Responsabilité fondée sur le risque, la garde et le rupture d’égalité

La responsabilité administrative sans faute : La responsabilité fondée sur le risque, la garde et le rupture d’égalité

Dans certaines hypothèses, la victime n’aura pas à prouver que l’administration a commis une faute pour obtenir réparation de ce préjudice. Il lui suffira de prouver l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et l’activité de l’administration (préjudice anormal et spécial à prouver). Il s’agit donc d’un régime plus favorable pour les victimes, régime qui joue aujourd’hui dans trois hypothèses générales :

Lorsque l’administration fait courir aux individus des risques exceptionnels

Lorsque l’administration fait peser sur certains citoyens une charge excessive par rapport à celles que subissent les autres citoyens (rupture d’égalité devant les charges publiques)

Lorsque le dommage est le fait d’un tiers confié à la garde de l’administration

Section. 1 La responsabilité fondée sur le risque

Le risque anormal de voisinage, les choses et activités dangereuses et enfin le risque professionnel.

  • .1. Le risque anormal de voisinage

Lorsque le voisinage des services publics produit des inconvénients qui dépassent les troubles normaux de voisinage, la responsabilité de l’administration est engagée sans faute à prouver. Arrêt du Conseil d’Etat du 28 mars 1919 Régnault-Desroziers. Risque de voisinage apprécié au cas par cas par le juge.

  • .2. Les choses et les activités dangereuses

Les choses dangereuses

Sous cette appellation on regroupe des objets et des procédés qui sont utilisés par certains services publics et qui font courir des risques aux tiers. Ex : installation de gaz et d’électricité, usage d’armes dangereuses par les services de police, le Conseil d’Etat a accepté d’engager dans le cadre de l’utilisation de ces armes, la responsabilité de l’administration sans faute à prouver, vis-à-vis des tiers par rapport à l’opération de police, ex un passant. Arrêt du Conseil d’Etat du 24 juin 1949, Consort Lecomte.

La victime c’est la personne visée par l’opération de police, comme le délinquant qui s’enfuit, c’est un régime de responsabilité de faute simple. Arrêt du 25 juillet 1951, Aubergé et Dumont.

Les activités dangereuses

On distingue deux cas de figure : d’un côté la réalisation de travaux publics et l’utilisation de méthodes pénitentiaires ou psychiatrique ouverte.

La réalisation de travaux publics

Dans ce domaine le juge considère que l’importance et la nature des moyens mis en œuvres font courir un risque important aux tiers. C’est pourquoi il admet que l’administration engage sa responsabilité sans que la victime ait à prouver qu’elle a commis une faute. Arrêt du 28 mai 1971, Département du Var.

Vis-à-vis des usagers de l’ouvrage public, la responsabilité de l’administration sera engagée sur le fondement du défaut d’entretien normal de l’ouvrage.

Si l’ouvrage est exceptionnellement dangereux l’usager bénéficiera d’un régime de responsabilité sans faute fondée sur le risque. Arrêt d’assemblée du 6 juillet 1973, Ministre de l’équipement et du logement c/ Dalleau.

Les méthodes pénitentiaires et psychiatriques dites ouvertes

A l’époque contemporaine les pratiques pénitentiaires sont tournées vers la réinsertion des délinquants condamnés, on fait donc en sorte de ne pas les enfermer très longtemps : méthodes ouvertes comme le bracelet électronique… Cependant se pose le problème de la récidive et donc qu’ils causent des dommages. C’est pour cette raison que les dommages causés dans ce cadre sont réparés sans que la victime ait à prouver la faute de l’administration pénitentiaire, arrêt de section, 3 février 1956, Thouzellier.

Certaines méthodes psychiatres avec des placements dans des familles ou des sorties des malades : là aussi les victimes vont bénéficier d’un régime de responsabilité sans faute sur le risque causé à la société. Arrêt de section du 13 juillet 1967, Département de la Moselle.

  • .3. Le risque professionnel

L’administration doit réparer les préjudices que peuvent subir ses collaborateurs lorsqu’ils s’exposent à un risque dans le cadre de leurs fonctions. C’est ainsi que les agents publics bénéficient d’un régime spécial de responsabilité sans faute à prouver. L’arrêt du 21 juin 1895 Cames. Ce régime spécial applicable aux agents publics est aujourd’hui repris dans les statuts de la fonction publique, qui découle du législateur. Le cas le plus important c’est celui du collaborateur occasionnel du service public (ou collaborateur bénévole) qui ont subi un dommage à l’occasion de leur collaboration au service public. Dans un souci d’équité ils bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute fondé sur le risque. En l’occurrence, l’engagement de la responsabilité de l’administration est soumis à la réunion de quatre conditions posées par la jurisprudence, d’un arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 22 nov. 1946, Commune de Saint Priest La plaine :

L’intervention du collaborateur doit avoir été requise par une autorité publique ou au moins acceptées tacitement par elle ou il faut que cette intervention ait été commandée par l’urgence

La collaboration doit avoir été apportée à un véritable service public (= activité d’intérêt général assurée ou assumée par une personne publique).

Il faut une collaboration effective : une simple intention de collaborer ne suffit pas.

La victime ne doit pas avoir commis de faute et il ne doit pas y avoir de cas de force majeure.

Le Juge judiciaire applique ces mêmes règles de droit public à l’égard des collaborateurs occasionnels du service public de la police judiciaire. Arrêt de la Ch. Civile de la Cour de cass du 23 nov. 1956 Trésor public c/ Docteur Giry. Blessé par une explosion dans un hôtel, la police judiciaire venait constater le corps des victimes par le médecin, et à cette occasion il a été blessé par l’explosion et a donc été considéré comme un collaborateur de la police judiciaire.

