs, elle devient une université au sens médiéval du terme. Les étudiants de l’école de Bologne constitue une personne juridique collective, une universitas. Elle devient au XIIème siècle une institution. Elle sert à organiser des règles de vie collective destinées à la satisfaction d’intérêts généraux. En tant que personne juridique, l’université reçoit des privilèges. Frédéric Barbe Rousse est le premier à lui en faire. L’école fait des avancées indispensables pour l’époque. Avec la glose d’Accurse, le travail des glossateurs à tendance à s’essouffler. Les glossateurs font s’effacer progressivement et cédé la place à Bologne et en Italie à une nouvelle école, celle des commentateurs.

2- Les commentateurs.

Les commentateurs ne pratiquent pas la même approche intellectuelle que celle des glossateurs et ils font moins œuvre d’abstraction et s’attachent au contraire à l’actualité. Ils ne rédigent plus de gloses, ni des sommes mais veulent rédiger des traités ou des commentaires. Ce sont des praticiens du droit et s’enrichissent avec une autre activité : ce sont des consultants juridiques. Leurs consultations leur rapportent une rémunération substantielle et ils bénéficient d’une reconnaissance dans la société médiévale. Ils ne cherchent pas les règles originelles du Digeste ou du Code, ils proposent un commentaire beaucoup plus large. Pour eux, c’est une évidence, le contexte économique et social a changé depuis l’époque de Justinien. Selon eux, il faut utiliser les compilations mais pas de façon servile et linéaire : il faut les interpréter. Ils proposent des interprétations audacieuses, s’éloignent du texte, et essaient ainsi d’utiliser le droit romain d’une manière plus contemporaine. Pour eux, le Digeste n’est qu’un matériau qui est malléable. Malgré tout, ils restent fidèles aux fondamentaux du droit romain et ne renient jamais l’essence du droit romain. Dans leurs commentaires, ils restent fidèles aux deux piliers soutenant le droit romain depuis son origine : l’utilité et la nécessité de la règle de droit. Ils dépassent ces piliers et proposent des solutions créatrices et à force d’interpréter, ils créent du droit. Ils vont au-delà du Digeste et du Code dans un but précis : fournir des réponses, satisfaire les besoins d’une société en pleine expansion. On les appelle aussi « post-glossateurs ». Le plus célèbre est Bartolus Sassoferrato, aussi communément appelé Bartole, qui a rédigé une œuvre conséquente. Il a laissé de nombreux traités dans lesquels il a pris beaucoup de liberté par rapport aux compilations de Justinien.

Pour lui, il faut privilégier l’esprit du droit romain plutôt que sa lettre. Il a ainsi formulé pour le XIVème siècle, un droit nouveau issu de l’interprétation du droit de Justinien. Dans ses commentaires, il confronte souvent le droit romain au droit canonique, il donne naissance au ius commune, ou le droit commun de l’Europe. Lui et son disciple sont à l’origine du droit français contemporain. Son disciple s’appelle Baldus De Ubaldis, appelé communément Balde. Il formera à son tour, de nombreux disciples qui vont se répandre dans toute l’Europe où ils assurent le succès de ce ius commune (le droit Romano-canonique). Le ius commune est une affaire européenne, le droit romain est devenu une véritable norme pour l’Occident entier.