LA NOTION DE RESPONSABILITÉ
Le droit de la responsabilité civile fait partie du droit des obligations et recouvre l’ensemble des règles relatives aux obligations qui naissent sans la volonté des parties, à la différence du droit des contrats.
SECTION I – L’APPROCHE SÉMANTIQUE
- 1 – L’évolution des termes « responsable » et « responsabilité »
A – L’origine étymologique
Ces 2 termes viennent du latin « responsare » (faire face) et respondere (faire une réponse ou se montrer digne de …). Le verbe « respondere » a donné « sponsor » (celui qui s’engage à accomplir une prestation en donnant une réponse positive) et « responsor » (caution). On remarque que le terme répondre est lié à l’engagement et à l’idée de se tenir garant des événements à venir. A l’origine répondre n’impliquait aucunement la faute ni même le fait de la personne assujettie.
- Cours de droit de la Responsabilité
- La notion d’obligation et la classification des obligations
- La responsabilité : définition et notion de responsabilité
- La responsabilité fondée sur la faute
- La responsabilité fondée sur le risque et la garantie
- La responsabilité fondée sur la précaution
- L’évolution du fondement de la responsabilité civile
B – L’évolution historique
1 – L’apparition première du terme « responsable »
Le terme « responsabilis » n’apparait pas dans les dictionnaires latins, ses premières traces remontent au Moyen Age vers 1300 et plus précisément en 1284 selon le dictionnaire étymologique de la langue française « responsable »: dérivé savant de « responsus », participe passé de « respondere », au sens de se porter garant. Au XV siècle le dictionnaire de Godefroy rapporte 3 sens au mot responsable: 1/ qui sert de réponse, 2/ admissible en justice, 3/ qui peut résister. Sous l’ancien régime, le terme devient assez habituel par l’intermédiaire de « responsum » qui dérive de « respondere ». Lorsque le terme apparaît dans la langue française, il s’attache à la personne à laquelle il incombe de donner une réponse, née ainsi l’expression d’une personne responsable.
2 – L’apparition tardive du terme responsabilité
Il n’apparait ni en droit romain ni dans les dictionnaires anciens de la langue française, il apparaît en 1783 dans les langues européennes. Dans le même temps né irresponsabilité (1786) et irresponsable (1791). L’académie le reconnaît et l’admet dans le dictionnaire de la langue française en 1798 par l’académie française. Aujourd’hui la responsabilité est définie comme « l’obligation de répondre, d’être garant de certains actes ». Cette définition amène plusieurs observations: elle est proche de l’étymologie mais ajoute la notion d’obligation, elle ne fait pas allusion à la faute, et ne fait pas de distinction dans le temps.
- 2 – Polysémie des termes « responsable et « responsabilité »
A – Dans le langage courant
Le mot responsable peut désigner une personne ou une attitude. Responsabilité peut se décliner au singulier ou au pluriel. Ces termes peuvent se décliner avec les verbes être et avoir. Différentes expressions: être responsable de quelque chose, de quelqu’un, du fait de quelqu’un c’est à dire responsable des dommages qu’il a causé.
B – Dans le langage philosophique
L’expression « je suis responsable » a 2 sens: je suis la source, la cause dans une logique d’imputation / je réponds des conséquences, des effets. En outre, la responsabilité peut désigner une capacité ou une obligation.
C – Dans le langage juridique
On trouve 3 déclinaisons classiques en droit de la responsabilité: être responsable de son fait personnel (de sa faute), être responsable du fait d’autrui, être responsable du fait des choses. En droit pénal, être responsable est en corrélation avec être coupable, être fautif. En droit civil être responsable ne suppose pas forcément la faute mais cela implique de répondre des conséquences des dommages causés, d’où l’obligation de réparer. Actuellement la responsabilité civile est source de l’obligation juridique de réparer, elle pourrait aussi devenir source d’un devoir d’anticiper.
