La Renaissance du droit romain

Éclipse et renaissance du droit romain au cours du Moyen Âge

La renaissance du droit romain au XIIe et XIIIe siècle tient à la redécouverte des compilations de Justinien.

1. L’oubli du droit romain.

Après la chute de l’empire d’occident, le droit romain va perdre son applicabilité en Europe. C’est une période d’invasion par des peuples d’origines diverses, Nordique (Vikings), Germanique (Burgonde, Wisigoths, Francs) et Arabe. Ces invasions vont conduire à un fort recul du droit romain, car ces peuples apportent leurs coutumes. Au début il n’y a pas de mélanges, car le système est personnaliste (personnalité des lois), mais peu à peu avec le développement de la féodalité on va passer à un système plus territorialiste avec le développement de coutumes locales applicables à des personnes qui résident sur un même territoire (territorialité des lois). C’est à ce moment que va se manifester un recul généralisé du droit romain, on va préférer l’arbitrage transactionnel de règlement des litiges. Le droit va aussi perdre de sa rationalité (ordalies). Mais la perte d’autorité du droit n’est pas totale, certaines régions y reste soumise. En France une opposition va se développer entre pays de coutumes et de droit écrit (Nord et Sud de la Loire). L’influence du droit romain va aussi persister à travers le droit canon, qui a une influence notamment en droit de la famille et des contrats.

Rome a durablement marqué le droit européen - SWI swissinfo.ch

2. La redécouverte du droit romain.

Les juristes de la renaissance redécouvriront le droit romain. Ils vont décider d’enseigner le droit romain dans les universités naissantes au 12ème siècle, tout d’abord à Bologne. Ces universités n’enseignent pas le droit positif, mais le droit idéal. Le droit positif est inconcevable à l’époque, car les coutumes sont morcelées et incertaines dans leur contenu, seul le droit romain comporte un degré de précision suffisant pour être enseigné. Il représente un héritage culturel commun de l’Europe, car il a été applicable dans toute l’Europe sous la domination romaine. En outre il est facile à connaitre, puisqu’il a été conservé dans des compilations écrites, notamment celles de Justinien et grâce au latin parlé dans toute l’Europe, car c’est la langue de l’église. De plus il profite du prestige passé de l’empire romain.

Il a cependant fallu surmonter l’obstacle du caractère laïque du droit romain. C’est le fruit d’une société préchrétienne qui peut apparaitre comme une remise en cause du christianisme. Cet obstacle va être levé au 13ème siècle grâce à St Thomas d’Aquin, qui va montrer que le rationalisme sur lequel s’appuie le droit romain est en fait conforme à la religion chrétienne. St Thomas va réaffirmer la distinction entre le spirituel et le temporel, ce qui va permettre de se référer au droit romain sans crainte de corrompre les étudiants. Dans les universités va aussi s’ajouter l’enseignement du droit canon. Droit romain et canon seront l’objet unique de l’enseignement jusqu’au 16ème siècle. C’est à partir du 17ème siècle que les universités vont enfin enseigner le droit local, le droit positif (exemple, une chair de Droit Français est créée à la Sorbonne en 1679).

3. Incidences et observations relatives à la redécouverte du droit romain.
a) Le renforcement du caractère savant et scientifique du droit (tradition civiliste).

Ce lien intime de la tradition romano-germanique avec les universités a contribué à renforcer le caractère savant et scientifique de notre tradition romano-germanique. Ces universitaires ne raisonnaient pas à partir du droit positif (lege lata), mais en recherchant les solutions les plus justes, le droit idéal (lege ferenda).

  • · Un lien fort entre la tradition romano-germanique et l’école du droit naturel (le droit tel qu’il devrait être, inhérent à l’humain).
  • · Le droit enseigné est un droit idéal qui prétend à une certaine universalité temporelle, en ce sens que ce droit enseigné se fonde sur le droit romain millénaire, et une universalité spatiale, car le droit romain était enseigné dans les universités de toute l’Europe.
  • · Ceci a fondé une culture juridique commune aux juristes du moyen-âge, en dépit de la très grande diversité de droits locaux. De la naitra un Jus Commune, qui n’est pas un droit positif, mais une science du juste, un ensemble de préceptes qui permettent aux juristes d’identifier dans chaque cas concret la solution la plus juste.
  • · Au final l’adhésion au droit naturel, conduit les enseignants à s’écarter du droit romain originel
b) L’altération du droit romain originel.

Plusieurs écoles se sont succédé dans cet enseignement.

