Le rôle léglislatif ou normatif du Roi au Moyen-âge
L’expression « pouvoir législatif » est inadapté à la période, « pouvoir normatif » correspond mieux. C’est le pouvoir de créer et imposer des normes, d’édicter un droit des normes qui vont se distinguer du droit romain.
La souveraineté royale se construit lentement. Progressivement, il y a une prise de conscience. On assiste à sa renaissance progressive. Les premiers rois capétiens n’agissaient par différemment des seigneurs. Sur leur domaine direct, il exerce un pouvoir de bancs, d’établir des règles juridiques contraignantes mais en dehors de ce domaine, le roi n’a pas les moyens d’imposer sa volonté. Dans le domaine de la création d’un droit royal, les progrès seront très lents, durant toute l’époque féodale, les règles qui ont pour vocation de s’éloigner du domaine direct du roi sont très rares et soumise à l’acceptation de ceux à qui la règle s’applique. On dit que le pouvoir du roi est médiatisé.
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- La codification du droit
- Les conséquences de la Révolution sur le droit
- Le Roi et la coutume au Moyen-âge
- Le Rôle Législatif du Parlement au Moyen-âge
- Le Roi et la loi au Moyen-âge
- Droit romain et droit canonique au Moyen-âge
v L’Essor du Pouvoir Normatif ( XII° XV° s )
Il s’agit de connaître les fondements du pouvoir normatif royal. Les fondements théoriques sont doubles. Ils sont liés d’une part au contenu du ministère royale et d’autre part aux grands principes du droit romain retrouvé et habilement exploité par les juristes royaux.
A. Les Fondements liés au Contenu du Ministère Royal
Le roi est investi de la tutelle de la protection du Royaume, ce que l’on appelle la tuitio regni. Le roi a donc pour mission de protéger ses sujets et de faire régner la justice. A cela s’ajoute l’idée que le roi assure la garde générale du Royaume. En effet, les seigneurs n’ont que la garde spéciale de leur domaine. Pour se faire, le roi peut prendre des dispositions générales lorsque sont en cause le commun profit et l’utilité publique.
Cette notion de commun profit qui entre dans le vocabulaire législatif du XIII° Siècle est reprise par Philippe de Beaumanoir. Cette notion est à l’origine définit par les canonistes et Beaumanoir la remet aux goûts du jour et affirme que l’établissement du roi doit avoir pour but essentiel de réaliser le bien commun. Le bien commun est le seul objectif légitime du gouvernement. C’est la poursuite d’une fin commune, c’est a dire faire triompher la justice, le bon ordre, et la sécurité, bref, le bien vivre des individus. Pour Beaumanoir, tout doit être mis en œuvre pour que la législation royale le fasse respecter. Il est donc le fondement et une limite de toute action normative royale. Il doit être la seule justification possible d’une nouvelle loi et l’autorité normative ne doit exercer que dans ce cadre.
La norme doit êtreraisonnable. Elle doit avoir une cause raisonnable. Beaumanoir dit ainsi que la loi ne doit pas être faite contre la loi divine mais surtout contre la loi morale et naturelle ni porter atteinte aux droits d’autrui.
Des concepts retrouvés dans le droit romain vont légitimer le pouvoir royal. Les canonistes et romanistes vont reconnaître au roi une potestas différente de celle de l’empereur, qui investit le roi d’un pouvoir normatif complet et indépendant.
A côté de cette postestas s’ajoute des maximes romaines qui permettent de justifier l’indépendance du roi par rapport à l’empereur : « Le roi est Empereur en son Royaume ». Il est donc souverain et cette souveraineté se traduit par un pouvoir normatif affirmé.
Deux autres maximes : Ces deux maximes légitiment le pouvoir royal.
quod principit lacuit legis habet vigorem «ce qui plaît au prince a force de loi»
et
princiceps legibus solutus « Le roi est délié des lois ».
On trouve aussi dans ces maximes romaines des limites au pouvoir normatif royal qui se trouve notamment dans le Corpus de Justinien dans la loi digna vox qui dispose « c’est un propos digne de la majesté de celui qui règne que l’Empereur se déclare lui-même soumit aux lois ; car notre autorité elle-même dépend de celle du droit ». Cette phrase se trouve dans la constitution impériale Digna vox. Il s’agit d’une loi respectueuse du droit acquit.