Conclusion
L’étymologie et de manière plus large l’approche sémantique donne au terme responsabilité un sens doublement large: d’une part un sens moralement neutre c’est à dire qui n’implique pas nécessairement la faute de la personne responsable. Pourtant ce sens n’était pas celui de la responsabilité civile au XIX qui corrélé la responsabilité à la faute mais, c’est devenu le sens de la responsabilité au XX, puisque de nos jours, on peut être civilement responsable sans avoir commis de fautes. D’autre part, un sens temporellement ouvert qui peut être tourné vers le passé mais aussi vers l’avenir, ce n’est pas le sens actuellement retenu par la majorité des juristes, la majorité définie
La responsabilité civile comme l’obligation de réparer les dommages causés. Un courant émergent propose que la responsabilité se tourne également vers l’avenir et qu’elle ne soit plus seulement curative mais aussi une responsabilité préventive.
SECTION II – L’APPROCHE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA RESPONSABILITE
La notion de responsabilité est au cœur de nombreux débats actuels. La réflexion des philosophes, des hommes de science, des économistes, ou même la réflexion citoyenne peut enrichir celle des juristes.
- 1 – L’approche philosophique
Dans les années 90 y a plusieurs ouvrages qui sont apparus sur la question de la responsabilité.
A – « Le redéploiement du concept de responsabilité »
Citation de Paul Ricœur philosophe français contemporain « Le juste » 1995 dont un des chapitre porte sur le concept de la responsabilité. Il évoque le rétrécissement du champ juridique de la responsabilité (pour faute) qui est compensé par une extension du champ moral de la responsabilité. Pour lui, notre « responsabilité s’étend aussi loin que nos pouvoirs le font dans l’espace et dans le temps ». Ce qui engendre « une extension illimitée de la portée de la responsabilité accès désormais sur la vulnérabilité future de l’homme et de son environnement parce que ce n’est pas seulement du dommage dont nous sommes responsable mais aussi de l’autrui vulnérable ».
B – « Nous sommes au seuil d’un élargissement de la responsabilité sans précédent »
Formule tirée d’un livre de Jean Marie Domenach de 1999. Il souligne l’extension de l’objet de notre responsabilité en ces termes « ce que nous pouvons manipuler, exploiter, détruire mais aussi améliorer relève de notre responsabilité: or il s’agit maintenant de la Terre et de l’humanité ». Il met l’accent sur un double mouvement paradoxal selon lequel la responsabilité grossie et rétrécie en même temps, d’un côté elle s’étend par la multiplication des textes sur la responsabilité et de l’autre côté il y a un effort pour essayer de la contenir avec des systèmes de couverture contre tous les risques (développement de l’assurance).
C – « La responsabilité un nouveau repère »
Formule de Alain Etchegoyen. Le mot même de responsabilité peut désigner à la fois un pouvoir ou bien attribué une faute. Il dessine un spectre de la responsabilité, au pire du spectre on est dans la question de qui est responsable ? Cette quête des responsables est du domaine du droit qui renvoie au passé. Au centre du spectre, le sens du mot responsabilité est plus neutre, la responsabilité est la capacité de répondre de ses actes. Au meilleur du spectre, la responsabilité devient une valeur, sa dimension morale nous parle d’espoir pour l’avenir, elle nous parle de ce que nous devons faire.
D – « Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique »
Formule de Hans Jonas (philosophe allemand), l’ouvrage du même titre est un des ouvrages philosophique majeur sur la responsabilité du XX siècle. Le principe responsabilité de Jonas se situe sur le plan de l’éthique et non directement sur celui du droit.
1 – Le point de départ
Jusqu’à présent, les théories éthiques se préoccupaient des actions humaines qui par définition avaient une portée limitée à une sphère de proximité. Ainsi, toutes les maximes de l’éthique se cantonnent à l’environnement immédiat de l’action humaine. L’éthique traditionnelle est une éthique de la simultanéité et de l’immédiateté or, aujourd’hui, l’éthique a affaire à des actes d’une portée causale incomparable en direction de l’avenir. En effet, avec les technologies actuelles l’homme tient la nature et sa propre nature en son pouvoir et son action peut avoir une portée à très long terme, possiblement irréversible. Par conséquent, la responsabilité prend de nouvelles dimensions car le cadre de l’éthique antérieure ne suffit plus parce que l’agir humain acquiert une toute autre portée.