Section 2. La responsabilité fondée sur la rupture d’égalité devant les charges publiques

Ce régime renvoie à l’hypothèse dans laquelle un particulier subit un préjudice excessif par suite d’une intervention publique dans l’intérêt générale. Dans ce cas, le dommage n’est pas accidentel, il est la conséquence inévitable des mesures prises par l’administration dans l’intérêt de tous. Le principe c’est que la victime a droit à réparation même si aucune faute n’a été commise par l’administration. On distingue 5 cas de responsabilité fondée sur la rupture d’égalité devant les charges publiques :

La responsabilité du fait de l’inexécution d’une décision de justice : la jurisprudence admet que l’administration n’exécute pas une décision de justice en cas de risque de trouble à l’ordre public. Dans ce cas-là, les éventuelles victimes doivent être indemnisées sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques. Arrêt du Conseil d’Etat du 30 nov. 1923, Couitéas. Un propriétaire d’un domaine en Tunisie, avec des squatteurs qui venaient de s’installer sur sa propriété, avait obtenu d’un juge de faire expulser ces squatteurs, mais l’administration a décidé de refuser d’expulser ces squatteurs pour risque de trouble à l’ordre public, mais il a ensuite été indemnisé. Cette jurisprudence est en sursis, notamment parce que la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’exécution des décisions de justice constitue une garantie essentielle pour les justiciables. Arrêt de La CEDH du 19 mars 1997, Hornsby c/ Grèce. On se demande si la jurisprudence Couitéas est bien conforme à cette disposition, pour l’instant la Cour de Strasbourg n’a jamais condamné la France, mais on se pose des questions quant à l’avenir de cette jurisprudence.

La responsabilité du fait des conventions internationales : arrêt d’assemblée du Conseil d’Etat du 30 mars 1966, compagnie générale de radio électrique. La réparation du préjudice est subordonnée à la réunion de deux conditions : il faut que ni le traité, ni la loi de ratification n’ait exclue une telle indemnisation. Et d’autre part, il faut que le préjudice revête un caractère spécial et anormal. Le juge admet aussi la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement d’une coutume internationale. Arrêt de section, Mme Om Hashem Saleh, 14 oct. 2011.

La responsabilité du fait des lois : sur le même fondement on peut engager la responsabilité de l’Etat : arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 14 janvier 1938, Société anonyme des produits Laitiers La Fleurette. Interdiction de la fabrication des produits laitiers destinée au même usage de la crème et ne provenant pas exclusivement du lait (interdiction des subsituts à la crème : ce qui a entrainé des faillites ne produisant que ces produits). Cette société a obtenu réparation, car peut produisait une crème de cette qualité. Plus récemment le Conseil d’Etat a consacré la responsabilité de l’Etat du fait des lois méconnaissant les engagements internationaux de la France. Le législateur méconnait un traité : arrêt d’assemblée du 8 fév. 2007, Gardedieu. Le juge n’a pas retenu la qualification d’une faute. S’agit-il d’un cas de responsabilité pour faute, sans faute ou sui generis. Donc la faute est écartée par le juge pour éviter de stigmatiser le comportement du législateur (principe de séparation des pouvoirs). En réalité, certains considèrent qu’il s’agit d’une responsabilité pour faute qui ne dit pas son nom.

Il existe une responsabilité du fait des actes règlementaires réguliers : arrêt de section du Conseil d’Etat, 22 fév. 1963, Commun de Gavarnie. Il s’agissait de règlementer la circulation des touristes dans un terrain dans la montagne et le maire avait décidé de réserver un chemin aux cavaliers, où passés beaucoup de piétons. Un marchand installé là a obtenu réparation de son préjudicie car son chiffre d’affaire a beaucoup baissé du fait de cette décision. On aurait pu engager la responsabilité de la commune si elle avait commis un faute, mais la on parle donc d’une responsabilité du faite d’un acte règlementaire puisqu’elle n’a pas commis de faute.

La responsabilité pour dommage permanent pour travaux publics : le dommage permanent sera le plus souvent un inconvénient résultant de la présence d’un ouvrage public et dépassant les troubles normaux de voisinage. Ex : présence d’un aéroport.

Section 3. La responsabilité fondée sur la garde

Cela remonte à 2005, lorsque le Conseil d’Etat a accepté d’engager la responsabilité de l’Etat du fait de la garde d’un mineur ayant causé le dommage. Arrêt de section du Conseil d’Etat du 11 fév. 2005 Gie Axa courtage. L’intérêt de cette solution c’est d’appliquer le même régime de responsabilité quelle que soit la structure publique ou privée qui a la garde du mineur. le Conseil d’Etat a accepté de s’aligner sur les solutions du Code Civil art 1384 qui prévoit la responsabilité fondée sur la garde. La victime n’a pas de faute à prouver. Le préjudice n’a pas à être spécial ni anormal : exception au principe selon lequel en cas de responsabilité sans faute le préjudice doit présenter un caractère spécial et anormal, car l’article 1384 du Code Civil ne le prévoit pas, le juge est allé jusqu’au bout de son application de l’article. Les seules causes d’exonération possible sont la force majeure et la faute de la victime.

Cette jurisprudence nouvelle n’a pas remis en cause la jurisprudence Thouzellier, l’arrêt qui consacre la responsabilité de l’administration sur le fondement du risque lorsqu’elle utilise des méthodes pénitentiaires ou psychiatriques ouvertes. Ce qui signifie que la victime a le choix d’engager la responsabilité de l’administration sur le fondement du risque ou celle du gardien sur le fondement de la garde.