La fraude à la loi : sanction et éléments constitutifs

La fraude à la loi en droit international privé : sanctions et éléments constitutifs

            En droit international privé, on peut frauder en tenant compte de la multiplicité des systèmes juridiques impliqués. On sait que de par le monde, les solutions étatiques apportent des solutions différentes à certaines questions. Les individus pourraient être tentés de se servir des ressources du droit international privé pour trouver une loi ou un juge qui soit plus conforme à leurs intérêts. Il faut distinguer deux principales techniques : le forum shopping et la fraude à la loi.

            Le forum shopping consiste à manipuler les critères de compétence juridictionnelle. Ex : deux personnes de nationalité X veulent divorcer. Ils ne pourraient pas divorcer selon leur loi nationale X qui interdit le divorcer. Ils vont aller demander à un juge mexicain pour échapper à l’application de leur loi nationale. Le droit international privé mexicain désigne la loi du for pour prononcer le divorce. Cette technique suppose que plusieurs Etats sont prêts à se déclarer compétents sur le plan juridictionnel. Les parties vont faire leur choix du juge en fonction de ce qui convient le mieux à leurs intérêts. Effectivement, sur un même litige, plusieurs juges peuvent être compétents pour trancher le litige. Ce comportement des parties devient frauduleux si le jugement qui a été recherché à l’étranger est uniquement destiné à être invoqué dans un autre pays dont les juges n’auraient pas fait droit à la demande s’ils avaient été directement saisis.

            La fraude à la loi peut être opérée dans le cadre d’un seul ordre juridictionnel, face à un seul juge. Elle s’opère par une manipulation des règles de compétence législatives de l’ordre juridique saisi, autrement dit, des règles de conflit de lois. Ex : affaire Princesse de Bauffremont, 2ème moitié du XIXème siècle. La princesse vivait en France où elle était judiciairement séparée de son mari. Les deux époux étaient français et à l’époque, la loi française prohibait le divorce. La princesse rencontre le prince Bibesco et elle veut l’épouser. Problème : elle est encore mariée. Elle se dit qu’elle va fixer son domicile dans le grand duché allemand de Saxe Haltenbourg en 1874 et elle demande et obtient la naturalisation dans ce duché en 1875. Selon la loi de sa nouvelle nationalité, qui est désignée par notre règle de conflit, la séparation de corps équivalait à un divorce. Du coup, elle se dit qu’elle peut se remarier : si un juge français est saisi, il appliquera sa loi nationale allemande. Elle se remarie, le 1er époux s’oppose et demande au juge français la nullité de la naturalisation allemande de son épouse et du second mariage. La Cour de cassation, cruelle, a déclaré le remariage sans effet en France dans la mesure où la princesse ne pouvait être autorisée à invoquer sa nationalité nouvelle obtenue dans une intention frauduleuse pour se soustraire à la loi française qui seule règle les effets du mariage de ses nationaux et en déclare le lien indestructible (req. 18/03/1878).

            Une personne connaît la règle de conflit de lois applicable. Elle va la manipuler pour lui faire désigner un ordre juridique dont les règles substantielles lui sont favorables. Le juge va opposer l’exception de fraude (fraus omnia corrumpit) et appliquera non pas la loi apparemment compétente mais la loi qui aurait été compétente s’il n’y avait pas eu de modification frauduleuse.

  • 1. Les éléments constitutifs de la fraude
  1. L’élément intentionnel ou subjectif

            L’acte est intrinsèquement licite mais il est vicié par sa finalité illicite. C’est l’intention frauduleuse qui compte. Acte : changer de nationalité. C’est licite. L’intention frauduleuse n’est pas le simple souhait d’obtenir un résultat autorisé par la loi favorable et défendue par la loi défavorable. La fraude réside dans le fait de changer l’élément dont dépend la loi applicable pour obtenir le résultat recherché sans accepter les autres conséquences, plus fondamentales, qui sont normalement attachées à ce changement. Problème : la preuve. Parfois, on va pouvoir se reposer sur un certain nombre d’éléments objectifs. Ex : fait de divorcer juste après l’acquisition de la nouvelle nationalité, surtout si on le fait sans jamais résider dans le pays de la nouvelle nationalité.

  1. L’élément matériel ou objectif de la fraude

            L’élément matériel est une manœuvre. Elle consiste généralement à modifier l’élément de rattachement. Pour que ça marche, il faut choisir un critère de rattachement qui dépende assez largement de la volonté des parties ou, plus précisément, la personne doit pouvoir fixer l’élément de rattachement en question en fonction de sa convenance personnelle sans que la situation ait un lien réel avec le pays qu’elle choisit. C’est assez rare. C’est possible pour la nationalité, pour la situation d’un meuble. C’est beaucoup plus difficile pour les immeubles ; c’est même relativement difficile en droit français pour le domicile, car la jurisprudence ne tient compte que d’un établissement stable dans un pays (il faut un lien sérieux). Pendant très longtemps, on a considéré qu’on ne pouvait guère jouer que sur le critère de rattachement.