2 – L’impératif
« Agit de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur Terre », « Ne compromet pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur Terre ». L’éthique nouvelle proposée par Jonas est une éthique de la prévision, de l’anticipation et de la responsabilité.
3 – La distinction effectuée quant à la responsabilité
Jonas distingue dans son livre la responsabilité comme imputation causale des actes commis de la responsabilité pour ce qui est à faire (l’obligation de pouvoir). Sa distinction philosophique pourrait se traduire juridiquement comme la responsabilité source de l’obligation de réparer (passé) et la responsabilité source du devoir d’anticiper et/ou d’agir.
4 – La méthode
Pour parvenir à la responsabilité qui nous permette de d’anticiper les dangers qui menacent la Terre et l’humanité Jonas préconise une heuristique de la peur. Ce n’est pas la peur qui déconseille d’agir mais au contraire une peur qui invite à l’action, qui permet de dépister le danger.
- 2 – D’autres approches de la responsabilité
A la suite de la réflexion des philosophes, il y a des voix de plus en plus nombreuses qui se sont élevées pour appeler une responsabilité repensée en direction de l’avenir. Notamment Jérôme Bindé qui estime «��qu’une éthique du futur est nécessaire », elle suppose « une mutation temporelle de la responsabilité non plus seulement tournée vers le passé mais aussi vers le futur ». Zaki Laïdi plaide pour une responsabilité envers les générations futures dont l’intérêt est qu’elle commence aujourd’hui, elle pourrait stimuler la créativité. F. Ost, philosophe et juriste, nous dit que « les conséquences de notre action appelle désormais une responsabilité élargie à l’échelle universelle et résolument tournée vers l’avenir ». Il parle aussi de la nécessité de donner consistance juridique au futur car aujourd’hui « nous sommes en train de réaliser que nous pouvons compromettre la survie de l’humanité » « si on admet cette équation simple que l’on a autant de responsabilité que de pouvoir, il me semble juste de dire que nous avons une responsabilité envers les générations futures ».
Cette mutation temporelle de la responsabilité en direction de l’avenir implique de repenser l’idée de progrès. En ce sens, l’ouvrage de Pierre André Taguieff, nous dit que la croyance en un progrès automatique s’effondre et qu’il faut repenser le progrès autrement en lien avec les réflexions éthiques sur la responsabilité. La responsabilité écologique personnelle est liée au concept d’empreinte écologique dont le père fondateur est un professeur d’économie W. Rees, il nous dit que l’empreinte écologique est liée au concept de responsabilité. On appelle empreinte écologique la surface géographique nécessaire pour subvenir aux besoins d’un pays, d’une ville, d’une population, d’un individu.
SECTION III – L’APPROCHE JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITE
Pendant longtemps la responsabilité juridique était une, les responsabilités civile et pénale étaient indifférenciées. Aujourd’hui, la distinction entre responsabilité civile et pénale est admise universellement avec l’idée que la ligne de partage entre les 2 repose sur la distinction entre réparation et répression. Les 2 ordres de responsabilité juridique ont des objectifs distincts mais il y a des interférences entre les 2 qui peuvent estomper les différences.
- 1 – L’évolution historique entre responsabilité pénale et responsabilité civile
A – Dans les droits dits primitifs
La distinction entre la responsabilité civile et pénale n’existe pas, la peine et la réparation sont confondues dans la vengeance privée. Par la suite, c’est institué un système de composition dans lequel la victime obtient du coupable une somme qui est fixée au grès des circonstances puis qui devient tarifiées par l’autorité publique. La victime a d’abord était vengée puis indemnisée sans qu’on examine la conduite de l’auteur, c’est à dire que l’on considère l’auteur comme coupable du seul fait que sa conduite a été préjudiciable à autrui.
B – En droit romain
La séparation commence mais n’a jamais été complète, peu à peu va s’affirmer la distinction entre d’une part, les peines infligées par l’état (corporelle ou pécuniaire) et d’autre part, la réparation due à la victime (en nature ou en argent).
