La rencontre des volontés dans un contrat

LA RENCONTRE DES VOLONTÉS (OU DES CONSENTEMENTS)

          L’article 1108 du Code civil prévoit, parmi les conditions de validité du contrat, le consentement des parties. Ce consentement doit donc exister.  Pour que le contrat soit conclu, il faut que les volontés des parties se rencontrent. C’est l’échange des consentements. Cet échange ne s’opère pas toujours au terme du même processus. 

        Le  Schéma classique dans lequel une offre (I) rencontre une acceptation (II) et le le cas particulier des contrats entre absents (III)

 

 Dans ce schéma classique, le contrat est conclu en 2 temps :

–          Une partie fait une offre de contrat

–          L’autre partie donne son acceptation.

Mais, ce processus de base donne lieu à une complication lorsque les parties ne sont pas en présence l’une de l’autre. C’est l’hypothèse des contrats entre absents. Parmi ces contrats entre absents il y a une catégorie particulière : ce sont les contrats qui sont conclu par internet.

 

La condition indispensable pour la formation d’un contrat est l’accord des parties. Le contrat naît donc de la rencontre des consentements des parties. Cette rencontre suppose une offre (§1) et une acceptation (§2). Elle pose une difficulté particulière lorsque le contrat est conclu à distance, « entre absents » (§3).

  • 1 – L’offre

Le Code civil est muet sur les notions d’offre et d’acceptation. Il se contente de prévoir que chaque partie doit consentir au contrat (art. 1101). Les projets se proposent d’y remédier. Il peut en effet paraître curieux que le Code ne comporte pas de dispositions sur une question si essentielle. Les projets reprennent en grande partie les enseignements de la jurisprudence qui, dans le silence du Code, a dû apporter les précisions nécessaires.

Caractères de l’offre. L’offre est fondamentalement une proposition de conclure un contrat. Mais toute proposition ne constitue pas une offre de contracter. Pour être qualifiée comme telle, la proposition doit présenter deux caractères : la précision et la fermeté (ces caractères sont clairement repris dans les projets de réforme).

L’offre doit tout d’abord être précise : cela signifie qu’elle doit être telle qu’un simple « oui » forme le contrat. L’offre doit donc contenir tous les éléments essentiels du contrat. Il s’agit d’une notion floue, qui a été progressivement précisée par la jurisprudence. Par exemple, on admet que les éléments essentiels de la vente sont la chose et le prix. L’offre doit donc désigner précisément la chose vendue et le prix qui en est demandé. Si la proposition n’est pas suffisamment précise, elle ne constitue qu’une simple invitation à entrer en pourparlers. Ex. : une proposition de vente avec prix à débattre.

L’offre doit ensuite être ferme. Selon les termes de la Cour de cassation, l’offre doit exprimer la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation. Par conséquent, l’offre ne doit pas être assortie de réserves, faute de quoi il ne s’agit, encore une fois, que d’une invitation à entrer en pourparlers.

Destinataire de l’offre et forme de l’offre. L’offre peut s’adresser à une personne déterminée ou à des personnes indéterminées (par la voie d’une annonce par exemple). Une offre faite sans réserves à personne indéterminée lie son auteur comme une offre à personne déterminée. L’offre peut intervenir sous différentes formes. Elle peut être expresse, être établie par écrit ou oralement. Elle peut aussi être tacite, c’est-à-dire déduite d’un comportement ou d’un usage. Ainsi, le simple fait de présenter un produit en vitrine ou un rayon d’un magasin ou encore de le faire apparaître dans un catalogue vaut offre de vente.

Valeur juridique de l’offre. La question de la valeur juridique de l’offre a une grande importance pratique. En effet, il s’agit de savoir si l’offre créé un véritable engagement à la charge de l’offrant. Autrement dit, doit-il maintenir son offre pendant un certain temps ? Est-il obligé de conclure le contrat avec celui qui l’accepte ? Ou, au contraire, est-il libre de révoquer son offre quand il le désire ?

La jurisprudence a posé en principe que l’offre peut être retirée tant qu’elle n’a pas été acceptée. Cela se justifie par le fait que l’offre est une simple proposition de contracter ; elle ne contient en principe aucun engagement de l’offrant ; puisque cette proposition émane d’une volonté unilatérale, elle ne créé pas de véritable obligation. L’offrant peut donc défaire seul ce qu’il a fait seul. Le principe est donc celui de la libre révocabilité de l’offre tant qu’aucune acceptation n’est intervenue. Mais la jurisprudence a délimité les contours de cette liberté. Elle retient tout d’abord que lorsque l’offre est assortie d’un délai déterminé, l’offrant ne peut pas la rétracter pendant ce délai. Ensuite, même lorsque l’offre ne précise aucun délai, la jurisprudence estime qu’elle doit être maintenue pendant un délai raisonnable, apprécié par le juge selon les usages et les circonstances. Les projets de réforme consacrent cette jurisprudence.