B. Le Pouvoir Normatif dans la Pratique
Depuis le démembrement de l’Empire Carolingien, le roi n’est plus la seule autorité politique et passe dans les mains d’autorités locales. Tous ces princes sont en théorie Vassaux du Roi qui es donc le Suzerain mais, ils ont des pouvoirs de plus en plus forts sur leur territoire (ordonnance, pouvoir législatif, établissements..) Ainsi, entre le XII° et XIII° siècle il y a un décalage entre la théorie et la pratique. La Monarchie ne s’est pas encore dégagée de la féodalité. Dès lors, jusqu’au règne de Philippe Auguste, le roi ne légifère en dehors de son domaine qu’avec le consentement de chacun de ses vassaux directs dans le cadre de sa cour. Quand le roi retrouve un début de pouvoir normatif, ce sera dans des conditions identiques à celles de princes Pour faire appliquer ses ordres en dehors de son domaine, c’est à dire dans les principautés des grands vassaux, leur accord expresse sera nécessaire.
Cependant, on enregistre une première tendance : l’apparition d’actes royaux à portée générale. Entre 987 et 1180, les manifestations normatives du roi son modestes. L’ensemble du royaume échappe au roi. En vertu de la garde générale du roi, une mesure de 1155 de Louis VII appelée traditionnellement La constitution de Soissons dispose que le roi établit avec l’accord des grands du Royaume une paix de 10 ans applicable à tout le Royaume. A l’époque, cela crée l’événement car les guerres locales foisonnent. Le roi s’inspirant de la « Paix de Dieu », se porte garant de cette paix donc d’un nouvel ordre juridique et public garanti par l’autorité royale. Pour que cet acte puisse avoir une volonté effective, il est conditionné par la volonté des Seigneurs de l’appliquer sur leur Terre. Par ailleurs, cet acte n’est valable que pour 10 ans. Néanmoins, cette décision est la preuve manifeste d’un pouvoir normatif royal renaissant.
A partir du règne de Philippe Auguste (1180 / 1223) l’évolution continue et concerne alors l’application dans le temps. On passe d’un acte temporaire (Constitution de Soissons) à un acte permanent. Le règle de Philippe Auguste dure 43 ans et crée des conditions favorables à l’établissement du pouvoir royale.
A ce moment, le roi intervient dans deux domaines principaux :
Ø La police du Royaume. En 1215, plusieurs ordonnances relatives aux rames susceptibles d’être utilisées dans les duels sont prises. La police concerne aussi l’administration générale du Royaume.
Ø Le droit privé. Le roi intervient dans le domaine de la coutume. (ex : statut des fiefs de 1209 – ordonnance de 1214 sur le douaire qui règle le statut de la veuve. )
Avec St Louis (1226 – 1270), dans 44 ans de règne, fait du XII° siècle, le siècle du pouvoir souverain. Le terme établissement (dans le temps et permanent) se répand dans le domaine et en dehors du domaine royal. Le Languedoc récemment attaché à la couronne, une ordonnance interdit le duel judiciaire à toujours en 1261. Ainsi, en 1268, un établissement interdit les guerres privées dans tout le Royaume, après avis des Grands Seigneurs. Il n’y a plus delimite de durée. Une ordonnance importante de 1254 porte sur l’administration locale du Royaume. Cette ordonnance témoigne d’un souci de généralité et aussi de réformation de l’État. A la fin du règne de Philippe Auguste, il est désormais établit que le roi peut légiférer pour le bien commun.
Le roi commence à s’émanciper du contrôle de ses grands vassaux. En pratique, si le roi continue à demander l’accord des grands vassaux pour les ordonnances d’application générale, on va se contenter de l’accord de la majorité des vassaux et non plus de l’ensemble. Le pouvoir normatif du roi et encore loin d’être autonome. Dans des matières essentielles il se contente de légiférer sur son Royaume.
Beaumanoir se demande dans quels cas le roi de France peut-il légiférer pour l’ensemble de son Royaume ? La réponse est en cas d’urgence ou de nécessité. Le roi peut prendre alors des dispositions de portée générale a condition que soit respecté le commun profit. En temps de paix, l’ordonnance doit respecter 3 conditions :
Ø Etre adoptée par grand conseil
Ø Respecter le commun profit
Ø Intervenir pour une cause raisonnable.
Pour cette période, le pouvoir normatif royale n’intervient qu’en droit public qui renvoi à la notion d’ordre public de ses différents aspects : police administrative, administration générale, justice, droit pénal, fiscalité. Pour le reste, le droit privé continu à être réglé par les coutumes et les usages. Le roi ne peut pas les modifier, il a l’obligation de les garder. Il ne légifère pas dans la sphère privée.