C – Dans l’ancien droit
A partir du XVI, sous l’influence des auteurs canonistes, les anciens auteurs ont nettement séparé la responsabilité pénale mise en œuvre par l’action publique intenté par le roi et tendant à la punition du coupable et la responsabilité civile dominée par un principe général: la victime du dommage a droit à réparation de toutes les pertes et de tous les dommages sans qu’il soit besoin d’un texte spécial « toute faute oblige à réparation ». Au XVII siècle le juriste Jeans Domat va systématiser la distinction en dissociant bien la réparation du dommage et la punition du coupable.
D – Dans le droit intermédiaire
Au moment de la révolution la distinction était acquise, et ainsi, dans le code des délits et des peines promulgué en novembre 1795, on trouvait la phrase suivante: « tout délit donne essentiellement lieu à une action publique il peut en résulter aussi une action privée civile ».
E – La codification napoléonienne
Elle parachève cette solution, elle régit les responsabilités dans 2 codes distincts. A partir de là, la dualité des systèmes s’est solidement implantée dans notre système juridique.
2 § 2 Les rapports actuels entre responsabilité civile et pénale
A – Les différences
1 – Une différence textuelle
La responsabilité pénale ne peut être engagée que pour des infractions limitativement énumérées par la loi. Les infractions pénales sont donc en nombre limité en vertu du principe de la légalité pénale et de la maxime « nullum crimen, nulla poena, sine lege ». Au contraire, la responsabilité civile peut être engagée pour des faits générateurs ayant causés à autrui un dommage. Or ces faits générateurs ne sont pas limités, ils sont régis par des textes généraux qui embrassent une série illimitée de cas possibles. Articles 1382 et 1383 pour le fait générateur et 1384 alinéa 1 pour le fait des choses et d’autrui. Ces textes ne visent pas des comportements précis.
2 – Une différence de fonction
La responsabilité pénale a pour but de sanctionner une atteinte à la société, c’est à dire qu’elle a une fonction répressive auquel s’ajoute une fonction d’intimidation et aussi de réadaptation. La responsabilité civile répare le préjudice subi par une personne privée c’est à dire qu’elle a une fonction réparatrice, indemnisatrice.
3 – Une différence de conséquence
- a) au plan de l’action
Les auteurs d’infractions pénales sont sanctionnés par l’action publique intentée devant les juridictions répressives alors que la victime d’un délit ou d’un quasi délit civil obtiendra réparation en introduisant une action civile devant les juridictions civiles.
- b) au plan de la sanction
La sanction pénale varie en fonction de la gravité de l’infraction selon qu’il s’agisse d’une contravention, d’un délit ou d’un crime. La sanction de la responsabilité civile est indépendante de la gravité de la faute commise: principe de réparation intégrale du préjudice, en vertu de ce principe, le montant de la réparation va être proportionnelle au préjudice subi par la victime.
B – Les interférences
Les 2 ordres de responsabilité bien qu’ils poursuivent des objectifs différents, contribuent l’un et l’autre à prévenir les comportements illicites et dommageables parce que tous les 2 font peser une menace sur l’auteur potentiel de ces comportements. Un même acte illicite peut être source des 2 responsabilités parce qu’il arrive souvent qu’un acte est la double qualification civile et pénale. Dans toutes les hypothèses où le comportement possède les 2 qualifications, la victime de l’infraction et du dommage va pouvoir agir à la fois devant un juge pénal, saisi de l’action publique, en se constituant partie civile, et agir en même temps devant le juge civil pour obtenir réparation. Au sortir du procès l’auteur de l’infraction et du dommage pourra, sur le plan pénal, être sanctionné par une peine (prison et ou amende) et, d’un point de vue civil, payer des dommages et intérêts à la victime.
Conclusion
Les notions fondatrices de la responsabilité civile et pénale étaient traditionnellement fondées sur l’idée d’un devoir être s’adressant à l’individu façonné par les notions de culpabilité et de faute qui étaient au cœur des responsabilités pénale et civile. Ces notions de culpabilité et de faute sont en recule ainsi, le droit pénal à élargi sa perspective de culpabilité à l’idée de dangerosité avec l’idée qu’il s’agit de protéger la société. Quant à la responsabilité civile, elle s’est élargie de la faute vers une idée de solidarité.