Reste à savoir quelle est la sanction de l’irrespect de ces règles, c’est-à-dire d’une révocation abusive. Il est certain que celui qui révoque son offre pendant le délai déterminé ou raisonnable peut être condamné à verser des dommages et intérêts. Mais peut-on aller plus loin et estimer que la révocation intervenue dans ces circonstances est sans effet et que le contrat s’est donc formé au moment de l’acceptation ? La jurisprudence y est hostile[2]. Mais les projets de réforme envisagent de revenir sur cette solution. Seul le projet de la chancellerie s’en tient à la solution traditionnelle[3]. L’avant-projet Catala et le projet Terré proposent quant à eux de priver d’effet la révocation abusive, du moins en présence d’une offre faite à personne déterminée et dans un délai déterminé. Dans ce cas, ils prévoient que la révocation n’empêche pas la formation du contrat. Autrement dit, la révocation est sans effet et le contrat est formé par l’effet de l’acceptation. En revanche, la révocation d’une offre faite à personne indéterminée ne peut conduire qu’au versement de dommages et intérêts.

  • 2 – L’acceptation

Caractères de l’acceptation. L’acceptation doit être pure et simple pour former le contrat. Elle ne doit donc comporter aucune réserve car elle est l’expression définitive du consentement à conclure le contrat aux conditions proposées par l’offrant. L’acceptation se résume à dire « oui ». L’acceptation assortie de réserves ou de conditions portant sur un élément essentiel[4] (le « oui, mais »), n’est pas une acceptation. C’est une contre-proposition, qui vaut refus de l’offre initiale et proposition d’une nouvelle offre (sous réserve d’être elle-même ferme et précise). Cela conduit à renverser les rôles : en émettant une contre-proposition, le destinataire de l’offre devient offrant. Il émet lui-même une offre qui devra être acceptée (ou non) par l’offrant originaire. Enfin, si l’offre a été faite avec délai, l’acceptation n’est efficace que si elle intervient dans ce délai, car l’expiration du délai rend l’offre caduque.

Forme de l’acceptation. L’acceptation doit être extériorisée. Il en découle qu’en principe le simple silence ne vaut pas acceptation. Celui qui demeure passif, silencieux, face à l’offre qui lui est faite n’est pas censé l’avoir acceptée. Contrairement au dicton, qui ne dit mot ne consent pas. En effet, le silence est par nature équivoque. Il existe néanmoins des exceptions. Certaines sont prévues par la loi (ex. : art. L. 112-2 al. 2 c. assur. : le silence gardé par l’assureur pendant 10 jours vaut acceptation de l’offre de l’assuré de modifier le contrat). D’autres sont jurisprudentielles : en cas de relations d’affaires antérieures des parties ou en présence d’un usage ou en cas d’offre faite dans le seul intérêt du bénéficiaire (puisque, par hypothèse, on ne lui fait courir aucun risque en considérant qu’il a accepté le contrat). Plus généralement, la Cour de cassation a récemment énoncé que si, en principe, le silence ne vaut pas acceptation, « il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation »[5]. Cette nouvelle formule permet d’englober les exceptions admises jusque là et, au besoin, de les élargir. Les projets de réforme sont tous dans le même sens qui rappellent le principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation mais précisent que ce principe peut recevoir exception en raison de « circonstances particulières ». La formule est volontairement floue.

En revanche, aucune forme sacramentelle n’a à être utilisée pour manifester l’acceptation : il peut s’agir d’un écrit (bon de commande), d’une parole (oui, d’accord), d’un geste de la main (lever la main aux enchères ; « toper » sur le marché…), ou même un comportement (l’exemple type étant le commencement d’exécution du contrat : le commerçant expédie les marchandises qu’on lui a commandées ; il démontre par là qu’il a accepté l’offre d’achat).