            Mais on s’est rendu compte que les fraudeurs arrivaient même à manipuler la catégorie de rattachement. C’est donc l’ensemble des éléments de la règle de conflit qui peuvent être manipulés, même l’ordre public. Pour la catégorie de rattachement : affaire Caron (civ. 1ère, 20/03/1985). Caron était domicilié aux Etats-Unis et il voulait totalement déshériter ses enfants. Problème : il possédait un immeuble en France (droit français : réserve héréditaire, d’ordre public). La règle de conflit de lois désigne la loi du lieu de situation de l’immeuble. Donc difficile de déshériter sur l’immeuble. En revanche, le droit américain ne connaît pas de la réserve. Il fallait donc rendre le droit américain applicable. Il a vendu son immeuble à une société américaine dont il détenait les actions. Les actions, en droit, sont des meubles. Donc elles entraient dans la succession mobilière de Caron (loi du dernier domicile du défunt, à savoir : les Etats-Unis). Sauf que les juges français ont déjoué la fraude et rétabli la compétence de la loi française.

  • Les sanctions de la fraude
  1. La fraude à la loi française.

            Il est certain qu’une fraude à la loi française sera sanctionnée. Comme dans l’affaire Caron. La sanction principale à la fraude est la mise à néant de la situation créée grâce à la fraude. Un auteur, Vidal, disait « la fraude a pour effet sa propre inefficacité ». On tient pour réalisée la situation à laquelle le fraudeur a voulu échapper. Sanction logique de l’affaire de la princesse Bauffremont : maintenir le premier mariage et annuler le second. Mais dans cette affaire, la Cour de cassation n’a pas annulé le 2nd mariage ; elle l’a seulement déclaré inopposable au 1er mari. Donc en toute logique, la princesse avait deux époux, mais un seul en France. Dans l’affaire Caron, Caron voulait échapper à la réserve. Les juges ont attribué à chaque enfant sa part réservataire sur l’immeuble. Toutefois, question sur cette sanction : la manœuvre consiste parfois en un acte juridique (naturalisation, vente d’un immeuble…). Faut-il remettre en cause cet acte juridique ? Réponse de principe : lorsque c’est possible, il est préférable de simplement le déclarer inopposable (de ne pas en tenir compte). C’est la solution qui a été retenue tant dans Bauffremont que dans Caron.

            Dans un arrêt Mancini du 5/02/1929, la Cour de cassation a bien démontré cette distinction entre nullité et inopposabilité mais c’était une loi étrangère qui avait été fraudée et en donnant compétence à la loi française. Un italien s’était fait naturalisé français pour obtenir le divorce en France ; Les autorités françaises lui avaient accordé la naturalisation. Il a obtenu son divorce. On a invoqué la fraude à la loi italienne. La Cour de cassation a refusé de retenir une fraude à la loi étrangère au motif qu’elle ne pouvait pas remettre en cause l’acte de naturalisation réalisé par les autorités administratives françaises (séparation des pouvoirs). Ça a conduit la doctrine à se demander si la jurisprudence était prête à sanctionner la fraude à la loi étrangère.

  1. La fraude à la loi étrangère

            On a longtemps discuté ; on disait que le juge était là pour protéger la loi française, mais pas pour protéger les lois étrangères. D’un autre côté, d’autres auteurs ont répondu : quand il y a fraude à la loi étrangère, il y a en même temps fraude à la règle de conflit de lois française. Ce 2ème point de vue a aujourd’hui gagné et la jurisprudence admet de sanctionner une fraude à la loi étrangère. Elle l’a déjà fait en matière contractuelle (com. 7/03/1961) et en matière de divorce (civ. 1ère, 11/07/1977, Giroux). Le doute qui reste : dans ces décisions, la fraude à la loi étrangère s’était réalisée au profit d’une autre loi étrangère et non au profit d’une loi française (comme dans Mancini). Qu’en serait-il si c’était la loi française qui était désignée comme compétente ? Certains expriment encore des doutes à cause de l’arrêt Mancini.

            On peut considérer que la séparation des pouvoirs faisait écran. Mais certains disent que l’argument n’est pas convaincant. Dans l’arrêt Mancini, la Cour de cassation aurait très bien pu refuser de remettre en cause la naturalisation tout en la privant d’effet sur la question particulière de la loi applicable au divorce (puisque la fraude corrompt tout). Or elle ne l’a pas fait. Dans certains se disent qu’il n’est pas évident que le juge soit enclin à sanctionner la fraude qui se commet au profit de la loi française.

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