  • La première celle des glossateurs (12ème et 13ème siècles) cherche à retrouver et à expliquer le sens originel du droit romain.
  • A partir du 14ème siècle, les post glossateurs vont s’écarter du droit romain originel, s’efforçant de dégager le caractère systématique alors que le droit romain est casuistique.
  • Le droit romain va devenir un prétexte pour justifier des solutions nouvelles adaptées à la société de l’époque. Se développe alors un « Usus Modernus Pandectarum» un droit romain altéré notamment par les conceptions du droit canonique. A cette époque se développe aussi la méthode scholastique qui consiste à présenter sur une question les diverses opinions des grands auteurs de l’époque, pour dégager la solution la plus juste (Communis Doctorum) par rapport à l’opinion commune des docteurs.
  • Par la suite le développement de l’école du droit naturel renforcera l’éloignement du droit romain, les questions vont être abordées de façon plus abstraite, systématique et logique. On chercher à identifier le droit tel qu’il est dicté par la raison humaine et la nature des choses (le droit qui est en tout lieu et en tout temps). Ici l’homme est placé au centre du droit. enfin cette école va favoriser la loi au sein de différentes sources du droit. La loi sera mise au sommet. Les solutions du droit romain ne sont retenues que si elles apparaissent conformes à la raison. L’opinion commune des docteurs ne s’imposent plus non plus nécessairement quand elle n’est pas conforme à la raison. Comment les enseignements prodigués, vont-ils alors pouvoir influencer le droit positif (en vigueur à un moment et dans un espace donnés).
c) L’entrée du droit romain dans le droit positif.

Elle dépend de 3 facteurs :

  • L’imprégnation des juges par le droit romain : les juges au moyen-âge sont traditionnellement non juristes, mais ils vont devoir avoir une formation juridique, ce mouvement de professionnalisation va s’opérer progressivement du 14ème au 16ème siècle. Peu à peu les juges seront des juristes formés à l’école du droit romain (universités). Ils vont s’inspirer des catégories romaines quand ils rendront leurs décisions (reprendre la césure entre droit public et privé etc…). Ils sont aussi imprégnés de la conception du droit retenue en droit romain, de cette idée selon laquelle la société doit être régie par le droit et non par la religion. Ces juges seront aussi animés par une démarche rationnelle. A l’époque, la jurisprudence est une source essentielle du droit privé, car le pouvoir politique ne s’occupe presque exclusivement que de questions de police (à l’intérieur) et militaire (à l’extérieur) ; il ne se sent pas légitime pour intervenir dans les litiges entre personnes privées (à modifier le droit privé) ; il y a donc très peu de législation édictée en droit privé, d’où l’importance des décisions rendues par les juges.
  • L’incomplétude et l’incertitude des coutumes (ou inversement) : même dans les pays de coutume, il est difficile de se contenter des seules coutumes, car elles sont souvent parcellaires et difficiles à connaitre. Il y a cependant des œuvres de rédaction des coutumes qui sont entreprises (Beaumanoir). Sur ordre du roi des individus sont aussi appelés à rendre compte des coutumes dans des ouvrages. Ces rédactions ne changeront rien au caractère fragmentaire des coutumes qui traitent des seules questions familiales, foncières et successorales. Ainsi, le droit romain va être reçu comme raison écrite pour combler les lacunes des coutumes. Les rédacteurs des coutumes tentent le plus souvent de les présenter comme un ensemble de règles systématique et complet, mais elles n’ont pas ce caractère, ainsi le rédacteur fait œuvre créatrice en comblant les lacunes des coutumes. Cette œuvre créatrice se fait souvent en y important les principes du droit romain. L’applicabilité du droit coutumier dans bien des zones de l’Europe n’a pas empêché la romanisation globale de ces droits. La distinction entre pays de droit écrits et de coutumes a donc moins d’influence qu’on le prétend.
  • Le type d’organisation judiciaire mise en place dans un endroit donné et la procédure applicable : en France, l’influence du droit romain s’est trouvée limitée par le fait qu’existait une procédure spécifique permettant d’établir le contenu de la coutume applicable, c’était l’enquête par turbe (10 témoins déclarent à l’unanimité après délibération que telle coutume est applicable en l’espèce). Ainsi les hypothèses selon lesquelles le juge va se tourner vers le droit romain ne seront que subsidiaires. En outre dès le 14ème siècle une grande cour royale est créée, c’est le Parlement de Paris, et bientôt d’autres parlements seront créés dans les provinces française. Ces parlements ne sont pas tenus de suivre le droit romain, ni les coutumes. Ces parlement peuvent ainsi faire œuvre créatrice. Ils sont capables de générer un nouveau droit. On va ainsi s’écarter plus qu’ailleurs du droit romain. Dans les pays scandinaves les coutumes ont été rédigées très tôt, donc il eu une moindre nécessité de recourir au droit romain. Au contraire en Allemagne et en Italie, il n’y a pas d’enquête par turbe, de plus les magistrats sont itinérants et on s’assure de leur impartialité. En Allemagne la justice est très mal organisée, atomisée, les justiciables préfèrent donc envoyer leurs affaires devant une université, or elle est souvent éloignée de la contrée où est né le litige ; l’université ignore donc les coutumes locales et rend alors une opinion basée souvent sur le droit romain, dont l’influence est très importante, à tel point qu’il va devenir le droit positif Allemand. Les juristes allemands reconnaissent eux-mêmes que le code civil français comportait initialement d’avantage d’éléments germanique que le code civil allemand.