Le roi hésite à le faire car il est convaincu que les droits des personnes relèvent d’avantages des coutumes du peuple que de la loi de l’État. Par ailleurs, à la fin du XIII° Siècle, l’interprétation et l’amendement des coutumes sont laissées au Parlement dans le cadre de l’exercice de la Justice.
v La Montée de la Monarchie en matière Législative
C’est surtout à partir du XVI° Siècle que le souverain légifère dans les domaines les plus variés. En pratique, les ordonnances royales touchent à de nouveaux domaines jusque-là réservés au droit canon ou à la coutume.
Cette évolution a suscité la réflexion de la Doctrine et notamment de Jean Bodin. Dans les Six livres de la République, Il y développe une idée absolutiste de l’État. Il pense que la Souveraineté est par nature indivisible et doit appartenir à un seul organe et qu’elle est absolu. Elle n’a pas de limite de nature politique. Mais le législateur laisse soumis à la justice et au droit. Pour lui, l’une des marques essentielles de cette souveraineté est le pouvoir législatif qui implique que le roi puisse faire la loi« donner la loi » et peut aussi la changer. Il peut aussi changer la coutume. Dans la théorie de Jean Bodin, le roi peut intervenir dans la coutume.
Cette théorie ne fait pas l’unanimité. Beaucoup de juristes pensent que le roi doit se soumettre à la coutume car elles sont des sortes de loi.
En pratique, le roi respecte cette limite puisque jusqu’au XVIII° Siècle, les ordonnances du roi en droit privé sont rares et respectent les coutumes.
Ainsi, au XVI° siècle de nombreusesordonnances de réformation sont publiées.
Parmi elles se trouvent notamment :
Ø L’Ordonnance de Villers-Cotterêts prise par François I° en Août 1539 content 192 articles . Elle contient des dispositions relatives à la compétence des tribunaux, à la procédure pénale, civile et formalité judiciaire. Dans le domaine du droit civil, elle met en place une formalité qui existe encore aujourd’hui de l’enregistrement des actes sur des registres tenus pars les greffiers des juridictions royales. En matière pénale, elle met en place la procédure inquisitoire relève de l’enquête sous la houlette du ministère publique. Elle remplace aussi dans les actes notariésle latin par le français. Cette ordonnance organise aussi les registres de l’État civil, chaque paroisse doit tenir des registres de Baptême et de décès.
Ø L’Ordonnance de Moulins de 1766 comprenant des dispositions de droit public mais aussi des dispositions de droit privé sur la mise en place de l’hypothèque judiciaire ou encore l’obligation de la preuve pour tout contrat de plus de 100 livres.
Ø L’Ordonnance de Blois de 1779 portant sur la police générale du Royaume et légifère sur des matières très divers : administration, justice, armée, état des personnes et règlement le mariage. Désormais, le mariage est un acte public et solennel qui doit être célébré après publication des bancs en présence du prêtre et de 4 témoins. Cette ordonnance permet de lutter contre les mariages clandestins etpréserver l’ordre dans les familles.
Ces quelques exemples montrent l’importance de cette activité législative de réformation, certains articles ne furent que partiellement appliqués mais montre une volonté de réformer et moderniser les structures datant du Moyen-Age.
v Les Ordonnances de Codification
Ces ordonnances arrivent avec le règne de Louis XIV (1643 / 1715). Les choses vont radicalement changer. On parle désormais d’ordonnance de codification. A partir de 1661, Louis XIV décidant d’assurer personnellement le gouvernement du Royaume va abandonner la procédure des réformes composites, c’est à dire les ordonnances de réformation touchant a des matières très diverses pour remodeler bloc par bloc de manière systématique des domaines du droit. La matière la plus sûr est la présentation de texte ordonné suivant un plan minutieux en titres et articles qui annoncent déjà la codification de l’époque suivante Napoléonienne.
Les soucis dominant : fixé, unifié, codifié. Cette marche vers la codification caractérise le règne de Louis XIV et se poursuivra avec Louis XV. Le but est de regrouper les lois existantes en quelques grands codes et mettre à profit ce travail pour les réviser et les adapter aux nécessités du temps. Elles sont publiées entre 1661 et 1685. Certes, ces ordonnances se rattachent à la tradition des ordonnances de réformation mais s’en distinguent par la procédure particulière de leur rédaction. Elles sont d’abord préparées et débattues au sein de commissions de spécialistes composé de praticiens. Ce premier texte est examiné et amandé par le conseil de justice composé de conseillers d’États sous la présidence effective du roi. Le texte définitif est ensuite mis au point au cour de conférences plus larges auxquelles participent notamment les conseillers du Parlement de Paris.