 

  • 3 – Les contrats conclus à distance

Un problème se pose lorsque les deux parties ne se trouvent pas physiquement au même endroit. On parle classiquement de « contrat entre absents ». Le contrat va alors se former à distance. Le problème est de déterminer à quel moment précis le contrat est conclu. Lorsque les deux parties sont en présence, la réponse est simple : dès l’instant de l’acceptation puisque c’est à ce moment là que les deux volontés se rencontrent. Mais lorsque les parties se situent à des endroits différents, plusieurs moments sont théoriquement concevables. A cet égard deux solutions sont classiquement proposées. La 1re exprime la théorie de l’émission : le contrat est formé au moment où l’acceptation est émise (ie envoyée). La seconde exprime la théorie de la réception : le contrat est formé au moment où l’offrant reçoit l’acceptation[6]. La jurisprudence n’est pas très nette, d’autant que la Cour de cassation abandonne cette question à l’appréciation souveraine des juges du fond. Mais la jurisprudence semble avoir une préférence pour la théorie de l’émission et la Cour de cassation a pu énoncer que « faute de stipulation contraire, une convention est destinée à devenir parfaite non par la réception par le pollicitant de l’acceptation de l’autre partie, mais par l’émission de celle-ci de son acceptation »[7]. Il faut remarquer que ce n’est pas la position des projets de réforme. Ils s’accordent tous trois pour retenir la théorie de la réception (« le contrat devient parfait par la réception de l’acceptation »). Il est en tout cas souhaitable qu’un texte apporte une solution expresse à cette question qui n’a, en définitive, jamais été franchement résolue par la jurisprudence. Quant au choix de la théorie de la réception, le droit comparé y est pour beaucoup, les auteurs ayant constaté que cette théorie était consacrée par tous les projets européens et internationaux. Cela permet d’assurer que l’offrant ne puisse être engagé sans le savoir.

Cette règle permet de résoudre le problème de l’acceptation transmise par voie postale. Mais, bien sûr, aujourd’hui nombre de contrats à distance se concluent, non pas par courrier postal, mais par voie électronique. Le développement d’internet a conduit le législateur à intervenir (à la suite des autorités européennes) par la loi du 21 janvier 2004 sur la confiance dans l’économie numérique. Cette loi a inséré plusieurs dispositions dans le Code civil, relatives à la conclusion des contrats conclus par voie électronique (v. art. 1369-1 à 1369-11 c. civ.). L’article 1369-5 dispose que « pour que le contrat soit valablement conclu, le destinataire de l’offre doit avoir eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total, et de corriger d’éventuelles erreurs, avant de confirmer celle-ci pour exprimer son acceptation. L’auteur de l’offre doit accuser réception sans délai injustifié et par voie électronique de la commande qui lui a été adressée. La commande, la confirmation de l’acceptation de l’offre et l’accusé de réception sont considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès ». Le but de ce texte est d’empêcher qu’un internaute se retrouve lié sans l’avoir vraiment voulu, voire sans en avoir pris conscience (d’où la nécessité du « double-clic »). Il en résulte la mise en place d’un processus de formation du contrat alourdi par rapport au régime commun, passant par 4 étapes : l’offre émanant du professionnel, la commande du destinataire de l’offre, la confirmation de cette commande (le double clic) après correction d’éventuelles erreurs, et enfin l’accusé de réception de la confirmation de la commande. Mais ce schéma n’est guère éclairant quant au moment précis où se forme le contrat.

 

[1] Si le juge constate que l’offre et l’acceptation ne se sont pas rencontrées, il ne prononce pas la nullité, il se contente de constater qu’aucun contrat ne s’est formé.

[2] Un arrêt rendu en 2008 a été interprété par certains comme ouvrant la voie à cette solution, mais il s’agit d’une interprétation bien audacieuse.

[3] Il prévoit que la rétractation abusive de l’offre « n’engage que la responsabilité délictuelle de son auteur sans l’obliger à compenser la perte des bénéfices attendus du contrat ». La solution est identique à celle posée au sujet de la rupture abusive des pourparlers.

[4] Si la réserve concerne un élément secondaire le contrat est formé. En effet il suffit que les parties soient d’accord sur les éléments essentiels du contrat. En pratique, le juge doit donc parfois rechercher si la réserve portait sur un élément essentiel ou secondaire pour déterminer si le contrat a été conclu ou s’il n’y a eu qu’une contre proposition.

[5] Cass. 1re civ., 24 mai 2005, RTD civ. 2005, p. 588, obs. J. Mestre et B. Fages, RDC 2005, p. 1005, obs. D. Mazeaud.

[6] On aurait pu concevoir aussi un système un peu différent : on pourrait aussi prendre en compte le moment où le destinataire de l’offre décide de l’accepter, et le moment où l’offrant prend effectivement connaissance de l’acceptation. Mais ces deux moments étant difficiles à connaître, on préfère les écarter au profit de la date d’expédition et de la date de réception (le cachet de la poste faisant foi).

[7] Cass. Com., 7 janvier 1981, RTD civ. 1981, p. 849, obs. F. Chabas.

 

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