La révision pour imprévision (article 1195 du Code civil)

La question de la révision pour imprévision

 

Cette hypothèse concerne les contrats de longue durée qui soient équilibrés au départ. Mais il se trouve que le temps passe et le contrat devient déséquilibré en raison de la modification des circonstances économiques. Les modifications ne présentent pas les caractères de la force majeur (ie quand le contrat ne peut plus être exécuté). L’exécution ici est encore possible, mais est devenue exessivement onéreuse pour l’une des parties.

Exemple : Un négociant conclu un contrat avec un bijoutier par lq il s’engage à livrer chaque mois 10 kilos d’or. Le contrat est conclu en 2009 pour une durée de 10 ans. En 2009, le lingot d’or valait environ 20000 euros. Aujourd’hui le lingot d’or vaut plus de 30000 euros. L’exécution du contrat est toujours possible, mais est devenue extrêmement onéreuse pour le négociant. Est-ce que dans une telle hypothèse, il faut permettre la révision du contrat ?

La réponse est certainement positive si la révision est le fait des parties.

La réponse est beaucoup plus délicate, si elle est faite par le juge.

La révision par les parties

De manière générale, les parties ont à tout moment la possibilité de modifier le contrat. Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire. Cela suppose un nouvel accord de volonté des parties. On parle en pratique d’un avenant au contrat. Le problème est qu’une fois que les circonstances ont changées, la partie qui est favorisé par les circonstances ne va par vouloir les modifier. D’où l’utilité de prévoir ab initio cette question. Dans le contrat de 2009, les parties vont prévoir l’adaptation du contrat en fonction de l’évolution des circonstances (voir exemple ci-dessus). Plusieurs hypothèses :

Les parties prévoient une adaptation automatique du contrat : la clause d’indexation ou clause d’echelle mobile. Il s’agit de la clause qui vise à faire varier automatiquement la prestation due en fonction de l’évolution d’un indice choisi par les parties. Exemple : si les parties sont prévoyantes, elles prévoient que le montant versé par le bijoutier va évoluer en fonction du cours de l’or à la bourse de Londres. Cela va permettre de préserver l’équilibre du contrat.

Insérer dans le contrat une clause de hardship ou clause d’adaptation. Elle vise à permettre à une partie de demander une modification du contrat si jamais les circonstances économiques évoluent. Attention, cette clause n’oblige pas à accepté les modifications demandées par l’autre partie. Par contre, il y a une obligation de négocier de bonne foi.

La révision par le juge

L’hypothèse est que le contrat n’a rien prévu. Les circonstances ont évolué et les parties n’arrivent pas à se mettre d’accord.

 

a.Le débat

C’est un débat ancien pour lequel la doctrine est extrêmement divisée.

Pour la révision :

L’idée est que finalement il n’y a pas de raison que le changement imprévisible des circonstances pèse uniquement sur une des parties. Poussé à son extrême, cela peut conduire à la ruine de l’une des parties.

Contre la révision :

Il faut avoir conscience du fait qu’une telle admission de la révision par le juge est une source d’insécurité juridique. Le contrat est un acte de prévision, le contrat c’est anticiper l’avenir.

Or, cela revient à remettre en cause les prévisions des parties. Si on commence à admettre la révision pour imprévision, cela entraine des révisions en cascade. La révision appelle la révision, ce qui peut entrainer un équilibre généralisé.

Refuser la révision pour imprévision, est une incitation pour les parties à anticiper ce problème. C’est un argument assez convaincant, car quelque soit le système, la loi ne fera jamais mieux que les parties qui peuvent s’adapter à la particularité de leur contrat. D’ailleurs, il n’y avait aucun contentieux sur la question. Ce qui signifie que ce système marchait bien.

En droit comparé de très nombreux admettent la révision pour imprévision. Finalement, tout dépend du cadre. Il faut limiter le risque d’insécurité juridique.

 

b.Le droit antérieur à l’ordonnance

Avant l’ordonnance, la solution c’est le refus de la révision judiciaire pour imprévisions (Arrêt Canal de Crapone, 6 mars 1876). Le contrat a été conclu en 1567, M. Craponne s’engageait à construire un canal qui devait permettre d’arroser les terres du canal en échange du versement par les paysans de 3 sols qui équivalait à 15 centimes au moment du procès. En 1567, c’était un contrat parfaitement équilibré. Mais à l’époque du procès, c’était absolument dérisoire. La partie demandait au juge d’augmenter la redevance. La Cour d’appel fait droit à sa demande. Pourvoi et cassation… Que nous dit la Cour de cassation ? Le juge ne peut pas réviser les contrats, le contrat est la loi des parties. Cette affirmation est extrêmement nette et a été répétée.

Mais cette solution a été critiquée par toute une partie de la doctrine, et solution d’autant plus critiqué car en droit administratif, le CE avait admis la révision pour imprévision (1976). La Cour de cassation n’est pas restée totalement insensible à ces critiques. Deux arrêts ont été vu comme des signes d’évolution sur cette question.

Arrêt Huard du 3 novembre 1992 : dans cette affaire, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond qui avaient imposé un devoir de renégociation du contrat par les parties sur le fondement du devoir de bonne foi. On pourrait voir, dans cet arrêt, une évolution, une mise à bas de canal de Craponne. Sauf que :

  • o La règle est restée complètement isolée.
  • o Les circonstances de fait étaient extrêmement particulières. Dans cette affaire, était en cause un réseau de distribution exclusive. Le fournisseur vendait très cher au distributeur en cause et vendait moins cher à d’autres distributeurs. L’attitude du fournisseur était scandaleuse.

Arrêt Soffimat du 29 juin 2010 par la chambre commerciale : la Cour de cassation casse un arrêt d’appel. Attendu hyper général selon lequel les juges du fond auraient du faire des recherches sur l’évolution des circonstances économiques. Certains ont monté en épingle cet arrêt en disant que la Cour évoluait sur question de la révision pour imprévision. Sauf que :

  • o En l’espèce, c’était un problème de procédure qui était posé à la Cour de cassation, et non un problème de fond. Cela réduit considérablement la portée de cet arrêt.
  • o Cet arrêt n’a pas était publié par la Cour de cassation. Or la Cour de cassation hiérarchise ses arrêts. Cet arrêt a seulement été diffusé, ce qui montrait que la Cour de cassation ne lui accordait aucune portée jurisprudentielle.

 

c.Le droit issu de l’ordonnance

L’ordonnance renverse totalement la solution sur cette question avec le nouvel 1195 du Code civil. Les conditions d’application de ce texte sont mentionnées dans son alinéa 1er.

1ère condition : La cause. Il faut un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat.

2ème condition : Les faits. Il faut que ca rende l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie. « Excessivement » est une condition indispensable pour la sécurité juridique. Le texte précise « excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté le risque ». Ce dispositif n’est que supplétif de volonté, les parties pourront donc évincer ce dispositif.

Si jamais ces conditions sont réunies, le texte pose 3 règles successives :

« Celle peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Priorité donc, aux parties. Les parties doivent négocier et négocier de bonne foi.

Si jamais ces négociations n’aboutissent pas on bascule vers une deuxième règle selon laquelle les parties peuvent se mettre d’accord sur la résolution, ou pour demander au juge d’adapter le contrat. Cette deuxième hypothèse est étrange, illusoire, car il s’agit de l’hypothèse ou les parties n’arrivent pas à se mettre d’accord pour réviser le contrat mais se mettrait d’accord pour donner ce pouvoir au juge. Or confier ce pouvoir au juge est source d’aléa.

En cas d’échec de ces règles, le texte permet au juge de réviser l