Ø L’Ordonnance civile du mois d’avril 1667, aussi appelée code Louis. Cette ordonnance fixe les grandes lignes des procédures civiles et vise à une simplification, harmonisation des procédures civiles du royaume. Une partie sera reprise dans le code Napoléon de 1804.
Ø L’Ordonnance criminelle du mois d’août 1670 est un véritable code de procédures pénales. Le système de la procédure inquisitoire est confirmé ainsi que le secret de l’instruction. De la même façon, elle servira largement de bas à la procédure criminelle de 1808.
Dans ces deux ordonnances, on peut dire qu’elles participent à l’unification et simplification de procédures civiles et criminelles. Le pluralisme juridique est plus modeste mais perdure néanmoins.
Ø Une Ordonnance du commerce de 1673. On parle du Code Marchant ou Code Savary. Le but ici est de régulariser, unifier, les règles et usages du commerce. Cette ordonnance inspirera fortement le code du commerce
Ø Une Ordonnance de la marine d’Août 1681, il codifie l’ensemble des règles du droit maritime dont certaines sont encore en vigueur aujourd’hui
Ø Le Code de la police des îles d’Amérique que l’on appelle aussi Le Code Noir. Il est le premier code qui tente d’humaniser la condition des esclaves en leur attribuant des droits familiaux et oblige les maîtres à prendre en charge leurs esclaves âgés ou malades.
Les deux ordonnances marines et commerces ne constituent pas une atteinte aux coutumes. Les matières commerciales et maritimes, sont restées largement étrangères aux droits coutumiers. Dès lors si le roi légifère en la matière ce n’est pas contre la coutume mais en l’absence de coutume.
Même sur la période de Louis XIV, la monarchie n’a pas légiféré contre les coutumes et respecte le droit Français. Il faut attendre le début du XVIII° Siècle pour rencontrer les exceptions à ces règles avec les ordonnances du Chancelier D’Aguesseau.
Ce vaste mouvement de codification se poursuit avec le règne de Louis XV. Ce mouvement concerne le droit privé, un domaine dans lequel coutume et droit romain avait largement dominé. Il s’agit donc de la première tentative d’unification du droit privé par voie législative. C’est donc le chancelier Henri D’Aguesseau(1717 – 1750) que revient le mérite de ce travail. Son rêve est d’établir un code de toutes les lois civiles du Royaume. Il y travaillera toute sa vie. Il se limite tout de même à certains secteurs.
Quelques grandes ordonnances jalonnent son œuvre Trois en tout :
Ø Les Donations entres vifs
Ø Les Testaments
Ø Les Substitutions(droit des successions)
Ces matières relèvent du droit romain et coutumier. Le but du Chancelier n’est pas de substituer à ses sources des dispositions d’ordre législatif mais vise plus modestement à unifier la jurisprudence divergente des Parlements. De fait, elles sont élaborées avec les magistrats des cours souveraine selon une procédure annonçant celle utilisée par Napoléon 1°.
Les deux ordonnances les plus importantes
Ø Les Ordonnances sur les donations (1731) Comme en la matière droit coutumier/romain sont proches, la marche vers l’unification se fait facilement.
Ø Les Ordonnances sur les testaments (1735) La procédure est beaucoup plus difficile. En effet, une discutions de 5 ans tente de se mettre d’accord sur une forme commune de testament. Le chancelier accepte que subsiste deux formes testamentaire : une pour le nord une pour le midi. Mais cette ordonnance enlève les disparités de jurisprudence des parlements du midi, et la multitude des coutumes du Nord.
Il fait une procédure spéciale. Il commence par consulter les Hautes juridictions du Royaume en leur envoyant des questionnaires précis. Les réponses font apparaître des divergences entre droit de coutume et écrit. Des discutions s’engagent pour tenter de rapprocher des points de vue.
Après lui, ce vaste travail n’est pas poursuivi, on ne relève que quelques rares textes. Le travail d’unification d’envergure se finit avec D’Aguesseau mais il aura une certain pérennité puisque les rédacteurs de 1804 s’inspireront des codifications.
L’effort entreprit depuis le milieu du XVI° Siècle, a déjà porté ses fruits. Entres les deux ordres juridiques écrits et coutumiers les différences s’estompent grâce aux codifications des juristes et à l’effort royaux.